jeudi, mars 28, 2024
Recherches Lacan

Décentrement

DÉCENTREMENT

DECENTREMENT   L01 11.11.54

Qui est Socrate? C’est celui qui inaugure dans la subjectivité humaine ce style d’où est sortie la notion d’un savoir lié à certaines exigences de cohérence, savoir préalable à tout progrès ultérieur de la science comme expérimentale – et nous aurons à définir ce que signifie cette sorte d’autonomie que la science a prise avec le registre expérimental. Eh bien, au moment même où Socrate inaugure ce nouvel être-dans-le-monde que j’appelle ici une subjectivité, il s’aperçoit que le plus précieux, l’arétè, l’excellence de l’être humain, ce n’est pas la science qui pourra transmet­tre les voies pour y parvenir. Il se produit déjà là un décentrement – c’est à partir de cette vertu qu’un champ est ouvert au savoir, mais cette vertu même, quant à sa transmission, sa tradition, sa formation, reste hors du champ. C’est là quelque chose qui mérite qu’on s’y arrête, plutôt que de se précipiter à penser qu’à la fin tout doit s’arranger, que c’est l’ironie de Socrate, qu’un jour ou l’autre la science arrivera à rattraper ça par une action rétroactive. Pourtant, rien dans le cours de l’histoire ne nous l’a jusqu’à présent prouvé.Que s’est-il passé depuis Socrate? Bien des choses, et en particulier que la notion du moi est venue au jour.

Quand quelque chose vient au jour, quelque chose que nous sommes forcés d’admettre comme nouveau, quand émerge un autre ordre de la structure, eh bien! cela crée sa propre perspective dans le passé, et nous disons – Cela n’a jamais pu ne pas être là, cela existe de toute éternité. N’est-ce pas là, d’ailleurs, une propriété que nous démontre notre expé­rience?

Pensez à l’origine du langage. Nous nous imaginons qu’il y a un moment où on a dû commencer sur cette terre à parler. Nous admettons donc qu’il y a eu une émergence.

 

XII, 2 mars 1955

LES EMBARRAS DE LA RÉGRESSION

 Qui est le sujet?

Paradoxes des schémas freudiens.

Perception et hallucination.

Fonction de l’ego.

Dans cette optique, regardez une de ces choses auxquelles on ne s’arrête pas, une petite note incluse dans la maçonnerie de l’édifice freu­dien.

Une autre complication – que celle de savoir pourquoi le préconscient a rejeté et étouffé le désir qui appartient à l’inconscient – beaucoup plus importante et profonde, dont le profane ne tient pas compte, est la suivante. Une réalisation du désir devrait certainement être une cause de plaisir. Mais pour qui? – Vous voyez que cette question, pour qui ? n’est pas de nous. Ce n’est pas mon élève Leclaire qui l’a inventée. –Pour celui, naturellement, qui a ce désir. Or, nous savons que l’attitude du rêveur à l’égard de ses désirs est une attitude tout à fait particulière. Il les repousse, les censure, bref n’en veut rien savoir. Leur réalisation ne peut donc lui procurer de plaisir, bien au contraire. Et l’expérience montre que ce contraire, qui reste encore à expliquer, se manifeste sous la forme de l’angoisse. Dans son attitude à l’égard des désirs de ses rêves, le rêveur apparaît ainsi comme composé de deux personnes réunies cependant par une intime communauté.

Voilà un petit texte que je livre comme liminaire à votre méditation, car il exprime clairement l’idée d’un décentrement du sujet. C’est une formulation propédeutique, ce n’est pas une solution. Ce serait chosifier le problème que de dire qu’il y a une autre personnalité. On n’a d’ailleurs pas attendu Freud pour formuler ça – un monsieur nominé Janet, travailleur non sans mérite encore qu’éclipsé par la découverte freu­dienne, avait cru s’apercevoir en effet que dans certains cas se produisait chez le sujet un phénomène de double personnalité, et il s’en était tenu là, parce qu’il était psychologue. C’était pour lui une curiosité psychologi­que, ou un fait d’observation psychologique – ce qui revient au même – historiolae, disait Spinoza, des petites histoires.

Freud, lui, ne nous présente pas les choses sous la forme d’une petite histoire, il pose le problème en son point essentiel – qu’est-ce que le sens ? Quand il dit les pensées, voilà ce qu’il désigne, et pas autre chose.

