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Recherches Lacan

LXI LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE 1964 Leçon du 15 avril 1964

Leçon du 15 avril 1964

 

Pour m’éviter d’avoir à quêter toujours une boîte d’allumettes, on m’en a donné une comme vous le voyez, de taille, sur laquelle est écri­te cette formule : « L’art d’écouter équivaut presque à celui de bien dire». Ceci répartit nos tâches. Espérons que nous serons à peu près à leur hauteur!

J e traiterai aujourd’hui du transfert, c’est-à-dire que j’en aborderai la question, espérant arriver à vous donner une idée de son concept, selon le projet que j’ai annoncé à notre deuxième entretien : y marquant que les quatre concepts majeurs qui paraissent devoir être placés au fonde­ment de la psychanalyse sont : l’inconscient, la répétition, le transfert (et c’est à celui-ci que nous arrivons aujourd’hui), la quatrième, la pulsion, étant réservée pour la fin.

Vous avez au tableau quelques mots-repères qui bien sûr! ne s’éclai­reront que de mon développement.

Le transfert d’abord, dans l’opinion commune, se représente comme un affect. On le qualifie, vaguement, de positif ou de négatif. Il est géné­ralement reçu (non sans quelque fondement) que le transfert positif, c’est ‘l’amour’. Néanmoins il faut dire que ce terme, dans l’emploi qu’on en fait concernant le transfert, est d’un usage tout à fait approximatif qui relève en général du fait que ce terme, au niveau de son emploi, n’est guère approfondi…

Néanmoins, vous le savez, Freud a posé, et très tôt, la question de l’authenticité de l’amour tel qu’il se produit dans le transfert. Et pour le dire tout de suite, contrairement à ce qui en est la tendance généra­le, qu’il s’agit là de quelque chose qui serait comme une sorte de faux-amour, d’ombre d’amour, Freud est loin d’avoir fait pencher la balan­ce dans ce sens. Et ce n’est pas un des moindres intérêts de l’expérien­ce du transfert de poser pour nous, plus loin peut-être qu’on n’a jamais pu la porter, la question de ce qu’on appelle l’amour authentique, eine echte Liebe.

Le transfert négatif, on est plus prudent, plus tempéré dans la façon qu’on a de l’évoquer, et ce n’est, on peut dire jamais, qu’on l’identifie à la haine. On emploie plutôt le terme ‘d’ambivalence’, terme qui, peut-être plus encore que l’emploi du premier masque, masque bien des choses, des choses confuses dont le maniement n’est pas toujours adéquat.

Pourquoi? Pour ne pas nous contenter du niveau où ces choses se dessinent, dire qu’en somme, du point de vue de l’affect, dans l’emploi de ce terme comme désignant l’affect, nous dirons avec plus de justesse que le transfert positif, c’est quand celui dont il s’agit, l’analyste en l’oc­casion, eh bien on l’a « à la bonne »! négatif, on l’a « à l’œil».

Un autre emploi du ‘transfert’ mérite d’être distingué. Il implique, il veut dire, quand on l’emploie, ce terme, que quelque chose qu’on appel­le le transfert — relation originale et foncière — structure toutes les rela­tions particulières à cet autre qu’est l’analyste, que la valeur de toutes les pensées, non seulement nous concernant mais qui gravitent autour de cette relation, que cette valeur doit être connotée d’un signe de réserve particulier. D’où l’expression qui est toujours en quelque sorte mise en note, comme une sorte de parenthèse, de suspension, voire de suspicion, qui serait introduite concernant le comportement, la conduite d’un sujet, notation qui s’exprime ainsi : « Il est en plein transfert » ou encore : « Il faut tenir compte de son transfert sur… » (son analyste en exercice). Ceci suppose que tout son mode d’aperception est, en quelque sorte, restruc­turé sur le centre prévalent que l’on désigne par cette notion, au niveau de cet emploi non autrement précisé, du ‘transfert’.

J e ne poursuis pas plus loin parce que ce me semble pour l’instant suf­fisant que ce double repérage qui est en somme un repérage sémantique, celui qui serait recevable au niveau du dictionnaire.

Nous ne saurions, bien sûr en aucune façon! nous contenter de ce repérage des emplois puisque, nous l’avons dit, notre but est d’arriver au moins à approcher ici ce qu’on peut appeler ‘concept’ du transfert. Ce concept est déterminé par la fonction qu’il a dans une praxis. Ce concept dirige la façon de traiter les patients. Inversement, la façon de les traiter commande le concept. Il peut sembler que c’est là, dès l’abord, trancher d’une question qui est celle-ci : le transfert est-il, ou non, lié à la pratique analytique?

