samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIII L'OBJET DE LA PSYCHANALYSE 1965 – 1966 Leçon du 30 mars 1966

Leçon du 30 mars 1966

 

Je rappelle aux quelques-uns d’entre vous qui n’étaient pas là la dernière fois que l’administration de l’École m’a chargé de vous demander de ne pas fumer; de ne pas fumer, cher Alain, c’est une demande de l’administration de l’École.

Cette dernière fois, donc, je vous ai parlé au premier abord de ce que je pou­vais donner immédiatement de ma visite aux Amériques. C’est là un sujet qui n’a pas fini, je pense, de porter ses fruits ou ses conséquences, dans la suite de ce que j’aurai à vous dire. Pour aujourd’hui nous le laisserons radicalement de côté. On m’entend au fond? Pas très bien. Et que donc ce sujet, je ne le repren­drai pas aujourd’hui.

Je n’ai pas parlé que de cela la dernière fois et pour ce que j’ai dit d’autre, je me suis aperçu que j’avais mis, disons, certains dans l’embarras, pour ne pas dire, produit chez eux quelque scandale. En effet, j’ai touché à deux points : le premier, à cause de l’article de Michel Tort, j’ai dit, j’ai tenu sur le plagiat quelques propos qui m’ont valu la manifestation d’un étonnement. « Comment, a pu me dire l’un des meilleurs de mes auditeurs, pouvez-vous faire bon mar­ché, comme vous l’avez énoncé, du plagiat? », répétant ce que pourtant j’avais dit depuis longtemps, depuis très longtemps, depuis toujours, ceux-là le savent qui me suivent depuis l’origine, qu’il n’y a pas de propriété des idées. « Est-ce que vous ne semblez pas tenir beaucoup vous-même que de ce qui vous est dû, hommage à l’occasion, vous soit rendu ? »

Je crois qu’il y a là un point à préciser : si en effet il est bon qu’à chacun, pas seulement à moi, hommage soit rendu de ce qu’il peut apporter de nouveau dans la circulation de ce qui s’articule d’un discours cohérent, ceci ne peut être que du point de vue de l’histoire et d’une façon qui doit y rester limitée. Qui donc songerait, faisant un cours de mathématiques, à rendre à chacun des initiateurs de ce qu’il est amené à articuler dans son cours, sa place et son dû ? Tout ceci reste assimilé, réintégré, repris, généralisé ou particularisé selon les cas, et d’une façon après tout qui se passe fort bien de toute référence au premier temps de la mise en circulation d’une démonstration ou d’une forme.

C’est pourquoi j’ai entendu déplacer l’accent sur ce que j’ai appelé, d’une façon plus ou moins propre, détournement d’un mouvement de la pensée. Ceci est bien autre chose. Quand un discours, dans ce qu’il a de conquérant, de révo­lutionnaire pour appeler les choses par leur nom, est en train de se tenir – et de nos jours nous savons où ces discours se tiennent, – pour reprendre les opéra­tions, voire même le matériel et l’orienter à des fins qui sont proprement celles d’où il entend se distinguer, c’est là qu’il serait au moins nécessaire de rapporter les éléments du discours là où on les a pris et où ils ont été créés, orientés, à une fin parfaitement articulée et claire et qui est celle qu’on entend desservir. Si l’analyse est une opération qui se poursuit en référence à la science et, en tant que reposée d’une façon entièrement orientée par l’existence de cette science, la question de la vérité, cette interrogation, est par l’analyse portée à son maxi­mum, au maximum d’étroitesse précisément, qui correspond à cette visée que c’est la science qu’elle interroge.

Si sur cette question de la vérité c’est la religion qui doit donner la réponse, que ne le dit-on ouvertement ? Mais alors, qu’on ne se targue pas de la position du philosophe, qui jusqu’à ce jour précisément n’a jamais varié de s’en distin­guer, de cette réponse religieuse. Personne n’a encore osé faire de Freud un apo­logiste de la religion. Pour quelqu’un ne pas reconnaître que c’est moi qui lui ai appris à lire Freud, alors que cette opération est en cours, pour en détourner l’incidence, de cette lecture, sur les sables du désarroi de la pensée spiritualiste, ceci est proprement une malhonnêteté, non pas d’écrivain qui dérobe tel ou tel passage du discours d’un confrère mais de philosophe. C’est à proprement par­ler une trahison philosophique à laquelle je ne donnerai pas cette sorte de gran­deur qui serait de révéler ce qu’il peut y avoir à partir d’un certain moment de malhonnêteté foncière dans la position philosophique elle-même, si elle ignore combien la psychanalyse la renouvelle. Dans ce cas, c’est simplement une mal­honnêteté débile, un manque absolu de sérieux, un pur désir de parade, dont je remercie Monsieur Tort d’avoir démontré l’inopérance et le ridicule.

J’ai parlé ensuite d’autre chose que j’ai à peine amorcée. J’ai parlé du retour­nement, introduisant ce que j’ai à vous dire aujourd’hui sur le plan du topolo­gique, et de ce retournement il s’est trouvé que certains se sont sentis un tant soi peu retournés. C’est qu’à la vérité dans un certain contexte les mots portent et que là encore nous nous trouvons bien sûr rapportés à ce qu’il en est, non tant de l’usage des idées, mais de l’usage des mots. Prendre un mot comme support d’un nœud du discours n’est assurément pas une opération inoffensive, puisque ce mot a déjà pu être pris dans un autre discours. C’est un autre niveau de la fonction de l’homonymie et dans certains cas il peut en effet emporter avec lui certaines conséquences.

