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Recherches Lacan

LXIII L'OBJET DE LA PSYCHANALYSE 1965 – 1966 Leçon du 23 février 1966, Séminaire fermé

Leçon du 23 février 1966, Séminaire fermé

 

Docteur I. Perrier-Roublef – Lacan nous a demandé d’assumer aujourd’hui son séminaire. Nous allons reprendre la discussion sur les trois articles de Stein que vous connaissez. Mais auparavant, je voudrais introduire un débat centré sur les notions de transfert et de névrose de transfert pour tenter de restituer ces éléments dans le cadre de la conférence de Stein sur le transfert et le contre­transfert. Cet exposé venant après celui de Stein, serait en meilleure place avant, tout au moins en sa première partie.

Cette première partie comporte en effet un survol de la notion de transfert chez Freud et d’autres psychanalystes alors que Stein approfondit cette notion dans la cure elle-même. Comme soutien de la cure et en même temps comme obstacle, Stein introduit le masochisme qui s’étale sur le divan et dont il s’agit de reconnaître l’économie (du masochisme, pas du divan) et le narcissisme qui s’épanouit à la faveur de la régression topique dans la situation psychanalytique. La deuxième partie de mon exposé introduit ce que Lacan nous enseigne concernant l’objet a qui nous permettra de dépasser l’obstacle du complexe de castration auquel Freud s’est heurté dans ses psychanalyses interminables, ou mieux infinies. Dans ce débat sur les notions de transfert et de névrose de trans­fert, la question qui se pose est celle-ci : peut-on prononcer indifféremment ces deux termes ?

Pour aborder ce thème, il m’a paru judicieux de citer un article de Lacan pris dans : La direction de la cure et le principe de son pouvoir. Lacan y disait en sub­stance à propos du transfert

« Est-ce le même effet qui attache le patient à l’analyste qui plus tard le fera s’installer dans la trame de satisfaction qu’on qualifie de névrose de transfert où il faut bien voir une impasse de l’analyse, entendons que l’analyse s’avère impuissante à résoudre, aboutissant à un point mort. Est-ce le même effet encore qui donne à l’analyse au second stade, la dynamique qui lui est propre et que symbolise la scansion triadique frustration, agression, régression, où l’on motive son procès ? Est-ce le même effet enfin par quoi l’analyste vient, en son tout ou par partie, occuper les fantasmes du patient ? Voilà sur quoi l’on peut s’étonner, dit Lacan, que la lumière ne soit pas faite. »

 

La raison en a été énoncée par Ida Macalpine (The developpement of the transference) : c’est qu’à chaque étape de la mise en question du transfert, l’ur­gence du débat sur les divergences techniques n’a jamais laissé place à une ten­tative systématique d’en concevoir la notion (de ce transfert) autrement que par ses effets. Force nous est donc de faire état des pratiques où le transfert est évo­qué dans les travaux actuels. Dans la technique que Lacan qualifie de correcti­ve, le transfert est apprécié pour autant qu’il permet de saisir dans une condui­te actuelle du patient ce qu’on conçoit comme un pattern inactuel, occasion de refléter l’introduction dans la réalité d’une exigence qui la déforme et qui ne saurait, comme telle, y recevoir de réponse. Cette tendance est orientée par la créance faite à la notion du moi inconscient, autrement dit à un facteur de syn­thèse organisant les défenses du sujet contre ses propres tendances par une série de mécanismes dont Anna Freud a dressé l’inventaire.

Lacan pense que cette théorie est insuffisante pour n’avoir pu spécifier, dans la genèse, l’ordre d’apparition et la hiérarchie de ces mécanismes et leur coordi­nation aux étapes du développement instinctuel. Car il ne sert à rien d’ordon­ner le traitement de la surface à la profondeur si la notion de leurs rapports est obscurcie.

Le transfert n’est pas seulement lié à la dynamique de l’écart entre la réalité et les symptômes comme tels. Il joue dans le traitement un rôle positif et c’est même en quoi Abraham en vient à formuler que :

« La capacité de transfert étant la capacité d aimer, elle permettrait de mesurer la capacité d’adéquation au réel du malade. »

 

C’est bien cette vue d’Abraham qui fait le fond de la conception que Lacan qualifie de maturative du traitement en soulignant la confusion qui s’est accu­mulée autour de la notion de transfert. En ce qui concerne la névrose de trans­fert, la confusion est encore plus grande et chez Freud lui-même ce n’est pas très clair.

A consulter certains travaux, il semble qu’on puisse dégager deux notions assez communément admises : le transfert qui s’inscrit inévitablement dans la situation analytique, est un facteur d’efficience du traitement; en revanche la névrose de transfert implique le franchissement d’un seuil au-delà duquel le monde du malade se referme sur la personne de l’analyste. Une résistance mas­sive s’installe alors qui sera difficile à entamer. Entre le transfert et la névrose de transfert il y a ainsi, et ce sont les termes de Nacht (La présence du psychana­lyste), franchissement d’un seuil. Au-delà de ce seuil, il y a prolifération, orga­nisation, utilisation à titre défensif par le névrosé de la relation psychanalytique, laquelle n’étant plus un moyen, devient un but en soit. S’agit-il là d’un proces­sus inhérent à la structure créée par la méthodologie freudienne ? Il ne le semble pas et nous en savons assez pour pouvoir affirmer d’emblée que lorsqu’une névrose de transfert s’installe ainsi l’analyste y est pour quelque chose.

Autrement dit, cette névrose de transfert, pourquoi survient-elle ? Quelle en est la cause, le sens, la fonction? Finalement, comment l’éviter? Revenons-en d’abord aux textes classiques sur le transfert. Parmi les auteurs qui se sont pré­occupés de ce problème, Freud d’abord et beaucoup d’autres ensuite, jugent que le transfert et la névrose de transfert ne font que reproduire en les transposant la névrose infantile et les relations que l’enfant a eues avec son entourage. C’est le transfert d’émois et d’affects de Freud. Dans son article «Remémoration, répétition et perlaboration», Freud écrit :

« Le malade répète tout ce qui émane des sources du refoulé, imprègne déjà toute sa personnalité : ses inhibitions, ses attitudes inadéquates, ses traits de caractère pathologiques. Il répète également pendant le traite­ment tous ses symptômes et, en mettant en évidence cette compulsion à répéter, nous n’avons découvert aucun fait nouveau mais acquis seule­ment une conception plus cohérente de l’état des choses. »

 

Nous constatons clairement que l’état morbide de l’analysé ne saurait cesser dès le début du traitement et que nous devons traiter sa maladie non comme un événement du passé mais comme une forme actuellement agissante. C’est frag­ment par fragment que cet état morbide est apporté dans le champ d’action du traitement et, tandis que le malade ressent comme quelque chose de réel ou d’actuel, notre tâche à nous consiste à rapporter ce que nous voyons au passé.

Plus tard dans les conférences données en 1916 : «Introduction à la psycha­nalyse». Freud insiste sur le fait qu’il serait déraisonnable de penser que la névrose du malade en traitement a cessé d’être un processus actif : elle a seule­ment modifié son point d’impact. C’est dans la relation transférentielle qu’elle porte tout son poids, c’est pourquoi nous voyons souvent le malade abandon­ner les symptômes de sa névrose. Celle-ci s’exprime désormais sous une autre forme, grâce au transfert, qui représente donc une réédition camouflée de son ancienne névrose. L’avantage est que celle-ci pourra beaucoup mieux être saisie sur le vif et élucidée, puisque le thérapeute en représente cette fois le centre. On peut dire qu’on a alors non plus affaire à la maladie antérieure du patient mais à une névrose nouvellement formée qui remplace la première. Freud ajoute

« Surmonter cette nouvelle névrose artificielle c’est supprimer la maladie engendrée par le traitement. Ces deux résultats vont de pair et quand ils sont obtenus, notre tâche thérapeutique est terminée. »

 

Il exprima ainsi clairement que la fin de la cure et sa réussite dépendent de la possibilité de résoudre la névrose de transfert.

