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Recherches Lacan

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1968-10-12 Intervention sur «Psychanalyse et psychothérapie »

Intervention au Congrès de Strasbourg de l’école Freudienne de paris sur « Psychanalyse et psychothérapie » le 12 octobre 1968 au matin, publié dans Lettres de L’école Freudienne 1969 n° 6 page 42-48.

(42)Présidence : I. Roublef et M. Safouan.

Intervention de J. Lacan.

 

Je ne suis pas intervenu hier soir parce que ç’aurait été intervenir « en conclusion ». C’est un rôle qui m’est réservé, c’est même inscrit sur le programme. On attend de moi demain que je conclue, après quoi on dira : il a bien parlé. Le résultat sera selon toute apparence, une apparence fondée sur les expériences antérieures, que personne n’aura rien entendu. Il y a eu un Congrès auquel je rends hommage – le Congrès rassemblé par M. Mannoni l’année dernière – et à la fin de ce Congrès j’ai, paraît-il, fort bien parlé. Ça va être publié[1] Vous pourrez y lire les choses que vous n’avez pas entendues. Ça aurait peut-être pu servir dans ce qui a été proféré hier.

C’est pourquoi ce matin je me force à parler au début de la journée pour faire quelques remarques dont j’espère qu’elles donneront à ce qui va se passer aujourd’hui un ton plus vif, parce qu’on nous a dit hier toutes sortes de choses tout à fait excellentes (je fais allusion aux rapports de Bauer et de Melman), mais la discussion n’a pas été ce qu’on peut en attendre. Je veux dire dans un lieu tel que celui-ci, où nous sommes entre nous et où on peut s’entendre sur certaines choses, fût-ce sur des broutilles – des broutilles lacaniennes. Elles devraient pouvoir servir, comme des objets qu’on manipule. Seulement évidemment il s’agit de savoir ce qu’on en fait. On pourrait déjà en faire quelques petites constructions. Mais surtout, on pourrait se demander un peu plus ce que nous foutons là, dans notre rapport avec ces ou cet objet.

Or, je crois que nos camarades de Strasbourg nous posent une question. En tout cas, moi, c’est ce que j’ai cru entendre. S’ils ont choisi ce sujet, c’est parce que ça les intéresse, ça les points quelque part. Ces sortes de titres à double nom, psychothérapie et psychanalyse, ça peut servir à tout et à n’importe quoi, (43)parce que ce et dont nous nous servons est ce qu’on pourrait apporter un et mou. Par contre, il me semble que la question qui est tout le temps posée au niveau du rapport de Bauer et qui lui donne son sens est celle-ci : la psychothérapie – d’inspiration ou pas d’inspiration – c’est évidemment un drôle de mot – en tout cas la psychothérapie psychanalytique, je veux dire telle qu’elle se présente à ceux qui débutent dans le champ, dans l’atmosphère psychanalytique – cette pratique psychothérapique, ça fait partie des mœurs, c’est comme ça qu’ils entrent comme praticiens dans l’affaire – et la question que l’on nous posait est la suivante : est-ce que c’est un élément nécessaire ou contingent, favorable ou contrariant pour la formation du psychanalyste. Bauer me dira si oui ou non c’est ça qui fait l’intérêt du choix de ce sujet pour notre rassemblement, notre Congrès ici.

Je me souviens d’avoir consacré 15 jours de vacances à écrire un article qui s’appelle « Variantes de la cure-type ». Il y est dit entre autre que « la rubrique des variantes ne veut dire ni l’adaptation de la cure, sur des critères empiriques, ni, disons-le, cliniques, à la variété des cas, ni la référence aux variables dont se différencie le champ de la psychanalyse, mais un souci, voire ombrageux, de pureté dans les moyens et les fins qui laissent présager d’un statut de meilleur aloi que l’étiquette ici présentée » (Écrits p. 324) – de meilleur aloi que ce qu’évoque cette formule répugnante que nous devons à M. Bouvet : cure-type – pourquoi pas cure-pipe ?

