samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIII L'OBJET DE LA PSYCHANALYSE 1965 – 1966 Leçon du 9 février 1966

Leçon du 9 février 1966

 

Comme il arrive que je donne au début d’une de mes leçons quelques réfé­rences de ce qui, dans la sphère de mon enseignement, se passe ailleurs, j’évo­querai aujourd’hui, au départ, quelque chose dont la pertinence n’apparaîtra qu’à ceux ayant assisté à une séance d’hier soir de notre École Freudienne, mais qui pourtant, pour tous les autres, représentera une introduction à la mise au point, au sens photographique du terme, que va constituer mon dis­cours d’aujourd’hui, par où j’achèverai, je l’espère, ce que j’ai à dire du Pari de Pascal, quant à ce qu’il conditionne d’essentiel du rapport engagé dans la psychanalyse. C’est d’où je partirai donc comme en préambule, qui est en même temps parenthèse, avec une remarque très abrégée forcément, concer­nant ce fantasme qu’on appelle, et qui est en question, sous le nom de maso­chisme féminin.

 

Qu’on m’entende si j’énonce que le masochisme féminin est, au dernier terme, le profil de la jouissance réservée à qui entrerait dans le monde de l’Autre, en tant que cet Autre serait l’Autre féminin, c’est-à-dire la Vérité. Or la femme, la femme si l’on peut en parler, la femme qu’on essayait hier soir de mettre en suspens dans une typique essence qui serait celle de la féminité, entre­prise fragile, la femme… disons pour autant que comme Freud le développe et l’énonce, malgré un départ distinct de l’homme dans ce jeu qui s’engage où il s’agit de son désir, la femme n’est pas plus dans ce monde que l’homme. Sans doute, il arrive qu’elle le lui représente sous la forme de l’objet a mais il faut le dire : c’est ce qu’elle se refuse énergiquement à être, puisque son but est d’être i(a) comme tout être humain; la femme est narcissique comme tout être humain. C’est dans cette distance, cette déchirure, qui s’installe, de ce qu’elle veut être à ce qu’on met en elle, que s’instaure cette dimension qui se présente dans le rap­port de l’amour comme tromperie. Ajoutons que ce narcissisme, c’est l’impasse, la grande impasse de l’amour dit courtois, qui de la mettre en la position du 1 de l’idéal du moi au champ de l’Autre, à organiser le statut de l’amour à partir de ce point de repère, ne peut qu’exalter le narcissisme, c’est-à-dire accentuer la différence. Dans ces quelques termes se repère l’impasse qu’il y a à essayer de définir, comme une fonction qui s’isolerait, la féminité.

Rien ici, donc, ne se repère qu’en ce terme il y ait un pôle féminin du rapport, du rapport à la chose, et que féminin soit ce terme de la vérité. Féminin est radi­calement trompeur sous toutes les formes où il se présente. Ceci nous servira de départ pour repérer les trois distances [instances ?] où peut s’accommoder le champ de cette recherche que toujours l’ambition des philosophes a signalé comme recherche de la vérité.

Le danger qu’assume l’analyste en prenant la place de guide sur ce chemin est-il celui que le mythe d’Actéon signale comme l’impossibilité de surprendre la mouvance où se dessine notre destin, comme celui que commandent les trois Parques, Clotho, Lachésis, Atropos, forme trinitaire du Dieu foncier, archaïque, ancestral, celui dont nous sépare l’autre révélation, dont nous aurons tout à l’heure à reprendre le repère, à travers Le pari de Pascal qui accommode sur la fonction du Père ce qui nous contient dans une interdiction déterminée à l’en­droit de la jouissance dernière ? C’est déjà l’énoncé inaugural de la pensée de Freud qui nous signale l’importance de sa suspension, de la suspension de toute sa pensée autour de cet interdit du Père dont nous verrons apparaître, tout à l’heure, sous une autre forme, la formule.

