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Recherches Lacan

LXIII L'OBJET DE LA PSYCHANALYSE 1965 – 1966 Leçon du 15 décembre 1965

Leçon du 15 décembre 1965

 

Les figures, les coupures ne vous sont pas ménagées aujourd’hui. Pour être strict même, j’ai pris soin de mettre au tableau, en haut et à gauche, celles qui correspondent au rappel que j’ai fait la dernière fois de ce que j’avais donné à la fin de ma première année ici comme schéma de l’aliénation.

Disons que l’aliénation consiste en ce choix, qui n’en est pas un et qui nous force de deux termes à accepter ou la disparition des deux ou un seul mutilé. jouir de la vérité, disais-je, voilà qui est la visée véritable de la pulsion épisté­mophilique en quoi fuit et s’évanouit à la fois tout savoir et la vérité elle-même. Sauver la vérité et, pour ceci, ne rien vouloir en savoir, voilà ce qui est la posi­tion fondamentale de la science et c’est pourquoi elle est science, c’est-à-dire savoir au milieu duquel s’étale le trou du manque de l’objet a, ici marqué par appui sur une convention eulérienne comme représentant le champ d’intersec­tion de la vérité et du savoir. Il est clair qu’à ces cercles d’Euler, j’ai élevé plus d’une objection sur le plan de leur utilisation strictement logique et qu’aussi bien leur usage, ici, est en quelque sorte métaphorique. Ce sont des précautions à prendre. N’allez pas penser que je pense qu’il y ait un champ de la vérité et un champ du savoir. Le terme champ a un sens précis que nous aurons peut-être l’occasion de retoucher aujourd’hui.

Donc cet usage des cercles eulériens est à prendre avec réserve. Je le note parce que, à la différence de cette réserve que je viens de faire, vous allez me voir aujourd’hui prendre appui sur ceci : dire certaines formes, ce n’est pas dire ce que c’est; coupure, c’est plus près; signifiant, c’est ce dont il s’agit; écriture, pourquoi pas ? Donc, j’avance, je vous prie de remarquer que leur portée déci­sive est à prendre en un bien autre sens qu’un sens de signification comme ce que représente le cercle, au sens eulérien ici qui, en somme, est destiné à nous montrer comment s’inclut une certaine conceptualisation extensive et compré­hensive dans ce que je vous montre au centre de ces figures que j’ai apportées pour vous aujourd’hui, à savoir quelque chose qui a été tracé par un moine bouddhiste qui s’appelle du nom que j’ai mis là au tableau dans sa phonétisation japonaise puisque japonais il était Jiun Sonja.

Jiun Sonja, comme un de mes fidèles amis qui est ici aujourd’hui a eu la bonté de me l’apprendre1[1 – Lacan évoque très probablement ici un moine japonais de la secte Shingon (littéralement La

parole vraie), nommé communément Jiun Sonia (litt : le vénérable Jiun), et Onkô de son nom posthume, qui vécut de 1715 (ou 1718, date incertaine) à 1804, fonda son propre courant dans l’école Shingon, et consacra une importante partie de sa vie à l’étude du sanscrit. Parmi ses Oeuvres sont particulièrement célèbres mille volumes intitulés Règles de l’étude du sanscrit. Jiun n’était pas un moine zen, mais il avait étudié la méditation auprès d’un maître. Il avait étudié les principales doctrines du bouddhisme. Le texte que cite Lacan (dont la présente version est assez probable) est écrit en chinois, ce qui n’est pas étonnant de la part d’un moine qui devait lire les sûtra dans leur traduction chinoise. Enfin les représentations d’un cercle à l’encre noire accom­pagnées d’un poème ou d’un commentaire étaient fréquentes dans la tradition bouddhiste chi­noise et japonaise. Nous remercions M. Pierre Nakimovitch, Docteur en études extrême-orien­tales, agrégé de philosophie et spécialiste de Dôgen, pour les précisions qu’il a bien voulu nous apporter concernant Jiun ainsi que le texte cité par Lacan vous évoquer par exemple qu’un manuel d’étude sanscrite actuellement considéré comme fondamental est de sa source, sinon tout entier de sa main et qu’il n’a pas moins de mille volumes. Jiun Sonia a vécu de 1714 à 1804. Entré dans les ordres – si j’ose dire – bouddhistes à 15 ans, vous voyez qu’il y est resté jusqu’à un âge avan­cé. Son oeuvre est considérable et je ne vous dirai pas les fondations originales qui portent encore sa marque. Vous donner une idée par exemple de son activité, sera], C’est dire que ce n’était pas un homme fainéant.

Mais ce que vous voyez ici est typiquement la trace de ce quelque chose qui, dirais-je, se fait en quelque point sommet d’une méditation et n’est pas sans rapport au moins de semblance avec ce qui s’obtient de certains de ces exer­cices ou plutôt de ces rencontres qui s’échelonnent sur le chemin de ce qu’on appelle le Zen j’aurai scrupule à avancer ce nom même ici, à savoir devant un auditoire dont une partie est pour moi trop peu sûre quant à la façon dont je peux être entendu pour avancer sans aucune précaution une référence à quelque chose qui n’est certes pas un secret, qui traîne les rues et dont on entend parler partout. Le Zen ne représente pas quelque chose qui peut aller jusqu’à l’abus de confiance, à vrai dire, je ne saurais trop vous conseiller de vous méfier de toutes les sottises qui s’empilent sous ce registre, mais après tout pas plus que sur la psychanalyse elle-même.

