Leçon du 25 Juin 1958
Nous sommes arrivés la dernière fois au point où nous avons essayé de commencer concentriquement à désigner la constellation du désir de l’obsessionnel, et je vous ai annoncé pour aujourd’hui, à l’intérieur de ce que j’ai commencé à approcher en vous parlant de la position de la demande chez l’obsessionnel, cette demande tellement précocement ressentie par l’Autre comme pourvue de cet accent spécial d’insistance qui la rend si difficile à tolérer. D’autre part, ce besoin de destruction du désir de l’Autre chez l’obsessionnel est aussi quelque chose qui d’ores et déjà amorçait notre propos d’aujourd’hui, à savoir la fonction de certains fantasmes. Ce n’est évidemment pas en vain que dans le travail de l’auteur que j’ai choisi de prendre pour base… c’est moins une critique au sens polémique du mot qu’une critique au sens analyse systématique …ce n’est pas en vain que ce fantasme phallique… nommément donc dans l’article de 1950, Revue française de psychanalyse, 1950, n°2, avril–juin …vient sous la forme de l’examen spécial de l’importance que prend l’envie du pénis chez la femme au cours d’une analyse d’une névrose obsessionnelle. Ce n’est évidemment pas tout ce que je vous enseigne… l’importance du signifiant phallus naturellement …qui ici prouvera que l’on donne à cet élément une importance exagérée. Il s’agit de voir comment on en use et il ne s’agit pas non plus, bien entendu, de se livrer au petit jeu facile de critiquer l’issue d’un traitement que l’on présente d’ailleurs comme inachevé et de juger du dehors quelque chose dans lequel on n’est pas entré. Simplement, dans cette observation, ce que je vous donne comme élément marquant en quelque sorte, disons les hésitations de la direction, voire une direction franchement opposée à celle qui pourrait nous paraître logique. Si nous le faisons, ce n’est jamais à partir de l’observation elle–même… considérée comme une suite et un compte–rendu de faits …mais à partir des articulations de l’auteur lui–même. Je veux dire, des interrogations qu’il se pose, que vous pourrez trouver toujours exprimées au bon endroit car, bien entendu, les propriétés de l’esprit humain, le bon sens en particulier, sont bien… comme on l’a dit avec justesse, et non sans ironie …« la chose du monde la plus répandue ». [ Descartes ] Et il n’est pas douteux que ce qui nous fait obstacle ici a déjà fait obstacle dans l’esprit des auteurs, et qu’en plus c’est un fait que dans cette observation ces obstacles sont pleinement articulés. Il y a des interrogations, je dirais bien plus, il y a des remarques concernant l’issue paradoxale, la non issue de ce qu’on cherchait. Il y a enfin des contradictions auxquelles peut–être l’auteur lui–même ne donne pas toute l’importance qu’elles peuvent avoir mais qui assurément peuvent être qualifiées de telles puisqu’elles sont inscrites noir sur blanc dans son texte. Donc… pour en venir à ce que nous allons essayer de formuler aujourd’hui concernant ce qui constitue la direction générale de ce traitement, la façon dont il s’articule …nous allons d’abord essayer d’aller au vif de ce dont il s’agit, c’est–à–dire de poser la différence qu’il y a entre quelque chose qui se présente comme articulé et non comme articulable, et entre ce qui est visé et ce qui est fait effectivement. Prenons comme point de départ notre schéma, et commençons par en faire le lieu d’un certain nombre de positions qu’il complète et qui nous permettent également de nous retrouver sur ce que nous connaissons de plus familier et qui s’y trouve représenté dans un certain ordre et une certaine topologie. Qu’est–ce que c’est… en posant la question une fois de plus …que cette ligne signifiante, la ligne du haut de notre schéma ? C’est une ligne signifiante, nous l’avons dit, en ce qu’elle est structurée comme un langage. D’autre part, pour être structurée comme un langage, c’est précisément cette sorte de phrase que le sujet ne peut pas articuler et que nous devons l’aider à articuler. Comment est–elle située sur ce schéma ? Comment pouvons–nous la comprendre ? Ce qu’elle structure c’est en somme, dirons–nous, l’ensemble de la névrose, la névrose étant ici identique, non pas à un objet, à une sorte de parasite, à quelque chose qui serait étranger à la personnalité du sujet, mais étant justement toute la structure analytique qui est dans ses actes, sa conduite. En somme, à mesure que s’est avancé le progrès de notre conception concernant la névrose, nous nous sommes aperçus qu’elle est non seulement faite… dans ses éléments signifiants …de symptômes décomposables dans les effets de signifié de ce signifiant… puisque c’est ainsi que j’ai appris à retraduire ce que FREUD articule …mais que toute la personnalité d’une certaine façon porte la marque de ces rapports structuraux. C’est quelque chose qui va bien au–delà de ce que le mot personnalité, avec ce qu’il a comporté de statique, entraîne dans une espèce d’acception première, c’est–à–dire dans ce qu’on appelle le caractère. Ce n’est pas cela, c’est la personnalité au sens où elle dessine dans les comportements, dans les rapports à l’Autre et aux autres : un certain mouvement qui se retrouve toujours le même, une scansion, un certain mode de passage de l’Autre à l’autre, et encore à un autre qui se retrouve toujours et sans cesse, qui forme le fond, la modulation si vous voulez, de l’action obsessionnelle. Ceci veut dire que c’est l’ensemble du comportement obsessionnel, et même hystérique d’ailleurs. Si nous disons que c’est structuré comme un langage, ce n’est pas pour dire qu’au–delà du langage articulé qui s’appelle discours il y a quelque chose qui, prenant tous les actes du sujet, aurait cette sorte d’équivalence au langage qu’il y a dans ce qu’on appelle un geste… car un geste n’est pas simplement un mouvement bien défini, le geste est signifiant …cela ne suffirait pas à dire ce qu’il recouvre. On pourrait presque employer l’expression en français, qui colle parfaitement, de « une geste » au sens où on l’emploie dans « la chanson de geste » : La geste de Roland, c’est–à–dire la somme de son histoire. En fin de compte c’est une parole, si vous voulez, et d’une certaine façon la somme du comportement du névrosé se présente comme une parole, et même comme une parole pleine, dirai–je… au sens où nous en avons vu le sens primitif de cette parole pleine qui engage sous la forme d’un discours …d’une parole pleine elle aussi, une parole au sens entièrement cryptographique inconnue du sujet quant au sens… encore qu’en somme il la prononce par tout son être, par tout ce qu’il manifeste, par tout ce qu’il évoque et a réalisé inéluctablement dans une certaine voie d’achèvement, et d’inachèvement si rien n’y intervient qui soit de cet ordre d’oscillation qui s’appelle l’analyse …donc une parole prononcée par ce sujet barré, ce sujet barré à lui–même que nous appelons l’inconscient. C’est ainsi que nous le représentons sous la forme d’un signe, S. Ici, c’est bien de cela qu’il s’agit. En somme ce que vous voyez se discerner dans cette distinction que nous sommes en train de faire, c’est que nous avons défini l’Autre… avec le grand A …comme le lieu de la parole : l’Autre s’institue et se dessine par le seul fait que le sujet parle, du fait qu’il se sert de la parole, ce grand Autre naît comme lieu de la parole. Cela ne veut pas dire qu’il soit pour autant réalisé comme sujet dans son altérité : l’Autre est invoqué chaque fois qu’il y a parole. Je pense que je n’ai pas besoin de revenir sur ceci, j’y ai assez insisté. Mais alors cet au–delà, que vous voyez ici, qui est justement celui qui s’articule dans la ligne haute de notre schéma, c’est en somme l’Autre de l’Autre. C’est cette parole qui est articulée à l’horizon de l’Autre comm
