vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LII LE MOI DANS LA THÉORIE DE FREUD ET DANS LA TECHNIQUE DE LA PSYCHANALYSE 1954-1955 Leçon du 17 Novembre 1954

Leçon du 17 Novembre 1954

Bonjour mes bons amis, alors on se retrouve…Je crois qu’il n’y a pas lieu de couper artificiellement nos propos, nos dia­logues, même dans les différentes séries où ils se poursuivent, et pour tout dire, je considère que nous pouvons sans aucun artifice, considérer com­prendre ensemble ce qui a été introduit hier soir près de vous, sur non seule­ment les problèmes du dialogue, mais un problème…sans doute non sans rai­son…traité dans les dialogues platoniciens que nous pouvons considérer comme s’insérant dans la chaîne de ce qui se poursuit ici comme enseigne­ment. On le peut sans artifice, parce que comme le disaient hier soir certains d’entre vous…qui ont appelé de leurs vœux cette sorte de conférence, et parti­culièrement ces précisions sur la fonction du dialogue platonicien…il n’aurait su être question d’en épuiser hier soir… à l’heure déjà avancée où nous étions parvenus …toutes les questions, voire les résonances, les retours. Je pense juste­ment que la fonction de telles conférences… dites à juste titre « extraordinaires » …est de servir pour chacun, en quelque sorte de point de cristallisation pour toutes sortes d’ouvertures, de points d’interrogation restés en suspens, aux frontières, aux limites de ce que nous poursuivons ici comme une ligne cen­trale se rapportant : à ce qu’est fondamentalement, à ce que doit être, à ce que devient notre technique.C’est pour cela qu’avant de commencer notre propos, qui est celui de cette année, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanaly­se, et la question de ce qu’est le moi, de ce que ça veut dire que le moi, ça nous entraînerait très loin, si vous voulez bien, nous allons en partir de ce très loin, et puis nous irons vers ce qui est le centre. Et puis cela nous ramènera aussi à ce loin, car il n’y a pas que dans la théorie de FREUD, dans la technique de la psy­chanalyse, que le moi a un sens. C’est même vous le verrez ce qui fait la com­plication du problème, c’est ce qui fait qu’au cours des siècles la notion du moi a été élaborée d’une certaine façon, à la fois chez ceux qu’on appelle « philosophes »…dont nous n’avons pas peur de parler ici, avec lesquels nous ne craignons pas de nous compromettre et je crois, vous le verrez de plus en plus combien cette position de ne pas craindre de se compromettre avec eux est défendable…et aussi dans la conscience commune. Bref, il y a certaines notion, certaine fonction du moi, je dirais préalable à la découverte, à la révolution freudienne, dont nous avons à tenir compte. Nous avons à en tenir compte pour autant, bien entendu, qu’elle n’est pas négligeable, mais qu’elle exerce son attraction sur quelque chose…j’espère pouvoir vous le montrer…comme ayant été introduit de radicalement nouveau concernant cette fonction, cette opération du moi dans la théorie de FREUD.Si l’on a parlé de révolution copernicienne à propos de la théorie de FREUD, ça doit avoir un sens, sens que déjà nous avons entrevu au cours de nos entre­tiens de l’année dernière qui, bien entendu, sont supposés être là, au départ, déjà à la base de ce que nous allons poursuivre cette année, qui sera bien entendu, aussi repris, réintégré presque tout entier dans la nouvelle phase sur laquelle nous allons cette année reprendre cette théorie. Cette théorie, c’est notre fil conducteur dans ces exposés qui sont faits ici.

N’oublions pas qu’il s’agit d’un « séminaire de textes », et à ce titre, il est tout à fait légitime que les textes concer­nant la théorie nous servent                       de fil central. Il n’en reste pas moins que ce que nous aurons à constater c’est précisément une sorte de conflit, une sorte d’at­traction exercée par cette notion préanalytiqueappelonsla comme cela par convention, n’estce pas, il faut bien que nous nous orientions : je vous pose aujourd’hui les grandes lignes de ce que va être le plan de notre travailnotion préanalytique du moi par rapport à la notion du moi telle qu’elle se présente dans la théorie de FREUD.À la vérité, d’ores et déjà, nous pourrions nous étonner qu’une pareille attraction, voire subduction, subversion, de la notion tende à s’établir, si préci­sément cette notion du moi était quelque chose à la fois de tellement révolu­tionnaire et de tellement saisissant, ce qui est assurément le cas.

Ces nouvelles perspectives doivent abolir les précédentes et si c’est le cas, comment peutil se faire que se produise quelque chose, de la réalité de quoi, de l’efficacité de quoi, ce sera toujours la seconde partie, le second volet de ce que nous poursuivrons ici, que de vous montrer sa présence, c’est à savoir ce quelque chose par quoi…à travers toutes sortes d’intermédiaires, de biais dans l’exposé théorique, dans le maniement des termes, et du même coup car théorie et pratique ne sont pas séparables   dans la direction de la pratique …l’histoire présente de la technique de la psychanalyse nous montre une inflexion de la relation analytique.Cette chose très singulière conduit à ce double résultat : d’une part, précisé­ment, la réapparition d’une notion théorique du moi qui n’est à aucun degré celle que comporte l’ensemble de l’équilibre de la théorie de FREUD, pour autant qu’elle apporte quelque chose de nouveau dans notre connaissance de l’homme, [d’autre part] une tentative de résorption, comme on dit d’ailleurs très ouverte­ment, du savoir analytique dans ce qu’on appelle, je vous le dis très ouverte­ment, la psychologie générale, ce qui n’a strictement dans cette occasion pas d’autre sens que d’être la psychologie pré–analytique. Ceci reste…je vous l’ai déjà dit…à la fois très énigmatique et en même temps, après tout, pas tellement fait pour nous émouvoir, si nous ne pouvions en même temps toucher du doigt que cela ressort à un arrièreplan, qui va bien audelà d’un conflit de notion entre, si l’on peut dire, écoles rétrogrades ou plus avancées, disons entre ptolémaïques et coperniciens.

