vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

Le savoir du psychanalyste Entretiens de Sainte Anne 1971 – 1972 Leçon du 4 novembre 1971

Leçon du 4 novembre 1971

En revenant parler à Ste Anne, ce que j’aurai espéré, c’est qu’il y eût là des internes, comme on appelle ça, qui s’appelaient de mon temps « les internes des asiles » ; ce sont maintenant « des hôpitaux psychiatriques », sans compter le reste. C’est ce public-là qu’en revenant à Ste Anne je visais. J’avais l’espoir que certains d’entre eux se dérangeraient. Est-ce que s’il y en a ici — je parle d’internes en exercice — ils me feraient le plaisir de lever la main ? C’est une écrasante minorité, mais enfin, ils me suffisent tout à fait. À partir de là — et pour autant que je pourrais soutenir ce souffle je vais essayer de vous dire quelques mots. Il est évident que ces mots, comme toujours, je les fais improvisés, ce qui ne veut pas dire que je n’aie pas là quelques petites notes, mais ils sont improvisés depuis ce matin, parce que je travaille beaucoup… Mais il ne faut pas vous croire obligés ‘s d’en faire autant. Un point sur lequel j’ai insisté, c’est sur la distance qu’il y a entre le travail et le savoir, car n’oublions pas que ce soir, c’est du savoir que je vous promets, donc pas tellement besoin de vous fatiguer. Vous allez voir pourquoi, certains le soupçonnent déjà, pour avoir assisté à ce qu’on appelle mon séminaire. Pour en venir au savoir, j’ai fait remarquer, dans un temps déjà lointain, ceci, que l’ignorance puisse être considérée, dans le bouddhisme, comme une passion, c’est un fait qui se justifie avec un peu de méditation ; mais comme c’est pas notre fort, la méditation, il n’y a pour le faire connaître qu’une expérience. C’est une expérience que j’ai eue, marquante, il y a longtemps, justement, au niveau de la salle de garde. Parce que ça fait une paye que je fréquente ces murailles — par spécialement celles-là à cette époque — et ça devrait être, c’est inscrit quelque part, du côté de 25 — 26, et les internes à cette époque — je ne parle pas de ce qu’ils sont maintenant — les internes aussi bien des hôpitaux que de ce qu’on appelait les asiles, c’était sans doute un effet de groupe, mais pour ce qui est d’en tenir à l’ignorance, ils étaient un peu là, semble-t-il ! On peut considérer que c’est lié à un moment de la médecine, ce moment devait forcément être suivi de la vacillation présente. A cette époque, après tout, cette ignorance, n’oubliez pas que je parle d’ignorance, je viens de dire que c’est une passion, c’est pas pour moi une moins-value, ce n’est pas non plus un déficit. C’est autre chose : l’ignorance est liée au savoir. C’est une façon de l’établir, d’en faire un savoir établi. Par exemple, quand on voulait être médecin dans une époque qui, bien sûr, était la fin d’une époque, eh bien, c’est normal qu’on ait voulu bénéficier, montrer, manifester une ignorance, si je puis dire, consolidée. Ceci dit, après ce que je viens de vous dire de l’ignorance, vous ne vous étonnerez pas que je fasse remarquer que l’« ignorance docte », comme s’exprimait un certain cardinal, au temps où ce titre n’était pas un certificat d’ignorance, un certain cardinal appelait « ignorance docte » le savoir le plus élevé. C’était Nicolas de Cuez, pour le rappeler en passant. De sorte que la corrélation de l’ignorance et du savoir est quelque chose dont il nous faut partir essentiellement et voir qu’après tout, si l’ignorance, comme ça, à partir d’un certain moment, dans une certaine zone, porte le savoir à son niveau le plus bas, ce n’est pas la faute à l’ignorance, c’est même le contraire. Depuis quelques temps, dans la médecine, l’ignorance n’est plus assez docte pour que la médecine survive d’autre chose que de superstitions. Sur le sens de ce mot, et précisément en ce qui concerne à l’occasion la médecine, je reviendrai peut-être tout à l’heure, si j’ai le temps. Mais enfin, pour pointer quelque chose qui est de cette expérience avec laquelle je tiens beaucoup à nouer le fil après ces quelques 45 ans de fréquentation de ces murailles — c’est pas pour m’en vanter, mais depuis que j’ai livré quelques-uns de mes Ecrits à la poubellication, tout le monde sait mon âge, c’est un des inconvénients ! — à ce moment, je dois dire que le degré d’ignorance passionnée qui régnait à la salle de garde de Ste Anne, je dois dire que c’est irrévocable. C’est vrai que c’étaient des gens qui avaient la vocation et, à ce moment-là, avoir la vocation des asiles, c’était quelque chose d’assez particulier. Dans cette même salle de garde arrivèrent en même temps quatre personnes dont je ne trouve pas à dédaigner de réévoquer les noms, puisque je suis l’un d’entre eux. L’autre que je me plairais à faire resurgir ce soir, c’était Henri Ey. On peut bien dire, n’est-ce pas, avec l’espace de temps parcouru, que cette ignorance, Ey en fut le civilisateur. Et je dois dire que je salue son travail. La civilisation, enfin, ça ne débarrasse d’aucun malaise, comme l’a fait remarquer Freud, bien au contraire, Unbehagen, le pas-bon aise, mais enfin, ça a un côté précieux. Si vous croyez qu’il devait y avoir le moindre degré d’ironie dans ce que je viens de dire, vous vous tromperiez lourdement, mais vous ne pouvez que vous tromper, parce que vous ne pouvez pas imaginer ce que c’était dans le milieu des asiles, avant que Ey y ait eu mis la main. C’était quelque chose d’absolument fabuleux.