Ce retournement que j’ai donc amené au jour, ou plutôt ramené, comme vous allez le voir à propos de la figure du tore, j’ai cru pouvoir le faire d’une façon assez rapide croyant qu’au moins dans une partie de mon auditoire on se sou­venait qu’à la fin de l’année 1962, c’est le séminaire 1961-1962 sur l’Identification, celui où j’ai mis au jour la fonction fondamentale du trait unai­re, de la coupure et où j’introduis déjà la fonction des différentes formes topo­logiques dont le vais avoir à parler aujourd’hui à propos du tore; le 30 mai 1962 exactement, j’ai expressément montré comment s’articulaient deux champs qui étaient proprement ceux des deux tores, si vous voulez, pris l’un dans l’autre telle que cette figure peut le représenter; et comme je l’ai longuement détaillé, comment il est possible de voir dans le roulement de l’un sur l’autre, roulement dont il est démontrable qu’il est spéculativement possible, la possibilité d’un entier décalque de tout ce qui peut se dessiner sur l’un au cours de ce roulement sur l’autre, avec ce que ceci comporte : c’est que la coupure suivante dont j’ai montré l’importance, parce que c’était précisément là ce sur quoi j’ai pendant cette année longuement insisté, que la coupure suivante que nous avions appris à traduire comme le chemin entourant, si l’on peut dire, le corps du tore, c’est la demande.

Et comme il est nécessaire qu’une demande qui se répète dans cette forme d’équivalence, ne puisse se former que – je m’exprime dans des termes imagés et simples de façon à bien me faire entendre d’un auditoire qui n’est pas forcé­ment initié aux formes proprement mathématiques qui donneraient à ceci sa rigueur – qu’à faire, si je puis dire, le tour de ce trou central, qui est la propriété topologique essentielle du tore, celle qui introduit dans son extérieur cette énigme de contenir un intérieur par rapport à l’intérieur du tore, ou si vous vou­lez d’une façon plus rigoureuse, de permettre que des circuits fermés à l’inté­rieur du tore s’enchaînent ou se bouclent par rapport à des circuits fermés qui sont extérieurs.

je vous l’illustre : voici – je vais le faire dans une autre couleur, – voici un circuit fermé à l’intérieur, vous voyez que c’est un tore. Il est possible de faire un circuit fermé à l’extérieur qui soit bouclé avec le circuit fermé intérieur. Ce qui est strictement impossible dans la formule topologique qui forme depuis toujours le modèle sur lequel s’articule la pensée de l’intérieur et de l’extérieur, qui est la sphère; quelque circuit fermé que vous fassiez à l’intérieur de la sphè­re, il ne sera jamais pour vous avec un circuit fermé extérieur.

Cette forme topologique étant restée longtemps la forme prévalente pour toute conception de la pensée et restant, immanente à l’usage des cercles d’Euler en logique, c’est précisément là l’intérêt des nouveautés topolo­giques que je promeus devant vous, et de vous montrer de quel usage elles peu­vent être pour résoudre certaines impasses des problèmes qui nous sont, à nous, posés par la topologie de notre expérience et qui trouvent dans ces nouvelles formes topologiques leur support et leur solution.

Que ce retournement soit bien un retournement, ceci peut se voir aisément, et je le dis tout de suite. C’est de l’ordre, semble-t-il, de la recréation mathéma­tique que de le représenter, comme je vais vous le représenter. Néanmoins cela garde tout son intérêt et toute son importance, et comme je ne pourrais pas l’in­sérer aisément dans la suite de mon discours, je vais vous en donner tout de suite l’image. Considérez simplement ceci comme une introduction à ce qui va vous être dit d’une façon plus cohérente et plus développée.

Ce n’est pas simplement d’un autre tore qu’il s’agit dans celui-ci qui peut ser­vir de décalque à ce qui est inscrit sur l’autre. Topologiquement, un tore est quelque chose de tout à fait équivalent à ce qu’on appelle en topologie l’inser­tion sur une sphère d’une poignée. Vous voyez bien que par transformation continue, comme on s’exprime dans certains manuels, c’est exactement la même chose, un tore ou une poignée, que cette espèce de cloche fermée. Il vous sera aisé de comprendre la légitimité du terme de retournement si nous donnons à ce mot son sens intuitif dont ce n’est pas pour rien qu’il évoque la manipulation, la manœuvre, la main. Cette main qui est présente jusque dans le terme alle­mand pour désigner le traitement, Handlung. La faveur que nous pouvons y trouver est justement celle, sinon de complètement réduire ce qu’il y a de pré­valence visuelle dans le terme d’intuition, tout au moins de la faire reculer. Déjà les Stoïciens en avaient senti l’importance, toute la nécessité, certains d’entre vous savent ce qu’ils en faisaient de la main ouverte, de la main fermée, du poing, voire de ce retournement que la main image. Ici c’est à proprement par­ler de cette sorte de retournement qui est lié à l’usage de la main. Le retournement d’une peau qui recouvre la main, retournement du gant auquel nous fai­sons référence.

