dimanche, novembre 10, 2024
Recherches Lacan

LXXI LES NON-DUPES ERRENT Leçon V, 8 janvier 1974

LES NON-DUPES ERRENT

 

Leçon V,  8 janvier  1974

 

Je vous souhaite la bonne année, hein, quoique naturellement plu­sieurs personnes, j’imagine, l’aient ici, l’aient ici commencée mal. J’en suis, d’ailleurs. Je suis de ceux-là. De sorte qu’après tout, mon envie était de m’excuser sur le fait que le mardi par lequel a commencé l’année n’était de ce fait pas un vrai mardi et de vous renvoyer au suivant. Ç’aurait été une bonne façon de me débarrasser de mon devoir d’au­jourd’hui… J’en reste encore, il faut le dire très tenté, il n’y a qu’une seule chose qui me retient, faut vous le dire, c’est qu’aujourd’hui, vous êtes moins nombreux. Je vous en suis si reconnaissant que c’est peut-être ce qui va me pousser, comme ça, cahin-caha, à énoncer quelques-unes des choses que, forcément, je continue à cogiter, comme ça de cette habi­tude. Le fait aussi que ce matin, on a beaucoup dérangé ma secrétaire, pour demander si je le faisais bien, effectivement, et comme je ne lui ai fait aucune confidence, elle a répondu oui. Parmi ceux-là, mon Dieu, il y en avait quelques-uns qui étaient plutôt parmi les meilleurs, si j’en crois certains noms qu’on m’a rapportés. Alors comme ils se sont déran­gés aussi, ceux-là, les meilleurs, je vais essayer d’y aller.

Alors partons de ceci, partons de ceci auquel je ne tiens pas particu­lièrement : à savoir que les mots aient un sens, et que ce soit un fait, quoique le problème soit, à partir de ce fait, de savoir où les loger. C’est bien ce que j’ai fait, loger ces mots bien sûr, il faut quand même vous mâcher les choses, c’est bien l’effort que j’ai fait, que j’ai fait la dernière fois, à partir de l’amour. C’est un fait que je partais de ça : que le mot existe. Et c’est en quoi la chose, la chose est à concevoir comme possible. Ce qui se traduit dans mon dire de ce qu’elle se fonde, la chose, la chose amour, qu’elle ne se fonde – puisqu’il s’agit seulement de sa possibilité – elle se fonde comme je l’ai dit de cesser de s’écrire. C’est-à-dire, de ce qu’il en reste de ça, qu’elle cesse de s’écrire. Ce qu’il en reste, je l’ai arti­culé depuis ce temps, depuis ce temps presque infini pour moi, que je me répète, à savoir la lettre d'(a)mur. La lettre d'(a)mur en tant que, enfin, ça ne fait rien d’autre qu’un tas. Un petit tas, un petit (a) d’habitudes, pas beaucoup plus. C’est au moins comme ça que j’ai lu, traduit en italien, mon fameux objet avec lequel ce petit (a) des lettres d'(a)mur n’a bien entendu que le plus mince rapport.

Tout ça n’empêche pas que je dis des choses qui prennent leur air de sérieux de ce que je traduis du sériel. C’est un fait, aussi, que je change l’ordre de la série qui se répète, soit ce qu’on appelle l’ordinaire. Tout est-il là, de mon dire, de changer l’ordre ordinaire? C’est à quoi je vou­drais aujourd’hui apporter argument. Argument propre à donner sens à des fonctions plus purement cardinales. C’est ce que j’essaie de faire avec mon nœud borroméen. Vous le savez, cette distinction du cardinal et de l’ordinal, elle… – le pas a été franchi seulement grâce à la théorie des ensembles, c’est-à-dire grâce à Cantor. En quoi ça peut-il nous servir pour ce qu’il en est de l’exploration d’un discours nouveau, vous le savez, c’est ainsi que je désigne le discours analytique ? lequel discours s’est annoncé d’un décantage du sens.

