vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LXV L'acte psychanalytique 1967 – 1968 Leçon du 6 décembre 1967

Leçon du 6 décembre 1967

 

« Dis-moi quelle est la première chose dont tu te souviennes ? »

– « Qu’est-ce que tu veux dire », répond l’autre, « la première qui me vient à l’esprit ? »

– « Non, le premier souvenir que tu aies eu ».

Longue réflexion… — « J’ai dû l’oublier ».

– « Justement le premier que tu n’aies pas oublié ».

Longue réflexion… — « J’ai oublié la question ».

Ces quelques répliques que j’ai extraites pour vous (vous aurez mes sources) d’une petite pièce fort habile et même pénétrante, qui m’avait attirée par son titre qui contient deux personnages pour moi, assez plein de sens : Rosencrantz et Guildenstern, l’un et l’autre, nous dit ce titre, sont morts. Plût au ciel que ce fût vrai ! Il n’en est rien, Rosencrantz et Guildenstern seront toujours là. Ces répliques sont bien faites pour évo­quer l’écart, la distance qu’il y a entre trois niveaux de mathésis, d’appré­hension savante. La première, dont la théorie de la réminiscence que je vous ai représentifiée la dernière fois par l’évocation du Menon, donne l’exemple. Je la centrerai sur un « je lis » à une épreuve révélatrice. La seconde, différente, qui est présentifiée dans le ton — c’est le mot propre — du progrès de notre science, est un « j’écris ». J’écris même quand c’est pour suivre la trace d’un écrit déjà marqué, le dégagement de l’incidence signifiante comme telle signifie notre progrès dans cette appréhension de ce qui est savoir.

Ce que j’ai voulu vous rappeler par, non pas cette anecdote, mais ces répliques très bien forgées qui, en quelque sorte, désignant leur place elle-même d’aller se situer dans un nouveau maniement de ces marionnettes essentielles à la tragédie qui est vraiment la nôtre propre, celle d’Hamlet, celle sur laquelle je me suis longuement livré au repérage de la place comme telle du désir, désignant par là ceci qui a pu paraître étrange jusque-là que, très exactement, chacun y ait pu lire le sien.

Ces trois répliques désignent donc ce mode propre de l’appréhension sachant qu’il est celui de l’analyse et qu’il commence au « je perds ». Je perds le fil. Là commence ce qui nous intéresse, à savoir, — qui s’en éton­ne, ou ferait à cette occasion de grands yeux, montrerait bien qu’il oublie ce qui a été l’entrée dans le monde des premiers pas de l’analyse — le champ du lapsus, de l’achoppement, de l’acte manqué.

Je vous en ai rappelé la présence dès mes premiers mots de cette année. Vous verrez que nous aurons à y revenir et que ce repère est essentiel à maintenir toujours au centre de notre visée si nous voulons ne pas perdre nous, la corde, quand il s’agit dans sa forme la plus essentielle de ce que j’appelle cette année l’acte psychanalytique. Mais aussi m’avez-vous vu presque à chaque reprise, et d’abord, le mode de quelque embarras dont je m’excuse, l’occasion n’était personne d’autre que votre assistance gra­cieuse. Je me suis posé sous une forme qui aujourd’hui se centre, la pro­blématique de mon enseignement. Que veut dire ce qu’ici je produis, depuis maintenant quatre ans passés ? Il vaut bien d’en poser la question. Est-ce acte psychanalytique ? Cet enseignement se produit devant vous, à savoir public, comme tel il ne saurait être acte psychanalytique.

