samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LII LE MOI DANS LA THÉORIE DE FREUD ET DANS LA TECHNIQUE DE LA PSYCHANALYSE 1954-1955 Leçon du 26 Janvier 1955

 Leçon du 26 Janvier 1955

LACAN Je ne crois pas du tout que ce soit une telle erreur que PERRIER, à la fin de son exposé, ait mis l’accent sur ce qui concerne les troubles psychosomatiques et les relations à l’objet. La relation à l’objet est devenue la tarte à la crème grâce à laquelle on évite beaucoup de problèmes. Il ne s’agit justement pas de l’ob­jet au sens précis, technique, que nous pouvons lui donner, au point d’élabo­ration où nous sommes des divers registres dans lesquels s’établit la relation du sujet. Pour qu’il y ait relation à l’objet, il faut déjà qu’il y ait cette relation narcissique du moi à l’autre qui est, je peux dire, la condition primordiale de toute espèce d’objectivation à proprement parler du monde extérieur, qui est corrélative, par conséquent, aussi bien de l’objectivation naïve, spontanée, que de toute objectivation scientifique. En d’autres termes, l’approximation qu’il a faite, la distinction entre les fonctions organiques, comme les unes représen­tant l’élément relationnel et les autres quelque chose qu’il ne savait pas très bien exprimer, et qu’il a opposées aux premières comme l’intérieur à l’exté­rieur, retombant là, ou croyant pouvoir retomber aisément, dans quelque chose qui, vous savez, est mis en avant constamment dans la théorie de l’éco­nomie psychique de FREUD. Je crois qu’il présentait là quelque chose de juste, mais qu’il n’a pas su l’exprimer de façon adéquate. Mais la distinction dont il s’agit, quant aux réactions psychosomatiques des organes, se place sur un tout autre plan. En d’autres termes, il s’agit de savoir quels sont les organes qui peuvent entrer en jeu dans la relation narcis­sique, c’est – à – dire dans cette relation imaginaire à l’autre, que je vous souligne sans cesse ici être le point où se forme, bilden, le moi. Je vais vous donner des exemples. La fonction du regard, du regarder et de l’être regardé. Voilà une relation qui intéresse un organe, l’œil, pour l’appeler par son nom, qui a un objet électif, qui joue un rôle tout à fait structurant dans cette fonction qui est l’image spéculaire, l’image de l’autre en tant qu’elle est dans cette relation spéciale, élective, l’image du corps propre autour de laquel­le se fait toute la structuration imaginaire du moi. Eh bien, il peut se passer là des choses très étonnantes, je n’ai pas voulu aborder cela hier soir, la plus gran­de confusion règne sur tous ces thèmes de la psychosomatique. Et c’est pour cela qu’il est important de faire le travail d’élaboration conceptuelle que nous faisons ici, comme le Professeur LAGACHE l’a fort bien remarqué, et d’une façon qui n’est pas sans mettre la puce à l’oreille : ce souhait d’un empirisme, est stric­tement corrélatif de ce vœu absolument essentiel, sans lequel il n’y a pas d’em­pirisme possible, d’une conceptualisation incroyablement poussée. Or, on ne peut pas donner de meilleure qualification de l’œuvre de FREUD. L’œuvre de FREUD est la perpétuation de ce mouvement lié, et qui fait qu’on ne peut se pro­pager, avancer dans le domaine empirique que dans la mesure où la conceptua­lisation est à chaque instant soutenue, reprise, enrichie. Il y a des textes… Ouvrez l’article Les pulsions et leur destin [1], qu’on va com­mencer à lire. Je me reproche de ne pas vous avoir lu le texte. Aujourd’hui je vais vous en lire un bout : « Il convient, entend – on dire souvent, qu’une science soit fondée sur des concepts fondamentaux clairs et bien définis. En réalité, aucune science, même parmi les plus exactes, ne débute par de semblables définitions. L’activité scientifique, à son véritable début, consiste bien plutôt à décri­re des phénomènes qu’ensuite elle groupera, classera et rangera dans cer­tains ensembles. Mais déjà, alors qu’il n’est question que de description, l’on ne peut éviter d’appliquer au matériel certaines idées abstraites prises quelque part, non certes tirées uniquement de la nouvelle expérience. Ces idées, concepts fondamentaux de la science, s’avèrent encore plus indis­pensables lorsqu’on continue à travailler la même matière. Elles compor­tent nécessairement au début un certain degré d’incertitude et il ne sau­rait être question de délimiter nettement leur contenu. Tant qu’elles se trouvent en cet état, on parvient à s’entendre sur leur signification en recourant, de façon répétée, au matériel expérimental dont elles paraissent tirées, alors que ce matériel leur est en réalité soumis. Elles ont donc, à proprement parler, le caractère de conventions, tout dépend de ce que leur choix n’a pas été arbitraire, mais qu’elles ont été désignées du fait de leurs importants rapports avec les matières empiriques dont on peut postuler l’existence avant même de l’avoir reconnue et prouvée. Seule une étude plus approfondie de l’ensemble des phénomènes considérés permettra d’enmieux saisir les concepts scientifiques fondamentaux et de les modifier progressivement afin de les rendre utilisables sur une vaste échelle, les débarrassant par là entièrement des contradictions. Nécessité du discours cohérent, vous le voyez. On dit que FREUD n’est pas un philosophe. Moi je veux bien. Mais je ne connais pas de texte sur l’élaboration scientifique qui soit plus profondément philosophique. « Il sera temps alors de les enfermer dans des définitions. Le progrès de la connaissance n’admet non plus aucune rigidité de ces définitions. Ainsi que le montre brillamment l’exemple de la physique… C’est écrit en 1915.

Octave MANONNI – Après GALILÉE, quand même.

