mardi, juillet 2, 2024
Recherches Lacan

LIX L'IDENTIFICATION 1961 – 1962 Leçon du 4 avril 1962

Leçon du 4 avril 1962

Ceux qui pour diverses raisons, personnelles ou pas, se sont distingués par leur absence à cette réunion de la Société qu’on appelle provinciale vont se sentir en proie à un petit aparté, car pour le moment c’est aux autres que je vais m’adresser, pour autant que je suis avec eux en reste, car j’ai dit quelque chose à ce petit congrès. Ça a été pour défendre la part qu’il ont prise, et cela n’allait pas chez moi, je dois le dire, sans recouvrir quelque insatisfaction à leur endroit. Il faut quand même un peu philosopher sur la nature de ce qu’on appelle un congrès. C’est en principe une de ces sortes de rencontres où l’on parle, mais où chacun sait que quelque chose qu’il dise participe de quelque indécence, de sorte qu’il est bien naturel qu’il ne s’y dise que des riens pompeux, chacun restant pour l’ordinaire vissé dans son rôle à garder. Ceci n’est pas tout à fait ce qui se passe à ce que nous appelons, plus modestement, nos journées. Mais depuis quelque temps tout le monde est très modeste. On appelle ça colloque, rencontre, cela ne change rien… au fond de l’affaire, cela reste toujours des congrès. Il y a la question des rapports. Il me semble que ce terme vaut qu’on s’y arrête parce qu’enfin il est assez drôle, à y regarder de près. Rapport à quoi, de quoi, rapport entre quoi, voire, rapport contre quoi ? Comme on dit le petit rapporteur ? Est-ce que c’est vraiment bien ça qu’on veut dire ? Il faudrait voir. En tout cas, si le mot rapport est clair quand on dit le rapport de monsieur Untel sur la situation financière, on ne peut tout de même pas dire qu’on soit tout à fait à l’aise pour donner un sens qui doit être analogue à un terme comme rapport sur l’angoisse par exemple. Avouez que c’est assez curieux qu’on fasse un rapport sur l’angoisse, ou sur la poésie d’ailleurs, ou sur un certain nombre de termes de ce genre. J’espère tout de même que l’étrangeté de la chose vous apparaît, et spécifique pas seulement des congrès de psychanalystes mais d’un certain nombre d’autres congrès, disons, de philosophes en général. Le terme rapport, je dois dire, fait hésiter. Aussi bien, dans un temps je n’hésitai pas à appeler moi-même discours ce que je pouvais avoir à dire sur des termes analogues, discours sur la causalité psychique, par exemple. Cela fait précieux. Je suis revenu à rapport comme tout le monde. Tout de même, ce terme, et son usage, est fait pour vous faire poser la question justement, du degré de convenance à quoi se mesurent ces rapports étranges à leurs étrangers objets. Il est bien certain qu’il y a certaine proportion desdits rapports à un certain type constituant de la question à quoi ils se rapportent, le vide qui est au centre de mon tore par exemple. Quand il s’agit de l’angoisse ou du désir, c’est fort sensible. Ce qui nous permettrait de croire, de comprendre que le meilleur écho du signifiant que nous puissions avoir du terme de rapport dit scientifique en l’occasion, serait à prendre avec ce qu’on appelle aussi le rapport quand il s’agit du rapport sexuel. L’un et l’autre ne sont pas sans rapport avec la question dont il s’agit, mais c’est tout juste. C’est bien là que nous retrouvons cette dimension dupas sans, en tant que fondatrice du point même où nous nous introduisons dans le désir, et pour autant que l’accès du désir exige que le sujet ne soit pas sans l’avoir, l’avoir quoi ? C’est là toute la question. Autrement dit, que l’accès au désir réside dans un fait, dans ce fait que la convoitise de l’être dit humain ait à se déprimer inauguralement, pour se restaurer sur les échelons d’une puissance dont c’est la question de quoi elle est, mais surtout, cette puissance, vers quoi elle s’évertue. Or ce vers quoi elle s’évertue visiblement, sensiblement à travers toutes les métamorphoses du désir humain, il semble que c’est vers quelque chose toujours plus sensible, plus précisé, qui s’appréhende pour nous comme ce trou