Que veut dire dès lors que j’en aborde la thématique ? Est-ce à dire, que je pense ici le soumettre à une instance critique ? C’est une position qui, après tout serait assumable et d’ailleurs qui a été assumée bien des fois, même si à proprement parler ce n’est pas de ce terme d’acte dont on s’est servi. Il est assez frappant que la tentative, chaque fois qu’elle a été faite par quelqu’un de l’extérieur, n’ait donné que des résultats assez pauvres. Or je suis psychanalyste, et dans l’acte psychanalytique je suis moi-même pris. Peut-il y avoir chez moi un autre dessein que de saisir l’acte psycha­nalytique du dehors ? Oui. Et voici comment ce dessein s’institue. Un enseignement n’est pas un acte, il ne l’a jamais été. Un enseignement est une thèse, comme on l’a toujours très bien formulé au temps où on savait ce que c’était un enseignement dans l’Université, au beau temps où ce mot avait un sens, ça voulait dire thèse. Thèse suppose anti-thèse. A l’anti­thèse peut commencer l’acte. Est-ce à dire que je l’attends des psychana­lystes ? La chose n’est pas si simple à l’intérieur de l’acte psychanalytique, mes thèses impliquent parfois des conséquences. Il est frappant que ces conséquences y rencontrent, je dis à l’intérieur, des objections qui n’ap­partiennent ni à la thèse ni à aucune autre antithèse formulable que les us et coutumes régnant parmi ceux qui font profession de l’acte psychanaly­tique. Il est singulier donc qu’un discours qui n’est point jusqu’ici, à l’in­térieur de ceux qui sont dans l’acte psychanalytique aisé à contredire, ren­contre dans certains cas obstacle qui n’est pas de contradiction. L’hypothèse qui guide chez moi la poursuite de ce discours est celle-ci, non pas certes qu’il y ait indication de critiquer l’acte psychanalytique, et je vais dire pourquoi, mais au contraire de démontrer, j’entends dans l’ins­tance de cet acte, que ce qu’elle méconnaît c’est qu’à n’en pas sortir on irait beaucoup plus loin. Il faut donc croire qu’il y a quelque chose en cet acte d’assez insupportable, intenable à qui s’y engage, pour qu’il redoute d’approcher, faut-il dire, de ses limites, puisque aussi bien ce que je veux introduire c’est cette particularité de sa structure après tout assez connue pour qu’elle soit à chacun saisissable, mais qu’on ne formule presque jamais.

Si nous partons de la référence que j’ai donnée tout à l’heure, à savoir que la première forme de l’acte que l’analyse ait pour nous inaugurée, c’est cet acte symptomatique dont on peut dire qu’il n’est jamais si bien réussi que quand il est un acte manqué.

Quand l’acte manqué est supposé, est contrôlé, il se révèle ce dont il s’agit, épinglons-le de ce mot dont j’ai déjà suffisamment insisté pour qu’il en sorte ravivé, la vérité.

Observez que c’est de cette base que nous partons, nous, analystes pour avancer. Il n’y aurait même sans cela aucune analyse possible, en ceci que tout acte même qui ne porte pas ce petit indice du ratage, autrement dit, qui se donne à lui-même un bon point quant à l’intention, n’en tombe pas moins exactement sous le même ressort, à savoir que peut être posée la question d’une autre vérité que celle de cette intention. D’où il résulte que c’est proprement là dessiner une topologie qui peut s’exprimer ainsi, qu’à seulement dessiner la voie de sa sortie, on y entre même sans y penser et qu’après tout la meilleure façon d’y rentrer d’une façon certaine c’est d’en sortir pour de bon.

L’acte psychanalytique désigne une forme, une enveloppe, une structu­re telle qu’en quelque sorte il suspend tout ce qui s’est institué jusqu’alors, formulé, produit comme statut de l’acte, à sa propre loi. C’est aussi bien ce qui, du point où se tient celui qui à un titre quelconque s’engage dans cet acte, dans une position où il est difficile de glisser le biais d’aucun coin, ce qui, dès lors suggère que quelque mode de discernement doit être intro­duit. Il est facile d’épingler à reprendre les choses au début, que s’il n’y a rien de si réussi que le ratage quant à l’acte, ce n’est pas dire pour autant qu’une réciprocité s’établisse et que tout ratage en soi soit le signe de quelque réussite, j’entends réussite d’acte.