Dans la suite de ce texte, et puisqu’il s’agit de psychothérapie, j’ouvre le pas sur les critères thérapeutiques. C’est qu’il s’agissait d’un article pour une encyclopédie, que dirigeait un véritable ami, un supporter : H. Ey. C’est à sa prière et aussi à la force de son poignet que j’ai dû de donner quelque chose qui fasse pendant aux autres articles qui s’étaient proférés autour. Un an après cet article a été retiré grâce aux soins conjurés de la troupe de corédacteurs, Ey ayant évidemment dû s’incliner devant leur majorité.

Les critères thérapeutiques, c’est quelque chose d’intéressant. Ça devrait avoir, justement pour les psychanalystes, un sens : qu’au moins la question soit posée si, à la fin de ce qui se fait, on peut mettre « cas guéri » ou on ne peut pas le mettre. En d’autres termes si le terme de guérison lui-même a pour le psychanalyste un sens. C’est une façon d’aborder la question. Il ne me semble pas que ç’ait été du tout mis en avant dans ce que nous a (44)dit Bauer. ça prouve que c’est autre chose qui l’intéressait, et c’est pourquoi j’ai commencé par essayer de repérer ce que je crois être la question qu’il nous pose.

Alors, il est évident que devant la carence complète – c’est ainsi que je procède dans cet article – des critères thérapeutiques en tant que les psychanalystes n’y répondent jamais que par des semblants et des dérobades – rien de ce qu’ils ont avancé là-dessus ne saurait résister à un contrôle un peu serré ; ce n’est pas moi qui le dis, mais Glover – alors dans mon article je déplace la question et je la mets là où elle doit être posée : « la question des variantes de la cure… nous incite à n’y conserver qu’un critère, pour ce qu’il est le seul dont dispose le médecin qui y oriente son patient. Ce critère, rarement énoncé d’être pris pour tautologique, nous l’écrivons : une psychanalyse, type ou non, est la cure qu’on attend d’un psychanalyste ». (Écrits p. 329).

Naturellement, c’est de l’esprit. Je suis un auteur léger. Mes pensées sont « intellectualistes ». Néanmoins, il se trouve que c’est là que nous sommes et qu’il n’y aurait nul inconvénient à exploiter cette phrase. Parce que c’est de ça qu’il s’agit et qu’elle permettrait de faire un planchage assez complet de ce dont il s’agit, à ceci près que la question telle qu’elle est posée par Bauer est beaucoup plus précise. C’est elle que nous avons ici à serrer.

« La psychanalyse est la cure qu’on attend d’un psychanalyste ». C’est là qu’est l’axe de ce qui se passe chaque fois que nous avons affaire à une psychanalyse : c’est la cure attendue d’un psychanalyste. Il est évident que ceci laisse, aujourd’hui comme hier, à côté la question qui est pourtant celle dont il s’agit dans notre combat, celle qui serait énoncée par un Diogène armé d’une lanterne qui viendrait vous dire : « Où y a-t-il un psychanalyste ? ». Il y en a, il y en a beaucoup, mais il faut croire qu’il n’est pas si facile de dire à quoi ça se reconnaît. Il y a tout de même quelqu’un qui doit savoir ce que c’est : c’est le psychanalyste lui-même. Jusqu’à présent, il n’y a même que lui : c’est le sens de certain principe que je mets en avant dans le statut de l’École.

Alors la question doit tout de même être placée dans ceci – très éclairant pour poser la question du transfert en tant qu’il serait spécifique de la psychanalyse : c’est que ce qu’on attend d’un psychanalyste, ça dépend de l’idée qu’on se fait d’un (45)psychanalyste, au moins au départ, dans ce moment que Bauer a appelé « destinal ». Le psychanalyste, lui, disons que c’est un des premiers éléments qu’il a à analyser : qu’est-ce qu’on attend de lui comme psychanalyste ? Mais ça vaudrait mieux qu’il ait une idée assez ferme de ce qu’on doit en attendre. C’est ça la formation du psychanalyste, et la question qui nous est posée est ceci – qui devient plus accessible, plus clair : l’expérience de ce qu’on attend d’un psychanalyste, quelle fonction cela joue-t-il dans la formation du psychanalyste, c’est-à-dire dans ce que le psychanalyste doit savoir de lui-même en tant que psychanalyste.