central, cette chose dont il faut faire toujours plus le tour pour qu’il s’agisse de ce désir que nous connaissons, ce désir humain en tant qu’il est de plus en plus informé. Voilà ce qui fait donc jusqu’à un certain point légitime que leur rapport, du rapport sur l’angoisse en particulier de l’autre jour, ne puisse accéder à la question que de n’être pas sans rapport avec la question. Cela ne veut tout de même pas dire que le sans, si je puis dire, doive trop prendre le pas sur le pas, autrement dit, qu’on croie un petit peu trop aisément répondre au vide constitutif du centre d’un sujet par trop de dénuement dans les moyens de son abord. Et ici vous me permettrez d’évoquer le mythe de la Vierge folle qui, dans la tradition judéo-chrétienne, répond si joliment à celui de la penia, de la misère dans Le Banquet de Platon. La penia réussit son coup parce qu’elle est au fait de Vénus, mais ce n’est pas forcé, l’imprévoyance que symbolise ladite Vierge folle peut très bien rater son engrossement. Alors, où est la limite, impardonnable en cette affaire, parce qu’enfin c’est bien de ça qu’il s’agit, c’est du style de ce qui peut se communiquer, dans un certain mode de communication que nous essayons de définir, celui qui me force à revenir sur l’angoisse ici, non pas histoire de reprendre ni de faire la leçon à ceux qui en ont parlé, non sans défaillance, limite évidemment cherchée, à partir de laquelle on peut faire reproche aux congrès en général de leurs résultats. Où est-elle à chercher ? Puisque nous parlons de quelque chose qui nous permet d’en saisir le vide, quand il s’agit par exemple de parler du désir, est-ce que nous allons le chercher dans cette sorte de péché dans le désir, contre je ne sais quel feu de la passion, de la passion de la vérité par exemple, qui est le mode sur lequel nous pourrions très bien épingler par exemple une certaine tenue, un certain style, la tenue universitaire, par exemple ? Cela serait bien trop commode, ça serait bien trop facile. Je n’irai sûrement pas ici à parodier sur le rugissement fameux du vomissement de l’Eternel devant une tiédeur quelconque ; une certaine chaleur aboutit aussi très bien, ça se sait, à la stérilité. Et à la vérité notre morale, une moralité qui déjà se tient très bien, la morale chrétienne, dit qu’il n’y a qu’un péché, le péché contre l’Esprit. Eh bien! nous, nous dirons qu’il n’y a pas de péché contre le désir, pas plus qu’il n’y a de crainte de l’aphanisis, au sens où l’entend monsieur Jones. Nous ne pouvons dire qu’en aucun cas nous puissions nous reprocher de ne pas assez bien désirer. Il n’y a qu’une chose, et ça nous n’y pouvons rien, il n’y a qu’une chose à redouter, c’est cette obtusion à reconnaître la courbe propre de la démarche de cet être infiniment plat dont je vous démontre la propulsion nécessaire sur cet objet fermé que j’appelle ici le tore, qui n’est à vrai dire que la forme la plus innocente que ladite courbure puisse prendre, puisque dans telle autre forme qui n’est pas moins possible ni moins répandue, il est dans la structure même de ces formes, où je vous ai un peu introduits la dernière fois, que le sujet se déplaçant se retrouve avec sa gauche placée à droite, et ceci sans savoir comment ça a pu arriver, comment ça s’est fait. Ceci, à cet endroit, tous ceux qui ici m’écoutent n’ont rien à cet endroit de privilégié; jusqu’à un certain point) e dirai que moi non plus, ça peut m’arriver comme aux autres. La seule différence entre eux et moi jusqu’à présent, il me semble, ne résidait que dans le travail que j’y mets, pour autant que j’en donne un petit peu plus qu’eux. Je puis dire que dans un certain nombre de choses qui ont été avancées, sur un sujet que sans doute je n’ai point abordé, l’angoisse, ce n’est pas cela qui me décide à vous annoncer que ce sera le sujet de mon séminaire de l’année prochaine, si tant est que le siècle nous