Le fait qu’un gant droit retourné fasse un gant gauche, et plus exactement fasse l’image du gant dans le miroir pour autant que l’image du gant dans le miroir, c’est le gant de l’espèce opposé, voilà le point de départ de l’intérêt que nous portons à ce terme de retournement. N’oubliez pas que cet exemple intui­tif est proprement ce qui a nécessité pour Kant certains des amarrages de son Esthétique Transcendantale. je ne m’y arrête pas plus longtemps pour l’instant mais consultez le chapitre qui, si mon souvenir est bon, est le chapitre XIII des Prolégomènes à toute métaphysique future. Vous en verrez l’importance qui va s’enraciner plus loin dans toute la discussion entre Leibniz et Newton sur la nature de l’espace.

Pour le cas de notre sphère avec la poignée, elle est uniquement là, surtout sous cette forme, pour vous rendre sensible ceci, qu’un tore est tout aussi retournable qu’un quelconque support homologue sphérique tel que le gant. Car le gant, vous le voyez bien, n’est pas dissemblable, quant à sa topologie, d’une sphère; il suffit que vous souffliez assez fort sur sa baudruche pour le voir se réduire à une forme sphérique. Le tore est retournable également. Il suf­fit en effet, pour que vous le voyiez tout de suite, que passant par une ouver­ture quelconque votre main vous alliez accrocher l’intérieur de la poignée pour voir ce qui s’y passe. Voici maintenant ma sphère ouverte pour ma main et retournée. Ici vous voyez se dessiner, avec deux trous dans la sphère, ce qui pourrait apparaître être une poignée intérieure. je vais mettre mon doigt, ici, à l’intérieur de cette poignée intérieure. Il vous est du même coup immédiate­ment sensible, je pense, qu’à tirer là-dessus, vous voyez se produire, se repro­duire, une poignée extérieure. Il n’y a pas de poignée intérieure insérable sur une sphère. Toute poignée est toujours une poignée extérieure. La seule diffé­rence avec la première, c’est celle qui est ici, cela sera de se profiler ainsi dans un axe sagittal par rapport à vous, alors qu’elle était ici transversale, autrement dit, de même que les deux tores précédents, d’être l’un par rapport à l’autre, dans une position de déplacement d’un quart de tour, non pas d’un demi-tour, comme dans une translation qui tenterait d’en reproduire l’équivalent, mais d’un quart de tour. Ce quart de tour est très important car il est irréductible à toute translation spéculaire.

Néanmoins il reste au niveau du tore quelque chose qui n’apparaît pas aus­sitôt qui nous détache des possibilités particulières qui font que le retourne­ment, la substitution de l’endroit à l’envers et inversement est quelque chose qui reproduit la formation spéculaire. On pourrait dire ici qu’on trouve quelque chose qui, à ce quart de tour près, ferait de l’image retournée du tore après tout quelque chose qui n’est pas, qui est réellement, qui n’est pas fon­damentalement différent du point de vue topologique et qui en donne enco­re en quelque façon un équivalent spéculaire. Je le répète, c’est à ce déplace­ment d’un quart de tour près dont nous allons mieux voir à rapprocher le tore des formes topologiques de sa famille, qu’il est déjà quelque chose qui sépa­re le tore de toute surface d’homologie sphérique concernant cette relation à l’image spéculaire.

Nous allons le voir maintenant plus en détail. Mais pour ne pas faire baisser, si je puis dire, votre attention, à m’étendre sur ce qui fait la forme générale de ces aspects topologiques qui se distinguent de la sphère, je vais tout de suite matérialiser pour vous ce dont il s’agit : il s’agit du rapport d’un décalque à l’image spéculaire; vous n’avez qu’à vous reporter à ce que j’ai déjà suffisam­ment, je pense, manipulé devant vous de la surface ou de la bande de Moebius, pour vous rappeler à la fois ce que je vous en dis et ce qui en vient aujourd’hui dans mon explication.

Si la surface de Moebius se fait de joindre les deux extrémités d’une bande ‘           après un demi tour, et s’il en résulte ce que je vous ai dit, en son temps, une sur­face unilatère, vous pouvez vous souvenir de ce que je vous en ai dit ici dans mon cours il y a déjà deux ans, c’est à savoir que pour recouvrir cette surface, pour en faire l’équivalent et le décalque, il faudra que vous en fassiez deux fois le tour, c’est-à-dire que partant d’un point ou d’une ligne transversale qui est celle-ci, vous arrivez après un tour, à être à l’envers du point d’où vous êtes d’abord parti et qu’il faut que vous fassiez un second tour, pour revenir conjoindre votre décalque à la ligne dont vous êtes parti. Vous aurez donc un décalque, une surface collée à la première, qui aura diverses propriétés dont la première d’abord est d’être, pour nous, pour parler rapidement, deux fois plus longue que la première, d’autre part d’être complètement différente d’elle, du point de vue topologique. Elle n’est ni homéomorphe ni homéotope; elle n’est pas homologue, car elle, au lieu de se conjoindre à elle-même après un demi-­tour, une demie torsion sur elle-même, elle se conjoindra à elle-même d’une tor­sion complète, ce qui aura pour effet de vous la présenter de la façon que je peux facilement reproduire en coupant celle-ci par son milieu – j’ai déjà maintes fois fait ce geste, – à savoir quelque chose qui se présente comme une double boucle, laquelle est conjointe d’une façon bien particulière qui reste à préciser, qui n’est pas n’importe laquelle mais dont je vous ai déjà dit, et montré qu’elle a pour propriété d’être applicable sur la surface d’un tore, d’une façon qui reproduit exactement la double boucle et l’inclusion du trou central dans cette boucle, qui est exactement celle-ci.

