samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 3 avril 1957

 Leçon du 3 avril 1957

Il s’agit au point où nous en sommes parvenus de notre tentative, de conser­ver le relief et l’articulation freudienne à la fameuse et prétendue relation d’objet, qui s’avère comme on dit à l’examen, non seulement n’être pas si simple, mais n’avoir jamais été si simple que cela. Sinon on ne verrait vraiment pas le pour­quoi de toute l’œuvre freudienne, en particulier ces deux dimensions encore semble-t-il, peut-être encore toujours plus énigmatiques, qui s’appellent le complexe de castration et la notion fondamentale de la mère phallique.

Ceci nous a amenés au cours de nos recherches, à concentrer notre examen sur le cas du petit Hans, et nous essayons de déchiffrer s’il y a quelque chose que nous voyons chaque fois, nous essayons maintenant d’aborder l’application de l’analyse au débrouillage des relations fondamentales du sujet, ce qu’on appelle son environnement, par des types relationnels d’un usage analytique.

 

Nous avons dû voir combien cet instrument nous laisse à désirer, nous avons pu le voir encore hier soir, quand nous essayons d’aborder comme étant une référence fondamentale cette relation de l’enfant à la mère, et nous nous disons qu’à nous maintenir dans des termes généraux de relation duelle comme fixée à la mère phallique, c’est à la mère, enveloppée par la mère, ou non enve­loppée par la mère, nous nous trouvons devant des caractéristiques qui sont peut-être comme……nous l’a dit hier soir, bien générales pour nous permettre de cerner les incidences qui ne pourraient qu’y être relevées, incidences, j’entends efficaces et en effet il est singulier que des catégories aussi souples que celles qui ont été introduites par Freud ne puissent pas dans l’usage actuel, être recou­pées d’une façon assez usuelle pour nous permettre à tout instant de différencier à l’intérieur d’une même famille de relations, un trait de caractère par exemple d’un symptôme. Il ne suffit pas d’établir leur analogie, il doit y avoir, puisqu’ils occupent des fonctions différentes, un rapport de structure différent.

 

C’est bien ce que nous essayons de faire : toucher du doigt à propos de ces exemples éminents que sont les observations freudiennes, et comme vous le savez, nous avons donné au cours des années un sens que nous nous efforçons de préciser à l’expérience, parce qu’il n’y a pas de meilleure définition à donner d’un concept, que de le mettre en usage, un sens que nous efforçons donc de préciser aux termes des trois relations dites du symbolique, de l’imaginaire et du réel, qui sont là par rapport à notre expérience trois modes essentiels qui sont profondément distincts et sans la distinction desquels nous prétendons qu’il est tout a ait impossible de s’orienter, ne fût-ce que dans la plus quotidienne expérience.

 

Nous en étions donc parvenus la dernière fois à cette notion que le petit Hans, que nous saisissons à un moment de sa biographie, est marqué par un certain type de relation avec sa mère, dont les termes fondamentaux sont définis par la présence manifeste de l’objet phallique entre lui et sa mère. Ceci n’était pas pour nous étonner après nos analyses antérieures, puisque nous avions déjà vu à travers d’autres observations et depuis le début de l’année, combien ce terme du phallus en tant qu’objet imaginaire du désir maternel constituait un point véritablement crucial de la relation mère-enfant, et combien dans une première étape on pouvait définir l’accession de l’enfant à sa propre situation en présence de la mère, comme ne pouvant exclure, comme nécessitant pour l’enfant une sorte de reconnaissance, voire d’assomption du rôle essentiel de cet objet imaginaire, de cet objet phallique qui entre comme un élément de composition tout à fait premier dans la relation mère-enfant, dans sa struc­turation primitive.

 

Nulle observation assurément ne peut mieux nous servir que l’observation du petit Hans, à cet endroit où tout part en effet chez le petit Hans de quelque chose qui est ce jeu entre lui et sa mère : voir, ne pas voir, guetter, épier où est le phallus. Soulignons que nous restons à cet endroit dans une entière ambi­guïté sur le sujet de ce qu’on peut appeler la croyance de Hans. Nous avons bien l’impression qu’au moment où l’observation commence, il y a longtemps que du point de vue réel il a comme on dit, sa petite idée : « Déjà j’ai pensé à tout cela », dit-il, quand on lui donne de ces réponses à la fois rapides et servant à noyer le sujet, qui sont les réponses auxquelles les parents se sentent contraints devant toute interrogation un peu abrupte de l’enfant.

 

Ici je vais encore une fois ponctuer la présence déjà à ce niveau, au niveau de la relation imaginaire que peut passer pour être par excellence la réaction du voir et du être vu, je veux ponctuer combien il importe de réserver, de maintenir à ce niveau l’articulation intersubjective qui est loin d’être duelle, comme vous allez le voir, et qui nous montre que déjà implicitement dans la relation dite scoptophilique — avec ses deux termes opposés, montrer et se mon­trer — comme la relation scoptophilique doit mériter un instant l’arrêt de notre attention, pour nous faire voir combien déjà elle est distincte de la relation imaginaire primitive, qui est cette sorte de mode de capture dans le champ de ce que nous pourrions appeler un affrontement visuel réciproque. Celui sur lequel, j’ai longuement insisté au temps où je me livrais pour vous le faire comprendre, dans son mode primitif de relations imaginaire visuelle, quand nous référions au règne animal, à ces singuliers duels visuels de couples animaux, où l’on voit l’animal pris dans certaines réactions typiques dites de la parade — qu’il s’agisse d’un lézard ou d’un poisson — après un affrontement où des deux adversaires ou partenaires, tout s’érige d’un certain ensemble de phanères, de signaux, d’appareils de capture visuelle chez l’un et chez l’autre. Littéralement quelque chose chez l’un cède, qui fait que sur le plan seul de cet affrontement visuel, il s’efface, peut-on dire pour employer un terme du langage qui conjoint en quelque sorte la dérobade motrice et le palissement des couleurs. C’est ce que ce combat effectivement produit, il se détourne de la vision de celui qui a pris la position dominante, et même l’expérience nous montre à cet endroit qu’il ne s’agit pas là toujours de quelque chose qui se fasse strictement au bénéfice du mâle contre la femelle, quelquefois c’est entre deux mâles qu’une manifestation de cette espèce se produit, et littéralement nous voyons sur le plan de la communication visuelle préparer et se prolonger directement dans l’acte d’étreinte, voire de l’oppression, l’emprise qui courbe un des sujets devant l’autre qui permet à l’un de prendre sur l’autre le dessus.