permette qu’il y en ait un. Sur ce sujet de l’angoisse j’ai entendu bien des choses étranges, des choses aventurées, pas toutes erronées et que je n’aurai pas à reprendre, m’adressant nommément à tel ou tel, une par une. Il me semble néanmoins que ce qui s’est révélé là comme une certaine défaillance était bien celle d’un centre, et pas du tout de nature à recou-vrir ce que j’appelle le vide du centre. Tout de même, quelques propos de mon dernier séminaire eussent dû, sur les points les plus vifs, vous mettre en garde, et c’est pour ça qu’il me parait aussi légitime d’aborder la question sous ce biais aujourd’hui, puisque ceci s’enchaîne exactement au discours d’il y a huit jours. Ce n’est tout de même pas pour rien que j’y ai mis l’accent, rappelé la distance qui sépare, dans nos coordonnées fondamentales, celles où doivent s’insérer nos théorèmes sur l’identification cette année, sur la distance qui sépare l’Autre de la Chose, ni non plus qu’en propres termes j’ai cru devoir vous pointer le rapport de l’angoisse au désir de l’Autre. Faute vraiment de partir de là, de s’accrocher à ça comme à une sorte de poignée ferme, et pour n’avoir fait que tourner autour par je ne sais quelle pudeur, car vraiment à de certains moments, je dirai presque tout le temps, et jusque dans ces rapports dont j’ai parlé, pour je ne sais quoi, qui tient de cette sorte de manque qui n’est pas le bon, jusque dans ces rapports, quand même, vous pouvez connoter en marge ce je ne sais quoi qui était toujours la convergence, s’imposant avec une espèce d’orientation d’aiguille de boussole, que seul le terme qui pouvait donner une unité à cette sorte de mou-vement d’oscillation autour de quoi la question tremblait, c’était ce terme, le rapport de l’angoisse au désir de l’Autre. Et c’est ceci que je voudrais… parce qu’il serait faux, vain, mais non sans risque, de ne pas ici marquer quelque chose au passage qui puisse être comme un germe là, pour en pêcher tout ce qui s’est dit, sans doute d’intéressant, au fur et à mesure des heures de cette petite réunion où des choses de plus en plus accentuées arrivaient à s’énoncer,… pour que ceci ne se dissipe pas, pour que ceci se raccorde à notre travail, permettez-moi d’essayer ici très massivement, comme en marge et presque en avance, mais non aussi sans une pertinence de points exacts, au point où nous étions arrivés, de ponctuer un certain nombre de repères premiers. C’est la référence qui ne devrait à aucun moment vous faire défaut. Si le fait que la jouissance, en tant que jouissance de la Chose, est interdite en son accès fondamental, si c’est là ce que je vous ai dit pendant toute l’année du  séminaire sur L’Éthique, si c’est dans cette suspension, dans le fait qu’elle est, cette jouissance, aufgehoben, suspendue, proprement que gît le plan d’appui où va se constituer comme tel et se soutenir le désir, ça c’est vraiment l’approximation la plus lointaine de tout ce que le monde peut dire, vous ne voyez pas que nous pouvons formuler que l’Autre, cet Autre en tant qu’à la fois il se pose être et qu’il n’est pas, qu’il est à être, l’Autre ici, quand nous nous avançons vers le désir, nous voyons bien qu’en tant que son support c’est le signifiant pur, le signifiant de la loi, que l’Autre se présente ici comme métaphore de cette interdiction. Dire que l’Autre c’est la loi ou que c’est la jouissance en tant qu’interdite, c’est la même chose. Alors, alerte à celui, qui n’est pas là d’ailleurs aujourd’hui, qui, de l’angoisse, a fait le support et le signe et le spasme de la jouissance d’un soi identifié, identifié exactement comme s’il n’était pas mon élève, avec ce fonds ineffable de la pulsion comme du cœur, du centre de l’être, justement où il n’y a rien. Or tout ce que je vous enseigne sur la pulsion, c’est justement qu’elle ne se confond pas avec ce soi mythique, qu’elle n’a rien à faire avec ce qu’on en fait dans une perspective jungienne. Évidemment, il n’est pas commun de dire que l’angoisse est la jouissance de ce qu’on pourrait appeler le dernier fonds de son propre inconscient. C’est à cela que tenait ce discours. Ce n’est pas commun, et ce n’est pas parce que ce n’est pas commun que