Je suis forcé tout de même de dire que ceci tracé d’un coup de pinceau dont, sans doute, il n’est pas sûr que nous puissions apprécier la vigueur particulière qui est pourtant, pour un œil exercé, assez frappante, ce coup de pinceau, c’est lui qui va m’importer, c’est sur lui que je vais fixer votre attention pour supporter ce que j’ai aujourd’hui à avancer dans le chemin que nous avons à faire. Il n’est pas douteux qu’il est là dans la position propre qui est celle que je défi­nis pour être celle du signifiant : qu’il représente le sujet pour un autre signi­fiant. Ceci est assez assuré par le contenu de l’écriture qui, ici, s’aligne et se lit comme écriture chinoise qu’elle est, ceci est écrit en caractère chinois2 [2 – Il semble que Lacan épelle en japonais les trois derniers caractères chinois, ce qui donnerait ki, nin, chi, prononciation japonaise du chinois (en pinyin) ji, ren (ou djen), zhi (ou che), le sens étant : combien d’hommes sauront]; je vous le prononcerai, non pas en chinois mais en japonais, ce qui veut dire : «dans trois mille ans, combien d’hommes sauront? »

Sauront quoi ? Sauront qui a fait ce cercle. Quel était cet homme dont j’ai cru devoir d’abord vous indiquer l’empan entre le plus extrême, le plus pyramidal de la science et un mode d’exercice dont nous ne pouvons pas ne pas tenir compte ici comme fond de ce qu’il nous laisse ici d’écrit.

« Dans trois mille ans, combien d’hommes sauront » ce qu’il y a au niveau de ce cercle tracé ? je me suis permis, dans ma propre calligraphie, de répondre « Dans trois mille ans, bien avant, les hommes sauront ». « Bien avant trois mille ans, et après tout, ça peut commencer aujourd’hui, les hommes sauront, ils se souviendront peut-être que le sens de cette trace mérite de s’inscrire ainsi ».

Malgré la différence apparente, c’est topologiquement la même chose. Supposez que ceci soit rond, que ce que j’ai appelé cercle soit un disque. Ce qu’ici, j’ai tracé de ma main, est aussi un disque bien que sous la forme de deux lobes dont l’un recouvre l’autre, la surface est d’un seul tenant, elle est limitée par un bord qui, par déformation continue peut se développer de façon à ce que l’un des bords recouvre l’autre, l’homéomorphie topologique est évidente. Que signifie alors que je l’ai tracé d’une façon différente et que ce soit là-dessus que j’aie maintenant à attirer votre attention ? Un tracé que j’ai appelé un cercle et non pas un disque laisse en suspens la question de ce qu’il limite. Pour voir les choses là où elles sont tracées sur un plan, ce qu’il limite, c’est peut-être ce qui était dedans, c’est peut-être aussi ce qui est au dehors.

A la vérité, c’est là qu’il nous faut considérer ce qu’il peut y avoir d’originel dans la fonction de l’écrit. Quittons un instant ce que nous avons ici sous les yeux et que je propose plutôt assurément à un experimentum mentis, à un exer­cice de l’esprit qu’à une adhésion intuitive. Car si je vous emmène dans le champ de la topologie, c’est pour vous introduire à une sorte d’assouplissement (mentis), une sorte d’exercice mental concernant des figures qui ne sont pas sans doute sans pouvoir être appréhendées de quelque façon intuitive mais dont il vous suffira d’essayer, au moins pour ce qui est des moins prévenus, de me suivre pour, disons, percevoir les effets que j’essaierai de vous y démontrer par le tracé de certaines coupures.

Vous verrez tout de suite que vous aurez assez de peine pour ces choses excessivement simples qui sont là, s’étageant, à votre usage dans ce que je vous ai, pour aujourd’hui, préparé, pour vous apercevoir que ce n’est sans doute pas pour rien que ces constructions, qui s’appellent – je les ai déjà toutes intro­duites et j’en ai déjà même assez usé et abusé, mais non sans que j’ai aujourd’hui besoin de rassembler ce qui les regarde – ces figures appelées : bouteille de Klein, plan projectif. Le tore se trouve par rapport à ce qui est la structure des coordonnées habituelles de notre intuition dans une position si déroutante qu’il faut vraiment s’y exercer, s’y appliquer, pour s’y retrouver aisément.

Je m’excuse, auprès de ce que je peux avoir dans mon auditoire de mathéma­ticiens, de devoir expliquer les choses par des oppositions, en quelque sorte massives et qui laissent échapper une part de la rigueur de ce qui serait la pré­sentation actuelle de ce qu’il en est, par exemple de ce chapitre où apparaissent ces figures dans un livre moderne de topologie. Mais après tout, je n’ai pas non plus trop à m’en excuser, car si ces difficultés qu’on qualifie de difficultés intui­tives concernant le champ de la topologie ont été, en quelque sorte, radicale­ment éliminées de l’exposé à proprement parler mathématique de ces choses, si elles n’y pèsent même pas un instant vu les formules combinatoires très assurées dans leurs prémisses, dans leurs axiomes originels, dans leurs lois qui sont avan­cées. Il n’en reste pas moins que quelque chose garde sa valeur dans la difficul­té même qu’ont présenté ces choses à être décantées, à finir par trouver leur sta­tut logico-mathématique, et que c’est trop aisé de s’en débarrasser en disant qu’il y avait là des restes d’impuretés intuitionnistes, que tout serait dans le fait, par exemple, qu’on s’est laissé trop longtemps encombrer par une vue en quelque sorte liée à l’expérience d’un espace à trois dimensions, qu’il fallait en arriver à pouvoir le penser, à le construire, à partir de ces données de l’expé­rience en variant, en échafaudant, en édifiant une combinatoire généralisée.

On se contente, de cette critique et de cette référence, mais je pense qu’on manque là quelque chose. Le nombre négatif, pour nous en tenir à une des apo­ries historiques qui vraiment maintenant nous paraissent les plus grossièrement élémentaires : qui est-ce qui se tourmente à propos de l’existence du nombre négatif ? Cette tranquillité où nous sommes à propos du nombre négatif, outre d’ailleurs qu’elle ne recouvre rien de bon, elle est tout de même néanmoins bien utile, pour ce qui est de ne pas se poser de questions inutiles.

