samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIII L'OBJET DE LA PSYCHANALYSE 1965 – 1966 Leçon du 22 décembre 1965 Séminaire fermé

Leçon du 22 décembre 1965 Séminaire fermé

 

je remercie très vivement Green 1 [1 – « L’objet a de Lacan, sa logique et la théorie freudienne » par André Green (publié en Mai 1966 dans les Cahiers pour l’analyse, n° 3)] de cet admirable exposé qu’il vient de nous faire sur sa position à l’endroit de ce que j’ai, comme il l’a rappelé, patiemment amené, construit, produit et que je n’ai pas fini de produire concernant l’objet a. Il a vraiment très remarquablement montré toutes les connexions que cette notion comporte. je dirai même qu’il a laissé encore en marge quelque chose qu’il aurait pu pousser plus loin, je le sais et nommément quant à l’organisation des divers types de cure et à ce qui constitue, à proprement parler, la fonction de l’objet a quant à la cure.

je le remercie d’avoir fait cette clarification qui est bien plus qu’un résumé, qui est une véritable animation, un rappel excellent des différentes étapes, je le répète, dans lesquelles on peut préciser là-dessus ma recherche ou mes trou­vailles. je ne lui répondrai pas maintenant parce que nous avons un programme. je pense qu’il voudra bien collaborer de la façon la plus étroite avec ce qui vient d’être recueilli pour que le texte de ce qu’il a donné aujourd’hui et qui fait date et qui peut nous servir de référence à ce qui sera développé et, je l’espère, com­plété ou accru cette année; je pense que c’est une excellente base de travail pour ceux qui feront spécialement partie de ce séminaire fermé.

Merci beaucoup Green. Vous avez rempli votre heure avec une exactitude que je ne saurais trop complimenter. Alors, le donne la parole à Conté qui va vous proposer certain exposé de ce qu’il en est des articles de Stein qui vont être aujourd’hui interrogés.

Néanmoins, le profite de l’intervalle pour vous faire part de ceci, c’est qu’un cercle d’étude et de travail qui s’appelle le cercle d’épistémologie et qui appar­

 

 

tient à cette école dont nous sommes les hôtes ici, ce cercle d’épistémologie s’est constitué au cours du cartel, théorie du discours de l’École freudienne et il va publier des Cahiers pour l’analyse. Le titre même de ces Cahiers ne se com­mente pas plus. Mais je vous en donne quand même la direction et l’ouverture, la possibilité d’accueil. Ces Cahiers seront mis à votre disposition bien sûr ici à l’entrée du séminaire mais aussi à l’École Normale d’une façon permanente et également à la Sorbonne dans un endroit qu’on vous désignera ultérieurement. J’ai donné à ces Cahiers qui m’apparaissent animés de l’esprit le plus fécond et ceci depuis longtemps, je veux dire que le cercle qui va les éditer me parait méri­ter toute notre attention à tous, j’ai donné ma première conférence de cette année qui, comme vous l’avez constaté était écrite, pour qu’elle soit publiée dans le premier numéro. Il y aura d’autres choses. Vous verrez alors.

Docteur Cl. Conté -je vais parler de deux articles de Stein, en laissant de côté le troisième plus récent, sa conférence sur le jugement des psychanalystes qui m’a paru poser des problèmes à un niveau différent. Donc, ici deux articles qui se font suite et qui sont consacrés simultanément à fournir un certain repérage de la situation analytique et à élaborer une théorie du poids de la parole de l’ana­lyste en séance. Le premier article accentue surtout la référence au narcissisme primaire; le second introduisant l’opposition du narcissisme au masochisme est essentiel à la conception du transfert.

Je vais tout d’abord donner un compte rendu rapide, trop rapide sûrement, de ce qui m’a paru constituer la contribution théorique essentielle de ce travail. On me pardonnera, j’espère, de passer peut-être un peu vite sur certaines arti­culations et surtout de priver ces écrits de leur référence à des cas cliniques pré­cis qui leur donnent toute leur valeur de réflexion sur une expérience psycha­nalytique. Stein voudra bien tout au moins me reprendre pour le cas où j’aurai trahi ou mal traduit sa pensée. Je donnerai ensuite un certain nombre de remarques critiques qui n’ont pas d’autre but que de tenter de saisir dans l’éla­boration originale qui est la sienne les points de divergence avec l’enseignement de Lacan et, par là, d’ouvrir un débat.

Le premier article est donc: « La situation analytique: remarque sur la régres­sion vers le narcissisme primaire dans la séance et le poids de la parole dans l’ana­lyse ». Il a paru dans la Revue française de Psychanalyse 1964 n° 2. Le propos de Stein vise à élucider le mode d’action de l’interprétation mais, je le cite ici :

« Pour pouvoir aborder utilement la question, il faut se demander aupa­ravant en quoi réside le pouvoir de la parole au cours de la séance quel que soit le choix du contenu de l’interprétation, ce qui débouche sur le problème du pouvoir de la parole en général. »

Ce problème, Stein va l’aborder à partir de certains moments privilégiés de l’analyse. Telle est en effet la conséquence de la règle fondamentale : prié de se mettre dans un état d’attention flottante, le patient écoute en dedans et parle dans un seul et même mouvement. La perception et l’émission de sa parole sont confondues. Il ne parle pas. Ça parle. L’analyste, de son côté, en état, lui aussi, d’attention flottante écoute le « ça parle ». Il n’écoute pas en personne. Ça écou­te mais la parole et l’écoute ne font pas deux. Le patient et l’analyste tendent à être tous les deux en un, en lequel est contenu tout.