LACAN Mais avant EINSTEIN. Donc, quand même ce sens de l’esprit scien­tifique en tant que par exemple l’élaboration du très joli livre de PASCAL nous montre cette perpétuelle refonte des concepts dans l’expérience avec sa valeur propre, pour autant que même il peut faire éclater un instant ce qu’on appelle les cadres rationnels. Tout cela est déjà là. «… l’exemple de la physique, le contenu des concepts fondamentaux fixés en définitions se modifie aussi continuellement. C’est d’un semblable concept fon­damental et conventionnel, pour le moment encore assez obscur, mais dont nous ne pouvons-nous passer en psychologie, celui de l’instinct, autrement dit pulsion, que nous allons parler. Alors, cher PERRIER, vous étiez sur la sellette. J’étais en train de dire qu’une distinction fondamentale nous a manqué qui aurait probablement mis votre exposé à l’abri de certaines critiques de VALABREGA si vous vous y étiez référé, si vous aviez mis le doigt dessus. Dans ce passage de FREUD, « l’instinct » est stricte­ment de l’invention de Madame Anne BERMAN. Il n’est question que de la pul­sion dans le texte de FREUD. Ce qui vous a manqué PERRIER est ceci, j’étais en train de le dire. Quand vous cherchez une distinction, une limite, à propos des organes qui sont intéressés dans le procès proprement psychosomatique, tel que vous avez essayé de le définir, qui est très loin d’envelopper tout ce qu’on nous apportait… si on met un épileptique dans un endroit mieux réglé il arrive qu’il ait moins de crises, etc. ça n’a rien à faire avec la psychosomatique… vous avez cherché en effet un critère dans ces organes et vous avez parlé des organes relationnels, relation avec l’extérieur, et des autres. Vous avez pensé qu’ils étaient plus voisins de ce qu’on peut considérer comme l’immense réserve d’excitations internes, dont FREUD nous donne le schéma et l’image quand il parle justement des pulsions internes. Eh bien, je ne crois pas que ce fût là une bonne distinction. L’important est que certains organes sont intéressés dans la relation narcissique, en tant qu’elle structure à la fois : le rapport du moi à l’autre, comme je le disais à l’instant, la constitution du monde à proprement parler des objets et puis cet autre domaine, qui est l’arrière-plan des considérations économiques sur la libido, dans toute cette période médiane de l’œuvre de FREUD où c’est la libido qui constitue… je l’ai indiqué l’année dernière suffisamment à propos de l’Introduction au narcissisme… c’est précisément lorsqu’il introduit la fonc­tion essentielle du narcissisme et qu’il s’aperçoit que le narcissisme est directe­ment intéressé de cette économie de la libido sexuelle, que commence une période tout à fait élaborée de sa théorie de la libido. Je vous fais remarquer au passage que dans ses Trois essais sur la sexualité le passage sur la libido est ajouté tardivement. Si je me souviens bien, c’est vers les années 1920. Vous pouvez croire que la théorie de la libido a été élaborée en même temps que les phases instinctuelles. C’est une illusion qui tient au fait qu’il y a réédition ultérieure des Trois essais. Derrière le narcissisme, vous avez, très précisément, l’auto – érotisme, à savoir cette masse investie de libido à l’intérieur de l’organisme, dont je dirais que les relations internes sont pour nous aussi limitrophes, nous échappent autant… je vais faire une comparaison qui peut – être ne va pas livrer tout de suite pour vous tout son poids et tout son sens, mais qui est dans la ligne de ce que j’ai abordé la dernière fois… que ce qu’on peut appeler l’entropie. Il faut que j’y revienne pour vous en faire sentir toute la portée, l’analyse et la compréhension. Dans l’Au – delà du principe du plaisir, il est évident que nous en sommes là de l’entropie, c’est – à – dire que les équivalences énergétiques que nous pouvons sai­sir à propos d’un organisme vivant, nous ne connaissons jamais en fin de comp­te que le métabolisme, à savoir le livre de compte, ce qui entre et ce qui sort. Ce que l’organisme assimile, par toutes les voies, comme quantités d’énergie et ce qui, à la fin, compte tenu de tout, dépenses musculaires, efforts, déjections, sort du mécanisme. Bien entendu, les lois de la thermodynamique sont ici respectées. Il y a dégradation de l’énergie, mais simplement, à l’entrée et à la sortie. Tout ce qui se passe à l’intérieur, nous n’en savons fichtrement rien, pour une simple raison, que nous ne pouvons absolument pas en mesurer l’interaction de proche en proche, à la façon de ce qui se passe dans le monde physique, le propre d’un organisme étant que tout ce qui se passe en l’un de ses points retentit dans tous les autres. Or, ceci nous met dans des conditions telles que nous ne pouvons absolument pas savoir ce qui se passe sur le plan thermodynamique. C’est quelque chose non pas d’équivalent, mais d’analogue qui se pose à propos de l’économie de la libido, c’est – à – dire des investissements qu’on appelle en analyse… c’est une indication théorique… auto – érotiques, c’est – à – dire ce point des investis­sements proprement intra – organiques qui jouent un rôle certainement tellement important dans les phénomènes psychosomatiques. Le terme d’érotisation de tel ou tel organe étant justement la métaphore qui est venue le plus souvent, par le sentiment que nous avons de l’ordre de phénomènes dont il s’agit, pour exprimer ce qu’on veut dire quand on parle de phénomène psychosomatique. Et votre distinction entre la névrose et le phénomène psychosomatique est justement marquée par cette ligne de partage que constitue le narcissisme. Il y a toujours, évidemment, dans la névrose les mécanismes de défense, en tant qu’ils sont liés à la relation proprement narcissique du moi à l’autre. C’est une structure fondamentale de la névrose. À partir de là commence la névrose. Les mécanismes de défense dont vous parlez, il ne faut pas en parler d’une façon vague, comme si c’étaient des homogènes continus avec les mécanismes de défense tels qu’ils sont employés dans une certaine notion économique de la maladie, comme réactions par exemple. Les mécanismes de défense dont il s’agit, on peut les introduire comme ça, mais nous en savons quand même un peu plus. Ici ceux dont il s’agit sont toujours plus ou moins liés à la relation narcissique du moi : en tant qu’elle est strictement structurée sur le rapport à l’autre, l’identifi­cation possible avec l’autre, la stricte réciprocité du moi et de l’autre, pour autant que dans toute relation narcissique, le moi est l’autre, et l’autre est moi, et pour cela les mécanismes de défense dont nous parlons, ceux qui sont un peu plus importants en analyse, énumérés, constituant originalement les défenses du moi dans l’œuvre d’Anna FREUD, sont pour nous importants. La névrose est au – delà de ces structures narcissiques, toujours encadrée par la structure narcissique. Mais il y a aussi des choses qui se passent avant ou sur un autre plan. Or cet autre plan ça n’est pas, comme vous l’avez dit, le plan de la relation à l’objet, ou comme le dit M. PASCHE, avec un très regrettable aban­don de toute rigueur conceptuelle… je le dis d’autant mieux que c’est quel­qu’un qui, dans un temps, laissait plus d’espoir… que si on parle de quelque chose ce n’est pas du tout de relation à l’objet. Si quelque chose est suggéré par les réactions psychosomatiques en tant que telles, elles sont en dehors du registre des constructions névrotiques. C’est une relation non pas à l’objet, mais quelque
chose toujours à la limite de nos élaborations conceptuelles, à quoi on pense toujours, dont on parle quelquefois, et qu’à proprement parler nous ne pouvons pas saisir, et qui quand même est là, ne l’oubliez pas, car je vous parle du symbolique, de l’imaginaire mais il y a le réel. Et c’est au niveau non de l’objet, mais du réel.

François PERRIER C’est bien ce que j’ai voulu dire.

LACAN Mais vous ne l’avez pas dit… Car vous avez cité PASCHE qui a parlé de la relation à l’objet. Or il ne s’agit absolument pas dans l’économie libi­dinale du tuberculeux, de la relation à l’objet. Si vous placez les choses sur le plan de la relation à l’objet vous vous perdrez dans des relations avec l’objet mater­nel, primitif, c’est – à – dire que vous arrivez à une espèce de pat, comme on dit aux échecs, clinique. Vous n’en sortez pas, il n’en sort rien. Par contre, la réfé­rence au terme de réel peut manifester dans cette occasion sa fécondité. Je ne peux pas vous en dire plus aujourd’hui. C’est un point très important.

François PERRIER Après avoir cité PASCHE, je pense avoir insisté sur le fait que le malade psychosomatique avait une relation directe avec le réel, le monde, et non pas l’objet, et que la relation thérapeutique qu’il instaurait avec un méde­cin… aussi indifférenciée qu’elle soit… réintroduisait en lui le registre du narcissis­me. Et dans cette mesure, c’est ça qui le guérissait de son cycle psychosoma­tique, dans la mesure où ce tampon lui permettait d’en revenir à une dimension plus humaine.

LACAN Je ne dis pas que vous ayez dit des choses sottes. Je dis que du point de vue de la rigueur du vocabulaire, vous n’auriez pas prêté par exemple aux critiques de VALABREGA si vous aviez fait intervenir le terme du réel, plutôt que d’objet.

Jean – Paul VALABREGA La référence au narcissisme est fondamentale, cependant le narcissisme conduit à une relation d’objet, c’est le corps propre.

LACAN – Je ne dis pas ça.

