dimanche, novembre 10, 2024
Recherches Lacan

LXVII L'ENVERS DE LA PSYCHANALYSE 1969 – 1970 Leçon du 18 Mars 1970

Leçon du 18 Mars 1970

Il y a une personne dans cette assemblée qui a cru bon, et je l’en remercie, de bien vouloir relever ce que j’avais dit la dernière fois d’une certaine déception que personne – personne disais-je – ne m’avait fait le plaisir… le plaisir, comme vous le savez, c’est la loi du moindre effort… le plaisir de me devancer sur une trace que j’aurais ouverte. La personne en question… je vois qu’elle sourit, elle est présente, pourquoi ne pas la nommer : Marie-Claire BOONS… m’a donc envoyé un « tirage à part » d’une revue fort intéressante, à propos de quoi, je peux dire c’est que j’ai des excuses de n’avoir pas lu son article. C’est une revue dont je peux bien dire qu’elle n’a paru que de se présenter au chef de mon enseignement, ça s’appelait L’inconscient. Il y a eu de très bonnes choses dedans, je dois dire. Simplement, paradoxalement, peut-être à cause de cela même que c’est ce dont au principe, au moins dans son comité de rédaction, elle s’autorisait, on ne m’en fait pas le « service ». De sorte que, l’attention attirée, sur ce numéro dit « La Paternité », le numéro 5, j’ai d’abord lu avec beaucoup de soin l’article de Marie-Claire BOONS, et puis ensuite un autre qui est de notre ami Conrad STEIN. Pour parler de celui de Marie-Claire BOONS, je suis tout prêt, si elle le voulait, à le prendre aujourd’hui comme texte d’explication. Et ce qui pourrait en apparaitre, c’est un certain nombre de questions qui surgiraient à propos du chemin qu’elle choisit sur Le meurtre du père chez Freud. À la vérité, je crois que, il apparaîtrait aisément que rien n’y franchit, rien n’y devance, ce que j’avais… à la date où elle a fait cette publication… déjà avancé… et je l’ai dit : très modestement… concernant le complexe d’Œdipe. Il y a une autre méthode, c’est qu’aujourd’hui j’essaye en effet d’aller plus loin, en montrant que ceci est déjà impliqué dans cette avancée prudente qui fut la mienne jusqu’ici. Et alors peut-être dans un second temps, à l’occasion d’une rencontre, rétroactivement, s’éclairera mieux ce que je voudrais dire, si seulement je vous suspendais aux divers points d’un article, qui en effet, par bien des côtés présente une sorte, je dirais d’ouverture, de questionnement, une préparation, si l’on veut, à un pas second. On peut émettre ici un vœu pour l’une ou l’autre de ces deux méthodes. Mais si elle ne déclare pas formellement que c’est au commentaire de son article qu’il conviendrait que nous procédions, je lui laisse la parole. Marie-Claire BOONS — Je ne crois pas qu’en commençant… Eh bien, je crois que ça va être la seconde façon. La mort du père en effet, chacun sait que, il semble que ce soit là la clé, le point vif de tout ce qui s’énonce, de tout ce qui s’énonce et pas seulement au titre mythique, de ce qu’il en est de ce à quoi a affaire la psychanalyse. Marie-Claire BOONS, au terme de son article, nous laisserait même entendre que beaucoup de choses découlent de cette mort du père, et nommément ce « je ne sais quoi » qui ferait que la psychanalyse, d’une certaine façon, nous libère de la Loi. Grand espoir ! Je sais bien en effet que c’est sous ce registre que quelque chose d’un épinglage libertaire se rattacherait à la psychanalyse. Je pense, à vrai dire… et c’est tout le sens de ce que j’appelle « L’envers de la psychanalyse »… qu’il n’en est rien. La mort du père… pour autant qu’elle fait écho à cet énoncé, à centre de gravité nietzschéen, à cette annonce, à cette bonne nouvelle : que « Dieu est mort »… ne me paraît pas loin de là. Et la première assiette à en donner la preuve est bien l’énonciation de FREUD lui-même, dont à juste titre, Marie-Claire BOONS, au départ de son article, nous fait remarquer… ce que j’ai déjà dit il y a deux séminaires… c’est à savoir, que d’une certaine façon, cette annonce de la mort du père est loin d’être incompatible avec cette motivation… cette motivation donnée par FREUD comme étant la sienne… comme d’une interprétation analytique de la religion : que la religion elle-même reposerait sur quelque chose qu’assez étonnamment il avance comme premier, à savoir que le père est celui qui est reconnu comme méritant l’amour. Il y a là déjà l’indication d’un paradoxe, d’un paradoxe qui laisse l’auteur que je viens de nommer dans un certain embarras, concernant le fait qu’en somme, la psychanalyse préférerait maintenir, en quelque sorte préserver, le champ de la religion. Je crois justement