Cette tranquillité à l’égard du nombre négatif ne date pas de plus d’un siècle. Je parlais encore tout récemment avec un mathématicien fort érudit qui connaît admirablement son histoire des mathématiciens. Encore au temps de Descartes, le nombre négatif, cette grandeur au-dessous du zéro, ça les tourmente. Ils ne sont pas tranquilles. Les nombres, ça croît, ça décroît aussi. Et quand ça dépasse la limite en dessous, le fond du fond, où est-ce que ça va? Après tout, c’est assez légitime, s’ils prenaient les choses en ces termes, qu’ils en soient tourmentés.

J’évoque cet exemple simple, vous pensez bien qu’il me serait facile d’en évoquer d’autres, le nombre irrationnel, le nombre qu’on appelle imaginaire, la fameuse Ö-1. Là encore, les mathématiciens oublient un petit peu aisément que ce nombre imaginaire a été pendant des siècles, cinq ou six siècles environ, – vous savez qu’il est apparu à propos d’une racine en dehors du champ du concevable de la très simple équation du second degré, depuis ce temps-là jus­qu’au début du XIXe siècle, ça en fait quelques-uns, – le nombre imaginaire, on ne savait qu’en faire, qu’en faire conceptuellement. Et si maintenant les choses sont assurées, à partir du fondement du nombre complexe, l’extension des ensembles numériques auxquels on a fini par donner son statut, il n’en reste pas moins qu’il est assez aisé et trop aisé aux mathématiciens de ne pas remar­quer que, bien entendu, le terme d’imaginaire lui reste attaché mais que c’est un nombre aussi bon qu’un autre, que cette notion que je viens de faire intervenir d’ensemble numérique suffit à la couvrir et qu’il n’est pas plus imaginaire qu’un autre.

Eh bien, c’est sur ce point que j’avancerai une objection. Car il me semble que tout ce qui a constitué ainsi point d’arrêt, point de scansion, dans la pro­gressive maîtrise des conquêtes de certaines structures que j’ai évoquées à l’ins­tant sous le terme d’ensembles numériques, l’obstacle n’est pas à mettre sous le registre de l’intuition, de ce voile, de cette fermeture qui résulterait de ce que ne peut être visualisé quelque support de ce dont il s’agit dans la combinatoire. Je tiens au contraire que nous sommes portés à quelque chose de plus primitif qui n’est rien d’autre que ce que nous essayons de saisir comme la structure, comme la constitution, de par le signifiant, du sujet.

C’est en tant que ces diverses formes de l’expression numérique se trouvent reproduites à divers temps de scansion, je dis reproduites temporellement mais nous ne sommes même pas sûrs que c’est du même manque toujours qu’il s’agit dans cette reproduction : il faut y aller voir. En d’autres termes, il y a peut-être des formes structurales de ce manque constitutif du sujet qui diffèrent les unes des autres, et peut-être que ce n’est pas le même manque qui s’exprime dans ce nombre négatif, à propos duquel il faut bien dire que l’introduction par Kant de ce nombre dans le champ de la philosophie est vraiment, quand on y retourne, du caractère le plus navrant. Peut-être est-ce un grand mérite que Kant ait tenté cette introduction. Le résultat est un incroyable pataugeage.

Donc, ce n’est pas le même moment du manque structural du sujet peut-être qui se supporte, je ne dis pas là se symbolise, ici le symbole est identique à ce qu’il cause, c’est-à-dire le manque du sujet. J’y reviendrai. Il y a à introduire au niveau du manque la dimension subjective du manque et je suis étonné que per­sonne n’ait remarqué dans l’article de Freud sur le fétichisme l’usage du verbe vermissen, dont on peut voir que, dans ses trois emplois dans cet article, il désigne le manque au sens subjectif, au sens où le sujet manque son affaire. Nous voici donc portés sur cette fonction du manque au sens où elle est liée à ce quelque chose d’originel qui, s’appelant la coupure, se situe en un point où c’est l’écrit qui détermine le champ du langage.

Si j’ai pris soin, j’entends, d’écrire Fonction et champ de la parole et du lan­gage c’est que fonction se rapporte à parole et champ à langage. Un champ, ça a une définition mathématique tout à fait précise. La question a été posée dans la première partie d’un article paru, je crois cette semaine en tout cas, c’est cette semaine que j’en ai reçu la livraison par quelqu’un qui est très proche de certains de mes auditeurs et qui introduit avec une vivacité, un accent, une verdeur qui donne vraiment une portée inaugurale à cette question de la fonction de l’écri­ture dans le langage. Il pointe d’une façon, je dois dire, définitive, irréfutable, que faire de l’écriture un instrument de ce qui serait, vivrait dans la parole est absolument méconnaître sa véritable fonction. Qu’il faille la reconnaître ailleurs est structural au langage même d’une chose que j’ai assez indiqué moi-même et ne serait-ce que dans la prévalence donnée à la fonction du trait unaire au niveau de l’identification pour que je n’aie pas là-dessus à le souligner encore.

Ceux qui ont assisté à mes anciens séminaires, s’ils se souviennent encore de quelque chose de ce que j’y ai dit, pourront se souvenir de la valeur donnée à ceci, quelque chose d’en apparence aussi caduc et ininterprétable que la trou­vaille faite par Sir Flinders Petrie sur les tessons prédynastiques, à savoir bien antérieurs à la fondation de l’alphabet phénicien, précisément des signes de cet alphabet prétendu phonétique qui étaient là bien évidemment comme marque de fabrique. Et j’ai là-dessus accentué ceci qu’il nous faut au moins admettre même quand il s’agirait prétendument d’écriture phonétique que les signes sont venus de quelque part, certainement pas du besoin de signaler, de coder des phonèmes. Alors que chacun sait que même dans une écriture phonétique, ils ne codent rien du tout.