Jean – Paul VALABREGA La référence à la relation d’objet est dans un texte important, dans l’Introduction au narcissisme FREUD a étudié les problèmes psychosomatiques et il considère le cas de la maladie physique dans ce texte. Et dans d’autres ensuite il y revient : dans Inhibition, symptôme, angoisse il ne considère pas seu­lement les maladies vénériennes, mais même la tuberculose. Il dit que dans la maladie physique on a un investissement narcissique d’un organe, d’un système. On voit dans ce texte que FREUD, en somme, ne tombe pas du tout sous le coup du reproche que j’adressai à PERRIER. On voit que dans sa pensée il n’y a aucun postulat quant au dualisme de l’intériorité et de l’extériorité. Il parle beaucoup de l’intérieur et de l’extérieur. Mais il n’y a dans sa pensée aucun postulat. LACAN Je vais vous faire une simple remarque, qui va vous permettre de distinguer. J’ai parlé tout à l’heure du voyeurisme – exhibitionnisme et d’une pulsion qui en somme a sa source dans un organe, et je vous ai fait remarquer que c’était l’œil. Mais l’objet n’est pas l’œil. De même que pour ce qui est de l’ordre du registre du sadisme – masochisme, de même aussi il y a une source dans un ensemble organique, la musculature, mais tout indique que son objet… encore qu’il ne soit pas sans rapport avec cette structure squelettique, musculaire… est autre chose. Au contraire, quand il s’agit de ces investissements que nous pouvons appe­ler plus proprement auto – érotiques, nous n’avons pas la notion de cette dis­tinction intra – organique, sans doute, où s’opposent la source et l’objet, où se distinguent la source et l’objet. Nous n’en savons rien, si je puis dire, mais il semble que ce que nous pouvons concevoir, c’est justement un investissement sur l’organe même. Vous voyez la différence. C’est là le plan de clivage entre auto – érotisme avec tout ce que ça garde de mystérieux, presque impénétrable. Cela ne veut pas dire que nous ne ferons pas quelques pas en avant par la suite. Nous en resterons là, à vous faire remarquer l’important de cette distinction. Et je dirai même plus. Si PERRIER veut bien, après l’effort qu’il a donné, ne pas tomber immédiatement dans cette réaction d’endormissement et de repos, qui est ce que souhaite bien naturellement le principe du plaisir, mais soutenir son effort cette semaine, il nous préparera pour la prochaine fois ce petit chapitre Les pulsions et leur destin. François PERRIER Je veux poser une question à propos de ces notions d’intériori­té et extériorité. Il lui [Valabrega] semblait que je les avais utilisées… Je vais essayer de me faire comprendre. J’ai envisagé d’une part le sujet enfermé en quelque sorte à l’intérieur juste­ment de son narcissisme. J’ai utilisé le mot narcissisme tout à la fin, et c’est une erreur. J’aurais dû m’en servir beaucoup plus tôt et ce qui fait que le réel en tant que réel, c’est – à – dire une certaine forme d’extériorité qui est le réel, mais qui n’est pas toutes les formes d’extériorité pour le sujet. En ce sens que le réel ne lui apparaît qu’à travers la réfringence de son narcissisme et je l’ai opposé au contact du névrosé avec le réel, qui est un contact indirect, le contact du mala­de psychosomatique avec cet extérieur, ce réel qui n’est pas celui du névrosé, qui est le réel à l’état pur. J’ai parlé d’une inquiétante béance au réel chez le psychosomatique, sans pour autant prétendre faire de tout ce qui concerne le névrosé quelque chose d’intérieur, car le névrosé a son intériorité et son exté­riorité, mais à travers une troisième dimension ou un troisième milieu qui est celui de ce narcissisme, tandis que j’avais l’impression que pour le psycho­somatique il n’y avait pas la dimension du narcissisme et que c’était un vrai extérieur par rapport à un vrai intérieur, faute d’un narcissisme, donc d’une auto – érotisation, faute d’une utilisation auto – érotique de sa libido. Voilà au fond ce que je crois avoir voulu dire. Et je voudrais savoir si [il s’adresse à Valabrega] ce que vous avez dit porte quand même, car alors je ne l’ai pas bien compris.

Jean–Paul VALABREGA J’ai compris ce que vous voulez dire.  La distinction semble dif­ficile à maintenir, si on considère le passage dans les névroses de la névrose traumatique, ensuite névrose actuelle puis ensuite les psycho–névroses.  FREUD est très embarrassé lui–même.  À ce sujet, il dit que la névrose traumatique reste un mys­tère pour lui.  Il dit :« C’est très regrettable qu’on n’en ait pas analysé, qu’on ne dispose pas d’analyses.  »Dans la névrose traumatique, la notion de danger extérieur s’impose, qui prévoit toutes les hypothèses d’une façon affirmée.  Dans la névrose trauma­tique, on trouverait des caractères tout à fait analogues à la névrose actuelle.  Et il en est resté là. Ce rapprochement de la névrose traumatique à la notion de danger extérieur qui était explicatif n’est pas discutable et ce qu’il a trouvé sur la névrose actuel­le, dont il a pu nous parler, a apporté davantage de certitude, et montre que la distinction est difficile à maintenir.

LACAN Quelle distinction ?

Jean–Paul VALABREGA Entre l’extériorité et l’intériorité.

LACAN Mais au niveau du réel, elle n’est pas maintenable, le réel est sans fissure, mon cher.  Ce que je vous enseigne ici, par où FREUD converge avec ce que nous pouvons appeler la philosophie de la science, c’est que ce réel, nous n’avons aucune espè­ce d’autre moyen de l’appréhender sur tous les plans, et pas seulement sur celui de la connaissance, que par l’intermédiaire du symbolique.  Le réel, lui, est abso­lument sans fissure.  Ne nous cachons pas les biais, et assez justement le vice, par exemple, en matière de biologie plus ou moins vitaliste… de choses aussi momen­tanément sympathiques, voire fécondes, que des théories comme celle de Von FRISCH, de toute espèce d’holisme réciproque, de positions en principe corres­pondantes entre un Umwelt et un Innenwelt…c’est que c’est vraiment mettre des pétitions de principe au départ de l’in­vestigation biologique, des pétitions de principe qui peuvent avoir un intérêt comme moment d’une discussion, comme épreuve, comme hypothèse, mais sont absolument colossales en elles–mêmes.  Rien ne nous oblige à penser une chose pareille, même une chose aussi simple que ces rapports reflétés de l’être vivant avec son milieu.  Cette notion en quelque sorte, cette hypothèse préétablie de l’adaptation, même en lui donnant toute sa fécondité sur le plan de la totalité… je veux dire lui donnant l’acception la plus large …est une prémisse dont rien ne nous indique que ce soit quelque chose de valable.  Et en fait, après tout, nous voyons bien plutôt que c’est une autre voie.  C’est ce qui fait la fécondité d’autres recherches auxquelles nous pouvons faire toutes sortes de critiques : anatomisme, associationisme, etc.  Si elles sont plus fécondes, c’est parce qu’elles ne sont pas ça, qu’elles s’éloignent de cette hypothèse  : elles mettent au premier plan, dans l’in­vestigation humaine le symbolisme, sans le savoir, elles le projettent dans le réel, elles s’imaginent que ce sont les éléments du réel qui entrent en ligne de compte.  C’est simplement le symbolisme qu’elles font fonctionner dans ce réel, qu’elles font intervenir, non pas à titre de projection, ni de cadre de la pensée, mais à titre d’instrument d’investigation. Sur ce plan, il n’y a pas besoin de s’affoler sur l’intériorité et l’extériorité : le réel est sans fissure.  Et il est juste de dire qu’au départ, dans cet état hypothé­tique d’auto–clôture, qu’on suppose dans la théorie freudienne – tout à fait au départ – être celui du sujet, qu’est–ce que ça veut dire qu’à ce moment–là le sujet est tout ? Vous y êtes ?

Jean–Paul VALABREGA Ce n’est pas à propos du réel que le problème se pose, mais à propos de sa distinction entre : les appareils de relation avec le réel, et les appareils non–relationnels.