qu’ici on peut dire aussi qu’il n’en est rien. La pointe de la psychanalyse est bel et bien l’athéisme, à la condition de donner à ce terme un autre sens que celui de « Dieu est mort », dont assurément tout indique que loin qu’il mette en question ce qui est en jeu, à savoir la Loi, bien plutôt il la consolide. Il y a longtemps que j’ai fait remarquer qu’à la phrase du vieux père KARAMAZOV : « Si Dieu est mort, alors tout est permis. » la conclusion qui s’impose, qui s’impose dans le texte de notre expérience, c’est qu’à « Dieu est mort » répond : « Dieu est mort, plus rien n’est permis. » Pour éclairer ceci dont je vous annonce l’horizon, partons de la mort du père, si tant est que c’est bien elle que FREUD nous avance comme étant la clé de la jouissance, de la jouissance de l’objet suprême identifié à la mère. La mère visée de l’inceste, il est très sûr que ce n’est pas à partir d’une tentative d’expliquer ce que veut dire « coucher avec la mère », que ce meurtre du père s’introduit dans la doctrine freudienne. C’est bien au contraire à partir de la mort du père, que l’interdiction de cette jouissance comme étant première, s’édifie. À la vérité, ce n’est pas de la mort du père, seulement qu’il s’agit, c’est… comme l’a également fort bien mis au titre de son interrogation la personne dont je parle… le meurtre du père. C’est là, dans le mythe d’ŒDIPE tel qu’il nous est énoncé, qu’est la clé de la jouissance. Et aussi bien, si ce mythe nous le regardons de près c’est ainsi qu’il nous est présenté dans cet énoncé, dont j’ai dit qu’il convient de le traiter comme ce qu’il est, à savoir un contenu manifeste, et du même fait de commencer par bien l’articuler. Le mythe d’ŒDIPE au niveau tragique où FREUD se l’approprie, montre bien que le meurtre du père est la condition de la jouissance… si LAÏOS n’est pas écarté au cours d’une lutte où d’ailleurs, il n’est pas sûr que c’est de ce pas qu’ŒDIPE va succéder à la jouissance de la mère… si LAÏOS n’est pas écarté, il n’y aura pas cette jouissance. Est-ce au prix de ce meurtre qu’il l’obtient ? C’est ici que s’offre ce qui est principal, ce qui, de ce que la référence soit prise d’un mythe mis en action dans la tragédie, prend tout son relief. C’est au titre d’avoir délivré le peuple d’une question qui le décime de ses meilleurs à vouloir répondre à ce qui se présente comme énigme… c’est-à-dire qui se figure d’être supporté par cet être ambigu qu’est le sphinx, où s’incarne, et à proprement parler, cette disposition double, d’être fait, tel le mi-dire, de deux mi-corps… que, ŒDIPE lui répondant se trouve, se trouve… c’est là qu’est l’ambiguïté… supprimer le suspens qu’introduit ainsi dans le peuple la question de la vérité. Est-ce à dire qu’à lui donner cette réponse, cette réponse dont assurément il n’a pas l’idée à quel point elle devance son propre drame, mais aussi à quel point, de faire un choix, elle tombe peut-être — sa réponse — dans le piège de la vérité en répondant : « C’est l’homme ». Car qu’est-ce qui sait ce qu’est l’homme ? Et est-ce tout en dire que de le rallier à ce procès… combien ambigu dans le cas de l’Œdipe… qui le fait d’abor
d aller à quatre pattes, puis sur les deux de derrière… en quoi ŒDIPE, comme toute sa lignée, se distingue justement — comme l’a remarqué fort bien Claude LÉVI-STRAUSS — de ne pas marcher droit… puis de finir à l’aide d’un bâton, qui pour n’être pas la canne blanche de l’aveugle, n’en devait pas être néanmoins pour ŒDIPE, du plus singulier élément troisième : pour le nommer, sa fille Antigone. La vérité s’est écartée, qu’est-ce à dire ? Est-ce pour laisser le champ libre à ce qui restera pour ŒDIPE la voie d’un retour ? Car c’est bien d’avoir voulu, en présence d’un malheur deux fois plus grand… non pas décimant son peuple au choix de ceux qui s’offrent à la question de la Sphinge, mais qui le frappe dans son ensemble sous cette forme ambiguë qui s’appelle la peste, avec tout ce dont elle a la charge dans la thématique de l’Antiquité… c’est là que FREUD nous désigne que, pour ŒDIPE, la question de la vérité se renouvelle, et qu’elle aboutit — à quoi ? — à ceci que d’une première approximation nous pouvons identifier à quelque chose, au moins, qui a rapport au prix payé d’une castration. Est-ce bien là tout dire… si de ce que, non pas « les écailles lui tombent des yeux », mais les yeux lui tombent comme des écailles… est-ce bien là tout dire, et n’est-ce pas dans cet objet même que nous voyons ŒDIPE être réduit, non pas à subir la castration, mais dirais-je plutôt à être la