Cette différence qu’il y a du décalque radical à ce dont il part, c’est là pro­prement ce sur quoi repose cette distinction que je fais lorsqu’en parlant de l’ob­jet a, je dis qu’il n’est pas spéculaire; l’objet a étant précisément de la bande de Moebius, ce qui la complète et ce qui est son support, ce qui forme la bande de Moebius pour donner cette surface complétée, auxquels sont donnés légitime­ment les noms divers de plans projectifs quelquefois ou mieux encore, dans le cas où nous la représentons, cette construction que j’ai maintes fois représentée devant vous sous cette forme dont vous savez qu’elle représente l’entrecroise­ment de ce qui est la surface qui se gonfle ici dans la partie inférieure de cette baudruche, l’entrecroisement de cette surface avec elle-même qui, ici passe der­rière, de même ici, celle-ci passe derrière. C’est ce qu’on appelle le cross-cap; la partie supérieure, ou plus exactement, quand nous avons, comme dans cette figure, amputé la partie sphérique inférieure ou calotte, ceci représente ce qu’on appelle le cross-cap ou autrement dit la mitre : l’ensemble de la figure, si vous voulez, pelons-la, pour ça, pour cette forme représentée, la sphère mitrée. Ce qui donne une actualité singulière, si vous me permettez un peu de fantaisie, aux représentations de Dali des évêques morts sur la plage de Cadaquès. Quoi de plus beau, semble avoir deviné Dali, qu’un évêque statufié, pour représenter ce qui nous importe ici, à savoir le désir.

Cette propriété générale d’un certain nombre de fonctions topologiques, de se présenter avec une distinction plus ou moins apparente – mais dont je pense ici vous avoir fait saisir au niveau de la bande de Moebius le caractère, – s’im­posant alors qu’il peut être, dans certaines des autres formes, plus larvé, voilà ce qui est essentiel à distinguer et qui, pour nous, nous dirige vers ce que, pour par­ler rapidement, nous appellerons, si vous le voulez, les formes mentales qui sont celles auxquelles nous devons accommoder notre expérience, ce qui est là seu­lement une approche de la question, laquelle est celle-ci : quel est le rapport de cette structure avec le champ de notre expérience ?

Quelqu’un m’a demandé récemment – j’entends quelqu’un qui n’est pas de notre domaine, qui est un mathématicien fort distingué, dont j’ai l’honneur d’être l’ami depuis quelque temps et que certains ici connaissent au moins par la liaison que j’ai commencé d’établir entre eux et lui, – ce quelqu’un qui n’a pas du tout été inattentif à la sortie du premier Cahier du cercle épistémologique m’a posé certaines questions sur tel ou tel texte de M. Milner ou de M. Miller et s’est inquiété en quelque sorte sur ce dont il s’agissait, si c’était à savoir de modèles mathématiques ou même de métaphores; j’ai cru pouvoir lui répondre que les choses dans ma pensée allaient plus loin et que les structures dont il s’agit, ont droit à être considérées comme de l’ordre d’un upokeimenon d’un support, voire d’une substance de ce qui constitue notre champ.

Le terme donc de forme mentale, comme toujours, est là un terme d’ap­proche mais inapproprié. N’oubliez pas pourtant que celui qui a introduit de façon éminente cette question de la révision des formes topologiques comme fondement de la géométrie – Henri Poincare pour le nommer, et ces publica­tions qui commencent, comme vous le savez, au compte rendu de la Société de Mathématiques de Palerme, – entendez bien qu’il s’agissait là de quelque chose qui nécessite chez le mathématicien lui-même une sorte d’exercice, d’exercice d’auto-brisure des cadres intuitifs qui lui sont habituels et qu’il admettait que dans ces références il y avait la source d’une sorte de conversion de l’exercice intuitif de l’esprit qu’il considérait comme non seulement fondamental mais nécessaire à l’inauguration de cette révision.

Disons maintenant quelles sont les formes dont il s’agit et quelles sont celles qui vont nous servir. Elles sont au nombre de quatre dont brièvement, à l’usage de ceux pour qui ces termes ont un sens, je dirai que le caractère commun est que la caractéristique dite d’Euler Poincaré, précisément que je viens de nom­mer, y est égale à zéro. je ne vais pas vous dire ce que c’est que cette caractéris­tique d’Euler Poincaré, néanmoins, je vais tout de même vous en donner une pointe, un aperçu, sans ça, à quoi bon le nommer? Commençons d’abord par énumérer ces quatre formes. Elles sont

– le cylindre ou le disque troué, ce qui topo logiquement est exactement la même chose.

– le tore

– la bande de Moebius

– et la bouteille de Klein.