LACAN La distinction, c’est non en tant qu’appareils mais en tant qu’inclus dans la relation narcissique, ou dans l’autre cas, ne l’étant pas.  C’est au joint de l’imaginaire et du réel que se place la différenciation. Dans ce que j’ai dit, dans l’ensemble, il y a une réaction qui consiste juste­ment…plus qu’il n’est apparu à certains d’entre vous…à se référer aux textes.  Mon grand ami Jean HYPPOLITE… qui n’est pas là aujourd’hui parce qu’il est en Allemagne…après ce que je vous ai dit la dernière fois, m’a dit avoir relu Au–delà du principe du plaisir.  Et je pense qu’il est au moins aussi occupé que la plupart d’entre vous.  Alors, maintenant, c’est le moment de penser à le lire et je pense que vous l’aurez tous lu pour la prochaine fois.  Ça vous fera du bien de vous fixer ainsi un terme.  Et dans quinze jours nous en parlerons avec le texte en mains. J’ai voulu vous donner un premier aperçu : dans quel sens s’amorce la posi­tion de la question, Qu’est–ce que ça veut dire ? Qu’est–ce qui se passe au–delà du principe du plaisir ? Ce que je vous ai dit la dernière fois est ceci, qu’un sym­bolisme se constitue qui est essentiel à toutes les manifestations les plus fonda­mentales du champ analytique et nommément à celle–ci : la répétition. La répétition dont il s’agit, je vous l’ai dit, est quelque chose qu’il nous faut concevoir comme lié : à un processus circulaire de l’échange de la parole,à un circuit symbolique extérieur au sujet, qu’il faut littéralement penser être lié à un certain groupe, disons de support humain, d’agent humain, de support de ses discours, le petit cercle qui est impliqué dans ce qu’on appelle le destin du sujet et qui continue ce discours en circuit, dans lequel est inclus le sujet indéfini­ment, jusqu’à ce qu’en fin de compte le sujet comprenne.  J’incurve là ma pen­sée.  Naturellement vous sentez bien que ce n’est pas tout à fait comme ça qu’il faut le comprendre.  Mais vous voyez bien, j’image là ma pensée. Un certain circuit de rapports, un certain échange de rapports – je concrétise – se poursuit, qui est justement, parce qu’il s’agit là à la fois d’extérieur et d’inté­rieur, tout en étant… il faut se le représenter comme un discours qu’on récite comme si nous étions partout avec un appareil enregistreur, on pourrait l’isoler et le recueillir, quelque chose dont une part considérable, pour les meilleures raisons, échappe au sujet, parce qu’il n’a pas les appareils enregistreurs en ques­tion…ce quelque chose qui continue, et revient, et trouve son chemin pour revenir, insiste, revient, se déclare toujours prêt à rentrer dans la danse du dis­cours intérieur.  Maintenant, si vous voulez, c’est aussi une métaphore du sujet, jusqu’à ce que ça passe.  Naturellement, le sujet peut passer toute sa vie sans entendre ce dont il s’agit.  C’est même ce qui se passe le plus communément.  L’analyse est justement faite pour ça, pour qu’il entende, c’est–à–dire qu’il com­prenne dans quel rond du discours il est pris, et du même coup dans quel autre rond il est incité à entrer.  Vous y êtes ?Nous allons revenir largement en arrière, repartir du départ, parler du Projet.  C’est un manuscrit de FREUD…qu’on a retrouvé, qu’il n’a pas publié…de Septembre 1895, qui nous met devant la façon dont FREUD, avant d’écrire La science des rêves, et pendant qu’il était en train de poursuivre non pas son auto­–analyse,mais son analyse tout court, c’est–à–dire qu’il était sur le chemin de sa découverte, déjà se représentait l’appareil psychique.  Il est important de le voir : à cette époque c’est inséparable de l’histoire de la pensée de FREUD.  Et vous verrez qu’à partir de là…et éclairée par cette ponctuation que nous allons faire …toute la signification qu’ont ses élaborations ultérieures, c’est–à–dire qu’à la lumière de ce qu’il avait d’abord posé, avant de faire la théorie de la Traumdeutung, la machine à rêver, pour autant qu’elle va rejoindre cette autre machine dont je vous évoquai tout à l’heure le schéma, à propos du discours de l’autre,ou plus exactement de beaucoup d’autres, comment il a été forcé de remanier ses conceptions primitives.  Cela apparaîtra significatif dans un deuxième temps. Aujourd’hui nous faisons un travail de préparation.  ANZIEU va nous appor­ter une analyse de ce qu’il est important de mettre en relief dans ce Projekt que FREUD fait du psychologique.
Didier ANZIEU :  L’Esquisse : il s’agit d’un manuscrit qui se trouve joint aux Lettres à Fliess et qui a été déclenché d’ailleurs par une rencontre avec celui–ci, FREUD ayant commencé à le rédiger dans le train qui le ramenait à Vienne.  Il l’a rédigé en trois fois.  Ce manuscrit ne porte évidemment aucun titre, n’a jamais été publié avant la publication des Lettres à Fliess.  Il comprend trois parties.  Je ne vous par­lerai que de la première, schéma général.  La deuxième est l’application aux phé­nomènes psychologiques, et hystériques particulièrement.  La troisième est un retour aux processus psychologiques normaux et un essai de les approfondir.  Comme je le faisais remarquer, le manuscrit ne porte aucun titre.  Dans l’édition allemande on l’a appelé : Projet psychologique pour les neurologues, dans l’édi­tion anglaise : Projet de psychologie scientifique. Je crois qu’il faut que je m’étende encore un peu sur les circonstances qui ont accompagné la rédaction de ce texte, afin de le mieux faire comprendre.  On sait que les travaux de BERNFELD, la physiologie de l’âme allemande par MÜLLER, et BRÜCK qui fut le professeur de physiologie de FREUD à Vienne, que tous ces physiologistes avaient convenu d’un postulat, qu’ils ont passé leur vie à défendre, qui était : « Ramener tous les phénomènes physiologiques et psycholo­giques à des forces physiques, ou du moins à du physiquement mesurable.  » On peut donc situer le travail de FREUD dans l’école de BRÜCK, et dans cette pers­pective générale, comme un effort – et lui–même le dit dès le début — pour tout expliquer par des forces physiques  et tout ramener à du mesurable. Une seconde circonstance, plus particulière, c’est que dans les Études sur l’hystérie, qui sont antérieures à ce manuscrit, BREUER a rédigé le chapitre géné­ral, de théorie générale, où il essaie d’expliquer justement par du physiquement mesurable, en recourant essentiellement…ce dont je me souviens bien…à des métaphores électriques et magnétiques, en considérant le système nerveux comme un champ électro–magnétique, et par conséquent de stimulations entraî­nant modifications de ce champ, entraînant à leur tour des réactions.  BREUER fait une théorie d’excitations intracérébrales, et je pense l’hypothèse de BERNFELD un peu extravagante, disant que c’est FREUD qui a écrit cet article signé par BREUER, ce qui fait qu’on ne comprend pas pourquoi il aurait réécrit quelque chose de tout à fait différent trois mois après.  Je pense plutôt que c’est parce que FREUD était insatisfait de cet effort de conceptualisation de BREUER, alors que jus­tement leur entente commençait à vaciller.

LACAN Est–ce que BERNFELD se rend même bien compte que c’est tout à fait différent ?

Didier ANZIEUIl n’a pas l’air ! Dans l’article, il ramène systématiquement l’un à l’autre.

LACAN Bien sûr ! C’est pour ça qu’il l’attribue à FREUD.

Didier ANZIEU Il a fallu longtemps pour que je m’en débarrasse.  FREUD a donc voulu réécrire une théorie générale des phénomènes qu’avec BREUER il venait de découvrir, une théorie générale qui soit conforme à l’inspiration physicaliste et quantitativiste que je viens de décrire. Pour introduire correctement ce texte, il y aurait eu un second travail à faire.  Et je n’ai eu ni le temps, ni la compétence, ni le goût de le faire : ç’aurait été de situer en 1895 où en était la théorie du neurone.

LACAN Elle n’était pas loin.  Elle n’était nulle part.  Il est tout à fait en flèche de la théorie du neurone.  Les idées que FREUD avait sur la synapse sont tout à fait neuves.  Il prend là parti sur quelque chose qui était loin d’être tranché.

Didier ANZIEU Je suis d’accord.  Mais toute la théorie du neurone est en train de s’élaborer dans cette école de physiologie allemande.  FREUD y a particulièrement travaillé, dans ses travaux sur l’analyse du système nerveux du poisson, de l’écrevisse… Il a été le premier à démontrer l’existence du neurone, là où personne n’en avait vu auparavant et il termine l’article par l’hypothèse qu’il y avait conduction d’influx nerveux, analogue à la conduction électrique.

LACAN Il prend parti sur la synapse en tant que telle, c’est–à–dire rupture de continuité de cellule nerveuse à la suivante.

