samedi, avril 27, 2024
Recherches Lacan

LXXI LES NON-DUPES ERRENT Leçon XIV 21 mai 1974

LES NON-DUPES ERRENT

 

Leçon XIV 21 mai 1974

 

Je m’excuse de ce retard et vous remercie de m’avoir attendu. Vous voyez que je persévère, quant à ce fondement que cette année je donne à mon discours dans le nœud borroméen. Le nœud borroméen est ici justifié de matérialiser, de présenter cette référence à l’écriture. Le nœud borroméen n’est, dans l’occasion, que mode d’écriture. Il se trouve en somme présentifier le registre du Réel.

Quand, au départ, je me suis interrogé sur ce qu’était l’inconscient, je n’ai entendu le prendre qu’au niveau de ce qui constitue effectivement l’expérience analytique. À ce moment, je n’avais d’aucune façon élaboré le discours comme tel; la notion, la fonction de discours ne devait venir que plus tard, c’est pour autant que ce discours est où se situe un lien social et donc, il faut le dire, politique, c’est autant que ce discours le situe, que j’ai parlé de discours. Mais je ne partais que de l’expérience, et dans cette expérience, il est clair que le langage, que quelque chose qui, incontestablement s’impose de la pratique de l’analyse, que la pratique de l’analyse est fondée sur un pathétique, sur un pathétique qu’il s’agit de situer, et il s’agit de situer comment on y intervient.

Intervenir fait surgir la notion d’acte. Il est essentiel également de la penser, cette notion d’acte, et de démontrer comment il peut venir à consister d’un dire. J’ai, dans le temps, comme on dit, cru devoir faire remarquer que l’analyste, non seulement n’opère que de parole, mais se spécifie de n’opérer que de cela. Refusant cette intervention sur le corps, par exemple, qui passe par l’absorption, sous une forme quelconque, de substances qui entrent dès lors dans la dynamique chimique du corps, par exemple les médicaments, on appelle ça, bon. Le point où j’en suis, c’est simplement quelque chose, le tour, n’est-ce pas, c’est le cercle que vous voyez ici dessiné c’est qu’il y a un lien – mais il s’agit de savoir lequel, entre le sexe et la parole. Il est clair que le sexe comporte la dua­lité de la structure corporelle. Dualité qui se réfléchit en cascade, si on peut dire, sur la dualité par exemple du soma et du germen, sur l’oppo­sition du vivant au monde inanimé, etc.

La notion de dualité suffit-elle à homogénéiser tout ce qui est deux? Vous voyez tout de suite que ce n’est pas vrai, la seule énumération que j’ai fait, n’est-ce pas, de la dualité de structure corporelle, de la dualité du soma et du germen, de l’opposition du vivant au monde inanimé, ça doit vous suffire à voir que cette polarité, pour l’appeler par son nom, n’ho­mogénéise nullement la série des pôles dont il s’agit, n’est-ce pas. Elle ne suffit d’aucune façon à faire que la notion de monde, ou d’univers, soit corrélée à cette chose impensable qu’est le sujet, en tant qu’il serait quoi ? le reflet, la conscience dudit monde. Et ceci en raison de ce que J’appel­lerai le pathétique des sens. Il n’y a pas lieu de s’émerveiller qu’il y ait un être pour connaître quoi ? le reste, n’est-ce pas, et c’est évidemment de tout temps que la métaphore du rapport sexuel a été choyée pour cette dualité patente. Patente, mais spécifiée, locale, distincte des autres duali­tés, d’où l’accent donné au mot « connaître », d’où aussi l’idée d’actif et de passif, sans qu’on puisse savoir d’ailleurs dans cette polarité dite du sujet et du monde, où est l’actif, où est le passif. Il n’y a aucun besoin d’un actif pour que le pathétique subsiste et s’atteste dans notre vécu, comme on dit, n’est-ce pas : nous souffrons. C’est de ça qu’il s’agit quand il s’agit de l’analyse. Nous agissons aussi pour en sortir, de cette souffrance, et à l’occasion, nous nous y mettons à beaucoup; il s’agit de savoir ce que sont deux personnes, comme on dit, c’est-à-dire deux ani­maux situés d’une organisation politique très spécifiée parce que j’ai appelé un discours, il s’agit de savoir ce qu’est le dire d’un échange ritua­lisé de paroles, et ce qu’on appelle, ce qui est supposé être en jeu dans cet exercice, à savoir l’inconscient.