e tel, c’est cet Autre de l’Autre dont il s’agit, et dont nous dirons que cet Autre de l’Autre, à savoir le lieu où la parole de l’Autre se dessine comme telle, il n’y aurait aucune raison qu’il nous soit fermé. C’est même le principe de la relation intersubjective comme telle, c’est que cet Autre comme lieu de parole nous est immédiatement et effectivement donné comme sujet, c’est–à–dire comme sujet qui nous pense nous–mêmes comme son Autre. C’est là le principe de toute stratégie : quand vous jouez au jeu d’échecs avec quelqu’un, vous lui attribuez autant de calculs que vous en faites. Pourquoi… puisque nous osons donc dire que cet Autre de l’Autre, qui devrait nous être l’élément le plus transparent, est donné en quelque sorte avec la dimension de l’Autre, que cet Autre de l’Autre c’est là même où s’articule le discours de l’inconscient, ce quelque chose d’articulé qui n’est pas par nous articulable …pourquoi devons–nous le faire ? Qu’est–ce qui fait que nous sommes en droit de le faire ? C’est fort simple : cet Autre… auquel dans l’expérience et par les conditions de la vie humaine, qui fait que la vie humaine justement est engagée dans la condition de la parole …cet Autre auquel nous sommes soumis par la condition de la demande, nous ne savons pas ce qu’est pour lui notre demande. Et pourquoi ne le savons–nous pas ? Qu’est–ce qui lui donne cette opacité ? Ce sont là des évidences, mais encore des évidences dont les données ne sont pas justement ce qui est le moins utile à articuler. Nous nous contentons toujours de les obscurcir sous la forme d’espèce d’objectivations prématurées. Pourquoi est–ce donc cet Autre dont nous ne savons pas comment il accueille notre demande ? En d’autres termes, pourquoi, dans notre stratégie, il va devenir unbewußt et réaliser cette position paradoxale de son discours ? C’est cela que je veux dire quand je vous dis que l’inconscient c’est le discours de l’Autre. C’est ce qui se passe virtuellement à cet horizon de l’Autre de l’Autre en tant que c’est là que se produit la parole de l’Autre, cette parole de l’Autre en tant qu’elle devient notre inconscient, c’est–à–dire quelque chose qui vient en nous présentifier un Autre capable de nous répondre par le seul fait qu’en ce lieu de la parole nous faisons vivre un Autre, capable de nous répondre. C’est bien pourquoi il nous est opaque : c’est parce qu’il y a quelque chose que nous ne connaissons pas en lui, et qui nous sépare de sa réponse à notre demande, et ce n’est pas autre chose qui s’appelle son désir. Ceci suffit à nous faire apercevoir tout de suite quelque chose, c’est que le point essentiel de cette remarque… qui n’est une évidence qu’en apparence …prend sa valeur en fonction de ceci que ce désir justement est situé là [ d ] : entre l’Autre comme lieu pur et simple de la parole et l’Autre en tant qu’il est un être de chair à la merci duquel nous sommes pour la satisfaction de notre demande. Mais que ce désir soit situé là, c’est justement cela qui conditionne son rapport avec quelque chose qui est justement de l’ordre de la parole, qui est : cette symbolisation de l’action du signifiant sur le sujet comme tel, cette chose qui fait en somme ce que nous appelons un sujet, que nous symbolisons avec cet S. C’est autre chose que purement et simplement un soi–même, je veux dire ce que l’on appelle selon un mot élégant en anglais… le fait de le dire en anglais, de l’isoler, permet de bien distinguer ce que ça veut dire …le self, c’est–à–dire ce qu’il y a d’irréductible dans cette présence de l’individu au monde. Ce quelque chose devient sujet à proprement parler, et sujet barré au sens où nous le symbolisons pour autant qu’il est marqué de cette condition qui le subordonne, non seulement à l’Autre en tant que lieu de la parole… c’est le sujet défini comme moment, non pas d’un certain rapport au monde, d’un rapport de l’œil au monde, du rapport sujet–objet qui est celui de la connaissance chez le sujet en tant qu’il naît au moment de l’émergence de l’individu humain dans les conditions de la parole …en tant donc qu’il est marqué, je vous l’ai dit, par l’Autre, non pas simplement en tant que lieu de la parole, mais en tant que lui–même, cet Autre, est conditionné et marqué par ces conditions de la parole. Que voyons–nous donc à cet horizon ainsi rendu opaque par l’obstacle du désir de l’Autre ? C’est ce quelque chose qui renvoie le sujet [ S ] ainsi marqué à sa propre demande, qui le met dans un certain rapport [ S D ]… le rapport ici désigné par le symbole du petit losange que je vous ai expliqué la dernière fois …à sa demande, pour autant très précisément que l’Autre, si l’on peut dire, ne répond plus comme on dit. Ici, grand A ne répond plus, ce qui est très célèbre » sous d’autres initiales [ « OSS 117 répond toujours » ?]. Au niveau du sujet, ce qui tend à l’horizon à se produire, c’est cette confrontation, ce renvoi du sujet à sa propre demande sous les formes de signifiants, si l’on peut dire « englobants » par rapport au sujet, ces signifiants dont le sujet lui–même devient le signe. C’est à l’horizon de cette non réponse de l’Autre que nous voyons se dessiner dans l’analyse, et pour autant justement qu’au départ l’analyste… en tant qu’il vient d’abord à n’être rien d’autre que le lieu de la parole, qu’une oreille qui écoute et qui ne répond pas …va en somme pousser le sujet à se détacher, à s’opposer à quelque chose dont l’expérience vous montre qu’elle se montre en filigrane dans son discours, c’est–à–dire justement ces formes de la demande qui nous apparaissent sous la forme de ce que nous appelons « phase anale », « phase orale » phases… de toutes les façons que vous voulez, mais qui se caractérisent en quelque sorte par quoi ? Que voulons–nous dire quand nous parlons de ces phases ? N’oublions quand même pas que notre sujet ne retourne pas devant nous progressivement à l’état de nourrisson ! Nous ne nous livrons pas à une opération fakirique. Je pense qu’il faudrait voir le sujet remonter le cours du temps et se réduire à la fin à la semence qui l’a engendré ! Ce dont il s’agit, c’est de signifiants. Ce que nous appelons « phase orale », « phase anale », c’est la façon dont le sujet articule sa demande par l’apparition dans son discours… ici au sens le plus vaste, dans toute la façon dont se présentifie devant nous sa névrose …des signifiants qui se sont formés à telle ou telle étape de son développement, qui étaient les signifiants qui lui servaient dans les