Par contre, ils expriment remarquablement la relation fondamentale que nous mettons au centre de l’opposition phonématique en tant qu’elle se dis­tingue de l’opposition phonétique. Ce sont là choses grossières, je dirai tout à fait en retard, au regard de la précision avec laquelle la question est posée dans l’article que je vous ai dit. C’est toujours bien dangereux d’ailleurs d’indiquer des références. Il faut savoir à qui. Bien sûr ceux qui liront ceci y verront mises en question certaines oppositions telles que celle du signifié et du signifiant, ça va jusque là, et y verront peut-être quelque discordance là où il n’y en a aucu­ne. D’autre part, qui sait, ça les incitera à lire tel article avant ou après. Il y a tou­jours quelque chose de bien délicat dans cette référence toujours fondamentale qu’un signifiant renvoie à un autre signifiant.

Écrire et publier ce n’est pas la même chose. Que j’écrive même quand je parle n’est pas douteux. Alors pourquoi ne publiez-vous pas plus ? justement à cause de ce que je viens de dire. On publie quelque part. La conjonction fortui­te inattendue de ce quelque chose qui est l’écrit et qui a ainsi d’étroits rapports avec l’objet a, donne à toute conjonction non concertée d’écrit l’aspect de la poubelle. Croyez-moi, à l’heure matinale où il m’arrive de rentrer chez moi, j’ai une grande expérience de la poubelle et de ceux qui la fréquentent. Rien de plus fascinant que ces êtres nocturnes qui y chopent je ne sais quoi dont il est impos­sible de comprendre l’utilité. je me suis longuement demandé pourquoi un ustensile aussi essentiel avait si aisément gardé le nom d’un préfet, auquel on avait déjà donné un nom de rue, ce qui aurait bien suffi à sa célébration. je crois que si le mot poubelle est venu si exactement se colloquer avec cet ustensile, c’est justement à cause de sa parenté avec la poubellication.

Pour revenir à nos Chinois, vous savez, je ne sais pas si c’est vrai mais c’est édifiant, qu’on n’y met jamais à la poubelle un papier sur lequel a été tracé un caractère. Des gens pieux, vieillards dit-on, parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire, les collectent pour les brûler sur un petit autel ad hoc. C’est vrai. Si non e vero, e bello. Il est tout à fait essentiel de délimiter cette sorte de frappe d’extériorité que j’essaie de définir au regard de la fonction de la poubelle dans ses rapports avec l’écrit. Ceci n’implique pas l’exclusion de toute hiérarchie. Disons que parmi les revues dont nous sommes dotés il y a des poubelles plus ou moins dis­tinguées. Mais à bien prendre les choses je n’ai pas vu d’avantages sensibles aux poubelles de la rue de Lille par rapport à celles de quartier plus circonvoisins.

Donc, reprenons notre trou. Chacun sait qu’un exercice Zen, ça a tout de même quelque rapport, encore qu’on ne sache pas bien ce que ça veut dire, avec la réalisation subjective d’un vide. Et nous ne forçons rien en admettant que pour quiconque, le contemplateur moyen, verra cette figure, il se dira qu’il y a quelque chose comme une sorte de moment sommet qui doit avoir rapport avec le vide mental qu’il s’agit d’obtenir et qui serait obtenu, ce moment singulier, brusquerie succédant à l’attente qui se réalise parfois par un mot, une phrase, une jaculation, voire une grossièreté, un pied de nez, un coup de pied au cul. Il est bien certain que ces sortes de pantalonnades ou clowneries n’ont de sens qu’au regard d’une longue préparation subjective.

Mais encore. Au point où nous en sommes venus, si vide il y a, si le cercle est à considérer pour nous comme définissant sa valeur trouante, si, y trouvant faveur à figurer ce que nous avons approché par toutes sortes de convergences, de ce qu’il en est de l’objet a, que l’objet a soit lié en tant que chute, à l’émer­gence, à la structuration du sujet comme divisé c’est là ce qui représente, je dois dire, le point de la mise en question : qu’est-ce qu’il en est du sujet dans notre champ ? Est-ce que ce trou, cette chute, cette ptôse, pour employer ici un terme stoïcien dont il me semble que la difficulté, certes tout à fait insoluble, qu’il fait au commentateur, pour être affronté avec le seul categoreme et ceci à propos d’un lekton autre terme mystérieux. Traduisons-le sous toutes réserves et de la façon la plus grossière, certainement inexacte, par signification, signification incomplète, en d’autres termes : fragment de pensée.

L’une de ces possibilités de fragment de pensée, c’est la doxa l’eudokein. Et les commentateurs, bien sûr, tenus par l’incohérence du système ne loupent pas tellement le rapport en le traduisant par sujet, sujet logique, comme il s’agit de logique à ce niveau de la doctrine stoïcienne, ils n’ont pas tort. Mais que nous puissions y reconnaître à la trace cette articulation de quelque chose qui choit avec la constitution du sujet, voilà ce dont je crois nous aurions tort de ne pas nous sentir confortés.

Alors, allons-nous, de ce trou, nous contenter? Un trou dans le réel, voilà le sujet. Un peu facile. Nous sommes encore là au niveau de la métaphore. Nous trouverions là pourtant, à nous y arrêter un instant, une indication précieuse, notamment quelque chose de tout à fait indiqué par notre expérience qui pour­rait s’appeler l’inversion de la fonction du cercle eulérien, nous serions encore dans le champ de l’opération de l’attribution. Nous rejoindrions là le chemin nécessaire à ce que Freud définit comme la Bejahung d’abord et seule rendant concevable la Verneinung. Il y a la Bejahung et la Bejahung est un jugement d’attribution. Elle ne préjuge pas de l’existence, elle ne dit pas le vrai sur le vrai. Elle donne le départ du vrai, à savoir quelque chose qui se développera: poios, la qualification, la quiddité ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait pareil.