Si, dans les années qui ont précédé, c’est sur le cogito cartésien que je vous ai appris à vous arrêter pour vous représenter comment se dessine la schize, l’Entzweiung, la division radicale où se constitue le sujet, – à reconnaître dans la formule du « je pense » ce point où se saisit la rupture de l’être du « je pense » – [celle-ci] ne s’affirme que d’un point de doute, ici c’est pour approcher d’une façon plus sûre cette formulation plus pure de la même fonction du sujet, mais cette fois radicalement en fonction du désir que nous donne Le pari de Pascal. Car assurément, ce qui déjà dans le cogito cartésien suffit à fonder l’être du sujet en tant que le signifiant le détermine comme ne se saisissant qu’au point où autour de l’affirmation du « je pense », il s’est réduit à ce point de doute d’être, ceci n’a plus aucun sens sinon qu’à ouvrir les guillemets de la conclusion qui lui donne toute sa substance, le « donc je suis », comme contenu de la pensée pour autant qu’il rejette dans une rétro-position le « je suis » d’être ce « je pense » : je suis celui qui pense « donc je suis ». Or, nous retrouvons la voie de Freud à considérer qu’en ce doute est toute la substance de l’objet central qui divise ainsi l’être du «Je pense» lui-même pour autant que dans ce doute Freud, dans sa praxis nous fait reconnaître le point d’émergence de cette faille du sujet qui le divise et qui s’appelle l’inconscient.

Le point de suture, le point de fermeture inaperçu dans le « je pense donc je suis », c’est là que nous avons à reconstruire toute la part élidée de ce qui s’ouvre, que nous rouvrons cette béance qui ne peut, sous toute forme du dis­cours qu’est le discours humain, n’apparaître que sous la forme du trébuche­ment, de l’interférence, de l’achoppement dans ce discours qui se veut cohérent. Pourtant, ce qui fonde ce discours n’est point par là saisi, discours du désir, nous dit-on; mais qu’y a-t-il qui fasse que nous puissions dire que ce par quoi nous pouvons y suppléer soit le tenant lieu de la représentation? Vous entendez bien que c’est ici indiquer la place où fonctionne ce qui soutient comme divisé tout ce qui se réalise du sujet dans le discours, que c’est là la place où nous avons à chercher la fonction de l’objet a.

Le doute de Pascal est encore en ce passage d’une opération de balance, dubio, dubito, c’est l’habitude, puisque je m’emploie à faire osciller ces pla­teaux de la balance, c’est autour d’une mise à l’épreuve du savoir au regard de la vérité de ce qu’il en est ou n’en est pas du vrai savoir. Bien sûr Heidegger a belle part à représenter qu’est abandonné le fond irrémédiablement refoulé de l’alétheia de l’Urverdrängung si ce n’est pas ainsi qu’il la nomme, c’est ainsi que nous pouvons l’identifier. Mais ce rappel est fragile de ne représenter qu’un retour à une mouvance sans issue, conformément au terme qui est employé à l’origine de la pensée grecque, c’est de l’éteos qu’il s’agit, de l’Echt, de l’au­thentique.

Descartes installe, en même temps qu’il révèle, à son insu, la division du sujet autour de l’opération de mise à l’épreuve, opération négative, où il est impos­sible de reconnaître comment penchent les plateaux autour du vrai savoir. Il n’en retire que la certitude de l’épreuve opérée et c’est dans ce doute du sujet que s’insère la certitude. Pour reprendre et faire un pas de plus, il faudra qu’il ramène l’argument antique, par où ce qui imprime dans l’ordre de nos pensées l’idée de perfection, se doit de garantir le chemin de notre recherche. Assurément, on peut pointer et dessiner, déjà ici, la distance qu’il y a de prise, au regard de l’argument ontologique dont vous reconnaissez pourtant ici la forme et qui pour avoir eu son prix dans l’exploration du champ de l’être ne mérite plus pour nous d’être ressaisi que sous cette forme qui y apparaîtra cer­taine à qui sa réflexion aura assez montré que l’idée de perfection ne s’ébauche et ne se forme que sur le modèle de la compétition de la bête de concours et que sa substance n’est pas autre que celle dont le porc peut rêver quant à l’obésité de son châtreur. je n’aime pas le vain blasphème et l’on doit savoir que ce que je vise ainsi, ce n’est certes pas la visée d’un certain dévoiement concernant l’interrogation sur l’être divin, mais celle où un certain bétail philosophique s’obs­tine à rester enlisé.