Cela va beaucoup plus loin, et cela joue sur un fond qui nous intéresse beaucoup plus, pour autant que ce dont il s’agit c’est, oui ou non, d’une complicité… elle, absolument concrète et efficace …d’un certain manie­ment d’une relation humaine, libérante, démystifiante, qui est l’analyse, avec quelque chose de tout à fait concret qui est, disonsle si vous le voulez, une illu­sion fondamentale du vécu de l’homme, disons tout au moins, pour nous limi­ter à un champ très précis de notre expérience : de l’homme moderne, de l’hom­me contemporain, de l’homme en tant qu’il croit être un certain type, une cer­taine structure de l’individu, de l’homme, pour autant qu’il se conçoit luimême dans un certain niveau deminaïf, demiélaboré, par un certain médium de notions culturellement admises, diffuses. C’est effectivement d’une certaine croyance de l’homme à être luimême constitué comme ci et comme ça, dans cet état ambigu entre :quelque chose qu’il peut croire chez lui issu d’un penchant naturel, et quelque chose d’autre qui lui est enseigné de toutes parts dans un certain état de la civilisation. c’est à savoir si une technique qui nettement… dans son départ, dans ses origines, dans sa source, dans sa découverte, en tant qu’issue de FREUD…transcende cette sorte, je vous le répète, d’illusion… de croyance, s’exerçant concrètement dans la subjectivité des individus…c’est de savoir si elle se laissera aller à glisser tout doucement, à abandonner ce qui lui a été un instant entr’ouvert comme moyen de dépassement de cette sorte d’illusion commune, ou si au contraire elle en manifestera de nouveau et de façon à le renouveler le relief. Et c’est ici que nous pouvons voir l’utilité, la fonction, de la référence à certaines œuvres d’un certain style.

Je vous ai souligné hier soir…dans les quelques mots que j’ai prononcés après la conférence de M. KOYRÉ…ce qui pouvait ressortir plus spécialement de ce que M. KOYRÉ avait pris comme exemple du dialogue platonicien, à savoir de ce qui est mis en relief dans le Ménon. Et, transformant les équations ménoniennes, je vous faisais remarquer que nous pouvions exprimer ceci dans quelque chose qui s’appellerait « la fonction de la vérité » à l’état naissant, c’estàdire en ce point pré­cis où elle se lie, où elle se noue en un savoir… Lequel savoir, lui–même pour quelque raison, doit bien être doué d’une espèce d’inertie propre qui lui fait perdre quelque chose de la vertu d’où il a commencé à se déposer comme savoir, puisque ce savoir montre une propension évidente à cette sorte de dégra­dation qui s’appelle méconnaissance du sens de ce savoir. Nulle part ceci n’est plus évident que dans la psychanalyseet que ce soit dans la psychanalyse que pour nous contemporains ce soit le plus évident, doit être déjà à soi tout seul l’indication du point vraiment électif, privilégié qu’occupe la psychanalyse dans un certain progrès de la subjectivité humaine comme telle…cette sorte d’ambiguïté singulière que vous voyez, si vous voulez, à l’origine… quoiqu’on n’est jamais complètement à l’origine, mais prenons PLATON comme origine, à la façon dont on dit l’origine des coordonnées…cette sorte d’ambiguï­té singulière que nous avons vue hier exprimée dans le Ménon…que nous aurions pu aussi bien voir dans le Protagoras dont on n’a pas parlé — je ne sais pas si cer­tains l’ont lu en même temps que le Ménon, mais je souligne que c’est une chose à faire, vous y trouverez du plaisir…cette sorte d’ambiguïté qui fait qu’au moment précis où Socrate inaugure, disons dans la subjectivité humaine cette sorte de style d’où est sortie la notion d’un savoir…d’un savoir en tant que lié à certaines exigences de cohérence, dont je ne saurais trop souligner à quel point il est préalable à toute espèce de progrès ultérieur de la science comme expéri­mentale…enfin nous aurons à définir ce que signifie ce passage, cette sorte d’au­tonomie qu’a prise la science avec le registre expérimental, mais vous le verrez nous aboutirons à des choses assez singulières … donc que ce soit au moment même où Socrate inaugure cette sorte de nouvel être iraisje à dire, dans le monde humain, que j’appelle ici par définition…et nous aurons de plus en plus à préciser ce que j’entends par là…une subjectivitéqui peut aussi bien s’exprimer dans une certaine façon dans notre perspective [analytique], bien entendu à ce momentlà ce n’est pas encore possible, je veux simplement vous indiquer l’équivalence d’un certain nombre de termes …qu’à ce moment même SOCRATE s’aperçoive de quelque chose : que ce qui est en somme le plus précieux, l’ἀρετή [aretè], l’excellence de l’être humain et les voies pour y parvenir, que ce n’est pas la science qui pourra les transmettre, qu’il se produit déjà là une sorte de décentrement entre une certai­ne voie où il pousse l’entendement humain et quelque chose qui a les plus grands rapports, puisque c’est à partir de cette vertu que cette voie s’ouvre, s’inaugure, mais que cette vertu même reste quant à sa transmission, quant à sa tradition, quant à sa formation, hors du champ ouvert au savoir.