Là, j’essaie de vous dire : il y a du savoir dans le Réel, qui fonctionne sans que nous puissions savoir comment l’articulation se fait dans ce que nous sommes habitués à voir se réaliser. Est-ce de cela qu’il s’agit et qu’il nous faudrait bien admettre, n’est-ce pas, comme relevant d’une pensée ordonnatrice? C’est le parti que prennent religion et métaphysique, qui sont en cela du même côté : elles se donnent la main dans les supposi­tions qu’elles ordonnent à l’être.

Alors, ce que je veux dire, c’est que le savoir inconscient, celui que sup­pose Freud, se distingue de ce savoir dans le Réel tel que, quoi qu’on en ait, même la science arrive à le faire providentiel, ce savoir, c’est-à-dire que quelque chose, un sujet, l’assure comme harmonique. Ce qu’avance Freud – mais ce n’est pas tout, je le note en passant – c’est qu’il n’est pas pro­videntiel, c’est qu’il est dramatique. Fait de quelque chose qui part d’un défaut dans l’être, d’une dysharmonie entre la pensée et le monde, et que ce savoir est au cœur de ce quelque chose que nous dénommons ek-sis­tence, parce qu’elle insiste du dehors et qu’elle est dérangeante. C’est en ce sens que le rapport sexuel se montre chez l’être – que je ne suis pas le seul à caractériser d’être parlant, n’est-ce pas – qu’il se montre dérangé. Ceci en contraste avec tout ce qui semble se passer chez les autres êtres. C’est même de là qu’est venue la distinction de la nature et de la culture. Et très précisément cette nature, si je puis dire, il nous faut bien ici la caractériser de n’être pas si naturelle que ça. Parce que de là où nous vivons, la nature ne s’impose pas. À nous, ce qui s’impose, c’est un autre mode, un autre mode de savoir, un savoir qui d’aucune façon n’est attribuable à un sujet qui y présiderait à l’ordre, qui y présiderait à l’harmonie, et c’est en cela que, tout d’abord, dans mes premiers énoncés, pour caractériser l’incons­cient de Freud, il y avait une formule que je me trouve… – où je suis revenu plusieurs fois – que je me trouve avoir avancée à Sainte-Anne, qui est celle-ci : que Dieu ne croit pas en Dieu.

Dire : « Dieu ne croit pas en Dieu », c’est exactement dire la même chose que de dire « y’a d’l’inconscient ». Bien sûr, vu l’ordre d’auditoire, n’est-ce pas, que j’avais alors, à savoir les psychanalystes tels qu’ils pou­vaient à cette époque se présenter, ça ne faisait aucun effet; ça ne faisait aucun effet mis à part ceci qu’ils me posassent la question si, si moi j’y croyais, enfin. Il y a quelqu’un depuis, enfin, n’est-ce pas, qui m’a défi­ni en disant que j’étais quelqu’un qui croyait qu’il était Lacan, n’est-ce pas, c’était la façon dont j’avais moi-même défini Napoléon, mais… sur la fin de sa vie, enfin, au moment où en somme, mon Dieu, il était fou, n’est-ce pas, car croire en son propre nom, enfin, c’est… c’en est la défi­nition même. Bon. Contrairement à ce qu’imaginait le nommé Gabriel Marcel, enfin,) e ne crois pas en Lacan. Mais je pose la question de savoir s’il n’y a pas stricte consistance entre ce que Freud avance comme étant l’inconscient, et le fait que Dieu, il n’y ait personne pour y croire, sur­tout pas lui-même, car c’est en ça que consiste le savoir de l’inconscient.