Nous savons que c’est à cela qu’il s’est buté dans Analyse finie et infinie. Dans la névrose de transfert l’analyste en est-il le centre ? Autrement dit, comme Lacan en pose la question, possède-t-il cet objet qui focalise le trans­fert de l’autre et au-delà de son avoir, qu’est-il lui-même ? C’est très tôt dans l’histoire de l’analyse que la question de l’être de l’analyste apparaît. Que ce soit par celui qui a été le plus tourmenté par le problème de l’action psychana­lytique n’est pas pour nous surprendre. On peut dire en effet que l’article de Ferenczi, «Introjection et transfert» datant de 1909, est ici inaugural et qu’il anticipe de loin sur tous les thèmes ultérieurement développés. Le transfert groupe, pour Ferenczi, les phénomènes concernant l’introjection de la person­ne du médecin dans l’économie subjective. Il ne s’agit plus ici de cette person­ne comme support d’une compulsion répétitive, d’une conduite inadaptée ou comme figure d’un fantasme. Il s’agit de son absorption dans l’économie du sujet par tout ce qu’il représente lui-même de problématique incarnée. La question est de savoir comment lui-même s’incarne dans la problématique pro­jetée sur lui.

Si l’on en revient à Freud dans Au-delà du principe du plaisir, chapitre III, et à la différence qu’il fait entre répéter et se souvenir, on se rappellera que le psy­chanalyste doit s’efforcer de limiter le champ de la névrose de transfert en for­çant le plus possible dans le souvenir et le moins possible dans la répétition. Ce qui est souhaitable, nous dit Freud, c’est que le malade conserve une certaine marge de supériorité, grâce à laquelle la réalité de ce qu’il reproduit sera recon­nue comme un reflet, comme l’apparition dans le miroir, d’un passé oublié. Lorsqu’on réussit dans cette tâche, on finit par obtenir la conviction du malade et les conséquences thérapeutiques qui s’ensuivent. Tout cela définit le transfert et son maniement et non la névrose de transfert en tant que c’est ce qui est à évi­ter aux dires mêmes de Freud. Lui-même ne l’évite pas s’il est vrai que dans Analyse finie et infinie, il se croit possesseur de ce quelque chose que vise l’ana­lysé dans son désir.

Pour aller plus loin, il faut évoquer ce que Lacan enseigne concernant l’objet a. Car dans la dialectique de l’ératès et de l’éroménos ou bien cet objet se situe dans une « problématique incarnée » et c’est là le contre-transfert, ou bien il se situe entre l’analysé et l’analyste. C’est la compréhension de ce a qui peut aider plutôt que de se poser la question à la fin d’une séance : qu’est-ce que ça veut dire dans le transfert? Qu’est-ce que le patient veut me dire à moi, l’ana­lyste ? Car si l’analyste est un « moi », cela suffit à déterminer cette sorte de rela­tion duelle qui ne peut être qu’une relation située dans le registre de l’identifi­cation à l’analyste ou à son désir. La névrose de transfert dans ce qu’elle a d’en­combrant, dans son poids, plus on analyse le transfert, plus elle s’établit, et cela faute de savoir comment formuler autrement le transfert. Comment en effet, peut-on le formuler autrement? L’élément de répétition va de soi. Mais cet élé­ment historique ne suffit pas. Il y intervient un élément structural. Certains élé­ments dans la structure viennent jouer un rôle de pivot. Si on ne conçoit pas le mode de compréhension de différents points du transfert, si on ne fait entrer en jeu les points pivots dans la façon dont il convient d’aborder l’analyse dans la relation entre l’analysé et l’analyste, on aura beau analyser le transfert, on ne fera que stabiliser un certain type de relation structurale. Une image aliénante est clé dans la névrose. On constituera une néo-névrose : la névrose de transfert. Il faut tenir compte, non seulement de la structure de la névrose, mais du fait qu’elle est intéressée dans la relation complète qui se produit dans la relation psychanalytique. Dans Au-delà du principe de plaisir, chapitre VII, l’image idéa­le de la relation du transfert qui se veut la plus réduite possible, est une image dépassée. Elle va vers la structure.

La cause de la névrose de transfert, c’est le mode sur lequel on analyse le transfert. Il faudrait articuler une formule précise du rapport à l’image spéculai­re i(a) dans l’algèbre lacanienne, une correcte analyse du transfert n’est pas de se demander à tout instant, qu’est-ce que le patient à voulu me dire, il faut analy­ser ce que le patient appréhende du désir de l’Autre à propos de l’objet a, repé­rer le degré d’émergence de l’objet a à chaque séance, autour de quoi peut se faire l’analyse du transfert, prendre le moi de l’analyste comme mesure de la réa­lité suffit pour qu’une névrose ne puisse se loger que là. Tout dépend donc de la façon dont l’analyste pense la situation.

Rappelons les grandes lignes de la théorie lacanienne pour situer cet objet a du névrosé. D’une part tout l’investissement narcissique ne passe pas par l’ima­ge spéculaire. Il y a un reste, le phallus -φ. Dans l’image réelle du corps libidi­nalisé, le phallus apparaît : en moins, en blanc, il n’est pas représenté, il est même coupé de l’image spéculaire. D’autre part le sujet barré par rapport à l’Autre, dépendant de l’Autre, est marqué du signifiant dans le champ de l’Autre. Mais il y a un reste, un résidu qui échappe au statut de l’image spéculaire. Cet objet, n’importe lequel, c’est a, l’objet de l’angoisse. L’angoisse se constitue quand un mécanisme fait apparaître quelque chose à la place naturelle de -φ, celle qu’oc­cupe l’objet a.

Il n’y a pas d’images du manque; si quelque chose apparaît là, le manque vient à manquer. S’il ne manque pas, l’angoisse apparaît. Ce qui peut donc venir se signaler à cette place -φ c’est l’angoisse et c’est l’angoisse de castration dans son rapport à l’Autre. Le dernier terme où Freud est arrivé c’est l’angoisse de castration. Pour Lacan, ce n’est pas elle qui constitue l’impasse dernière du névrosé : c’est la forme de la castration. C’est de faire de cette castration ce qui manque à l’Autre; c’est d’en faire la garantie de cette fonction de l’Autre, cet Autre qui se dérobe dans le renvoi indéfini des significations. Le sujet ne peut s’accrocher à cet univers des significations que par la jouissance. Celle-ci, il ne peut l’assurer qu’au moyen d’un signifiant qui manque forcément. C’est l’ap­point à cette place manquante que le sujet est appelé à faire par signe que nous appelons la castration. Vouer sa castration à cette garantie de l’Autre, c’est devant quoi le névrosé s’arrête. C’est elle qui l’amène à l’analyse. Et c’est l’an­goisse qui va nous permettre de l’étudier.

