vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

Les écrits De nos antécédents

Les chiffres indiquent les numéros de page de l’édition originale

p 65 – De nos antécédents

A produire maintenant, d’un retour en arrière, les travaux de notre entrée dans la psychanalyse, nous rappellerons d’où cette entrée se fit.

Médecin et psychiatre, nous avions introduit, sous le chef de la « connaissance paranoïaque », quelques résultantes d’une méthode d’exhaustion clinique dont notre thèse de médecine est l’essai 1.

Plutôt que d’évoquer le groupe (Evolution psychiatrique) qui voulut bien à leur exposé faire accueil, voire leur écho dans le milieu surréaliste où s’en renoua un lien ancien d’un relais neuf : Dali, Crevel, la paranoïa critique et le Clavecin de Diderot – les rejetons s’en trouvent aux premiers numéros du Minotaure -, nous pointerons l’origine de cet intérêt.

Elle tient dans la trace de Clérambault, notre seul maître en psychiatrie.

Son automatisme mental, avec son idéologie mécanistique de métaphore, bien critiquable assurément, nous paraît, dans ses prises du texte subjectif, plus proche de ce qui peut se construire d’une analyse structurale, qu’aucun effort clinique dans la psychiatrie française.

Nous y fûmes sensible à la touche d’une promesse, perçue du contraste qu’elle fait avec ce qui se marque de déclinant dans une sémiologie toujours plus engagée dans les présupposés raisonnants.

 

1. La psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Le François, 1932. Elle repose sur trente observations, bien que sa méthode y impose une monographie le cas Aimée. Ce fait motive l’appréciation galante qu’on en trouvera, d’une lumière, P. 536.

2. Le problème du style et les Motifs du crime paranoïaque, ce dernier article voué aux sœurs Papin et oublié lors d’une reprise récente de ce sujet par un témoin de cette époque.

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Clérambault réalise, de son être du regard, de ses partialités de pensée, comme une récurrence de ce qu’on nous a décrit récemment dans la figure datée de la Naissance de la clinique 1.

Clérambault connaissait bien la tradition française, mais c’est Kraepelin qui l’avait formé, où le génie de la clinique était porté plus haut.

Singulièrement, mais nécessairement croyons-nous, nous en fûmes amené à Freud.

Car la fidélité à l’enveloppe formelle du symptôme, qui est la vraie trace clinique dont nous prenions le goût, nous mena à cette limite où elle se rebrousse en effets de création. Dans le cas de notre thèse (le cas Aimée), effets littéraires, – et d’assez de mérite pour avoir été recueillis, sous la rubrique (de révérence) de poésie involontaire, par Eluard.

Ici la fonction de l’idéal se présentait à nous dans une série de réduplications qui nous induisaient à la notion d’une structure, plus instructive que le solde où les cliniciens de Toulouse eussent réduit l’affaire d’un rabais au registre de la passion.

En outre, l’effet comme de soufflage qui dans notre sujet avait couché ce paravent qu’on appelle un délire, dès que sa main avait touché, d’une agression non sans blessure, une des images de son théâtre, doublement fictive pour elle d’être d’une vedette en réalité, redoublait la conjugaison de son espace poétique avec une scansion de gouffre.

Ainsi approchions-nous de la machinerie du passage à l’acte, et ne fût-ce qu’à nous contenter du portemanteau de l’autopunition que nous tendait la criminologie berlinoise par la bouche d’Alexander et de Staub, nous débouchions sur Freud.

Le mode sous lequel une connaissance se spécifie de ses stéréotypies, et aussi bien de ses décharges, pour témoigner d’une autre fonction, pouvait prêter à des enrichissements à quoi aucun académisme, fût-il celui de l’avant-garde, n’eût refusé sa bienveillance.

Peut-être saisira-t-on qu’à franchir les portes de la psychanalyse, nous ayons aussitôt reconnu dans sa pratique, des préjugés de savoir beaucoup plus intéressants, d’être ceux qui sont à réduire dans son écoute fondamentale.