Si assurément il y a là le point de référence, je dirais biologique, éthologique qui nous permet de donner tout son accent à la relation imaginaire dans son articulation à l’ensemble du procès, non pas d’une parade, mais de la parade, je voudrais qu’il soit bien marqué combien on peut dès l’abord, voir que tout ce qui se rapporte à ce domaine — et vous voyez combien est intéressant ce qui va se passer dans ce qui est en cause que je vous ai appelé du devinement par l’enfant du monde imaginaire maternel — qu’assurément nous voyons là combien les choses sont différentes, et combien ce dont il s’agit n’est pas tant de voir, de subir l’emprise de ce qui est vu, que de chercher très exactement à voir, à épier comme on dit, ce qui à la fois y est et n’y est pas, car ce qui est, à proprement parler, visé dans la relation dont il s’agit, c’est quelque chose qui est là en tant qu’il reste voilé.

Autrement dit, ce dont il s’agit dans cette relation fondamentale, c’est de soutenir le leurre pour maintenir quelque chose qui littéralement y est et n’y est pas, et pour aboutir à cette situation fondamentale dont nous ne pouvons absolument pas méconnaître le caractère crucial dans le drame imaginaire, en tant qu’il tend à s’insérer dans quelque chose d’autre qui va le reprendre et lui donner encore un sens plus élaboré, ce drame qui aboutit au fait de la surprise. N’omettez pas le caractère ambigu de ce terme dans le langage français, surprise au sens où il se rapporte à l’acte de surprendre, où l’on dit « Je l’ai aperçu par surprise ». II y a la surprise de la force ennemie, ou encore la surprise de Diane, qui est bien la surprise qui culmine dans cette mythologie dont vous savez que ce n’est pas pour rien qu’ici je la réévoque, puisque aussi bien toute la relation actéonesque à laquelle je fais allusion à la fin d’un travail, est là fondée sur ce moment essentiel. Mais inversement il v a aussi cette autre face de ce mot : s’il y a une surprise, ce n’est pas de l’étonnement qu’il éprouve, mais par contre être surpris c’est bien quelque chose qui se produit par une découverte inattendue, et l’usage du terme surprise, vous avez pu, ceux qui assistaient à ma présentation de malades, chez un de nos patients transsexua­liste, en apercevoir le caractère vraiment déchirant quand il nous dépeignait la surprise douloureuse qu’il éprouva le jour où pour la première fois il vit, nous dit-il, sa sœur nue.

 

Ainsi c’est bien dans quelque chose qui porte à un degré supérieur, au degré non pas seulement du voir et de l’être vu, mais de donner à voir et d’être surpris par le dévoilement, que la dialectique imaginaire aboutit, qui est la seule qui puisse nous permettre de comprendre le sens fondamental de l’acte de voir. Nous avons vu combien il était essentiel dans la genèse même, par exemple de tout ce qui est la perversion, ou encore inversement comme il est trop évident par la technique de l’acte d’exhiber, et ce par quoi l’exhibitionniste montre ce qu’il a, précisément en tant que l’autre ne l’a pas, et cherche comme il nous l’affirme lui-même, comme il ressort de ses déclarations, par ce dévoilement à capturer l’autre dans quelque chose qui est loin d’être une prise simple dans la fascination visuelle, et qui littéralement lui donne le plaisir de lui révéler ce que lui est supposé ne pas avoir, pour en même temps le plonger précisément dans la honte de ce qui lui manque.

 

C’est sur ce fond que jouent toutes les relations de Hans avec sa mère, et c’est sur ce fond également que nous pouvons voir que la mère participe pleinement, ne serait-ce que quand nous voyons que cette mère qui le fait par­ticiper avec tellement de complaisance à tout ce qui est le fonctionnement de son corps, ne peut pas manquer littéralement de perdre sa propre maîtrise, et de manifester sévérité et rebuffades, voire condamnations à la participation exhibitionniste que lui demande le petit Hans.

 

Je vous l’ai dit, c’est sur ce départ que nous voyons l’objet imaginaire, mais pris dans cette dialectique du voilement et du dévoilement, jouer son rôle fondamental, c’est à ce détour que nous prenons le petit Hans, et que nous nous demandons pourquoi, après un intervalle qui est celui d’environ un an après qu’il se soit passé des choses dans la vie, nommément la naissance de la petite sœur, et la découverte qu’elle est aussi, elle, un terme essentiel de la relation du petit Hans à sa mère, pourquoi le petit Hans fait une phobie.

Déjà nous avons indiqué que cette phobie doit pour nous être repérée dans un procès qui ne conçoit que si nous voyons que ce dont il s’agit pour l’enfant, c’est de changer profondément tout son mode de relations au monde, d’admettre ce qui doit être en fin de compte admis à la fin, que les sujets parfois mettent toute une vie à assumer, c’est à savoir qu’il est effectivement dans ce champ privilégié du monde qui est celui de leurs semblables, des sujets qui sont privés réellement de ce fameux phallus imaginaire, et vous auriez tort de croire qu’il suffit d’en avoir notion scientifique, la notion même articulable, pour que ceci passe, soit admis dans l’ensemble des croyances du sujet. La profonde complexité des relations de l’homme à la femme, vient précisément de ce que nous pourrions appeler dans notre rude langage, la résistance des sujets mas­culins à admettre bel et bien effectivement que les sujets féminins sont véri­tablement dépourvus de quelque chose, à plus forte raison, qu’ils soient pourvus de quelque chose d’autre.