Si bien qu’il faut remarquer que la démarche de Descartes tire l’épingle du jeu du sujet au regard du Dieu supposé trompeur et qu’à se retourner vers l’autre Dieu pour lui rendre la charge entière, à son arbitraire, de fonder les vérités éter­nelles, la question, – elle est importante pour nous, – est de savoir si dans ce jeu, puisque l’épingle est déjà retirée du jeu, c’est bien le sujet qui doute. Même si le Dieu trompeur ne saurait lui retirer ce privilège, celui, même parfait, vers lequel il se retourne n’est pas alors, et je le dis, fort de ce que Pascal l’a pensé avant moi, n’est pas dès lors un Dieu trompé. Ce point sensible est important pour nous et dans notre recherche, pour autant que c’est au piège de la forme idéale, comme en quelque sorte préformée, antéposée au chemin où nous avons à guider la recherche du sujet qui est proprement celle où l’idéal de perfection a à se tromper… [citation grecque]… Ce dont il y a à faire concernant l’acte du médecin, dit proprement Platon, c’est cette image… [citation grecque]… qu’il a, lui, le médecin dans l’âme. N’est-ce pas dire l’importance exacte qu’il y a, la représentation que nous avons à nous faire de la nature de l’enjeu quand il s’agit de l’ordre de rapport à la vérité seule accessible et définie par les conditions où nous engageons l’expérience qui est celle où le sujet est formé dans la dépen­dance du signifiant comme tel.

Voilà ce qu’apure la structure du Pari de Pascal. Quelque part, en un de ces points nombreux où se préfigure, dans ces dialogues de Platon qui sont bien loin, bien sûr, de nous livrer une doctrine en quelque sorte unilatérale du rap­port de tout ce qui est idée à cet éteos dont je parlais tout à l’heure, qui en don­nerait l’essence de tout ce qui dans l’être subsiste. Bien loin de là! A tout instant nous trouverons des références faites pour nous orienter et nommément celle-­ci : entre l’être éternel qui n’existe pas, et ce qui naît et meurt mais qui n’est pas, le signe, la pierre de touche doit nous être donnée en ceci que si le premier sub­siste, il doit se supporter d’un discours invincible. C’est bien encore ce que nous cherchons, à ceci près que ce discours est celui qui doit nous permettre de reconnaître dans ce champ qui est le nôtre, d’une existence cernée entre la nais­sance et la mort, ce que ce discours-là peut tenir qui soit de cet ordre invincible.

C’est ici que nous introduit le discours de Pascal. Nul étonnement qu’il ne parte de cette référence à l’au-delà de la vie et de la mort mais ce n’est pas, je ne dirai pas comme il semble, mais bel et bien comme tout un chacun s’en aperçoit et s’en scandalise, tous ces messieurs de l’idéologie spiritualiste ici se redressent et font la petite bouche : comment parler de ce qui est d’une si haute dignité en termes de ces joueurs qui sont la lie de notre société! Au temps de Victor Cousin seuls les bourgeois ont le droit de se livrer à l’agio; et ceux auxquels sera donnée dans la société la charge de penser à ce qui se passe, ceux qui pourraient avertir le peuple de ce dont il s’agit effectivement dans ce qu’on appelle la marque du progrès sont priés de rentrer dans ces ordres de décence auquel j’ai voulu donner, tout à l’heure, sous une forme scandaleuse, son enseigne énorme, celle du porc châtré, autrement dit, de rester dans les limites de décence de la pensée qu’on appelle l’éclectisme.