Tous les trébuchements ne sont pas des trébuchements interprétables, c’est bien évident. Ce qui s’impose au départ d’une simple remarque qui est d’ailleurs aussi bien la seule objection qui ait jamais été produite dans l’usage. Il suffit de commencer, auprès de quelqu’un de « bon sens » comme l’on dit, à introduire — s’il est neuf, s’il n’a pas encore été immu­nisé, s’il a gardé quelque fraîcheur — la dimension des cogitations analy­tiques pour que les gens vous répondent : « Mais qu’est-ce que vous venez me raconter tant de choses sur ces bêtises que nous connaissons bien et qui simplement sont vides de tout appui saisissable, qui ne sont que du négatif ! ».

Il est sûr qu’à ce niveau, le discernement n’a pas de règle sûre, et c’est bien ainsi qu’on constate qu’à se tenir en effet au niveau de ces phéno­mènes exemplaires, le débat reste en suspens. Il n’est pas inconcevable que, là où l’acte psychanalytique prend son poids c’est-à-dire où pour la première fois au monde il y a des sujets dont c’est l’acte que d’être psy­chanalystes, c’est-à-dire qui là-dessus organisent, groupent, poursuivent une expérience, prennent leurs responsabilités en quelque chose qui est d’un autre registre que celui de l’acte, à savoir un faire. Mais attention : ce faire n’est pas le leur.

La fonction de la psychanalyse se caractérise clairement en ceci : qu’ins­tituant un faire par quoi le psychanalysant obtient une certaine fin, que personne n’a encore pu clairement fixer, on peut le dire si l’on se fie à l’os­cillation véritablement désordonnée de l’aiguille qui se produit dès que là-­dessus on interroge les auteurs.

 

Ce n’est pas le moment de vous donner un éventail de cette oscillation, vous pouvez m’en croire et contrôler dans la littérature. La loi, la règle comme on dit, qui cerne l’opération appelée psychanalyse structure et définit « un faire ». Le patient, comme on s’exprime encore, le psychana­lysant comme j’en ai introduit récemment le mot, épingle qui s’est diffu­sée rapidement, ce qui prouve qu’il n’est pas si inopportun et que d’ailleurs il est évident. Dire « le psychanalysé », laisse sur l’achèvement de la chose toutes les équivoques pendant qu’on est en psychanalyse. Le mot psychanalyse n’a de sens que d’indiquer une passivité qui n’est nullement évidente, c’est plutôt le contraire, puisque celui qui parle tout le temps c’est bien le psychanalysant. C’est déjà un indice.

Ce psychanalysant dont l’analyse est menée à un terme dont, je viens de le dire, personne n’a strictement défini encore la portée de fin dans toutes les acceptions de ce mot, mais néanmoins il est supposé que peut-être un faire réussit. L’épingler d’un mot comme : être, pourquoi pas, il reste pour nous assez blanc, ce terme, et assez plein pourtant pour qu’il puisse ici nous servir de repère. Qu’est-ce que serait la fin d’une opération qui assurément a à faire au moins au départ avec la vérité si le mot être n’était pas évocable à son horizon.

L’est-il pour l’analyste ? A savoir celui qui est supposé avoir franchi un tel parcours sur les principes qu’il suppose et qui sont apportés par l’acte du psychanalyste. Inutile de s’interroger si le psychanalyste a le droit, au nom de quelque objectivité, d’interpréter le sens d’une figure donnée dans cette opération poétique par le sujet faisant. Inutile de se demander s’il est légitime ou non d’interpréter ce « faire » comme confirmant le fait du transfert. Interprétation et transfert sont impliqués dans l’acte par quoi l’analyste donne à ce faire support et autorisation. C’est fait pour ça. C’est tout de même donner quelque poids à la présence de l’acte même si l’ana­lyste ne fait rien. Donc cette répartition du faire et de l’acte est essentielle au statut de l’acte lui-même. L’acte psychanalytique, où est-il saisissable qu’il manifeste quelque achoppement ? N’oublions pas que le psychana­lyste est supposé parvenu en ce point où, si réduit soit-il, s’est pour lui produit cette terminaison que comporte l’évocation de la vérité.