Le savoir de l’inconscient est tout le contraire de l’instinct, c’est-à-dire de ce qui préside, enfin, non seulement à l’idée de nature, mais à toute idée d’harmonie, c’est pour autant que, quelque part, il y a cette faille qui fait que la chose la plus naturelle, si l’on peut dire, celle qui nous paraît de notre point de vue, quand nous regardons, quoi! des ani­maux, soit de tout à fait autres, des objets dans le monde : nous faisons là-dessus toutes les extrapolations que nous pouvons. Ce que nous constatons c’est quelque chose qui, entre deux corps semble faire quelque chose qui incontestablement est tout à fait différent, d’ailleurs, chez la plupart des espèces, que le rapport du corps dit masculin à celui qui s’avoue féminin, à savoir qu’il y a en somme entre ces deux corps, je dirai très peu de ressemblance, alors que chez les animaux, ce qui est frappant c’est à quel point le mâle et la femelle – disons le mot pour aller vite et indiquer ma pensée – sont narcissiques.

Alors, je voudrais avancer aujourd’hui, parce qu’il faut quand même que j’avance quelque chose, quelque chose qui est important, n’est-ce pas, c’est que si j’ai mis l’accent sur ceci que ce qui au rapport sexuel fait obstacle, ce n’est rien d’autre que cette fonction que je me suis trouvé la dernière fois ré-écrire au tableau sous la forme (Dx et dont ce n’est pas pour rien que je l’ai écrite ainsi, mathématiquement, c’est pour autant que ce qui peut s’écrire, j’y fais confiance d’être dans la bonne direction pour en atteindre le Réel. Qu’est-ce à dire ? Est-ce que parce qu’ici il m’arrive quelquefois – dans toute la mesure où vous me le permettez à cause de ce micro – d’écrire des choses au tableau, est-ce que c’est là ce qui supporte ma relation avec vous telle qu’elle s’instaure dans ce dis­cours ? Je ne le crois pas, j’en pose sans cesse la question : ce que je veux pointer ici, c’est ceci qui importe, c’est que je dis, je dis toujours la véri­té, et que cela qui s’inscrit dans le Symbolique, je dis toujours la vérité, non pas seulement que je la répète, je fraye la voie qui fait exister un dire, et que votre rapport avec moi dans cette situation, c’est que cela vous fait jouir. J’en ai plus d’une fois posé la question, enfin, je tourne autour, mais ce qui est certain, c’est que là se trouve l’accent, enfin, de ce juste dire que j’essaie d’énoncer pour autant qu’ailleurs sans doute, je prends appui sur l’écriture, mais que c’est du côté de l’écriture que se concentre ce où j’essaie d’interroger de l’inconscient quand je dis que l’inconscient, c’est quelque chose dans le Réel.

J’ai dit « savoir », d’un autre côté, mais j’ai aussi souligné ceci : que si cette dimension de savoir touche aux bords du Réel, que c’est à saisir, à jouer avec ce que j’appellerai, enfin, les fronces, les bords du Réel, c’est pour autant que je fais foi à ceci que seule l’écriture supporte comme telle ce Réel, que je peux dire quelque chose qui soit orienté simplement, simplement orienté. Parce que dire la vérité, c’est si je puis dire, à la por­tée de tout le monde, et d’une certaine façon, la vérité, pour nous, dans l’expérience analytique, c’est notre étoffe; c’est notre étoffe en quoi ? en ceci qu’elle est la vérité sur ce pathétique, sur cette souffrance que comme telle j’ai désignée, ce qui amène à ce cernage d’une expérience structurée comme un discours. Et ces discours j’en ai tenté d’en faire l’articulation, mais l’articulation écrite : ce n’est qu’en cela que quelque chose peut y témoigner du Réel.