Didier ANZIEU Ce serait intéressant cette découverte de FREUD.  C’est maintenant, en 1950, qu’on s’aperçoit que FREUD l’a faite, la découverte du neurone.  FREUD ayant découvert la psychanalyse, on s’aperçoit qu’il avait la manie de découvrir les choses.  À l’époque on ne s’en était pas rendu compte.  Mais il y avait d’autres gens qui travaillaient partout.  D’ailleurs une découverte se fait toujours en plu­sieurs points simultanément.  Il aurait été question de faire un état de la question du neurone.  Comme une note du traducteur le signale, la théorie de la synapse n’a été présentée par SHERRINGTON qu’en 1897, donc deux ans après ce texte de FREUD.

Arrivons maintenant au texte lui–même.  La subdivision que l’éditeur a intro­duite… différente d’ailleurs de celle de l’édition allemande  …est discutable et je vais vous proposer la subdivision suivante :En première partie, FREUD décrit la structure de l’appareil neuronique.  Il est curieux de revoir le texte en allemand, qui ne parle pas de l’appareil nerveux, mais neuronique. Une fois décrits la structure et les principes, il explique comment il fonction­ne.  Il y a une espèce, si ce n’est d’histoire du moins de genèse qu’il produit, à savoir, qu’en assistant au fonctionnement de l’appareil neuronique nous allons voir apparaître successivement ce qu’on appelle communément les fonctions psychologiques.  Et je n’ai pu m’empêcher, en lisant ce texte, d’une réminiscence qui était la statue de CONDILLAC, où justement une fois la struc­ture de la statue définie, la présentation d’une série de parfums faisait que sensations, percepts, images, souvenirs, jugements, raisonnements découlaient d’une façon admirablement logique.  On a donc l’impression chez FREUD qu’il y a une volonté de reconstruire les phénomènes psychologiques à partir d’un certain modèle qui se situe dans la plus belle tradition atomistique. Ensuite, dans cette genèse, c’est simplement le fonctionnement de l’appareil neuronique en tant que tel, mais ce fonctionnement va avoir à son tour des répercussions sur lui–même.  Le fait d’avoir fonctionné une fois laisse, comme dans ladite statue, un certain nombre, si ce n’est de traces, du moins de conséquences.  Et, bien que FREUD ne cite à aucun moment le mot expé­rience, de ces expériences va se constituer un certain savoir.  Et les fonctions psychologiques qui ne découlent pas directement du fonctionnement de l’appareil neuronique vont découler indirectement des expériences faites par ce système.  C’est une espèce d’apprentissage qui en découle. À son tour cet apprentissage va aboutir à créer une certaine chose tout à fait spéciale qui est le moi. Et à son tour ce moi, qu’on vit apparaître toujours conformément à la tradi­tion empirique, à la fin va réagir sur l’ensemble du système précédent et exercer sur lui un certain nombre de fonctions. Après avoir décrit ces fonctions, FREUD va pouvoir revenir à la distinction fondamentale des processus primaire et secondaire.  Et comme tout le cours de ce manuscrit est en somme le passage du processus primaire au secondai­re, et surtout le détail des processus secondaires, il consacre un dernier chapitre au processus primaire et donne comme exemples le sommeil et le rêve. Voilà donc le plan général.  Appareil neuronique.  « La psychologie est conçue comme une science naturelle.  Les processus psychiques sont – je cite FREUD – des états quantitativement déterminés de particules matérielles spécifiques.  Et en l’occurrence les particules sont les neurones, donc les processus.  Je signa­le les réflexions qui me sont venues dès ce point et que d’autres remarques de FREUD ont contribué à accentuer.  Par conséquent, FREUD rompt avec la concep­tion traditionnelle des phénomènes psychiques comme phénomènes de conscience et il le dira plus tard explicitement dans le texte en montrant qu’il y a des phénomènes psychiques qui ne sont pas du tout conscients.  Je crois donc que la découverte de l’inconscient chez FREUD, qui évidemment en psychanalyse a un autre sens que dans la perspective d’un matérialisme physiologique, a cepen­dant été facilitée considérablement par cette habitude de FREUD dans le milieu où il travaillait, d’une dénégation de la réalité de la conscience. Revenons donc à ce neurone, d’où tout va sortir.  Le principe fondamental du neurone est le principe de toute particule matérielle, c’est le principe d’inertie appliqué au neurone : comment les neurones tendent à se débarrasser de la quantité.  Ils tendent à se débarrasser de la quantité et c’est justement en condui­sant cette quantité au système musculaire.  Par conséquent, l’hypothèse d’un courant nerveux… bien que FREUD ne précise pas explicitement, il y fait allusion…qui circule à travers les neurones, est déduite logiquement du principe d’inertie.  Il précise que cette tendance à l’inertie est la tendance à réduire le niveau de ten­sion à zéro.  Ce sera donc ce que plus tard on retrouve sous le nom de principe de nirvana.  C’est la fonction primaire du neurone, fonction de décharge. Mais une fonction secondaire apparaît, c’est que plutôt que de décharger la quantité, quand le neurone la subit, il pourrait y échapper en la fuyant d’une part, et pour la fuir comment peut–il faire ? Eh bien, le système neuronique peut mettre en branle un certain nombre d’actions qui visent à réduire les stimuli externes, qui justement font augmenter la quantité dans le système neuronique.  Par conséquent, si les processus primaires sont une décharge de la quantité, les processus secondaires échappent à la quantité par la réduction des stimuli externes ou internes.  Ici le principe d’inertie se trouve donc, au niveau de la fonc­tion secondaire, modifié en un nouveau principe, le principe de constance, c’est–à–dire qu’au lieu de chercher à réduire le niveau de tension à zéro, on cherche à le maintenir constant, c’est–à–dire le plus bas possible, c’est ce qui sera repris dans l’énoncé non du principe de nirvana, mais du principe de plaisir. Le principe de constance suppose que l’énergie puisse être accumulée dans le système neurologique, car s’il se déchargeait au fur et à mesure, il n’y aurait rien, pas de psychisme.  C’est justement le fait qu’il n’y a pas un seul neurone, mais plusieurs et que la connexion entre les neurones explique que l’énergie s’accumule dans le système neuronique, c’est une hypothèse de FREUD, le contact entre deux neurones constitue une barrière au passage de la quantité.  Plus exactement, il y a selon FREUD deux sortes de neurones : ceux qui sont per­méables et laissent passer l’excitation, et reviennent à leur état primitif, il appel­le cela le système ϕ et des neurones imperméables, qui ne laissent passer la quan­tité que partiellement, dont la barrière de contact empêche l’écoulement total.  Ces neurones se trouvent donc modifiés par le passage de la quantité.  On voit donc qu’il y a là la base des phénomènes de l’ordre de la mémoire, et une base de l’ensemble des phénomènes psychologiques.

Pour cette raison, FREUD appel­le ces autres neurones, les neurones Ψ, par opposition aux ϕ. Y a–t–il une différence de nature entre ces neurones, ce qui supposerait qu’histologiquement on a pu trouver une fibre nerveuse différente ? Non point, pense FREUD.  Cela tient simplement à l’importance des quantités qui passent dans les neurones.  Tant qu’une grande quantité passe dans un neurone, la résis­tance offerte par les barrières de contact est négligeable.  Mais si c’est une petite quantité qui passe, cette petite quantité étant du même ordre de grandeur que la résistance des barrières de contact synaptiques, alors nous avons affaire au second ordre de phénomènes.  Donc les neurones ϕ sont spécialisés dans la décharge des grandes quantités, et les  Ψ dans le passage des petites quantités avec le phénomène résiduel d’accumulation de la quantité, et possibilité de la mémoire qui en résulte.  Les neurones ϕ sont donc en somme ceux qui sont en contact avec le monde extérieur.  Quant aux neurones Ψ, ils sont probablement plus internes.  Il faut probablement les situer du côté du cortex, d’une part, et d’autre part en contact avec les neurones ϕ, donc en contact indirectement avec le monde extérieur, par le premier système et deuxièmement avec les cellules intérieures du corps, et les quantités d’origine interne, qui correspondent à l’expérience du besoin, faim, respiration, sexualité et qui sont en contact direct avec les quantités d’origine interne.  C’est ce qui explique que les neurones y soient spécialisés plutôt dans la fonction secondaire.