Nous en avons un exemple dans l’expérience psychanalytique. Il est premier pour notre objet d’aujourd’hui, c’est le phallus. Le phallus à un certain niveau de l’expérience qui est à proprement parler celle qui est analysée dans le cas du Petit Hans, le phallus est l’attribut de ce que Freud appelle les êtres animés. Laissons de côté, si nous n’avons pas une désignation meilleure. Mais observez que si ceci est vrai, ce qui veut dire que tout ce qui se développe dans le registre de l’animisme aura eu pour départ un attribut qui ne fonctionne qu’à être placé au centre, à structurer le champ à l’extérieur et à commencer à être fécond à par­tir du moment où il tombe, c’est-à-dire où il ne peut plus être vrai que le phal­lus est l’attribut de tous les êtres animés. je le répète. Si j’ai avancé ce schéma, je ne l’ai fait qu’entre parenthèses. Soit dit en passant, si mon discours se déroule de la parenthèse, du suspens et de sa clôture puis de sa reprise très souvent embarrassée, reconnaissez-y une fois de plus la structure de l’écriture.

Est-ce donc là, serait-ce donc là un de ces rappels sommaires où se limiterait l’exhaustion que nous tentons de faire? Assurément pas. Car il ne s’agit pas, pour nous, de savoir au point où nous portons la question, comment le signi­fiant peinturlure le réel. Qu’on puisse colorier n’importe quelle carte sur un plan avec quatre couleurs et que ça suffise; encore que ce théorème soit à cette date comme toujours invérifié, encore indémontré, ce n’est pas ce qui nous inté­resse aujourd’hui. Il ne s’agit pas du signifiant comme trou dans le réel. Il s’agit du signifiant comme déterminant la division du sujet. Qu’est-ce qui peut nous en donner la structure ?

Aucun vide, aucune chute de l’objet a, qu’une angoisse primordiale suscep­tible d’en rendre compte et je vais essayer de vous le faire sentir par des consi­dérations topologiques. Si le procède ainsi, c’est parce qu’il y a un fait tout à fait frappant c’est que, de mémoire de griffonneur, et Dieu sait que ça date, même si on croit que l’écriture est une invention récente, il n’y a pas d’exemple que tout ce qui est de l’ordre du sujet et du savoir, du même coup, ne puisse toujours s’inscrire sur une feuille de papier. je considère que c’est là un fait d’expérience plus fondamental que celui que nous avons, que nous aurions, que nous croyons avoir des trois dimensions. Car nous avons appris, ces trois dimen­sions, à les faire vaciller un petit peu, il suffit qu’elles vacillent un petit peu pour qu’elles vacillent beaucoup.

Au lieu que, peut-être, on écrive toujours sur une feuille de papier et qu’on n’ait pas besoin de le remplacer par des cubes, ça n’a pas encore vacillé. Il doit donc y avoir là quelque chose dont je ne suis pas en train de dire qu’il faille en conclure que le réel n’est que de deux dimensions. je pense assurément que les fondements de l’esthétique transcendentale sont à reprendre, que la mise en jeu, ne serait-ce qu’à titre probatoire, d’une topologie à deux dimensions pour ce qui concerne le sujet, aurait en tout cas déjà cet avantage rassurant, si nous conti­nuons à croire dur comme fer à nos trois dimensions. En effet nous avons bien des raisons de leur marquer de l’attachement à ces trois dimensions parce que c’est là que nous respirons.

Cela aurait au moins l’avantage rassurant de nous expliquer en quoi ce qui concerne le sujet est de la catégorie de l’impossible. Et que tout ce qui nous par­ vient par lui, du réel, s’inscrit d’abord au registre de l’impossible, de l’impossible réalisé. Le réel dans lequel se taille le patron de la coupure subjective, c’est ce réel que nous connaissons bien parce que nous le retrouvons à l’envers, en quelque sorte, de notre langage, chaque fois que nous voulons vraiment serrer ce qu’il en est du réel, le réel c’est toujours l’impossible.

Reprenons donc notre feuille de papier. Notre feuille de papier, nous ne savons pas ce que c’est. Nous savons ce que c’est que la coupure et que, cette coupure, celui qui l’a tracée, est suspendu à son effet : « Dans trois mille ans, combien d’hommes sauront? » Il faudrait savoir quelle condition doit remplir une feuille de papier, ce qu’on appelle en topologie une surface, là où nous avons fait le trou, pour que ce trou soit une cause, à savoir ait changé quelque chose.

Observez que pour ce que nous essayons de saisir de ce qu’il en est du trou, nous n’allons pas nous mettre à en supposer un autre. Celui-là nous suffit. Si ce trou a eu pour effet de faire tomber un lambeau, il faut que ce qui reste ne soit pas la même chose, parce que si c’est la même chose, c’est exactement ce qu’on appelle un coup d’épée dans l’eau.

Eh bien, si nous nous fions au support intuitif le plus accessible, le plus fami­lier, le plus fondamental et dont il ne s’agit d’ailleurs pas de déprécier bien sûr, ni l’intérêt historique, ni l’importance réelle, à savoir une sphère. je demande ici pardon aux mathématiciens, c’est à l’intuition qu’ici je fais appel puisque nous n’avons qu’une surface dans laquelle on tranche et que je n’ai pas à faire appel à quelque chose qui est plongé justement dans l’espace à trois dimensions.

A savoir, ce que je veux simplement dire en vous demandant d’évoquer une sphère, c’est de penser que ce qui reste autour du cercle n’a pas d’autre bord. Vous ne pouvez intuitionner ça dans l’état actuel des choses que sous la forme d’une sphère, une sphère avec un trou. Si vous réfléchissez à ce que c’est qu’une sphère avec un trou, c’est exactement la même chose que le couvercle que vous venez de faire tomber. La sphère a la même structure.