Alors de quoi s’agit-il quand la dernière fois, je vous ai rappelé les quatre termes, les quatre ponctuations, ponctuations écrites de l’identi­fication que je n’appellerai en l’occasion pas « sexuelle » mais « sexuée », quand j’ai rappelé que le nœud borroméen permettait de situer chacune de ces écritures dans quelque chose qui se repère à partir du nœud pri­mitif, du nœud tel que je vous l’ai montré comme j’ai pu avec des ronds, des ronds de ficelle que je tenais dans la main, dans les quatre quadrants qu’ils déterminent, qu’ils déterminent à partir d’une première mise à plat, et d’une première mise à plat en ceci qu’il faut que deux de ces ronds – et j’ai dit deux et pas les mêmes, pas le même puisque aussi bien, si c’était le même il reviendrait à la même place, c’est à savoir qu’il en faut deux, deux différents pour qu’on parvienne à un quadrant qui s’homo­logue au premier mis à plat. J’ai cru pouvoir, pouvoir à ce moment vous le montrer au tableau d’une façon qui était évidemment aventurée, puisque, comme vous avez pu le voir – et à ma grande exaspération – j’y ai pataugé, n’est-ce pas. J’y ai pataugé parce que, chose curieuse, il y a en somme, c’est cela que cette expérience signifie, il y a quelque chose de… de pas encore maîtrisé dans – vous le savez, je vous l’ai indiqué, je vous le rappelle – de non encore maîtrisé dans ce qui est de l’ordre des nœuds. C’est étrange, c’est singulier, quoique déjà quelque chose a pu en être avancé, que le nœud borroméen ait été identifié à la tresse à six mou­vements, six, et pas trois, comme il semblerait pouvoir y paraître, c’est déjà quelque chose, et aujourd’hui ce que je vous montre… à mettre… à rapporter à ce que je vous avais déjà marqué, déjà écrit, déjà écrit comme étant la forme la plus simple, la plus simple du nœud borroméen qui est très exactement celle-ci, c’est-à-dire celle où nulle part il n’y a un troi­sième rond, le troisième rond ici n’étant représenté que par une droite que vous me permettez de supposer infinie. C’est une supposition tout à fait capitale et en elle-même éclairante, dirai-je, éclairante en ceci qu’il est très connu, c’est la première remarque que toute élaboration des nœuds, celle d’un Artin, par exemple, dont peut-être vous connaissez le volume – certains d’entre vous en tout cas se le sont sûrement procuré – celle d’un Artin qui dit ceci : c’est qu’il n’y a qu’une seule façon sur une simple ligne d’affirmer que le nœud ne peut pas être dénoué, c’est de deux choses l’une : ou que ses deux bouts s’étendent en effet à l’infi­ni, ce qui rend impossible de méconnaître quoi que ce soit qui se soit formé en nœud, ou que les deux bouts s’en rejoignent, auquel cas il se contrôle si oui ou non c’est bien un nœud.

Qu’est-ce que ceci nous suggère comme remarque? C’est que si cette droite, cette droite dont consiste le nœud, borroméen en l’occasion, et qui se spécifie de ceci de croiser les nœuds, je dirai, d’une façon qui coupe le premier pour autant que le premier coupe le second, ce qui du même coup impose l’alternance, c’est à savoir qu’il coupera le premier et sera coupé par le second qu’il rencontre en tant que lui-même est inter­ne au premier rond et qu’il coupera donc les deux fois le rond bleu de même qu’il sera coupé les deux fois par le rond vert, le rond bleu et le rond vert se distinguant de ceci : c’est que le rond bleu coupe le rond vert.

C’est donc d’un rapport triadique que se situe dans l’occasion ce qui fait le nœud : et vous pouvez voir que la droite infinie impose, impose ceci qu’on ne peut lui donner aucune orientation. Car d’où part-elle ? Il faut savoir s’il y a un début pour que par rapport à ce début une orien­tation soit prise.

Par contre, il suffit que cette droite infinie soit raboutée en rond, pour nous exprimer d’une façon qui n’implique nulle forme géométrique mais seulement une consistance, pour que du fait même que nous lui donnons consistance de rond, il apparaisse quelque chose qui est de l’ordre de l’orientation, non pas sur ce que j’ai appelé à l’instant cette droite que tout d’un coup j’ai faite rond, mais dans le nœud lui-même, car vous voyez – je vous l’ai marqué à chaque fois par une correspondance – que c’est du fait que l’individu ici spécifié d’être orange ou jaune, c’est du fait qu’il est mis à plat sous la forme d’un rond, c’est de ce fait et de rien d’autre, qu’apparaît ici cette orientation que je peux appeler lévo­gyre, si je m’oblige à suivre la direction que m’indique chacun des trois, à l’extérieur du nœud qu’ils font, alors que de l’autre côté, c’est tout dif­féremment, à savoir ici dextrogyre, que les ronds apparaissent. C’est en tant qu’ici nous avons les choses sous cette forme que nous pouvons dire que ce qui, dans l’autre, s’est présenté sous un certain mode est précisé­ment, dans l’autre forme, inversé.