 

Voilà ce qu’il faut puissamment articuler sur le fait et l’appui de notre expérience analytique, et c’est littéralement à ce niveau que s’enracine une méconnaissance souvent maintenue avec une ténacité qui influence si on peut dire, toute la conception du monde du sujet, et tout spécialement sa conception des relations sociales, maintenue au-delà de toute limite chez des sujets qui ne manqueraient pas de se tenir eux-mêmes, et avec le sourire, pour ayant parfaitement accepté la réalité. C’est là quelque chose qui, à être effacé de notre expérience, à être méconnu, montre à quel point nous sommes incapables de bénéficier des plus élémentaires termes de l’enseignement freudien.

 

Assurément, qu’il faille chercher à se rendre compte pourquoi ce quelque chose est aussi difficile à admettre, c’est peut-être ce à quoi nous aboutirons au dernier terme de notre cheminement cette année.

Pour l’instant, partons de l’observation du petit Hans dont il s’agit, et nous y sommes aujourd’hui, et articulons comment se pose le problème d’une reconnaissance semblable chez le petit Hans. Pourquoi d’abord elle devient tout d’un coup nécessaire, alors que ce qui jusque là était le plus important, c’était de jouer justement à ce que ça ne le soit pas ? Et c’est aussi rétroactivement que nous éclairerons pourquoi c’était si important de jouer à ce que ça ne le soit pas, et voyons également comment il se fait que pour que cette privation réelle soit en quelque sorte assumée, elle ne peut pas ne pas s’opérer – pour donner des résultats subjectivement vivables pour le sujet, je veux dire permettant l’in­tégration du sujet dans la dialectique sexuelle telle qu’elle permet à l’être humain de la vivre, non pas simplement de la supporter – elle nécessite que quelque chose se produise qui s’appelle l’intégration de ce quelque chose en somme qui est déjà donné, du fait que la mère elle est déjà une adulte, et qu’elle est déjà prise dans le système des relations symboliques autour desquelles et à l’intérieur desquelles doivent se situer les relations sexuelles inter-humaines.

I1 faut que l’enfant lui-même en prenne le chemin, essaye ceci qui est la crise de l’œdipe. Que la castration y soit un moment essentiel, c’est ce que l’exemple du petit Hans illustre, mais peut être non pas complètement, non pas parfaitement. C’est peut-être en effet dans cette incomplétude que nous pourrons voir venir particulièrement en évidence, ce que je vous ai indiqué être le mouvement essentiel de l’observation du petit Hans, nous le voyons si l’on peut dire, dans un cas d’analyse privilégiée.

 

Nous allons essayer maintenant de dire pourquoi cette analyse est pri­vilégiée.

 

Nous voyons se produire à ciel ouvert cette transition de la dialectique imaginaire, dite si vous voulez du jeu intersubjectif autour du phallus avec la mère. Nous la voyons passer au jeu de la castration dans la relation avec le père, par une série de transitions qui sont précisément ce que j’appelle la consti­tution des mythes forgés par le petit Hans. Pourquoi le voyons nous d’une façon aussi pure ?

 

Je commence à l’articuler, c’est à dire que je vous reprends au point où nous en sommes restés la dernière fois. Je vous ai donc laissés la dernière fois sur ce phénomène saisissant de la relation du fantasme du petit Hans à propos des deux girafes, où nous voyons là vraiment comme une illustration donnée au séminaire, il faut bien le dire, le passage de l’image au symbole, portant le fait que littéralement le petit Hans nous montre, tel le prestidigitateur, l’image doublée de la mère, ce que j’ai appelé la métonymie de la mère, être un morceau de papier, être une girafe chiffonnée sur laquelle il s’assoit.

 

Il y a là quelque chose qui est comme l’ébauche, le schéma général, l’in­dication que nous sommes dans la bonne voie. Car on ne peut mieux faire, si j’avais voulu inventer une métaphore, quelque chose qui voudrait dire le passage de l’imaginaire au symbolique, je n’aurais jamais pu inventer l’histoire des deux girafes, telle que l’a fantasmée le petit Hans, et telle qu’il l’articule avec tous les éléments, et qu’il montre qu’il s’agit de la transformation d’une image en une boule de papier, en quelque chose qui est entièrement à ce moment là symbole, dessin, élément mobilisable comme tel, et dont on s’empare et on s’exclame : « Ah ! le bon billet qu’a le petit Hans », à partir du moment où il s’est assis sur sa mère enfin réduite à ce symbole, à ce chiffon de papier.

 

Bien sûr cela ne suffit pas, sans cela il serait guéri. Il montre par cet acte de quoi il retourne, parce qu’assurément les actes spontanés d’un enfant sont quelque chose de beaucoup plus direct et de beaucoup plus vif que les concep­tions mentales d’un être adulte après les longues années de crétinisation amplificatoire que constitue le commun de ce qu’on appelle l’éducation.

 

Voyons bien ce qui se passe, servons-nous de ce tableau comme si déjà il était confirmé. Qu’est-ce que veut dire que ce doit être un père imaginaire qui pose définitivement l’ordre du monde ? Cela veut dire que tout le monde n’a pas de phallus. C’est facile à reconnaître, c’est le père tout-puissant, c’est lui le fondement de l’ordre du monde dans la conception je dirais, commune de Dieu. C’est du père imaginaire qu’il s’agit, c’est la garantie de l’ordre uni­versel dans ses éléments réels les plus massifs et les plus brutaux, c’est lui qui a tout fait.

Quand je vous dis cela, je ne fais pas simplement que forger mon tableau, vous n’avez qu’à maintenant vous reporter à l’observation du petit Hans : quand le petit Hans parle du bon Dieu, il en parle d’une façon très jolie. Il en parle à deux occasions. Son père a commencé de lui donner certains éclaircissements, et il en résulte une amélioration, d’ailleurs passagère, et à ce moment là, le 30 mars, c’est après le fantasme des deux girafes que le lendemain se produit un allègement, parce qu’en effet il n’est pas entièrement satisfaisant d’avoir fait de la mère une boule de papier, mais c’est dans la bonne voie, et en tout cas il y a une chose qui frappe le petit Hans, c’est que le lendemain, le 30 mars, il sort et il s’aperçoit qu’il y a un peu moins de voitures et de chevaux qu’il n’y en a d’habitude. Il dit : « Comme c’est gentil et malin de la part du bon Dieu d’avoir mis moins de chevaux aujourd’hui ! ».