Le névrosé, pour se défendre contre l’angoisse, pour la recouvrir, se sert de son fantasme qu’il organise. C’est l’objet a qui fonctionne dans son fantasme; mais c’est un a postiche et c’est dans cette mesure qu’il se défend contre l’an­goisse. C’est aussi l’appât avec lequel il tient l’Autre (on peut citer l’exemple de Breuer qui s’est laissé prendre à cet appât en analysant Anna O.). Freud, lui, ne s’est pas laissé prendre. Il s’est servi de sa propre angoisse devant son désir pour reconnaître que ce qu’il s’agissait de faire c’était de comprendre à quoi tout cela servait et d’admettre qu’Anna O. le visait, lui. C’est bien à ceci que l’on doit d’être entré par le fantasme dans l’analyse et dans son usage rationnel du trans­fert. Et c’est ce qui va nous permettre de voir que ce qui fonctionne chez le névrosé, à ce niveau a de l’objet, c’est quelque chose qui fait qu’il a pu faire le transfert du a dans l’Autre; ce qu’il faut lui apprendre à donner, au névrosé, c’est rien, et c’est justement son angoisse.

je vais maintenant essayer de rappeler certaines parties de l’article de Stein sur Transfert et contretransfert, en m’excusant d’avance de n’avoir pas eu le temps de prendre connaissance de ses deux autres articles ainsi que des réponses qu’il a faites à Melman et à Conté. Lorsque Stein introduit, dans l’attente de l’in­tervention de l’analyste, la coupure entre le patient et l’analyste entre le monde intérieur et le monde extérieur, coupure par où s’introduit un pouvoir hétéro­gène, il semble qu’il y ait alors en présence deux êtres : le sujet et l’objet, l’ana­lyste et le patient. Cette attente est ressentie comme déplaisir. L’analyste semble frustrer le patient du plaisir qu’il éprouve dans sa tendance à l’expansion nar­cissique. Et c’est la frustration que le patient éprouve dans cette coupure, c’est ce phénomène qui est le transfert, ceci d’après l’article de Stein. Le patient dote l’analyste d’un pouvoir qui n’est pas le sien. Il semble à première vue, comme l’a dit Conté, que cette dialectique de la frustration ramène la situation analy­tique à une relation duelle entre sujet et objet. Pour ma part, – c’est peut-être aussi d’ailleurs impliqué dans le texte de Stein, bien qu’il ne l’ait pas explicité, – je pense que le transfert est soutenu par la règle analytique et non par la relation à la personne de l’analyste qui justement par son action est dépossédé de sa per­sonne.

A l’arrière-plan de cette dialectique se profile le troisième joueur, le grand Autre lacanien. L’analyste se trouve pris dans un dédoublement constitutif de la situation. Et ce dédoublement n’a rien à voir avec une relation duelle. Il y a là une contradiction qui crée l’ambiguïté. Si on l’oublie, c’est que ce joueur, ce troisième joueur, est bien l’analyste pour l’autre et que pour l’analyste c’est l’Autre qui lui dicte ses coups. Il semble qu’on retrouve ici la visée sadique dont parle Stein

« Que l’analyste peut se laisser tromper dans le transfert et prendre la place à laquelle le patient le situe, c’est-à-dire comme origine du pouvoir de la frustration ».

 

C’est sur cette frustration que porte ma deuxième remarque. A mon avis, la frustration dans l’analyse n’a pas pour source le déplaisir causé par l’attente de l’intervention, attente qui introduirait une coupure. Au contraire, elle naîtrait sur un horizon de non-réponse à toutes les demandes que le patient formule, y compris celle qu’il ne formule pas. C’est par l’intermédiaire de la demande que tout le passé s’entrouvre jusqu’au fin-fond de la première enfance. Et c’est parce que je me tais que je frustre mon patient. C’est par cette voie seulement que la régression analytique est possible. L’abstinence de l’analyste qui se refuse à gra­tifier la demande, la sépare du champ du désir et le transfert est un discours où le sujet tend à se réaliser au-delà de la demande et par rapport à elle.

Pourtant il me semble que dans cet article de Stein, tout laisse à penser que lorsqu’il dit frustration, c’est de castration qu’il s’agit et alors tout collerait très bien comme nous allons le voir. Stein situe la fin de l’analyse par l’accès au savoir sur la frustration. Pour Freud, les frontières de l’analyse s’arrêtent au complexe de castration qui garde sa signification prévalente c’est-à-dire : pre­mièrement que l’homme peut avoir le phallus sur le fond de ne pas l’avoir, deuxièmement que la femme n’a pas le phallus sur le fond de ce qu’elle l’est. Et si Freud a marqué le caractère à l’infini de certaines analyses, c’est qu’il n’a pas vu que la solution du problème de la castration n’est pas autour du dilemme de l’avoir ou pas car ce n’est que lorsque le sujet s’aperçoit qu’il ne l’est pas, qu’il peut normaliser cette position naturelle de combien il ne l’a pas. Pour revenir à l’article de Stein, si le progrès du patient tend vers l’interminable, dans ce balan­cement entre le progrès apparent dans le monde et l’exigence du statu quo dans la position du masochisme mettant le transfert sous le signe de l’incertitude, peut-être pourrait-on voir là une manifestation justement de la névrose de transfert aboutissant à un point mort. Cette incertitude inhérente à l’analyse est, comme l’a si bien dit Stein, celle que Freud voit dans la crainte de perdre ou l’en­vie d’avoir un attribut sans prix.

Nous retombons là dans les analyses infinies de Freud faute d’avoir différen­cié les plans de l’être et de l’avoir. C’est bien d’ailleurs ce que dit Stein sans l’ex­pliciter :

« La crainte de perdre ou l’envie d’avoir se retourne dans le transfert en la position de l’être pour l’analyste : être son plaisir ou sa croix. »

 

Conrad Stein – Je vais essayer d’être très bref au moins dans un premier temps. Je reviendrai sur certains points si ça parait nécessaire. Ça m’a évidem­ment beaucoup intéressé, beaucoup, beaucoup. Et je vous remercie beaucoup. Je prends les points dans l’ordre où je les ai notés très rapidement. En ce qui concerne la remarque de Madame Macalpine qui dit qu’il n’y a pas de concep­tion de la notion de transfert en dehors de ses effets, pour elle c’est une consta­tations de fait et non un jugement de ce qui devrait être. Elle a raison de dire cela. Mais elle ne sait pas pourquoi il en est ainsi. Et je crois que si on voulait savoir pourquoi il en est ainsi, il faudrait noter une chose qui me paraît très évi­dente, c’est la suivante : vous savez que Freud a découvert le transfert en même temps que la résistance, dès le début de la mise en oeuvre de sa technique, de sa cure cathartique. Le transfert y apparaissait comme un accident, une complica­tion de l’analyse qu’il a vite reconnu inéluctable. Par la suite, Freud a changé d’avis et aujourd’hui on nous apprend dans tous les organismes d’enseignement du monde que la cure psychanalytique consiste en premier lieu à analyser le transfert. C’est possible. C’est non seulement possible, c’est même vrai. Je crois, – je ne peux pas développer la chose ici – c’est une idée qui, à mon sens, méri­terait d’être fouillée, je crois que si les choses en sont encore aujourd’hui au point où elle en sont, c’est que malgré cette affirmation que l’analyse, c’est l’ana­lyse du transfert, la pesée de cette conception initiale selon laquelle le transfert est une complication de la cure, cette pesée continue à s’exercer sur nous, c’est-­à-dire que, dans une certaine mesure les psychanalystes, quoiqu’ils en disent le contraire, continuent à considérer le transfert comme une complication, comme un accident de la cure.