Ces quatre formes topologiques ont cette constante d’Euler Poincaré. Pour vous donner l’idée de la différence qu’il y a entre ces surfaces et celle de la sphè­re, je vous rappellerai que la sphère (j’ai mis des ombres pour la rendre plus mignonne) la sphère et tout ce qui lui est homologue, à savoir par exemple, tous les polyèdres que vous connaissez qui peuvent s’y inscrire, – car quelle que soit la complication de ces polyèdres, ils sont homologues à une sphère, – si vous faites à l’intérieur de la sphère, par exemple, un tétraèdre, vous verrez qu’il n’est pas de nature essentiellement différente, il n’y a qu’à souffler dans le tétraèdre assez fort pour qu’il devienne sphérique [figure XIII – 10]. Eh bien, l’une des incarnations de cette constante d’Euler consiste à prendre, quand il s’agit du polyèdre, le nombre de ses faces (F), le nombre de ses arêtes (A), et le nombre de ses sommets (S), et à y colloquer alternativement le signe plus et le signe moins par exemple + F – A + S (je fais ici un signe moins et deux signes plus et nous avons pour ce qui est du tétraèdre : + 4 – 6 + 4).

Vous voyez que ceci donne exactement pour résultat le chiffre deux. C’est précisément parce que si vous faite 4 – 6 + 4 ça fait deux. Vous pouvez vérifier ceci à propos de n’importe quel polyèdre; si je vous ai mis le plus simple, c’est pour ne pas vous fatiguer; si vous prenez un dodécaèdre, le résultat sera le même. Mais si vous faites un polyèdre quelconque qui soit inscrit dans un tore, vous vérifierez facilement qu’à faire la même opération, à savoir l’addition des faces avec les sommets, et la soustraction des arêtes, vous aurez zéro.

Maintenant, – changez tout ça – quel est l’usage que nous pouvons faire de ces quatre éléments topologiques respectivement le cylindre, le tore, la bande de Moebius et la bouteille de Klein ? C’est là que nous allons venir maintenant et vous parlant de cet usage, il faut d’abord que je mette l’accent sur certaines des propriétés, l’usage viendra après. Impossible de vous en jeter à la tête, si je puis dire, tout de suite la valeur opératoire dans telle ou telle de nos références, impossible de vous en donner la translation, la traduction tout de suite, si d’abord je ne mets pas en valeur ce qui les distingue l’une de l’autre et ce qui leur donne ces précieuses propriétés, qui ne sont autres, je vous le répète, que les propriétés même de notre champ, que nous voyons ici en raison du fait que ces figures ne sont pas quoi que ce soit que vous puissiez légitimement traduire par ce par quoi je suis pourtant forcé de vous les représenter, à savoir par quelque chose qui s’intuitionne mais par quelque chose qui dans toute sa rigueur ne s’ar­ticule que de référence symbolique et d’une formulation qui ne se supporte que de l’usage plus ou moins élaboré et combiné de ce que j’appellerai des lettres, pour autant qu’une théorie des ensembles pourrait ici vous amener à ce chapitre particulier de la topologie qui nous attache dans l’occasion, – je pourrais entiè­rement vous le développer au tableau – sous la forme d’une série de formules qui ne se distingueraient pas à votre regard de l’usage commun des formules algébriques, et que ça serait évidemment d’un cheminement beaucoup plus sûr pour l’usage que nous pourrions en faire.

Autrement dit, il importe, concernant ces surfaces, que vous fassiez la dis­tinction dans votre esprit, de ce qu’il en est de la surface locale et de la surface globale. Il est de la conséquence de votre capture par ce qui s’appelle l’intuition, autrement dit l’imaginaire, que vous pensiez ces surfaces comme des surfaces locales, c’est-à-dire que vous ne puissiez pas détacher dans l’intuition d’une portion quelconque de ces surfaces de ce qu’implique le fait qu’une surface locale peut faire partie d’un plan indéfini ou d’une sphère, ce qui est équivalent topo logiquement. Mais toute parcelle d’une surface globale, telle qu’elle est définie ici topo logiquement, doit se concevoir comme porteuse essentiellement des propriétés de la surface globale.

C’est pourquoi, par exemple, il ne nous intéresse absolument pas de considérer dans le tore un de ces petits fragments que nous appellerons disque dans l’occasion en tant qu’il peut se réduire à un point. Ceci n’a rien à faire topo logi­quement avec le tore, car ce qui distingue le tore de la sphère où la même chose se produit comme sur le plan, c’est qu’il y a dans le tore des circuits fermés, exactement apparemment équivalents à celui que nous avons défini ici tout d’abord, et dont vous voyez bien qu’il se distingue radicalement du premier en ceci qu’il ne découpe rien à la surface du tore, il l’ouvre simplement, il le trans­forme en un cylindre, et d’autre part qu’il ne peut, d’aucune façon se réduire à un point puisque le trou central du tore est ce qui arrêterait, si je puis dire, son rétrécissement, [Figure XIII – 11].

Sur un tore, vous voyez bien qu’il existe deux sortes de circuits fermés de cette espèce; voici l’autre. Et vous reconnaissez ici donc les deux formes de cou­pure que dans un premier abord, j’ai demandé qu’on me suive par hypothèse en convenant d’attacher à l’un la connotation d’une de ces coupures signifiantes que nous pourrions considérer comme représentant la demande, à cette condi­tion que nous nous apercevions de ce que comporte la répétition de ce cycle quand il ne se ferme pas et comment, pour se fermer, il doit obligatoirement passer par le circuit de l’autre espèce; [figure XIII – 12] que de ce fait, nous nous apercevons pouvoir particulièrement aisément symboliser ce fait que pour nous ce que la demande se trouve supporter par rapport à ce que je vous ai appris à considérer comme sa conséquence à savoir la dimension du désir, elle ne saurait le supporter comme tel qu’à se répéter ce qui du même coup nous suggère quelque originalité spéciale de ce terme de répétition, à savoir qu’il n’est pas en quelque sorte une dimension vaine, qu’en elle-même la répétition développe quelque chose qu’il y a pour nous tout intérêt à illustrer de cette façon.