 

  1. Cf. Michel Foucault, Naissance de la clinique, P.U.F., 1964.

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Nous n’avions pas attendu ce moment pour méditer sur les fantasmes dont s’appréhende l’idée du moi, et si le « stade du miroir » fut produit en 1936 1, par nous encore aux portes de la titularisation d’usage, au premier Congrès international où nous ayons eu l’expérience d’une association qui devait nous en donner bien d’autres, nous n’y étions pas sans mérite. Car son invention nous portait au cœur d’une résistance théorique et technique qui, pour constituer un problème par la suite toujours plus patent, était, il faut le dire, bien loin d’être aperçu du milieu d’où nous partions.

Nous avons trouvé bon d’offrir au lecteur d’abord un petit article, contemporain de cette production.

Il arrive que nos élèves se leurrent dans nos écrits de trouver « déjà là » ce à quoi notre enseignement nous a porté depuis. N’est-ce pas assez que ce qui est là n’en ait pas barré le chemin ? Qu’on voie dans ce qui ici se dessine d’une référence au langage, le fruit de la seule imprudence qui ne nous ait jamais trompé celle de ne nous fier à rien qu’à cette expérience du sujet qui est la matière unique du travail analytique.

Le titre « Au-delà etc. » ne recule pas à paraphraser l’autre «Au-delà» que Freud assigne en agio à son principe de plaisir. Par quoi l’on s’interroge : Freud y rompt-il le joug grâce à quoi il soutient ce principe, de le jumeler au principe de réalité?

Freud dans son « Au-delà » fait place au fait que le principe du plaisir à quoi il a donné en somme un sens nouveau d’en installer dans le circuit de la réalité, comme processus primaire, l’articulation signifiante de la répétition, vient à en prendre un plus nouveau encore de prêter au forçage de sa barrière traditionnelle du côté d’une jouissance, – dont l’être alors s’épingle du masochisme, voire s’ouvre sur la pulsion de mort.

Que devient dans ces conditions cet entrecroisement par quoi l’identité des pensées qui proviennent de l’inconscient offre sa trame au processus secondaire, en permettant à la

 

1. C’est au Congrès de Marienbad (31 juillet 1936) que prit place ce premier pivot de notre intervention dans la théorie psychanalytique. On y trouvera une référence ironique p. 184-5 de ce recueil, avec l’indication du tome de l’Encyclopédie française qui fait foi pour la date de ses thèses (1938). Nous avions en effet négligé d’en livrer le texte pour le compte rendu du Congrès.

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réalité de s’établir à la satisfaction du principe du plaisir? Voici la question où pourrait s’annoncer cette reprise par l’envers du projet freudien où nous avons caractérisé récemment le nôtre.

S’il y en a ici l’amorce, elle ne saurait aller loin. Disons seulement qu’elle n’exagère pas la portée de l’acte psychanalytique à supposer qu’il transcende le processus secondaire pour atteindre une réalité qui ne s’y produit pas, ne fût-ce qu’à rompre le leurre qui réduisait l’identité des pensées à la pensée de leur identité.

Si tout le monde admet en effet, même assez sot pour ne pas le reconnaître, que le processus primaire ne rencontre rien de réel que l’impossible, ce qui dans la perspective freudienne reste la meilleure définition qu’on en puisse donner, il s’agirait d’en savoir plus sur ce qu’il rencontre d’Autre pour que nous puissions nous en occuper.

Ainsi n’est-ce pas céder à un effet perspectif que de voir ici cette première délinéation de l’imaginaire, dont les lettres, associées à celles du symbolique et du réel, viendront orner beaucoup plus tard, juste avant le discours de Rome, les pots, vides à jamais, d’être tous aussi symboliques, dont nous ferons notre thériaque pour résoudre les embarras de la cogitation analytique.

Rien là qui ne se justifie de s’essayer à prévenir les malentendus qui se prennent de l’idée qu’il y aurait dans le sujet quoi que ce soit qui réponde à un appareil – voire, comme on dit ailleurs, à une fonction propre – du réel. Or c’est à ce mirage que se voue à cette époque une théorie du moi qui pour prendre appui dans la rentrée que Freud assure à cette instance dans Analyse du moi et psychologie des masses fait erreur, puisqu’il n’y a dans cet article rien d’autre que la théorie de l’identification.