C’est là quelque chose avouezle  qui mérite qu’on s’y arrête un tout petit peu plus qu’en pensant qu’à la fin tout ça doit s’arranger. Parce qu’en fin de compte, si on sait être malin, on doit s’apercevoir qu’il parle ironiquement et que quand même il faut bien croire qu’un jour ou l’autre la science arrivera à rattraper ça par une sorte d’action rétroactive. Enfin, ce n’est pas tranché, ce n’est pas jugé : jusqu’à présent rien dans le cours de l’histoire ne nous l’a prouvé.Que s’est–il passé depuis SOCRATE ? Nous devrions nous apercevoir qu’il s’est passé bien des choses et en particulier que la notion du moi est venue au jour. Quand quelque chose vient au jour, quand quelque chose émerge, comme on dit…c’est là une des propriétés les plus singulières que nous offre notre expé­rience, c’est que nous pouvons nous apercevoir de ceci que : …quand quelque chose de nouveau arrive, un autre ordre dans la structure…qu’il faut bien, dans certains cas, que même notre imagination, telle qu’elle est tout au moins consti­tuée, nous force actuellement à admettre comme ayant été, à un moment donné, nouveau, sorti de rien…nous pouvons nous apercevoir en même temps : qu’à par­tir de ce moment cela a existé de toute éternité, qu’à partir du moment où cela émerge, cela crée sa propre perspective dans un passé comme n’ayant jamais pu ne pas être là. Si vous pensez à l’origine du langage, bien entendu il faut que nous nous imaginions qu’il y a un moment où on a dû commencer sur cette terre à parler, et nous admettons donc qu’il y a eu une émergence. Mais à partir du moment où cette émergence est saisie dans sa structure propre, il nous est absolument impossible dans le langage de spéculer autrement que sur des sym­boles ayant toujours pu s’appliquer à ce qui précédait cette émergence du lan­gage. Ce qui apparaît de nouveau paraît aussi toujours s’étendre dans la perpé­tuité, indéfiniment, audelà de ce qui précède ou ce qui suivra.Nous ne pouvons pas abolir un ordre nouveau par la pensée. Ceci s’appli­quera à tout ce que vous voulez, y compris l’origine du monde.

Pourquoi n’ap­pliquerionsnous pas aussi bien cette remarque à ceci : que nous ne pouvons plus, bien entendu, ne pas penser avec ce registre du moi que nous avons acquis au cours de l’histoire, à tout ce qui nous est donné comme trace, comme signe de l’expression de la spéculation de l’homme sur luimême, dans des époques très antérieures où la notion du moi comme telle n’était pas promue, pas mise en avant dans la dialectique. Il semble, pour tout dire, que SOCRATE ou ses inter­locuteurs, devait, comme nous, avoir implicite cette sorte de fonction centrale, que le moi devait exercer chez eux, une fonction analogue à celle qu’il occupe dans non seulement ces réflexions, mais aussi bien cette sorte d’« appréhension spontanée » que nous avons : de nos pensées, de nos tendances, de nos désirs, de ce qui est de nous et de ce qui n’est pas de nous,de ce que nous admettons comme étant, exprimant notre personnalité, ou ce que nous rejetons comme étant en quelque sorte parasite.Toute cette psychologie, après tout, il nous est très difficile de penser qu’el­le n’est pas une psychologie éternelle, elle aussi. Sommesnous pour autant si sûrs qu’il en soit ainsi ? La question vaut au moins d’être posée. Et à la vérité, à partir du moment où elle est posée, cela nous incite à regarder de plus près si en effet il n’y a pas certains moments où nous pouvons saisir l’apparition de cette notion du moi comme à son état naissant. Et alors là, nous verrons : que nous n’avons pas tellement loin à aller, que les documents sont encore tout frais, et qu’après tout ça ne remonte pas à beaucoup plus loin qu’à cette époque encore toute récente où se sont produits dans notre vie tellement de progrès. Que quand nous lisons le Protagoras, nous sommes excessivement amusés quand quelqu’un arrive le matin chez SOCRATE : Hola ! Entrez ! Qu’est–ce qu’il y a ? Protagoras est arrivé ! C’est une histoire. Et ce qui nous amuse c’est que là, comme par hasard, PLATON nous dit que tout cela se passe dans une obscurité noire. Cela n’a jamais été relevé par personne, cela ne peut intéresser que des gens qui, comme nous, depuis 75 ans, même pas, sont habitués à tourner le bou­ton électrique. Quelqu’un qui arrive le matin n’arrive pas dans le noir. Mais c’est du même ordre.Si vous regardez la littérature, bien entendu vous direz : « Ça c’est le propre des gens qui pensent   », mais les gens qui ne pensent pas devaient plus ou moins spon­tanément avoir toujours une notion plus ou moins de leur moi et leur faire jouer la fonction que nous lui faisons jouer maintenant. Je dirai : « Qu’est–ce que vous en savez ? » Car vous, vous êtes justement du côté des gens qui pensent, ou du moins vous êtes venus après les gens qui y ont pensé, alors, essayons de regarder de plus près et d’ouvrir la question avant de la trancher si aisément. D’ailleurs, elle a fait l’objet de préoccupations fort sérieuses, cette question. Il y a un monsieur qui s’appelle DESCARTES, l’homme qui donne une si solide « bonne conscience » à la sorte de gens que nous définirons comme ça, par la nota­tion conventionnelle : les dentistes. Nous dirons, les dentistes sont très assurés de l’ordre du monde, parce qu’ils pensent que monsieur DESCARTES dans le Discours de la méthode a abordé les lois et les procès de la claire raison. Il suf­fit de le lire, rien de plus simple. Quand vous avez lu le Discours de la méthode vous avez tout compris… C’est curieux qu’il suffise de regarder en effet d’un petit peu plus près pour voir que, parmi ceux qui ont interprété la pensée cartésienne, personne ne soit d’accord. Le mystère reste entier. Enfin, le dentiste ne s’en aperçoit pas… Enfin, ce monsieur a dit « Je pense, donc je suis ». Chose curieuse, cette démarche…qui a été absolument fondamentale pour toute voie de la pen­sée, pour une nouvelle subjectivité …justement s’avère, à un examen plus précis,poser un problème qui peut apparaître à certains comme devoir être résolu par la pure et simple reconnaissance d’une sorte d’escamotage parce qu’à la vérité s’il est bien vrai que la conscience est transparente à ellemême, et se saisit ellemême comme telle, même après ample examen de la question il apparaît bien que ce « je » qui est donné dans la conscience, n’y est guère donné différemment d’un objet  c’estàdire que si la conscience est transparente à ellemême, le « je » ne lui est pas pour autant plus transparent. En d’autres termes, la conscience ne renseigne guère sur ce « je » plus qu’elle ne nous renseigne sur aucun objet quand un objet est donné à la conscience.