Maintenant l’histoire a avancé et je viens de recevoir une circulaire marquant l’alarme qu’on a dans une certaine zone du dit milieu, en égard à ce mouvement prometteur de toutes sortes de flammèches qu’on appelle l’anti-psychiatrie. On voudrait bien que je prenne position là-dessus, comme si on pouvait prendre position sur quelque chose qui est déjà une opposition. Car, à vrai dire, je ne sais pas s’il conviendrait de faire là-dessus quelques remarques, quelques remarques inspirées de ma vieille expérience, celle que je viens d’évoquer précisément, et de distinguer, à cette occasion entre la Psychiatrie et la psychiatrerie. La question des malades mentaux ou de ce qu’on appelle, pour mieux dire les psychoses, c’est une question pas du tout résolue par l’anti-psychiatrie, quelles que puissent être là-dessus les illusions qu’entretiennent quelques entreprises locales. L’anti-psychiatrie est un mouvement dont le sens est la libération du psychiatre, si j’ose m’exprimer ainsi. Et il est bien certain que ça n’en prend pas le chemin. Ça n’en prend pas le chemin parce qu’il y a une caractéristique qu’il ne faudrait quand même pas oublier dans ce qu’on appelle les révolutions, c’est que ce mot est admirablement choisi de vouloir dire : retour au point de départ. Le cercle de tout ceci était déjà connu, mais est amplement démontré dans le livre qui s’appelle « Naissance de la Folie », de Michel Foucault : le psychiatre a en effet un service social. Il est la création d’un certain tournant historique. Celui que nous traversons n’est pas près d’alléger cette charge, ni de réduire sa place, c’est le moins qu’on puisse en dire. De sorte que ça laisse les questions de l’antipsychiatrie un peu à porte à faux. Enfin, ceci est une indication introductive, mais je voudrais faire remarquer que, pour ce qui est des salles de garde, il y a quelque chose tout de même de frappant qui fait à mes yeux leur continuité avec les plus récentes, c’est à quel point la psychanalyse n’a, au regard des biais qu’y prennent les savoirs, la psychanalyse n’a rien amélioré. Le psychanalyste, au sens où j’en ai posé la question, dans l’année 67-68, où j’avais introduit la notion « du psychanalyste », précédé de l’article défini, au temps où j’essayais devant un auditoire à ce moment-là assez large, de rappeler la valeur logique, celle de l’article défini, enfin passons, le psychanalyste ne semble pas avoir rien changé à une certaine assiette du savoir. Après tout, tout cela est régulier. C’est pas des choses qui arrivent d’un jour à l’autre, qu’on change l’assiette du savoir. L’avenir est à Dieu, comme on dit, c’est-à-dire à la bonne chance, à la bonne chance de ceux qui ont eut la bonne inspiration de me suivre. Quelque chose sortira d’eux si les petits cochons ne les mangent pas. C’est ce que j’appelle la bonne chance. Pour les autres il n’est pas question de bonne chance. Leur affaire sera réglée par l’automatisme, qui est tout à fait le contraire de la chance, bonne ou mauvaise. Ce que je voudrais ce soir, c’est ceci : c’est que ceux-là, ce que je voudrais, ce à quoi ils puissent se vouer, pour ce que la psychanalyse dont ils usent ne leur laisse aucune chance, je voudrais éviter pour ceux-là que s’établisse un malentendu au nom, comme ça, de quelque chose qui est l’effet de la bonne volonté de certains de ceux qui me suivent. Ils ont assez bien entendu — enfin comme ils peuvent — ce que j’ai dit du savoir comme fait de corrélat d’ignorance, et alors ça les a un peu tourmentés. II y en a parmi eux, je ne sais quelle mouche a piqué, une mouche littéraire, bien sûr, des trucs qui traînent dans les écrits de Georges Bataille, par exemple, parce qu’autrement, je pense que ça ne leur serait pas venu… il y a le non-savoir. Je dois dire que Georges Bataille a fait un jour une conférence sur le non savoir, et ça traîne peut-être dans deux ou trois coins de ses écrits. Enfin, Dieu sait qu’il n’en faisait pas des gorges chaudes et que tout spécialement le jour de sa conférence, là, à la salle de Géographie, à St Germain des Prés, que vous connaissez bien parce que c’est un lieu de culture ; il n’a pas sorti un mot, ce qui n’était pas une mauvaise façon de faire l’ostension du non-savoir. On a ricané et on a tort, parce que maintenant ça fait chic, le non savoir. Ça traîne, n’est-ce pas, un peu partout dans les mystiques, c’est même d’eux que ça vient, c’est même chez eux que ça a un sens. Et puis alors enfin, on sait que j’ai insisté sur la différence entre savoir et vérité. Alors, si la vérité, c’est pas le savoir, c’est que c’est le non-savoir Logique aristotélicienne : « tout ce qui n’est pas noir, c’est le non-noir », comme je l’ai fait remarquer quelque part. Je l’ai fait remarquer, c’est certain, j’ai articulé que cette frontière sensible entre la vérité et le savoir, c’est là précisément que se tient le discours analytique.