LACAN Tout ça, du point de vue de la topique, le principe de réalité dans ce premier schéma, ce qui nous est donné comme système vitaliste, arc réflexe, selon le schéma le plus simple stimulus–response, semble obéir uniquement à la loi de la décharge.  On ne peut même pas parler d’élaboration, c’est une pure et simple inertie générale.  Le circuit doit se fermer par la voie la plus courte.  Là–dessus il branche son système, qui se trouve être à la fois en relation avec les besoins internes, qui y introduit la source et l’origine du système du moi, comme tam­pon, fonction–tampon, c’est–à–dire comme quelque chose à l’intérieur, un systè­me à l’intérieur du système.  Il y a entrecroisement de ce que plus tard il propo­sera d’une façon différenciée, le principe de réalité est introduit par la référence au système  Ψ, le système qui est dirigé vers l’intérieur.

Didier ANZIEU Voilà donc le schéma général.  Comment fonctionne ce schéma général ? Quelles sont les premières fonctions psychiques que nous allons ren­contrer ? La douleur en premier lieu.  Quand le système neuronique fonctionne, il y a des quantités trop importantes, le système ϕ  ne suffit pas à les décharger, étant donné qu’il est connecté au système Ψ, une certaine quantité, un certain excès de quantité passe dans le système Ψ.  Cette irruption dans le système Ψ, d’une quantité supérieure à l’habituelle, est la douleur.  FREUD se conforme là à une des vues les plus classiques sur le problème de la douleur, que toute sensation, en devenant intense, perd sa spécificité et devient douloureuse.  Semblablement, je pense que curieusement FREUD fait là le même travail, mais dans l’ordre inverse.  Dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience, partant de la même sensation de douleur, BERGSON s’efforce de mon­ter que rien de ce qui est sensible ne peut se réduire à du quantitatif, car c’est foncièrement qualitatif.  FREUD fait le même travail, partant de la même expé­rience de la douleur, à savoir que tout ce qui nous apparaît comme qualitatif est au fond fondamentalement du quantitatif.  Donc, toutes les qualités sensibles à ce moment–là apparaissent et la structure du système neuronique permet la transformation de la quantité en qualité.  Il fait allusion, bien que non explicite­ment, aux lois de Fechner qui montrent que le seuil différentiel est en rapport étroit avec un rapport de structure mathématique de variation d’intensité du sti­mulus.  Mais ces qualités sensibles vont amener une différenciation dans le sys­tème neuronique. FREUD se trouve obligé de poser un troisième système de neurones, qu’avec un sens de canular il appelle ω et désigne par W, parce que ça ressemble à ω et finalement on n’y comprend plus rien, et les commentateurs se sont bien creu­sé la tête.  Troisième système de neurones, les neurones perceptuels, ceux qui vont, à l’intérieur de Ψ se spécialiser dans la qualité.  Mais en quoi sont–ils dif­férents de Ψ ? Parce que ce qui caractérise Ψ c’est que ce sont de petites quantités qui le traversent.  Ici ce n’est plus une question de quantité, mais de périodes.  Car l’influx neuronique est périodique.  Les périodes peuvent en être différentes même si les quantités sont équivalentes, et le système W est celui à qui est trans­mise par Ψ venant de ϕ uniquement la période des intensités des stimuli.

LACAN Faites bien saisir ce qui nécessite à ce niveau–là cette invention du système qui est déjà préfiguration du système du Ça.  Parce que, en fin de comp­te, avec toutes ses méconnaissances de la conscience, jusque–là tout marche très très bien.  Pas la moindre conscience ! Il faut bien quand même qu’il la réintro­duise et il l’a réintroduite sous cette forme paradoxale d’un système, du système dont il faut qu’il admette qu’il a des lois tout à fait exceptionnelles, c’est–à–dire que tout ce qui s’y passe, c’est ça sa caractéristique, il se creuse la tête, la période doit y passer avec le minimum de dépense d’énergie, c’est–à–dire une énergie presque nulle.  Il ne peut pas dire tout à fait nulle.

Didier ANZIEU Il hésite, il ne tranche pas.  Mais il dit, il n’y a pas de quantité, mais tout juste une quantité qui sert de support à une période.  Et c’est ce qui explique que ça ne laisse pas de traces, ça ne peut pas être reproduit, la transmission de la qualité est essentiellement qualitative.

LACAN Bon ! En somme nous nous trouvons là une première fois avec ce qui se reproduira à tout bout de champ dans son œuvre, c’est–à–dire la remarque que somme toute ce système conscient, on ne sait pas quoi en faire.  Il faut lui attribuer des lois tout à fait spéciales et le mettre en dehors des lois d’équivalen­ce énergétiques, qui président à toutes ces régulations quantitatives.  Ce qui le met tout à fait à l’état exceptionnel, et en fait vraiment toujours constamment un pro­blème, une chose dont il ne sait que faire.  Bien entendu, pourtant, il ne peut pas se dispenser de faire intervenir le « je ».  C’est ce que je vous demande : Qu’est–ce qu’il va en faire ? À quoi sert–il ?

Didier ANZIEU Je pense que ce qui répond à votre question, en partie, dont il nous a averti à l’avance, c’est que la fonction primaire pourrait suffire dans un organisme unicellulaire, mais qu’elle ne peut pas suffire dans un organisme du système neuronique compliqué, et qu’il faut recourir à la fonction secondaire.  Ces qualités sensibles existent, pourquoi ? Parce qu’elles sont utiles.  FREUD dit bien que c’est un argument un peu simpliste d’allure darwinienne, que ce qui doit exister pour la sauvegarde d’un organisme finit par exister, ou alors l’organisme n’existerait plus.  C’est donc une vue tout à fait pragmatique, utilitariste, qui rend compte de l’apparition de la conscience par le biais des sensations et des qualités sensibles, à savoir que les sensations vont nous renseigner sur le monde extérieur, et par là même nous permettre de nous mettre à l’abri contre les excès d’infiltra­tion de la quantité dans l’organisme, qui risquera de détruire le système. Mais après la douleur, la conscience peut être introduite dans la psychologie sous une forme uniquement quantitative.  FREUD précise bien, la conscience c’est l’aspect subjectif d’une partie des processus physiques dans le système neuro­nique.  Et il précise de quelle partie il s’agit ici, c’est W, les processus perceptifs. C’est donc bien le début de ce système perception–conscience qu’on retrou­vera dans toute l’œuvre ultérieure.  Mais FREUD pousse la conception de la conscience comme pur épiphénomène, pur reflet sans aucune importance.  FREUD assigne bien la même origine quantitative à la conscience que dans l’épiphénomènisme.  Mais en plus il attribue une fonction, elle va réagir sur le systè­me. Avec tout cela, nous n’avons pas parlé du plaisir auquel FREUD vient enfin, par besoin de symétrie avec la douleur.  La sensation qui accompagne simple­ment la décharge est le principe primaire.  Mais ce sera au contraire pour éviter la douleur que tous les processus secondaires, les qualités sensibles et la conscience vont se constituer. Je passe sur le détail de l’analyse de la sensation de plaisir.

LACAN Il y a quelque chose de très important, vous l’avez certainement noté, à mettre en valeur, la nécessité de retrouver l’objet.  C’est ce qui est le plus original.