 

Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous n’en savons rien.

Est-ce que cela veut dire qu’on a moins besoin de chevaux aujourd’hui ?

C’est ce que cela peut vouloir dire, mais le mot allemand ne veut pas dire gentil, mais franchement futé. On a tendance à croire que c’est parce que le bon Dieu avait épargné les difficultés, mais si on croit que le cheval n’est pas seulement une difficulté, mais un élément essentiel, cela veut dire qu’on a moins besoin de chevaux aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, ceci pour vous dire que le bon Dieu est là comme un point de référence essentiel, et qu’il est tout à fait frappant de voir qu’après la rencontre avec Freud, c’est au bon Dieu que le petit Hans va faire allusion, et pour tout dire il a donc des entretiens avec le bon Dieu, pour avoir dit tout ce qu’il vient de dire.

 

Freud lui-même ne manque pas d’en éprouver un chatouillement à la fois amusé et heureux, il fait d’ailleurs lui-même la réserve qu’il y est sans doute pour quelque chose, car dit-il, de sa propre vantardise il n’a pas manqué de lui-même de prendre très singulièrement cette position archi supérieure, qui consiste à lui dire : « Bien avant que tu sois né, j’avais prévu qu’un jour un

petit garçon aimerait trop sa mère, et à cause de cela entrerait dans des difficultés avec son père ».

 

Assurément il est tout à fait frappant de voir Freud prendre cette position. Nous n’avons pas du tout songé à le lui reprocher, il y a longtemps que je vous ai fait remarquer quelle dimension originale, exceptionnelle dans toutes les analyses qui ont pu avoir lieu, pouvait avoir prise Freud, précisément en ceci que cette parole interprétative qu’il donne au sujet, ça n’est pas quelque chose qu’il transmet, c’est vraiment quelque chose que lui-même a trouvé, qui passe en quelque sorte directement par sa bouche à lui Freud, et dans la référence qui me paraît, et que je vous enseigne pour me paraître essentiel dans l’au­thenticité de la parole.

On ne peut pas évidemment ne pas s’apercevoir combien pouvait être dif­férente une interprétation de Freud lui-même, de toutes celles que nous pouvons en quelque sorte donner après lui. Mais ici Freud, comme bien souvent nous avons pu le voir, ne s’impose à lui-même aucune espèce de règle, il prend vrai­ment la position que je pourrais appeler la position divine, c’est du Sinaï qu’il parle au jeune Hans, et Hans ne manque pas d’accuser le coup.

 

Entendez bien que j’ai dit qu’à cette occasion la position prise par l’ar­ticulation symbolique, le père symbolique qui lui aussi reste voilé, est celle de se poser ici de la part de Freud comme le maître absolu, comme quelque chose qui est non pas le père symbolique, mais le père imaginaire dans l’occasion. Ceci est important parce que nous allons voir que c’est bien ainsi en fin de compte que Freud aborde la situation, et qu’il est très important de concevoir les particularités de la relation de Hans à son analyste.

Je veux dire : si nous voulons comprendre cette observation, nous devons bien voir qu’elle a quelque chose parmi toutes les analyses d’enfants, d’ab­solument exceptionnel. La situation si on peut dire, est développée d’une façon telle, l’élément du père symbolique y est assez distinct du père réel, et vous le voyez, du père imaginaire, pour que ce soit sans doute à cela – nous le confir­merons par la suite – que nous voyions par exemple dans cette observation à quel point sont absents les phénomènes que nous pouvons qualifier de transfert par exemple, et du même coup, les phénomènes de répétition, et que c’est pour cela que dans l’observation, nous avons en quelque sorte relevé à l’état pur le fonctionnement des fantasmes pour autant que son élaboration sature …… et c’est là aussi l’intérêt de cette observation, c’est qu’elle nous montre la Dur­charbeitung, en tant qu’elle n’est pas contrairement à ce qui est communément reçu, animée par simplement ce ressassement au bout duquel ce qui n’est assi­milé qu’intellectuellement, finirait par rentrer dans la peau à la façon d’un mors, ou d’une imprégnation.

 

Si la Durcharbeitung est une chose nécessaire, c’est sans doute qu’un certain nombre de circuits, et ceci dans plusieurs sens, est nécessaire pour qu’é­videmment quelque chose soit rempli efficacement dans la fonction de sym­bolisation de l’imaginaire. C’est pourquoi nous voyons le petit Hans suivre toute une voie labyrinthique qui peut – pour autant qu’on peut la reconstituer, car bien entendu elle est brisée à tout instant, bâchée par les interventions du père

qui ne sont certes pas les mieux dirigées, ni les plus respectueuses comme Freud nous le souligne à tout instant – néanmoins nous voyons se produire et se repro­duire une série de constructions mythiques dans lesquelles il s’agit de discerner quels sont les véritables éléments composants. Et pour le faire plutôt qu’à tout instant de nous satisfaire en recouvrant de quelque terme à tout faire, complexe de ceci, complexe de cela, relation anale, ou attachement à la mère, d’essayer de voir dans ces choses très articulées que sont les mythes anciens, quelles sont les fonctions, les éléments représentatifs, figuratifs qu’ils nous apportent. Et puisque nous avons l’habitude à ces termes et à ces fonctions, de donner mas­sivement des équivalents – ceci représente le père, ou ceci représente la mère, ou ceci représente le pénis – de nous apercevoir par exemple que ce travail, si nous essayions de le faire, nous montrera qu’à tout instant chacun des élé­ments, le cheval par exemple, n’est concevable que dans sa relation à un certain nombre d’autres éléments également signifiants, mais qu’il est tout à fait impossible de le faire, correspondre – je dis le cheval, mais aussi tous les autres éléments de mythes freudiens – a une signification univoque. Le cheval est d’abord la mère, à la fin le cheval est le père, entre les deux il a pu être aussi bien le petit Hans qui le joue de temps en temps, ou encore le pénis dont il est mani­festement le représentant en plusieurs points de l’histoire et des explications concernant la phobie.