En effet pour reprendre Poincaré, c’est lui qui a introduit la fable si l’on peut dire, philosophique, l’idée de ces êtres infiniment plats qui pouvaient subsister sur les surfaces topologiques qu’il a mises en circulation. Ces êtres infiniment plats ont une valeur, ont une valeur qui est de nous faire remarquer ceci : à savoir ce qu’ils peuvent et ce qu’ils ne peuvent pas savoir. Il est clair que si nous supposons une topologie, une structure qui est elle-même de surface habitée par des êtres infiniment plats, ce n’est certainement pas pour nous référer nous­mêmes à ce que vous voyez forcément ici représenté, à savoir la plongée dans l’espace des dites formes topologiques.

Pour ce qui subsiste au niveau de cette structure topologique, ce que j’appel­le, au passage comme ça et en m’en excusant, le trou central, il est absolument impossible à apercevoir. Par contre, ce qu’il est possible d’apercevoir, c’est la cohérence des boucles telles que je viens de vous les dessiner. Il est également parfaitement possible à l’intérieur même du système de s’apercevoir qu’une espèce de bande que je vais vous représenter maintenant, si vous voulez pour économiser, sur la même figure, celle-ci qui conjoint en un seul, les deux espèces du circuit fermé qui pour nous, pour nous qui plongeons dans l’espace parce que nous sommes au moins provisoirement assez infirmes pour y trouver un secours, il se trouve y faire circuit à la fois autour de ce que j’appellerai – pour­quoi, puisque nous en sommes à la compromission, nous arrêter? – le trou intérieur et le trou extérieur.

Cette boucle qui s’appelle, parce que c’est celui qui l’a découvert, un cercle de Villarçon. Il a découvert ceci bien avant qu’on fasse de la topologie; il l’a découvert à propos de propriétés métriques sur lesquelles je n’insisterai pas. Il s’est amusé à découvrir que cette sorte de boucle, à condition de la déterminer par une opération bien choisie, pouvait être dans un tore fait par la rotation d’un cercle régulier, que cette boucle elle-même pouvait être circulaire. C’est très facile de s’en apercevoir. Il suffit de pratiquer sur le tore une coupe par un plan bitangent ce qui en coupe se présente comme ça.

Ceci était déjà une première approche; il y avait quelque aperçu topologique dans cette approche de Villarçon. Je n’y fais allusion que pour vous faire remar­quer que même un être infiniment plat, dans la surface du tore, peut s’aperce­voir qu’il y a deux séries de ces cercles de Villarçon. Il y a ceux qui vont dans ce sens-là, et puis il y a ceux qui vont dans le sens contraire et qui ont pour pro­priété de recouper tous les premiers. Bien entendu, vous voyez bien qu’on peut en faire toute une série faisant tout le tour du tore, qui ne se recoupent pas. Ceci pour vous montrer l’élaboration possible, le matériel que mettent à notre por­tée ces structures pour que quelque chose qui n’est rien de moins que l’articu­lation cohérente de ce qui se pose à nous comme problème au regard par exemple d’une réalité comme le fantasme.

J’ai insisté dans le début de mon enseignement sur la fonction imaginaire comme étant ce qui supporte radicalement l’identification narcissique, le rap­port microcosme-macrocosme, tout ce qui a servi jusqu’à présent de module à la cosmologie comme à la psychologie. J’ai construit un graphe pour vous mon­trer à un autre état et dans une autre référence à la combinatoire symbolique quelque chose qui est aussi une forme d’identification : celle qui fait le désir se supporter du fantasme.

Le fantasme, je l’ai symbolisé par la formule $ coupure (si vous voulez) de a, $ à a. Qu’est-ce que c’est que ce a ? Est-ce que c’est quelque chose d’équivalent à l’i (a), image spéculaire, ce dont se supporte, comme Freud l’articule expressé­ment, cette série d’identifications s’enveloppant l’une sur l’autre, s’addition­nant, se concrétisant à la façon des couches d’une perle au cours du développe­ment qui s’appelle le moi? Est-ce que le a n’est qu’une autre fonction de l’ima­ginaire ? Quelque chose doit tout de même vous mettre en soupçon qu’il n’en est rien, si j’avance depuis toujours que le a n’a pas d’image spéculaire. Mais qu’est-il ?

Pour vous reposer, parce que je pense qu’après tout, tout ceci est bien aride, je vous dirai qu’une fable, un modèle, un apologue m’est venu à l’esprit, préci­sément au temps de mes conférences aux U.S.A. mais que je vous en ai réservé la primeur. C’est-à-dire que le mot qui m’est venu à l’esprit pour vous faire sai­sir où est le problème, ce mot je ne l’ai pas mis en circulation. Je l’ai d’autant moins mis en circulation que je ne crois pas qu’il ait de traduction en anglais. Mais enfin je leur en ai donné quand même une petite idée. J’ai employé le terme frame ou framing. Il y a un mot beaucoup plus beau en français. C’est un mot qui a son prix sur la scène du théâtre, c’est le mot praticable.