Qu’est-ce que ça veut dire décantage, dans l’occasion ? C’est propre­ment – et c’est en cela que la métaphore du décantage ici se soutient – c’est proprement de la condensation de ce qui, du sens, se concentre par ce discours de ceci: que le sens – le sens des mots – ne fait qu’appareil pour ce que nous appellerons si vous le voulez bien rien de plus : le coït sexuel. C’est ça le nouveau du discours analytique. Et c’est ce qu’il faut bien dire, si c’est bien ce qui, de ce discours, est nécessaire, il n’est néces­saire qu’en ceci – et c’est bien pourquoi j’infléchis ainsi le sens du néces­saire – c’est que sa caractéristique, dans ce discours, c’est que ce dis­cours ne cesse pas de l’écrire.

Est-ce que c’est vrai pour autant ? C’est vrai de cette sorte de vérité qu’instaure ce discours, à savoir d’une vérité du moyen, si tant est que certains se souviennent de la façon dont la dernière fois, et justement, concernant l’amour, j’ai distingué par ce qu’il en est du nœud borro­méen, la fonction du moyen comme tel. Le moyen justement, c’est ce qui ne fait nœud qu’à ce qu’il y ait un ordre. À savoir que, pour prendre ces « un » que constituent, disons sans plus, les ronds de ficelle, il n’y en a qu’un des trois qui, tranché, libère les deux autres, c’est ce que vous voyez dans une chaîne à trois, à trois chaînons ordinaires, il n’y en a qu’un des trois qui libère les deux autres. La distinction qu’il y a entre cette chaîne, cette chaîne dont, semble-t-il, il est sensible que ce soit là l’ordre du Symbolique : un sujet, un verbe, et ce que vous voudrez, un complément; un deux, trois, peut, ayant cet ordre, cet ordre qu’il y a quelque chose qui fait moyen, et c’est cela même qu’on appelle, avec l’ambiguïté de ce mot, le verbe – on peut commencer par le complé­ment et finir par le sujet – mais c’est le verbe qui fait moyen.

En quoi il s’entrevoit, à la limite, que le langage, lui, n’est pas fait de mots; car c’est le lien par quoi du premier au dernier, le moyen établit cette unité qui seule est à rompre pour que le sens disparaisse; c’est bien ce qui montre que le langage n’est pas fait de mots, et en quoi ce qu’on appelle – car c’est cela et rien de plus qu’on appelle une proposition – une proposition c’est l’effacement au moins relatif – je dis ça : « au moins relatif », pour vous faciliter l’accès aux choses – c’est l’effacement du sens des mots. Ce qui n’est pas vrai de la langue, lalangue comme ritournelle, vous savez que je l’écris en un mot, lalangue si elle, en est faite, du sens, à savoir comment, par l’ambiguïté de chaque mot, elle prête, elle prête à cette fonction que le sens y ruisselle. Il ne ruisselle pas dans vos dires. Certes pas. Ni dans les miens non plus. C’est bien en quoi, c’est bien en quoi le sens ne s’atteint pas si facilement. Et ce ruis­sellement dont je parle, comment l’imaginer ? c’est le cas de le dire. Comment l’imaginer si c’est un ruissellement qu’arrêtent enfin des cou­pelles ? Car la langue, c’est ça. Et c’est même là le sens à donner à ce qui cesse de s’écrire. Ce serait le sens même des mots, qui dans ce cas se sus­pend. C’est en quoi le mode du possible en émerge. Qu’en fin de comp­te, quelque chose qui s’est dit cesse de s’écrire, c’est bien ce qui montre qu’à la limite tout est possible par les mots, justement de cette condition qu’ils n’aient plus de sens.

Et cela même que je vise cette année, c’est à ce que vous ne confondiez pas les mots avec les lettres, puisque ce n’est que des lettres que se fonde le nécessaire, comme l’impossible, dans une articulation qui est celle de la logique. Si ma façon de situer les modes est correcte, à savoir que ce qui ne cesse pas de s’écrire, le nécessaire – ce qui ne cesse pas de s’écrire, le nécessaire – c’est cela même qui nécessite la rencontre de l’impossible, à savoir ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, qui ne peut s’aborder que par les lettres. C’est bien là ce que, ce que ne permet d’aborder par quelque dire que la structure que j’ai désignée de celle du nœud borroméen; c’est en quoi, la dernière fois, l’amour était un bon test de la précarité de ces modes. Il est porté à l’existence, cet amour, ce qui est bien le fait de son sens même, par l’impossible du lien sexuel avec l’objet, l’objet quelle qu’en soit l’origine, l’objet de cette impossibilité. Il y faut si je puis dire, cette racine d’impossible. Et c’est là ce que j’ai dit en articulant ce principe : que l’amour c’est l’amour courtois.