Alors voilà, la route est belle pour proférer, lever le drapeau du non savoir. C’est pas un mauvais drapeau. Ça peut servir justement de ralliement à ce qui n’est, quand même, pas excessivement rare à recruter comme clientèle : l’ignorance crasse, par exemple. Ça existe aussi, enfin, c’est de plus en plus rare. Seulement il y a d’autres choses, il y a des versants… : à la paresse par exemple, dont j’ai parlé depuis très longtemps. Et puis il y a certaines formes d’institutionnalisation, de camps de concentration du Bon Dieu, comme on disait autrefois, à l’intérieur de l’université, où ces choses-là sont bien accueillies, parce que ça fait chic. Bref, on se livre à toute une mimique, n’est ce pas, passez la première, Madame la Vérité, le trou est là, n’est-ce pas, c’est votre place. Enfin, c’est une trouvaille, ce non-savoir. Pour introduire une confusion définitive sur un sujet délicat, celui qui est très précisément le point en question dans la psychanalyse, ce que j’ai appelé cette frontière sensible entre vérité et savoir, on ne fait pas mieux. Il n’y a pas besoin de dater. Enfin, 10 ans avant, on avait fait une autre trouvaille qui n’était pas mauvaise non plus, à l’endroit de ce qu’il faut bien que j’appelle mon discours. Je l’avais commencé en disant que « l’inconscient était structuré comme un langage ». On avait trouvé un machin formidable : les deux types les mieux qui auraient pu travailler dans cette trace, filer ce fil, on leur avait donné un très joli travail : Vocabulaire de la Philosophie ». Qu’est-ce que je dis « Vocabulaire de la psychanalyse ». Vous voyez le lapsus, hein ? Enfin ça vaut le Lalande. « Lalangue », comme je l’écris maintenant — j’ai pas de tableau noir… ben, écrivez lalangue en un seul mot ; c’est comme ça que je l’écrirai désormais Voyez comme ils sont cultivés ! Alors on n’entend rien ! C’est l’acoustique ? Vous voulez bien faire la correction ? C’est pas un d c’est un gu. Je n’ai pas dit l’inconscient est structuré comme lalangue, mais est structuré comme un langage, et j’y reviendrai tout à l’heure. Mais quand on a lancé les responsifs dont je parlais tout à l’heure sur le « Vocabulaire de la Psychanalyse », c’est évidemment parce que j’avais mis à l’ordre du jour ce terme saussurien : « lalangue », que, je le répète, j’écrirai désormais en un seul mot. Et je justifierai pourquoi. Eh bien, lalangue n’a rien à faire avec le dictionnaire, quel qu’il soit. Le dictionnaire a affaire avec la diction, c’est-à-dire avec la poésie et avec la rhétorique par exemple. C’est pas rien, hein ? Ça va de l’invention à la persuasion, enfin, c’est très important. Seulement, c’est justement pas ce côté-là qui a affaire avec l’inconscient. Contrairement à ce que je pense, la masse des auditeurs pense, mais que tout de même une part importante sait déjà, sait déjà s’il a écouté les quelques termes dans lesquels j’ai essayé de faire passage à ce que je dis de l’inconscient : l’inconscient a à faire d’abord avec la grammaire, il a aussi un peu à faire, beaucoup à faire, tout à faire, avec la répétition, c’est-à-dire le versant tout contraire à ce quoi sert un dictionnaire. De sorte que c’était une assez bonne façon de faire comme ceux qui auraient pu m’aider à ce moment-là à faire ma trace, de les dériver. La grammaire et la répétition, c’est un tout autre versant que celui que j’épinglais tout à l’heure de l’invention, qui n’est pas rien sans doute, la persuasion non plus. Contrairement à ce qui est, je ne sais pourquoi, encore très répandu, le versant utile dans la fonction de lalangue, le versant utile pour nous psychanalystes, pour ceux qui ont affaire à l’inconscient, c’est la logique. Ceci est une petite parenthèse qui se raccorde à ce qu’il y a de risque de perte dans cette promotion absolument improvisée et éthique, à laquelle je n’ai vraiment prêté nulle occasion qu’on fasse erreur, celle qui se propulse du non-savoir. Est-ce qu’il y a besoin de démontrer qu’il y a dans la psychanalyse, fondamental et premier, le savoir. C’est ce qu’il va me falloir vous démontrer. Accrochons-le par un bout, ce caractère premier massif, la primauté de ce savoir dans la psychanalyse. Faut-il vous rappeler que, quand Freud essaie de rendre compte des difficultés qu’il y a dans le frayage de la psychanalyse, un article de 1917 dans IMAGO, si mon souvenir est bon, et en tout cas qui a été traduit, il est paru dans le premier numéro de l’International journal of Psychoanalysis, « Une difficulté sur la voie de la Psychanalyse », c’est comme cela que ça s’intitule, c’est que le savoir dont il s’agit, il ne passe pas aisément, comme ça. Freud l’explique comme il peut, et c’est même comme ça qu’il prête à malentendu — c’est pas de hasard — ce fameux terme de résistance, dont je crois être arrivé au moins dans une certaine zone, qu’on ne nous en rebatte