Après tout, peut-être certains d’entre vous se souviennent-ils de la façon dont j’ai parlé du fantasme à certaines de nos journées provinciales quand j’y ai fait référence à un jeu, qui n’est point de hasard, du peintre Magritte qui l’a dans ses tableaux répété bien souvent, à savoir de représenter l’image qui résulte – de la poser dans le cadre même d’une fenêtre – d’un tableau qui représente exactement le paysage qu’il y a derrière. A ceux-là, mon introduction du prati­cable n’apportera rien de nouveau, à ceci près que c’est un petit peu plus mettre l’accent et le point sur les i. Quel est le fruit de la présence du praticable sur la scène du théâtre ? Sinon à une certaine distance, d’être pour nous trompe-l’œil, d’introduire une perspective, un jeu, une capture dont on peut dire qu’il parti­cipe de tout ce qu’il en est dans le domaine du visuel de l’ordre de l’illusion et de l’imaginaire.

Néanmoins, si vous passez derrière le praticable, il n’y a plus moyen de s’y tromper. Et pourtant le praticable est toujours là. Il n’est pas imaginaire. Le bâti existe. C’est là très précisément ce dont il s’agit. Il faut avoir poussé les choses assez loin et très précisément dans une analyse, pour arriver au point où nous touchons dans le fantasme l’objet a comme le bâti. La fonction du fan­tasme dans l’économie du sujet n’en est pas moins de supporter le désir de sa fonction illusoire. Il n’est pas illusoire. C’est par sa fonction illusoire qu’il sou­tient le désir. Le désir se captive de cette division du sujet en tant qu’elle est causée par le bâti du fantasme. Qu’est-ce à dire ? Est-ce à dire que nous puis­sions nous contenter de dire que, comme au théâtre, il n’y a qu’à avoir son entrée dans les coulisses pour aller visiter le praticable et en avoir le fin mot ? Il est bien évident que ce n’est pas de cela qu’il s’agit et que, comme les êtres infiniment plats qui habitent ce corps, ce n’est pas à nous déplacer sur la surfa­ce du tore que nous aurons jamais l’idée de ce qui est là, sous forme de trou et qui selon toute apparence doit bien avoir quelque chose à faire avec cet objet a puisque c’est de son existence que dépend la distinction de ces deux boucles D et d qui sont faites autour de cette torsion externe avec celle qui les rejoint à franchir ce trou.

C’est ici que l’usage des autres surfaces topologiques dont je vous ai annon­cé)a fonction peut nous être de quelque service. je n’ai pas besoin, je pense, de longuement pérorer sur ce qui peut se décrire au niveau du plan projectif quand il est particulièrement aisé, et je l’ai fait maintes fois, de le représenter ici par ce que j’ai appelé tout à l’heure improprement le cross-cap – car cet impropre nous permet la […], nous continuons de l’appeler ainsi, je n’aime pas beaucoup la sphère mitrée, – et de nous apercevoir qu’une coupure qui d’une façon très frappante a exactement la même structure de double boucle que celle qui nous permet, au niveau du tore, de mettre en évidence la présence du trou central, même pour les êtres qui l’habitent alors que je vous fais remarquer qu’elle est, au niveau de la simple coupure, du cercle de Villarçon, parfaitement indiscer­nable, que cette double boucle ici a pour effet, je pense l’avoir suffisamment de fois décrite devant vous, pour que vous vous en souveniez, de séparer la surfa­ce, contrairement à ce qui se passe pour la double boucle, quand elle est faite sur le tore, le tore reste d’un seul tenant. Mais ici nous avons au centre, cette surfa­ce de ce que nous pouvons appeler un faux disque, si vous voulez, mais qui est tout de même bel et bien un disque dont vous savez depuis longtemps que je le prends pour support ou encore armature et enfin cause de l’illusion du désir, autrement dit, comme équivalent de l’objet a. L’autre partie du cross-cap étant, ceci est très facile à mettre en évidence – je l’ai fait autrefois, à cette même époque lointaine, en 1962, par des dessins dont certains se souviennent encore, extraordinairement raffinés, – mais vraiment dont je serais ici un peu las de reproduire le détail, ils n’avaient qu’un intérêt, c’est dans certaines des transfor­mations qui consistent à déplier le repli qui se trouve là, et aussi bien à le rédui­re ici, à s’apercevoir que l’autre partie, appelons-la, la partie B, et celle-là a, que l’autre partie, est une bande de Moebius.

En cours de déploiement, vous pouvez sur cette figure faire apparaître toutes les illusions les plus ravissantes, approchez ça de la forme de la conque de l’oreille, d’une coupe médiane montrant les involutions des formes extérieures du cerveau, aussi bien de n’importe quoi d’autre, à savoir une coupe des enve­loppes embryonnaires; ceci n’a qu’une valeur suggestive et peut-être pas tout a fait sans nous indiquer que quelque chose de ces formes enroulées sont inscrites partout à l’intérieur de l’organisme.