Il est clair que c’est pour autant que nous prenons les choses sous cette forme que nous avons ici une forme dextrogyre, de même que c’est pour autant que nous prenons ici les choses sous le bord, sous le côté opposé au point où nous avons rabattu la ligne orange, que nous avons ici une forme lévogyre. Ça veut dire que ce qui apparaît ici, c’est quelque chose de cet ordre-là. Nous constatons du même coup ceci: c’est que par rapport à ce qui s’est inversé, à savoir la ligne orange, il y a inversion de côté : ici la ligne bleue est à droite, ici, elle est à gauche, et c’est dans un rapport d’extrémité par rapport à la ligne orange que la ligne verte se trouve. C’est à savoir qu’il est facile de comprendre, c’est ce que j’ai essayé de vous montrer la dernière fois, à savoir qu’en rabattant un des ronds de ficelle par rapport aux deux autres, ce que nous trouvons c’est bien entendu que c’est ailleurs, ailleurs sur un de ces cercles, à savoir [lapsus] celui qui est ici, le vert – que c’est celui qui est ici, le bleu, que c’est ailleurs que nous nous trouvons le couper, autrement dit, que la ligne jaune [dite orange, précédemment] pour autant que c’est celle que nous avons rabattue, se continue et coupe.

Il y a donc à chaque fois quelque chose qui change, qui change dans l’orientation du nœud. Chaque fois que nous passons d’un quadrant, d’un quadrant dans un autre, il y a quelque chose qui change dans l’orientation du nœud. Et c’est en ça que le nœud, les nœuds se spéci­fient quatre par quatre, qu’ils ont ce rapport entre eux que j’ai qualifié l’autre jour de tétraédrique, et où j’ai voulu reconnaître ce qu’il en est du mode des quatre places réservées aux modes de l’identification, de l’identification dite sexuée. Il est évidemment frappant que vous voyez qu’aujourd’hui encore, n’est-ce pas, je me suis trouvé, même sous cette forme ultrasimple, en difficulté, n’est-ce pas à vous faire sentir, en difficulté à le démontrer moi-même dans l’écriture, ce qu’il en est de l’effet, de l’effet de rabattement, pour autant que déjà ce dont il s’agit est un des termes choisi comme tel et distingué des deux autres en quelque sorte préalablement.

Il est certain que c’est en ceci que cet objet d’écriture nous présente quelque chose de particulièrement saisissant : c’est que voilà une écritu­re qu’en quelque sorte, je dirai, nous maîtrisons difficilement; c’est assez frappant que déjà dans un second temps, c’est-à-dire après avoir cru que je m’en tirerai bien à mon aise par cet artifice, que je me suis trouvé de nouveau, avec cette écriture, m’embarrasser, m’embrouiller. Est-ce que ce n’est pas là le signe de ce quelque chose qui a présidé à l’aversion, aversion tout à fait frappante quant aux mathématiques, aversion qui s’est produite à l’égard de ce qu’il est des nœuds. Car après tout, il n’au­rait pas été inconcevable que ce quelque chose qui s’est dessiné dans une géométrie développée qui a fonctionné effectivement tout à fait comme écriture, écriture par quoi s’est amorcée la science, je veux dire dans la géométrie grecque, il est tout à fait frappant de voir que ç’aurait pu aussi bien être, être dans un effort concernant le coinçage, par exemple qui se produit quand nous écartons ici ce nœud par rapport à la ligne qui sert à le constituer à proprement parler comme nœud, de même qu’à le rabattre ici, nous voyons bien manifestement que nous coinçons quelque chose, coinçons, quoi dire sinon ce dont il s’agit, c’est à savoir quelque chose de coincé, il n’y a rien à en dire de plus, et c’est ce coincé qui est en cause, qui est en cause dans cette fonction par quoi, pour dire le rapport du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel, je dis que c’est là qu’est pris quelque chose, quelque chose qui, dans l’occasion, est bien, en effet, le sujet. Encore faut-il que ce quelque chose, je tente de l’éclai­rer, je tente de l’éclairer en quelque sorte en individualisant ce qu’est bien chacun de ces ronds, c’est à savoir en quoi le Symbolique diffère de l’Imaginaire et diffère du Réel.