castration elle-même, à savoir ce qui reste quand disparaît, disparaît de lui, sous cette forme de ses yeux, un des supports élus de l’objet (a) ? Qu’est-ce à dire, si ce n’est que la question se pose de savoir si d’être monté sur le trône, non par la voie de la succession, mais par la voie de ce choix qui est fait de lui comme du Maître… pour avoir, pour avoir effacé la question de la vérité… que c’est cela qu’il doit payer, autrement dit… introduits comme déjà vous l’êtes de mon énoncé… que ce qui fait l’essence de la position du Maître, c’est d’être châtré, si nous ne trouvons pas là, certes voilé mais indiqué, que c’est aussi de la castration que procède ce qui est proprement la succession ? Si le fils, c’est… comme le fantasme en est toujours très curieusement indiqué, mais jamais proprement rattaché au mythe fondamental du meurtre du père… si la castration est ce qui frappe le fils, est-ce que ce n’est pas aussi… et ceci dans toute notre expérience s’indique… ce qui le fait accéder par la voie juste à ce qu’il en est de la fonction du père ? Est-ce que ce n’est pas indiquer que c’est de père en fils que la castration se transmet ? La mort dès lors, à se présenter comme étant à l’origine : est-ce que nous n’avons pas là l’indication que c’est peut-être un mode de couverture de ce qui… quoique surgi, expérimenté de la position même de l’analyste dont le caractère essentiel, dans le procès subjectif de cette fonction de la castration… le cache tout de même… le voile d’une certaine façon, le met, si l’on peut dire, sous son égide… et nous évite ainsi de porter à son point vif ce que permet… d’une façon dernière et tout à fait rigoureuse… ce que permet d’énoncer la position proprement de l’analyste. Comment cela se fait-il ? Assurément là, il n’est pas vain de s’apercevoir que le mythe du père comme étant essentiel, est d’abord rencontré chez FREUD au niveau de l’interprétation du rêve, où à son dire… et c’est ceci que d’une façon, l’article de Conrad STEIN éclaire remarquablement… un vœu, un souhait de mort, s’y manifeste, dont assurément l’auteur produit une critique remarquable en manifestant que la recrudescence de ces vœux de mort, au moment même que cette mort est réelle, et s’il est vrai que pour FREUD, L’Interprétation des rêves, ait surgi, à son dire, à son propre dire, de la mort de son père, n’est-ce pas là aussi bien la marque… et l’auteur y revient, le souligne… qu’à se vouloir coupable de la mort de son père, le quelque chose qui se cache, est proprement le vœu que le père ne soit immortel ? C’est-à-dire aussi bien ceci avance dans la ligne de ce qui est mis au centre du psychologisme analytique. Dans cette ligne, l’énoncé… donné comme un présupposé basal… que ce qui fait l’essence de la position infantile, c’est son fondement dans une idée de la toute-puissance qui ferait d’elle qu’elle est au-delà de la mort. Or si cette interprétation est — si je puis dire — régulière sous la plume d’un auteur qui n’abandonne pas par ses présupposés… qui tout au contraire a critiqué le dire de ce qu’il en est de l’essence de la position de l’enfant, il en résulte que c’est d’une autre voie que doit être abordé ce qu’il en est des souhaits de mort, et… s’ils recouvrent quelque chose, s’ils le masquent… ce qui est à masquer en l’occasion. Et pourquoi d’abord, penserions nous que d’aucune façon il y a dans ce que nous avons à énoncer de la structure subjective… comme dépendant de l’introduction du signifiant,… comment pouvons-nous mettre au chef de cette structure quoi que ce soit qui s’appelle « la connaissance de la mort » ? À lire d’un autre sens les analyses de FREUD sur quelques-uns de ses rêves majeurs, qui vont de la fameuse « Prière de fermer les yeux », avec l’ambiguïté — sous une barre — de cet « un œil » qui aussi bien est par lui produit comme le fait d’une alternative, ceci… dont assurément Conrad STEIN profite fort habilement dans la ligne de son interprétation, interprétation qui est celle d’une dénégation de la mort au nom de la toute-puissance… ceci est peut-être susceptible, à prendre le dernier rêve de la même série pour en faire le sens… ce que j’ai fait en son temps… de remarquer l’accent, l’accent qui est mis sur un rêve qui n’est pas un rêve de FREUD, mais celui d’un de ses patients, le rêve qui s’énonce… et que je décomposais pour l’analyser, à l’aligner sur les deux lignes de l’énonciation et de l’énoncé… « il ne savait pas qu’il était mort ». Ceci pour nous rappeler, que de deux choses l’une : – ou en effet la mort n’existe pas, il y a