Ceci qui est vrai de la façon la plus manifeste pour le cheval, ne l’est pas moins pour n’importe quel signifiant que vous puissiez prendre dans les différents modes de création mythique, et vous savez qu’elle est extrêmement abondante, à laquelle se livre le petit Hans. Il est tout à fait clair par exemple, que la baignoire est à un moment donné la mère, mais qu’elle est par exemple à la fin le derrière du petit Hans, ceci dans l’observation de la façon dont le comprennent littéralement, et Freud, et le père, et le petit Hans lui-même. Vous pouvez également faire la même opération à propos de chacun des éléments qui sont en cause. Vous le verrez pour la morsure par exemple, ou encore pour la nudité.

 

Pour vous apercevoir de ces choses, il est en tout cas absolument nécessaire, comme un point de méthode, que vous vous efforciez à chaque étape, à chaque moment de l’observation, de ne pas tout de suite comprendre. I1 faut vous mettre comme Freud vous le recommande expressément en deux points de l’observation, et comme je vous le répète, à ne pas tout de suite comprendre. La meilleure façon de ne pas comprendre dans cette occasion, c’est de faire des petites fiches, de noter jour par jour sur une feuille de papier, ce que Hans lui-même aborde comme éléments qu’il faut prendre comme tels, comme signifiants, par exemple celui sur lequel j’ai insisté dans un de mes précédents séminaires : « Pas avec Maridla, tout à fait seul avec Maridla ». Si vous n’y comprenez rien, vous retenez cet élément signifiant, et comme l’intelligence vous viendra en mangeant, vous apercevrez que ceci se recoupe strictement avec quelque chose d’autre que vous pouvez inscrire sur la même feuille. N’être pas seulement avec quelqu’un, mais être tout seul avec quelqu’un, qu’est-ce que ça suppose ? Cela suppose qu’il pourrait y en avoir un autre.

Vous procéderiez en d’autres termes, selon cette méthode d’analyse des mythes que nous a donnée M. Claude Lévi-Strauss dans un article du Journal of American Folklore (oct. – déc. 1955), et vous vous apercevrez qu’ainsi on peut arriver à ordonner tous les éléments de l’observation de Hans d’une façon telle que lu dans un certain sens, ce soit la suite de ces mythes, mais que l’on est forcé au bout d’un certain temps – par le seul élément de retour, non pas simple, mais de retour transformé des mêmes éléments – de les ordonner, non pas simplement sur une ligne, mais dans une superposition de lignes qui s’or­donnent comme dans une partition.

 

Et vous pouvez voir s’établir une série de successions lisibles, et horizon­talement et verticalement, le mythe se lisant dans un sens, et son sens ou sa compréhension se référant dans la superposition des éléments analogiques qui reviennent sous des formes diverses, à chaque fois transformés, sans doute pour accomplir un certain parcours très précisément qui va du point de départ, comme dirait M. de la Pallice, au point d’arrivée. Et qui fait que à la fin quelque chose qui était au début inadmissible, irréductible – c’est ce dans quoi je vous ai dit que nous partions dans l’histoire du petit Hans, à savoir l’irruption dans ce jeu enfant-mère, qui est notre point de départ, du pénis réel – comment à la fin le pénis réel trouve à se loger d’une façon suffisante, pour qu’on puisse dire pour le petit Hans, la vie peut être poursuivie sans angoisse suffisante. J’ai dit nécessaire. Suffisante veut dire qu’elle pourrait être peut-être encore plus pleine. C’est bien ce que nous verrons en effet, qu’en fin de compte le complexe d’œdipe chez le petit Hans n’arrive peut-être pas à une solution qui soit complètement satisfaisante, elle est simplement satisfaisante en tout cas pour autant qu’elle libère, qu’elle laisse non nécessaire l’intervention de cet élément, de cette conjonction de l’imaginaire avec l’angoisse qui s’appelle la phobie, en d’autres termes qu’elle aboutit à la réduction de la phobie.

 

En effet, n’oublions pas pour aller tout de suite à l’épilogue, quand Freud plus tard retrouve l’enfant Hans à un âge qui est environ de seize ou dix-sept ans, qu’il ne se souvient plus de rien. On lui donne à lire toute son histoire, et Freud lui-même très joliment, fait correspondre cet effacement à quelque chose de tout à fait comparable, nous dit-il, à ce qui se produit quand un sujet se réveille la nuit et tente de retenir un rêve, commence même à l’analyser – nous connaissons cela – et que le reste de la nuit passant là-dessus, au matin tout est oublié, rêve et analyse. Quelque chose est là en effet bien séduisant, qui nous permet de penser comme Freud lui-même, que ce dont il s’agit dans l’observation de en dessous, comme nous pouvons le toucher du doigt, est quelque chose qui n’est nullement comparable à cette intégration vous aurait intégration par le sujet de son histoire qui serait celle de la levée efficace une amnésie, avec maintien des éléments conquis. Il s’agit bien là d’une activité très spéciale, de cette activité de l’imaginaire et du symbolique, qui est exactement du même rendre que ce qui se passe dans les rêves. Aussi bien les rêves dans cette mythification dont il s’agit dans toute l’observation de Hans, jouent un rôle économique en tous points assimilable à ceux des fantasmes, voire des simples jeux et inventions de Hans.

 

Mais n’oublions pas ce que Freud nous dit au passage, que tout de même quelque chose retient Hans dans la lecture de son histoire, quelque chose dont il se dit : en effet il se peut bien que ça se rapporte à moi. C’est tout ce qui se rapporte à toutes les fantasmatisations qui s’y logent, concernant la petite sœur. Et en effet à ce moment là les parents de Hans sont divorcés, comme on aurait assez bien pu l’anticiper, voire le prévoir au moment où tout au cours de l’observation le laissait penser, et Hans n’en est pas plus malheureux que cela.