Cette appréhension ou cette saisie de la conscience ne nous livre, pas plus que pour aucun autre objet, les propriétés de ce dont il s’agit.En effet, si ce « je » nous est livré par une sorte de donnée immédiate dans l’acte de réflexion qui nous livre la transparence de la conscience à ellemême, rien du tout ne nous indique que pour autant la totalité de cette réalité… et c’est déjà beaucoup dire que l’on aboutit à un jugement d’existence…soit pour autant là épuisée.Ceci a amené…vous le savez : à la suite des philosophes…à une notion de plus en plus purement formelle de ce moi en tant que donné dans la conscience, et pour tout dire à une critique de cette fonction du moi, comme exerçant une sorte d’« instance propre » si vous voulez, qui est vraiment précisément le signe que ce moi, en tant que réalité, en tant que « substance », apparaît.C’est quelque chose dont la pensée, le progrès de la pensée se détournait, tout au moins pro­visoirement, comme un mythe à soumettre à une stricte critique scientifique, et s’engageait dans une tentative de le considérer comme un pur mirage. Légitime­ment ou non, peu importe : c’est là que la pensée s’engageait, avec LOCKE, avec KANT, avec même ensuite toute la voie des psycho–physiciens, qui après tout n’avaient qu’à prendre la suite…pour d’autres raisons, bien entendu, avec d’autres départs, d’autres prémisses…et qui à la vérité tendaient à mettre dans la plus grande suspicion cette fonction du « je », dont il apparaissait bien d’ailleurs, qu’à la lumière d’une certaine critique du mythe comme tel, nous avions en tant que savants la plus grande méfiance à manifester à quelque chose qui était appe­lé le moi, pour autant qu’il perpétuait toujours plus ou moins implicitement, cette sorte de substantialisme impliqué dans la notion religieuse de l’âme en tant que substance, du moins, revêtue des propriétés de l’immortalité.N’estil pas frappant de voir que par une espèce de tour de passepasse extra­ordinaire de l’histoire, pour avoir un instant complètement abandonné ce pro­grès…disons « ce progrès », sans aucune autre connotation que ce processus consi­déré dans une certaine tradition d’élaboration de la pensée comme un progrès…pour l’avoir abandonné un instant dans la perspective complètement subversive qu’apporte à un moment donné FREUD et qui consiste essentiellement en ceci… je pense que je peux le dire d’une façon abrégée, puisque tout de même cela résul­te, se dégage de tout ce que nous avons développé l’année dernière…si à juste titre nous pouvons employer le terme de « révolution copernicienne » pour ce qu’a découvert FREUD, c’est bien en effet en ce sens, c’est qu’à un moment donné, qui… je vous le répète…n’est pas luimême de toute éternité… De même qu’après tout, ce qui n’est pas copernicien n’est pas absolument univoque, les hommes n’ont pas toujours cru que la terre était une sorte de plateau infini, pour la raison qu’ils l’ont toujours considérée comme un plateau ayant des formes et des limites, pouvant ressembler à un chapeau de dame, à tout ce que vous voudrez, il y avait plusieurs formes, mais ils avaient l’idée qu’il y avait des choses qui étaient là, en bas, disons au centre, et le reste du monde s’édifiait audessus. Eh bien, c’est la même chose. Nous ne savons pas très bien ce que pouvait penser un contem­porain de SOCRATE, de son moi, mais il y avait quand même quelque chose qui devait être là, au centre, et il ne semble pas que SOCRATE en doute, mais ce n’était probablement pas fait…et je vais vous dire pourquoi…comme un moi du… depuis une date que nous pouvons situer vers le milieu du XVIème début du XVIIème siècle.Mais enfin il était là, au centre et à la base.

La découverte freudienne a exactement le même sens de décentrement qu’ap­porte la découverte de COPERNIC. La découverte freudienne est essentiellement ceci, l’affirmation telle qu’elle est…sous sa forme la plus fulgurante…déjà inscri­te… parce que les poètes, qui ne savent pas ce qu’ils disent, c’est bien connu c’est vrai disent toujours quand même les choses avant les autres…ce qui est écrit dans la célèbre formule de RIMBAUD dans la Lettre d’un voyant : « Je est un autre ». Naturellement, ne vous laissez pas épater par ça, ne vous mettez pas à répandre dans les rues que « Je est un autre » ça ne fait aucun effet, croyez–moi. Et de plus, comme je vous l’ai dit, ça ne veut rien dire. Cela ne veut rien dire, parce que d’abord il faut savoir ce que ça veut dire un autre, mais enfin ça a une valeur impressionniste et ça dit quand même quelque chose. Sur le sujet de l’ autre, vous comprenez, là aussi ne vous imaginez pas que c’est en vous gar­garisant avec ce terme… Il y a un de nos collègues…de nos anciens collègues…qui nous avait apporté ça comme une vérité : pour que quelqu’un puisse se faire ana­lyser… cet ancien collègue était quelqu’un qui s’était un peu frotté aux Temps modernes, la revue, à ce qu’on appelle « l’existentialisme », et il nous apportait comme une audace, de celles que l’on apporte dans les milieux analytiques…que le premier fondement de la relation analytique était : il fallait que le sujet fût capable d’appréhender l’autre comme tel. C’est un gros malin, celui–là ! Enfin, on aurait pu lui demander : « Qu’est–ce que cet autre ? » « Qu’est–ce que vous voulez dire par là : l’autre ? » « À quel titre : son semblable, son prochain, son « idéal de je », une cuvette, tout ça c’est des autres ? » Alors il faudrait savoir de quel autre il s’agit.