c’est vrai. C’est un extrême auquel on peut être amené quand on est dans une certaine erreur qui repose toute entière sur l’élision de ce rapport de l’Autre à la Chose en tant qu’antinomique. L’Autre est à être, il n’est donc pas. Il a tout de même quelque réalité, sans cela je ne pourrais même pas le définir comme le lieu où se déploie la chaîne signifiante. Le seul Autre réel, puisqu’il n’y a nul Autre de l’Autre, rien qui garantisse la vérité de la loi, le seul Autre réel étant ce dont on pourrait jouir sans la loi. Cette virtualité définit l’Autre comme lieu. La Chose en somme, élidée, réduite à son lieu, voilà l’Autre avec un grand A. Et je vais tout de suite très vite sur ce que j’ai à dire à propos de l’angoisse. Cela passe, vous ai-je annoncé, par le désir de l’Autre. Alors, c’est là que nous en sommes, avec notre tore, c’est là que nous avons à le définir, pas à pas. C’est là que le ferai un premier parcours, un peu trop vite, ça n’est jamais mauvais, puisqu’on peut revenir en arrière. Première approche, allons-nous dire que ce rapport que j’articule en disant que le désir de l’homme c’est le désir de l’Autre, ce qui bien sûr entend dire quelque chose, mais maintenant ce qui est en question, ce que déjà ça introduit, c’est qu’évidemment je dis tout autre chose, je dis que: le désir x du sujet ego est le rapport au désir de l’Autre, qu’il serait, par rapport au désir de l’Autre, dans un rapport de Beschriinkung, de limitation, viendrait à se configurer dans un simple champ d’espace vital ou non, conçu comme homogène, viendrait se limiter par leur heurt. Image fondamentale de toutes sortes de pensées quand on spécule sur les effets d’une conjonction psychosociologique. Le rapport du désir du sujet, du sujet au désir de l’Autre n’a rien à faire avec quoi que ce soit d’intuitivement supportable de ce registre. Un premier pas serait d’avancer que si mesure veut dire mesure de grandeur, il n’y a point entre eux de commune mesure. Et rien qu’à dire ça, nous rejoignons l’expérience. Qui a jamais trouvé une commune mesure entre son désir et quiconque à qui il a affaire comme désir ? Si on ne met pas ça d’abord dans toute science de l’expérience, quand on a le titre de Hegel, le vrai titre de la Phénoménologie de l’Esprit, on peut tout se permettre, y compris les prêcheries délirantes sur les bienfaits de la génitalité. C’est ça et rien d’autre que veut dire mon introduction du symbole V-1, c’est quelque chose destiné à vous suggérer que V-1 x V-1, le produit de mon désir par le désir de l’Autre, ça ne donne et ça ne peut donner qu’un manque, -1, le défaut du sujet en ce point précis. Résultat, le produit d’un désir par l’autre ne peut être que ce manque, et c’est de là qu’il faut partir pour tenir quelque chose. Ceci veut dire qu’il ne peut y avoir aucun accord, aucun contrat sur le plan du désir, que ce dont il s’agit, dans cette identification du désir de l’homme au désir de l’Autre, c’est ceci, que je vous montrerai dans un jeu manifeste; en faisant jouer pour vous les marionnettes du fantasme en tant qu’elles sont le support, le seul support possible de ce qui peut être au sens propre une réalisation du désir. Eh bien! quand nous en serons arrivés là – vous pouvez quand même déjà le voir indiqué dans mille références, les références à Sade, pour prendre les plus proches, le fantasme un enfant est battu, pour prendre un des biais premiers avec lesquels j’ai commencé à introduire ce jeu – ce que je vous montrerai, c’est que la réalisation du désir signifie, dans l’acte même de cette réalisation, ne peut signifier qu’être l’instrument, que servir le désir de l’Autre, qui n’est pas l’objet que vous avez en face dans l’acte, mais un autre qui est derrière. Il s’agit là du terme possible dans la réalisation du fantasme. Ce