Il n’y a qu’une seule chose qui reste pour lui une blessure, c’est cette petite sœur qui désormais est séparée de lui, qui a été amenée par le cours de la vie à centrer, à représenter ce terme éloigné, au-delà si on peut dire, de ce qui est accessible à l’amour, et qui est l’objet d’amour idéalisé, cette girl-phallus effectivement dont nous sommes partis dans notre analyse, et qui restera sans aucun doute, nous n’avons pas lieu d’en douter, la marque qui donnera son style et son type pour toute la suite, encore que bien entendu on ne puisse faire là qu’une supposition, une extrapolation, à toute la vie amoureuse du petit Hans.

 

Donc assurément tout se montre bien n’avoir pas été par une magistrale analyse de Hans dont il a été l’objet, tout n’a pas été pleinement bouclé, ni n’a abouti à une relation d’objet qui soit par elle-même entièrement satisfaisante. Mais revenons au point de départ, revenons à Freud, à son disciple qui est le père de l’enfant, et aux instructions que Freud lui donne, car nous avons vu maintenant comment Freud ici assume son propre rôle. Comment va-t-il dire à celui qui est son agent, de se comporter ? Il lui fait deux recommandations.

 

Tout d’abord, quand on lui a déclaré quelle est l’attitude du petit Hans, et les phénomènes plus ou moins pénibles et angoissants dont il est l’objet, il dit au père d’expliquer à l’enfant que cette phobie c’est une bêtise, que la bêtise en question est liée à quelque chose qui est lié à son désir d’approcher sa mère. Que d’autre part Hans depuis quelque temps, s’occupe beaucoup du Wiwi­macher, qu’il doit bien savoir que ceci n’est pas tout à fait bien, et que c’est pour cela que le cheval est si méchant et veut le mordre.

Cela va loin, nous avons là une sorte de manœuvre directe et d’emblée sur la culpabilité, qui consiste à la fois à la lever en lui disant que ce sont choses là toutes naturelles et toutes simples, et qu’il y a simplement lieu d’or­donner et de dominer un peu. Mais en même temps il n’hésite pas à accentuer l’élément d’interdiction, au moins relative, qui existe sur le fait d’aborder les satisfactions masturbatoires. Nous allons voir d’ailleurs quel va être chez l’enfant le résultat.

 

Il y a une chose encore plus caractéristique dans le langage même qu’em­ploie Freud. La deuxième chose dit-il, puisque manifestement la satisfaction du petit Hans pour l’instant, c’est d’aller découvrir – c’est pour cela que tout à l’heure j’ai repris la dialectique du découvrir, du surprendre – l’objet caché qu’est le pénis ou le phallus de la mère. On va lui retirer ce désir en lui retirant l’objet de la satisfaction : vous allez lui dire que ce phallus n’existe pas. Ceci est textuellement articulé par Freud au début de l’observation.

 

Il faut dire que comme intervention du père imaginaire, je veux dire de celui qui ordonne le monde et dit qu’ici il n’y, a rien à chercher, on voit qu’ici il n’y a rien à chercher, on voit difficilement mieux, et on voit aussi combien le père réel est tout à fait incapable d’assumer une pareille fonction, car à la vérité quand il le fait, nous ne manquons pas de voir que c’est précisément à ce moment là que Hans réagit par une tout autre voie que ce qu’on lui suggère. Car tout de suite après l’articulation affirmée qui lui est faite de cette absence, de même qu’à un autre moment il a réagi par l’histoire des deux girafes, là il réagit encore d’une toute autre façon il fantasme l’histoire suivante qui est fort belle : il raconte qu’il a vu sa mère en chemise et toute nue, lui montrer son Wiwimacher, que lui-même en a fait autant et qu’il a pris à témoin la bonne qui est entrée à ce moment là en jeu la fameuse Grete, de ce que faisait sa maman.

Superbe réponse, et parfaitement en accord avec ce que j’essayais de vous articuler tout à l’heure, à savoir que ce dont il s’agit est très précisément de voir ce qui est voilé en tant que voilé. Sa mère est à la fois nue et en chemise, exactement comme dans l’histoire d’Alphonse Allais qui s’écriait, les bras au ciel : « Regardez cette femme, sous ses vêtements elle est nue ! ». Remarque dont peut-être vous n’avez jamais assez mesuré l’incidence et la portée dans les sous-­jacentes métaphysiques de votre comportement social, mais ce qui est fon­damental à la relation interhumaine comme telle.

 

Là-dessus, le père du petit Hans qui ne se distingue pas par un mode d’appréhension des choses excessivement futé, lui dit : « Mais il faut qu’elle soit l’une ou l’autre, il faut qu’elle soit, ou nue, ou en chemise ». Or c’est là tout le problème, c’est que pour Hans elle est à la fois nue et en chemise, exactement comme pour vous tous qui êtes ici. D’où l’impossibilité d’assumer l’ordre du monde, simplement par une intervention autoritaire : il n’y en a pas. Le père imaginaire, évidemment, existe depuis longtemps, depuis toujours, c’est une certaine forme du bon Dieu également. Mais ce n’est pas cela qui résout nos difficultés d’une façon non moins éprouvée et permanente.

 

A la vérité nous en sommes là à un point plus avancé. Mais d’abord le père a fait de cet élément essentiel une première approche, il a d’abord essayé, comme Freud le lui a dit, d’abaisser la culpabilité du petit Hans, il lui a donné le premier éclaircissement concernant la relation qu’il y a entre le cheval et quelque chose d’interdit qui est très précisément de mettre la main sur son sexe. I1 a fait sa première intervention, visant en somme à apaiser l’angoisse de la culpabilité, cette intervention dont nous autres analystes, tout de même après quelques vingt ou trente années d’expérience, nous savons précisément que c’est celle dans laquelle nous échouons toujours si nous voulons l’aborder de front, et qu’il n’est pas question d’aborder jamais la culpabilité en face, sauf précisément à la transformer en diverses formes métaboliques qui sont pré­cisément celles qui ne vont pas manquer de se produire.

Au moment même où donc on a dit à cet enfant que le cheval n’est là qu’un substitut plus ou moins effrayant de quelque chose sur lequel il n’a pas à se faire tellement un monde, nous voyons ici également dans l’observation, et de la façon la plus articulée, se produire quelque chose qui est que l’enfant qui jusque là avait peur du cheval, est obligé, dit-il de regarder : « Je dois regarder maintenant les chevaux ».