plus les oreilles ; mais il est certain qu’il y en a une où, je n’en doute pas, il fleurit toujours, ce fameux terme de résistance qui est évidemment pour lui d’une appréhension permanente. Et alors, je dois dire, pourquoi ne pas oser le dire que nous avons tous nos glissements, c’est surtout les résistances qui favorisent les glissements. On en découvrira dans quelques temps dans ce que j’ai dit ; mais après tout, c’est pas si sûr. Enfin bref, il tombe dans un travers, Freud. Il pense que contre la résistance il n’y a qu’une chose à faire, c’est la révolution. Et alors, il se trouve masquer complètement ce dont il s’agit, à savoir la difficulté très spécifique qu’il y a à faire entrer en jeu une certaine fonction du savoir. Il confond avec le faire ce qui est épinglé de révolution dans le savoir. C’est là dans ce petit article — il le reprendra ensuite dans Malaise dans la civilisation -qu’il y a le premier grand morceau sur la révolution copernicienne. C’était un bateau du savoir universitaire de l’époque. Copernic — pauvre Copernic ! — avait fait la révolution. C’était lui — qu’on dit dans les manuels — qu’avait remis le soleil au centre et la Terre à tourner autour. Il est tout à fait clair que malgré le-schéma qui montre bien ça en effet dans « De revolutionnibus » etc… Copernic là-dessus n’avait strictement aucun parti pris et personne n’eût songé à lui là-dessus chercher noise. Mais enfin, c’est un fait en effet, que nous sommes passés du géo à l’héliocentrisme et que ceci est censé avoir porté un coup, un « blow » comme on s’exprime dans le texte anglais, à je ne sais quel prétendu narcissisme cosmologique. Le deuxième « blow » qui, lui, est biologique. Freud nous l’évoque au niveau de Darwin sous prétexte que, comme pour ce qui est de la terre, les gens ont mis un certain temps à se remettre de la nouvelle annonce, celle qui mettait l’homme en relation de cousinage avec les primates modernes. Et Freud explique la résistance à la psychanalyse par ceci : c’est ce qui est atteint, c’est à proprement parler cette consistance du savoir qui fait que quand on sait quelque chose, le minimum qu’on puisse en dire, c’est qu’on sait qu’on le sait. Laissons ce qu’il évoque à ce propos, car c’est là l’os, ce qu’il ajoute, à savoir la peinturlure en forme de Moi qui est fait là autour, c’est à savoir que celui qui sait qu’il sait, ben c’est moi. Il est clair que cette référence au Moi est seconde par rapport à ceci qu’un savoir se sait et que la nouveauté c’est que ce que la psychanalyse révèle c’est un savoir insu à lui-même. Mais je vous le demande, qu’est-ce qu’il y aurait là de nouveau, voire de nature à provoquer la résistance, si ce savoir était de nature de tout un monde, animal précisément, où personne ne songe à s’étonner qu’en gros l’animal sache ce qu’il lui faut,
à savoir que, si c’est un animal à vie terrestre, il s’en va pas plonger dans l’eau plus d’un temps limité : il sait que ça ne lui vaut rien. Si l’inconscient est quelque chose de surprenant, c’est que ce savoir, c’est autre chose : c’est ce savoir dont nous avons l’idée, combien d’ailleurs peu fondée depuis toujours, puisque c’est pas pour rien qu’on a évoqué l’inspiration, l’enthousiasme, ceci depuis toujours, c’est à savoir que le savoir insu dont il s’agit dans la psychanalyse, c’est un savoir qui bel et bien s’articule, est structuré comme un langage. En sorte qu’ici, la révolution, si je puis dire, mise en avant par Freud, tend à masquer ce dont il s’agit : c’est que ce quelque chose qui ne passe pas, révolution ou pas, c’est une subversion qui se produit où ? Dans la fonction, dans la structure du savoir. Et c’est ça qui ne passe pas, parce qu’à la vérité, la révolution cosmologique, on peut vraiment pas dire, mis à part le dérangement que ça donnait à quelques docteurs de l’Eglise, que ce soit quelque chose qui d’aucune façon soit de nature à ce que l’homme, comme on dit, s’en sente d’aucune façon humilié. C’est pourquoi l’emploi du terme de révolution est aussi peu convaincant, car le fait même qu’il y ait eu sur ce point révolution, est plutôt exaltant, pour ce qui est du narcissisme. II en est tout à fait de même pour ce qui est du darwinisme. II n’y a pas de doctrine qui mette plus haut la production humaine que l’évolutionnisme, il faut bien le dire. Dans un cas comme dans l’autre, cosmologique ou biologique, toutes ces révolutions n’en laissent pas moins l’homme à la place de la fleur de la création. C’est pourquoi on peut dire que cette référence est vraiment mal inspirée. C’est peut-être elle qui est faite justement pour masquer, pour faire passer ce dont il s’agit, à savoir que ce savoir, ce nouveau statut du savoir, c’est cela qui doit entraîner un tout nouveau type de discours, lequel n’est pas facile à tenir et, jusqu’à un certain point, n’a pas encore commencé.