n’est qu’un terme possible, et avant de vous être fait vous-mêmes l’instrument de cet Autre situé dans un hyperespace, vous avez bel et bien affaire à des désirs, à des désirs réels. Le désir existe, est constitué, se promène à travers le monde, et il exerce ses ravages avant toute tentative de vos imaginations, érotiques ou pas, pour le réaliser, et même, il n’est pas exclu que vous le rencontriez comme tel, le désir de l’Autre, de l’Autre réel tel que je l’ai défini tout à l’heure. C’est en ce point que naît l’angoisse. L’angoisse, c’est bête comme chou. C’est incroyable qu’à aucun moment je n’aie vu même l’ébauche de ceci, qui semblait à certains moments comme on dit, être un jeu de cache-tampon, qui est tellement simple. On a été chercher l’angoisse, et plus exactement ce qui est plus originel que l’angoisse, la préangoisse, l’angoisse traumatique. Personne n’a parlé de cela, l’angoisse c’est la sensation du désir de l’Autre. Seulement, comme de bien entendu, chaque fois que quelqu’un avance une nouvelle formule, je ne sais pas ce qui se passe, les précédentes filent dans le fond de vos poches ou n’en sortent plus. Il faut quand même que J’image ça, je m’excuse, et même grossièrement, pour faire sentir ce que je veux dire, quitte après cela à ce que vous essayiez de vous en servir, et cela peut servir dans tous les endroits où il y a angoisse. Petit apologue, qui n’est peut-être pas le meilleur, la vérité, c’est que je l’ai forgé ce matin, me disant qu’il fallait que j’essaie de me faire comprendre. D’habitude je me fais comprendre à côté, ce qui n’est pas si mal, cela vous évite de vous tromper à la bonne place. Là, je vais essayer de me faire comprendre à la bonne place et vous éviter de faire erreur. Supposez-moi dans une enceinte fermée, seul avec une mante religieuse de trois mètres de haut. C’est la bonne proportion pour que j’aie la taille dudit mâle. En plus, je suis revêtu d’une dépouille à la taille dudit mâle qui a 1,75 m, à peu près la mienne. je me mire, je mire mon image ainsi affublée dans l’œil à facettes de ladite mante religieuse. Est-ce que c’est ça l’angoisse ? C’en est très près. Pourtant, en vous disant que c’est la sensation du désir de l’Autre, cette définition se manifeste ce qu’elle est, à savoir, purement introductive. Il faut évidemment vous référer à ma structure du sujet, c’est-à-dire connaître tout le discours antécédent, pour comprendre que si c’est de l’Autre avec un grand A qu’il s’agit, je ne peux pas me contenter de ne pas aller plus loin, pour ne représenter dans l’affaire que cette petite image de moi en mante mâle dans l’œil à facettes de l’autre. Il s’agit à proprement parler de l’appréhension pure du désir de l’Autre comme tel, si justement je méconnais quoi ? Mes insignes, à savoir que moi, je suis affublé de la dépouille du mâle. Je ne sais pas ce que je suis comme objet pour l’Autre. L’angoisse, dit-on, est un affect sans objet, mais ce manque d’objet, il faut savoir où il est, il est de mon côté. L’affect d’angoisse est en effet connoté par un défaut d’objet, mais non pas par un défaut de réalité. Si je ne me sais plus objet éventuel de ce désir de l’Autre, cet Autre qui est en face de moi, sa figure m’est entièrement mystérieuse, dans la mesure surtout où cette forme comme telle que j’ai devant moi ne peut en effet non plus être constituée pour moi en objet, mais où tout de même je peux sentir un mode de sensations qui font toute la substance de ce qu’on appelle angoisse, de cette oppression  indicible par où nous arrivons à la dimension même du lieu de l’Autre en tant qu’y peut apparaître le désir. C’est cela l’angoisse. Ce n’est qu’à partir de là que vous pouvez comprendre les divers biais que prend le névrosé pour s’en arranger, de ce rapport avec le désir de l’Autre.   