Une chose est exemplaire : c’est que Bauer a soutenu un discours à un niveau parfaitement défini – au niveau d’une question en porte-à-faux (vous retrouverez ce terme dans mon article, et il est inévitable) – mais c’est toute la question qui est en porte-à-faux, et c’est ce porte-à-faux qui fait tout son intérêt – ce porte-à-faux où l’on peut se trouver, et spécialement ici dans notre groupe de Strasbourg, du fait d’une certaine façon de mettre un certain accent sur ce qui irait à dégrader la psychanalyse, et que néanmoins bien sûr ça s’applique, c’est-à-dire qu’il y a des endroits, des institutions où l’on répond à une certaine demande – le mot demande a tout le temps été mis au premier plan, et très justement Audouard est venu nous faire remarquer que cette demande, il fallait bien en tenir compte, et que c’est ça qui nous amenait à faire telle ou telle chose – mais qu’il n’en reste pas moins que nous, quoi que nous fassions, nous sommes les psychanalystes.

Seulement voilà, il y a la question que Bauer nous pose : à force d’être le psychanalyste et de ne pas faire de psychanalyse, est-ce que nous sommes toujours le psychanalyste ? Cette question là n’est pas en porte-à-faux, car en fin de compte la chose pénètre assez pour que F. Dolto par exemple, si je me souviens bien, ait pu hier laisser entendre – faisant allusion à quelque chose qui est dans le premier numéro de Scilicet – que cet espèce d’air narcissique qui s’entretient dans la pratique de la psychanalyse, ce n’est pas un bon air – le psychanalyste s’y étiole un peu. En tant que psychanalyste naturellement. En tant que praticien, il prospère. Ça devient courant : on admet que c’est une pratique qui comporte peut-être en elle-même quelque chose de dégradant par rapport à elle-même. Ça va devenir une idée reçue, et puis voilà, ça continuera, on se dégradera en chœur, en se faisant des petites mines sucrées.

(46)J’aurais mieux aimé qu’on porte plus d’attention à un discours, et bien préparé : celui de Bauer – et qu’on y remarque ceci : c’est que, pour rester au niveau de son texte même, le porte-à-faux de la question se répercute dans chacun de ses énoncés et l’amène en chaque point de son texte à avancer des choses qui sont elles-mêmes distordues. La multiplication de cet effet de distorsion nous donnera peut-être une idée de ce qu’elle est dans son essence. Par exemple, c’est là qu’il faut bien écouter, il a une certaine façon à certain moment d’amener la vérité – avec laquelle bien sûr nous avons un sacré rapport – il a été amené à parler de la vérité d’une façon qui mériterait d’être argumentée, parce que – c’est bien là toute la question – quel est le mode de présence, autre mot-clé (je le lui avais dit : ça, la présence, méfiez-vous). Schotte a fait autour de ça de l’érudition phénoménologique et puis a rappelé que pour nous ce Dasein, ça ne pouvait être que l’objet, l’objet en question, l’objet a : mange ton Dasein, comme j’avais dit histoire d’introduire la question. C’était drôle. ç’aurait pu être efficace. Enfin, c’est de l’ordre de présence de la vérité qu’il s’agit en effet. Et cet ordre de présence, il me semble qu’il est gauchi si quelque part on en parle sans même avoir l’air d’en douter comme d’une vérité connaissable : Selbstverständlich. Mais c’est justement ce dont on se doute depuis un moment : la vérité n’est pas connaissable, mais ça ne l’empêche pas d’être là. Elle est là, en face de nous, sous la forme de ceux que nous adoptons comme « malades » : ils sont la vérité. C’est de là qu’il faut partir.

C’est même pour ça qu’ils ne sont pas connaissables : c’est le b – a – ba de la psychanalyse. Les types qui dépavaient en mai étaient eux aussi la vérité : c’est pour ça que depuis on n’écrit dessus que des choses exécrables. Bien que ce qu’il y aurait à dire soit là à portée de la main, je n’en dirai pas plus parce qu’on m’imputerait aussitôt d’être contre la réforme, ou pour, peu importe puisque la réforme, je m’en fous. Entendez-bien que je m’en fous du point de vue de la ligne que j’ai à tenir, et qui est celle d’un certain discours sur le psychanalyste – qui s’est véritablement à cette occasion (en mai) tout à fait distingué, et dire cela est déjà une critique – car par quoi croyez-vous que je vais dire qu’il s’est distingué ? par son absence ? sa présence ? par sa présence, oui, mais par sa présence lamentable, essentielle d’ailleurs dans tout le monde contemporain. Oui, il y est vraiment présent. Mais justement il s’agirait de savoir ce que la présence du psychanalyste a à faire avec la présence de la vérité. Il sera facile de démontrer que sa présence est strictement proportionnelle au déficit de sa théorie, ce qui remettra les choses en place concernant l’utilité de la théorie : (47)c’est que quand la théorie foire, il n’y a plus qu’à dire : présent ! Là vous n’y comprenez plus rien, mais moi je suis là solide au poste. C’est justement ce que je fais : c’est dans la mesure où quelque chose ne va pas dans la théorie que je suis forcé de faire de la présence.