Maintenant, pour la question de la différence entre le transfert et la névrose de transfert, qui n’est pas très claire dans Freud, je dois dire que je n’en suis pas partisan, en tout cas, pas dans la formulation que vous avez citée qui, je crois, est de Nacht, celle du seuil. Il est évident que si le transfert peut être le moteur de l’analyse, qu’il ne peut pas y apparaître comme un obstacle quasi irréduc­tible, il n’y a pas là franchissement d’un seuil dans le sens d’une question de quantité. Vous avez bien présenté ça, si j’ai bien compris, je n’avais pas cette citation présente à l’esprit, comme s’il s’agissait d’une question de quantité de transfert, il est évident que ce n’est pas une question quantitative mais une ques­tion de structure du transfert. Mais je ne crois pas qu’on puisse distinguer le transfert et la névrose de transfert qui sont une seule et même chose, ce qu’on peut distinguer, ce sont des modalités, des modalités du transfert, des modalités dans sa structure pour employer le terme que vous avez emprunté à Lacan, dans votre deuxième partie. Quand vous avez dit qu’il fallait concevoir le transfert dans sa dimension historique et aussi dans sa dimension structurale, ce n’est pas un terme de Freud. C’est bien de Lacan. Et moi, je suis tout à fait d’accord avec cette distinction. Je vais même peut-être plus loin que Lacan et c’est votre évo­cation de l’article de Ferenczi qui me l’a fait penser, je crois moi, que toute la technique de la retrouvaille du passé, de la reconstruction du passé à travers les réminiscences, – car la réminiscence est quelque chose d’actuel et pas quelque chose de passé, – que toute cette technique de retrouvaille est un moyen de l’analyse et rien d’autre et qu’il est l’un des moyens et qu’il est un moyen qu’il est bon d’employer dans certaines conjonctures, qu’il n’est pas bon d’employer dans d’autres conjonctures.

« Ce que le patient appréhende du désir de l’Autre à propos de l’objet a et la question de la castration comme garantie de la fonction de l’Autre » : je crois que ce sont ceux-là, les thèmes lacaniens, qui m’ont inspirés pour ce deuxième article. S’il y en a, ce sont ceux-là, sans aucun doute, quoique je n’emploie pas l’algèbre de Lacan parce que, pour une raison ou pour une autre, je ne suis pas sensible à l’avantage de ce type de formulation. J’ai peut-être tord. Mais enfin, c’est bien là que se trouve ma source d’inspiration lacanienne. Il est important de le noter. Bien sûr, on ne peut pas développer la question maintenant. Alors, dans les remarques que vous faites concernant mon article, la coupure où s’in­troduit un pouvoir hétérogène, cette coupure qui sépare, je ne dis pas, deux êtres en présence mais je dis deux personnes, pour une raison très précise que vous ne pouvez pas connaître. C’est parce que j’ai donné par ailleurs une défi­nition très précise de la notion de personne. Là, je ne veux pas non plus me lan­cer là-dedans. Il est évident que je suis obligé de récuser votre remarque concer­nant, comme je l’ai déjà fait à propos de la remarque similaire de Conté, concer­nant la notion d’une relation duelle entre sujet et objet. Les raisons en sont multiples mais d’abord je vous fais remarquer que même dans la description que je donne dans ce texte qui est loin de constituer l’œuvre achevée puisque ceux d’entre vous qui ont assisté au séminaire de Piera Aulagnier ont entendu un cha­pitre supplémentaire que j’ai intitulé «Le jugement du psychanalyste» et que celui-là n’est pas encore le dernier.

Mais même dans ce texte, vous remarquerez une chose, c’est que s’il y a per­sonnes en présence, il y en a au moins trois puisqu’il y a celle du patient et du psychanalyste dans la coupure, et il y a celle, mythique, qu’on pourrait décrire comme « le tout est en un et un est en tout », c’est-à-dire cette personne où le psy­chanalyste et le patient ne sont présents ni l’un ni l’autre en tant que sujet, dans la mesure où la régression topique, au cours de la situation analytique s’accom­plit d’une manière dont on peut dire – c’est ce que j’ai développé à propos des argumentations de Conté et de Melman – que ça parle. Le patient parle, le psy­chanalyste parle. Ils sont deux et dans l’autre conjoncture qui n’est jamais par­faitement accomplie, de même que la conjoncture de la séparation n’est jamais parfaitement accomplie, non plus, ça parle. Donc vous avez déjà au moins trois personnes. Je ne veux pas dire qu’on ne peut décrire que ces trois personnes-là à un autre stade du développement, trois personnes apparaissent dans une for­mulation différente mais il est bien certain qu’il ne peut pas y en avoir deux et je crois même que dans la conversation ou dans l’échange de paroles le plus banal, on ne peut pas considérer qu’il y a, comme le veut une théorie très en vogue aujourd’hui, qu’il y a échange d’information, une sorte d’insufflation, d’infor­mation entre deux interlocuteurs. Une telle chose n’existe pas. L’information dont s’occupe la théorie de l’information, si elle est vrai, ce sont des ondes sonores et c’est une question de physique et de physiologie cérébrales, ça passe par l’oreille et ça va dans le lobe temporal. Ça n’est pas ça qui nous occupe. Pour que ces phénomènes physiques soient signifiants, il faut bien autre chose que cette théorie de la communication d’une information entre deux personnes et il faut bien qu’il y ait quelque part la référence à une troisième. Ça non plus je ne peux pas le développer. Donc, il n’est pas question de relation duelle.

Que le transfert est soutenu par la relation analytique. J’ai noté ça. Je ne sais pas si c’est vous qui le dites ou vous qui me citez ?

 

Irène Perrier-Roublef – Je vous cite.

 

Conrad Stein – Bon, nous sommes tout à fait d’accord en tout cas. Mais je crois là aussi – je ne peux pas développer la chose – qu’il faudrait donner sa pleine dimension à ce terme soutenu. Je croyais que vous le disiez dans votre objection, je n’ai pas mon texte parfaitement en mémoire. Non, je crois que c’est votre objection. Mais il faut voir que le transfert est soutenu par la relation ana­lytique ou quelque chose comme ça. Enfin, peu importe puisque nous sommes d’accord. Soutenu, il faut donner le plein sens à ce terme car je suis de plus en plus persuadé, je ne peux pas vous le développer, je ne pourrai même pas très bien parce que c’est une idée récente, mais je ne crois pas qu’on puisse considé­rer que la situation analytique crée le transfert. Je crois que la situation analy­tique est une révélatrice du transfert.

 

[Dans la salle] – Madame Perrier a dit: la règle…

 

Conrad Stein – J’ai marqué relation. Bon, vous avez raison et moi j’ai mar­qué autre chose probablement parce que j’avais envie d’en parler. Je continue quand même mon argument pour en revenir très vite à la règle. Donc je pense qu’elle se crée par le transfert, je pense qu’elle le révèle et qu’elle nous permet d’en prendre connaissance. Mais je crois que le transfert est justement ce facteur anthropologique universel d’où manque toute théorie de la communication conçue comme un échange d’informations. Là, non plus, je ne peux pas déve­lopper ça.

Quant à la question du transfert soutenu par la règle analytique, c’est-à-dire la mise en valeur de l’importance de la règle analytique, je ne veux pas interve­nir là-dessus maintenant mais précisément le premier paragraphe du chapitre que j’ai exposé au séminaire de Piera Aulagnier et de Clavreul y est consacré. Alors, ce serait un peu long. Ce que j’ai montré là : j’ai d’abord rappelé une chose qui est d’expérience, je crois, assez courante, c’est qu’il est parfaitement inutile de formuler ce que nous avons l’habitude de formuler comme étant la règle fondamentale, c’est-à-dire qu’il n’est pas du tout nécessaire de dire au patient qu’il faut qu’il dise tout ce qui lui viendra par la tête, etc. C’est parfaite­ment inutile mais ce que j’ai essayé de dégager c’est que, même si on ne le disait pas, la pesée de la règle restait la même. Il y avait au moins quelque chose qui était imposé d’une manière unilatérale, c’était, par exemple, l’horaire des séances, c’est-à-dire que, malgré tout, même si le psychanalyste ne formule aucune règle et vous dit : « je vous recevrai trois ou quatre ou cinq fois par semaine, tel jour, à telle heure, venez, couchez-vous sur le divan » et qu’il ne lui dit rien de plus, cela suffit pour exercer une pesée tout à fait analogue à celle de la règle formulée. J’ai aussi fait remarquer à ce propos que ce qui est quand même très important, c’est que, il y a au moins une intervention du psychana­lyste à chaque séance, intervention qui peut être attendue, qui est celle qui marque la fin de la séance. On n’y échappe pas.