N’avez-vous pas remarqué que dans ce pari concernant l’au-delà, Pascal ne nous parle pas, jamais personne n’a vu ça, de la vie éternelle. Il parle d’une infi­nité de vies infiniment heureuses. Ça fait toujours des vies, ça! Et en fin de compte à les appeler ainsi, il leur garde leur horizon de vie et la preuve c’est qu’il commence par dire: est-ce que vous ne pariiez pas seulement pour qu’il y en ait une autre ? Celui que j’ai appelé, tout à l’heure, je veux dire la dernière fois, le bon Lachelier, eh bien il est bien gentil, il s’arrête là; il dit quand même, qui est-­ce qui pariait pour avoir seulement une seconde vie? Retrouvez le passage, je l’ai cherché frénétiquement tout à l’heure, vous le retrouverez aisément. C’est que je ne lui reproche pas ce manque d’imagination, mais n’est-il pas vrai, simple­ment, qu’à courir son petit bonhomme de chemin, d’éplucheur des chances en jeu dans Le pari, il nous invite, nous, à nous poser vraiment la question? Qu’est-ce qui se passe, effectivement, et cela ne vaudrait-il pas la peine d’enga­ger un pari seulement avec quelques chances quant à cette vie entre la naissance et la mort, cette vie qui est la nôtre, d’en avoir peut-être une seconde ?

Laissons-nous arrêter un instant autour de ce jeu, peut-être un peu plus armés que d’autres pour saisir ce qu’apporterait d’irréductible différence, fran­chissement, que nous puissions nous penser ainsi. Car il faut que ces deux vies soient chacune entre la naissance et la mort, mais il faut aussi que ce soit le même sujet. Tout ce qu’on aura joué précisément dans la première, nous savons que nous le pourrons jouer autrement dans la seconde. Mais nous ne saurons pas toujours pour autant quel est l’enjeu. Cet objet inconnu qui nous divise entre le savoir et la vérité, comment ne pas espérer que la seconde nous donne­ra vue sur la première, que pour un sujet le signifiant ne sera pas ce qui repré­sente le sujet à l’infini pour un autre signifiant mais pour l’autre sujet que nous serons aussi ? Comment cet autre sujet, ne pas espérer le privilège qu’il soit la vérité du premier? Dans d’autres termes, ne voyons-nous pas la loi dans cette imagination, fantasme du fantasme, s’éclaircir de ce qui sous le nom de fantas­me joue au secret de cette vie qui est bien telle que nous n’en avons qu’une et que jusqu’à la fin l’enjeu peut nous être caché ?

Cette supposition implicite aux Parques, telle que nous le lisons, si nous le lisons à la chandelle de l’irréflexion où se suspend tout notre sort, cette supposition qu’après la mort nous en aurons le fin mot, à savoir que la vérité sera patente, si oui ou non, il y aura là pour la tenir le Dieu de la promesse ? Qui est-­ce qui ne peut pas voir que cette supposition implicite à toute l’affaire, c’est elle qui la met véritablement en suspens ? Pourquoi après la mort, si quelque chose perdure, n’errerions-nous pas encore dans la même perplexité ?

Le jeu pascalien concernant cette infinité de vies, multipliées par l’infinité d’un bonheur qui doit bien avoir quelque rapport avec ce qui se dérobe à la nôtre, ne peut qu’avoir un autre sens qui n’a rien à faire avec la rétribution de nos efforts aveugles. Et c’est bien en cela qu’il est cohérent que l’homme, dont la foi était toute entière suspendue à ce quelque chose dont nous ne savons même plus parler, – qui s’appelle la grâce, – est dans une position cohérente quand il déroule sa pensée concernant l’enjeu, l’enjeu qui est celui du bonheur, à savoir tout ce qui cause le périssable et l’échoué de notre désir et que cet enjeu du bonheur est par nature à rechercher sur le fond du pari. Cet objet a que nous avons vu surgir dans cet au-delà imaginable, déjà de façon toute proxime à seu­lement imaginer une vie seconde, ce n’est pas quelque chose que la pensée reli­gieuse n’ait pas déjà sondé.

Ceci s’appelle la communion des saints. Nul de ceux qui vivent à l’intérieur d’une communauté de foi, qui a quelque rapport avec ce fondement du bonheur, n’est sans être intéressé à ce que quelque part ce bonheur soit conquis par d’autres de nous ignorés. Cette conception est cohérente de ce que chacune de nos vies, nous autres du commun, n’est rien d’autre que le rêve suspendu au mérite de quelque inconnu, et que ce qui s’exprime traditionnellement dans ce thème exploité par tout un théâtre qui va plus loin dans la dignité que vous ne pouvez le sonder d’abord, si vous ne pensez pas que le théâtre de Shakespeare lui-même en relève, dans le thème de « La vie est un songe ».