Manquant trop à se reporter d’autre part à l’antécédent nécessaire, sans doute produit en une année où l’attention de communauté analytique est un peu relâchée d’être 1914, de l’article Introduction au narcissisme qui donne à celui-là sa base.

Rien en tout cas qui permette de tenir pour univoque la réalité qu’on invoquerait d’y conjuguer les deux ternes Wirklichkeit et Realität que Freud y distingue, le second étant spécialement réservé à la réalité psychique.

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Dès lors prend sa valeur, elle wirklich, opérante, le coin que nous introduisons en remettant à sa place l’évidence trompeuse que l’identité à soi-même qui se suppose dans le sentiment commun du moi aurait quoi que ce soit à faire avec une pré-tendue instance du réel.

Si Freud rappelle le rapport du moi au système perception-conscience, c’est seulement à indiquer que notre tradition, réflexive, dont on aurait tort de croire qu’elle n’ait pas eu des incidences sociales de ce qu’elle ait donné appui à des formes politiques du statut personnel, a éprouvé dans ce système ses étalons de vérité.

Mais c’est pour les mettre en question que Freud lie le moi d’une double référence, l’une au corps propre, c’est le narcissisme, l’autre à la complexité des trois ordres d’identification.

Le stade du miroir donne la règle de partage entre l’imaginaire et le symbolique à ce moment de capture par une inertie historique dont tout ce qui s’autorise d’être psychologie porte la charge, fût-ce par des voies à prétendre s’en dégager.

C’est pourquoi nous n’avons pas donné à notre article sur le « Principe de Réalité » la suite qu’il annonçait, de devoir s’en prendre au Gestaltisme et à la phénoménologie.

Bien plutôt revenant sans cesse à rappeler dans la pratique un moment qui n’est pas d’histoire mais d’insight configurant, par quoi nous le désignons comme stade, émergeât-il en une phase.

Celle-ci est-elle à réduire à une crise biologique? La dynamique que nous en exposons, prend appui d’effets de diachronie : retard de la coordination nerveuse lié à la prématuration de la naissance, anticipation formelle de sa résolution.

Mais c’est encore donner le change que supposer une harmonie que contredisent bien des faits de l’éthologie animale.

Et masquer le vif d’une fonction de manque avec la question de la place qu’elle peut prendre dans une chaîne causale. Or loin que nous songions à l’en éliminer, une telle fonction nous semble maintenant l’origine même de la noèse causaliste, et jusqu’à la confondre avec son passage au réel.

Mais lui donner son efficace de la discordance imaginaire, c’est encore laisser trop de place à la présomption de la naissance.

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Cette fonction est d’un manque plus critique, à ce que sa couverture soit le secret de la jubilation du sujet.

En quoi se laisse voir que tout attardement sur la genèse du moi participe encore de la vanité de ce qu’il juge. Ce qui semble aller de soi, à y réfléchir : nul pas dans l’imaginaire peut-il franchir ses limites, s’il ne procède d’un autre ordre?

C’est bien pourtant ce que promet la psychanalyse, et qui y resterait mythique si elle reculait au plain-pied de cet ordre. Pour le repérer dans le stade du miroir, sachons d’abord y lire le paradigme de la définition proprement imaginaire qui se donne de la métonymie : la partie pour le tout. Car n’omettons pas ce que notre concept enveloppe de l’expérience analytique du fantasme, ces images dites partielles, seules à mériter la référence d’un archaïsme premier, que nous réunissons sous le titre des images du corps morcelé, et qui se confirment de l’assertion, dans la phénoménologie de l’expérience Kleinienne, des fantasmes de la phase dite paranoïde.

Ce qui se manipule dans le triomphe de l’assomption de l’image du corps au miroir, c’est cet objet le plus évanouissant à n’y apparaître qu’en marge : l’échange des regards, manifeste à ce que l’enfant se retourne vers celui qui de quelque façon l’assiste, fût-ce seulement de ce ‘qu’il assiste à son jeu.

Ajoutons-y ce qu’un jour un film, pris tout à fait hors de notre propos, montra aux nôtres, d’une petite fille se confrontant nue au miroir : sa main en éclair croisant, d’un travers gauche, le manque phallique.