Alors, au point où nous en sommes, ce désir, je vous l’ai montré la dernière fois comme inclus d’abord nécessairement dans la demande de l’Autre. Ici d’ailleurs, qu’est-ce que vous retrouvez comme vérité première, si ce n’est le commun de l’expérience quotidienne? Ce qui est angoissant, presque pour quiconque, pas seulement pour les petits enfants mais pour les petits enfants que nous sommes tous, c’est ce qui, dans quelque demande, peut bien se cacher de cet x, de cet x impénétrable et angoissant par excellence, du qu’est-ce qu’il peut bien à cet endroit vouloir ? Ce que la configuration ici demande, vous le voyez bien, c’est un medium entre demande et désir. Ce medium, il a un nom, ça s’appelle le phallus. La fonction phallique, ça n’a absolument pas d’autre sens que d’être ce qui donne la mesure de ce champ à définir, à l’intérieur de la demande, comme le champ du désir. Et aussi bien si on veut, que tout ce que nous raconte la théorie analytique, la doctrine freudienne, en la matière, consiste justement à nous dire que c’est là en fin de compte que tout s’arrange. Je ne connais pas le désir de l’Autre, angoisse, mais j’en connais l’instrument, le phallus, et qui que je sois, je suis prié d’en passer par là et de ne pas faire d’histoire, ce qui s’appelle en langage courant continuer les principes de papa. Et comme chacun sait que depuis quelques temps papa n’a plus de principe, c’est avec cela que commencent tous les malheurs. Mais tant que papa est là, en tant qu’il est le centre autour duquel s’organise le transfert de ce qui est en cette matière l’unité d’échange, à savoir, 1/φ je veux dire l’unité qui s’instaure, qui devient la base et le principe de tout soutien, de tout fondement, de toute articulation du [champ du] désir, eh bien! les choses peuvent aller; elles seront exactement tendues entre le me phunai puisse-t-il ne m’avoir jamais enfanté! à la limite, et ce qu’on appelle la baraka dans la tradition sémite, et même biblique à proprement parler, à savoir le contraire, ce qui me fait le prolongement vivant, actif, de la loi du père, du père comme origine de ce qui va se transmettre comme désir. L’angoisse de castration donc, vous allez voir ici qu’elle a deux sens et deux niveaux. Car si le phallus est cet élément de médiation qui donne au désir son support, eh bien! la femme n’est pas la plus mal partagée dans cette affaire, parce qu’après tout, pour elle c’est tout simple, puisqu’elle ne l’a pas, elle n’a qu’à le désirer, et ma foi dans les cas les plus heureux, c’est en effet une situation dont elle s’accommode fort bien. Toute la dialectique du complexe de castration, en tant que pour elle, elle introduit l’Œdipe, nous dit Freud, cela ne veut pas dire autre chose. Grâce à la structure même du désir humain, la voie pour elle nécessite moins de détours, la voie normale, que pour l’homme. Car pour l’homme, pour que son phallus puisse servir à ce fondement du champ du désir, va-t-il falloir qu’il le demande pour l’avoir? C’est bien quelque chose comme ça dont il s’agit, au niveau du complexe de castration, c’est d’un passage transitionnel de ce qui, en lui, est le support naturel, devenu à demi étranger, vacillant, du désir, à travers cette habilitation par la loi; ce en quoi ce morceau, cette livre de chair va devenir le gage, le quelque chose par où il va se désigner à la place où il a à se manifester comme désir, à l’intérieur du cercle de la demande. Cette préservation nécessaire du champ de la demande qui humanise par la loi le mode de rapport du désir à son objet, voilà ce dont il s’agit à ce point et ce qui fait que le danger pour le sujet est, non pas, comme on le dit dans toutes ces déviations que nous faisons depuis des années, d’essayer de contrarier l’analyse, que le danger pour le sujet n’est pas d’aucun abandon de la part de l’Autre, mais de son abandon de sujet à la demande. Car pour autant qu’il vit, qu’il développe la constitution de son rapport au phallus étroitement sur le champ de la demande, c’est là que cette demande n’a à proprement parler pas de terme, car le phallus, encore qu’il faille, pour introduire, pour instaurer ce champ du désir, qu’il soit demandé, comme vous le save