De ce point d’être, il est supposé l’Archimède capable de faire tourner tout ce qui se développe dans cette structure premièrement évoquée dont le cernage d’un « je perds » par quoi j’ai commencé, donne la clé.

Peut-il être intéressant d’y voir se reproduire cet effet de perte au-delà de l’opération que centre l’acte analytique ? Je pense qu’à poser la ques­tion en ces termes, il vous apparaîtra aussitôt qu’il n’est pas douteux que c’est dans les insuffisances de la production dirai-je, analytique, que doit se lire quelque chose qui répond à cette dimension d’achoppement. Au-delà d’un acte supposé faire fin mais dont il faut bien supposer ce point magistral si nous voulons pouvoir parler de quoi que ce soit le concernant, et aussi bien n’y a-t-il rien d’abusif à l’évoquer quand les analystes eux-mêmes et qui peuvent tomber le plus sous le coup de la désignation de cet achoppement – là où je propose qu’on aille chercher l’incidence qui puis­se compléter l’appui, voire l’instaurer – de notre critique. Il n’y a rien d’abusif à parler de ce point tournant, à parler du passage du psychanaly­sant au psychanalyste, puisque par les psychanalystes eux-mêmes, ceci même que je viens d’évoquer, la référence en est constante et donnée comme condition de toute compétence analytique.

Ce pourrait être un travail infini de mettre à l’épreuve la littérature analytique, aussi bien en ai-je déjà pointé quelques exemples à l’horizon. J’ai cité dans mon premier cours de cette année l’article de Rappaport qui pourrait s’appeler en français (il est paru dans l’International Journal) « statut analytique du penser » : Thinking, participe présent. Il serait dans une assemblée aussi large, fastidieux, inefficace je pense, de prendre un tel article pour y voir manifester une extrême bonne intention, si je puis dire, une sorte de mise à plat de tout ce qui peut, de l’énoncé freudien lui-même, s’organiser d’une énonciation concernant ce qu’il en est de la fonction de la pensée dans l’économie dite analytique. Le frappant en serait que les déchirures qui se marquent à tout instant, l’impossibilité de ne pas faire partir par exemple ce montage ou démontage, comme on voudra, du thinking, du processus primaire lui-même et au niveau de ce que Freud désigne comme l’hallucination primitive, celle qui est liée à la première recherche pathétique, celle supposée par l’existence simplement d’un système moteur qui, dès lors qu’il ne rencontre pas l’objet de sa satisfaction, serait – au principe de l’explication du processus primaire – responsable de ce processus régressif qui fait apparaître l’image fan­tasmatique de ce qui est à chercher.

La complète incompatibilité de ce registre qui est pourtant à mettre au

tableau de la pensée, avec ce qui, au niveau du processus secondaire, est instauré d’une pensée qui est une sorte d’action réduite, d’action au petit pied qui force à passer dans un tout autre registre que celui qui a été évo­qué d’abord, à savoir l’introduction de la dimension de l’épreuve de la réa­lité, ne manque pas d’être noté au passage par l’auteur qui, poursuivant imperturbablement son chemin, en arrivera à s’apercevoir que non seule­ment il n’y a pas deux modes et deux registres de pensée mais qu’il y en a une infinité qui sont à peu près à échelonner dans ce qu’auparavant les psychologues ont noté des étagements de la conscience et par conséquent de complètement réduire le relief de ce qui a été apporté par Freud à ce qu’on appelle la réduction à la psychologie générale, c’est-à-dire à son abolition. Ce n’est là qu’un exemple léger et vous pouvez chacun, chacun à votre gré, aller le confirmer. Si d’autres voyaient intérêt à ce que se tien­ne un séminaire où quelque chose comme ceci serait suivi dans ses détails – pourquoi pas – l’important me semble-t-il est qu’il soit complète­ment éludé dans cette perspective de réduction, avec échec conséquent. Ce qui est frappant, saillant, énorme, impliqué dans la dimension du proces­sus primaire, c’est quelque chose qui peut à peu près s’exprimer ainsi, non pas « au commencement est l’insatisfaction », ce qui n’est rien. Ce n’est pas que l’individu vivant court après sa satisfaction ce qui est important, c’est qu’il y ait un statut de la jouissance qui soit l’insatisfaction.