La situation analytique, idéalement réalisée, ressemblerait tout à fait au som­meil et le discours qui s’y ferait entendre serait un rêve. Ce qui est en jeu dans la situation analytique est donc bien une régression topique comportant l’abo­lition des limites entre le monde extérieur et le monde intérieur, aussi bien du côté du patient que de l’analyste. Cette régression topique est une régression vers le narcissisme primaire s’exprimant dans une certaine manière de bien-être qui mériterait, nous dit Stein, d’être appelé le sentiment d’expansion narcissique ou encore dans l’illusion d’avoir l’objet du désir, – c’est ce qu’il dit à propos d’un exemple clinique – ou dans le syndrome de béatitude accompagnant le début de certaines analyses.

Or, de tels moments de l’analyse manquent rarement de susciter en séance l’évocation du passé. La régression topique dans la situation analytique est à proprement parler la condition de la régression temporelle et c’est dans la régression topique que s’actualise un conflit paraissant répétitif du passé. Je cite encore :

« Ce qui se passe à l’occasion de cette actualisation est analogue à ce qui se produit lorsqu’au moment du réveil, le rêveur formule le texte de son rêve ».

Ici le patient sort de son état de libre association pour adresser la parole à l’analyste. Ça ne parle plus. Il parle. Il réfléchit sur lui-même et corrélativement, s’adresse à l’analyste comme à l’objet de son discours. C’est en ce point précis, nous dit encore Stein, qu’émerge l’agressivité, car l’agressivité, comme nous dit Freud, naît avec l’objet.

La suite de l’article enrichit cette articulation d’un certain nombre de préci­sions. Il peut en particulier y avoir, au cours de la cure, défense contre la régres­sion narcissique en tant qu’elle peut favoriser la réapparition de conflits incons­cients et d’angoisse. Au parler facile, caractéristique de l’état d’attention flot­tante ou au silence de style fusionnel, s’oppose ainsi le parler sans discontinuer ou le silence vigile qui exprime toujours la défense contre la régression narcis­sique, la parole de l’analyste étant en pareil cas souhaitée comme protection contre la régression mais en même temps redoutée en tant qu’elle prive le patient d’une satisfaction substitutive de l’expansion narcissique, à savoir de l’exercice de la toute puissance.

La double incidence de la parole de l’analyste se trouve ainsi repérée. Prononcée en personne, elle rompt l’expansion narcissique alors que, se faisant entendre comme participant du ça parle, elle favorise cette régression. L’intonation ou le choix du moment de parler peuvent rendre compte de l’un ou l’autre de ces effets qui sont en fait habituellement présents simultanément mais en proportion variable.

J’ai signalé que le premier article introduisait donc une position de l’analysé qui, par rapport au narcissisme a valeur d’une situation de compromis. Craignant la régression, le patient tente de réduire l’analyste au silence, d’échap­per à la fluctuation en s’en faisant l’ordonnateur, d’en conserver la maîtrise et par là une jouissance substitutive de la régression narcissique.

Le deuxième article élabore cette position en opposant cette fois au narcis­sisme, le masochisme du patient dans la cure. Il s’agit d’une conférence intitu­lée : «Transfert et contre-transfert ou le masochisme dans l’économie de la situation analytique», prononcée en octobre 1964 et que je remercie Stein d’avoir bien voulu mettre à notre disposition.

L’expansion narcissique au cours de la séance est toujours menacée par l’éventualité de l’intervention de l’analyste en tant que celle-ci implique deux personnes séparées, donc une coupure entre le patient et ce qui n’est pas lui, une faille par où s’introduit un pouvoir hétérogène c’est-à-dire quelque chose qui est à mettre en rapport avec le principe de réalité. Or, à ce niveau se réalise une fausse liaison constitutive du transfert. Dans la situation analytique se pro­duit un phénomène de confusion, de coalescence entre la représentation de l’intervention de l’analyste et la reconnaissance de la réalité du fait qu’il peut parler.

L’analyste apparaît comme l’origine de la réalité de l’existence, comme l’ori­gine du pouvoir défaillant; le psychanalyste apparaît comme frustrant le patient de son plaisir de par sa propre volonté alors qu’il n’est point maître de la frus­tration que le patient éprouve dans sa coupure d’avec ce qui n’est point lui. Ce phénomène, nous dit Stein, nous est connu sous le nom de transfert.

L’intervention de l’analyste passe dès lors pour un abus de pouvoir. Le trans­fert a pour corrélatif le masochisme. Mais, en conférant à son analyste un tel pouvoir absolu, le sujet vise en fait à se rendre maître de ce même pouvoir qui manque à son accomplissement narcissique. Se présentant comme bouffon, il fait du psychanalyste son roi. Il va souffrir pour le plaisir, c’est-à-dire tenter de nier la réalité de l’existence tout en la reconnaissant puisque l’accomplissement narcissique est différé. Plus fondamentalement encore, il vise à mentir au psy­chanalyste, à entretenir indéfiniment son désir en ne le satisfaisant point. Il s’agit pour lui d’être l’objet manquant, objet dont la complétude figure en somme l’accomplissement du narcissisme qui ne saurait être. Par cette réalisa­tion substitutive il simule la possibilité que la frustration puisse ne plus être.

Ceci nous fait alors accéder au pas suivant qui est la reconnaissance de la visée sadique impliquée dans le masochisme du sujet, à savoir l’appel au contre-trans­fert car le psychanalyste qui subit le lot commun de ne pouvoir échapper à la frustration, peut à la limite se laisser tromper et se croire en effet maître de la frustration. Restant frustré dans la réalité de son existence, il serait dès lors tenté d’attribuer le non-accomplissement de son propre narcissisme à l’unique man­quement de son patient ainsi devenu l’objet qui lui manque. C’est ainsi que le transfert s’établit dans la visée illusoire de la restauration d’un accomplissement narcissique supposé perdu sous le signe de l’incertitude. La terminaison de l’analyse, à l’inverse, implique l’accès à un certain ordre de certitude dans l’exis­tence ou de savoir dans la frustration.