C’est très joli, le cas que nous a amené Benoit, seulement, c’est ça l’embêtant en psychanalyse, il ne désire peut-être pas qu’on en parle tellement plus, et nous ne pouvons peut-être pas lui demander de nous en dire beaucoup plus. Voici quand même une question que je pourrais lui poser si nous étions entre nous : vous avez fortement accentué, dans une sorte de nostalgie, que les chamans avaient eux, bien de la chance avec leurs petits machins. Leurs bélemnites qui avaient joué un rôle si décisif – en quoi décisif ? En ceci par exemple qu’à la suite de ça elle allait sur votre divan – ce qui prouve que votre divan avait bien aussi quelque charme qui tenait en face de la bélemnite en question. Seulement ce que j’ai cru entendre est ceci, à un moment je vous ai fait observer qu’elle manquait de pas mal de choses depuis longtemps, c’est comme ça que vous l’aviez introduit en soulignant qu’elle était arrivée jusqu’à l’âge de quarante ans sans rencontrer d’autre homme qu’impuissant (notez que ça n’est pas tellement rare et que ça ne doit peut-être pas si vite être porté au compte de la névrose) – est-ce que la présence du psychanalyste telle que vous l’avez définie, est-ce que le psychanalyste même en tant que castré – parce que maintenant ça court, on s’en sert à tort et à travers de ce que le psychanalyste, il doit en savoir un bout sur la castration – pas plus qu’un autre – mais est-ce que c’est d’une certaine connotation d’impuissance que vous iriez là à opposer la psychanalyse à la pratique si astucieuse de la gitane ? Il y a là des registres à préciser. La castration, est-ce quelque chose qui aurait à faire avec un certain ordre d’impuissance ? Voilà, à propos de la question qui nous intéresse – celle de l’efficacité – une question qui mérite d’être posée, et qui nous introduirait peut-être à des catégories maniables : puissance, efficacité, impuissance, castration, il faudrait peut-être faire une carte qui permette de ne pas glisser d’un mot à l’autre, d’une mauvaise élucidation à une élucidation approximative, comme ça se fait tout le temps. Ceci mérite bien quelque soin d’élaboration théorique. C’est en ce sens qu’une certaine topologie, – le terme même de topologie évoque une certaine parenté avec l’espace, mais le topos qu’est le lieu, il faut bien croire que ça n’est pas l’espace tout cru, l’espace pur et simple, et que nous ferions bien de faire attention quand nous parlons de position assise, position couchée – d’abord ce ne sont pas seulement des positions (48)spatiales puisque ce sont des positions corporelles comportant toutes sortes de résonances – il est certain qu’on n’entend pas de la même façon quand on est couché, ce n’est pas pour rien qu’il y a juste à côté des petits machins vestibulaires. Seulement tant que la topologie n’est pas faite, à savoir quelque chose qui n’a rien à faire avec cet espace pour quoi sont faits les petits canaux semi-circulaires qui sont à peu près dans les trois dimensions, notre topologie n’a rien à faire avec cette adaptation de nos petits canaux avec l’espace : elle est autrement faite.

Eh bien il est évident que c’est en fonction de cette topologie dont tout de même il y a des éléments, mais un peu difficiles à manier, que c’est dans cette topologie qui est celle de la présence de la vérité que nous avons à définir la position du psychanalyste : c’est ça et seulement ça qui doit nous permettre de juger à quel âge de son entrée dans cette topologie on peut lui permettre ou non de se mettre en face de ce qu’on attend de lui.

 

 



[1] Publié depuis lors dans « Recherches – Enfance Aliénée II »

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