phases, soit plus récentes, soit plus anciennes, à articuler sa demande. Ce qui s’appelle en d’autres termes fixation, par exemple, c’est la prévalence gardée par telle ou telle forme de signifiant, oral ou autre, avec toutes les nuances que vous avez apprises à articuler. C’est cela que ça veut dire. C’est l’importance spéciale qu’ont gardée certains systèmes de signifiants, et qui s’appelle régression. C’est ce qui se passe, pour autant que ces signifiants sont rejoints par l’ouverture au discours du sujet, précisément de ceci, d’être simplement, en tant que parole : sans qu’elle n’ait rien à demander de spécial, elle se profile dans la dimension de la demande, et c’est pour cela que toute la perspective est rétroactivement ouverte sur ce dans quoi le sujet a vécu depuis sa prime et plus tendre enfance, à savoir précisément la condition de la demande. Il s’agit, cette régression, de savoir ce que nous en faisons. Toute la question est là. Nous sommes là pour y répondre, ou pour dire ce qui se passe quand nous n’y répondons pas, et ce que nous pouvons faire d’autre. Tel est le but qui mérite d’être atteint. Ici je vous fais remarquer en passant qu’en somme les signifiants qui sont ici intéressés dans cette régression du discours, c’est donc quelque chose que nous
devons considérer comme étant dans la structure du discours lui–même, or c’est d’ailleurs toujours là que nous les découvrons, dans ces deux lignes : la suite signifiante, les significations toujours produites selon la loi de la chaîne signifiante. Si vous voulez, ces deux choses s’équivalent par une anticipation de la suite signifiante, toute chaîne signifiante ouvrant devant elle l’horizon de son propre achèvement, et en même temps, par une rétroaction, une fois qu’est venu naturellement le terme signifiant qui, si l’on peut dire, double la phrase, qui fait que ce qui se produit au niveau du signifié a toujours cette fonction, si l’on peut dire, rétroactive. Ici le S2 déjà se dessine au moment où le S1 s’amorce, et ne s’achève qu’au moment ou le S2 rétroagit sur le S1. Un certain décalage existe toujours du signifiant à la signification. C’est même cela qui donne à toute signification… en tant qu’elle n’est pas une signification naturelle, qu’elle n’est pas liée à cette ébauche toute momentanée de l’instance du besoin chez le sujet …qui en fait ce quelque chose d’essentiellement métonymique, c’est–à–dire toujours lié à ce qui lie en soi la chaîne signifiante à ce qui la constitue comme telle : ces liens, ces nœuds… que nous pouvons appeler justement ainsi, momentanément et pour les distinguer, d’un certain Σ [ sigma ] si vous voulez, c’est–à–dire cet au–delà de la chaîne signifiante dans laquelle nous essayons de la réduire …ces signifiants précisément que nous trouvons dans cette confrontation du sujet à la demande, dans cette sorte de réduction de son discours à ces signifiants élémentaires, qui est ce que nous discernons en filigrane dans tout ce qui nous évoque… et qui est justement ce qui fait le fond de notre expérience …ce par quoi nous retrouvons les mêmes lois structurales dans toute la conduite du sujet, dans le mode dont il nous l’exprime. Quelquefois même jusque dans la scansion, dans la façon motrice dont il l’articule, pour autant qu’un bégaiement, qu’un balbutiement ou que n’importe quel trébuchement de parole, comme je me suis exprimé ailleurs, peut-être pour nous significatif de quelque chose qui, fondamentalement, est de l’ordre d’un signifiant de la demande comme manque, oral ou anal pour autant. Qu’est–ce que cela nous permet, d’ores et déjà, au passage, de concevoir ? C’est que c’est bien de cela qu’il s’agit, et qui fait… comme un petit groupe d’études dirigé par « le plus amical de mes collègues », à savoir LAGACHE, en a fait la découverte avec un étonnement dont il faut bien qu’il soit motivé par une espèce de malentendu permanent …qui fait que partout où en français nous voyons le mot « instinct »… c’est dans les références faites au texte allemand, et cela a été une surprise pour ce groupe …on ne trouve jamais rien d’autre que le terme de Trieb, Trieb ou pulsion, comme nous traduisons. Et à la vérité, pulsion obscurcit plutôt la chose. Le terme anglais c’est drive, et si nous voulions trouver quelque chose en français, nous n’avons guère rien qui permette, étant donné le véritable sens de Trieb, de le traduire. Je dirais qu’il faudrait choisir un mot scientifique… le mot tropisme, qui est spécialement fait pour désigner les éléments irrésistibles, considérés comme irréductibles à l’attraction physico–chimique de certaines attractions telles qu’elles s’exerceraient dans le comportement animal …qui nous permettrait justement d’exorciser le côté toujours plus ou moins finaliste qu’il y a dans le terme d’instinct. Je dirai que c’est quelque chose en fin de compte qui est bien aussi de cet ordre que nous rencontrons ici dans notre notion freudienne du Trieb. Traduisons–le, si vous voulez, par le mot français attirance, que j’employais à l’instant pour parler des tropismes, à ceci près que ce dont il s’agirait là, c’est de ce quelque chose qui situe le sujet humain dans une certaine dépendance nécessaire de quelque chose. Je ne peux pas dire que l’être humain n’est pas le sujet obscur, sous les formes grégaires de l’attirance organique vers l’élément de climat par exemple, ou d’autre nature, ce n’est évidemment pas là que se développe notre intérêt à nous autres dans le champ que nous sommes appelés à explorer dans l’analyse, qui bien entendu est quelque chose qui nous fait parler de ces diverses phases, « orale », « anale », « génitale » et autres. Et que voyons–nous ? C’est que dans la théorie analytique, c’est en effet une certaine nécessité, un certain rapport qui le met dans un rapport de subordination, de dépendance, d’organisation et d’attirance par rapport à quoi ? À des signifiants. Empruntés à quoi ? Au registre, à la batterie d’un certain nombre de ses propres organes. Ce n’est dire rien d’autre que de dire que survit une fixation « orale » ou « anale » chez un sujet adulte si ce n’est précisément de le faire dépendre de quoi ? D’une certaine relation imaginaire. Mais sans aucun doute, ce que nous articulons de plus ici, c’est que ceci est porté à la fonction de signifiant. Si ce n’était pas isolé comme tel, mortifié comme tel, cela ne saurait avoir l’action économique que cela a dans le sujet, pour une très simple raison : c’est que les images comme telles ne sont jamais liées précisément qu’à la suscitation ou à la satisfaction du besoin, ceci, même… je ne manque pas de le dire à l’occasion …quand il s’agit de besoin purement et simplement. Si le sujet reste en quelque sorte attaché à ces images hors de leur texte, images : « orales » là où il ne s’agit pas de nourriture, « anales » là où il ne s’agit pas d’excréments, c’est quand même bien que ces images ont pris une autre fonction. C’est de la fonction signifiante dont il s’agit. La pulsion, comme telle, c’est justement l’expression maniable de concepts qui valent pour nous, qui nous expriment cette dépendance du sujet par rapport à un