 

Profitons de ce que nous sommes à ce point de l’observation, pour un instant nous arrêter à ce mécanisme qui mérite d’être noté. Que veut dire en somme ce qu’on lui a dit ? Cela revient finalement à dire qu’il est permis de regarder les chevaux, et tout comme dans les systèmes totalitaires qui se définissent par le fait que tout ce qui est permis est obligatoire, c’est bien ce qui se produit à avoir dit au petit Hans qu’on peut aller vers les chevaux, puisque le problème est ailleurs. Il en résulte que le petit Hans se sent commandé, obligé de regarder le cheval.

 

Qu’est-ce que peut bien vouloir dire ce mécanisme que j’ai résumé sous cette forme, que ce qui est permis devient obligatoire ? A la vérité, dans ce qui est permis à cette occasion nous avons une transition, c’est-à-dire l’éli­mination de ce qui était auparavant défendu. Sans doute que cette transfor­mation, puisque transformation il y a, doit avoir pour cause le fait que ce qui est permis se revêt en même temps du terme de l’obligation. Cela doit être quelque chose comme un mécanisme qui a pour fait de maintenir justement sous une autre forme, les droits de ce qui était défendu, en d’autres termes ce qu’il faut maintenant regarder, c’est justement ce qu’auparavant il ne fallait pas regarder, autrement dit, que comme nous le savons déjà, quelque chose par le cheval était défendu.

Nous savons que la phobie est un avant-poste qui est en somme une pro­tection contre l’angoisse. I1 s’agit que le cheval marque un seuil si on peut dire, et qu’il soit cela avant toute chose à ce niveau, et nous le savons. C’est également ce qu’on vient de dire au sujet. C’est quelque chose qui a un rapport avec ce qui est en cause avec l’élément nouveau dont il s’agit, et qui jette le trouble dans l’ensemble du jeu du sujet, c’est à savoir le pénis         réel. Mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, est-ce a dire pour autant que le cheval est le pénis réel. Certainement pas. Comme vous le verrez par mille exemples par la suite, le cheval est très loin d’être le pénis réel, puisqu’il est aussi bien au cours des transformations du mythe de Hans, la mère, à la fin le père, le petit Hans à l’occasion. Faisons intervenir ici une notion symbolisante essentielle, celle que je vous ai développée tout au long des cours de l’année avant-dernière sur le jeu de mots…… et disons qu’il est en cette occasion, la place où doit venir se loger, et non sans provoquer de crainte ni d’angoisse, le pénis réel.

 

En fin de compte avec ce premier apport assurément encore peu encou­rageant du père, nous voyons quand même s’engager, réagir chez l’enfant la structure à proprement parler signifiante, celle qui résiste aux interventions impératives, celle qui néanmoins va réagir aux interventions même maladroites, confuses du père, et produire cette série de créations mythiques qui seront celles au cours desquelles nous allons voir peu à peu par une série de transformations,s’intégrer dans le système de Hans ce dont il s’agit, à savoir ce quelque chose qui nécessite non plus simplement cette intersubjectivité du leurre, pourtant fondamentale, à l’aide de laquelle Hans peut jouer à surprendre et à se faire surprendre, et à se présenter comme absent, mais en même temps de par le jeu toujours présent, un tiers objet qui est le premier élément de sa réalisation avec sa mère, qui doit en fin de compte s’y intégrer lui-même. Car depuis quelques temps est arrivé cet élément nouveau, cet élément incommode qu’est son propre pénis, son pénis réel, avec ses propres réactions qui risquent comme on dit, de faire sauter en l’air tout l’ensemble, et qui pour lui manifestement comme vous allez le voir dans la série de ses créations imaginaires, est l’élément de perturbation et de trouble.

 

Puisque nous sommes le 3 avril, nous allons aller d’emblée à ce qui se passe le 3 avril 1908 lorsque le père et l’enfant spéculent de derrière leurs fenêtres, sur ce qui se passe dans la cour d’en face. Dans la cour d’en face il y a déjà les éléments signifiants avec lesquels Hans va donner un premier support à son problème, va faire sa première construction mythique sous le signe, comme nous dit Freud, des moyens de transport, de ce qui se passe constamment sous ses yeux, à savoir les chevaux et les voitures qui bougent, qui déchargent des choses, qui ont des paquets sur lesquels montent des gamins. A quoi tout ceci va servir pour Hans ? Croyez-vous qu’il y ait une espèce de pré-adaptation de toute éternité prévue par le père imaginaire éternel, entre les moyens de véhi­culation qui sont en usage sous le règne de l’Empereur François Joseph dans la Vienne d’avant 1914, et les pulsions, les tendances naturelles surgissant cha­cune alentour, selon le bon ordre du développement instinctuel chez un enfant comme le petit Hans ?

 

C’est tout à fait le contraire, c’est à propos d’éléments qui ont aussi leur ordre de réalité, mais dont l’enfant va se servir comme des éléments nécessaires au jeu de permutation, et j’y reviens toujours, qu’une espèce d’usage du signifiant n’est ni concevable ni compréhensible, si vous ne partez pas à l’origine de ceci que le jeu élémentaire, fondamental du signifiant c’est la permutation. Ce n’est pas une raison parce que tout civilisés, et même instruits que vous soyez, vous êtes dans l’usage courant de la vie aussi maladroits qu’il est possible dans l’ex­haustion par exemple de toutes les permutations possibles, et que je vais vous prouver sur moi-même – j’ai une cravate qui a un côté un peu plus pâle et un autre un peu plus foncé, et pour savoir mettre le côté pâle en-dessous et le plus foncé devant, il faut que mentalement je fasse une permutation , et je me trompe à chaque fois – qu’il faut que vous ignoriez l’ordre permutatif, c’est ce qui est en jeu dans tout ce que va construire le petit Hans, et tout de suite vous allez en voir un exemple.