Il est évident que l'(a)musant, si je puis m’exprimer ainsi, c’est là­-dedans l’amour du prochain en tant qu’il se soutient de vider l’amour de son sens sexuel. C’est en cessant d’écrire le sens sexuel de la chose, qu’on la rend, comme c’est sensible, qu’on la rend possible. C’est-à-dire pour autant, il faut bien le dire, qu’on cesse de l’écrire. Une fois arrivée, la chose, l’amour, il est évident que c’est à partir de là qu’elle s’imagine nécessaire. C’est bien le sens de la lettre d’amour, qui ne cesse pas de s’écrire mais seulement pour autant qu’elle garde son sens, c’est-à-dire pas longtemps.

C’est bien en quoi intervient la fonction du Réel. Ainsi l’amour s’avè­re dans son origine être contingent, et du même coup s’y prouve la contingence de la vérité au regard du Réel. Car ces modes sont véri­tables, et même définissables en fait, par notre épinglage de l’écriture. Ils écartèlent, si je puis dire, la vérification de l’amour, et d’une façon qui par une des ses faces, c’est certain, fonde ce qu’on appelle sagesse. À ceci près que la sagesse ne peut être d’aucune façon ce qui résulte de ces considérations sur l’amour. La sagesse n’existe que d’ailleurs. Car dans l’amour, elle ne sert à rien.

Pour mon nœud, dit borroméen, et le fait que je m’efforce d’égaler mon dire à ce qu’il comporte, si ce qu’il noue comme je l’énonce, c’est proprement l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel, ceci ne tient qu’à ce qu’il commande que j’énonce de ce seul fait que je les noue du nœud borroméen, que chacun des trois ne se produise que d’une consistance qui est la même pour les trois. À savoir que sous l’angle où je les prends cette année dans mon dire, il n’y a que l’écriture qui les distingue. Ce qui est ici tautologie, s’ils ne sont pas écrits tous les trois, je viens dire qu’ils sont les mêmes, il n’y a que l’écriture qui les fait trois. Ce qu’il faut bien articuler, c’est que c’est dans l’écriture du nœud même – car réfléchis­sez bien, ce nœud, ce ne sont que des traits écrits au tableau – c’est dans cette écriture même que réside l’événement de mon dire. Mon dire pour autant que cette année je pourrais l’épingler de faire ce que nous appel­lerions votre éducation, si tant est que c’est à mettre l’accent sur le fait que les non-dupes errent, ce qui n’empêche pas que ça ne veut pas dire que n’importe quelle duperie n’erre pas, mais que c’est à céder à cette duperie d’une écriture pour autant qu’elle est correcte, que peuvent se situer avec justesse les divers thèmes de ce qui surgit, surgit comme sens, justement, du discours analytique.

Il faudrait que là-dessus j’y aille tout de suite, si quelque chose ne me disait pas que vous êtes de ce dire si… sonnés, dirais-je, sonnés, déjà, qu’il faut bien que je fasse d’abord un filtre, ce qui est un mode d’écri­ture précisé par la mathématique au principe même de la topologie, un filtre dont ces mots retrouvent leur sens, je veux dire ce comme quoi ils fonctionnent dans l’ordre sexuel, lequel ordre, c’est patent, n’est que le principe d’un ordinaire. En d’autres termes justifier, non eux, les termes de cet ordre, mais cet ordre d’eux, à ceci près que vous allez le voir – car c’est là ce qu’aujourd’hui j’ai à dire ne sachant pas qui me suivra -, le nœud a une fonction tout autre, tout autre que de fonder cet ordre, l’ordre quelconque dans lequel vous pourriez enchaîner le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel. Ce qu’il nous faut trouver, ce n’est pas la diversi­té de leur consistance, c’est cette consistance même, à savoir ce qu’on ne peut pas dire, cette consistance même en tant qu’elle ne les diversifie pas, mais seulement qu’elle les noue. Pour vous affranchir, donc, puisque je présume non sans raison vous avoir sonné, il faut que je vous le rai- (r, a, i, e, tiret) raie-sonne. C’est-à-dire que j’en remette.