Pour éclairer très vite, comme je peux le faire, pas plus, cette lanterne, je dirai que le Symbolique, j’avancerai que le Symbolique est de l’ordre du Un, ce Un que, la dernière fois, je vous ai déjà avancé comme consti­tuant dans l’ordre logique qu’essaie de construire notre Boole comme étant l’univers. je vous ai fait remarquer en même temps qu’il y a là quelque chose de contestable; car c’est déjà poser une hypothèse que de faire de l’univers quelque chose de Un. À l’encontre de ceci, et dans la ligne même où Boole procède en posant la formule

x(1-x)=0

à savoir : tout ce qui n’est pas x, c’est ce qui est x soustrait à l’Univers, et leur produit, leur intersection, leur rencontre est strictement égale à zéro. C’est sur cette base que Boole croit pouvoir avancer une formalisation de ce qu’il en est de la logique.

Tout à son opposé, je propose, je propose de donner au Un la valeur de ce dans quoi, par mon discours, consiste, consiste en tant que c’est elle qui fait obstacle au rapport sexuel, à savoir la jouissance phallique. C’est pour autant que la jouissance phallique – et là, disons que je la fais organe, je la suppose incarnée par ce qui, dans l’homme, y correspond comme organe – c’est pour autant que cette jouissance prend cet accent privilégié, privilégié telle qu’elle s’impose dans tout ce qui est de notre expérience, notre expérience analytique; c’est là autour, et parce que ce n’est que là, autour, autour de l’individu lui-même sexué qui le suppor­te, c’est pour autant que cette jouissance est privilégiée que toute l’expé­rience analytique s’ordonne. Et je propose, je propose ceci que ce soit à elle de rapporter la fonction du Un dans la formalisation logique telle que Boole la promeut.

En d’autres termes, que s’il y a signifiant – et signifiant, ce n’est pas signe : le signifiant se distingue du signe en ceci que du signe nous pou­vons faire circulation dans un monde objectivé, le signe c’est ce qui va de l’émetteur au récepteur et ce qui au récepteur fait signe de l’émetteur. Mais c’est tout au contraire sous la forme de ce que j’ai appelé le messa­ge reçu sous une forme inversée que se pose le signifiant pour qui c’est en tant qu’il a rapport à un autre signifiant qu’il fait surgir un sujet, à savoir dans sa configuration. Ce qui se suggère de ceci, c’est que pour autant que quelque chose qui est désigné dans Boole par un x, quelque chose se précipite comme signifiant, ce signifiant est en quelque sorte dérobé, soustrait, emprunté à la jouissance phallique elle-même, et c’est en tant que le signifiant en est le substitut que le signifiant même se trou­ve faire obstacle à ce que jamais s’en écrive ce que j’appelle le rapport sexuel, je veux dire quelque chose qui serait supposé pouvoir être écrit x R et puis y à savoir que d’aucune façon ne puisse s’écrire d’une façon mathématique ce qu’il en est de ce qui se présente comme fonction au regard de la fonction phallique elle-même. Je veux dire que c’est pour autant que ce qui s’écrit c’est négation de la fonction phallique elle-même, et tout à l’opposé qu’il n’y en ait pas, c’est à savoir qu’il n’existe pas de x pour dénier la fonction de x, pour s’y opposer, et qu’inversement j’introduise au niveau de l’Universelle ce quelque chose qui, adhérant à la fonction phallique, se caractérise d’un côté par un quanteur universel, un grand b’ inversé – vous savez que c’est ainsi que cela s’écrit mais dans l’autre, il met une barre négative, c’est-à-dire il dit qu’il y a quelque part une fonction qui s’y distingue de n’être « pas toute ».