L’inconscient, ai-je dit, est structuré comme un langage, lequel ? Et pourquoi ai-je dit un langage ? parce qu’en fait de langage, nous commençons d’en connaître un bout. On parle de langage-objet dans la logique, mathématique ou pas. On parle de métalangage. On parle même de langage, depuis quelque temps, au niveau de la biologie. On parle de langage à tort et à travers. Pour commencer, je dis que si je parle de langage, c’est parce qu’il s’agit de traits communs à se rencontrer dans « lalangue » ; « lalangue » étant elle-même sujette à une très grande variété, il y a pourtant des constantes. Le langage dont il s’agit, comme j’ai pris le temps, le soin, la peine et la patiente de l’articuler, c’est le langage où l’on peut distinguer le code du message, entre autres. Sans cette distinction minimale, il n’y a pas de place pour la parole. C’est pourquoi quand j’introduis ces termes, je les intitule de « Fonction et champ de la parole » — pour la parole, c’est la fonction — « et du langage » — pour le langage, c’est le champ. La parole, la parole définit la place de ce qu’on appelle la vérité. Ce que je marque, dès son entrée, pour l’usage que j’en veux faire, c’est sa structure de fiction, c’est à dire aussi bien de mensonge. A la vérité, c’est le cas de le dire, la vérité ne dit la vérité — pas à moitié — que dans un cas : c’est quand elle dit « je mens ». C’est le seul cas où l’on est sûr qu’elle ne ment pas, parce qu’elle est supposée le savoir.. Mais Autrement, c’est à dire Autrement avec un grand A, il est bien possible qu’elle dise tout de même la vérité sans le savoir. C’est ce que j’ai essayé de marquer de mon grand S, parenthèse du grand A, S (A barré), précisément, et barré. Ça au moins ça, vous pouvez pas dire que c’est pas en tout cas un savoir, pour ceux qui me suivent, qui ne soit pas à ce qu’il’ faille en tenir compte pour se guider, fût-ce à la petite semaine. C’est le premier point de l’inconscient structuré comme un langage. Le deuxième, vous ne m’avez pas attendu — je parle aux psychanalystes — vous ne m’avez pas attendu pour le savoir puisque c’est le principe même de ce que vous faites dès que vous interprétez. II n’y a pas une interprétation qui ne concerne… quoi ? le lien de ce qui, dans ce que vous entendez, se manifeste de parole, le lien de ceci à la jouissance. II se peut que vous le fassiez, en quelque sorte, innocemment, à savoir sans vous être jamais aperçu qu’il n’y a pas une interprétation qui veuille jamais dire autre chose, mais enfin une interprétation analytique, c’est toujours ça. Que le bénéfice soit secondaire ou primaire, le bénéfice est de jouissance. Et ça, il est tout à fait clair que la chose a émergé sous la plume de Freud, pas tout de suite, car il y a une étape, il y a le principe du plaisir, mais enfin il est clair qu’un jour ce qui l’a frappé, c’est que, quoi qu’on fasse, innocent ou pas, ce qui se formule, quoi qu’on y fasse, est quelque chose qui se répète. « L’instance, ai-je dit, de la lettre », et si j’emploie instance, c’est comme pour tous les emplois que je fais des mots, non sans raison, c’est qu’instance résonne aussi bien au niveau de la juridiction, il résonne aussi au niveau de l’insistance, où il fait surgir ce module que j’ai défini de l’instant, au niveau d’une certaine logique. Cette répétition, c’est là que Freud découvre l’Au-delà du principe du plaisir. Seulement voilà, s’il y a un au-delà, ne parlons plus du principe, parce qu’un principe où il y a un au-delà, c’est plus un principe, et laissons de côté du même coup le principe de réalité. Tout ça est très clairement à revoir. Il n’y a tout de même pas deux classes d’êtres parlants : ceux qui se gouvernent selon le principe du plaisir et le principe de réalité, et ceux qui sont au-delà du principe du plaisir, surtout que, comme on dit — c’est le cas de le dire — cliniquement, ce sont bien les mêmes.

Le processus primaire s’explique dans un premier temps par cette approximation qu’est l’opposition, la bipolarité principe du plaisir/principe de réalité ; il faut bien le dire, cette ébauche est intenable et seulement faite pour faire gober ce qu’elles peuvent aux oreilles contemporaines de ces premiers énoncés qui sont — je ne veux pas abuser de ce terme -des oreilles bourgeoises, à savoir qui n’ont absolument pas la moindre idée de ce que c’est que le principe du plaisir. Le principe du plaisir est une référence de la morale antique : dans la morale antique, le plaisir, qui consiste précisément à en faire le moins possible « otium cum dignitate », c’est une ascèse dont on peut dire qu’elle rejoint celle des pourceaux, mais c’est pas du tout dans le sens où l’on l’entend. Le mot « pourceau » ne signifiait pas dans l’Antiquité, être cochon, ça voulait dire que ça confinait à la sagesse de l’animal. C’était une appréciation, une touche, une note, donnée de l’extérieur par des gens qui ne comprenaient pas de quoi il s’agissait, à savoir du dernier raffinement de la morale du Maître. Qu’est-ce que ça peut