L’Imaginaire se distingue en sens de ce qu’il s’imagine, comme qui dirait – si tant est qu’ils disent peut-être parmi vous – il faut quand même que vous y regardiez de plus près, pour dire alors que cela ne va pas de soi, et pour cette raison que peut-être vous manqueriez : que ce n’est pas le privilège de l’Imaginaire. Car le Symbolique, qu’est-ce que je fais d’autre que de tenter de vous le faire imaginer? Laissez-moi croire que j’y parviens. Quant au Réel, ben, ça va, c’est de ça qu’il s’agit cette année, il s’agit de voir ce qu’il y a de Réel, justement, dans le nœud bor­roméen. Et c’est pourquoi j’ai commencé, commencé dans ma deuxième articulation devant vous, dans mon deuxième séminaire qu’on appelle ça, j’ai commencé par dire qu’il n’y a pas d’initiation. Il n’y a pas d’ini­tiation, je veux dire qu’il n’y a que le voile du sens, qu’il n’y a de sens que ce qui s’opercule, si je puis dire, d’un nuage: nuptiae ne s’articule en fin de compte que de nubes. C’est ce qui voile la lumière qui est tout ce en quoi les nuptiae, les rites du mariage, soutiennent leur métaphore.

Il n’y a rien d’autre derrière que ce en quoi il faut s’en tenir, au sup­port du semblant, certes, en tant que ce semblant est semblable à l’arti­culation de ce qui ne peut se dire que sous la forme d’une vérité énon­cée.

C’est-à-dire que comme dévoilement nécessaire, c’est-à-dire inces­sant. L’articulation, c’est le nœud, en tant que la lumière ne l’éclaire pas, qu’il n’y a nul éclaircissement, bien plus : qu’il rejette toute lumière dans l’Imaginaire. Et ce que j’énonce, ce qui est ma visée cette année, c’est jus­tement de vous dire que l’Imaginaire, parce qu’il est lui-même de l’ordre du voile, n’en noircit pas pour autant. La consistance est d’un autre ordre que l’évidence. Elle se construit de quelque chose dont je pense qu’à le supporter des ronds de ficelle, il passera quelque chose de ceci que je vous dis : que c’est bien plutôt l’évidement.

Le cercle, lui, fait intuition, il rayonne. Il ne s’agit pas de l’obscurcir. C’est lui qui fait l’Un. Il s’agit, du nœud, d’en recevoir l’effet. De rece­voir l’effet comme de son Réel, à savoir qu’il n’est pas Un. Le nœud bor­roméen, son Réel, c’est de ne tenir qu’à, je n’ose pas dire « être », il n’est pas trois : il fait tresse. Il fait tresse, et c’est là qu’il faut voir en quoi ce que j’ai avancé tout à l’heure, à savoir que l’ordre n’y est pas essentiel, est là le point important.

Il faut que vous sentiez bien ceci : c’est que de les ranger à trois, en tant que nombre cardinal – je vous demande pardon de l’aridité de ce que j’ai à vous dire aujourd’hui – ceci, qui est propre au trois, ceci n’im­plique nulle ordination. Quoi qu’il vous en semble, à savoir qu’1, 2, 3, ça commence à 1- quoi qu’il vous en semble, il n’est pas possible de bien ordonner 1, 2, 3 à cette seule condition que ça se répète, et c’est ce qui se produit dans le nœud borroméen. Mais ça n’est pas seulement à cause du nœud borroméen, c’est à cause du nombre cardinal 1, 2, 3, qu’ils soient noués ou pas.

Qu’est-ce que ça veut dire, ce que je viens de dire ?