certain signifiant. Ce qui est important est ceci : c’est que ce désir du sujet rencontré comme l’au–delà de la demande est ce qui le fait opaque à notre demande et ce qui aussi installe son propre discours comme quelque chose qui est absolument nécessaire à notre structure, mais qui nous est par certains côtés impénétrable, qui en fait un discours inconscient. Ce désir donc, qui en est la condition, est soumis lui–même à l’existence d’un certain effet de signifiant, ce que je vous ai expliqué au début de cette année… je veux dire à partir de Janvier …sous le nom de la métaphore paternelle. Ceci signifie que c’est pour autant qu’à l’horizon apparaît le Nom du Père, en tant qu’étant lui–même le support de la chaîne signifiante, de l’ordre instauré par la chaîne signifiante. C’est uniquement en tant que cette métaphore s’établit, métaphore : du désir primitif, du désir opaque, du désir obscur que représente le désir de la mère, de ce quelque chose qui d’abord est complètement fermé pour le sujet, et qui ne peut rester fermé qu’en raison de la formule de la métaphore. À savoir celle que je vous ai déjà symbolisée par le rapport de deux signifiants, l’un étant dans deux positions différentes : Le Nom du Père sur le désir de la mère [ S / S’ ], et le désir de la mère sur sa symbolisation [ S’ / x ]. Sa détermination comme signifié est quelque chose qui se produit par un effet métaphorique et – je vous l’ai dit – là où le Nom du Père manque c’est précisément là que ne se produit pas cet effet métaphorique : je ne peux pas arriver à faire venir au jour ceci, qui fait désigner le x, à savoir le désir de la mère, comme étant proprement le signifiant phallus [ S (S / phallus) ]. C’est bien ce qui se produit dans la psychose, pour autant que le Nom du Père est rejeté, je veux dire est l’objet d’une Verwerfung primitive qui n’entre pas dans le cycle des signifiants. Et c’est pourquoi
aussi le désir de l’Autre, et nommément le désir de la mère, n’y est pas symbolisé. C’est très précisément ce qui sur ce schéma… si nous devions représenter la position de la psychose …nous ferait dire que ce désir, comme tel, je ne veux pas dire en tant qu’existant, chacun sait bien que même les mères d’un psychotique ont un désir, encore que ce ne soit pas toujours sûr, mais assurément il n’est pas symbolisé dans le système du sujet et, n’étant pas symbolisé, c’est cela qui nous permet de voir ce que nous voyons, à savoir que pour le psychotique la parole de l’Autre ne passe nullement dans son inconscient. L’Autre lui parle sans cesse, l’Autre en tant que lieu de la parole. Cela ne veut pas dire forcément vous ou moi, cela veut dire à peu près la somme de ce qui lui est offert comme champ de perception. Et ce champ lui parle de nous, naturellement, et aussi bien pour prendre un exemple, le premier qui vient à la mémoire, celui bien connu, récité hier soir par […]. Il nous disait que dans les délires, la couleur rouge d’une auto peut vouloir dire qu’il est immortel. Tout lui parle, parce que rien de l’organisation symbolique destinée à renvoyer l’Autre là où il doit être, c’est–à–dire dans son inconscient, rien n’est réalisé de cet ordre. Et c’est pour cela, si je puis dire, que l’Autre parle d’une façon entièrement homogène à cette première et primitive parole qui est celle de la demande. C’est pour cela que tout se sonorise, que le « ça parle » qui est dans l’inconscient pour le sujet névrotique, est au dehors pour le sujet psychotique. Que « ça parle » et que « ça parle tout haut » de la façon la plus naturelle, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Si l’Autre est le lieu de la parole, c’est là que « ça parle », et que ça retentit de tous côtés. Naturellement, nous en trouvons le cas extrême au point de déchaînement de la psychose, là où, comme je vous l’ai toujours formulé, ce qui est Verwerfung, ou rejeté du symbolique, réapparaît dans le réel. Ce réel dont il s’agit, c’est justement là, l’hallucination, c’est–à–dire l’Autre en tant qu’il parle. C’est toujours dans l’Autre bien entendu que ça parle, mais là ça prend la forme du réel. Le sujet psychotique n’en doute pas : c’est l’Autre qui lui parle, et qui lui parle par tous les signifiants. Et il suffit de se baisser pour les ramasser à la pelle dans le monde humain. L’affiche, etc., tout ce qui nous entoure a un caractère marqué de signifiant. Le caractère de lâchage, de dissolution sera plus ou moins grand selon l’état de la psychose. Tout ce que nous voyons… et ce que FREUD nous articule comme étant ce dans quoi la psychose s’organise, s’articule …est justement fait pour suppléer à cette absence en son point organisé, je veux dire descendant de la structure signifiante du désir de l’Autre. Car que nous présentent les formes les plus bénignes de la psychose si ce n’est… bien sûr, fondamentalement, et tout à fait dans l’état extrême de dissolution …un pur et simple discours de l’Autre.
À savoir que ça vient scander ici sous la forme d’une signification… c’est – à – dire comme je vous l’ai montré il y a deux ans… ces sortes très curieuses de décomposition de la parole qui, de par la structure même de ce qui nous est présenté ici… je ne pouvais pas vous le montrer alors… s’avèrent nécessairement comme étant code du message sur le code : ce qui est renvoyé de A est ensuite tout ce que le sujet a à sa disposition pour faire vivre le discours de l’Autre. Vous vous rappelez SCHREBER, la langue fondamentale : chaque mot qui lui est donné comporte en lui – même cette espèce de définition dont l’avènement se produit avec l’issue du mot même. C’est un code de message sur le code, et inversement ces phrases : « Comment c’est… » « Tu n’as qu’à… » « Peut – être voudra – t – il… » Et encore : le « voudra – t – il » est de trop dans la phrase. Mais il n’y a que cela, c’est – à – dire une série de messages qui ne visent que ce qui dans le code se rapporte au messager, ce qui dans le code… ces particules, ces pronoms personnels, ces verbes auxiliaires… désigne la place du messager. Ceci se reporte strictement sur ce graphe. Je ne veux pas m’étendre trop, vous le verrez dans mon article sur les psychoses qui va paraître, où j’ai fait un peu la synthèse de mon cours d’il y a deux ans avec ce que je vous fais cette année. Je ne veux pas y insister maintenant, ce que je veux vous dire à ce propos, c’est qu’il est tout à fait évident que quelque chose comme le délire de jalousie tel que FREUD lui – même l’articule comme négation du sujet, le « je l’aime » étant moins le sujet homosexuel que le sujet semblable, c’est – à – dire bien entendu, comme tel homosexuel. FREUD dit : « Ce n’est pas moi qu’il aime, c’est elle. » Qu’est – ce que cela veut dire, si ce n’est précisément que le délire de jalousie… pour autant qu’il fait obstacle à ce pur et simple déchaînement de la parole, de l’interprétation… est justement ce quelque chose qu’il essaye de restaurer, de restituer : le désir de l’Autre. La structure du délire de jalousie, c’est justement d’attribuer à l’Autre un désir qui est cette sorte de désir, esquissé, ébauché dans l’imaginaire, qui est celui du sujet. Il est