La chute dont il s’agit dans ce tracé fondamental n’a pas d’autre effet que de faire ressurgir à la même place ce qui vient d’être ablationné. Ça ne nous permet en aucun cas de concevoir quelque chose qui, au regard du sujet qui nous inté­resse, soit structural. Comme il faut bien que j’avance, je ne ferai qu’une allu­sion rapide au fait que M. Brouwer, personnage considérable dans le dévelop­pement moderne des mathématiques, a démontré ce théorème topologique, qui topologiquement est le seul à nous donner le vrai fondement de la notion de centre, une homologie topologique.

Ce sont deux figures, quelles qu’elles soient en tant que pourvues d’un bord, qui peuvent être, par déformation de ce bord, démontrées homéomorphiques. En d’autres termes, vous prenez un carré, c’est topologiquement la même chose que ce cercle, car vous n’avez qu’à souffler, si je puis m’exprimer ainsi, à l’intérieur du carré, il se gonflera en cercle. Et inversement, vous donnez des coups de marteau sur le cercle, sur ce cercle à deux dimensions, vous donnez un coup de marteau à deux dimensions également et il fera un carré. Il est démontré que cette transformation, de quelque façon qu’elle soit faite, laisse au moins un point fixe ou, chose plus astucieuse et moins facile à voir immédiatement, enco­re que déjà la première chose ne soit pas si facile, ou un nombre impair de points fixes. Je ne m’étendrai pas là-dessus.

Je veux simplement vous dire que, à ce niveau de structure de la surface, la structure est, si l’on peut dire, concentrique. Même si c’est par l’extérieur que nous passons, je veux dire intuitivement, pour percevoir ce qui se rejoint, au niveau de ce bord il s’agit d’une structure concentrique. Il y a très longtemps que j’ai dit et que je suis encore plus porté à le dire, mais je ne le dirai pas pour­tant : que Pascal était un très mauvais métaphysicien. Ce monde des deux infi­nis, ce morceau littéraire qui nous casse les pieds depuis quasi notre naissance, me parait être la chose la plus désuète qui se puisse imaginer. Cet autre topos anti-aristotélicien où « le centre est partout et la circonférence nulle part », me parait bien être la chose la plus à côté qui soit, si ce n’est que j’en ferai aisément sortir toute la théorie de l’angoisse de Pascal.

Je le ferai d’autant plus aisément qu’à la vérité, si j’en crois des remarques sty­listiques qui m’ont été apportées par ce grand lecteur en matière de mathéma­tiques qui m’a prié de me référer au texte de Desargues, lequel était un autre­ment grand styliste que Pascal, pour s’apercevoir, ce que nous savons très fer­mement par ailleurs, de l’importance que les références de Desargues pouvaient avoir pour Pascal, ce qui changerait tout le sens de son oeuvre.

Quoi qu’il en soit, il est clair que sur cette structure concentrique, sphérique, si le cercle peut être partout, assurément le centre n’est nulle part. Autrement dit, il saute aux yeux de n’importe qui qu’il n’y a pas de centre à la surface d’une sphère. Là est l’incohérence de l’intuition pascalienne.

Et maintenant, le problème, pour nous, se pose de savoir s’il ne peut pas y avoir, pour nous expliquer en termes, non pas d’images mais peut-être d’idées, et qui vous donnent l’idée d’où je vous guide si, à l’extérieur de ce que j’ai appelé le cercle très intentionnellement et pas circonférence, le cercle veut dire ce que vous appelez ordinairement en géométrie circonférence, ce qu’on appelle d’ha­bitude cercle, je l’appellerai disque ou lambeau, comme toute à l’heure.

Qu’est-ce qu’il faut qu’il y ait au dehors pour structurer le sujet, autrement dit pour que la coupure, d’où résulte la chute de l’objet a, fasse apparaître, sur quelque chose qui était tout à fait fermé jusque là et où donc rien ne pouvait apparaître, pour faire apparaître une structure qui satisfasse à ce que nous exi­geons de la constitution du sujet, le sujet comme fondamentalement divisé? Ceci est facile à faire apparaître car il suffit que vous regardiez la façon dont est disposé ce cercle dans la façon dont je l’ai retracé, pour vous apercevoir que si ce tracé vous le concevez vide – comme je vous ai appris à lire vide celui-ci – il devient très simplement, et cela saute aux yeux, je pense tout de même vous avoir assez parlé jusqu’ici de la bande de Moebius pour que vous la reconnais­siez, il est la monture, l’armature, ce qui vous permet de voir soutenu et immé­diatement intuitionnable une bande de Moebius.

Vous la voyez ici. Joignez, si je puis dire, d’une trame chacun de ses bords. Vous la voyez se renverser et venir se coudre au niveau de son envers à ce qui était d’abord son endroit. La bande de Moebius a de nombreuses propriétés. Il y en a une majeure, capitale, que je vous ai suffisamment, je pense, représentée dans les années précédentes avec une paire de ciseaux, ici, moi-même, je vous l’ai démontrée, à savoir qu’une bande de Moebius, ça n’a aucune surface. Que c’est un pur bord. Non seulement il n’y a qu’un bord à cette surface de la bande de Moebius mais si je la refends par le milieu, il n’y a plus de bande de Moebius. Car c’est mon trait de coupure, la propriété de la division qui institue la bande de Moebius. Vous pouvez retirer de la bande de Moebius, autant de petits morceaux que vous voudrez, il y aura toujours une bande de Moebius tant qu’il restera quelque chose de la bande, mais ce ne sera toujours pas la bande que vous tien­drez. La bande de Moebius, c’est une surface telle que la coupure qui est tracée en son milieu, soit elle, la bande de Moebius.

La bande de Moebius dans son essence, c’est la coupure même. Voilà en quoi la bande de Moebius peut être pour nous le support structural de la constitution du sujet comme division. Je vais ici avancer quelque chose, dont je vous signale au niveau topologique strict l’inexactitude. Néanmoins, ce n’est pas cela qui sera pour nous gêner car que je sois pris entre vous expliquer quelque chose d’une façon inexacte ou ne pas vous l’expliquer du tout, voilà un de ces exemples tan­gibles de ces impasses subjectives qui sont précisément ce sur quoi nous nous fondons.