Avant d’essayer de comprendre quoi que ce soit à ce que veut dire le cheval, à ce que veulent dire la voiture le petit Hans qui est dessus, ou le déchargement, il faut que vous reteniez ceci : une voiture, un cheval, le petit Hans qui a envie de monter dessus, et qui a peur, mais qui a peur de quoi ? Que la voiture démarre avant qu’il passe sur le quai de déchargement.

Inutile de vous presser et de commencer à dire : nous connaissons cela, il a peur d’être séparé de sa mère, parce que le petit Hans vous rassure tout de suite, il dit : «  Si je suis emmené, je prendrai un fiacre et je reviendrai ». Le petit Hans est tout à fait ferme dans la réalité. C’est donc qu’il s’agit d’autre chose, c’est donc que le fait d’être sur une voiture en face de quelque chose dont la voiture peut se séparer, peut se déplacer, et alors quand vous saurez par rapport à quoi la voiture peut se déplacer, et quand vous aurez isolé cet élément, vous le retrouverez dans mille traits de l’observation du petit Hans, à propos de l’histoire du train dans lequel il est également embarqué – c’est un de ces fantasmes qui surgit beaucoup plus tard – quand ils passent à Gmünden et qu’ils n’ont pas le temps de mettre leurs vêtements avant d’avoir pu descendre du train à temps. Et ainsi de suite, il y en aura encore beaucoup d’autres puisque l’un des derniers fantasmes du petit Hans, ce sera celui de se faire jucher par un conducteur triomphalement et tout nu sur un truc où il n’y a pas de cheval, d’y passer la nuit, et le lendemain de pouvoir continuer son voyage sur le même truc, ayant donné simplement mille florins au conducteur. Vous ne pouvez pas ne pas voir l’évidente parenté qu’il v a entre ces différentes étapes, ces différents moments de la fantasmatisation du petit Hans.

 

Vous verrez aussi toute la fantasmatisation autour de la brave et excellente petite Anna, qui elle à un moment est avec le petit Hans dans une autre voiture qui ressemble beaucoup aux voitures précédentes, puisqu’elles ont les mêmes chevaux d’angoisse, et qui ira chevaucher un des chevaux, à l’intérieur de ce procès, de ce premier mythe qu’on peut appeler le mythe de la voiture. Vous essayerez de voir si je puis dire, comment ces différents signifiants qui composent l’attelage – car c’est bien de cela qu’il s’agit, on parle tout le temps du cheval, mais il peut être sans voiture, il peut être avec une voiture – comment ces différents éléments qui composent l’attelage et les conducteurs, et la référence de la voiture à un certain plan fixe, à mesure que l’histoire progresse, se trouvent avoir des significations différentes.

 

Vous essayerez de voir ce qui là-dedans est le plus important, si c’est le rôle du signifiant comme je vous l’ai expliqué dans mon séminaire sur la lettre volée, ou si c’est précisément par le déplacement de l’élément signifiant sur les différentes personnes qui sont en que sorte prises sous son ombre, ins­crites dans la possession du signifiant, si c’est en cela que consiste le progrès, dans ce mouvement tournant du signifiant autour des différents personnages auxquels le sujet est plus ou moins intéressé, qui peuvent y être pris, captivés, capturés dans le mécanisme permutatoire, si c’est en cela que consiste l’essentiel du progrès du petit Hans, ou si c’est dans le contraire, dans quelque chose dont on ne voit pas bien dans l’occasion, quelle sorte de progrès cela pourrait être. Car on ne peut dire qu’à un moment aucun des éléments de la réalité qui l’entoure n’est vraiment hors des moyens de Hans.

Il n’y a dans cette observation pas trace de ce qu’on peut appeler régression, et si vous pensez qu’il y a régression parce qu’à un moment le petit Hans fait toute l’immense fantasmagorie anale autour du Lumpf, vous vous trompez lour­dement, ceci est un formidable jeu mythique, cela ne comporte à ce moment là aucune espèce de régression, le petit Hans maintient ses droits si on peut s’exprimer ainsi, à la masturbation d’un bout à l’autre de l’observation, sans se laisser ébranler, et s’il y a quelque chose qui caractérise le style général de progrès du petit Hans, c’est précisément son côté irréductible. Et Freud lui­ même le souligne : c’est bien parce que l’élément génital est, chez un pareil sujet, tout à fait solide, présent, installé, résistant, très fort, qu’il ne fait pas une hystérie, mais une phobie. C’est ce qui est articulé très nettement dans l’observation.

 

C’est ce que nous essayerons de voir la prochaine fois, et nous verrons qu’il n’y a pas qu’un seul mythe, qu’un seul élément alphabétique employé par le petit Hans pour résoudre si on peut dire, ses problèmes, c’est-à-dire le passage d’une appréhension phallique de la relation à la mère, à une appré­hension castrée des rapports à l’ensemble du couple parental. I1 v en a d’autres, il y a la fameuse histoire de la baignoire et du vilebrequin, de ce que j’ai appelé encore la dernière fois la vis. C’est quelque chose qui tourne tout entier autour de ce que j’appellerais la fonction logique des instruments fabriqués. On ne peut pas ne pas être tout à fait saisi et frappé par la façon dont se sert comme instrument logique cet enfant, d’éléments qui sont groupés autour de ces modes de coaptation très élaborés dans l’adaptation humaine, et qui permettent d’op­poser à ce qui est enraciné comme on dit, ou même simplement adhérent natu­rellement et par opposition à un perforé, qui est le point d’appréhension au sens de crainte et de pôle redoutable devant lequel l’enfant effectivement s’arrête, l’introduction de cet élément qui est le vissé, ou encore le tenaillé, je veux dire ce qui est tenu par les tenailles, qui, vous le verrez dans ce que j’appellerais l’autre mythe, le mythe de la baignoire et du robinet, joue un rôle absolument essentiel.

 

C’est dans le détail de cette structuration mythique c’est-à-dire utilisant des éléments imaginaires pour l’épuisement d’un certain exercice de l’échange symbolique, que réside tout le progrès opéré par Hans, et ce qui lui permet de rendre utile cet élément de seuil, c’est-à-dire de première structuration sym­bolique de la réalité, qu’était sa phobie.

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