attribué à l’Autre : « Ce n’est pas moi qu’il aime… le sujet, le rival… c’est ma conjointe. » J’essaye comme psychotique d’instituer dans l’Autre ce désir qui est très précisément cette fonction, ce rapport essentiel qui ne m’est pas donné, parce que je suis psychotique, parce que nulle part ne s’est produit cette métaphore essentielle qui donne au désir de l’Autre ce signifiant primordial, ce signifiant qui s’appelle le signifiant phallus, et dont nous allons voir maintenant, à propos de ce qui est fait pour cette patiente, l’utilisation. Ce signifiant phallus, il reste quand même qu’il y aurait quelque chose d’assez obscur à l’admettre comme étant essentiel et en quelque sorte préférentiel par rapport à toutes sortes d’autres objets que d’ailleurs nous voyons à l’occasion jouer un rôle homologue. Les équivalences qui ont été faites entre le signifiant phallus et le signifiant excrémentiel par exemple, le signifiant sein plus exactement l’extrémité du sein, objet de tout nourrissage, sont bien là. C’est – à – dire qu’il est ouvert à toutes sortes d’équivalences. Ce qui fait son privilège, il peut être très difficile de nous apercevoir de quoi. Que c’est, bien évidemment, ce quelque chose qui le met à une certaine place par rapport à quelque chose qui a les plus hautes fonctions dans le rapport de l’individu à l’espèce, à savoir ce qu’on appelle la phase génitale. Bien sûr, mais c’est justement pour cela qu’il est plus spécialement dépendant qu’un autre d’une fonction de signifiance : c’est que les autres objets, la mamelle maternelle, ou cette partie du corps qui sous la forme scybale se présente à l’occasion comme pouvant être l’occasion pour le sujet d’une perte essentielle, tout cela, c’est quelque chose qui jusqu’à un certain degré est donné au dehors, en tant qu’objet. C’est une monnaie, si l’on peut dire, dans l’échange amoureux, qui bien entendu a besoin de passer à l’état de signifiant pour servir de moyen, mais quand même à la façon des cauris, ces coquillages qui servent dans certaines tribus éloignées justement d’objets d’échange. C’est quand même quelque chose qui est déjà dans l’ordre naturel. Observez bien que pour le phallus quand même, la chose n’est pas tout à fait pareille, parce qu’enfin le phallus sous sa forme organique réelle… le pénis, ou ce quelque chose qui lui correspond chez la femme… après tout il y faut beaucoup plus que pour les objets prédéterminés, pour que le sujet en fasse un objet et, fantasmatiquement ou autrement, un objet détachable. On n’insistera jamais assez sur l’articulation de l’énigme que comporte le complexe de castration ou le penisneid, c’est – à – dire ce quelque chose qui est tout de même bel et bien quelque chose qui tient au corps, et qu’après tout rien ne menace plus que n’est menacé n’importe quel membre… bras ou jambe, voire nez ou oreille… cet élément qui après tout n’est sur le corps propre qu’un point de volupté. C’est ainsi que d’abord, le sujet le découvre. L’auto – érotisme masturbatoire… qui joue en effet dans l’histoire du sujet un si grand rôle… n’est pas du tout de nature, en lui – même, à déclencher de telles catastrophes, comme nous le savons par l’expérience, tant – et pour autant – que l’organe comme tel n’est pas pris justement dans le jeu signifiant, dans la rétention paternelle, dans l’interdiction maternelle ou paternelle. En d’autres termes, c’est justement parce que cet organe n’est rien d’autre à l’origine pour le sujet… pour autant qu’il n’a rapport qu’à lui – même… qu’un point de volupté de son propre corps, qu’il est assurément beaucoup moins sujet à caducité que tout autre des éléments qui ont pris portée de signifiant dans sa demande antérieure. Cet élément, ce point de son corps, de son rapport organique à lui – même, c’est plus qu’un autre… dans la prise d’une chaîne métaphorique, dans la métaphore paternelle nommément comme telle… qu’il doit jouer son rôle pour en faire un signifiant : qui du même coup, devient un signifiant tout à fait privilégié de ce rapport à l’Autre de l’Autre, qui en fait un signifiant tout à fait central de l’inconscient. Aussi bien nous saisissons que toute la dimension que nous a ouverte l’analyse sur ce sujet, était justement ce quelque chose de nouveau, de complètement inattendu par rapport à tout ce qui avait été formulé jusqu’alors. Ce qui nous montre bien… si je puis vraiment articuler ce que je veux dire ici… que c’est pour autant que ce quelque chose n’est qu’un organe avec lequel le sujet entretient des rapports autres qu’innocents. N’oublions pas que dans notre espèce fraternelle, celle des singes, il suffit que vous vous soyez rendus autour de ces petits fossés qui entourent une certaine plate – forme au zoo de Vincennes pour vous apercevoir avec quelle tranquillité… dans laquelle nous aurions tort de projeter nos propres angoisses… cette brave et hardie tribu des babouins et autres passent leur journée à s’occuper d’un sexe rutilant sans se préoccuper le moins du monde de ce que vont en penser les voisins, sauf à les aider à l’occasion dans leurs réjouissances collectives. Vous sentez quand même le monde qu’il y a entre ce rapport d’une certaine espèce animale plus ou moins érigée dans sa stature, avec ce qui lui pend au bas du ventre, et ce qui chez l’homme fait quand même essentiellement du phallus… et primitivement du phallus, et signalétiquement du phallus… l’objet d’un cu
lte. Ce qui fait qu’il s’apparente pour nous dès l’origine des âges à ce quelque chose qui fait de l’érection comme telle un signifiant et qui nous fait tous sentir que ce n’est pas pour rien que dans nos cultures très anciennes la pierre levée a toute sa portée, toute son incidence de signifiant dans le groupement de la collectivité humaine. Donc ce rôle du phallus est ici fondamental, essentiel dans son passage, son émergence… certainement pas primordiale mais dépendant d’autre chose… son émergence métaphorique au rang de signifiant, qui est ce de quoi va dépendre toute situation possible du désir de l’Autre comme tel, en tant que le sujet doit y trouver la place de son propre désir. C’est à l’intérieur des accidents de la rencontre du désir du sujet avec ce désir de l’Autre, en tant que c’est au niveau du désir de l’Autre qu’il doit se trouver à le signifier, son désir, c’est tout naturellement là que nous allons voir fonctionner le signifiant phallus. C’est là, devant les quatre points cardinaux posés de la définition du désir… que nous allons voir ce que… placé dans les conditions atypiques, anormales, déficitaires, pathologiques qui sont celles du névrosé, mais néanmoins dans une constellation complète, et non pas décomplétée comme chez le psychotique… le sujet va avoir à développer. L’obsessionnel, avons – nous dit, est celui qui, dans ce rapport au désir de l’Autre, trouve primordialement, primitivement, la défusion des instincts. C’est le retrouver dans une position telle que la première issue… l’issue de départ, celle qui va conditionner toutes ses difficultés ultérieures… va être qu’il est annulé, ce désir de l’Autre. Qu’est – ce que cela veut dire, si nous donnons tout son sens