bien avoir à faire avec l’idée que le bourgeois se fait du plaisir et d’ailleurs, il faut bien le dire, de la réalité ? Quoi qu’il en soit — c’est le troisième point — ce qui résulte de l’insistance avec laquelle l’inconscient nous livre ce qu’il formule, c’est que si d’un côté notre interprétation n’a jamais que le sens de faire remarquer ce que le sujet y trouve, qu’est-ce qu’il y trouve ? Rien qui ne doive se cataloguer du registre de la jouissance. C’est le troisième point. Quatrième point : où est-ce que ça gîte, la jouissance ? Qu’est ce qu’il y faut ? Un corps. Pour jouir, il faut un corps. Même ceux qui font promesse des béatitudes éternelles ne peuvent le faire qu’à supposer que le corps s’y véhicule : glorieux ou pas, il doit y être. Faut un corps. Pourquoi ? Parce que la dimension de la jouissance pour- le corps, c’est la dimension de la descente vers la mort. C’est d’ailleurs très précisément en quoi le principe du plaisir dans Freud annonce qu’il savait bien dès ce moment-là ce qu’il disait, car si vous le lisez avec soin, vous y verrez que le principe du plaisir n’a rien à faire avec l’hédonisme, même s’il nous est légué de la plus ancienne tradition, il est en vérité le principe du déplaisir. Il est le principe du déplaisir, c’est au point qu’à l’énoncer à tout instant, Freud dérape. Le plaisir, en quoi consiste-t-il, nous dit-il : c’est à abaisser la tension.. Si ce n’est le principe même de tout ce qui a le nom de jouissance, de quoi jouir, sinon qu’il se produise une tension. C’est bien en quoi, alors que Freud est sur le chemin du « Jenseits des Lustprinzips », de l’Au-delà du principe du plaisir, qu’est-ce qu’il nous énonce dans Malaise dans la civilisation, sinon que très probablement bien au-delà de la répression dite sociale, il doit y avoir une répression — il l’écrit textuellement — organique. Il est curieux, il est dommage qu’il faille se donner tant de peine pour des choses dites avec tant d’évidence, et pour faire percevoir ceci : c’est que la dimension dont l’être parlant se distingue de l’animal, c’est assurément qu’il y a en lui cette béance par où il se perdait, par où il lui est permis d’opérer sur le ou les corps, que ce soit le sien ou celui de ses semblables, ou celui des animaux qui l’entourent, pour en faire surgir, à leur ou à son bénéfice, ce qui s’appelle à proprement parler la jouissance. Il est assurément plus étrange que les cheminements que je viens de souligner, ceux qui vont de cette description sophistiquée du principe du plaisir à la reconnaissance ouverte de ce qu’il en est de la jouissance fondamentale, il est plus étrange de voir que Freud, à ce niveau, croit devoir recourir à quelque chose qu’il désigne de l’instinct de mort. Non que ce soit faux, seulement le dire ainsi, de cette façon tellement savante, c’est justement ce que les savants qu’il a engendrés sous le nom de psychanalystes ne peuvent absolument pas avaler. Cette longue cogitation, cette rumination autour de l’instinct de mort, qui est ce qui caractérise — on peut le dire — enfin l’ensemble de l’institution psychanalytique internationale, cette façon qu’elle a de se cliver, de se partager, de se répartir, admet-elle, n’admet-elle pas, « là, je m’arrête », « je ne le suis pas jusque-là », ces interminables dédales autour de ce terme, qui semble choisi pour donner l’illusion que, dans ce champ, quelque chose a été découvert qu’on puisse dire analogue à ce qu’en logique on appelle paradoxe, il est étonnant que Freud, avec le chemin qu’il avait déjà frayé, n’ait pas cru devoir le pointer purement et simplement. La jouissance qui est vraiment dans l’ordre de l’érotologie à la portée de n’importe qui — il est vrai qu’à cette époque les publications du marquis de Sade étaient moins répandues — c’est bien pourquoi j’ai cru devoir, histoire de prendre date, marquer quelque part dans mes Ecrits la relation de Kant avec Sade. Si, à procéder, ainsi pourtant, je pense tout de même qu’il y a une réponse, il n’est pas forcé que pour lui, plus que pour aucun d’entre nous, il ait su tout ce qu’il disait. Mais, au lieu de raconter des bagatelles autour de l’instinct de mort primitif, venu de l’extérieur ou venu de l’intérieur ou se retournant de l’extérieur sur l’intérieur et engendrant sur le tard, enfin se rejetant sur l’agressivité et la bagarre, on aurait peut-être pu lire ceci, dans l’instinct de mort de Freud, qui porte peut-être à dire que le seul acte, somme toute — s’il y en a un — qui serait un acte achevé — entendez bien que je parle, comme l’année dernière je parlais, d’Un discours qui ne serait pas du semblant, dans un cas comme dans l’autre il n’y en a pas, ni de discours, ni d’acte tel — cela donc serait, s’il pouvait être, le suicide. C’est ce que Freud nous dit. Il nous le dit pas comme ça, en cru, en clair, comme on peut le dire maintenant, maintenant que la doctrine a un tout petit peu frayé sa voie et qu’on sait qu’il n’y a d’acte que raté et que c’est même la seule condition d’un semblant de réussir.