Quoi que couvre l’image pourtant, elle ne centre qu’un pouvoir trompeur de dériver l’aliénation qui déjà situe le désir au champ de l’Autre, vers la rivalité qui prévaut, totalitaire, de ce que le semblable lui impose d’une fascination duelle : ce l’un ou l’autre, c’est le retour dépressif de la phase seconde dans Mélanie Klein; c’est la figure du meurtre hégélien.

Ajoutons-y l’usage aux fins d’apologue pour résumer la méconnaissance s’enracinant ici originelle, de l’inversion produite dans la symétrie par rapport à un plan. Elle ne prendrait valeur que d’une référence plus développée à l’orientation dans l’espace, où l’on s’étonne que la philosophie ne se soit pas plus intéressée depuis que Kant tenant son gant à bout de main y suspendit une esthétique, pourtant aussi simple à retourner que ce gant l’est lui-même.

C’est déjà situer pourtant l’expérience à un point qui ne

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permet pas de se leurrer sur sa liaison avec la qualité de voyant. Même l’aveugle y est sujet, de se savoir objet du regard. Mais le problème est ailleurs, et son articulation aussi théorique que celle du problème de Molyneux 1 : il faudrait savoir ce que serait le moi dans un monde où personne se saurait rien de la symétrie par rapport à un plan.

Les repères de la connaissance spéculaire enfin sont rappelés par nous d’une sémiologie qui va de la plus subtile dépersonnalisation à l’hallucination du double. On sait qu’ils n’ont en eux-mêmes aucune valeur diagnostique quant à la structure du sujet (la psychotique entre autres). Étant cependant plus important de noter qu’ils ne constituent pas un repère plus consistant du fantasme dans le traitement psychanalytique.

Nous nous trouvons donc replacer ces textes dans un futur antérieur : ils auront devancé notre insertion de l’inconscient dans le langage. N’est-ce pas, à les voir s’égailler sur des années peu remplies, nous exposer au reproche d’avoir cédé à un attardement?

Outre qu’il nous fallait bien faire en notre pratique nos écoles, nous plaiderons de n’avoir. pu mieux faire durant ce temps que de préparer notre audience.

Les générations présentes de la psychiatrie auront peine à s’imaginer que nous ayons été, de notre âge de salle de garde, quelque trois à nous engager dans la psychanalyse, et sans être ingrat pour ce groupe de l’Evolution psychiatrique, nous dirons qu’à ce que ce fût parmi ses talents que la psychanalyse se soit fait jour, ce n’est pas pour autant qu’elle en reçut une mise en question radicale. L’adjonction à cette fin d’une ingérence mondaine n’y augmenta ni leur solidarité ni leur infor-mation.

A vrai dire nul enseignement autre qu’accéléré de routine, ne vint au jour avant qu’en 1951 nous ayons ouvert le nôtre à titre privé.

Si cependant la quantité des recrues dont un effet de qualité s’engendre, changea après la guerre du tout au tout, peut-être la salle surchargée à nous entendre sur La psychanalyse,

 

1. Cf. dans les Cahiers pour l’analyse, z, mai 1966, Cercle d’épistémologie de l’E.N.S., l’article de A. Grosrichard, sur Une expérience psychologique au XVIIIe s., où l’on pourra approfondir, de la fiction de l’aveugle philosophe à celle du philosophe aveugle, la question du sujet.

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didactique (une virgule entre), sera-t-elle souvenir à rappeler que nous n’y fûmes pas pour rien.

Jusque-là pourtant le lieu majeur à nous offrir quelques conférences publiques fut ce Collège philosophique, où se croisaient, jean Wahl invitant, les fièvres d’alors 1.

Ajoutons que cette note ne doit rien de biographique qu’à notre désir d’éclairer le lecteur.

 

1. Nous y produisîmes entre autres un mythe individuel du névrosé, initium d’une référence structuraliste en forme (le premier texte de Claude Lévi-Strauss sur le mythe). Son texte ronéotypé, paru non corrigé par nous, fera foi pour une reprise ultérieure. 72

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