Au regard de cette perspective, Le pari de Pascal signifie le réveil. L’étroitesse même du rapport à l’autre concerne cette doctrine de la prédestination et de la grâce dont, dès mon rapport de Rome, j’indiquais qu’au lieu de mille autres occupations futiles, les psychanalystes y tournent leur regard, tel est déjà là des­siné le point d’impact – ainsi qu’à la fin d’un article intitulé « Remarques sur un certain discours », auquel je vous prie de vous reporter, – marquer que le point où d’ores et déjà je désirais vous diriger au regard de la fonction de ce pari.

Car maintenant nous pouvons voir ce que signifie ce Pari, unique, en ceci que l’enjeu y est l’existence du partenaire. Si Pascal peut mettre en balance ce quelque chose qui n’est point le tout, mais l’infini qui s’ouvre, à seulement savoir le reconnaître en ce point où nous avons appris l’année dernière à dési­gner substantiellement la fonction du manque, à savoir le nombre où l’indéfini n’est que le masque du véritable infini qui s’y dissimule et qui est justement celui ouvert par la dimension du manque, à le mettre en balance avec ce qui se désigne dans le champ du sujet comme objet cause du désir, qui se signale de n’être rien apparemment, et de cette confrontation même du balancement porté au-delà, au niveau du champ de l’Autre, de ce champ où pour nous se dessine toute la mise en forme signifiante à laquelle Pascal nous dit: vous ne pouvez pas échapper, vous êtes embarqués, déjà; c’est ce que le signifiant supporte, tout ce que nous appréhendons comme sujet. Nous sommes dans le pari, et c’est à celui à qui il appartiendra comme il fut donné à Pascal d’en reconnaître les formes les plus pures, les plus voisines de cette fonction du manque, c’est là autour de cette oscillation frappant l’Autre et le mettant entre cette question que j’ai déjà for­mulée et que je me permets de rappeler parce que certains ici s’en souviennent, cette question du « rien peut-être » et ce message du « peut-être rien », que les réponses viennent à la première: « pas sûrement rien », à la seconde, pour autant que l’enjeu pour un Pascal est justement celui de ce rien fondé dans l’effet sur nous du désir : « sûrement pas rien ».

Je veux éclairer bien la topologie de ce qu’ici je désigne. J’ai trouvé, il y avait bien d’autres voies pour la faire jaillir, mais j’aimerais prendre la voie neutre, un logicien de la grammaire, tant pis. Il y a d’excellentes choses, parmi d’autres plus médiocres, dans un livre de Willard Van Orman Quine qui s’appelle: Word and Object. Vous y trouverez au chapitre IV… [Les caprices de la référence – éd. française] intraduisible : referential vagaris, flottement… quelques remarques. Elles partent de ceci qui est la position fregienne à laquelle nos exercices de l’an­née dernière nous ont accoutumés concernant la différence de ce qui est Sinn et de ce qui est Bedeutung; de ce qui fait sens, d’où je vous ai montré l’avis dans l’exemple : «green colourless ideas », et de ce qui concerne le référent.

Au moment de cette parenthèse que constitue Le pari de Pascal dans la suite de ma topologie, au moment où vous ayant présenté dans le cross-cap la surface où nous pouvons discerner se conjoindre les deux éléments du fantasme, ceux qui ne fonctionnent qu’à partir du moment où la coupure fait que l’un de ces éléments, l’objet a se trouve en position d’être la cause d’une invisible, insaisis­sable, indiscernable division de l’Autre, le sujet. La question est par nous sup­portée dans ce modèle du pari de concevoir non pas ce qu’est ce fantasme mais comment nous pouvons nous le représenter. Il est bien clair que dans son imma­nence il est inabordable et qu’il s’agit d’expliquer pourquoi l’analyse permet de nous faire tomber dans la main le petit a dont il s’agit. C’est pour autant où une autre forme, celle que je n’ai point encore ramenée cette année, celle qui, topo­logiquement, contingentement – si j e puis dire, – de la bouteille de Klein nous le livre. La fonction de l’Autre dans cet Erscheinung possible qui ne saurait être représentation de l’objet a, voilà ce que les dernières explications, sur lesquelles sans doute s’arrêtera mon discours d’aujourd’hui, vont essayer d’éclairer.