Donc penser que le psychanalyste n’est pas intervenu, qu’il n’a rien dit ce jour-là, ça n’est pas tout à fait juste. Il est évident que d’être intervenu pour dire quelque chose ou d’être intervenu pour avoir marqué la fin de la séance ce n’est pas pareil, mais c’est quand même une intervention. La preuve en est qu’il est des patients qui s’en vont d’eux-mêmes avant la fin de la séance parce qu’ils ne supportent pas que la fin de la séance soit indiquée par le psychanalyste. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de patients qui le fassent de manière constante, à toutes les séances, mais dans la pratique de chaque analyste, ça arrive de temps à autre. La question de l’analyste trompé qui serait à l’origine du pouvoir, je crois que nous sommes tout à fait d’accord là-dessus. La frustration, me dites-­vous, est au contraire sur un horizon de non-réponse. Je veux bien.

Irène Perrier-Roublef – A la demande.

 

Conrad SteinOui, bien sûr. Lorsque je parle de l’attente de l’intervention du psychanalyste, c’est que cet horizon… Je suis tout à fait d’accord pour vous dire que la frustration est sur un horizon de non-réponse à la demande. Mais cet horizon de quoi est-il fait ? Si ce n’est de cette attente de l’intervention du psy­chanalyste. Je ne crois pas que ce soit là des arguments contradictoires mais je crois, quant à moi, qu’il est nécessaire parce que c’est cela qui soutient le trans­fert dans une définition stricte, de mettre l’accent dans cet horizon de non-­réponse, sur l’attente de l’intervention du psychanalyste, c’est-à-dire sur son intervention imaginée ou supputée. C’est ça qui fait d’ailleurs une bonne partie du discours du patient pendant la séance. Vous allez me dire que… et j’imagine que… Avec certains patients, jamais. Quand ça n’a jamais lieu, vous savez à quel type de résistance nous avons affaire. Nous avons affaire au type de résistance que Bouvet a appelé la résistance au transfert. Alors que la résistance qui est analysable est plutôt la résistance du transfert, c’est-à-dire par le transfert. Non, je ne pense pas du tout que ce soit contradictoire, mais je crois qu’il faut mettre l’accent sur ce qui vient meubler cet horizon de non-réponse qui est la suppu­tation de l’intervention attendue. Et puis, ce qui se passe toujours, qui est important à considérer, c’est la non-conformité de l’intervention lorsqu’elle se produit enfin avec ce qui était attendu.

Dernier point : vous dites que là où je parle de frustration, il faudrait parler de castration. Là-dessus, je ne peux pas vous donner une réponse absolument ferme et définitive parce qu’il est possible que vous ayez raison et que, pour moi, ce problème n’est pas encore tout à fait tranché. Cependant, je crois qu’en un premier temps, il est nécessaire de mettre l’accent sur la notion de frustra­tion, comme je le fais dans cet article-là, parce que la frustration, qu’est-ce que c’est ? En français, la frustration, c’est la suppression, la privation de quelque chose à quoi on a droit, à la différence de la privation. Frustrer quelqu’un, c’est lui enlever quelque chose à quoi il a droit. Or, de quel droit s’agit-il ? Si ce n’est du droit imaginaire de la toute puissance narcissique. Autrement dit, le droit dont il est question ici est loin d’être un droit au sens juridique, bien sûr, il ne s’agit pas de frustration d’un droit au sens du code, il s’agit au contraire de frus­tration au sens de ce que le patient dans son narcissisme veut poser comme un droit et qui est son désir. Donc, je crois qu’il faut, à ce niveau-là parler de frus­tration. La frustration, comme le dit Lacan, est d’ordre imaginaire. Or, le droit narcissique, le droit du désir à être accompli, si on peut parler de droit puisque c’est le contraire du droit, au sens du code, est bien d’ordre imaginaire. D’ailleurs, c’est ça qui soutient le fantasme.

Quand à la castration, comme le dit Lacan, il faut considérer qu’elle reste d’ordre symbolique. Et alors, justement nous arrivons-là, à propos de cette fin de l’analyse, qui est en un sens, comme je l’ai dit, ça ne résout pas la question, qui est en un sens savoir sur la frustration mais savoir sur la frustration dans quoi? justement dans le fait d’assumer la castration dans quoi? D’assumer la castration au sens symbolique, c’est-à-dire dans le sens de la constitution de l’idéal du moi. Et lorsque Freud dit que l’idéal du moi est l’héritier du narcis­sisme primaire, eh bien, dans cet héritage, nous avons le passage du registre ima­ginaire de la frustration – car on n’assume pas une frustration, la frustration on s’en plaint, il n’est pas concevable qu’il en soit autrement, donc dans cet hérita­ge, – nous avons le passage du registre imaginaire de la frustration au registre symbolique de la castration avec constitution de l’idéal du moi. Constitution de l’idéal du moi dont il faudra étudier la place par rapport… celle dont son senti­ment de frustration… où le patient met l’analyste en tant qu’origine du pouvoir. La fin de l’analyse n’est pas comme on l’a dit souvent dans une identification au psychanalyste. C’est une notion qui est absolument insoutenable mais en un sens on peut dire que la fin du moi dont on sait, dans la mesure où le savoir sur la frustration nous indique que cet idéal du moi est à une autre place que celle où est le psychanalyste. Écoutez, j’ai déjà parlé beaucoup plus longtemps que je ne le voulais.

 

Irène Perrier-Roublefje ne voudrais pas non plus prolonger le débat mais simplement vous répondre deux ou trois petites choses. D’abord sur Ida Macalpine, tout à fait d’accord. Sur la différence que vous faites entre transfert et névrose du transfert ou plutôt que vous ne faites pas, je crois en effet qu’il n’est pas du tout question d’une différence quantitative. C’est évidemment une différence de structure et que la névrose de transfert, si on avait bien compris ce que je voulais dire, c’était justement l’impasse à laquelle on arrive dans une ana­lyse où on ne peut pas aller au-delà de ce à quoi on se heurte dans le complexe de castration quand on le place sur le plan de l’être, de l’être au lieu de l’avoir. Pour Ferenczi, tout à fait d’accord sur ce que vous avez dit. je suis aussi d’ac­cord quand vous dites que, sans parler de signifiant, d’objet a, de grand Autre, etc. que vous n’aimez pas l’algèbre lacanienne mais que vous vous en servez, je suis tout à fait d’accord avec vous puisque je le dis moi-même dans une remarque que je vous fais lorsque je vous parle de relation duelle avec… il semble, ai-je dit, qu’il y aurait deux êtres en présence, donc le mot être, je veux bien l’enlever, le sujet et l’objet, l’analyste et l’analysé, c’est vous qui le dites, j’ai dit que, moi, il m’apparaît, sans que vous l’ayez explicité, que ce ne soit pas ça et qu’en effet à l’arrière-plan se profile le troisième joueur qui est le grand Autre. Je l’ai dit pour vous.