Donc, je m’avance en vous ayant suffisamment avertis qu’en stricte doctrine topologique ceci est inexact. Vous pouvez remarquer que ma bande de Moebius – je parle de celle qui se dessine sur la monture de cet objet a, – cette montu­re, je vous l’ai dit, c’est exactement un lambeau sphérique qui ne se distingue en rien de ce que je vous ai démontré tout à l’heure à propos du trou de Jiun Son) a. Pour qu’il puisse servir de monture à une bande de Moebius c’est bien que la bande de Moebius change radicalement sa nature de lambeau ou de portioncule en se soudant à lui.

Ce dont il s’agit, c’est d’un texte, tissu, cohérence d’une étoffe, de quelque chose de tel que, y étant passée la trace d’une certaine coupure, deux éléments distincts, hétérogènes apparaissent : l’un est une bande de Moebius et l’autre est ce lambeau équivalent à tout autre lambeau sphérique. Cette bande de Moebius, fomentez-là par l’imagination, elle viendra en cette ligne nécessairement – si la chose est plongée dans trois dimensions, c’est là qu’est son inexactitude – mais c’est une inexactitude qui ne suffit pas à écarter le problème de ce fait que quelque chose qui est indiqué dans les trois dimensions par un recroisement, un recoupement qui donne finalement à la figure totale de ce qu’on appelle com­munément une sphère coiffée d’un chapeau croisé ou cross-cap, qui donne ce qui est ici dessiné en rouge, à savoir ce que vous pouvez imaginer toujours, d’une façon bien sûr inexacte et plongée dans la troisième dimension, comme ayant dans le bas, et au niveau de cette base, de cette chiasmatique, de ce recroisement, ayant cette coupe.

Toute coupure qui passe au niveau de ce qui, schématiquement est représenté comme cette trace de recroisement, toute coupure fermée qui passe par ce recroisement est quelque chose qui dissipe, si je puis dire, instantanément toute la structure du cross-cap, chapeau croisé ou encore plan projectif. A la différen­ce d’une sphère qui ne quitte pas sa structure fondamentale, concentrique, à propos de n’importe quelle coupure ou bord fermé que vous pouvez décrire sur sa surface, ici la coupure introduit un changement essentiel à savoir l’apparition d’une bande de Moebius et d’autre part ce lambeau ou portioncule.

Et pourtant, ce que je viens de vous dire, c’est que le trait ici dessiné en noir qui est un trait simple, un bord fermé, du même type que celui du dessin de Jiun Sonia, là réduit, vous ai-je dit, tout entier à cette portioncule. Alors, où est la devinette? Je pense que vous vous souvenez encore de ce que je vous ai dit tout à l’heure, à savoir que la coupure elle-même est une bande de Moebius. Comme vous pouvez le voir à ce second tracé que j’ai fait sur la même figure, à côté, figure qui se schématise dans quelque chose, baudruche où j’essaie de vous faire intuitionner ce qu’il en est du plan projectif, si vous écartez les bords, si je puis dire, qui résultent de la coupure ici tracée en noir, vous obtenez une béance qui est faite comme une bande de Moebius.

La coupure elle-même a la structure de la surface appelée bande de Moebius. Ici vous la voyez figurée par un double trait de ciseaux que vous pourriez éga­lement faire et où vous découperiez effectivement la figure totale du plan pro­jectif ou chapeau croisé comme je l’ai appelé, en deux parts : une bande de Moebius d’une part, ici elle est censée être découpée, à elle toute seule et un reste d’autre part, qui est ce qui joue la même fonction du trou dans sa forme primi­tive, à savoir du trou qu’on obtient sur une surface sphérique.

Ceci est fondamental à considérer et il faut que vous en voyiez une autre figure sous la forme schématisée et plus proprement topologique qui est celle-ci dont j’ai inscrit le complément sur ce tableau où je pense que vous le voyez. Alors que la façon dont se suture le premier trou, le trou sphérique, celui que j’ai appelé concentrique, la topologie nous révèle que rien n’est moins concen­trique que cette forme de centre attenant à la fonction du premier lambeau. Car pour fermer le trou sur la sphère, une simple couture est bonne qui rapproche les deux morceaux d’une façon simple dont une couturière vous fera n’importe quelle reprise. La couture instaurée, si vous prenez la chose en sens inverse par la bande de Moebius cela implique un ordre et c’est réellement là qu’est notre troisième dimension ce qui nous justifie tout à l’heure, d’en avoir introduit une troisième fausse pour vous faire sentir le poids de ces figures.

Cette dimension d’ordre, autrement dit, représentant une certaine assise tem­porelle, implique que pour réaliser ce trou, le trou second dont je suis en train de vous expliquer les propriétés topologiques, un ordre est nécessaire qui est un ordre diamétral, c’est-à-dire apparemment spatial, fondé selon le trait médian, qui vous donne le support figuré où proprement se lit que cette sorte de cou­pure est justement celle que nous attendions, c’est-à-dire qui ne se réalise qu’à devoir du même coup se diviser.

Autrement dit, si c’est non pas d’une façon intuitive et visuelle, mais d’une façon mentale que vous essayer de réaliser ce dont il s’agit, à partir du moment où vous pensez que le point A sur ce cercle est identique au point A diamétra­lement opposé, ce qui est la définition même de ce qui fut introduit dans un tout autre contexte, dans la géométrie métrique par Desargues, autrement dit, le plan projectif, et Dieu sait que Desargues, en l’écrivant, lui-même a souligné ce qu’avait de paradoxal, d’ahurissant, d’affolant enfin une telle conception. Ce qui prouve bien que les mathématiciens sont fort capables de concevoir eux-mêmes les points de transgression, de franchissement, qui sont les leurs à propos de l’instauration de telle ou telle catégorie structurale. S’ils l’oubliaient d’ailleurs, il y aurait toujours leurs confrères pour le leur rappeler en leur disant qu’on ne comprend rien à ce qu’ils disent, ce qui arrive à chaque coup, et spécialement ce qui est arrivé à Desargues où les murs de Lyon se sont couverts de libelles où on s’insultait à propos de choses, vous le voyez, passionnantes. Heureux temps! Merveilleuse époque!