A partir de ce très bref résumé des deux travaux de Stein, je vais proposer un certain nombre de remarques critiques qui vont s’ordonner en trois groupes. Le premier groupe concerne le premier article surtout et l’opposition ou l’alter­nance, introduite par Stein, et destinée à rendre compte à ce niveau du dyna­misme de la cure. Je rappelle qu’il situe d’une part, la règle de libre association qui tend à induire chez le patient un mouvement de régression vers le narcissis­me primaire caractérisé comme fusion avec l’analyste et d’autre part la régres­sion topique vers le narcissisme conditionne une régression temporelle à savoir la réémergence des conflits anciens ou la répétition des conflits en quoi consis­te à proprement parler le transfert. La compulsion de répétition apparaît comme la négation de la compulsion à la régression topique où, je cite encore une autre formule :

 

« Toute l’analyse est dans cette opposition ».

 

Voici à ce propos toutes les questions que j’aimerais poser concernant la situation fusionnelle, je rappelle deux formules. Il y a un unique Ça parlant et écoutant ou encore le patient et l’analyste tendent à être tous deux en un, en lequel est contenu tout. Eh bien, les moments où semblent se confondre la per­ception et l’émission de la parole dans une immédiateté où s’abolirait tout écran et tout intermédiaire, s’ils évoquent effectivement certaines situations cliniques, semblent assez exceptionnels dans l’ensemble et posent donc d’emblée le pro­blème de leur signification dans la cure et tout particulièrement par rapport au transfert.

Certes, c’est bien là ce que Stein élabore dans son travail mais au niveau, pour ainsi dire, d’une expérience clinique globale. Nous serions tentés de lui deman­der ce qui l’a conduit à choisir de privilégier des situations relativement rares pour en faire l’un des repères fondamentaux de la cure. Ou encore, pour rester à ce niveau clinique, nous aimerions peut-être savoir s’il tendrait à rapporter de tels faits à une structure névrotique déterminée, par exemple, ou bien comment il les situerait par rapport à l’ensemble de la cure et par rapport à ses différents temps.

Dans un registre maintenant plus théorique le problème se poserait de savoir comment Stein conçoit la régression topique dans la cure et dans quelle mesure elle lui paraît impliquer une situation de style fusionnel alors qu’elle paraîtrait avoir à première vue rapport avec quelque chose qui serait au contraire de l’ordre d’un dévoilement du grand Autre pour se référer ici à l’enseignement de Lacan.

Ou encore, y a-t-il lieu de faire converger l’état de libre association et l’acti­vité du rêve d’une part, la réémergence du conflit et le récit du rêve conçu comme réflexion sur le rêve d’autre part. Nous savons par exemple qu’un doute portant sur un des éléments du rêve, au moment de son récit, énoncé dans le récit, doit être considéré comme faisant partie du texte du rêve et que le sujet reste impliqué dans le texte du rêve précisément. Parallèlement, à propos de l’unique Ça parlant et écoutant, nous lui demandons ce qu’il en est de l’analys­te dans les moments narcissiques de la cure. Son mode d’être est-il à rapprocher de l’activité du rêve ? Autrement dit, est-il lui aussi soumis à la régression topique ou s’agit-il plutôt d’un fantasme de fusion de l’analysé ?

A propos maintenant du narcissisme primaire, il est présenté essentiellement comme une situation limite référée à une identification primaire fusionnelle ou à un état de satisfaction hallucinatoire du désir supposant une situation régie par le principe de plaisir. Une note met la fusion en rapport avec la mise en suspens de la parole séparatrice et paraît impliquer la référence à un état antéverbal ou préverbal. Certes, il nous est souligné que la régression en séance n’atteint jamais tout à fait le narcissisme primaire, bien entendu, il y a seulement mouve­ment vers. Cependant, un certain nombre de passages du texte paraissent pro­poser le narcissisme comme quelque chose qui serait un des pas primordiaux ou un premier temps du développement. Le deuxième article, par contre, introduit un autre aspect. Le patient, pour figurer l’accomplissement du narcissisme impossible est conduit à tenter de se poser comme l’objet manquant, à la limite l’objet comblant de son analyste. Il semble ainsi viser la restauration du narcis­sisme de l’autre et ce narcissisme se présenterait alors comme le mythe ou le fan­tasme de la complétude du désir de l’Autre.

Nous nous étions demandés lequel de ces deux aspects semblait à Stein le plus décisif, le plus essentiel ou encore comment il les articulait entre eux. Depuis lors, Stein, dans sa conférence sur le jugement du psychanalyste, a apporté sur ce sujet un certain nombre d’articulations précises et je pense que c’est dans cette direction qu’il serait conduit à nous répondre. Je maintiens cependant cette interrogation dans la mesure où le problème restait posé au niveau de ces deux premiers articles.

A propos maintenant du deuxième article plus spécialement, j’aimerais interroger le texte de Stein sur les rapports de ces repères théoriques avec cer­taines catégories lacaniennes, notamment le grand Autre, le petit autre et l’ob­jet a. Je dois dire à ce propos que c’est la catégorie de l’autre imaginaire qui me paraîtrait le plus souvent primée, au point que son travail m’a paru tendre, à différents moments, à présenter la situation analytique comme une situation duelle, par exemple lorsqu’il met l’accent sur la dialectique de la frustration dans l’analyse.