Mais enfin, pour l’instant, je vous parle de la formule de RIMBAUD… ceci pour poursuivre à travers l’œuvre freudienne, la théorie de FREUD, ce qu’elle appor­te d’une façon extrêmement élaborée et cohérente. Et l’inconscient c’est stricte­ment quelque chose qui ne veut pas dire autre chose que cela, c’estàdire : que c’est quelque chose qui échappe tout à fait à un certain cercle de certitudes qui est précisément ce en quoi l’homme, aussi loin qu’il puisse aller, se reconnaît comme moi, que c’est hors de ce champ qu’il existe quelque chose qui a litté­ralement tous les droits de s’exprimer par « je », et qu’il démontre ce droit dans le fait de venir au jour, de s’exprimer                   au titre de « je ». C’est précisément ce qui est le plus méconnu par ce champ qui s’appelle le champ du moi. C’est précisé­ment cela qui a au maximum le droit… et qui le démontre dans le fait, par l’analy­se…de se formuler comme étant à proprement parler le « je ».C’est dans ce registre, exprimé comme ça, que ce que FREUD nous enseigne, nous apprend de l’inconscient, prend sa portée et son relief. Et s’il a exprimé cela en l’appelant « l’inconscient »… ce qui le mène à de véritables « contradictiones in adjecto »…c’estàdire à parler de « pensées…il le dit lui–même : « sit venia verbo » [ pardonnez l’expression ], il s’en excuse tout le temps…de « pensées inconscientes ». Tout ceci qui est tellement embarrassé, parce qu’il est forcé…dans la perspective du langage, du dialogue, de la communication, à l’époque où il commence à s’exprimer…il est forcé de par­tir de cette idée que ce qui est justement essentiellement de l’ordre du moi est aussi de l’ordre de la conscience. Mais cela n’est pas sûr ! C’est en raison d’un cer­tain nombre… d’un certain progrès d’élaboration de la philosophie, à cette époque qui précisément avait l’équivalence « moi = conscience ». Tout ce qu’on peut lire à travers l’œuvre de FREUD, comme progrès de son expérience, comme élaboration de ce qu’il nous décrit, arrive toujours plus à la notion qu’en fin de compte la conscience ça doit être quelque chose d’un registre tout à fait spécial. Il n’y arrive pas : plus il avance dans son œuvre, moins il arrive à situer la conscience, plus il avoue qu’elle est insituable. Tout s’organise de plus en plus dans une certaine dialectique où le « je »…en tant que distinct du moi, implicite­ment …structure la théorie…nous verrons cela aussi…mais de moins en moins la conscience peut être inscrite quelque part. Pour tout dire, à la fin FREUD aban­donne la partie, et dit qu’il doit y avoir là des conditions qui nous échappent, c’est l’avenir qui nous dira ce que c’est. Nous essaierons d’entrevoir cette année comment nous pouvons, dans la fonctionnalisation freudienne, situer en fin de compte la conscience. Vous verrez que ça passera, redescendra, sous les aspects qui je crois pour certains seront des aspects clarifiants, et pour beaucoup d’entre vous assez inattendus.Mais en fin de compte, qu’estce qui s’est passé dans cette espèce d’irrup­tion, avec FREUD, de nouvelles perspectives révolutionnantes dans l’étude de la subjectivité, disons individuelle, qui est précisément justement de montrer que le sujet ne se confond pas avec l’individu. Et je souligne, j’y reviens encore : cette distinction, que je vous ai d’abord présentée sur le plan subjectif, est aussi… et c’est peutêtre cela, en somme, le pas le plus décisif du point de vue scientifique de l’expérience freudienne…saisissable sur le plan objectif. Ce que nous apporte FREUD on ne le met pas assez en relief est ceci : si nous considérons ce qui dans l’animal humain, dans l’individu en tant qu’organisme, se propose à nous objectivement, nous y détecterons : un certain nombre de propriétés, je renvoie aux béhavioristes, un certain nombre de déplacements, certaines manœuvres, relations. Et c’est du comportement, de l’organisation des conduites, que nous inférerons la plus ou moins grande ampleur des détours dont est capable l’objet que nous nous sommes proposé à savoir cet individu pour parvenir à un certain nombre de choses que nous posons par définition pour être ses buts. Nous imaginerons de ce fait la hauteur si on peut dire de ses rapports avec le monde extérieur.