A l’éluder comme originelle, comme impliquée dans la théorie de celui qui l’a introduite, cette théorie peu importe qu’il l’ait ou non exprimée comme ça, mais s’il l’a faite comme ça, c’est-à-dire s’il a formulé le princi­pe du plaisir comme jamais on ne l’avait formulé avant lui, car le plaisir ser­vait de toujours à définir le bien, il était en lui-même satisfaction. A ceci près que personne ne pouvait y croire, parce que tout le monde a su depuis toujours, qu’être dans le bien ce n’est pas toujours satisfaisant. Freud introduit cette autre chose : il s’agit de voir quelle est la cohérence de cette pointe avec celle qui d’abord s’indique dans la dimension de la vérité.

J’ai ouvert par hasard une revue, je ne sais pas ce que c’est, un hebdo­madaire, un trisannuel, dans lequel j’ai vu des signatures distinguées, l’une d’un côté de l’horizon où la bataille divine bat toujours son plein, celle pour le bien précisément, j’ai vu un article qui commençait par une sorte d’incantation autour du « le symbolique, l’imaginaire et le réel »… A quoi la personne referait l’illumination qu’avait apportée dans le monde cette tripartition de quoi je suis responsable et de conclure vaillamment: à nous ça dit ce que ça dit, le Réel, c’est Dieu. Voilà comme on peut dire que je suis un appoint pour la foi théologique.

Ça m’a quand même incité à quelque chose que j’essaierai pour ceux qui sont nombreux à voir que ça se mélange, que ce qu’on peut indiquer, si on prend ces termes autrement que dans l’absolu, c’est ceci

Le symbolique, on va le mettre, si vous voulez comme ça.

 

L’imaginaire, on va le mettre par là et le réel… c’est complètement idiot, comme ça.

Il n’y aurait vraiment rien à en faire, surtout pas un triangle rectangle, si, peut-être enfin, pour nous permettre un peu de poser les questions.

 

Si nous nous souvenons de ce que j’enseigne concernant le sujet comme déterminé par deux signifiants ou plus exactement par un signifiant comme le représentant à un autre signifiant, pourquoi ne pas mettre le Sujet barré comme une projection sur l’autre côté ? cela permettra de se demander ce qu’il en est du rapport du Sujet entre l’Imaginaire et le Réel.

 

D’autre part ce I du trait unaire, celui dont on part pour voir comment effectivement dans le développement du mécanisme, ce mécanisme de l’incidence du signifiant dans le développement, se produit, à savoir : la première Identification. Nous le mettrons aussi comme une projection sur l’autre côté.

La troisième fonction me sera donnée par ce a qui est quelque chose comme une chute du Réel sur le vecteur tendu du Symbolique à l’Imaginaire, à savoir comment le signifiant peut très bien prendre son matériel, qu’est-ce qui y verrait obstacle, dans des fonctions imaginaires, c’est-à-dire dans la chose la plus fragile, la plus difficile à saisir, quant à ce qui est de l’homme, non pas qu’il n’y ait pas chez lui des images primitives destinées à nous donner un guide dans la nature, mais justement, comme le signifiant s’en empare, c’est toujours bien difficile à repérer dans son côté cru.

Vous voyez que la question peut se poser de ce que représentent les vecteurs unissant chacun de ces points repérés. Ça va avoir un intérêt – c’est pour ça bien sûr que je vous prépare à ce petit jeu – c’est que tout de même depuis que nous parlons de l’acte analytique, nous n’avons pu faire que réévoquer les dimensions où se sont déployés nos repérages concer­nant la fonction du symptôme quand nous l’avons mis comme échec de ce qui est sachable, le savoir, ce qui toujours représente quelque vérité. Nous mettrions ici ce qui constitue le pôle tiers à savoir: la jouissance.