De même, dans le premier article, il nous est dit qu’au moment de la réac­tualisation du conflit, l’agressivité naissant avec l’objet, le patient sort de la fusion pour s’adresser en personne à l’analyste lui aussi repersonnalisé comme objet de son discours. N’est-ce point là situer l’analyste essentiellement comme l’autre imaginaire de la rivalité agressive ? Certes, Stein introduit aussi le grand Autre qui se trouve également, certainement impliqué par ce que je viens de dire, ou également lorsque l’analyste se trouve désigné comme maître de la frus­tration ou source du pouvoir hétérogène, mais il m’a paru néanmoins difficile de différencier dans son texte le grand Autre de l’autre de la relation imaginai­re. Enfin, Stein introduit quelque chose qui semblerait proche de la catégorie de l’objet a en particulier dans le deuxième article : l’analysé tentant de se situer comme objet manquant de son analyste.

Sans vouloir reprendre ici l’apport de Lacan concernant l’objet a et l’articu­lation du désir sadique et du désir masochiste, je fais la remarque que Stein paraît à ce moment s’engager dans une description de la situation analytique en terme de désir. Nous retrouvons alors la question : comment articule-t-il ce niveau avec celui du narcissisme? En particulier avons-nous à situer l’objet a comme ce dont la possession, à la limite, serait restauration de la complétude perdue? Ou encore, si le narcissisme est synonyme de la disparition des limites entre le moi et le non-moi, est-il vraiment à rapprocher de ce qui peut se conduire au cours de la cure de l’ordre d’une évocation fantasmatique de l’ob­jet qui me paraissait impliquer une structure articulée plutôt qu’une indistinc­tion fusionnelle ?

Enfin, troisième groupe de remarques; je voudrais pour terminer, reprendre les choses au niveau de ce qui fait l’axe du travail de Stein et lui donne toute sa valeur pour nous, à savoir la mise en place du repérage du choix de la parole de l’analyste comme tel ou encore du pouvoir de la parole. Ce qui semble d’abord devoir être remarqué c’est que Stein paraît amené à devoir orienter sa recherche par rapport à une série de positions à deux termes. Par exemple l’alternance régression narcissique/réémergence des conflits, ou bien l’opposition narcissis­me/masochisme, ceci recouvrant les dualités freudiennes principe de plaisir, principe de réalité, processus primaire, processus secondaire. S’agit-il là d’un modèle conceptuel que nous devrions considérer comme nécessairement impli­qué comme cadrage de la situation analytique?

Stein voit bien sûr le terme de ces propos : c’est en somme une interrogation sur l’impression que son texte donne, qui est axé finalement essentiellement sur l’opposition réel/imaginaire en faisant passer au deuxième plan la dimension propre du symbolique. Certes mon impression tient probablement au fait que Stein dans ce texte n’expose qu’un des niveaux de son articulation, mais à ce niveau même, la question méritait peut-être cependant d’être posée. Par exemple, dans le premier article, la parole de l’analyste prend son poids de ce qu’elle va dans le sens de la régression ou introduit au contraire une rupture res­tituant alors la dualité des personnes. La parole est là pour renforcer l’unité ou souligner la dualité. Cette dernière éventualité paraît plus essentielle puisque Stein soutient son point de vue en situant la parole comme ce qui intervient pour rompre le narcissisme en séparant le moi de ses objets. La parole est cou­pure. Elle est cette coupure qui introduit la double polarité sujet/objet.

J’avoue ici ne pas très bien savoir s’il y a lieu d’introduire essentiellement la parole comme coupure engendrant une dualité, et ne pas saisir non plus exacte­ment comment cette présentation s’accorde avec ce qui est dit des moments nar­cissiques de la cure, où le sujet écoute en dedans et parle dans un seul et même mouvement, où ça parle, la parole semblant épouser le flux psychique sans faille ni coupure.

Dans le deuxième article, la parole s’oppose au narcissisme comme le princi­pe de réalité au principe de plaisir; elle est ce qui oblige le patient à constater qu’il y a réalité de l’impossibilité de son accomplissement narcissique. Il y a là aussi une dualité sous la parole supportée et imposée au sujet. La parole est située du côté du réel représenté par l’analyste comme maître de la frustration. Ceci serait-il à mettre au compte de l’erreur transférentielle ? Il me semble cependant que l’articulation de la parole et du réel comme tel gagnerait à être précisée.

C’est la même question qui se poserait enfin à propos de la fin de la cure comme savoir sur la frustration. « Ce n’est pas l’analyste, nous dit Stein, qui frustre le sujet de sa toute puissance. Mais la frustration est la réalité même de l’existence. Le psy­chanalyste aurait-il alors à jouer les représentants de la réalité dans le but d’y ramener ses patients ? »

 

Je force ici le texte et c’est seulement dans le but d’interroger Stein sur le rôle décisif qu’il accorde à la frustration. Il me semble que la catégorie plus radicale du manque peut se révéler plus maniable aux différents niveaux de la structure, en permettant, par exemple, de situer la castration par rapport à la frustration, et d’articuler plus précisément le symbolique par rapport au réel et à l’imagi­naire.

Je clos ici ces remarques qui visaient seulement à introduire une discussion.

 

Docteur Jacques Lacan – Sans m’attarder à tout ce que j’ai fait dire à Conté, je crois que, m’adressant à Stein, il ne peut que reconnaître qu’il y a là l’exposé le plus strict, le plus articulé, le plus honnête, et j’ajouterai, le plus sympathique qu’on puisse donner de ce que nous connaissons actuellement de sa pensée, dans un effort qui n’a pas manqué de le frapper, pour autant qu’incontestablement ce sont des avenues, si je puis dire, qui nous ont déjà servis au moins pour une grande part et qu’il était même de votre fin de les intégrer, de mettre l’accent sur ce en quoi, mon dieu, elles vous servent et rendent compte d’une authentique expérience.