Il faut préciser – quel est le sens du comportement de notre prochain, quand nous sommes avec lui dans cette relation tout à fait spéciale qui a été inaugurée par Freud dans son abord des névroses. Faut-il chercher la réponse dans les traits exceptionnels, anormaux, pathologiques, du comportement de l’autre ? Ce n’est pas ce que fait Freud. Lui cherche la réponse en posant la question là où le sujet lui-même peut se la poser-il analyse ses propres rêves.

IV L’AMOUR ET LE SIGNIFIANT

16 janvier 1973

 

L’Autre sexe.

Contingence du signifiant, routine du signifié.

La fin du monde et le par-être.

L’amour supplée à l’absence du rapport sexuel.

Les Uns.

Depuis longtemps je mets en doute ce que Freud, sur ladite révolution, a cru pouvoir avancer. Le discours de l’hystérique lui a appris cette autre substance qui tout entière tient en ceci qu’il y a du signifiant. A recueillir l’effet de ce signifiant, dans le discours de l’hystérique, il a su le faire tourner de ce quart de tour qui en a fait le discours analytique.

La notion même de quart de tour évoque la révolution, mais certes pas dans le sens où révolution est subversion. Bien au contraire, ce qui tourne -c’est ce qu’on appelle révolution – est destiné, de son énoncé même, à évoquer le retour.

Assurément, nous ne sommes point à l’achèvement de ce retour, puisque c’est déjà de façon fort pénible que ce quart de tour s’accomplit. Mais il n’est pas trop d’évoquer que s’il y a eu quelque part révolution, ce n’est certes pas au niveau de Copernic. Depuis longtemps l’hypothèse avait été avancée que le soleil était peut-être bien le centre autour duquel ça tournait. Mais qu’importe? Ce qui importait aux mathématiciens, c’est assurément le départ de ce qui tourne. La virée éternelle des étoiles de la dernière des sphères supposait selon Aristote la sphère de l’immobile, cause première du mouvement de celles qui tournent. Si les étoiles tournent, c’est de ce que la terre tourne sur elle-même. C’est déjà merveille que, de cette virée, de cette révolution, de ce tournage éternel de la sphère stellaire, il se soit trouvé des hommes pour forger d’autres sphères, concevoir le système dit ptolémaïque, et faire tourner les planètes, qui se trouvent au regard de la terre dans cette position ambiguë d’aller et de venir en dents de crochet, selon un mouvement oscillatoire.

Avoir cogité le mouvement des sphères, n’est-ce pas un tour de force extraordinaire? Copernic n’y ajoutait que cette remarque, que peut-être le mouvement des sphères intermédiaires pouvait s’exprimer autrement. Que la terre fût au centre ou non n’était pas ce qui lui importait le plus.

La révolution copernicienne n’est nullement une révolution. Si le centre d’une sphère est supposé, dans un discours qui n’est qu’analogique, consti­tuer le point-maître, le fait de changer ce point-maître, de le faire occuper par la terre ou le soleil, n’a rien en soi qui subvertisse ce que le signifiant centre conserve de lui-même. Loin que l’homme – ce qui se désigne de ce terme, qui n’est que ce qui fait signifier – ait jamais été ébranlé par la découverte que la terre n’est pas au centre, il lui a fort bien substitué le soleil.

Bien sûr, il est maintenant évident que le soleil n’est pas non plus un centre, et qu’il est en promenade à travers un espace dont le statut est de plus en plus précaire à établir. Ce qui reste au centre, c’est cette bonne routine qui fait que le signifié garde en fin de compte toujours le même sens. Ce sens est donné par le sentiment que chacun a de faire partie de son monde, c’est-à­-dire de sa petite famille et de tout ce qui tourne autour. Chacun de vous -je parle même pour les gauchistes – vous y êtes plus que vous ne croyez attachés, et dans une mesure dont vous feriez bien de prendre l’empan. Un certain nombre de préjugés vous font assiette et limitent la portée de vos insurrections au terme le plus court, à celui, très précisément, où cela ne vous apporte nulle gêne, et nommément pas dans une conception du monde qui reste, elle, parfaitement sphérique. Le signifié trouve son centre où que vous le portiez. Et ce n’est pas jusqu’à nouvel ordre le discours analytique, si difficile à soutenir dans son décentrement et qui n’a pas fait encore son entrée dans la conscience commune, qui peut d’aucune façon subvertir quoi que ce soit.