 

 

Pas toute, qu’est-ce que cela veut dire ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y en ait deux. C’est dans la mesure où au niveau où s’articule ce « pas toute », il n’y a pas qu’une jouissance. Ici n’allez pas trop vite, ici n’allez pas trop vite et n’allez pas supposer que ce que je distingue, c’est je ne sais quoi comme ce qui sexuellement répondrait à cette prétendue division de la jouissance dite clitoridienne à la jouissance dite vaginale. Ce n’est pas de cela dont il s’agit. Ce dont je parle, c’est de cette distinc­tion qu’il faut faire de la jouissance phallique en tant que chez l’être par­lant elle prévaut et que c’est de là qu’est dérobée toute la fonction de la signifiance, qu’il y a une distinction à faire entre cette jouissance préva­lente pour autant qu’elle fait obstacle à ce qu’il en est du rapport sexuel, qu’il y a une distinction à faire de cette jouissance avec ceci que, à côté – je vous l’ai introduit l’autre jour, je pense suffisamment avec ce qu’il en était de l’arbre, de l’arbre dit de la science, de la science du Bien et du Mal – il y a ceci qu’assurément l’animal, l’animal se distingue de sub­sister non seulement en un corps, mais que ce corps comme tel ne s’identifie, n’a d’identité, non pas comme on le dit depuis toujours tradition­nellement, de la pensée, de ce je ne sais quoi qui de ce qu’il pense le ferait être, mais de ce qu’il puisse de lui-même. Je veux dire qu’il n’y a pas seu­lement cette aperception, appréhension, sensation, pression, toucher, vue, ou n’importe quel autre mode d’affectation par les sens, il y a qu’en tant qu’il consiste et qu’il consiste en un corps, ce dont il s’agit c’est d’une jouissance et d’une jouissance qui se trouve d’après notre expé­rience être d’un ordre autre que ce qu’il en est de la jouissance phallique.

C’est ainsi que ce que j’ai commencé dès le début de mon enseigne­ment par authentifier, par originaliser de la relation imaginaire, faisait référence à ce que j’appellerai l’homologie, la ressemblance, justement cette partie qui est tellement vacillante, quand il s’agit de l’être parlant, de l’homologie des corps. Que chez l’animal il nous faille bien constater que la jouissance phallique quelle qu’elle soit n’a pas la même prévalen­ce, n’a pas le même poids, le même poids en quelque sorte d’opposition qu’il a au regard de la jouissance en tant que deux corps jouissent l’un de l’autre, c’est là qu’est la faille par où s’abîme, si l’on peut dire, dans l’ex­périence analytique tout ce qui s’ordonne de l’amour. Que si l’on parle comme je l’ai dit, je l’ai évoqué antérieurement, si on parle de nœud, c’est faire allusion à l’embrassement, à l’étreinte, mais autre chose est la façon dont fait irruption dans la vie de chacun, cette jouissance qui, soit appartient, si l’on peut dire, à l’un de ces corps, mais à l’autre n’apparaît que sous cette forme, si l’on peut dire, de référence à un autre comme tel, même si quelque chose dans le corps peut lui donner un mince support, je veux dire au niveau de cet organe qui s’appelle le clitoris.

C’est en tant qu’il nous faut concevoir le Symbolique comme dérobé, soustrait à l’ordre Un de la jouissance phallique et en tant que le rapport des corps en tant que deux, de ce fait, ne peut que passer par la référen­ce, la réflexion à quelque chose qui est autre que le Symbolique, qui en est distinct, et c’est à savoir ce qui d’ores et déjà du trois apparaît dans la moindre écriture. Ce que le langage en quelque sorte sanctionne, c’est le fait que dans sa formalisation il impose autre chose que la simple homo­phonie du dire. C’est que c’est dans une lettre, et c’est en cela que le signifiant montre, montre cette précipitation par quoi l’être parlant peut avoir accès au Réel, c’est pour autant que de toujours chaque fois qu’il s’est agi de configurer quelque chose qui soit en quelque sorte la rencontre de ce qui s’émet, de ce qui s’émet comme plainte, comme énoncé d’une vérité, chaque fois qu’il s’agit de tout ce qu’il en est de ce mi-dire, mi-dire alterné, contrasté, chant alterné de ce qui laisse séparé en deux moitiés l’être parlant, chaque fois qu’il s’agit de cela, c’est toujours, c’est toujours d’une référence à l’écriture que ce qui dans le langage peut être situé trouve son Réel, et c’est en tant que j’essaierai de vous pousser plus loin cette référence au Réel, au Réel comme tiers que je laisserai cela aujourd’hui, m’excusant de n’avoir pas pu plus l’avancer.

 

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