Allons tout de suite à ce dont il s’agit : à savoir, la croyance. Quand je vous ai parlé tout à l’heure de cette seconde vie, il pourrait apparaître cette réflexion, étalement, disjonction du fantasme. Est-ce que vous ne vous êtes point fait inci­demment la réflexion que ce serait là donner à notre existence ce jeu aux entour­nures qui permettrait de relâcher un peu son sérieux ? Il n’y a qu’un malheur, c’est que cette seconde vie qui n’existe pas et que j’ai essayé un instant, à l’inté­rieur du sérieux du Pari de Pascal de faire pour vous vivre, eh bien nous y croyons. Nous ne parions pas mais justement, si vous y regardez de près, vous verrez que vous vivez comme si vous y croyez. Cette doublure qui fait les délices des psychologues et qui s’appelle à l’occasion le niveau d’aspiration, rien ne s’entend aussi bien que les psychologues pour donner statut à toutes les immondices dont notre sort est perverti; cela s’appelle notre vie idéale – celle précisément que nous passons notre temps à rêver, mollement.

Monsieur Willard Van Orman Quine cite avec quelque astuce à propos d’un petit exemple, que je ne vois pas du tout pourquoi je le changerais, ce qu’il arri­ve dans ce qu’on appelle les fonctions propositionnelles qui ont pour modèle ceci : – je laisse les noms – Tom croit que Cicéron a dénoncé Catilina. La chose prend son intérêt, parce que c’est en raison d’une information bornée, Tom croit que celui que, dans les tragédies du XVIe siècle, on aurait aussi bien désigné par ce nom francisé non pas de Tullius mais de Tulle, à savoir pour nous qui bien entendu sommes érudits, c’est le même Cicéron, Tom croit que Tulle est vraiment incapable d’avoir fait une chose pareille. Dès lors qu’en est-il de la référence du signifiant Cicéron quant à l’énoncé : si Tom croit que Cicéron a dénoncé Catilina et qu’il maintient que Tulle – il ne sait pas qu’il est le même – n’en a rien fait? C’est autour de cette suspension qu’un grammairien appor­te des précisions fort intéressantes sur la façon dont il convient de mesurer à l’aune de la logique telle ou telle forme de grammaire. Car il devient intéressant de remarquer que si dans une même forme vous substituez à la nomination une forme indéfinie, ce qui paraîtrait donc devoir opacifier encore plus la référence, bien au contraire, la « referencial vagaris », à savoir l’opacité qu’introduit la fonction propositionnelle : « Tom croit », c’est ici qu’il ne saurait s’agir de dire que la référence devient vague à partir du moment où vous dites que Tom « croit » que quelqu’un a dénoncé Catilina. Assurément on peut aller plus loin et s’apercevoir que ce n’est pas la même chose de croire que quelqu’un a dénon­cé Catilina, ou de dire que quelqu’un existe dont Tom croit qu’il a dénoncé Catilina. Mais vous voyez que nous commençons à entrer là dans un système de double porte qui, peut-être, nous entraînerait un peu loin.

Mais pour vous ramener à la question de l’existence de Dieu ceci vous fera saisir la différence qu’il y a entre dire : « Il croit que Dieu existe », – surtout sinous le trouvions dans le texte de quelqu’un qui nous dirait qu’on peut penser la nature de Dieu – or précisément Pascal nous dit qu’elle est à proprement parler non seulement inconnaissable mais impensable et donc qu’il y a un monde entre croire que Dieu existe dans ce que contrairement à ce que pensent les représentants de l’argument ontologique, il n’y a aucun référent de Dieu et que par contre dire, concernant l’indéterminé que devient Dieu dans « je parie que Dieu existe », c’est dire tout autre chose parce que ceci implique qu’au-dessous de la barre Dieu n’existe pas.