Ce n’est pas maintenant que, moi, je vais mettre en valeur tout ce qui m’ap­paraît, dans la position qui est la vôtre, pour garder la marque d’une sorte de retenue, de tension, de freinage liée à d’autres catégories qui sont celles, je dois dire, plus courantes dans la théorie commune qui est donnée actuellement de l’expérience analytique et dont les deux termes sont très très bien marqués aux deux pôles dans ce que vous avez exposé. D’une part la notion si discutable, et dont ce n’est pas pour rien que je ne l’ai pas discutée jusqu’à présent, à savoir celle du narcissisme primaire.

J’ai considéré que, au point du vue de mon élaboration, elle n’était jusqu’à présent, pour personne de ceux qui me suivent au moins, abordable. Vous ver­rez que, avec les dernières notations topologiques que je vous ai données, il va paraître tout à fait clair que la différence de ce que j’ai amené comme articula­tion avec ce qui est jusqu’ici reçu dans cet ordre et montré en même temps, ce qui est toujours nécessaire, comment la confusion a pu se produire, que c’est là un nœud, qu’avant de l’aborder, on en approche, ce n’est pas maintenant que je vais le marquer. Peut-être même pas aujourd’hui du tout quoique… je peux peut-être à la fin de la séance en donner une indication.

D’autre part, le centrage tout à fait articulé et précis que vous donnez du schéma de la psychanalyse comme restant sur la frustration, puisque, dites­vous, c’est autour de la frustration que se situe et même, comme vous le dites, que c’est là ce qu’on appelle, à proprement parler le transfert, à savoir que l’ana­lyste est, au départ, le représentant pour le sujet du pouvoir, de la toute-puis­sance qui s’exerce sur lui sous la forme de la frustration et que, à la fin, la ter­minaison aboutira à ce savoir sur le fait que la frustration est l’essence divine de l’existence.

Je pense que, là aussi, ce que j’ai fait et amené consiste proprement à dire qu’il n’y a pas que cet axe et que, en tout cas, la définition que vous donnez à la page 3 ou 4 de l’article sur transfert et contre-transfert que ce qu’il en est, quand vous dites que ceci est à proprement parler le transfert, c’est très précisément pour dire le contraire que j’ai introduit le transfert par cette formule-clé, pour obte­nir ce point de fixation mental à la direction que j’indique, c’est à savoir que le transfert est essentiellement fondé en ceci que, pour celui qui entre dans l’ana­lyse, l’analyste est le sujet supposé savoir. Ce qui est strictement d’un autre ordre, comme vous le voyez, à ce que je développe actuellement.

C’est cette distinction de la demande et du transfert qui reste, au départ, dans l’analyse autour de cette Entzweiung de la situation analytique elle-même par quoi tout peut s’ordonner d’une façon correcte c’est-à-dire d’une façon qui fasse, en quelque sorte, aboutir l’analyse à un terme, une terminaison à propre­ment parler, qui est d’une nature essentiellement différente de ce savoir sur la frustration. Ceci n’est pas la fin de l’analyse.

Je dis cela pour axer en quelque sorte, je ne dis pas qu’avec ça je clos le débat, au contraire, je l’ouvre. Je montre que les lignes de fuite sont complètement dif­férentes de ce que j’appellerai en abrégé votre systématique qu’après tout je n’ai pas de raison de considérer comme close. Peut-être que vous la rouvrirez. C’est votre systématique conçue, fermée, avec ce que nous avons actuellement, qui présente déjà un certain corps.

Je regrette assurément que Conté, dans un dessein qu’on peut dire, de rigueur, voyant qu’il n’arrivait pas tout à fait à voir le virage, la transformation qui se produit dans votre troisième article, qui contient également des choses, à mes yeux, extrêmement discutables, nommément l’accent que vous mettez sur la communication. Il s’agit évidemment toujours du sens qu’a la parole de l’analyste.

Je souligne d’ailleurs, au point où nous en sommes de l’avancement des choses, que je ne considère pas que nous allons liquider tout ce débat aujour­d’hui. Le quatrième mercredi de janvier nous permettra de donner… Au point où nous en sommes du temps, est-ce que vous verriez déjà, vous, des choses qui vous paraîtraient bonnes à dire ou voulez-vous, par exemple laisser Melman qui a aussi quelque chose à dire, Melman avancer ce qu’il a apporté?

 

Conrad Stein -je crois qu’il vaut mieux que je laisse d’abord parler les autres.

 

Docteur Jacques Lacan – Mais oui, parce qu’après tout, même si aujourd’hui vous n’avez pas tout votre temps de réponse, nous sommes réduits à un nombre limité justement pour ça, pour que nous considérions. pour que l’enregistre­ment de ce qui a été reçu puisse d’ici là mûrir. D’autres peut-être voudront intervenir. je donne la parole à Melman.

 

Conrad Stein – je voudrais quand même, avant que Melman ne parle, dire combien j’ai apprécié l’exposé de Conté.