Mais alors, est-ce que nous ne pouvons pas nous poser la question de savoir si nous ne trouvons pas ici la confirmation de ce que nous cherchions, concer­nant ce que j’ai appelé approximativement jusqu’à présent le trou central du tore, une confirmation de cette indication qu’au niveau du tore, et la chose aura son importance si nous sommes amenés par exemple à symboliser le fonction­nement en décalque des deux tores d’une façon telle qu’ils nous servent à repré­senter par exemple une relation spécifique de la névrose, celui qui lie le désir du sujet à la demande de l’Autre. Cette suggestion que, ici, le trou, à savoir quelque chose d’insaisissable, est ce qui représente la place de l’objet a, est-ce qu’à le trouver dans son support au niveau d’une autre surface comme celle du cross­-cap, nous ne voyons pas là une suggestion qui peut être précieuse du point de vue opératoire ?

Quelque chose nous le confirme, c’est à savoir ceci : un tore, c’est fait de la couture des deux bords des deux trous qui constituent les limites d’un cylindre ou d’un jade troué, comme vous voudrez. Car ce n’est pas pour rien que quelque chose comme les jades troués ça se fait depuis longtemps. Bien sûr, nous ne savons plus ce que ça veut dire mais il est assez probable que ceux qui se sont donnés assez de mal à l’origine pour les faire savaient que ça pouvait ser­vir à quelque chose. Il n’y a pas tellement que ça de formes trouées naturelles et ce n’est pas pour rien que la gravure chinoise manifeste nettement dans toutes ses propositions et ses associations que ces formes de pierre trouée, qu’elle nous montre avec surabondance, sont toujours liées à des thèmes érotiques.

Comment est-ce constitué un plan projectif ? La forme rigoureuse, je vous la donne d’emblée pour vous montrer à quel croisement on la rencontre et com­ment on la construit; mais c’est elle qui est à la fois la plus essentielle, je veux dire dans une représentation topologique tout à fait couramment reçue, valable et fondamentale. C’est celle-ci : partie d’une figure qui est faite comme l’autre, vous voyez, des deux cercles qui font bord dans le cylindre et identifiez chaque point d’un de ces cercles avec le point diamétralement opposé de l’autre.

En d’autres termes, ce qui dans la bande de Moebius se représente comme ceci, à savoir que c’est en la tordant d’un demi tour, que c’est en venant appli­quer cette flèche dans son sens, bien sûr, en l’accoudant à l’autre flèche qui est dans le sens opposé, que vous obtenez une bande de Moebius. Eh bien cette opération-là, faites-la avec deux limites circulaires. Vous aurez ce qui, ici va dans ce sens-là, s’accoler ici, dans ce sens-là. Il est facile de voir à cette coupure même que dans une pareille topologie qui est celle du plan projectif, le disque central, encore que ça ne saute pas à l’intuition mais quand je vous l’ai représenté comme ça, vous le voyez tout de suite, le disque central n’est pas un trou mais il fait partie de la surface. C’est pourquoi un plan projectif est dit…, je ne vous apprends là, je ne sais pas, ça peut vous surprendre, mais reportez-vous aux manuels de topologie, vous y verrez ceci, qui est considéré comme fondamen­tal, que le plan projectif est composé de deux parties, à savoir un disque central et quelque chose qui l’entoure qui a la structure d’une bande de Moebius que je considère par cette figure comme suffisamment illustré. A ceci près que ce disque central, lui, puisque c’est un vrai disque, est parfaitement évanouissant, à savoir qu’il est également vrai que le plan projectif, que ce soit ce que je vous dessine là maintenant, à savoir simplement une surface telle que chacun de ses points soient identiques au point diamétralement opposé. Il n’est pas nécessai­re que le disque central apparaisse; il peut se réduire à n’être rien. En quoi se démontre sa propriété éminente pour représenter telle dimension de l’objet a et très spécialement le regard, par exemple, dont la propriété et les pièges consis­tent précisément en ceci qu’il peut être totalement élidé.

je ne puis vous quitter sans vous faire remarquer cette chose que je pense avoir déjà suffisamment avancée devant vous pour n’avoir qu’à y faire allusion, c’est que, grâce à la coupure en huit inversé, à la double boucle, le découpage du tore, qui, je vous le répète, reste d’un seul tenant, est fait d’une façon telle qu’à condition d’une couture appropriée, vous en faites très aisément – et il ne s’agit pas là d’une question matérielle, manipulatoire, encore qu’elle le soit, elle n’est point incorporelle – vous pouvez très facilement du tore ainsi ouvert par la double boucle, en y procédant, c’est très facile, je pense que vous le concevez puisque je vous dis que la surface de Moebius coupée par le milieu vient s’ap­pliquer sur le tore. Inversement si la coupe du tore représente précisément ce qui en isole cette surface à double boucle, vous en faites très aisément une bande de Moebius. C’est là le lien topologique qui nous donne l’idée de la transforma­tion possible de ce qui se passe à la surface du tore en ce qui doit se passer sur une surface de Moebius, si nous voulons que puisse en surgir la fonction de l’ob­jet. Néanmoins cet objet a, restant encore là si fuyant, problématique, en tout cas si accessible à la disparition, peut-être n’est-ce pas là ce qui est suffisant. C’est ce qui fera qu’une fois de plus je vous laisserai sur un suspens et vous montrerai comment la bouteille de Klein résout cette impasse.

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