Bref, nous mesurerons plus ou moins le degré de son intelligence, nous considérerons comme en somme le niveau, l’étiage ou accent, nous mesurerons le perfectionnement ou l’ἀρετή [aretè] de son espèce. C’est ce que FREUD nous apporte.C’est précisément ceci, que le sujet dont il s’agit… donc, il s’agit d’un homme, ne se situe nulle part sur quelque chose qui serait une axe où d’un certain point nous pourrions voir, comme un point isolé, l’ensemble, la fonction du sujet comme traversée par quelque chose de pivotal, d’axial, qui ferait que toutes les élaborations du sujet, à mesure qu’elles sont plus élevées, se confondent plus avec ce que nous appelons en effet son intelligence, son ἀρετή [aretè], où son excel­lence, sa perfection, son individu, sont isolés. FREUD nous dit : ce n’est pas ça ! Son intelligence et le sujet en tant qu’il fonctionne, ce sont deux choses différentes, ce n’est pas sur le même axe, c’est excentrique. Le sujet comme tel…en tant que fonctionnant en tant que sujet…est autre chose qu’un organisme qui s’adapte, que quelque chose qui peut être saisi en tant qu’organisme individuel, avec des finalités indi­viduelles,  il est autre chose. Il est autre chose et on le voit à ceci : que pour qui sait l’entendre, toute sa conduite parle, et elle parle justement d’ailleurs que de cet axe que nous pouvons saisir, quand nous le considérons comme fonction dans un individu, c’estàdire avec un certain nombre d’intérêts conçus sur l’ἀρετή [aretè] individuel. Il parle d’« ailleurs », le sujet est ailleurs, et c’est ça que ça veut dire « je est un autre ». Pour l’instant nous nous en tiendrons à cette métaphore topique : le sujet est décentré par rapport à l’individu.Ceci, ne croyez pas : que ça n’ait pas été annoncé d’une certaine façon autrement que par les poètes et par RIMBAUD, que d’une certaine façon ça n’était pas déjà aussi quelque part en marge de l’intuition cartésienne fondamentale du « Je pense donc je suis ». Si vous abandonnez, pour lire DESCARTES, les lunettes du dentiste, cela vous permettra d’aller un peu plus loin dans la reconnaissance des énigmes qu’il nous propose et vous vous apercevrez qu’il s’agit quelque part d’un certain Dieu trompeur. Il y a évidemment là quelque chose qui était l’ectopie, le rejet justement de ce qu’il faut bien réintégrer. C’est qu’en fin de comp­te, à partir du moment où on aborde en effet cette notion du moi, on ne peut pas en même temps ne pas mettre en cause qu’il y ait quelque maldonne quelque part.C’est à la même époque que commence, avec un certain nombre de ces esprits frivoles qui se livrent à des exercices de salon… c’est quelquefois là que com­mencent des choses très surprenantes, c’est aussi avec des petites récréations que quelquefois apparaît tout un ordre de phénomènes …il y avait un mon­sieur…très drôle de type, qui ne répond guère à la notion qu’on peut se faire d’une certaine perspective comme étant le type du classique…qui s’appelait LA ROCHEFOUCAULD et qui tout d’un coup s’est mis en tête de nous apprendre quelque chose de très drôle, sur quoi on ne s’est pas assez arrêté, quelque chose qu’il appelle l’amourpropre. C’est drôle que ça ait paru si révolutionnaire, je ne veux pas dire révolutionnaire, mais ce n’était pas le style de l’époque, et même scandaleux, car en fin de compte qu’estce qu’il disait ? Il mettait l’accent sur ceci, même nos activités en apparence les plus désintéressées sont faites par souci de la gloire : par exemple, l’amour–passion, voire même l’exercice le plus secret de la vertu. C’était quelque chose, quoi ! Qu’estce qu’il disait exacte­ment ? Arrêtonsnous un instant pour le bien voir. Estce qu’il disait, à propre­ment parler, que nous le faisions pour notre plaisir ? C’est très important cette notionlà, parce que, vous allez voir, tout va pivoter dans FREUD autour de ça. S’il avait dit ça, il n’aurait vraiment fait que répéter ce qu’on disait dans les écoles depuis toujours, et en particulier…pas depuis toujours, car jamais rien n’est depuis toujours, mais d’autre part vous voyez bien aussi la fonction du depuis toujours en cette occasion…ce qui semblait s’être dit depuis toujours, en tout cas ce qui était dit depuis SOCRATE, qu’en effet si nous définissons le plaisir comme la recherche de notre « bien », si nous en restons dans cette abstraction, on lie simplement les deux notions comme étant homogènes, s’alliant l’une à l’autre. Il est certain que quoi qu’on fasse, de toute façon, c’est la poursuite de notre plaisir. La question est simplement : à quel niveau l’appréhendonsnous ? Comme l’animal humain que nous observions tout à l’heure dans son compor­tement ? C’est une question de plus ou moins de hauteur et de degré de son intelligence, il comprend où est son véritable « bien » et dès qu’il l’a compris, il suit le plaisir qui résulte toujours de chercher son véritable bien. Estce que LA ROCHEFOUCAULD dit cela ? S’il avait dit cela, il n’aurait rien dit d’autre que ce que disaient depuis toujours les philosophes de l’école. Et d’ailleurs cela a continué à se dire par la suite. Et monsieur BENTHAM a poussé jusqu’à ses dernières consé­quences sous le titre d’utilitarisme, ou « utilitarianisme », cette théorie.Mais ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit, sur quoi LA ROCHEFOUCAULD met l’accent. Ce sur quoi il met l’accent c’est qu’en s’engageant dans un certain nombre d’actions désintéressées, nous nous figurons nous libérer d’un certain niveau dit inférieur de plaisir, du plaisir immédiat. Nous nous figurons aller audelà, et en effet chercher un plaisir ou un bien d’un ordre, d’une qualité supé­rieure. Mais nous nous trompons. Et c’est là qu’est le nouveau. Cela n’est pas que LA ROCHEFOUCAULD nous apporte une espèce de théorie générale de l’égoïsme,                          comme englobant toutes les fonctions humaines. Cela, Saint THOMAS le dit, Saint THOMAS a une notion, si l’on peut dire…comme on le dit d’ailleurs techni­quement…une théorie dite « physique » de l’amour. On pourrait aussi bien en lan­gage moderne le traduire par une notion égoïste. Cela ne veut rien dire d’autre que ceci : que le sujet, dans l’amour, cherche son propre bien. Il était contredit en son temps par un certain Guillaume DE SAINT AMOUR qui faisait remarquer que l’amour devait être autre chose que la recherche du propre bien. Mais en fin de compte, il disait ce qui se disait depuis des siècles, et tel que c’était éla­boré, il n’y avait là rien de scandaleux. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas du tout que tout soit soumis à l’amourpropre, ce qui est nouveau, avec ce registre du moi…tel qu’il apparaît à partir d’une certaine époque historique…ça n’est pas que l’amourpropre soit au fondement de tous les comportements humains, c’est qu’il est trompeur, qu’il est inauthentique. C’est cela qui introduit et pour la première fois le relief, la séparation de plan qui commence de nous ouvrir, par une certaine diplopie, à ce qui va apparaître comme une séparation de plan réelle qu’il y a dans cet ego comme tel, une sorte d’hédonisme qui lui est propre et qui est justement ce qui nous leurre, c’estàdire ce qui nous frustre à la fois de notre plaisir immédiat et des satisfactions de notre supériorité par rappo