C’est bien en quoi le suicide mérite objection. C’est qu’on n’a pas besoin que ça reste une tentative pour que ce soit de toute façon raté, complètement raté du point de vue de la jouissance. Peut-être que les bouddhistes, avec leurs bidons d’essence — car ils sont à la page — on n’en sait rien, car ils ne reviennent pas porter témoignage. C’est un joli texte, le texte de Freud. C’est pas pour rien s’il nous ramène le soma et le germen. Il sent, il flaire que c’est là qu’il y a quelque chose à approfondir. Oui, ce qu’il y a à approfondir, c’est le cinquième point que j’ai énoncé cette année dans mon séminaire et qui s’énonce ainsi : il n’y a pas de rapport sexuel. Bien entendu, ça paraît comme ça un peu zinzin, un peu éffloupi. Suffirait de baiser un bon coup pour me démontrer le contraire. Malheureusement, c’est la seule chose qui ne démontre absolument rien de pareil, parce que la notion de rapport ne coïncide pas tout à fait avec l’usage métaphorique que l’on fait de ce mot tout court « rapport » : cils ont eu des rapports », c’est pas tout à fait ça. On peut sérieusement parler de rapport, non seulement quand l’établit un discours, mais quand on l’énonce, le rapport. Parce que c’est vrai que le réel est là avant que nous le pensions, mais le rapport c’est beaucoup plus douteux : non seulement il faut le penser„ mais il faut l’écrire. Si vous êtes pas foutus de l’écrire, il n’y a pas de rapport. Ce serait peut-être très remarquable s’il s’avérait, assez longtemps pour que ça commence à s’élucider un peu, qu’il est impossible de l’écrire, ce qu’il en serait du rapport sexuel. La chose a de l’importance, parce que justement, nous sommes, par le progrès de ce qu’on appelle la science, en train de pousser très loin un tas de menues affaires qui se situent au niveau du gamète, au niveau du gène, au niveau d’un certain nombre de choix, de tris, qu’on appelle comme on veut, méiose ou autre, et qui semblent bien élucider quelque chose, quelque chose qui se passe au niveau du fait que la reproduction, au moins dans une certaine zone de la vie, est sexuée. Seulement ça n’a pas absolument rien à faire avec ce qu’il en est du rapport sexuel, pour autant qu’il est très certain que, chez l’être parlant, il y a autour de ce rapport, en tant que fondé sur la jouissance, un éventail tout à fait admirable en son étalement et que deux choses en ont été, par Freud, par Freud et le discours analytique, mises en évidence, c’est toute la gamme de la jouissance, je veux dire tout ce qu’on peut faire à convenablement traiter un corps, voire son corps, tout cela, à quelque degré, participe de la jouissance sexuelle. Seulement, la jouissance sexuelle elle-même, quand vous voulez mettre la main dessus, si je puis m’exprimer ainsi, elle n’est plus sexuelle du tout, elle se perd. Et c’est là qu’entre en jeu tout ce qui s’édifie du terme de Phallus qui est bien là ce qui désigne un certain signifié, un signifié d’un certain signifiant parfaitement évanouissant, car pour ce qui est de définir ce qu’il en est de l’homme ou de la femme, ce que la psychanalyse nous montre, c’est très précisément que c’est impossible et que jusqu’à un certain degré, rien n’indique spécialement que ce soit vers le partenaire de l’autre sexe que doive se diriger la jouissance, si la jouissance est considérée, même un instant, comme le guide de ce qu’il en est de la fonction de reproduction. Nous nous trouvons là devant l’éclatement de la, disons, notion de sexualité. La sexualité est au centre, sans aucun doute, de tout ce qui se passe dans l’inconscient. Mais elle est au centre en ceci qu’elle est un manque, c’est-à-dire qu’à la place de quoi que ce soit qui pourrait s’écrire du rapport sexuel comme tel, se substituent les impasses qui sont celles qu’engendre la fonction de la jouissance précisément sexuelle, en tant qu’elle apparaît comme cette sorte de point de mirage dont quelque part Freud lui-même donne la note comme de la jouissance absolue. Et c’est si près que précisément elle ne l’est pas, absolue. Elle ne l’est dans aucun sens, d’abord parce que, comme telle, elle est vouée à ces différentes formes d’échec que constituent la castration, pour la jouissance masculine, la division pour ce qu’il en est de la jouissance féminine et que, d’autre part, ce à quoi la jouissance mène n’a strictement rien à faire avec la copulation, pour autant que celle-ci est, disons, le mode usuel — ça changera — par où se fait, dans l’espèce de l’être parlant, la reproduction. En d’autres termes, il y a une thèse : il n’y a pas de rapport sexuel — c’est de l’être parlant que je parle. Il y a une antithèse qui est la reproduction de la vie. C’est un thème bien connu. C’est l’actuel drapeau de l’Eglise catholique, en quoi il faut saluer son courage. L’Eglise catholique affirme qu’il y a un rapport sexuel : c’est celui qui aboutit à faire de petits enfants. C’est une affirmation qui est tout à fait tenable, simplement elle est indémontrable. Aucun discours ne peut la soutenir, sauf le discours religieux, en tant qu’il définit la stricte séparation qu’il y a entre la vérité et le savoir. Et troisièmement, il n’y a pas de synthèse, à moins que vous n’appeliez synthèse cette remarque qu’il n’y a de jouissance que de mourir. Tels sont les points de vérité et de savoir dont il importe de scander ce qu’il en est du savoir du psychanalyste, à ceci près qu’il n’y a pas un seul psychanalyste pour qui ce ne soit lettre morte. Pour la synthèse, on peut se fier à eux pour en soutenir les termes et les voir tout à fait ailleurs que dans l’instinct de mort.