Pourtant, si on me permet de me servir quand même de cette référence copernicienne, j’en accentuerai ce qu’elle a d’effectif. Ce n’est pas de changer le centre.

Ça tourne. Le fait continue à garder pour nous toute sa valeur, si réduit qu’il soit en fin de compte, et motivé seulement de ce que la terre tourne et qu’il nous semble par là que c’est la sphère céleste qui tourne. Elle continue bel et bien à tourner, et elle a toutes sortes d’effets, par exemple que c’est par années que vous comptez votre âge. La subversion, si elle a existé quelque part et à un moment, n’est pas d’avoir changé le point de virée de ce qui tourne, c’est d’avoir substitué au ça tourne un ça tombe.

Le point vif, comme quelques-uns ont eu l’idée de s’en apercevoir, n’est pas Copernic, c’est un peu plus Kepler, à cause du fait que chez lui ça ne tourne pas de la même façon – ça tourne en ellipse, et ça met déjà en ques­tion la fonction du centre. Ce vers quoi ça tombe chez Kepler est en un point de l’ellipse qui s’appelle le foyer, et, dans le point symétrique, il n’y a rien. Cela assurément est correctif à cette image du centre. Mais le ça tombe ne prend son poids de subversion qu’à aboutir à quoi? A ceci et rien de plus –

F = g mm’

C’est dans cet écrit, dans ce qui se résume à ces cinq petites lettres écrites au creux de la main, avec un chiffre en plus, que consiste ce qu’on attribue indûment à Copernic. C’est ce qui nous arrache à la fonction imaginaire, et pourtant fondée dans le réel, de la révolution.

Ce qui est produit dans l’articulation de ce nouveau discours qui émerge comme discours de l’analyse c’est que le départ est pris de la fonction du signifiant, bien loin que soit admis par le vécu du fait lui-même ce que le signifiant emporte de ses effets de signifié.

C’est à partir des effets de signifié que s’est édifiée la structuration que je vous ai rappelée. Pendant des temps, il a semblé naturel qu’un monde se constituât, dont le corrélat était, au-delà, l’être même, l’être pris comme éternel. Ce monde conçu comme le tout, avec ce que ce mot comporte, quelque ouverture qu’on lui donne, de limité, reste une conception -c’est bien là le mot – une vue, un regard, une prise imaginaire. Et de cela résulte ceci qui reste étrange, que quelqu’un, une partie de ce monde, est au départ supposé pouvoir en prendre connaissance. Cet Un s’y trouve dans cet état qu’on peut appeler l’existence, car comment pourrait-il être support du prendre connaissance s’il n’était pas existant? C’est là que de tou­jours s’est marquée l’impasse, la vacillation résultant de cette cosmologie qui consiste dans l’admission d’un monde. Au contraire est-ce qu’il n’y a pas dans le discours analytique de quoi nous introduire à ceci que toute sub­sistance, toute persistance du monde comme tel doit être abandonnée?

Le langage – la langue forgée du discours philosophique – est tel qu’à tout instant, vous le voyez, je ne peux faire que je ne régisse dans ce monde, dans ce supposé d’une substance qui se trouve imprégnée de la fonction de l’être.

E43

Suivre le fil du discours analytique ne tend à rien de moins qu’à rebriser, qu’à infléchir, qu’à marquer d’une incurvation propre et d’une incurvation qui ne saurait même être maintenue comme étant celle de lignes de force, ce qui produit comme telle la faille, la discontinuité. Notre recours est, dans lalangue, ce qui la brise. Si bien que rien ne paraît mieux constituer l’horizon du discours analytique que cet emploi qui est fait de la lettre par la mathématique. La lettre révèle dans le discours ce qui, pas par hasard, pas sans nécessité, est appelé la grammaire. La grammaire est ce qui ne se révèle du langage qu’à- l’écrit.

Au-delà du langage, cet effet, qui se produit de se supporter seulement de l’écriture, est assurément l’idéal de la mathématique. Or, se refuser la référence à l’écrit, c’est s’interdire ce qui, de tous les effets de langage, peut arriver à s’articuler. Cette articulation se fait dans ce qui résulte du langage quoi que nous fassions, à savoir un supposé en deçà et au-delà.