quelque chose qui survit, et la question n’en est pas pour autant résolue, de « si les morts savent qu’ils sont morts » – ou bien il n’y a rien au-delà de la mort, et il est bien assuré que dans ce cas ils ne le savent pas. Ceci pour dire que nul ne sait… en tout cas des vivants… ce que c’est que la mort, et qu’il est remarquable que les productions spontanées qui se formulent comme étant du niveau de la conscience, s’énoncent à proprement parler de ceci : que la mort pour quiconque est à proprement parler inconnaissable. J’ai souligné en son temps en effet qu’il est indispensable à la vie que quelque chose d’irréductible ne sache pas… je ne dirai pas que nous sommes morts, parce que justement ce n’est pas ça qu’il faut dire… qu’au titre de « nous », nous ne sommes pas morts, pas tous ensemble en tout cas… c’est bien là-dessus qu’est notre assiette… que quelque chose ne sache pas que Je suis mort. Je suis mort très exactement en tant que je suis voué à la mort, mais justement, au nom de ce quelque chose qui ne le sait pas moi non plus je ne veux pas le savoir. C’est ce qui permet de mettre au centre de la logique « tout homme » : ce « tout homme »…  « tout homme est mortel » dont l’appui est justement ce non-savoir de la mort, et du même coup ce quelque chose qui nous fait croire que « tout homme » ça signifie quelque chose. Tout homme naît d’un père, dont c’est — nous dit-on — en tant qu’il est mort, qu’il — lui, l’homme – ne jouit pas de ce dont il a à jouir. L’équivalence — en termes freudiens — est donc faite du père mort et de la jouissance. C’est lui qui la garde en réserve, si je puis dire. Le
mythe freudien… tel qu’il s’énonce, non plus au niveau du tragique avec sa souplesse subtile, mais dans l’énoncé du mythe de Totem et Tabou… c’est l’équivalence du père mort et de la jouissance. C’est là ce que nous pouvons qualifier du terme d’un opérateur structural. Ici, le mythe se transcende d’énoncer au titre du réel… car c’est là ce sur quoi FREUD insiste : que ça s’est passé réellement, que c’est le réel… que « le père mort est ce qui a la garde de la jouissance » est ce d’où est parti l’interdit de la jouissance, d’où elle a procédé. Ceci se présente à nous en quelque sorte comme le signe de l’impossible même : que le père mort soit la jouissance. Et c’est bien en ceci… qu’aux termes qui sont ceux que je définis comme fixant la catégorie du réel, en tant que dans ce que j’articule, elle se distingue radicalement du symbolique et de l’imaginaire… que le réel c’est l’impossible. C’est ce à quoi, non pas au titre de simple butée contre quoi nous nous cognons le front, mais : –              de la butée logique, – de ce qui du symbolique s’énonce à proprement parler comme impossible,… que le réel surgit. Nous reconnaissons bien là en effet, au-delà du mythe d’Œdipe, un opérateur, opérateur structural, celui dit du « père réel » avec – je dirai même – cette propriété : qu’au titre de paradigme il est aussi la promotion, au cœur du système freudien, de ce qui est le « père du réel » aussi bien, ceci qui marque, qui met au centre de l’énonciation de FREUD un terme de l’impossible. C’est très bien dire que l’énonciation freudienne n’a rien à faire avec la psychologie, qu’il n’y a aucune psychologie concevable de ce père originel, seulement là, présenté comme celui… je n’ai pas besoin de répéter la dérision que j’en ai fait lors – je pense — du dernier séminaire… celui « qui jouit de toutes les femmes », concevable imagination, alors qu’il n’est que trop clair… que c’est assez normalement perceptible… que c’est déjà beaucoup de suffire à une. C’est ici que nous sommes renvoyés à une tout autre référence, à celle de la castration, à partir du moment où nous l’avons définie, définie comme le principe du signifiant-Maître. J’y reviendrai, plus exactement je vous montrerai au terme de ce discours d’aujourd’hui ce que ceci peut vouloir dire. Le discours du Maître nous montre la jouissance comme venant à l’Autre. C’est lui qui en a les moyens. Ce qui est langage ne l’obtient qu’à insister jusqu’à produire la perte d’où le plus de jouir prend corps. D’abord le langage, et même celui du Maître, ne peut être autre chose que demande, et demande qui échoue. Ce n’est pas de son succès, c’est de sa répétition que s’engendre quelque chose qui est d’une autre dimension – que j’ai appelé la perte – où le plus de jouir prend corps. Cette création répétitive, cette inauguration d’une dimension dont s’ordonne tout ce dont va pouvoir se juger l’expérience analytique, ceci peut aussi bien