 

Docteur Charles Melman -je reprendrai les choses au point même où Conté les a fait partir. Du fait de ces travaux de Stein, on peut penser qu’ils méritent une attention d’autant plus sympathique et soucieuse, qu’ils semblent consti­tuer une sorte de réflexion sur une théorie générale de la cure psychanalytique, et que Stein fait carrément partir, réflexion qu’il fait partir du pouvoir de la parole de l’analyste, ce qui, dit Stein, débouche sur le problème du pouvoir de la parole en général et qui culmine à la fin de ce premier article paru dans la Revue Française de psychanalyse, Mars-Avril 1964, dans cette formule :

 

« Considérer le contenu des paroles prononcées, ne suffit jamais à rendre compte du changement produit par la parole en celui qui l’entend. Envisager, comme je l’ai fait ici, contrairement à la coutume, le discours analytique, autrement que du strict point de vue du contenu des paroles prononcées, me paraît être un pas à la suite duquel l’intelligence du dit contenu se trouvera fondée sur celle du pouvoir de la parole. Car, c’est bien en apparence sur l’intelligence du contenu que se fonde pour l’essen­tiel l’action consciente du psychanalyste dans le progrès de la clinique ».

 

Le petit point que l’on pourrait remarquer, c’est que passer du pouvoir de la parole de l’analyste au pouvoir de la parole en général constitue un franchisse­ment, constitue un pas, bien entendu, à mes yeux tout à fait souhaitable, mais qui implique néanmoins que nous avons affaire dans l’analyse au langage. Et cette deuxième proposition, qu’il s’agit de considérer, le contenu des paroles prononcées, paraît une illustration saisissante de ce qu’elle veut dire, que l’on pourrait aller chercher sa valeur, son poids, non seulement au niveau de son contenu mais également de son contenant, pour y remarquer par exemple que, au niveau de son contenant, il manque certains termes qui sont, ceux, tous simples, que je me permets de réintroduire ici pour la clarté de ce que je veux dire, qui sont les termes de signifiant et de signifié et dont je pense que leur introduction met mieux sur les rails de ce que Stein veut dire.

En effet, que dit l’auteur? je reprends ici un petit point développé par Conté. C’est que la parole dans la cure aurait deux faces; l’une, celle du patient qui est ordonnée par l’association libre et qui oriente irrésistiblement le patient dans la régression, vers une expansion narcissique, narcissisme pri­maire et dont le bien-être extrême, ultime, hypothétique, est lié au sentiment de fusion avec l’analyste, la dite fusion pouvant figurer la retrouvaille avec l’objet perdu, mythique, premier du désir. L’autre face de la parole est celle de l’analyste dont celui-ci dispose et dont il peut se servir, soit pour favoriser cette régression vers cette expansion narcissique de type primaire, soit intro­duire une inévitable coupure, celle de la réalité dont, à tort, le patient, le ferait agent. On ne peut que marquer déjà ici la position assez particulière accordée par Stein à la parole de l’analyste et qui, semble-t-il s’éclaire encore mieux dans ce dernier travail fait tout récemment aux lundis de Piera Aulagnier à Sainte-Anne, dernier travail qui porte pour titre « le jugement du psychana­lyste » et où l’auteur dit ceci :

 

« La parole exceptionnelle du psychanalyste qui vient combler l’attente du patient est effectivement reçue avec plaisir. Elle neutralise une tension dans un sentiment d’adéquation et de soulagement, même si tout de suite après, elle doit susciter la colère, l’opposition ou la dénégation. De là sa comparaison fréquente à une substance, nourriture, sperme, ou enfant qui viendrait remplir le ventre du patient jusque, parfois, à ce qu’il en ait la nausée. »

 

Ayant reçu une interprétation vers la fin de la séance, une patiente répond « Vous m’avez fait plaisir, je voudrais partir là-dessus », qu’à la séance suivante elle évoque « Le plaisir que j’ai quand vous me parlez, le côté inattendu de vos paroles et pourtant, c’est comme un miracle mais cette comparaison ne me plaît pas car dans le miracle, ajoute la patiente, il y a quelque chose de passif » et que la patiente a du mal à expliciter son « et pourtant » qui se réfère à la peur que le plaisir ne dure pas et à son impression de ne pas pouvoir saisir tout ce que son psychanalyste lui dit. Et cela se termine ainsi :

 

« Et l’on ne sera pas surpris de voir dans la suite qu’elle avait reçu l’in­terprétation comme un enfant que son psychanalyste lui aurait donné, satisfaction coupable».

 

Et il me semble que c’est au niveau d’une formulation ici devenue tout à fait claire que se précise mieux sans doute ce que voulait dire Stein quand il disait que le contenu n’épuisait pas la parole de l’analyste.

Et en effet, ce contenu tel qu’il est appelé, semble évoquer, « nul signifié qui appellerait par là-même quelque articulation signi­fiante »

 

ici, mais semble essentiellement évoquer la place d’où la parole de l’analyste prendrait cette brillance si singulière.

Je ne crois par forcer ici la pensée de Stein en citant par exemple cette phra­se, toujours dans ce dernier travail lorsqu’il dit que :

« La parole du psychanalyste est toujours attendue comme la répétition d’une parole déjà prononcée »; j’aurai tendance bien entendu à dire comme l’évocation d’une place déjà là de toujours. Je continue Stein «parole mythique, parole fondatrice qui l’établit à la fois (qui établit le patient à la fois) car ces deux effets sont inséparables en tant qu’objets du désir de l’Autre et en tant que sujet d’une faute originelle ».