plein à ce que nous venons de dire ? Annuler le désir de l’Autre, ce n’est pas la même chose que d’avoir… par carence, déficience de l’acte métaphorique signifiant du père, du Nom du Père… été dans l’incapacité de saisir le désir de l’Autre. D’autre part, dans un réel plus ou moins délirant, le désir de l’Autre est institué, il est symbolisé, il est même symbolisé par le phallus, mais il est nié en tant que tel. Le rapport primitif du sujet obsessionnel à son propre désir est quelque chose qui est fondé sur la dénégation du désir de l’Autre. Le terme de Verneinung, comme tel, s’applique ici au sens où précisément FREUD nous en montre les deux faces : qu’il est, ce désir, articulé, symbolisé, mais que, deuxièmement, il est pourvu du signe « non ». Voilà le quelque chose devant quoi l’obsessionnel se trouve confronté comme la base même de sa position et celle à laquelle il doit répondre par les formules de suppléance, de compensation. Je ne dis rien là qui soit nouveau, simplement je l’applique : la triade de la formation de l’obsessionnel mise en avant par tous les auteurs : annulation, isolation, réaction de défense. C’est cela que je suis en train de vous réarticuler. Simplement observez ceci : pour pouvoir parler d’annulation de quoi que ce soit au niveau du sujet, il faut qu’il s’agisse de signifiant, parce qu’on n’annule rien qui ne soit signifiant. Il n’y a pas la moindre trace d’annulation, même concevable, au niveau animal et si nous trouvons quelque chose qui y ressemble, nous dirons qu’il y a une ébauche de formation symbolique. Mais le terme annulation, ce n’est pas simplement ce dont je vous ai parlé quand il s’agit de l’effacement d’une trace, mais au contraire la prise de quelque chose d’élémentaire et de signifiant sous la parenthèse de quelque chose qui dit « Cela n’est pas », mais qui, disant « Cela n’est pas », le pose quand même comme signifiant. C’est bien toujours essentiellement du signifiant qu’il s’agit : si l’obsessionnel est amené à annuler tellement de choses, c’est parce que ce sont des choses qui se formulent. Les choses qui se formulent, c’est quoi ? Nous le savons très bien, c’est une demande, seulement c’est une demande de mort. Et chacun sait qu’une demande de mort… surtout quand elle est précoce… ayant pour résultat précisément de détruire l’Autre et au premier plan le désir de l’Autre, bien entendu détruit avec l’Autre, du même coup, tout ce en quoi le sujet peut avoir lui – même à s’articuler. Il est d’autant plus nécessaire d’isoler les parties du discours qui peuvent être conservées par rapport à ces parties du discours qu’il faut absolument effacer et annuler pour que le sujet n’en soit pas, du même coup, détruit lui – même. Et c’est à ce jeu perpétuel de « oui ou non », de séparation, de triage de ce qui, dans sa parole, dans sa demande même le détruit par rapport à ce qui peut le préserver, de ce qui, de toute nécessité, est nécessaire à la préservation de l’Autre comme tel, car l’Autre n’existe comme tel qu’au niveau de l’articulation signifiante. C’est dans cette contradiction que le sujet obsessionnel est pris constamment, et c’est bien ce à quoi vous savez qu’il est constamment occupé : précisément à maintenir l’Autre, à maintenir la subsistance de l’Autre par rapport à toutes ces formulations langagières dont il est occupé plus que n’importe qui, et qui sont justement instituées là pour soutenir l’Autre, perpétuellement en danger de tomber, de succomber sous la demande de mort, cet Autre qui est la condition pourtant essentielle de sa maintenance à lui – même comme sujet. Il ne saurait lui – même subsister comme sujet si cet Autre comme tel était effectivement annulé, alors que : si quelque chose se présente au niveau signifiant comme tout spécialement annulé, c’est – à – dire si ce qui marque la place du désir de l’Autre comme tel, à savoir le phallus, si ici le d/(0), dont je vous ai parlé la dernière fois et qui situe le désir de l’obsessionnel, est quelque chose qui est équivalent à l’annulation du phallus, nous sentons bien qu’en effet c’est autour de quelque chose qui a le plus étroit rapport avec ce signifiant que tout va se jouer. Ce que je suis en train de vous expliquer, la division qui se présente entre : une méthode conséquente qui ferait état de cette fonction du phallus comme signifiant, et celle qui, faute de l’avoir élucidée, en est réduite à tâtonner autour de quelque chose qui en effet se joue autour du signifiant phallus chez le sujet,… voici en quoi cette différence consiste, voici ce qui sera pour vous la règle d’or, si vous vous donnez la peine de lire cet article que je vous signale, au risque de demander d’une façon faramineuse… mais peut – être ce risque n’est – il peut – être pas si grand… le dit numéro auprès des Presses Universitaires. Cette règle qui vous permettra de discerner ce qui est fait d’une certaine façon par cette conduite du traitement, d’avec quelque chose d’autre, réside en ceci : qu’est – ce qu’un rapport achevé, complet, d’un sujet avec son propre désir, comporte sur ses bases, sur ses prémisses ? Le sujet, vous ai – je dit, le sujet humain… pour autant qu’il doit s’assumer comme sujet humain et non pas seulement comme animal… pour assumer son désir génital doit réaliser comme signifiant essentiel de son désir la fonction du signifiant phallus. C’est parce que le signifiant phallus est là dans le circuit, dans le circuit de l’articulation inconsciente du sujet, que le sujet humain peut être humain, même quand il baise. Cela ne veut pas dire qu’à l’occasion le sujet humain ne peut pas baiser comme un animal, c’est même une sorte d’idéal qui frétille quelque part au fin fond des espoirs de tous les sujets humains. Je ne sais si la chose est fréquemment réalisée, quelques – uns se sont vantés d’en être arrivés jusque-là. On ne voit pas pourquoi on ne les croirait pas. Mais peu importe… Pour nous, ce que nous savons… l’expérience simplement nous l’a montré c’est qu
e c’est soumis à de beaucoup plus grandes difficultés, et ces difficultés sont des difficultés signifiantes. Ceci vous explique également par exemple les perpétuelles ambiguïtés qui se font jour à propos de : « A – t – on atteint le stade génital ou phallique à tel moment ? » « L’enfant atteint – il le stade génital avant la période de latence, ou est – ce simplement au stade phallique ? » C’est autour de cela que ça tourne. Peut – être les choses seraient – elles moins obscures si on s’apercevait que « stade phallique », à l’occasion ça veut simplement justement dire ceci : « accès au niveau de la signification du désir génital ». Les deux choses sont différentes. Quand dans un premier abord, on a dit que l’enfant n’arrivait à accéder qu’au stade phallique, on a dit une chose très probablement vraie, encore que bien entendu on puisse discuter à propos de l’activité auto – érotique, si elle est oui ou non à proprement parler génitale. C’est vrai aussi, en fin de compte, mais la chose qui est importante, en tout cas pour nous, qui est d’une incidence essentielle, ce n’est pas du caractère plus ou moins physiologiquement caractérisé comme