z, il n’est à proprement parler pas au pouvoir de l’Autre d’en faire le don sur ce plan de la demande. C’est dans la mesure où la thérapeutique n’arrive point à résoudre mieux qu’elle ne l’a fait la terminaison de l’analyse, n’arrive pas à la faire sortir du cercle propre à la demande, qu’elle bute, qu’elle se termine à la fin sur cette forme revendicatoire, cette forme inassouvissable, unendliche, que Freud dans son dernier article, L’analyse terminée et interminable, désigne comme angoisse non résolue de la castration chez l’homme, comme Penisneid chez la femme. Mais une juste position, une position correcte de la fonction de la demande dans l’efficience analytique et de la façon de la diriger pourrait peut-être nous permettre, si nous n’avions pas là-dessus tant de retard, un retard déjà suffisamment désigné par le fait que manifestement ce n’est que dans les cas les plus rares que nous arrivons à buter à ce terme marqué par Freud comme point d’arrêt à sa propre expérience. Plût au ciel que nous en arrivions là, même si c’est en impasse! Cela prouverait déjà au moins jusqu’où nous pouvons aller, alors que ce dont il s’agit c’est de savoir effectivement si d’aller jusque-là nous mène à une impasse ou si ailleurs on peut passer. Faut-il qu’avant de vous quitter je vous indique quelques-uns de ces petits points qui vous donnerons satisfaction, pour vous montrer que nous sommes à la bonne place, en nous référant à quelque chose qui soit dans notre expérience du névrosé ? Qu’est-ce que fait, par exemple, l’hystérique ou la névrose obsessionnelle dans le registre que nous venons d’essayer de construire ? Qu’est-ce qu’ils font l’un et l’autre en cet endroit du désir de l’Autre comme tel ? Avant que nous soyons tombés dans leur panneau en les incitant à jouer tout le jeu sur le plan de la demande, à nous imaginer, ce qui n’est pas d’ailleurs une imagination absurde, que nous arriverons à la limite à définir le champ phallique comme l’intersection de deux frustrations, qu’est-ce qu’ils font spontanément ? L’hystérique, c’est bien simple, l’obsessionnel aussi, mais c’est moins évident, l’hystérique n’a pas besoin d’avoir assisté à notre séminaire pour savoir que le désir de l’homme est le désir de l’Autre, et que par conséquent l’Autre peut parfaitement, dans cette fonction du désir, elle, l’hystérique, la suppléer. L’hystérique vit son rapport à l’objet en fomentant le désir de l’Autre, avec un grand A, pour cet objet. Référez-vous au cas Dora. Je pense avoir suffisamment articulé ceci en long et en large pour n’avoir pas besoin même ici de le rappeler. Je fais simplement appel à l’expérience de chacun, et aux opérations dites d’intrigante raffinée que vous pouvez voir se développer dans tout comportement hystérique, qui consiste à sustenter dans son entourage immédiat l’amour d’un tel pour telle autre qui est son amie et véritable objet dernier de son désir; l’ambiguïté restant bien sûr toujours profonde de savoir si la situation ne doit pas être comprise dans le sens inverse. Pourquoi ? C’est ce que bien sûr vous pourrez, dans la suite de nos propos, voir comme parfaitement calculable du seul fait de la fonction du phallus qui peut toujours ici passer de l’un à l’autre des deux partenaires de l’hystérique. Mais ceci nous y reviendrons en détail. Et qu’est-ce que fait vraiment l’obsessionnel concernant, je parle directement, son affaire avec le désir de l’Autre ? C’est plus astucieux, puisque aussi bien ce champ du désir est constitué par la demande paternelle, en tant que c’est elle qui préserve, qui définit le champ du désir comme tel en l’interdisant. Eh bien! qu’il s’en débrouille donc lui-même! Celui qui est chargé de soutenir le désir à l’endroit de l’objet dans la névrose obsessionnelle, c’est le mort. Le sujet, il a le phallus, il peut même à l’occasion l’exhiber, mais c’est le mort qui est prié de s’en servir. Ce n’est pas pour rien que j’ai pointé dans l’histoire de l’Homme aux rats, l’heure nocturne où, après s’être longuement contemplé en érection dans la glace, il va à la porte d’entrée ouvrir au fantôme de son père, le prier de constater que tout est prêt pour le suprême acte narcissique qu’est pour l’obsessionnel ce désir. À ceci près, ne vous étonnez pas, qu’avec de tels moyens l’angoisse n’affleure que de temps en temps, qu’elle ne soit pas là tout le temps, qu’elle soit même