Maintenant, je voudrais dire un mot sur ce qu’on appelle la relation duelle. Ça ne veut pas du tout dire qu’il y a un monsieur et un monsieur ou un mon­sieur et une madame qui sont là, face à face et puis c’est tout. Parce que, comme vous l’avez dit, il faudrait alors être dans une île déserte, ne pas parler pour qu’il y ait une relation duelle. Il est bien entendu que ce qu’on appelle une relation duelle dans l’enseignement lacanien, ce n’est pas du tout qu’il n’y a pas d’autres termes, il y en a forcément un troisième mais que ça se place dans la dialectique de l’enfant et de la mère. Ce qui ne veut pas dire que le père n’apparaît pas. Il apparaît forcément puisqu’il a conçu l’enfant.

 

Conrad SteinJe ne comprends pas très bien. Si ça se place dans une dialec­tique de l’enfant et de la mère où le père apparaît, quelle autre dialectique peut-­on concevoir?

 

Irène Perrier-RoublefLe père n’y apparaît pas de la même façon que lors­qu’on aborde l’Œdipe. Je sais bien que pour vous l’Œdipe existe d’emblée. Mais ce ne sont pas les notions que nous avons de la chose et pour nous l’Œdipe com­mence à partir d’un certain moment du développement, très tôt, d’ailleurs, beaucoup plus tôt que pour les analystes classiques, mais enfin ce qu’on appel­le la relation à trois, si vous voulez, qui ne soit pas relation duelle, c’est lorsque le nom du père apparaît dans la relation entre la mère et l’enfant. Le nom du père, je ne vous dis pas que le père n’a pas donné son sperme.

 

Conrad SteinA ce moment-là, c’est une relation à trois ?

 

Irène Perrier-Roublef – Oui, à partir du nom du père et à partir du moment où le désir de l’enfant est renvoyé vers le désir du père par l’intermédiaire de la mère. Enfin, je crois qu’on pourra discuter très longtemps là-dessus.

 

Conrad SteinLà je pourrai quand même vous répondre publiquement ce que je vous ai dit au téléphone hier, c’est que je crois que ce que vous décrivez là, c’est bien le fait le plus originaire et le plus fondamental qui puisse exister, qu’on ne peut rien concevoir avant. Parce que, lorsque vous dites que dans une relation duelle, c’est une relation entre l’enfant et la mère où le père apparaît, comment apparaît-il ?

 

Irène Perrier-RoublefNon je n’ai pas dit ça. J’ai dit bien sûr que le père a figuré puisqu’il a fait l’enfant avec la mère. Mais il n’apparaît pas dans la rela­tion, dans cette première relation de la mère et de l’enfant, dans la relation du nourrisson.

Conrad Stein Moi, je ne crois pas à l’existence d’une telle chose.

 

Irène Perrier-Roublef – Il faudra qu’on reprenne ce débat, ce serait vraiment trop long. Maintenant, au sujet de la frustration : vous dites que l’attente de l’in­tervention de l’analyste et la non-réponse, c’est la même chose. Je crois que ce n’est quand même pas tout à fait la même chose.

 

Conrad Stein Je dis que la non-réponse est la condition de cette attente.

 

Irène Perrier-RoublefCe n’est pas tout à fait ce que vous dites dans votre article lorsque vous parlez de ce que cette attente de l’intervention de l’analys­te provoque l’introduction d’un pouvoir hétérogène qui provoque la coupure. Je ne crois pas… enfin, peut-être pourrait-on dire la même chose dans la non-­réponse. Je crois que ce qui est important, c’est que la non-réponse porte sur la demande et qu’on a l’impression que, dans ce que vous décrivez dans votre texte, ça porte sur le désir. Et c’est pour ça que je dis que ce n’est pas de la frus­tration qu’il s’agit mais que c’est de la castration et qu’au fond, vous dites la même chose que ce que nous disons; seulement vous l’appelez autrement. D’ailleurs vous n’avez qu’à voir la fin de votre texte. Vous dites exactement, mot pour mot, ce que Lacan disait que lorsque Freud n’arrive pas à terminer une analyse, c’est parce qu’il se croit possesseur d’un objet très précieux. Mais qu’est-ce que c’est que cet objet très précieux, sinon le phallus ?

 

Conrad Stein Oui, mais reprenons cela. Quand vous dites : non-réponse. L’horizon de non-réponse. Vous vous mettez, bien sûr, disons, à la place du patient, pour le dire. Il n’y a pas de non-réponse en dehors de l’évocation d’une réponse.

 

Irène Perrier-Roublef – Bien sûr.

 

Conrad Stein Le patient dira: il ne me répond pas.

 

[Dans la salle] – Qui, il?

 

Conrad Stein Ça c’est une autre question. La non-réponse est un jugement négatif fait sur l’existence d’une réponse donc il faut que cette réponse soit pré­sente à l’esprit en tant que possibilité. Donc je ne crois pas que ce soit tellement différent.

 

Irène Perrier-RoublefJe crois qu’il faudra revoir tout cela puisque, on n’a peut-être pas beaucoup de temps. Justement, je voulais donner la parole à Melman et à Conté.

 

Charles MelmanOui, sur cette question, sur cette phrase,

« la frustration survient sur un horizon de non-répons à la demande »,

 

 et sur cette discussion qu’a introduite Irène de savoir si le terme de frustration est ici exact, est ici bien employé ou bien si ce serait le terme de castration qui serait à sa place. Il me semble que c’est précisément l’une des questions fondamentales qui se dégagent, qui se posent à la lecture de ton texte et où je dois dire que, pour ma part, j’aurais tendance, pas seulement peut-être pour des raisons de commodité de lecture ou de facilité, j’aurais tendance à regretter que finale­ment l’algèbre lacanienne ne soit pas ici, utilisée. Parce que horizon de non-réponse à la demande, c’est en tout cas dans cette dimension que j’aurais ten­dance à voir ce qui est l’installation très précisément du transfert, c’est-à-dire que la demande exercée en tant que formulée et en tant que justement se trou­ve là cet interlocuteur si singulier qui lui donne sa vraie dimension à cette demande, c’est-à-dire celle d’être vraiment enfin entendue et entendue non pas par quelque réponse qui viendrait immédiatement soi-disant la gratifier mais en fait constituer ce fond, disons-le, si traumatisant de méconnaissance qui fait par­tie de nos relations habituelles, conventionnelles, normales mais enfin cette ins­tallation de la demande dans son vrai registre: celui de la non-réponse pour que précisément, cette dimension du désir sur lequel la demande vient s’installer puisse être entendue. Il me semble que seule, donc, la non-réponse [a valeur], en tant que précisément la réponse gratifiante vient couvrir, ici justement, la dimension du transfert.

Bien sûr, je crois que dans la cure le patient est amené à nous prêter toutes les réponses, enfin à nous engager dans ce dialogue que tu évoquais si bien tout à l’heure, c’est-à-dire à nous prêter, comme ça, toutes les réponses que nous pour­rions lui faire, tous les sentiments qu’il pourrait nous supposer. Ceci dit, je crois que, si nous nous livrions à un passage à l’acte, c’est-à-dire à lui répondre, à sa demande, je crois que nous exercerions à ce moment-là un effet proprement traumatisant et de désarroi qui peut être parfaitement perceptible, perçu ou noté dans telle ou telle circonstance ou telle ou telle observation. Ce qui fait que pour, si après tout, je dis bien après tout, si on se sert de l’algèbre lacanienne, et que l’on se pose la question de savoir où se situe l’absence de réponse finalement tout compte fait, toute séance faite où se situe l’absence fondamentale de répon­se à la demande et, par là même, le dégagement de cette dimension du désir, autrement dit, je pense que, si on fait intervenir ici le grand Autre, la position respective des divers partenaire dans la cure se trouve, à mon sens, beaucoup mieux précisé.