rt à ce plaisir.C’est cela qui se poursuit dans une certaine tradition parallèle de la tradition des philosophes, celle qu’on appelle la tradition des moralistes, ce qui ne veut pas dire du tout que ce sont des gens spécialisés dans la morale, mais que ce sont des gens qui introduisent une certaine perspective dite de vérité dans l’observa­tion précisément des comportements moraux, ou encore des mœurs. Ceci aboutit jusqu’à la Généalogie de la morale de NIETZSCHE, mais ceci reste dans cette perspective en quelque sorte négative qui est à proprement parler la pers­pective moraliste, à savoir que le comportement humain est comme tel un comportement leurré, trompé. C’est dans ce creux, dans ce bol, que vient se verser la vérité freudienne que FREUD nous montre.Qu’estce que ça veut dire ? Vous êtes leurré sans doute, mais la vérité est ailleurs. FREUD nous dit là où elle est. Peu importe pour l’instant de savoir ce que c’est que ce quelque chose qui à ce momentlà arrive, fait irruption, avec un bruit de tonnerre, c’est l’instinct sexuel, la libido. Qu’estce que ça veut dire l’instinct sexuel ? Qu’estce que la libido, le processus primaire ? Tout cela bien entendu vous croyez le savoir, moi aussi. Cela ne veut pas dire que nous soyons aussi assurés que cela. Il faudrait le revoir de près. C’est ce que nous essaierons de faire cette année.Mais il y a un moment, il y a un tournant dans l’expérience qui s’engage à la suite de cette découverte, qui est que ce nouveau « je »… avec lequel il s’agit de dialoguer …n’est pas si facile à atteindre que ça. Pour tout dire, au bout d’un cer­tain temps, il refuse de répondre. Littéralement, il y a quelque chose qui s’est appelé réellement une crise concrète dans l’expérience de la psychanalyse. Ce quelque chose a été entrevu, pendant un certain temps ça a marché et puis, ça ne marche plus. Ceci est exprimé par les témoins historiques de l’époque de ces années entre 1910 et 1920, où la réponse aux premières révélations analytiques s’est avérée de plus en plus amortie. Je parle chez des sujets concrets, chez ceux à qui on avait affaire. Ils guérissaient plus ou moins miraculeusement. Et ça nous apparaît maintenant quand nous regardons les observations de FREUD avec les interprétations fulgurantes et les explications à n’en plus finir. Eh bien, ça a de moins en moins bien marché ! C’est tout de même curieux. Cela laisse à pen­ser qu’il y avait quelque réalité dans ce que je vous explique, à savoir dans l’exis­tence de la subjectivité comme telle avec les modifications qui se passent au cours des temps, en raison d’une causalité propre et qui échappe peutêtre à toute espèce de conditionnement individuel comme tel. Ceci est en rapport avec une dialectique propre, qui va de subjectivité à subjectivité. Mais si nous consi­dérons ces unités conventionnelles, ce que nous appelons subjectivité en raison de ce qui se passe, en raison de particularités individuelles alors on se met à s’in­téresser à ce qui se passe, à ce qui se referme, à ce qui résiste. Comment on s’y est intéressé ? Comment on s’y est bien intéressé ? Et comment aussi on s’y est mal intéressé ? C’est ce que nous espérons voir cette année. Et ce qui est inté­ressant est de voir où nous en sommes.Eh bien, ce à quoi nous en sommes…par une espèce de curieuse révolution de position, qui est véritablement quelque chose de saisissant, par une sorte de progressive cacophonie qui s’est établie sur le plan théorique, …provient d’abord de ceci que nous essaierons de mettre au premier plan de nos préoccupations cette année, à savoir : toute l’œuvre de métapsychologie de FREUD après 1920 a été littéralement prise de travers, lue de façon délirante par, dironsnous, l’équipe insuffisante que sont les gens qui étaient ceux de la première et de la seconde génération après FREUD, et qui… je crois que je vous le ferai sentir, je vous le manifesterai assez clairement…n’ont absolument pas vu ce que signi­fiait cette métapsychologie, à savoir pourquoi FREUD, justement en 1920, c’estàdire juste après le tournant dont je viens de vous parler, la crise de la tech­nique analytique, a cru devoir introduire ces notions métapsychologiques nou­velles qui s’appellent le Moi, le Surmoi, et le Ça.Si on lit attentivement…bien entendu, tout est là…ce qu’il a écrit, on s’aperçoit qu’il y a un lien étroit entre cette crise de la technique…à savoir ce qu’il s’agis­sait de surmonter, la nouvelle façon dont se présentaient les problèmes…et l’in­vention, la fabrication de ces nouvelles notions dites topiques qu’il apporte alors. Mais pour cela il faut les lire ! Il faut les lire dans l’ordre, c’est préférable. Quand on s’aperçoit qu’Au–delà du principe de plaisir a été écrit avant Psychanalyse collective et analyse du moi et avant Das Ich und das Es (le Moi et le Ça), cela devrait poser quelques questions. On ne se les est jamais posées !Ce qui se passait en 1920 est ceci. Loin que ce que FREUD réintroduit alors ait été compris…comme nous verrons que cela le doit être…comme les notions sup­plémentaires, nécessaires alors pour maintenir le principe de ce décentrement du sujet, dont je vous parle depuis le début de ce propos d’aujourd’hui comme étant l’essentiel de la découverte freudienne. On peut dire qu’il y a eu une espè­ce de ruée, de rush, de ruée générale, de véritable libération des écoliers : « Ah ! le voilà revenu ce brave moi, ce cher moi, ce brave petit moi ! » On s’y retrouve.Nous rentrons dans les voies de la psychologie générale et comment n’y rentre­raiton pas avec joie quand cette psychologie générale n’est pas seulement une affaire d’école ou de commodité mentale, mais quand cette psychologie généra­le est justement la psychologie de « tout le monde ». À savoir qu’on est bien content de pouvoir de nouveau croire que le moi est quelque chose de central et nous en voyons les dernières manifestations avec les géniales élucubrations… qui pour l’instant nous viennent d’audelà de l’eau …d’un monsieur HARTMAN, qui est le chérubin de la psychanalyse, qui nous annonce la grande nouvelle, celle grâce à laquelle nous allons pouvoir dormir tranquille : l’existence de l’ego auto­nome.