Ceci introduit plus justement une certaine attache fondamentale de l’es­prit humain à l’imaginaire, ceci introduit quelque chose qui peut vous aider à la façon des points cardinaux et qui peut-être pourrait servir de support chaque fois que j’évoquerai un de ces pôles, par exemple comme aujour­d’hui, je pose la question de ce qu’il en est de l’acte de l’analyste par rapport à la vérité.

Au départ la question peut et doit se poser, est-ce que l’acte psychana­lytique prend en charge la vérité ? Il a bien l’air, mais qui oserait prendre en charge la vérité sans s’attirer la dérision ? Dans certains cas je me prends pour Ponce Pilate, il y a une jolie image de Claudel, Ponce Pilate qui n’a eu que le tort de poser cette question, il tombait mal, c’est le seul qui l’ait posée devant la vérité. Ça l’a foutu un peu de côté. D’où il résulte, (là je reste dans le registre de Claudel, c’est lui qui a inventé ça) que quand il se promenait par la suite, toutes les idoles (c’est toujours Claudel qui parle) voyaient leur ventre s’ouvrir dans une dégringolade avec un grand bruit de machine à sous.

Je ne pose pas la question, ni dans un tel contexte ni avec une telle vigueur pour que j’obtienne ce résultat, mais enfin quelquefois ça approche. Le psy­chanalyste ne prend pas en charge la vérité. Il ne prend pas en charge la véri­té parce qu’aucun des pôles n’est jugeable en fonction de ce qu’il représen­te de nos trois sommets de départ, c’est à savoir que la vérité, c’est au lieu de l’Autre, l’inscription du signifiant. C’est-à-dire que ce n’est pas là  comme ça la vérité, pas plus que la jouissance d’ailleurs, qui a certainement rapport avec le Réel, mais dont justement le principe du plaisir est fait pour nous séparer. Quant au Savoir, c’est une fonction imaginaire, une idéalisa­tion incontestablement, c’est ce qui rend délicate la position de l’analyste qui est au milieu, où c’est le vide, le trou, la place du désir.

Mais cela comporte un certain nombre de points tabous, en quelque sorte, de discipline, à savoir que puisqu’on a à répondre à quelque chose, je veux dire ceux qui viennent consulter l’analyste pour trouver plus d’as­surance, eh bien mon Dieu, il arrive qu’on fasse une théorie des conditions de l’assurance qui doit arriver à quelqu’un qui se développe normalement. C’est un très beau mythe.

Il y a un article d’Eric Erikson sur le rêve de l’injection d’Irma qui n’est pas fait autrement. Il énumère par étape, comment doit s’édifier l’assuran­ce du petit bonhomme qui a eu d’abord une mamie convenable, celle qui a bien entendu bien appris sa leçon dans les livres des psychanalystes, et il y a un échelonnement qui va tout à fait au sommet, à nous donner (je l’ai déjà évoqué quelquefois) un QI parfaitement assuré. C’est constructible. Tout est constructible en terme de psychologie. Il s’agit de savoir en quoi l’acte psychanalytique est compatible avec de tels déchets. Faut croire qu’il a quelque chose à faire, et le mot déchet n’est pas à prendre là comme venant au hasard. Peut-être qu’à épingler comme il convient certaines pro­ductions théoriques, on pourrait tout de suite repérer sur cette carte, puisque carte il y a, si socratique que ce n’est pas plus que celle que j’évo­quais l’autre jour à propos du Menon, ça n’a pas plus de portée, portée d’exercice, mais à voir le rapport que peut avoir une production qui, en aucun cas, n’a fonction par rapport à la pratique, que même les analystes les plus effervescents dans ces constructions en général optimistes ne res­pectent pas moins, nul psychanalyste ne va, sauf excès ou exception, à y croire quand il intervient.