partir d’une impuissance originelle, de celle pour tout dire de l’enfant, loin qu’elle soit la toute-puissance. Si l’on a pu s’apercevoir que ce que la psychanalyse nous démontre c’est que « l’enfant est le père de l’homme », c’est bien qu’il doit y avoir quelque part, quelque chose qui en fait la médiation. Et c’est très précisément cette insistance du Maître, cette insistance en tant qu’elle vient à produire… et je l’ai dit : de n’importe quel signifiant, après tout… le signifiant-Maître. Le terme que j’ai avancé en son temps : que le père est réel, je ne l’ai avancé que d’avoir… d’avoir au temps où j’avais formulé ce qu’il retourne de la relation d’objet dans ses rapports avec la structure freudienne… j’avais pris soin de dégager d’abord ce qu’il en est de distinct dans l’essence de la castration, de la frustration et de la privation : –     la castration étant fonction essentiellement symbolique, à savoir ne se concevant de nulle part d’autre que de l’articulation signifiante, – la frustration étant de l’imaginaire –     et la privation, comme il va de soi, du réel. C’est là qu’on voit qu’il nous faut, quant à ce qu’on veut définir du fruit de ces opérations : – que, au niveau de la castration, c’est de l’énigme que nous propose le phallus en tant que manifestement imaginaire qu’il faut faire l’objet de la première de ces opérations, – que c’est — pourquoi pas ? — de quelque chose de bien réel qu’il est toujours question dans une frustration, même si la revendication qui la fonde n’a bien sûr de ressource qu’à imaginer que ce réel on vous le doit, ce qui ne va pas de soi… –  que la privation d’autre part, il est bien clair qu’elle ne se situe que du symbolique, car pour quelque chose de réel, rien ne saurait manquer : ce qui est réel est réel, et c’est bien d’autre part que doit provenir cette introduction pourtant tout à fait essentielle, et sans laquelle nous ne serions pas nous-mêmes dans le réel, à savoir que quelque chose… et c’est bien ce qui caractérise d’abord le sujet… manque. C’est au niveau des agents que je suis resté en son temps — non sans l’indiquer — moins explicite. Le père, le père réel… et c’est ce que l’affirmation du père réel comme impossible est destinée à nous masquer… le père réel n’est rien d’autre que l’agent de la castration. Agent, qu’est-ce que cela veut dire ? Bien sûr, au premier abord nous glissons dans ce fantasme que c’est le père qui est castrateur. Il est très marquant qu’aucune des formes de mythe auxquelles FREUD se soit attaché, n’en donne l’idée. Ce n’est pas de ce que les fils… dans un premier temps hypothétique où ils sont encore animaux… n’accèdent pas au troupeau des femmes, qu’ils soient — que je sache — castrés. La castration, en tant qu’énoncé, qu’énoncé de quelque chose qui constitue un interdit, en aucun cas ne saurait se fonder que du second temps : du mythe, du mythe du meurtre du père de la horde, et à son dire, au dire de ce mythe même, il ne provient pas d’autre chose que d’un commun accord : ce singulier, singulier initium dont je montrais la dernière fois le caractère problématique. Aussi bien le terme d’acte est-il ici à relever, à relever, soit-dit en passant, pour marquer que s’il est vrai que ce que j’ai pu vous énoncer du niveau de l’acte… quand j’ai traité de L’acte psychanalytique… est à prendre au sérieux… à savoir qu’il ne saurait y avoir d’acte que du contexte déjà rempli de tout ce qu’il en est de l’incidence signifiante, de son entrée enjeu dans le monde… il ne saurait y avoir d’acte au commencement, en tout cas d’aucun acte qui puisse se qualifier de meurtre, et que le mythe ici ne aurait avoir d’autre sens que celui à quoi je l’ai réduit, d’un énoncé de l’impossible. Il ne saurait y avoir d’acte hors d’un champ déjà si complètement articulé que la loi ne s’y situe. Il n’y a d’autre acte, qu’acte qui se réfère aux effets de cette articulation signifiante et qui ne comporte toute la problématique, d’une part, de ce que comporte ce qu’est de chute l’existence même de quoi que ce soit qui puisse s’articuler comme sujet, et d’autre part, de ce qui y préexiste comme fonction législatrice. Est-ce à dire que c’est de la nature de l’acte que procède la fonction du père réel, en ce qu’il est de la castration ? C’est très précisément ce que le terme d’agent — que j’ai avancé — nous permet de mettre en suspens. Le verbe agir a dans la langue plus d’une résonance, à commencer par celle de l’acteur, de l’actionnaire aussi… pourquoi pas ? c’est fait avec celui d’action, et ça vous montre qu’une action n’est peut être pas tout à fait ce que l’on croit… de l’a