En d’autres termes, dire : je parie que Dieu existe ou pas (il faut ajouter le ou pas), c’est introduire ce référent dans lequel se constitue l’Autre, le grand Autre, comme marqué de la barre qui le réduit à cette alternative de l’existence ou pas, et à rien d’autre.

Or c’est bien ce qui est reconnaissable dans le message originel par où appa­raît dans l’Histoire celui qui change à la fois les rapports de l’homme à la vérité et de l’homme à son destin, s’il est vrai – comme on peut dire que je vous le serine depuis quelque temps – que l’avènement de la Science, de la Science avec un grand S – et comme je ne suis pas seul à le penser puisque Koyré l’a si puis­samment articulé – cet avènement de la Science serait inconcevable sans le mes­sage du Dieu des Juifs. Message parfaitement lisible en ceci…, – vu que quand celui encore mal dépêtré de ses fonctions de mage en communication avec la Vérité, – car ils furent en communication avec la vérité, il n’y a pas besoin de se régaler des dix plaies de l’Egypte pour le savoir…, si vous aviez les yeux ouverts, vous verriez que la moindre de ces poteries qui sont inexplicablement pour nous le legs des âges antiques, respire la magie, et que c’est bien pour cela que les nôtres ne leur ressemblent pas.

Si je mets tellement au premier plan certains menus apologues comme ceux du pot de moutarde, ce n’est pas pour le simple plaisir de parodier les histoires de potier. Quand Moïse demande au messager dans le buisson ardent de lui révéler ce nom secret qui doit agir dans le champ de la vérité, il ne lui répond que ceci, Eyè asher eyè, ce qui comme vous le savez – du moins pour ceux qui m’entendent depuis quelque temps – n’est pas sans proposer des difficultés de traduction, dont assurément la plus mauvaise, pour être formellement accentuée dans le sens de l’ontologie, serait: « Je suis celui qui suis »; asher n’a jamais rien voulu dire de pareil; asher c’est le « ce que » et si voulez le traduire en grec c’est le je suis ce que je suis, ce qui veut dire, tu n’en sauras rien quant à ma vérité entre ce « je suis » préposé et « celui qui est à venir », l’opacité subsiste de ce « ce que » qui reste comme tel irrémédiablement fermé.

Je raye sur le grand A [A ?] cette barre, ce en quoi c’est là, à l’ouverture que nous venons frapper pour qu’en choît ce qui, dès lors, dans Le pari de Pascal ne se conçoit comme rien de représentable mais comme le réel vu par transparen­ce au regard de cette brume subjective, de ce qui se profile de fumeux et d’inco­hérent de rêve sur le champ de l’Autre dans ce qui nous sollicite au réveil, à savoir ce petit a. C’est vrai qu’il est réel et non représenté, qu’il est là saisissable en quelque sorte par transparence, selon que nous-mêmes avons su organiser plus ou moins dans la rigueur signifiante le champ de l’Autre.

Ce petit a que nous connaissons bien, j’aurai à vous expliquer, et seulement maintenant, son rapport au surmoi. C’est quand il est au-delà de la paroi d’ombre représentée par cet Autre suspendu autour de la pure interrogation sur son existence que le réveil, c’est là ce qui permet de le faire choir, non pas post­posé mais antéposé par rapport à ce champ opaque du rêve et de la croyance. Le rapport de l’analyste au regard de cet Autre dont je vous ai donné la définition l’année dernière, je vous l’ai déjà donnée, c’est là que la position de l’analyste est à définir. Le partenaire, le répondant, celui à partir de quoi s’inaugure la possi­bilité de l’entrée dans le monde d’un ordre d’homme qui ne soit point soumis à l’éternel leurre des fausses captures de l’être mais qui dépend de la réalisation de ceci que cet Autre, que ce partenaire, celui qui n’est pas celui dont nous tenons la place mais avec lequel nous avons à engager la partie à trois avec l’analysé et même avec un quatrième, que cet Autre sait qu’il n’est rien.

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