La relation de ces productions avec le point naturel ici du déchet à savoir le a, peut peut-être nous servir à progresser quant à ce qu’il en est de la relation de la production analytique avec tel autre terme; par exemple, de l’idéalisation de sa position sociale que nous mettrions du côté du I.

Bref, l’inauguration d’une méthode de discernement quant à ce qu’il en

est des productions de l’acte analytique, de la part de perte, peut-être nécessaire je ne dis pas, qu’il comporte, ceci peut être de nature non point seulement à éclairer d’une vive lumière ce qu’il en est de l’acte analytique, du statut qu’il suppose et qu’il supporte dans son ambiguïté déployée; et pourquoi s’arrêter en un point quelconque, de l’étendue de cette ambi­guïté, jusqu’à, si je puis dire, ce que nous soyons revenus à notre point de départ, s’il est vrai qu’il n’y a pas moyen d’en sortir, autant vaudrait en faire le tour.

C’est ce à quoi nous allons essayer de donner cette année une première image d’épreuve. Pour ceci, par exemple, je n’irai pas prendre les plus mauvais exemples bien entendu, il y a déchet et déchet, il y a des déchets ininterprétables, encore faites attention que cette désignation de l’ininter­prétable n’est pas ici prise au sens propre.

Prenons un auteur excellent, M. Winnicott. Il est remarquable que cet auteur auquel on doit une découverte des plus fines, je me souviens, et ne manquerai jamais d’y revenir en hommage dans mon souvenir, de ce que l’objet transitionnel comme il l’a donné a pu m’apporter de secours au moment où je m’interrogeais sur la façon de démystifier cette fonction de l’objet dit partiel, telle que nous la voyons soutenir pour en supporter la théorie la plus abstruse, la plus mythifiante, la moins clinique sur les pré­tendues relations développementales du prégénital par rapport au génital.

La seule introduction de ce petit objet qu’on appelle chez M. Winnicott l’objet transitionnel, ce tout petit bout de chiffon dont le bébé, dès avant ce drame autour duquel se sont accumulées tant de nuées confuses, dès avant ce drame de sevrage qui, quand nous l’observons n’est pas du tout forcément un drame, comme me le faisait remarquer quelqu’un qui n’est pas sans pénétration, il se peut que le sevrage, la personne qui le ressente le plus c’est la mère. La présence, la seule présence dans ce cas qui semble être en quelque sorte l’appui, l’arche fondamentale grâce à quoi tout ne sera plus jamais ensuite développé qu’en terme de rapport duel, le rapport de l’enfant et de la mère, il est tout de suite interféré par ces fonctions de ce menu objet dont Winnicott va nous articuler le statut.

Je reprendrai l’année prochaine (le 10 janvier) ces traits dont on peut dire que la description est exemplaire. Il suffit de lire M. Winnicott pour en quelque sorte le traduire. Il est clair que ce petit bout de chiffon ou de drap, morceau souillé à quoi l’enfant se cramponne, dont en quelque sorte il n’est pas rien de voir ici, le rapport avec ce premier objet de jouissance qui n’est pas du tout le sein de la mère, n’est jamais là à demeure, mais celui qui est toujours à portée : le pouce de la main de l’enfant. Comment les analystes peuvent-ils à ce point écarter de leur expérience ce qui leur est apporté au premier chef de la fonction de la main, au point que pour eux que l’humain devrait s’écrire l’hu-main (avec un trait d’union au milieu).

Cette lecture que je vous conseille est dans le N° 5 de cette revue qui est passée longtemps pour la mienne, qui s’appelle : La psychanalyse. Il y a une traduction de cet objet transitionnel de Winnicott. Lisez ça. Rien de plus fatigant qu’une lecture et de moins propice à retenir l’attention. Mais si quelqu’un la prochaine fois veut bien la faire, qui n’entendra pas que tout cela pour dire ce qu’est ce petit objet a, il n’est ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ni réel, ni illusoire. Il n’entre dans rien de toute cette construc­tion artificieuse que le commun de l’analyse édifie autour du narcissisme en y voyant tout autre chose que ce pour quoi c’est fait, à savoir non pas pour faire deux versants moraux à savoir: d’un côté l’amour de soi-même et de l’autre celui de l’Objet, comme on dit.