ctivisme aussi : puisque l’activiste ne se définit pas à proprement parler de ceci : qu’il se considère comme de quelque chose plutôt l’instrument ? De l’Actéon – hein ? — pendant que nous y sommes… ce serait un bon exemple pour qui saurait ce que ça veut dire aux termes de ma « Chose freudienne »… et en fin de compte, de ce qu’on appelle tout simplement « mon agent ». Ce qu’on appelle « mon agent » vous voyez en général ce que ça veut dire « je le paye pour ça » même pas : « je le dédommage de n’avoir rien eu d’autre à faire » « je l’honore », comme on dit, en faisant semblant de partir de ceci, qu’il est capable d’autre chose. Voilà le niveau du terme où il convient de prendre ce qu’il en est du père réel comme d’agent de la castration. Il fait le travail de l’agence-Maître. Nous sommes de plus en plus familiers avec ces fonctions d’agent, nous vivons à une époque où nous savons ce que ça véhicule : du toc, de la publicité, des trucs qu’il faut vendre, mais aussi que c’est avec ça que ça marche, au point où nous en sommes de l’épanouissement, du paroxysme, du discours du Maître dans ce qu’il en est d’une société où il se fonde. Ceci nous inciterait… Il est tard, et assurément je serai forcé, ici de faire une petite coupure, je vous la signale au passage, parce que peut-être nous la reprendrons : c’est quelque chose qui avait pour moi son prix d’être un point qu’il ne me paraît pas indigne de faire l’effort d’éclairer. Puisque je mets un accent, une note qui est bien particulière au niveau de cette fonction de l’agent, il faudra qu’un jour, je vous montre tous les développements que ceci prend, d’introduire la notion d’agent double, dont chacun sait qu’elle est à notre époque un des objets les plus incontestables, les plus certains d’une fascination. L’agent qui remet ça, qui ne veut pas seulement le petit marché du Maître, ce qui est le rôle de chacun, il pense que ce dont il a le contact, à savoir que tout ce qu’il y a qui vaille vraiment… j’entends de l’ordre de la jouissance… n’a rien à faire avec les trames de ce filet. Il se dit, ben mon Dieu, que dans son petit boulot, en fin de compte, c’est ça qui le préserve. Étrange histoire, et qui mène loin ! Le vrai agent double, c’est celui qui pense que ce qui échappe aux trames, ça aussi, il faudrait l’agencer, parce que si ça est vrai, l’agencement va le devenir, et du même coup le premier agencement, celui qui manifestement était du toc, va devenir vrai aussi. C’est très probablement ce qui guidait un personnage qui s’était mis — on ne sait pourquoi — en fonction d’agent, d’agent prototype de ce discours du Maître, en tant qu’il s’autorise de garder quelque chose, ce quelque chose dont un auteur a profilé l’essence en disant ces mots prophétiques : « Les murs sont bons », Henri MASSIS, pour le nommer. Enfin, le nommé SORGE, avec un nom si heideggerien, trouvait le moyen d’être parmi les agents nazis, et de se faire agent double, agent double — au profit de qui ? – au profit du « Père des Peuples » dont chacun espère, comme vous le savez tous, que ce sera lui qui fera que le vrai sera aussi bien agencé. C’est une fonction en fin de compte dont ce n’est pas pour rien que j’ai évoqué du côté du Père des peuples la référence, parce que ça a beaucoup de rapports avec celle du père réel en tant qu’agent de la castration. Parce que le fameux père réel dont évidemment l’énoncé freudien, de devoir… de devoir : il ne peut pas faire autrement, ne serait-ce que parce qu’il parle de l’inconscient… de devoir partir du discours du Maître, ne peut faire que l’impossible. Enfin quand même, ce père réel, nous le connaissons, enfin, nous le connaissons : c’est quelque chose d’un tout autre ordre. D’abord, en général, enfin tout le monde admet que c’est lui qui travaille, et « pour nourrir sa petite famille ». S’il est l’agent de quelque chose, dans une société qui évidemment ne lui donne pas un grand rôle, il reste tout de même qu’il a des côtés excessivement gentils : il travaille, et puis il voudrait bien être aimé. Il y a quelque chose, il y a quelque chose qui montre que c’est évidemment bien ailleurs que gîte toute cette mystagogie qui en fait le tyran. C’est au niveau du père réel en tant que le père réel est un effet, une construction langagière, comme d’ailleurs FREUD l’a toujours fait remarquer, que le père réel n’a pas d’autre réel… je ne dis pas de réalité, car la réalité c’est encore autre chose, c’est ce dont je venais de vous parler à l’instant… il