Supposer un en-deçà – nous sentons bien qu’il n’y a là qu’une référence intuitive. Et pourtant, cette supposition est inéliminable parce que le langage, dans son effet de signifié, n’est jamais qu’à côté du référent. Dès lors, n’est il pas vrai que le langage nous impose l’être et nous oblige comme tel à admettre que, de l’être, nous n’avons jamais rien?

Ce à quoi il faut nous rompre, c’est à substituer à cet être qui fuirait le par-être, soit l’être para, l’être à côté.

Je dis le par-être, et non le paraître, comme on l’a dit depuis toujours, le phénomène, ce au-delà de quoi il y aurait cette chose, noumène – elle nous a en effet menés, menés à toutes les opacifications qui se dénomment juste­ment de l’obscurantisme. C’est au point même d’où jaillissent les paradoxes de tout ce qui arrive à se formuler comme effet d’écrit que l’être se pré­sente, se présente toujours, de par-être. Il faudrait apprendre à conjuguer comme il se doit – je par-suis, tu par-es, il par-est, nous par-sommes, et ainsi de suite.

Mais nous apprenons que l’analyse consiste à jouer sur les mul­tiples portées de la partition que la parole constitue dans les regis­tres du langage : dont relève la surdétermination qui n’a de sens que dans cet ordre.

Et nous tenons du même coup le ressort du succès de Freud. Pour que le message de l’analyste réponde à l’interrogation pro­fonde du sujet, il faut en effet que le sujet l’entende comme la réponse qui lui est particulière, et le privilège qu’avaient les patients de Freud d’en recevoir la bonne parole de la bouche même de celui qui en était l’annonciateur, satisfaisait en eux cette exigence.

Notons au passage qu’ici le sujet en avait eu un avant-goût à entrouvrir la Psychopathologie de la vie quotidienne, ouvrage alors dans la fraîcheur de sa parution.

Ce n’est pas dire que ce livre soit beaucoup plus connu mainte-nant même des analystes, mais la vulgarisation des notions freu­diennes dans la conscience commune, leur rentrée dans ce que nous appelons le mur du langage, amortirait l’effet de notre parole, si nous lui donnions le style des propos tenus par Freud à l’homme aux rats.(H&R)

Mais il n’est pas question ici de l’imiter. Pour retrouver l’effet de la parole de Freud, ce n’est pas à ses termes que nous recourrons, mais aux principes qui la gouvernent.

Ces principes ne sont rien d’autre que la dialectique de la conscience de soi, telle qu’elle se réalise de Socrate à Hegel, à partir de la supposition ironique que tout ce qui est rationnel est réel pour se précipiter dans le jugement scientifique que tout ce qui est réel est rationnel. Mais la découverte freudienne a été de démontrer que ce procès vérifiant n’atteint authentiquement le sujet qu’à le décentrer de la conscience de soi, dans l’axe de laquelle la main-tenait la reconstruction hégélienne de la phéno­ménologie de l’esprit : c’est dire qu’elle rend encore plus caduque toute recherche de « prise de conscience » qui au-delà de son phé­nomène psychologique, ne s’inscrirait pas dans la conjoncture du moment particulier qui seul donne corps à l’universel et faute de quoi il se dissipes en généralité.

Ces remarques définissent les limites dans lesquelles il est impossible à notre technique de méconnaître les moments struc­turants de la phénoménologie hégélienne : au premier chef la dialectique du Maître et de l’Esclave, ou celle de la belle âme et de la loi du cœur, et généralement tout ce qui nous permet de comprendre comment la constitution de l’objet se subordonne à la réalisation du sujet.

Mais s’il restait quelque chose de prophétique dans l’exigence, où se mesure le génie de Hegel, de l’identité foncière du parti­culier à l’universel, c’est bien la psychanalyse qui lui apporte son paradigme en livrant la structure où cette identité se réalise comme disjoignante du sujet, et sans en appeler à demain.

Disons seulement que c’est là ce qui objecte pour nous à toute référence à la totalité dans l’individu, puisque le sujet y introduit la division, aussi bien que dans le collectif qui en est l’équivalent, La psychanalyse est proprement ce qui renvoie l’un et l’autre (à) leur position de mirage.