C’est à savoir que quelque chose qui, depuis le début des découvertes freudiennes et sa mise en œuvre a été considérée toujours dans une référence conflictuelle, qui même quand l’ego a été considéré comme une fonction dans un certain rapport avec la réalité, ne peut être conçu à aucun moment dans l’élaboration freudienne, comme autre chose que comme quelque chose qui, comme la réalité, se conquiert dans un drame, nous est tout à coup restitué comme une donnée qu’on recueille au centre de cela.On se demande pourquoi ce qui devait devenir essentiel, à partir de ce momentlà, devient complètement incompréhensible. À quelle nécessité inté­rieure répond le besoin de dire : il doit y avoir quelque part cet autonomus ego ? Qu’est–ce que ça veut dire ? Nous essaierons de le voir aussi. Bien entendu, ça doit être lié à quelque chose qui dépasse cette sorte de naïveté individuelle du sujet qui croit en lui, qui croit qu’il est lui, pour tout dire, qui est une folie assez commune, mais qui quand même n’est pas une complète folie, car si vous y regardez de près, ça fait partie de l’ordre des croyances. Évidemment, nous avons tous tendance à croi­re que nous sommes nous. Mais nous n’en sommes pas si sûrs que ça. Regardez–y de bien près : en beaucoup de circonstances nous en doutons…et sans avoir pour autant aucune espèce de dépersonnalisation…nous en doutons dans des champs qui sont très précis, très particuliers. Ce n’est donc pas seulement à cette croyance naïve qu’il s’agit de retourner. Il s’agit là d’un phénomène, à pro­prement parler sociologique, c’estàdire qu’il s’agit de quelque chose qui est lié à une certaine fonction de l’analyse, existant : comme technique plus ou moins isolée, ou si vous voulez comme cérémonial, ou si vous voulez comme prêtrise déterminée dans un certain contexte social. Il s’agit de savoir pourquoi nous réintroduisons cette « réalité transcendante » de l’autonomus ego, qui bien entendu quand vous y regardez de près n’est pas affaire de réintroduire des autonomus ego de même que dans certaines usines d’au–delà du rideau de fer il était écrit en haut de l’entrée « ici on est plus égaux qu’ailleurs » de même, croyez–moi, l’ autonomus ego consiste à dire que selon les individus, cet ego est plus ou moins ego lui aussi… avec une autre orthographe…selon les individus dont il s’agit.Nous retournons là à cette entification, à ce mythe d’une sorte de propriété qui fait qu’en effet non seulement ces individus, il s’agit de croire qu’ils existent en tant que tels, mais en plus qu’en tant que tels il y en a qui existent plus que d’autres individus. C’est ce qui contamine plus ou moins implicitement les notions dites du « Moi fort » et du « Moi faible » qui sont autant de modes d’éluder les problèmes, non seulement en ce qu’il s’agit de la compréhension des névroses, mais aussi du maniement de la technique. Tout ceci, nous le verrons en son temps et lieu. C’est ce qui vous explique que c’est parallèlement, corrélativement, que nous devrons poursuivre l’examen, la critique de cette notion du moi dans la théorie de FREUD. Nous verrons à l’expérience qu’elle doit avoir un sens en fonction de la découverte de FREUD et dans la technique de la psychanalyse d’autre part, où elle a aussi certaines incidences qui sont liées à un certain mode de concevoir dans l’analyse le rapport d’individu à individu. Voilà.Je pense avoir aujourd’hui ouvert la question. Je désirerais que quelqu’un de bonne volonté, Monsieur LEFÈBVRE–PONTALIS, fasse une première lecture d’Au–delà du principe de plaisir, premier écrit de cette période (1920). J’essaierai de faire un tableau des repères de ce qui est à proprement parler métapsychologique dans l’œuvre de FREUD. Cela ne commence pas en 1920, mais tout à fait au début… recueil sur les commencements de la pensée de FREUD,lettres à FLIESS,et écrits métapsychologiques du début …et se continue dans la fin de la Traumdeutung. Elle est entre 1910 et 1920 assez présente pour que vous vous en soyez aperçus l’année dernière, et elle arrive à ce qu’on peut appeler la der­nière période métapsychologique, à partir de 1920. Au–delà du principe de plai­sir est l’ouvragepivot, c’est le plus difficile. Nous ne résoudrons pas toutes les énigmes d’emblée mais c’est comme ça que ça se passe. FREUD l’apporte d’abord, avant toute espèce d’élaboration de sa topique, et si on attend pour aborder ce travail d’avoir plus ou moins approfondi ou cru approfondir les ouvrages de la période d’élaboration, on ne peut que faire les plus grandes erreurs. Car il est frappant que FREUD ait sorti cela d’abord. Quand on le met entre parenthèses pour le lire à la fin, le résultat est que, comme on n’a rien compris, on le lit moins. C’est ainsi que la plupart des analystes quand ils parlent du fameux instinct de mort donnent leur langue au chat. Il s’agit de renverser cette tendance et de commencer au moins à poser les questions sur Au–delà du principe de plaisir, et au moins les amorcer, les poser, et progresser dans différentes directions de l’œuvre métapsychologique de FREUD. Nous reviendrons quand nous termi­nerons notre cycle, cette année, sur Au–delà du principe de plaisir.

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