C’est que à trois, cardinal, on ne peut faire – à cette seule condition qu’il n’y en ait pas deux mêmes à la suite – on ne peut faire à les écrire que de trouver tous les ordres tels qu’ils seraient cogitables par une com­binatoire.

Écrivez au tableau 1, 2, 3 – 1, 2, 3, rien ne vous empêche de les lire, à cette seule condition de la prendre dans l’ordre palindromique, c’est-à­-dire à l’envers, de gauche à droite, au lieu de droite à gauche, au lieu de gauche à droite : 1, 3, 2. Ceci veut dire, à partir du nœud, du nœud bor­roméen, ceci, que je vais tâcher de vous mettre au tableau – donnez-moi une craie – voilà comment je le simplifie le nœud borroméen. Il vous suffira, pour voir que c’est bien de ça qu’il s’agit, de le compléter ainsi, à savoir ce qui se résume à ces trois traits centraux pour autant que ce sont eux qui marquent comment le nœud se tient.

Ce nœud, je le retourne. Qu’est-ce que ça va donner? Le propre d’un nœud, quand il est mis à plat, dimension essentielle, car le nœud borro­méen, je pense vous l’avoir fait remarquer quand je vous ai montré une petite construction en cube que je vous avais apportée je ne sais plus quel­le fois, la fois dernière ou je crois plutôt l’avant-dernière – c’est fait comme ça : et pour m’éviter le casse-tête de faire les petites interruptions qu’il convient notez qu’il se complète de ceci, c’est ça qui le constitue, il a dans, disons, les trois plans dans lesquels se situait ma petite construction,

il a dans les trois plans, la symétrie complète, voyez bien qu’ici celui-là est à mettre, à bien faire sentir comme étant au-dessous de celui qui le coupe, c’est d’une mise à plat que procède l’autre écriture que j’ai donnée du nœud borroméen. Qu’en dire à partir du moment où, de l’avoir mis à plat, je le retourne? Il faut au simple fait lié au fait que l’écriture implique que l’over-crossing, le croisement supérieur soit écrit ainsi, à savoir qu’il coupe ce qui est le under-crossing le croisement par en dessous, qu’est-ce que ça va donner si nous le retournons ? Ce qui était pas en dessous vient en des­sus. Eh bien, je pense qu’il ne sera pas nécessaire que je complète, que je complète ces trois traits pour que vous voyiez bien que, à retourner le nœud, le nœud borroméen, ce que vous allez trouver au bout du compte, c’est quelque chose qui se distingue de ceci que ça n’est pas son image en miroir, que vous allez trouver, bien sûr, comme ce serait, par exemple, pour l’orientation de chacun de ces cercles, si vous les orientez, je ne m’y avance pas encore, si vous orientiez… un cercle quelconque, si vous le retournez, ce que vous avez, c’est son image en miroir. Bien loin de là, quand vous retournez le nœud borroméen, vous avez une… un tout autre aspect qui en aucun cas ne représente l’image en miroir du premier aspect. Loin que le sens, l’orientation telle qu’elle se définit, par exemple tout simplement, de la montre, c’est le cas de le dire, le sens des aiguilles d’une montre, si vous retournez la montre, devient le sens inverse, c’est-à-dire l’image en miroir. Au contraire, le nœud borroméen reste ce qu’il est à l’avoir retourné, c’est à savoir que la seconde image, l’image retournée, est exactement dans le même sens que la première, c’est-à-dire lévogyre. Vous comptez bien qu’il peut y avoir un autre sens, à savoir celui-ci, qui serait dextro, c’est-à-dire le sens des aiguilles d’une montre.

 

Étant donné ce que je vous ai fait remarquer tout à l’heure, à savoir que l’ordre dans le trois – et du fait que justement d’1, 2, 3, il suffit de renverser le sens, d’aller dans le sens palindromique pour y trouver n’importe quel ordre, vous trouvez là une distinction de l’effet d’ordre avec ce que vous me permettrez d’appeler l’effet du nœud, ou autrement l’effet de nodalité. C’est en ceci qu’il convient, qu’il convient que vous vous souveniez de ce que j’ai énoncé d’abord, à savoir que du nœud c’est la ternarité pure et simple, à savoir que la portée de cette ternarité ne se soutient que de ceci: nous ne les avons faits, d’abord… nous ne les avons pris, que sous l’angle de ce qui ne les distingue entre eux par aucune qua­lité qu’il n’y a aucune diversification de l’Imaginaire par rapport au Symbolique et au Réel, que leur substance n’est pas diverse, que nous n’en faisons pas des qualités, que simplement nous les considérons sous l’espèce de cette consistance qui les fait chacun un.