 

Et il me semble que, toujours en accordant à ces éléments leur place qui, à mes yeux paraît très importante dans le travail de Stein et dans les effets qu’il fournit, je dirai que supposer que la parole de l’analyste s’exerce à cette place dont j’essayais tout à l’heure d’évoquer la brillance si particulière, suppose bien entendu que l’analyste accepte ou entérine, pose, tout simplement que sa paro­le vienne de ce lieu. Il me semble que tout un certain nombre d’articulations présentes dans le texte pourraient éventuellement s’ordonner autour de cette position supposée de la parole de l’analyste dans la cure. Par exemple, lorsqu’il est dit que par ces libres associations l’analysé,

« dans le parfait accomplissement de son don » (c’est une citation),

 

cherche à réaliser sa parole vers cette même place qui est celle visée de l’analys­te, on peut penser donc, que, si par ce don, l’analysé cherche à rejoindre ici ce qui peut lui sembler la place ou la parole de l’analyste, il est susceptible éven­tuellement d’inscrire, disons un vécu pour simplifier, en terme de fusion mythique, voire même dans quelque chose qui peut, à ce moment-là, prendre le terme de cette extension narcissique si particulière susceptible d’aboutir à ces effets extrêmes, c’est-à-dire à celui d’une fusion avec l’analyste.

J’ai l’impression que je n’ai pas dit cela tout à fait clairement mais ce que je veux dire c’est qu’à partir du repérage de cette place on peut se demander si effectivement à partir de ce moment-là, le mouvement de l’analysé dans la cure n’est pas une tentative de rejoindre un lieu à partir duquel effectivement une fusion mythique peut toujours être supposée, et peut-être évidemment dans ce mouvement situer quelque chose qui est ce bien-être ineffable inscrit sous le terme de : expansion narcissique primaire. On pourrait également se demander si situer la chose ainsi, je veux dire la parole de l’analyste à cette place, – cette parole qui peut, soit combler cette régression narcissique soit introduire la coupure -, si voir les choses ainsi ne vient pas rappeler cette bivalence courante et fréquente qui rappelle une spécu­lation fréquente qui a sans doute sa valeur, sur le bon et sur le mauvais objet.

On pourrait se demander également si situer les choses ainsi n’est pas quelque chose qui permette de comprendre – car à mes yeux, je dois dire cela a paru comme assez surprenant, – le fait que si le sujet vient à manquer à la règle fondamentale dans la cure, il puisse immédiatement se sentir coupable de masturbation ou coupable de quelque satisfaction auto-érotique originelle.

On peut donc dire que là aussi en situant les choses ainsi, on pourrait donc se demander si le refus du patient lorsqu’il vient à manquer à la règle fonda­mentale, de perdre quelque chose, en obéissant à cette règle imposée par l’ana­lyse, si ce refus du patient n’est pas quelque chose qui prend ce caractère éven­tuellement auto-érotique ou masturbateur parce qu’il pourrait signifier la crain­te ou le refus de se perdre, lui, le patient, en quelque objet à préciser qui serait, lui, détenu précisément, au pouvoir et aux mains de l’analyste.

Que, par exemple, dans le dialogue de la cure puissent intervenir des éléments qui fassent intervenir le corps, le somatique, au niveau d’un malaise que la paro­le de l’analyste serait susceptible de lever. Il faut que je cite là encore ces quelques phrases qui me paraissent tout à fait claires et tout à fait intéressantes dans le propos, dans le texte de Stein. Il dit par exemple ceci : « levant l’incerti­tude, cette parole de l’analyste supprime du même coup le malaise. Mais cette incertitude, le patient l’avait déjà partiellement levée, en traduisant son malaise en une affection plus ou moins déterminée de son corps, phénomène très voisin de celui de la complaisance somatique que Freud étudie à propos de l’hystérie de Dora. A un certain malaise dans l’attente de la parole du psychanalyste, le patient avait substitué une souffrance qui invitait à la représentation assez pré­cise de la substance ou de l’agent physique nécessaire à sa suppression. Cela lui permettrait au moins de savoir de quoi il manquait. Il lui avait suffi de prendre modèle sur une souffrance autrefois ressentie en raison de l’action, facteur natu­rel, et ainsi s’explique le fait que la parole de l’analyste puisse agir comme si elle était une substance ou un agent physique ».

Stein dit ailleurs parfaitement que cette parole de l’analyste est également la même qui… enfin c’est encore beaucoup mieux imagé lorsque par exemple Stein la compare à la nourriture :

« Cette parole qui a pour effet d’entraîner une modification corporelle tout comme la nourriture calme la faim, ou comme les rayons du soleil suppriment la sensation du froid. J’ai déjà souligné, dit Stein, que la parole pouvait à l’occasion faire disparaître une rage de dents ou un mal de tête. Il n’est pas rare non plus qu’elle calme une sensation de faim ou qu’elle réchauffe. Une telle identité des faits pourrait donner à penser qu’elle est le substitut d’une substance ou l’agent d’une action physique, ou qu’elle est de même nature ».

 

Enfin, j’aurai tendance à voir également dans cette position, dans cette place particulière accordée à la parole de l’analyste, quelque chose qui ferait que peut-­être la démarche logique de l’auteur se trouve engagée dans un système parfai­tement binaire, – Conté a dit duel tout à l’heure, – un système binaire soute­nu par un modèle fondamental et que j’aurai tendance à voir comme ceci, non pas quelque chose qui serait sous la formule être ou ne pas être, mais quelque chose qui serait peut-être plutôt être ceci ou être cela.

Enfin, je me demandais aussi si ce n’est pas à partir de cette place, de ce lieu accordée à la parole de l’analyste, que se trouve forcément posé le problème de la fin de la cure, dans cette situation close, ou effectivement comme le fait Stein, ils ne peuvent être inscrits, ils ne peuvent être traduits qu’en termes d’artifices techniques. je dois dire que, bien entendu, Stein ne va pas, dans ses propos, dans les textes que nous avons étudiés ne va pas au-delà de cette introduction mais en tout cas, c’est néanmoins ainsi, je veux dire en termes d’artifices techniques, que cette fin de cure est évoquée et effectivement, bien sûr, on peut se demander comment dans cette situation duelle, relativement immobile et situant en ce lieu la parole de l’analyste les choses pourraient être tellement différentes.