Il est très clair, je l’ai déjà fait ici, à lire ce que Freud a écrit du Real Ich et du Lust Ich, que c’était pour nous de démontrer que le premier objet était le Lust Ich, à savoir moi-même la règle de mon plaisir et que ça le reste.

Alors toute cette description aussi précieuse que fine de l’objet a, il ne lui manque qu’une chose, c’est qu’on voit que tout ce qui s’en dit ne veut rien dire que le bourgeon, la pointe, la première sortie de terre de quoi ? de ce que l’objet a commande à savoir le Sujet. Le Sujet comme tel, qui fonction­ne d’abord au niveau de cet objet transitionnel. Ce n’est certes pas là épreu­ve faite pour diminuer ce qui peut se faire de production autour de l’acte analytique. Mais vous allez voir ce qu’il en est quand Winnicott pousse les choses plus loin, à savoir quand il est non pas l’observateur du petit bébé (il en est plus qu’un autre capable), mais en repérant sa propre technique concernant ce qu’il cherche, lui, à savoir, d’une façon patente, je vous l’ai indiqué la dernière fois à l’orée de la conférence, à savoir: La Vérité.

Ce Self dont il parle comme ce quelque chose qui est là depuis tou­jours, en arrière de tout ce qui se passe, avant même que d’aucune façon le sujet se soit repéré, quelque chose est capable de geler, écrit-il la situa­tion du manque. Quand l’environnement n’est pas approprié dans les premiers jours, dans les premiers mois du bébé, quelque chose peut fonctionner, qui fait ce freezing, cette gélation, assurément c’est là quelque chose où seule l’expérience peut trancher. Et là encore il y a au regard de ces conséquences psychotiques quelque chose que Winnicott a fort bien vu. Mais derrière ce freezing, il y a, nous dit Winnicott ce Self qui attend. Ce Self qui, de s’être gelé, constitue le faux-self auquel il faut que M. Winnicott ramène par un procès de régression dont ce sera l’ob­jet de mon discours la prochaine fois, de vous montrer le rapport à l’agir de l’analyste. Derrière ce faux-self attend, quoi ? le vrai pour repartir. Qui ne voit quand déjà nous avons dans la théorie analytique ce Real Ich, ce Lust Ich, cet ego, ce id, toutes ces références déjà assez articulées pour définir notre champ, que l’adjonction de ce Self ne représente rien d’autre que comme c’est avoué dans le texte avec false et true, la vérité ? Mais qui ne voit aussi bien qu’il n’y a d’autre true-self, derrière cette situation que M. Winnicott lui-même, qui là se pose comme présence de la vérité.

Ce n’est rien dire qui comporte en quoi que ce soit une dépréciation de ce à quoi cette position le mène. Comme vous le verrez la prochaine fois, extrait de son texte lui-même, c’est à une position qui s’avoue devoir en tant que telle et de façon avouée sortir de l’acte analytique, prendre la position de faire, par quoi il assume, comme s’exprime un autre analyste, de répondre à tous les besoins du patient.

Nous ne sommes pas ici pour entrer dans le détail de à quoi ceci mène, nous sommes ici pour indiquer comment la moindre méconnaissance, – et comment n’existerait-elle pas puisqu’elle n’est pas encore définie – la moindre méconnaissance de ce qu’il en est de l’acte analytique, entraîne aussitôt qui l’assume et d’autant mieux qu’il est plus sûr, plus capable, – je cite cet auteur parce que je considère qu’il n’y en a pas qui l’approche en langue anglaise – qu’aussitôt il soit porté, noir sur blanc, à la négation de la position analytique.

Ceci à soi tout seul me paraît confirmer, donner amorce, sinon appui encore à ce que j’introduis comme méthode d’une critique par les expres­sions théoriques de ce qu’il en est du statut de l’acte psychanalytique.

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