Didier ANZIEU Troisièmement, après avoir vu, d’après sa structure même, com­ment l’appareil fonctionnait, reconstituant les processus psychiques élémentaires, le propre fonctionnement va laisser des traces, ce que FREUD appelle « l’expérien­ce ».  Et conséquence ces expériences vont nous mener à la notion du moi.  Les deux expériences fondamentales que le système neuronique est appelé à faire, puisqu’il est conscience, c’est l’expérience de satisfaction et l’expérience de la douleur.  Ces deux expériences sauf que c’est en sens inverse obéissent au même mécanisme.  L’expérience de la satisfaction entraîne ici ce mot que j’ai toujours beaucoup de mal à traduire, le mot καθεξής  [ cathéxès ], liaison, ou investissement, quoique investissement ne conviendra que dans une théorie ultérieure c’est la notion d’énergie liée par rapport à une énergie libre.  Donc, l’expérience de satisfaction entraîne deux investissements, deux liens, au niveau des neurones centraux, nucléaires, comme dit FREUD, du côté du cortex, ils se trouvent donc liés : d’une part à la perception de l’objet désiré, et d’autre part à l’image du mouvement réflexe qui a permis la décharge, qui a entraîné la sensation de plaisir. Par conséquent, le fait d’éprouver du plaisir, le fonctionnement même de l’appareil neuronique, en tant que tel, sa fonction primaire, si elle ne laisse pas de trace du point de vue quantitatif, du moins, puisque nous avons la conscien­ce, elle laisse des traces du point de vue associatif.  Et ces neurones se trouvent donc liés, d’une part à l’objet qui a permis la satisfaction et à l’image de l’acte dans lequel a résidé la satisfaction.  Il s’agit donc là du modèle conceptuel qui fait assigner au souvenir comme siège une certaine cellule nerveuse modifiée, qui est l’engramme. FREUD précise qu’il s’agit là d’une perspective associative et il rappelle la fameuse loi d’association par simultanéité qu’il accepte comme allant de soi.  Ce qui fait que quand l’état de besoin traverse à nouveau le système neuronique : besoin sexuel, faim, besoin de respirer, soif, il vient à nouveau activer le systè­me neuronique central.  L’activation de ce système s’accompagne d’une activation de l’objet, de l’image de l’objet qui va satisfaire, qui a déjà satisfait, et de l’acte par lequel la satisfaction s’est accomplie.  Ce qui entraîne, si rien n’inter­vient, une hallucination, laquelle peut être fatale à l’organisme, si l’organisme se met à agir en fonction de cette hallucination, c’est–à–dire s’il ne contrôle pas que dans la réalité extérieure se trouve bien l’objet désiré qu’il est en train d’imagi­ner comme pouvant le satisfaire, si l’expérience se clôt sur l’hallucination.  L’expérience de la douleur effectue les deux mêmes liaisons mais évidemment de polarité inverse, la liaison avec l’objet menaçant et la liaison avec l’acte dou­loureux.  Fort heureusement cette expérience de la douleur va nous apprendre à tenir compte de la réalité extérieure. Voilà donc les résidus, en quelque sorte, de l’expérience même du fonction­nement du système neuronique entraîne à savoir l’existence des affects et des états du désir.  Les affects sont une augmentation soudaine de la tension quantitative dans le psychisme.  Les états de désir sont les augmentations lentes de la même quantité neuronique.