n’est pas autre chose qu’un effet du langage. Je pourrai même tout de suite, enfin, aller un tout petit peu plus loin, vous faire remarquer que scientifiquement c’est intenable cette notion du père réel. Il n’y a qu’un seul père réel, c’est le spermatozoïde et, jusqu’à nouvel ordre, personne n’a jamais pensé à dire qu’il était le fils de tel spermatozoïde [Rires]. Bien sûr, naturellement, on peut me faire des objections, n’est-ce pas, à l’aide d’un certain nombre d’examens, de groupes sanguins, que sais-je, de facteurs rhésus… Mais c’est tout nouveau, ça n’a absolument rien à faire avec tout ce que on a jusqu’ici énoncé comme étant la fonction du père. De sorte que s’il y a quelque chose que l’analyse pourrait faire poser comme question… je sens que j’aborde là un terrain dangereux… mais enfin, il n’y a quand même pas que dans les tribus ARANDA qu’on pourrait se poser la question de ce qui est réellement le père dans une occasion où une femme s’est trouvée engrossée. Pourquoi est-ce que ça ne serait pas… on en a de temps en temps le soupçon… pourquoi est-ce que ça ne serait pas, dans une psychanalyse, le psychanalyste qui soit… même si ce n’est pas lui du tout, du tout, qui l’a fait, là, sur le terrain spermatozoïdique [Rires]… qui soit le… qui soit le père réel, puisque c’est à propos de quelque chose qui est le rapport de la patiente avec — disons pour être pudique – la situation analytique, qu’elle s’est trouvée finalement mère. Alors il n’y a pas besoin d’être ARANDA pour se poser des questions sur ce qu’il en est de la fonction du père. Et l’on s’aperçoit du même coup… parce que cela nous élargit les idées… qu’il n’y a pas besoin de prendre la référence de l’analyse que j’ai prise comme la plus brûlante, pour que la même question se pose, n’est-ce pas ? Voilà, on peut très bien faire un enfant à son mari, et que ce soit, même si on n’a pas baisé avec, l’enfant de quelqu’un d’autre, justement celui dont on aurait voulu qu’il fût le père. C’est à cause de ça qu’on a eu un enfant quand même. Alors vous voyez, ça nous entraîne comme ça, ça nous entraîne un petit peu dans le rêve, c’est le cas de le dire… seulement je ne le fais que pour vous réveiller ! Parce que si j’ai dit que, enfin, tout ce qu’a élucubré FREUD… non pas bien sûr au niveau ni du mythe, ni non plus de la reconnaissance des souhaits de mort dans le rêve de ses patients… si je vous dit que ça c’est un rêve de FREUD, c’est bien entendu parce qu’il semble que l’analyste devrait, un tout petit peu s’arracher à ce plan du rêve. Ce que l’analyste rencontre, à avoir été dirigé, guidé par l’introduction par FREUD de quelque chose de tout à fait percutant, ce que l’analyste en a retiré est encore pas du tout décanté. Vendredi dernier, j’ai présenté à ma présentation de malades un monsieur… je ne vois pas pourquoi je l’appellerais un malade… à qui il était arrivé des choses comme ça, qui faisaient que son électroencéphalogramme — me disait la technicienne — est toujours à la limite de ce qui est l’oscillation du sommeil et celle du vigile, de sorte qu’on sait jamais quand il va passer de l’une à l’autre,
et que ça en reste là. C’est un peu comme ça que je vois l’ensemble de tous nos collègues analystes [Rires] : voyez-vous le choc, le traumatisme de la naissance de l’analyse les laisse comme ça, et c’est pour ça, comme ça qu’ils font des battements d’ailes, pour essayer de tirer de l’articulation freudienne quelque chose de plus précis. Ce n’est pas dire qu’ils n’en approchent pas. Mais ce qu’il faudrait qu’ils voient, par exemple, c’est que c’est de la position du père réel… ça, ça mérite tout à fait d’être retenu… telle que FREUD l’articule, à savoir comme un impossible, qu’il est nécessaire que… pas vous, ni lui, ni moi, enfin tout ça… cette position même imagine le père comme privateur. Le père imaginaire, c’est pas du tout surprenant que nous le rencontrions sans cesse, c’est une dépendance structurale de quelque chose qui est justement ce qui nous échappe, à savoir ce qu’est le père réel. Et le père réel qui est strictement exclu d’une façon sûre, si ce n’est comme agent de la castration, laquelle castration n’est pas comme nécessairement toute personne qui « se psychologise » la définit. On a vu ça surgir, il n’y a pas si longtemps, paraît-il, dans un jury de thèse, où quelqu’un qui a décisivement pris le versant de faire de la psychanalyse la psychopédie que l’on sait, a dit : « Pour nous, la castration n’est qu’un fantasme ». Mais non, mais non la castration, c’est l’opération réelle introduite