génital… l’activité auto – érotique semble bien apparaître en effet comme représentant une première poussée de l’évolution physiologique… c’est de sa structuration sur le plan phallique qu’il s’agit, et c’est cela qui est décisif pour la suite de la névrose. En fin de compte de quoi s’agit – il ? S’il est vrai, comme je vous l’ai dit, que quelque chose doive se réaliser au niveau de l’inconscient qui soit équivalent, si l’on peut dire, à la parole pleine… c’est – à – dire là où le discours s’articule au lieu de l’Autre [A] et revient comme un signifié [s (A)] au sujet en intéressant le moi [m] du sujet comme tel, ce que le sujet de lui – même a repéré concrètement par rapport à l’image de l’autre [i (a)]… ici, toute espèce d’achèvement de l’articulation inconsciente ne veut rien dire d’autre que ceci : ce circuit, qui part de la confrontation du sujet à sa demande, se formule en un désir articulé comme tel, achevé, satisfaisant pour le sujet, désir auquel le sujet est identique et qui vient aboutir à une certaine place dans ce circuit, à la place qui est précisément la place de l’Autre : en tant qu’être humain marqué de langage, en tant qu’être humain marqué du drame propre du complexe de castration, en tant que vraiment un autre moi – même. Il vient là, je ne dirais pas se formuler en un « Je suis identique au phallus », non pas « Je suis le phallus », mais bien au contraire : « Je suis à la place même qu’il occupe dans la chaîne, dans l’articulation signifiante ». Le sens de « Wo Es war, soll Ich werden », c’est cela. C’est pour autant que le sujet pris dans ce mouvement du signifiant doit arriver à concevoir que ce à quoi il a été précocement confronté, ce signifiant du désir qui lui soustrait l’objet total de la mère, ce phallus, il ne l’est pas, mais qu’il est soumis à la nécessité, du fait que ce phallus occupe une certaine place, que le sujet vient à réaliser qu’ il ne l’est pas, et qu’à partir de là, et à partir de là seulement, il peut accepter ce qui a été partout le processus profondément mis en cause, à savoir de savoir : s’il l’a ou s’il ne l’a pas, et s’il accepte de l’avoir quand il l’a, de ne pas l’avoir quand il ne l’a pas. C’est là à cette place, et dans l’articulation de la chaîne signifiante du fond, dans l’élucidation de ce rapport du sujet au phallus en tant qu’ il ne l’est pas mais doit venir à sa place, qu’un achèvement idéal tel que celui que FREUD articule dans le « Wo Es war, soll Ich werden » est concevable. Ceci, qui est la condition nécessaire à ce que nous orientions nos interventions et notre technique, sera l’objet de mon séminaire de l’année prochaine, que j’appellerai à proprement parler Le désir et son interprétation. Comment on y arrive ? Quelles sont les directions et les directives qui nous permettent de voir les modes d’accès à ce message dernier qui est celui dans lequel la formule freudienne, avec son tour lapidaire présocratique, s’articule ? Ce sera l’objet de ce que nous essayerons d’articuler l’année prochaine. Ce qui se passe, tout ce qui se passe de différent de cela, c’est très précisément ce que la névrose, ou tout autre forme d’anomalie de l’évolution, réalise spontanément : ce que la névrose, dans le cas de la névrose obsessionnelle, réalise, de même que chez l’hystérique, la place du désir… situé dans une profonde incertitude chez l’hystérique… est fixée par elle, par un certain détour, un certain détour qu’elle décrit ou qu’il décrit sur le modèle de ce qui lui permet de situer son moi. L’hystérique, comme tous les sujets, sait bien que c’est par un certain détour, et pour autant qu’il se fixe par rapport à l’image de l’autre, qu’elle trouve la place de son moi, la place du désir. Elle ne l’obtient, exactement de la même façon, au niveau supérieur, si l’on peut dire, que si elle se sépare, se détourne de l’Autre [A] et du signifié de l’Autre [s (A)] et arrive ainsi à se situer dans un certain type idéal, dans une certaine image à laquelle elle s’identifie. C’est de même par un détour analogue… je vous l’ai déjà expliqué… que Dora s’est identifiée à Monsieur K. Elle trouve, si c’est une femme, la place de ce désir dont elle cherche à situer le point, à savoir comment peut – on désirer une femme quand on est impuissant. Voilà le cas pour Dora. Pour l’obsessionnel, le procédé est le même, à ceci près que, de même que c’est au niveau de l’idéal, du masque de l’identification que l’hystérique essayait de repérer les difficultés de sa position, c’est au contraire sur ce qu’on peut appeler la place forte de son moi que l’obsessionnel se situe pour essayer de trouver la place de son désir. C’est pour cela que je dis qu’il va faire quelque part aussi… comme nous le savons par toute l’expérience… ces fameuses fortifications à la VAUBAN dont j’ai parlé ailleurs. Ces sortes de forteresses dans lesquelles un désir toujours menacé de destruction se remparde, c’est quelque chose qu’il fait sur le modèle de son moi, et par rapport bien entendu à l’image de l’autre. Ce rapport à l’image de l’autre consiste très précisément… ce phallus signifiant, toujours menacé de destruction parce que pris dans une dénégation… à le retrouver dans le rapport à l’Autre. C’est – à – dire que par exemple, vous voyez ce quelque chose signalé dans toutes les observations de l’auteur dont je parle à cette occasion : c’est – à – dire que toujours chez tout obsessionnel, homme ou femme, vous voyez… jouant un rôle essentiel, fondamental… apparaître à un moment donné de leur histoire cette identification à l’autre, avec un petit a, un semblable, un camarade, un frère à peine aîné, un camarade contemporain, mais qui ont tous, et dans tous les cas, pour lui le prestige d’être ceux qui sont plus virils que lui, ceux qui ont la puissance. Ici, le phallus apparaît sous sa forme, non pas signifiante, non pas symbolique mais sous sa forme imaginaire, imaginaire de complément d’une image plus forte qu’eux – mêmes, d’une image de puissance. Ceci, ce n’est pas moi qui l’articule, vous le trouverez articulé à proprement parler dans l’article que je vous cite. Cette personne fait état en bonne place des termes mêmes que je cite. C’est reconnu par ceux – là mêmes que leur expérience de ces sujets inspire, c’est là quelque chose qui fonctionnellement est tout à fait essentiel. L’accent, si vous voulez, est mis sur l’image de l’autre en tant : qu’imaginairement la forme… cette fois – ci au sens imaginaire… la forme phallique y est acc