LACAN Ce qui, je crois, est intéressant à notre propos, c’est de souligner qu’à propos de ces états de désir ce qui est mis en jeu c’est une certaine corres­pondance dans l’objet qui se présente et les structures déjà constituées dans le moi, c’est–à–dire un partiel recouvrement de ce qui est proposé avec ce qui est attendu.  Il met l’accent sur ceci, il peut se produire deux gammes : ce qui se pré­sente est justement ce qui est attendu, ce n’est pas du tout intéressant,      ça tombe bienou bien, ce qui est intéressant, c’est quand               ça ne tombe pas bien.  Autre­ment dit, toute espèce de constitution du monde objectal est toujours un effort pour ce que j’ai écrit au tableau : Wiederzufinden, redécouvrir l’objet, je dirai par une espèce de jeu curieux, mécanistique, d’une construction de machine à appré­hender le monde extérieur. Le versant sur lequel il porte sa construction, sa petite machine, son modèle, sa statue, va dans le sens de ce que je vous signalai la dernière fois à savoir la dis­tinction comme de deux structurations tout à fait différentes de l’expérience humaine : de la structuration que j’appelai – avec KIERKEGAARD – « antique » disons même, comme il dit, car païenne veut dire platonicienne qui est celle de la rémi­niscence.  Autrement dit d’un accord, d’une harmonie entre l’homme et le monde de ses objets, qui fait qu’il les reconnaît, parce qu’en quelque sorte, il les connaît depuis toujours.  Et au contraire, la conquête de la structuration de ce monde dans un effort de travail, qui consiste à le structurer par une voie de suc­cessions, de répétitions, première ébauche de la signification de cette répétition.  Le sujet justement, dans la mesure où ce qui se présente à lui ne coïncide que partiellement avec ce qui lui a déjà procuré satisfaction, va se mettre en quête de répéter indéfiniment sa recherche jusqu’à ce qu’il retrouve cet objet.  L’objet se rencontre et se structure sur la voie d’une répétition, retrouver l’objet, répéter l’objet, et dans cet effort ce n’est jamais le même objet qu’il rencontre.  Autrement dit il ne cesse d’engendrer des objets substitutifs. Si vous voulez, c’est la simple ébauche, mais l’ébauche de quelque chose de fécond, qui va être au fondement de cette psychologie du conflit, qui fait le pont, d’une façon impressionnante entre l’expérience libidinale en tant que telle et le monde de la connaissance humaine justement en tant : qu’il est caractérisé par le fait que pour une grande part il échappe à ce champ de forces du désir, que le monde humain n’est pas du tout structurable comme un pur et simple Umwelt,       emboîté avec un Innenwelt de besoins, il n’est pas clos, il est ouvert à l’accession d’une foule d’objets neutres extraordinairement variés et même, à la fin du compte, d’objets qui n’ont plus rien à faire avec des objets, dans leur fonction radicale de symbole. L’important est que déjà nous trouvons l’amorce, en somme…dans cette théo­rie, qui paraît se maintenir au niveau du matérialisme du processus…l’introduc­tion de la fonction absolument fondamentale de la répétition comme structu­rant comme telle le monde des objets.
Didier ANZIEU Je termine avec ce point l’état de désir.  L’expérience de la satis­faction entraîne donc l’apparition de nouveaux mécanismes psychologiques, à savoir l’abstraction pleine de ce désir, qui est à la source de la tension.  Et l’expé­rience de la douleur entraîne la première défense, que dans le texte anglais on appelle refoulement… Je voudrais savoir si c’est le même mot dans le texte alle­mand : un refoulement.  Et plus loin FREUD fait la distinction entre défense et refoulement. Enfin, quatrième point de l’exposé, l’apparition du moi.  Le moi c’est la tota­lité des investissements des neurones Ψ.  Nous avons vu qu’il y avait des neurones Ψ avec des investissements en fonction des expériences de douleur.  L’investissement des neurones Ψ à un moment donné, c’est le moi.  En fonction de ce qu’ils présentent, barrière de contact, accumulation, un certain groupe de neurones retient une καθεξής  [ cathéxès ] un investissement constant, et constitue juste­ment le support qui est l’accumulation de quantité requise pour l’exercice de la fonction secondaire.  Si l’organisme n’avait pas en réserve une certaine quantité d’énergie, il ne pourrait pas utiliser la fonction secondaire qui sera celle d’écarter les stimuli dangereux, rechercher les objets satisfaisants.  Donc, pour la première fois, se trouve affirmée cette idée que le moi a une quantité d’énergie, est consti­tué par une quantité d’énergie constante. Deuxièmement, la fonction essentielle du moi est une fonction d’inhibition.  Le moi, une fois constitué, intervient sur l’ensemble du système, sur la répétition.  Pour la première fois le moi se trouve dans le manuscrit de FREUD.  Cette répéti­tion avait bien montré le caractère des expériences de douleur et de satisfaction.  C’est en modifiant la répartition des résistances propres aux barrières de contact que le moi va donc introduire une espèce de dérivation dans l’écoulement de la quantité, c’est–à–dire qu’en augmentant ou diminuant la résistance dans une cer­taine barrière de contact, le moi va empêcher la quantité de s’écouler selon la ligne de moins grande résistance, ce qui serait conforme au principe d’inertie.  Donc, par l’action d’une καθεξής  [ cathéxès ] latérale, d’un neurone spécialement investi par le moi, le courant va être détourné de sa voie de plus grande facilité.  C’est en cela que consis­te l’inhibition et l’intervention fondamentale du moi sur le système et c’est ça qui permet la fonction seconde de connaissance et d’adaptation à la réalité. Deuxième fonction du moi : la fonction de mise à l’épreuve de la réalité.  Le moi va, à son tour, pouvoir utiliser l’ensemble des processus secondaires que nous venons de décrire pour en tirer des indications correctes sur la réalité extérieure et pouvoir utiliser l’ensemble des processus secondaires que nous venons de décrire, pour en tirer des indications correctes sur la réalité extérieure et pou­voir en tenir compte dans la décharge : au lieu que la décharge musculaire soit une décharge pure et simple de la motricité, cette décharge va se trouver être une décharge orientée et utile.  C’est l’inhibition apportée par le moi qui rend possible un critère pour distinguer entre une perception et un souvenir.  Par conséquent, cette première perspective d’une hallucination suffisante se trouve ici dépasser la fonction du moi, c’est d’éprouver la réalité. LACAN C’est–à–dire de l’éprouver pour autant justement non seulement qu’il la vit, mais qu’il la neutralise autant que possible.  C’est dans la mesure où joue le système de dérivation.  Vous n’avez pas assez insisté sur le fait que c’est dans le branchage des neurones qu’il situe le processus de dérivation grâce auquel l’influx énergétique, du fait d’être éparpillé et individué, ne passe pas.  Et c’est dans la mesure où ça ne passe pas qu’il y a une comparaison possible, avec les informations sur le plan périodique que nous donne le système, à savoir que l’énergie est réduite, si on peut dire, non peut–être pas dans son potentiel, mais dans son intensité. Didier ANZIEU C’est–à–dire que quand il
y a satisfaction ou douleur, c’est qu’il y a à chaque fois excès de quantité, déchargée dans un cas, subie dans l’autre.  Mais il n’y a qualité sensible, base de la connaissance, que lorsqu’il n’y a pas cet excès.  Mais il y a quand même ces phénomènes.  Dans la qualité sensible il y a peu de quantité, mais appréhension de certaine période. Le moi va pouvoir constituer des processus cognitifs et récognitifs.  Si les processus primaires sont surtout liés à l’expérience de la satisfaction et de la douleur, où il y a investissement de neurones, les processus cognitifs vont sur­tout se trouver liés aux actes de neutralité, aux qualités sensibles neutralisées.  Cette neutralité existe de façon exceptionnelle, mais devenant habituelle grâce à l’intervention du moi, qui met le système à l’abri des excès de quantité. FREUD décrit en détail la construction de la mémoire et du jugement, en termes purement associatifs, association d’investissements neuroniques, et il montre comment une analyse au niveau neuronique des divers investissements constitue proprement le premier jugement.  À partir de ce moment là, toutes les comparaisons deviennent impossibles avec le souvenir d’expériences vécues, per­ceptions du réel, et comment une action, elle aussi, devient alors permise. LACAN Je crois qu’en fait ce que vous apportez là et qui, en quelque sorte, construit, voire déduit d’une façon très proche de ce à quoi vous faisiez allusion, de la statue de CONDILLAC, à savoir avec le même manque de sentiment des diffé­rences de niveaux, c’est à dire qu’en fin de compte la perception n’est pas du tout liée à quoi que ce soit qui se représente.  Cette dialectique du moi et de l’autre, dans laquelle nous ne pouvons manquer de l’insérer maintenant, et dans laquelle, vous le verrez, c’est l’intérêt de cette référence, c’est ce qui, dans cette première ébauche du moi, il y a une amorce de ce qui se révélera comme les conditions structurales de la constitution du monde objectal dans l’homme, quelque chose de très original, que j’ai signalé tout à l’heure. Inversement, le moi fonctionnant dans cette référence à l’autre, qui est essen­tielle aussi à la structuration de l’objet, est complètement éludée.  En d’autres termes, comme dans la statue de CONDILLAC, il semble naturel quand on parle de la sensation, l’organisation objectivée du monde semble aller de soi.  Le problème absolument pas aperçu, mais qui est frappant, c’est par quelle voie FREUD finit par donner les formules qui en somme le matérialise, le concrétise, c’est–à–dire la découverte du narcissisme en tant que tel prend toute sa valeur de n’être absolu­ment pas aperçu à ce moment–là. Tout va se passer dans l’intervalle, à savoir l’élaboration de ce qu’il appelle « le processus primaire psychologique du rêve ».  Ce qui est intéressant, c’est que tout l’exposé va aboutir… ce qui est curieux, car il a tout reconstruit…comme tout le monde à cette époque, il va suivre l’indication des philosophes du XVIIIème siècle et reconstruire : mémoire, jugement, à partir de la sensation, ne s’arrêtant qu’un moment à cette recherche de l’objet en elle–même.  Mais il ne va pas s’arrêter là, on voit qu’il est amené… par quelque chose qui n’apparaît pas dans le texte   …à retourner sur le processus primaire, en tant qu’intéressant le sommeil et les rêves, et l’abou­tissement de ce Projet…qui n’a pas été publié, mais pour lui c’était un besoin de mettre en ordre ses idées…l’aboutissement de cette reconstruction de la réalité… à partir d’un monde concevable mécaniquement…aboutit quand même au rêve. Didier ANZIEU À partir de la fonction secondaire, FREUD revient sur ces pro­cessus primaires pour rendre compte de phénomènes qui sont psychiques, que l’on néglige en général, mais que lui, par l’observation des hystériques et l’ana­lyse de ses propres rêves, qu’il vient de commencer… puisque le rêve de l’in­jection faite à Irma est de trois mois antérieur à la rédaction de ce manuscrit …il éprouve, je crois, comme un réflexe d’alarme, découvrant des phénomènes nouveaux, de les faire rentrer dans le cadre théorique qui lui est familier, afin de se rendre bien compte que tout marche. Alors, le rêve il démontre que c’est un processus primaire, puisque dans le rêve la décharge purement motrice externe est impossible, donc un caractère hallucinatoire : toute l’expérience biologique du sujet, son apprentissage, est suspendu.  Les idées ont une nature hallucinatoire, qui éveille la conscience et la croyance. Voilà l’apport proprement nouveau de ce que l’analyse de ses propres rêves et ceux de ses patients a montré.  Le rêve a la fonction de réaliser des désirs. C’est, dit–il, un processus primaire consécutif à des espérances de satisfaction.  Les premiers investissements de désir sont de nature hallucinatoire.  Donc, on revient à ce que l’expérience de satisfaction entraîne le premier système asso­ciatif purement hallucinatoire, sans point de référence à la réalité.  Et si on en restait là, cela conduirait l’organisme à […] Dans le rêve, on se trouve ramené à ce système, c’est ce qui explique qu’il n’y a à peu près pas de mémoire du rêve.  Le rêve est caractérisé par la facilité avec laquelle la quantité est déplacée.  Le désir satisfait, dans le rêve, n’est pas en général conscient.  Il cite l’exemple de son propre rêve, Irma, et montre que deux éléments étaient conscients, le fait qu’on avait ordonné une injection de propyl et la formule.  Et l’analyse lui a permis de retrouver les deux chaînons qui étaient restés inconscients et explique l’associa­tion de ces fameux investissements neuroniques, à savoir l’idée d’une chimie sexuelle, dont justement il s’était entretenu avec FLIESS à sa dernière entrevue, entrevue précédant celle qui a conduit à la rédaction du manuscrit : La premiè­re entrevue déclenche le rêve d’Irma et son analyse,la deuxième, la rédaction du manuscrit.  Deuxième idée, la nature sexuelle de la maladie d’Irma. LACAN Nous allons en rester là aujourd’hui.  Ça implique que nous pas­sions de là, à partir des processus de la Traumdeutung, il faut que quelqu’un s’en charge… VALABREGA, par exemple ? Vous pourriez faire le lien entre ce dernier cha­pitre de la conscience du rêve avec la théorie de la Traumdeutung, dans laquelle il donne la théorie complète des processus primaires et secondaires… cela pour dans quinze jours ?



[1]   S.  Freud : Triebe und Triebschicksale (1915) ; Pulsions et destin des pulsions, in Métapsychologie, Gallimard, 1968.

Print Friendly, PDF & Email