de par l’incidence du signifiant — quel qu’il soit — dans le rapport du sexe. Qu’elle détermine le père comme ce réel impossible que nous avons dit, mais ça va de soi ! Et il s’agit maintenant de savoir ce que ça veut dire cette castration, cette castration qui n’est pas un fantasme. Il en résulte bien sûr qu’il n’y a pas de cause du désir que produit de cette opération [S  a] et que le fantasme domine toute la réalité du désir, c’est-à-dire la Loi. Pour le rêve, chacun sait maintenant que c’est la demande, que c’est le signifiant en liberté, qui insiste, qui piaffe, qui piétine aussi, qui ne sait absolument pas ce qu’il veut. L’idée de mettre le père tout puissant du désir au principe du désir est très suffisamment réfutée par le fait que le désir de l’hystérique… dont FREUD a extrait ses signifiants-Maîtres… car il ne faut pas oublier que c’est de là que FREUD est parti, à savoir ce qui reste au centre de sa question… il l’a avoué, et ceci a été d’autant plus précieusement recueilli que ça a été recueilli par une ânesse qui l’a répété sans absolument savoir ce que ça voulait dire… c’est la question : « Que veut une femme ? » « Une femme », mais pas n’importe laquelle. Rien que poser la question ça veut dire qu’elle veut quelque chose. Il a pas dit : « Que veut la femme ? » Parce que « la femme », rien ne dit qu’elle veuille quoi que ce soit. Je ne dirai pas qu’elle s’accommode de tous les cas, elle s’incommode de tous les K, Kinder, Küche, Kirche, mais il y en a bien d’autres, Kulture, Kilowatt, Kulbute, comme dit quelqu’un, Cru et Cuit, tout ça lui va également, hein, elle les absorbe. Mais dès que vous posez la question : « Que veut une femme ? » vous situez la question au niveau du désir, et chacun sait que situer la question au niveau du désir pour la femme, c’est interroger l’hystérique. Il est bien clair que ce que l’hystérique veut… enfin je dis ça pour ceux qui n’ont pas la vocation, là il y a l’air d’en avoir beaucoup… ce qu’elle veut c’est un Maître. C’est tout à fait clair, c’est même au point qu’il faut se poser la question si c’est pas de là qu’est partie l’invention du Maître. Ça bouclerait élégamment ce que nous sommes en train de tracer. Elle veut un Maître. C’est là ce qui gît dans le petit coin en haut à droite pour ne pas le nommer autrement : Elle veut que l’autre soit un Maître, qu’il sache beaucoup de choses, mais tout de même pas qu’il en sache assez pour ne pas croire que c’est elle qui est le prix suprême de tout son savoir, c’est-à-dire dit qu’elle veut un Maître sur lequel elle règne : elle règne, et il ne gouverne pas. C’est de là que FREUD est parti, et c’est Elle l’hystérique… vous devez très bien vous apercevoir que c’est pas forcément spécifié à un sexe : dès que vous posez la question « Que veut Untel ? » vous entrez dans la fonction du désir, et vous sortez le signifiant-Maître. FREUD a produit un certain nombre de signifiants-Maîtres, qu’il a couvert… ça va de soi, ça sert aussi à boucher quelque chose… du nom de FREUD. Je suis étonné qu’on puisse associer à ce bouchon qu’est un Nom du Père — quel qu’il soit — l’idée qu’à ce niveau-là il peut y avoir un meurtre quelconque, et que ce soit non plus au nom d’une dévotion au nom de FREUD que les analystes sont ce qu’ils sont. Ils peuvent pas se dépêtrer des signifiants-Maîtres de FREUD, c’est tout. C’est pas tellement à FREUD qu’ils tiennent, qu’à un certain nombre de signifiants : l’inconscient, la séduction, le traumatisme, le fantasme, le moi, le ça, et tout ce que vous voudrez. Il n’est pas question qu’ils sortent de cet orbe. Ils ont, à ce niveau-là, aucun père à tuer. On n’est pas le père de signifiants, on est tout au plus père « à cause de ». Il n’y a pas de problème à ce niveau-là. Le vrai ressort est celui-ci : la jouissance sépare le signifiant-Maître… en tant qu’on voudrait l’attribuer au père… du savoir en tant que vérité. Or ce qui s’articule… et c’est là-dessus que je reprendrai la prochaine fois que nous nous retrouverons… c’est qu’à prendre le schéma de ce qu’il en est du discours A, comme le discours de l’analyste, le pas fait par la jouissance se trouve là : À savoir entre : –               ce qui se produit sous quelque forme que ce soit, comme signifiant-Maître, – et le champ dont dispose le savoir en tant qu’il se pose comme vérité. Ce qui permet d’articuler ce qu’il en est véridiquement de la castration, c’est que même pour l’enfant… quoi qu’on en pense… le père est celui qui ne sait rien de la vérité.

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