Ceci semblerait ne plus pouvoir être oublié, si précisément ce n’était l’enseignement de la psychanalyse que ce soit oubliable, – dont il se trouve, par un retour plus légitime qu’on ne croit,

E292

que la confirmation nous vient des psychanalystes eux-mêmes, de ce que leurs « nouvelles tendances » représentent cet oubli. Que si Hegel vient d’autre part fort à point pour donner un sens qui ne soit pas de stupeur à notre dite neutralité, ce n’est pas que nous n’ayons rien à prendre de l’élasticité de la maïeutique de Socrate, voire du procédé fascinant de la technique où Platon nous la présente, – ne serait-ce qu’à éprouver en Socrate et son désir, l’énigme intacte du psychanalyste, et à situer par rapport à la scopie platonicienne notre rapport à la vérité : dans ce cas d’une façon qui respecte la distance qu’il y a de la réminiscence que Platon est amené à supposer à tout avènement de l’idée, à l’exhaustion de l’être qui se consomme dans la répétition de Kierkegaard.

Mais il est aussi une différence historique qu’il n’est pas vain de mesurer de l’interlocuteur de Socrate au nôtre. Quand Socrate prend appui sur une raison artisane qu’il peut extraire aussi bien du discours de l’esclave, c’est pour faire accéder d’authenti­ques maîtres à la nécessité d’un ordre qui fasse justice de leur puissance et vérité des maîtres-mots de la cité. Mais nous avons affaire à des esclaves qui se croient être des maîtres et qui trouvent dans un langage de mission universelle le soutien de leur ser­vitude avec les liens de son ambiguïté. Si bien qu’on pourrait dire avec humour que notre but est de restituer en eux la liberté souveraine dont fait preuve Humpty Dumpty quand il rappelle à Alice qu’après tout il est le maître du signifiant, s’il ne l’est pas du signifié où son être a pris sa forme.

LA DIRECTION DE LA CURE

désir qui est bien d’un autre ordre, puisque Freud l’ordonne comme le désir d’avoir un désir insatisfait ((Voici ce rêve tel qu’il est consigné du récit qu’en fait la patiente à la page 152 des G. IIV., II-111 : a Je veux donner un dîner. Mais il ne me reste qu’un peu de saumon fumé. Je me mets en tête de faire le marché, quand je me rappelle que c’est dimanche après-midi et que tous les magasins sont fermés. Je me dis que je vais appeler au télé­phone chez quelques fournisseurs. Mais le téléphone est en dérangement. Ainsi il me faut renoncer à mon envie de donner un dîner.)) .

Qu’on compte le nombre de renvois qui s’exercent ici pour porter le désir à une puissance géométriquement croissante. Un seul indice ne suffirait pas à en caractériser le degré. Car il faudrait distinguer deux dimensions à ces renvois : un désir de désir, autrement dit un désir signifié par un désir (le désir chez l’hystérique d’avoir un désir insatisfait, est signifié par son désir de caviar : le désir de caviar est son signifiant), s’inscrit dans le registre différent d’un désir substitué à un désir (dans le rêve, le désir de saumon fumé propre à l’amie est substitué au désir de caviar de la patiente, ce qui constitue la substitution d’un signifiant à un signifiant) ((En quoi Freud motive l’identification hystérique, de préciser que le saumon fumé joue pour l’amie le même rôle que le caviar joue pour la patiente.)) .

Ce que nous trouvons ainsi n’a rien de microscopique, pas plus qu’il n’y a besoin d’instruments spéciaux pour reconnaître que la feuille a les traits de structure de la plante dont elle est détachée. Même à n’avoir jamais vu de plante que dépouillée de feuille, on s’apercevrait tout de suite qu’une feuille est plus vrai­semblablement une partie de la plante qu’un morceau de peau.

Le désir du rêve de l’hystérique, mais aussi bien n’importe quel bout de rien à sa place dans ce texte de Freud, résume ce que tout le livre explique des mécanismes dits inconscients, condensation, glissement, etc.., en attestant leur structure commune : soit la rela­tion du désir à cette marque du langage, qui spécifie l’inconscient freudien et décentre notre conception du sujet.

Je pense que mes élèves apprécieront l’accès que je donne ici à l’opposition fondamentale du signifiant au signifié, où je leur démontre que commencent les pouvoirs du langage, non sans qu’à en concevoir l’exercice, je ne leur laisse du fil à retordre.

 

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