Cette position respective des partenaires dans la cure, – tout à l’heure Stein en évoquait trois, ce qui semble en tout cas certainement un minimum – je pense qu’elle se trouverait en tout cas également mieux précisée par cette petite notation, il me semble très fine, très précise que tu fais à propos de ce que l’in­tervention de l’analyste en début et en fin de séance implique. Autrement dit, que même si après tout l’analyste se tait, du seul fait qu’il fixe l’heure de la séan­ce et du seul fait qu’il est amené à un moment donné à dire : « restons-en là, la séance est terminée », il est amené implicitement à intervenir. Je crois que c’est en fait une question. Je dois dire que ça ne me paraît pas si simple que ça, car je pense qu’il y a une technique de la cure, par exemple, où justement le problème se pose de savoir si l’analyste, en fixant l’heure de la séance et en marquant sa levée, intervient ou n’intervient pas. Je dois dire qu’il y a par exemple une tech­nique de la cure, supposons la cure idéale, enfin, où les séances sont lundi, mer­credi, vendredi, telle heure, durée strictement déterminée – on sait combien l’inconscient des malades pige admirablement le temps, et combien les malades, même sans regarder leur montre, savent parfaitement le moment où, dans une séance dont le temps est, comme ça, strictement fixé, à quel moment va tomber la fin de la séance. Eh bien! dans cette technique-là, avec ces séances à heure fixe, jour fixe, je ne suis pas sûr qu’il y ait intervention de l’analyste. Je n’en suit pas sûr parce que je me demande si, justement, puisque j’introduisais la fonction du grand Autre pour essayer de situer, de partager la position des partenaires dans la cure, je me demande s’il n’y a pas en fait une déclaration implicite qui serait un petit peu différente et qui serait plutôt la soumission de l’analyste, comme du patient, à une relation, un rapport au temps, en tant que, bien enten­du, il fait intervenir toujours une relation au grand Autre, soumission en quelque sorte, déclaration implicite ou intentionnelle d’identité entre l’analyste et le patient dans cette relation au temps, et où la dimension, enfin on ne va pas s’engager dans une discussion là-dessus mais je voudrais quand même dire que parmi les divers partenaires qui sont présents dans la séance, où la dimension, disons, d’un quatrième qui serait en l’occurrence la mort, comme ça, qu’on évoque de temps en temps, se trouve à mon sens, certainement introduite de manière très précise. Bon, je n’ai peut-être pas répondu à ton souci, à tes ques­tions mais enfin, en vous écoutant, voilà ce qui m’était venu.

 

Irène Perrier-RoublefJe vous remercie de ses remarques et je vais peut-être demander à Conté s’il veut parler.

 

Claude ContéC’est simplement quelques remarques terminologiques parce que, il me semble que c’est important d’employer l’algèbre lacanienne ou pas, mais enfin tout au moins, sur les termes, d’avoir quand même des acceptions communes. Par exemple, pour employer le terme frustration, castration, priva­tion, j’ai l’impression qu’il y a eu un certain mélange et que ça n’a pas abouti, jus­tement, à un éclaircissement parce que, de ma place, en tant qu’auditeur, je n’ai pas compris grand chose à la discussion qui s’est engagée au sujet de la frustra­tion et de la privation. Surtout quand Stein a parlé que c’est au niveau de la cas­tration qu’on peut parler d’idéal du moi. Il me semble bien me souvenir que dans la terminologie lacanienne, il faut bien s’en tenir ici à une terminologie, il peut se faire qu’on peut en parler dans les termes lacaniens, c’est que l’idéal du moi se place davantage au niveau de la privation. Encore faut-il bien définir les termes. Au terme de frustration est engagé par Freud, enfin Freud n’emploie pas le terme de frustration, c’est le terme de Versagung qui est traduit souvent par Lacan sous le terme de dédit. Et en effet c’est dans la dimension, dans le registre imaginaire que se place la frustration mais il précise bien que c’est, il emploie le terme de dam, de dommage imaginaire mais de quelque chose de réel. Par exemple, on veut un exemple clinique, disons, de la frustration, c’est quand, par exemple, on a à dire quelque chose, c’est peut-être un peu grossier, admettons qu’on soit dans la salle, qu’on a envie de dire quelque chose et que, pour des raisons de séance ou de temps, on ne peut pas le dire. Il semble que ça, c’est du registre de la frustra­tion. En ce sens que le dit qu’on a dans la tête pour le dire, il est vraiment dédit et en même temps, il y a une espèce d’effet d’éclatement même du dire, épar­pillement du dire qui est bien sûr un dommage imaginaire mais qui peut aller loin, qui peut donner, créer toute une symptomatologie.

Tandis que dans la castration, c’est un registre symbolique mais qui porte sur un objet imaginaire. Mais pourquoi tout à l’heure j’ai dit que le fait que l’idéal du moi, penser que ce n’est pas au niveau de la privation mais dans un des pre­miers schémas, disons, de la mise en place avant Œdipe, dans ce passage juste­ment où le père va intervenir dans cette sorte de coalescence de l’enfant avec la mère, cette première ébauche de l’identification, c’est au niveau de la privation que ça se fait? Il faudrait le développer avec beaucoup d’exemples. Mais je pense qu’on n’a pas le temps et je n’ai pas les moyens ici. Maintenant, dans le trans­fert, il est évident que le transfert, c’est quand même au niveau de la demande que ça… Il faudrait reparler de la demande très en détail. Mais c’est dans ce niveau de la demande qu’apparaît, en fin de transfert, l’impact de l’idéal du moi. Enfin, ça, c’est une première terminologie.

Maintenant, une autre remarque. C’est au niveau de la relation duelle. J’ai l’impression que c’est toujours un terme très, très malheureux à employer, le terme duel. Que, en effet, comme le remarquait Stein, il suffit d’une simple conversation, les bases même de la linguistique le démontrent, que dans toute communication, il y a toujours un référent ou un contexte, le tout sur la notion, reprise par Lacan, du grand Autre, ce que les linguistiques appelait aussi la com­munauté linguistique, le lieu du code, etc. Il est certain qu’il n’y a pas simple­ment deux protagonistes. Mais il est un fait que, il y a quand même un moment, disons, historique dans l’évolution de la personnalité, où apparaît une triangu­lation. Et plutôt que de parler du passer, un petit peu fantaisiste, de deux à trois, ce qui ne veut pas dire grand chose peut-être, mais c’est là qu’intervient la fonc­tion spéculaire, c’est au niveau du stade du miroir, l’importance dans le méta­bolisme justement de la relation de l’assomption imaginaire par la fonction du stade du miroir, c’est autour de ça que va se jouer ensuite la triangulation mais il faut bien dire que déjà, le stade du miroir n’a de sens que s’il est pris lui-même dans un système symbolique. Il faut dire que ce qui précède l’imaginaire, c’est le symbolique. Et c’est grâce à ça que souvent Lacan schématise le stade du miroir en dessinant le miroir lui-même, en mettant que c’est le grand Autre, le miroir dans lequel se reflète le moi, dans cette méconnaissance. Il semble là que, en effet, il y a un passage d’un système, disons, indéterminé, spéculaire à un sys­tème de triangulation dans lequel intervient, d’une façon plus spécifique, disons, le nom du père ou la loi, etc. On pourrait développer tout ça mais enfin c’est simplement pour marquer qu’il y a quand même peut-être une terminologie à définir d’une façon plus précise avant de pousser plus loin une discussion. Sans quoi j’ai l’impression qu’on…

 

Irène Perrier-Roublef – … C’est très juste ce que vous dites que la relation duelle en effet, il faudrait y faire intervenir l’image spéculaire. Quant à ce que vous dites sur la frustration, il est bien évident que la frustration est un dam imaginaire portant sur un objet réel; vous avez oublié que l’agent en était la mère symbolique mais ceci nous ramène toujours à ce qu’on ne peut pas appe­ler autrement que la relation duelle parce que, pour le moment on n’a pas d’autre terme pour l’appeler. Il est bien évident que c’est un terme tout à fait impropre. La relation duelle peut comporter un très grand nombre de per­sonnes, de petits a ou de n’importe quelle lettre de l’alphabet.