beaucoup plus et beaucoup mieux écartée chez l’hystérique que chez l’obsessionnel, la complaisance de l’Autre étant beaucoup plus grande que celle, quand même, d’un mort qu’il est toujours difficile quand même de maintenir présent, si l’on peut dire. C’est pourquoi l’obsessionnel, de temps en temps, chaque fois que ne peut pas être répété à satiété tout l’arrangement qui lui permet de s’en arranger, avec le désir de l’Autre, voit ressurgir, bien sûr d’une façon plus ou moins débordante, l’affect d’angoisse. De là seulement, à retourner en arrière, vous pouvez comprendre que l’histoire phobique marque un premier pas, dans cette tentative qui est proprement le mode névrotique de résoudre le problème du désir de l’Autre, un premier pas dis-je de la façon dont ceci peut se résoudre. C’est un pas, comme chacun sait, celui-là, qui est loin bien sûr d’arriver à cette solution relative de la relation d’angoisse. Bien au contraire, ce n’est que d’une façon tout à fait précaire que cette angoisse est maîtrisée, vous le savez, par l’intermédiaire de cet objet dont déjà l’ambiguïté, à lui, nous a déjà été assez soulignée entre la fonction petit a et la fonction petit phi. Le facteur commun que constitue le petit phi dans tout petit a du désir est là en quelque sorte extrait et révélé. C’est ce sur quoi je mettrai l’accent la prochaine fois pour repartir à partir de la phobie, pour préciser en quoi exactement consiste cette fonction du phallus. Aujourd’hui en gros que voyez-vous ? C’est qu’en fin de compte la solution que nous apercevons du problème du rapport du sujet au désir, dans son fonds radical se propose ainsi; puisque de demande il s’agit et qu’il s’agit de définir le désir, eh bien! Disons-le grossièrement, le sujet demande le phallus et le phallus désire. C’est aussi bête que ça. C’est de là tout au moins qu’il faut partir comme formule radicale pour voir effectivement ce qu’il en est fait dans l’expérience. Ce modèle se module autour de ce rapport du sujet au phallus en tant que, vous le voyez, il est essentiellement de nature identificatoire, et que s’il y a quelque chose qui effectivement peut provoquer ce surgissement d’angoisse lié à la crainte d’une perte, c’est le phallus. Pourquoi non pas le désir ? Il n’y a pas de crainte de l’aphanisis, il y a la crainte de perdre le phallus, parce que seul le phallus peut donner son champ propre au désir. Mais maintenant, qu’on ne nous parle pas non plus de défense contre l’angoisse. On ne se défend pas contre l’angoisse, pas plus qu’il n’y a de crainte de l’aphanisis. L’angoisse est au principe des défenses, mais on ne se défend pas contre l’angoisse. Bien sûr, si je vous dis que je consacrerai toute une année à ce sujet de l’angoisse, c’est vous dire que je ne prétends pas aujourd’hui en avoir fait le tour, que ceci ne pose pas de problème. Si l’angoisse, c’est toujours à ce niveau, que vous a défini presque caricaturalement mon petit apologue, que se situe l’angoisse, si l’angoisse peut devenir un signe, c’est bien sûr que, transformée en signe, elle n’est peut-être pas tout à fait la même chose que là où j’ai essayé de vous la poser d’abord dans son point essentiel. Il y a aussi un simulacre de l’angoisse. À ce niveau bien sûr on peut être tenté d’en minimiser la portée, pour autant qu’il est vraiment sensible que si le sujet s’envoie à lui-même des signes d’angoisse, c’est manifestement pour que ça soit plus gai. Mais c’est tout de même pas de là que nous pouvons partir pour définir la fonction de l’angoisse. Et puis enfin pour dire, comme j’ai prétendu uniquement le faire aujourd’hui, des
choses massives, qu’on s’ouvre à cette pensée que, si Freud nous a dit que l’angoisse est un signal qui passe au niveau du moi, il faut quand même savoir que c’est un signal pour qui ? pas pour le moi, puisque c’est au niveau du moi qu’il se produit. Et ça aussi, j’ai regretté beaucoup que dans notre dernière rencontre, cette simple remarque, personne n’ait songé à la faire.

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