Chassez le naturel, comme on dit, n’est-ce pas, il revient au galop. Il conviendrait tout de même de donner son vrai sens à cette vieille formule proverbiale. Le naturel, parlons-en, c’est bien de ça qu’il s’agit. Le naturel, c’est tout ce qui s’habille de la livrée du savoir — et Dieu sait que ça ne manque pas ! — et un discours qui est fait uniquement pour que le savoir fasse livrée, c’est le discours universitaire. Il est tout à fait clair que l’habillement dont il s’agit, c’est l’idée de la nature. Elle n’est pas prête de disparaître du devant de la scène. Non pas que j’essaie de lui en substituer une autre. Ne vous imaginez pas que je suis de ceux qui opposent la culture à la nature. D’abord ne serait-ce que parce que la nature, c’est précisément un fruit de la culture. Mais enfin ce rapport, le savoir/la vérité, ou, comme vous voudrez : la vérité/le savoir, c’est quelque chose à quoi nous n’avons même pas commencé d’avoir le plus petit commencement d’adhésion, comme de ce qu’il en est de la médecine, de la psychiatrie et d’un tas d’autres problèmes. Nous allons être submergés avant pas longtemps, avant 4, 5 ans, de tous les problèmes ségrégatifs qu’on intitulera ou qu’on fustigera du terme de racisme, tous les problèmes qui sont précisément ceux qui vont consister à ce qu’on appelle simplement le contrôle de ce qui se passe au niveau de la reproduction de la vie chez des êtres qui se trouvent, en raison de ce qu’ils parlent, avoir toutes sortes de problèmes de conscience. Ce qu’il y a d’absolument inouï, c’est qu’on ne se soit pas encore aperçu que les problèmes de conscience sont des problèmes de jouissance. Mais enfin, on commence seulement à pouvoir les dire. Il n’est pas sûr du tout que ça ait la moindre conséquence, puisque nous savons en effet que l’interprétation, ça demande, pour être reçue, ce que j’appelais, en commerçant, du travail. Le savoir, lui, est de l’ordre de la jouissance. On ne voit absolument pas pourquoi il changerait de lit. Ce que les gens attendent, dénoncent du titre d’intellectualisation, ça veut simplement dire ceci qu’ils sont habitués par expérience à s’apercevoir qu’il n’est nullement nécessaire, il n’est nullement suffisant de comprendre quelque chose pour que quoi que ce soit change. La question du savoir du psychanalyste n’est pas du tout que ça s’articule ou pas, la question est de savoir à quelle place il faut être pour le soutenir. C’est évidemment là-dessus que j’essaierai d’indiquer quelque chose dont je ne sais pas si j’arriverai à lui donner une formulation qui soit transmissible. J’essaierai pourtant. La question est de savoir dans quelle mesure ce que la science, la science à laquelle la psychanalyse, dans l’occasion tout autant qu’au temps de Freud, ne peut rien faire de plus que faire cortège, ce que la science peut atteindre qui relève du terme de réel. Le symbolique, l’Imaginaire et le Réel. Il est très clair que la puissance du Symbolique n’a pas à être démontrée. C’est la puissance même. Il n’y a aucune trace de puissance dans le monde avant l’apparition du langage. Ce qu’il y a de frappant dans ce que Freud esquisse de l’avant Copernic, c’est qu’il s’imagine que l’homme était tout heureux d’être au centre de l’univers et qu’il s’en croyait le roi. C’est vraiment une illusion absolument fabuleuse ! S’il y a quelque chose dont il prenait l’idée dans les sphères éternelles, c’était précisément que là était le dernier mot du savoir. Ce qui sait dans le monde quelque chose — il faut du temps pour que ça passe — ce sont les sphères éthérées. Elles savent. C’est bien en quoi le savoir est associé, dès l’origine, à l’idée du pouvoir. Et dans cette petite annonce qu’il y a au dos du gros paquet de mes Ecrits, vous le voyez, parce que — pourquoi ne pas l’avouer — c’est moi qui l’ai écrite, cette petite note — qui d’autre que moi aurait pu le faire, on reconnaît mon style et c’est pas mal écrit du tout ! — j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. Dans un premier temps, elles ont bien raté leur coup. Mais enfin, comme l’Enfer, elles étaient pavées de bonnes intentions. Contrairement à tout ce qu’on a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir. Seulement, on a bien le regret de devoir constater que ceux qui se sont employés à cet office étaient un peu trop dans des positions de valets par rapport à un certain type — je dois dire assez heureux et florissant de maître, les nobles de l’époque, pour qu’ils aient pu d’aucune façon aboutir à autre chose qu’à cette fameuse révolution française qui a eu le résultat que vous savez, à savoir l’instauration d’une race de maître plus féroce que tout ce qu’on avait vu jusque-là à l’œuvre. Un savoir qui n’en peut mais, le savoir je l’impuissance voilà ce que le psychanalyste, dans une certaine perspective, une perspective que je ne qualifierai pas de progressive, voilà ce que le psychanalyste pourrait véhiculer. Et pour vous donner le ton de la trace dans laquelle cette année, j’espère poursuivre mon discours, je vais vous donner le titre, la primeur — pourléchez-vous les babines — je vais vous donner le titre du séminaire que je vais donner à la même place que l’année dernière, par la grâce de quelques personnes qui ont bien voulu s’employer à nous la préserver. Ça s’écrit comme ça… d’abord avant de le prononcer, ça c’est un O, et ça un U… Trois points, vous mettrez ce que vous voudrez, comme ça je vais le livrer à votre méditation…. Ce OU, c’est le OU qu’on appelle « vel » ou « aut » en latin, ou pire… OU PIRE.

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