Enfin, pour terminer, l’auteur pose le problème de la vérité.

« Comment, dit Stein, l’analyste pourrait-il faire de sa parole la garantie de vérité alors que le patient dans le transfert lui attribue un pouvoir qu’il n’a pas ? ».

 

Ce qui débouche, bien entendu, sur des formules qui font de l’analyste un trompeur, tout simplement lui-même trompé. Et je dirais que c’est pour ma part effectivement ce que je serais amené éventuellement à situer, je veux dire dans une telle articulation, bien qu’après tout, je vois mal effectivement comment il pourrait, là, en être autrement si l’analyste n’était amené peut-être, n’était conduit à amener autre chose à la place du leurre.

Stein ajoute encore :

« Il n’y aurait pas de psychanalyse si le psychanalyste prétendait se poser à tout instant en fidèle serviteur de la vérité. -je relis bien cette phra­se : – il n’y aurait pas psychanalyse si le psychanalyste prétendait à tout instant se poser en fidèle serviteur de la vérité ». je dois dire que, pour ma part, je ne suis pas du tout d’accord, bien entendu, avec cette conclusion, je pense, bien au contraire, – je termine de façon abrup­te et un petit peu rapide, – que l’analyse a au contraire ce rapport fondamental à la vérité et que si le psychanalyste ne pouvait effectivement en être constam­ment le garant, on risquerait de se retrouver dans ces positions de leurre, dans ces positions de trompeur/trompé avec les conséquences que cela peut avoir sur le déroulement de la cure, que j’ai essayé peut-être de manière un petit peu dif­ficile ou pas toujours très claire, de retracer dans mon propos.

 

Docteur Jacques Lacan – Il est deux heures deux. je vous demande encore deux minutes. je ne pense pas que Stein répondra aujourd’hui. Le temps manque tout à fait, et je pense que les choses doivent être reprises.

Une part, une part seulement de la difficulté du texte de Melman vient certai­nement de ceci que cet article sur le jugement psychanalytique de Stein n’a pas été suffisamment présenté. je pense qu’il n’échappe pas à Stein, lui-même, ceci que je vais éclairer tout de suite, qu’en somme Melman s’est livré à une lecture d’un article essentiellement fondé sur la fonction de prédication de l’analyste.

C’est en quelque sorte pour autant que cette prédication, dites-vous, est attendue que vous notez, au niveau de quatre ressorts, quels sont ses effets. Pour expliquer ces effets même, Melman suppose de votre part une appréhension plus centrale de cette fonction de la parole de l’analyste. En somme il l’a lu, il ose le dire, au-delà de ce que vous osez vous-même voir. Chacun a tout de même pu suivre cette place qu’il désigne, et c’est une interrogation. Ce n’est pas une prise de position. C’est bien pour ça qu’il ne l’a pas nommément désignée, précisément en fin de compte la place de l’objet a. Vous l’avez senti tout au long de l’exposé de Melman, et ceci encore pose des problèmes puisqu’aussi bien ce serait de nature à réformer toute la chaîne de votre conception, sinon la nôtre depuis dix ans, du rapport du patient à la parole de l’analyste qui n’irait presque à rien de moins qu’à être une position constituée non pas du tout là, il ne s’agit pas du masochisme, nous avons laissé complètement de côté aujourd’hui notre conception du masochisme parce qu’elle pose trop de problèmes. Mais une conception en quelque sorte hypochondriaque de la fonction de la parole de l’analyste.

Naturellement, tout aboutit, il l’a fait admirablement aboutir, à cette difficul­té que vous avez soulevée : l’analyste doit-il être le fidèle serviteur de la vérité ? C’est ce que j’ai apporté récemment en disant qu’il n’y a pas de vrai sur le vrai; est-ce que ce n’est pas là ce qui vous permettrait de corriger ce qu’à, en quelque sorte, de simple approximation, cette notion, bien sûr, que le psychanalyste ne peut pas être le fidèle serviteur de la vérité pour la raison qu’il ne s’agit pas de la servir ?

En d’autres termes, on ne peut pas la servir. Elle se sert toute seule. Si l’ana­lyste a une position à définir, c’est bien ailleurs que dans celle d’une Bejahung qui n’est en effet jamais que la répétition d’une Bejahung primitive. C’est bien plutôt justement que ce qui a été introduit lors de débat interne à notre École, à quoi Green, qui en avait eu quelque écho, faisait allusion tout à l’heure. Si jus­tement l’analyste est dans une certaine position, c’est bien plutôt dans celle qui n’est pas encore, pas encore du tout élucidée, c’est la Verneinung précisément.

Je vous donne ça comme dernière suggestion. Si vous voulez c’est à partir de là que nous pourrons reprendre le quatrième mercredi de janvier ce débat donc simplement ouvert.

Je pense que tout de même, s’il s’agit de Stein, vous en avez eu aujourd’hui pour votre faim. Inutile d’ajouter que ce qui est amorcé et que je pose comme une dernière question : est-ce qu’il n’y a pas une profonde confusion dans cette espèce de valeur prévalente, de valeur toujours de point d’aspiration qu’a la pul­sion orale dans toutes nos théorisations de l’analyse, est-ce que ça ne vient pas d’une méconnaissance fondamentale de ce que peut avoir d’orientant, de direc­teur dans un tel point de fuite, le fait qu’on oublie que la demande se prononce, quelle qu’elle soit, avec la bouche?

Print Friendly, PDF & Email