 

Conrad Stein je vais intercaler un mot, un mot pour dire que quand on parle de la castration, telle que, je crois, l’entend Lacan, qui est en cela freudien, il n’y a pas du tout d’écart, il n’y a aucune opposition de Lacan à Freud en cette matière, quand on parle de la castration, il ne faut jamais oublier que pour nous le concept de castration est un concept positif. C’est le concept de l’accession à un pouvoir véritable, et c’est là que se situe sa relation avec l’idéal du moi, c’est un concept positif figuré par l’image négative d’un manque.

Tout ce qui se situe dans la marge entre la positivité de ce concept et sa figu­ration qui est celle, négative, d’un manque, c’est quelque chose d’essentiel à la problématique de l’analyse. On a souvent tendance à confondre la castration avec ce que les patients de Freud lui disaient lorsqu’il en parle dans Analyse ter­minée et analyse interminable : de toute façon, tout ce travail que nous avons fait depuis quelques années, c’est bien gentil mais moi je n’aurai pas de pénis (si c’est à une femme) ou moi je suis quand même toujours exposé aux risques de le perdre puisqu’il existe, puisque j’en ai un, je peux le perdre (si je suis un homme). Or, justement, ça c’est le complexe de castration. Le complexe de cas­tration et la castration, au sens où l’on entend Lacan, ce n’est pas la même chose. je crois que c’était quelque chose qu’il fallait dire. C’est justement là que le malade introduit ce leurre auquel Freud s’est peut-être laissé prendre. Car en définitive, en plaçant les choses sur un plan beaucoup plus terre à terre de ce qu’on peut dire au patient, on est quand même amené à lui montrer, et c’est là qu’intervient justement la structure du transfert dont vous parliez, en citant Lacan, opposée à son historicité, on peut quand même être amené à lui montrer, par exemple, lorsque c’est une dame qui se plaint de n’avoir pas de pénis, de lui dire que de toute façon l’analyse ne lui en donne pas un, que ce dont elle se plaint, de ne pas avoir de pénis, que son envie du pénis n’est rien d’autre que ce avec quoi elle essaie de présenter au psychanalyste un leurre. Car ce n’est pas vrai qu’elle a envie d’un pénis. Ce n’est pas vrai dans l’absolu. C’est vrai dans la mesure où cette envie lui permet de maintenir le psychanalyste dans la position que j’ai désignée comme étant celle du contre-transfert. Il faudrait dire ça d’une manière plus précise.

 

Irène Perrier-RoublefC’est exactement celle à laquelle Breuer s’est laissé prendre avec Anna O. Lacan dit la même chose et d’ailleurs, l’idéal du moi est en relation avec la castration puisqu’il apparaît chez Freud dans le déclin du complexe d’Œdipe.

 

Conrad Stein Ce n’est pas contradictoire avec ce que j’ai dit sur la priva­tion… Il faut voir justement les origines de l’idéal du moi.

 

Ginette MichaudC’est très très marginal à la discussion mais c’est à pro­pos d’une remarque qu’à faite Stein tout à l’heure sur ce qu’il croit être du trans­fert comme non révélé par l’analyse. Enfin comme révélé par l’analyse et comme préexistant. Je pense qu’on ne peut qu’aller dans ce sens là. Le premier est Freud qui l’a bien défini comme ça, comme quelque chose qui est révélé par la situa­tion psychanalytique et qui préexiste, qui n’est pas repris, qui n’est pas réarti­culé en dehors mais qui préexiste à la situation psychanalytique. On peut dire également que, à partir du moment où il peut exister un support autre que la situation analytique, c’est pour ça que je trouve que le terme duel n’est qu’un élément partiel, qu’une définition partielle de ce dont il s’agit, que donc à partir du moment où il peut exister une situation où le mécanisme du transfert puisse être repris et articulé, on peut peut-être le mettre à jour et s’en servir et l’articu­ler, de la même façon qu’on peut s’en servir en analyse. Par exemple, si on peut dire, très sommairement, le transfert en analyse, enfin, l’analyste est celui qui est le révélateur du transfert, sur qui porte le transfert, qui est en même temps, le destinataire donc du message et le lecteur du message, plus ou moins. Si pat exemple, dans un organisme, dans une institution de soins où il existe ces méca­nismes, où quelque part une structure puisse être en position de polariser ce mécanisme ou une autre structure ou la même ou une personne, dans la posi­tion analytique qui soit l’analyste ou qui soit le médecin, puisse se servir de ce phénomène, je crois qu’on peut à ce moment-là reprendre des mécanismes de transfert qui ne sont pas forcément superposables au transfert de la situation psychanalytique. C’est pour ça que le terme duel c’est un terme, enfin, on peut situer l’analyse comme situation duelle à partir du moment où elle est située en négatif par rapport à un grand Autre, défini on peut dire, en terme d’exclusion. Justement en analyse l’analyste n’a ni de rapports avec la famille, ni de rapports avec les amis, se situe en miroir, par rapport à ce qui va être projeté là.

Dans une institution, dans un groupe thérapeutique, la situation est tout à fait différente. Il n’y a pas ce système d’exclusion et c’est justement la possibilité de polariser tout ce qui est ailleurs vécu comme système d’exclusion et qui doit être repris pour être thérapeutique, pour que les mécanismes de transfert ne puissent pas échapper au traitement, à la thérapie du malade globalement. Et pour éviter le passage à l’acte, ça se transforme en acting-out c’est-à-dire lisons mécanismes qui font sens pour le désir, enfin, pour la demande, disons, de celui qui est dans cette situation et puisse être repris par ailleurs sur le plan thérapeutique. Enfin je crois que là, il y a quelque chose à développer.

 

Irène Perrier-RoublefMerci d’être intervenue. Est-ce que quelqu’un d’autre veut prendre la parole ? Bernard ? Non. Personne d’autre ? Est-ce que Stein vous voulez dire quelque chose?

 

Conrad Stein Écoutez. Je crois que j’ai beaucoup parlé. Merci. Non.

 

Irène Perrier-Roublef – Vous pourriez avoir quelque chose à dire en répon­se à Mademoiselle Michaud…

 

Conrad Stein Non, tout ce que je peux lui dire c’est que ce n’est pas possible de discuter maintenant. Tout ce que je peux lui dire c’est que cette question m’in­téresse. Je ne m’occupe pas du tout d’autre chose que d’analyses. Mais ça se situe, je ne crois pas que ça se superpose, mais ça se situe dans la même problématique que quelque mots crue j’ai eu l’occasion de dire à propos d’une conférence que Quesclin a faite à l’Evolution psychiatrique sur la thérapeutique institutionnelle. Et je crois que c’est une chose qui peut intéresser le psychanalyste, disons, en tant que théoricien, mémé s’il n’a pas l’occasion de s’occuper ou l’intention de s’occuper lui-même d’institutions psychiatriques. Disons que je pense qu’il y a quelque chose à apprendre dans ce que les gens qui, comme vous s’en occupent, ont à nous dire. Ça me parait très certain. C’est-à-dire que je ne pense pas que la théorie du soin des malades en institutions puisse être autre que la théorie psy­chanalytique. Et c’est ce que vous confirmez tout à fait. Donc ça m’a beaucoup intéressé. Alors, pour terminer, je voudrais vous remercier.

 

Irène Perrier-RoublefJe vous remercie aussi. La séance est levée

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