Puisque j’ai employé le mot de qualité qui est un nom féminin, est-ce que je dirai que leur qualité est une, ce serait une bonne occasion d’em­mancher là autour de l’Un ce qu’il en est de un si nous le prenons comme qualificatif. Est-ce que lalangue, lalangue en tant qu’elle a un sens, est-ce que lalangue permet d’égaler un à une? Est-ce que une n’est pas un mode différent de un ? Ce serait un biais, il faut le dire assez comique, de faire rentrer au niveau de l’un la dualité. Yad’lun, ai-je dit, mais aussi quand je l’ai dit que c’est là ce dont se fonde quoi ? uniquement – c’était le sens de ce que j’ai avancé à la fin de mon séminaire de l’année derniè­re – uniquement l’énumérable, à savoir l’ aleph o ,et rien de plus, c’est-à-dire ce qui se dit être un Un, mais en tant qu’à dire « c’est un Un », c’est le couper de toute ordination. C’est le prendre – et c’est ce que seul per­met Cantor – sous son aspect purement cardinal.

Certes, me direz-vous, il ne peut le faire – si tant est que vous me disiez quelque chose – il ne peut le faire qu’à aliéner son unité dans l’en­semble, moyennant quoi les éléments ne gardent plus rien de cette unité, qu’à être ouverts à ce qu’on en fasse le compte, c’est-à-dire la computa­tion subjective; ce qui n’empêche pas que l’objectivité de l’un, je dirai, ne fait question qu’à ceci que c’est qu’elle n’est sûrement pas sans répon­se. Et cette réponse, c’est justement en quoi j’énonce qu’elle est dans le trois.

Qu’est-ce que le trois fait d’un, s’il n’y a pas le deux? Est-ce que sim­plement à ce qu’il y en ait trois, l’ א0 est déjà là? Il est certain que si j’énonce que de deux il n’y a pas, parce que ce serait inscrire du même coup dans le Réel la possibilité du rapport tel qu’il se fonde du rapport sexuel, est-ce que ce n’est que par le trois, et comme je l’ai écrit l’autre fois au tableau par la différence de un à trois que procède ce deux, est-ce que – tout ceci nous porte à poser la question – il a fallu, pour que nous fassions ce pas, qu’ aleph o ait cessé de ne pas s’écrire? Autrement dit que c’est la contingence, l’événement du dire de Cantor qui nous permet seulement d’avoir un aperçu sur ce qu’il en est, non pas du nombre, mais de ce que constitue dans sa ternarité le rapport du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Faut-il que de sa contingence donc, à ce dire de Cantor, nous passions au nécessaire de ce qu’il ne cesse plus, cet Mo, de s’écrire, qu’il ne cesse plus de s’écrire désormais pour que subsiste quoi ? rien d’autre qu’une notion de vérité.

La vérité, en effet, jusqu’à présent dans la logique, n’a pu consister jamais qu’à contredire. Elle est dans le dualisme du vrai et du faux. Le vrai n’étant que supposé au savoir, en tant que le savoir s’imagine – c’est là son sens – comme connexion de deux éléments. Et c’est justement en quoi il est imaginaire si l’Un, si un Un, un Un tiers, ne vient pas le connecter au prix d’y faire rajout. Rajout pas du même cercle catégo­rique, pas du même ordre, disais-je tout à l’heure, mais provenant de la nodalité.

Eh bien, puisque, aujourd’hui, il a fallu que je me force pour vous mener jusque-là, vous me permettrez de m’y tenir, et après tout, s’il y en a que ça a découragés, je n’y vois pour moi aucun inconvénient, puisque la seule raison pour laquelle je vous ai parlé aujourd’hui, c’est que vous étiez moins nombreux.

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