Qu’est-ce que ça veut dire si ce n’est que, même si nous considérons ceci comme le trou, la conjonction des bords ne saurait se faire qu’à venir passer dans le mouvement, si l’on peut dire, de la conjonction de ce trou. Nous trou­vons donc là le modèle de ce qu’il en est du sujet en tant que déterminé par une coupure. Il doit nécessairement se présenter comme divisé dans la structure même.

je n’ai, bien entendu, pas pu aujourd’hui pousser plus loin le point où je dési­rais vous faire arriver. Sachez seulement qu’en nous référant à deux autres structures topologiques qui sont respectivement la bouteille de Klein en tant que, je vous l’ai déjà montré, elle est faite, composée de la couture ensemble de deux bandes de Moebius, (vous le verrez, ceci ne suffit pas du tout à ce que nous en déduisions, par simple addition ses propriétés), et d’autre part le tore qui est encore une autre structure. Nous pouvons à partir de ces définitions premières concernant le sujet concevoir à quoi peuvent nous servir ces deux autres struc­tures de la bouteille de Klein et du tore pour établir des relations fondamentales qui nous permettront de situer avec une rigueur qui n’est jamais obtenue jus­qu’ici avec le langage ordinaire, pour autant que le langage ordinaire aboutit à une entification du sujet qui est le véritable nœud et clé du problème.

Chaque fois que nous parlons de quelque chose qui s’appelle le sujet, nous en faisons un Un. Or ce qu’il s’agit de concevoir, c’est justement ceci, c’est que le nom du sujet manque l’Un pour le désigner. Qu’est-ce qui le remplace? Qu’est-­ce qui vient faire fonction de cet Un? Assurément plusieurs choses. Mais si on ne voit pas que plusieurs choses très différentes: l’objet a d’un côté par exemple, le nom propre de l’autre remplissent la même fonction, il est bien clair qu’on ne peut rien comprendre ni à leur distinction – car quand on s’aperçoit qu’ils rem­plissent la même fonction on croit que c’est la même chose, – ni au fait même qu’ils remplissent la même fonction.

Il s’agit de savoir où se situe, où s’articule ce sujet divisé en tant que tel. Le tore, figure si exemplaire déjà abordé dans l’année de mon séminaire sur l’Identification où, sauf les oreilles fraîches que j’avais cette année-là, personne n’écoutait ce que j’étais en train de dire. On avait d’autres soucis. Dans mon séminaire sur l’Identification, j’ai montré la valeur exemplaire que pouvait avoir le tore pour lier d’une façon structuralement dogmatisable la fonction de la demande et celle du désir à proprement parler au niveau de la découverte freu­dienne, à savoir du névrosé et de l’inconscient. Vous en verrez le fonctionne­ment exemplaire.

Ce qui peut s’en structurer du sujet est tout entier lié structuralement à la possibilité de la transformation du passage de la structure du tore à celle de la bande de Moebius, non pas la vraie du sujet, mais la bande de Moebius en tant que divisée, en tant qu’une fois coupée par le milieu elle n’est plus une bande de Moebius. Elle est une chose qui a deux faces, un endroit et un envers, qui s’en­roule sur soi-même d’une drôle de façon mais qui, comme je vous ai apporté aujourd’hui le modèle pour que vous le voyez d’une façon sensible, devient applicable sur ceci qu’on appelle couramment un anneau et qui est un tore. Cette connexion structurale permet d’articuler d’une façon particulièrement claire et évidente certaines relations qui doivent être fondamentales pour la définition des rapports du sujet de la demande et du désir.

De même au niveau de la bouteille de Klein seulement pourra se définir le rapport originel tel qu’il s’instaure à partir du moment où dans le langage entrent en fonction la parole et la dimension de la vérité. La conjonction non symétrique du sujet et du lieu de l’Autre est ce que nous pourrons, grâce à la bouteille de Klein, illustrer. Sur ces indications simples, je vous laisse en vous donnant rendez-vous au premier mercredi de janvier.

Pour le quatrième mercredi de ce mois, je prie instamment quiconque dans cette assemblée, qui soit d’une façon quelle qu’elle soit intéressé à la progression de ce que j’essaie ici de faire avancer, de bien vouloir, – quel que soit le sort que je réserverai à la feuille d’information qu’il aura remplie, c’est-à-dire que je l’in­vite ou non au quatrième mercredi, – considérer que ce n’est pas en raison de ses mérites ou de ses démérites qu’il est ou non invité.

Ils sont ou non invités pour des raisons qui sont les mêmes que celle que Platon définit à la fonction de politique, c’est-à-dire qui n’a rien à faire avec la politique mais de celle qui est bien plutôt à considérer comme celle du tapissier. S’il me faut quelques fils d’une couleur et d’autres fils d’une autre couleur pour faire ce jour-là une certaine trame, laissez-moi choisir mes fils. Que je fasse ça cette année à titre d’expérience, à chacun des quatrièmes mercredis, est une chose que l’ensemble de mes auditeurs et d’autant plus qu’ils me sont plus fidèles, et d’autant plus qu’ils peuvent être vraiment intéressés par ce que je dis, doivent en quelque sorte laisser à ma discrétion.

Vous me laisserez donc, pour le prochain quatrième mercredi, inviter qui il me semblera bon pour que le sujet, le sujet donné de discussion, de dialogue, qui fonctionnera ce jour-là se fasse dans les conditions les meilleures, c’est-à-dire avec des interlocuteurs par moi expressément choisis. Ceux qui ne feront pas partie, ce mercredi-là de ceux-là, n’ont nullement à s’en formaliser.

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