En est-il un produit, voire un artefact? Quelqu’un, Ida Macalpine, parmi les nombreux auteurs qui ont été amenés à opiner sur le transfert, a poussé au plus loin la tentative d’articuler le transfert dans ce sens. Nous aurons à y revenir. Disons que, quel que soit son mérite (il s’agit d’une personne fort têtue), disons tout de suite que nous ne pouvons d’aucune façon recevoir cette position extrême. De toutes façons, ce n’est pas trancher la question que d’amener ainsi son abord.

Même si nous devons considérer le transfert comme un produit de la situation analytique, nous pouvons dire que cette situation ne [se] sau­rait créer de toutes pièces et que pour produire le transfert, il faut qu’il y ait hors d’elle des possibilités auxquelles elle donnera leur composition

— peut-être unique. Ceci néanmoins, je le souligne, reste réservé quand nous proposons d’introduire le transfert comme lié étroitement à la praxis analytique. Ceci n’exclut nullement, hors de toute induction ana­lytique, là où il n’y a pas d’analyste à l’horizon si je puis dire, qu’il puis­se y avoir proprement des effets de transfert exactement structurables comme le jeu du transfert dans l’analyse. Simplement l’analyse, à les découvrir, permettra de leur donner un modèle expérimental parce que expérimenté dans l’analyse, et qui ne serait pas du tout forcément, essen­tiellement différent du modèle que nous appellerons, si vous voulez, « naturel».

De sorte que ce peut fort bien être la seule façon d’introduire l’uni­versalité de l’application du concept, de faire émerger son apparition dans l’analyse où il trouve ses fondements structuraux. Il suffira alors, si je puis dire, de couper le cordon de son arrimage dans la sphère de l’ana­lyse, bien plus encore, naturellement de la (doxa), de l’opinion qui y est attenante.

Tout ceci, après tout, n’est que truisme. Encore valait-il, à l’entrée, d’en poser la borne, cette introduction justement ayant pour but de vous rappeler que, si nous abordons les fondements de la psychanalyse, ceci suppose que nous y apportions, que nous apportions entre les concepts majeurs qui la fondent, une certaine cohérence.

Cette cohérence ici se marque en ce que nous avons déjà pu sentir dans la façon dont j’ai abordé le concept de l’inconscient, dont vous pouvez vous souvenir que je n’ai pu le séparer de ce qu’on peut appeler la présence de l’analyste.

‘Présence de l’analyste’, c’est un fort beau terme, qu’on aurait tort de réduire à cette sorte de prêcherie larmoyante, à cette boursouflure séreu­se, à cette caresse un peu gluante qui l’incarne dans un livre qui a paru sous ce titre.

La présence de l’analyste [est] elle-même une manifestation de l’in­conscient. De sorte [que] la façon dont elle se manifeste de nos jours (comme il a pu apparaître en certaines rencontres) comme refus de l’in­conscient, c’est d’une tendance et même avouée dans la pensée que for­mulent certains. Ceci même doit être intégré dans ce concept de l’in­conscient — et même vous donne l’accès plus rapide à ce que j’ai mis au premier plan dans une formulation sans doute abrégée (mais ici, l’abré­viation même a sa portée) qui est de vous le présenter d’abord comme essentiellement, ce mouvement, ce quelque chose du sujet qui ne s’ouvre que pour se refermer, en une certaine pulsation temporelle.

Pulsation en somme qu’à vous présenter ainsi, « bille en tête » si je puis dire, pulsation que je marque bien comme être, en somme, plus radicale quant à son essence que même cette insertion dans le signifiant sur laquelle j’ai depuis toujours insisté et qui, en somme, motive sans doute cette pulsation, mais [que] j’indique ainsi n’être pas forcément, ne lui pas être forcément primaire au niveau de l’essence, puisque d’essence, on m’a provoqué de parler.

J’ai ici indiqué, indiqué de façon maïeutique, heuristique, qu’il fallait voir dans l’inconscient ce quelque chose qu’on peut appeler les effets, à un certain niveau, de la parole sur le sujet, pour autant que ces effets sont si radicalement primaires qu’ils sont proprement ce qui détermine le sta­tut du sujet comme sujet. Ceci est là une proposition destinée à restituer l’inconscient freudien à sa place. Et c’est là ce qui nous justifie radicale­ment à ne pas nous séparer en un moment où Freud, pour nous, l’intro­duit dans notre expérience. Assurément l’inconscient était là depuis tou­jours, existait, agissait, avant Freud, mais il est suffisamment marqué, et il importe de souligner que toutes les acceptions qui ont été données avant Freud de cette fonction de l’inconscient n’ont, avec l’inconscient de Freud, absolument rien à faire.