entuée, soulignée, que c’est cela ici qui prend valeur et fonction, non plus de symbolisation du désir de l’Autre, mais de cette relation imaginaire de prestige, de prestance, de préséance dont nous avons déjà marqué la fonction au niveau de la relation narcissique. C’est ceci qui se produit comme tel dans le symptôme obsessionnel, dans l’histoire de l’obsédé, et c’est ceci qui marque la fonction spéciale que prend le rapport du sujet comme tel dans les fantasmes avec cet autre imaginaire qui est son semblable. Cette distinction… de la présence de l’Autre avec un grand A, et de la présence de l’autre avec un petit a,… est sensible dans l’évolution même de l’observation. Si vous lisez cette observation avec attention, à savoir l’observation de la femme dont il s’agit, vous verrez par exemple une très curieuse évolution entre le début du traitement, où elle ne peut pas parler, et la suite, où elle ne veut pas parler. Parce que, d’abord c’est au niveau de la parole que s’est institué le rapport de l’analysée avec l’analyste, et à ce niveau-là, elle se refuse, et l’analyste perçoit fort bien qu’elle se refuse. Ce n’est pas comme cela qu’il l’exprime, mais c’est comme cela que sa demande ne peut être qu’une demande de mort. Bien sûr, après il se passe autre chose, et c’est très amusant de voir que l’analyste s’est très bien aperçu qu’il y avait une différence : les rapports se sont améliorés, néanmoins, elle ne parle toujours pas : maintenant elle ne veut pas parler. La différence entre les deux, c’est que lorsqu’on ne veut pas parler, c’est en raison de la présence de l’Autre avec un grand A. Seulement ce qu’il y a justement d’inquiétant, c’est que si elle ne peut pas parler, c’est parce que ce qui est venu à la place de cet Autre avec un grand A, c’est justement l’autre avec un petit a, que l’analyste a tout fait pour présentifier. Il a tout fait pour présentifîer l’autre avec un petit a. Pourquoi ? Parce que, suivant tout de même la trace des choses à la piste, il voit bien… de par le contenu de ce qu’apporte le sujet… la place qu’y joue le fantasme phallique. Bien entendu c’est avec cela que le sujet se défend, il passe son temps à lui seriner qu’elle voudrait être un homme. Cela dépend comment on l’entend. Il est vrai que le sujet, au niveau imaginaire, fait en effet de ce phallus un sein, que la condition d’homme en tant que pourvu du phallus… et uniquement en tant que pourvu du phallus… est quelque chose qui représente un certain élément de puissance. Ce qu’il s’agit de savoir, c’est justement pourquoi elle a tellement besoin de cette référence et de cet élément qui se trouve être un élément de puissance, qu’est le phallus. Par un autre côté, c’est en toute authenticité qu’elle dénie absolument avoir le moindre désir d’être un homme. Seulement là, on ne la lâche pas. Je veux dire qu’on interprète par exemple en des termes sommaires d’« agressivité », voire même de « désir de castration de l’homme », les choses qui sont d’une articulation beaucoup plus complexe, qui doivent être articulées tout différemment si nous suivons ici ce que nous sommes en train d’essayer de dessiner. Toute l’évolution du traitement, la façon dont il est dirigé… et c’est là que se passe toute l’ambiguïté qu’il y a entre interprétation et suggestion… tend par contre à indiquer ce terme, pour ne pas en employer d’autres, au sujet de quelque chose qui est bien autre, et personne n’en doute, si je puis dire. L’auteur lui – même le souligne assez dans la façon dont il articule sa propre action, à savoir que c’est une mère bienveillante, que c’est un autre beaucoup plus gentil que l’autre auquel a eu affaire le sujet qui intervient pour lui dire, selon la formule même que l’auteur emploie ailleurs dans des termes qui sont à peu près ceux que je vais vous dire : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang… Ce phallus, vous pouvez vous fier à moi, homme comme tel, absorbez – le, je vous le permets, ce phallus c’est ce qui doit vous donner force et vigueur, c’est le quelque chose qui doit résoudre pour vous toutes vos difficultés d’obsessionnelle. » En fait, ce qui est donné à la fin du traitement comme étant son résultat, c’est littéralement ceci : que pas une seule des obsessions en réalité n’a cédé, qu’elles sont simplement subies, mais éprouvées sans aucune culpabilité. Ceci se modèle strictement sur ce que je suis en train de vous dire qui devrait être normalement le résultat d’un tel mode d’intervention. Inversement, comme je vous l’ai dit, il est également frappant de voir le traitement se terminer par le fait que… au point où il a laissé la patiente… elle envoie à l’analyste son propre fils. Il est certain que cette action est assez étonnante, parce que le fait que le sujet, nous dit – on, a éprouvé pendant toute sa vie une sainte terreur devant ce fils dont on sent… d’après le contexte, la perspective, les images que s’en fait l’analyste… dont on sent qu’il y a toujours eu un problème avec ce fils. C’est le moins que l’on puisse dire. Est – ce que précisément le fait que dans l’occasion ce fils soit offert à l’analyste à la fin ne serait pas en quelque sorte la marque, comme l’acting out marquant ce qui a été précisément manqué ? C’est – à – dire que c’est en ce point-là, en ce point de médiation où le phallus est quelque chose de tout à fait autre qu’un accessoire de la puissance, où il est vraiment ce moyen, cette médiation par où, au niveau signifiant, ce qui se passe entre l’homme et la femme est symbolisé. Est – ce que cet enfant, dont d’ailleurs l’expérience analytique… et je veux dire, ce que FREUD a articulé des rapports de la femme au père… nous a montré l’équivalence entre ce désir du don symbolique du phallus et cet enfant qui vient se substituer après ? C’est très précisément pour autant que l’enfant occupe la même place… cette place qui n’a pas été travaillée, qui n’a pas été élucidée dans le traitement, à savoir une place symbolique… c’est pour autant que le sujet… malgré lui et d’une façon certainement inconsciente, mais tout à fait de la même façon que se présente un acting out quand quelque chose a été manqué dans une analyse… que le sujet montre que quelque chose d’autre aurait dû être réalisé. Que ce qui dans le traitement aboutit à cette espèce d’ivresse de puissance, de bonté, d’ivresse quasi maniaque qui est l’ordinaire et le signe de ces traitements qui se terminent par une identification imaginaire qui est quoi, en fin de compte ? Rien d’autre qu’une certaine façon de pousser à leur dernière conséquence, de faciliter, si l’on peut dire, par la voie de l’approbation suggestive qui se trouvait déjà dans les mécanismes de défense de l’obsession, l’idée que la solution, si l’on peut dire, est donnée par l’approbation supplémentaire de ce qui est maintenant une bonne mère, une mère qui permet d’absorber le phallus. Devons – nous nous contenter, pour la solution d’une névrose, de quelque chose qui n’est là que posé au dernier terme d’un de ces composants constituant les névroses en tant que telles, d’un symptôme plus réussi, si je puis dire, dégagé des autres ? Je ne pense pas que nous puissions nous en tenir entièrement pour satisfaits. Je ne pense pas non plus avoir dit tout ce que je peux dire sur ce traitement à ce propos. Et aujourd’hui, une fois de plus le temps nous rejoint. Je choisirai, au moins d’ici la prochaine fois, les trois ou quatre points dans l’observation qui vous mettront encore mieux et encore plus en valeur ce que je viens d’essayer de vous articuler aujourd’hui. Puis nous dirons quelques mots de conclusion sur nos formations de l’inconscient pour résumer le circuit que nous avons opéré cette année. À la suite de
quoi, il ne restera plus qu’à attendre, pour nous engager dans une nouvelle étape l’année prochaine.