Que l’inconscient, ni comme « primordial », comme « fonction archaïque», ni comme présence voilée d’une pensée qu’il nous faut mettre au niveau de l’être avant qu’elle se révèle, l’inconscient métaphy­sique d’Eduard Von Hartmann, quelque référence qu’y fasse Freud dans un argument ad hominem, ni l’inconscient surtout comme instinct, tout cela n’a rien à faire avec l’inconscient de Freud! Et je dirai plus, rien à faire, quel que soit le vocabulaire analytique, ses inflexions, ses inflé­chissements, rien à faire avec notre expérience! J’interpellerai ici les ana­lystes, avez-vous jamais, un seul instant, le sentiment de manier la pâte de l’instinct?

Ce à quoi donc je procédai, dans mon rapport de Rome, c’est quelque chose de l’ordre qu’on peut appeler juridiquement une « novation», une nouvelle alliance, refondée avec le sens de la découverte freudienne.

Que l’inconscient soit le seul des effets qui se dérobe, de la parole sur un sujet, à ce niveau où le sujet se constitue des effets du signifiant, ceci marque bien que dans le terme de ‘sujet’, c’est pourquoi je l’ai rappelé à l’origine, nous ne désignons pas le substrat vivant, bien entendu, qu’il faut au phénomène subjectif, ni aucune autre sorte [de substance] ni aucun être de la connaissance dans sa pathie, seconde ou primitive, ni même non plus le logos qui s’incarnerait quelque part —mais le sujet cartésien, à savoir qui apparaît, à ce moment où le doute se reconnaît comme certitude, à ceci près que par notre abord, les assises de ce sujet se révèlent bien plus larges, mais du même coup bien plus serves quant à la certitude qu’il manque, qu’il rate. C’est là ce qu’est l’inconscient!

Donc il y a un lien entre ce champ et le moment, moment de Freud, où il se révèle. C’est ce lien que j’exprime, en le rapprochant de ce qui se passe au niveau d’une démarche dans la physique comme celle de Newton, d’Einstein, d’un [Planck] et que je caractérise comme a-cos­mologique, dans ce sens que tout ces champs se caractérisent de tracer un nouveau sillon dans le réel, et que j’exprime d’une façon imagée en le désignant, ce sillon, comme nouveau par rapport à la connaissance qu’on pourrait en attribuer, de toute éternité, à Dieu. La différence paradoxalement aussi qui assure la plus grande, la plus sûre subsistance du champ de Freud, c’est justement que c’est un champ qui, de sa nature, se perd.

C’est ici que la présence du psychanalyste est irréductible comme témoin de cette perte. A ce niveau, nous n’avons rien de plus à en tirer car c’est, si je puis dire, chaque fois qu’elle se produit, une « perte sèche», qui ne se solde par aucun gain, si ce n’est de la fonction, comme pulsa­tion, de cette perte.

Bien loin d’ailleurs de se solder par un gain, on [a] constaté que, du point de vue de ce qu’on pourrait appeler « connaissance de l’homme », chaque fois que dans la zone, zone en somme d’ombre, ombre nécessai­re où cette perte se produit (et que désigne le trait oblique dont je divise les formules qui se déroulent, linéaires en face de chacun de ces termes ‘inconscient’, ‘répétition’, ‘transfert’, la zone d’ombre que désigne cette ligne oblique et qui place l’ombre nécessaire à sa gauche) la zone de la perte comporte, peut-on le dire, quant à ces faits de pratique analytique, même un certain renforcement, de ce qu’on peut appeler obscurantisme (et qui est très caractéristique de la condition de l’homme, en notre temps de prétendue information), obscurantisme dont sans trop savoir pour­quoi, nous faisons crédit à l’avenir qu’il y apparaîtra inouï.

Toute la fonction qu’a pu prendre la psychanalyse dans la propagation d’un certain style de cette condition de l’homme se dénomme elle-même, ce n’est pas moi qui la désigne ainsi, l’American way of life, est proprement ce que je désigne sous ce terme d’obscurantisme, en tant qu’il se marque par le réavènement, la revalorisation de termes depuis aussi longtemps réfutés dans le champ de la psychanalyse même que la ‘prévalence’, la ‘prédominance des fonctions du moi’.

A ce titre donc, la présence du psychanalyste, par le versant même où apparaît une vanité de son discours, doit être incluse dans le concept de l’inconscient. Psychanalystes d’aujourd’hui, nous avons à en tenir compte comme du caput mortuum de la découverte de l’inconscient, cette scorie, certes, nous avons à en tenir compte dans la balance des opé­rations. A ce titre, peut-être essentiel à nos calculs, il justifie du même coup, il nous incite au maintien d’une position conflictuelle à l’intérieur de l’analyse comme d’une nécessité même de l’existence de l’analyse, s’il est vrai que la psychanalyse repose sur une considération du conflit, étant fondamental du drame, fécondant comme étant initial et radical quant à tout ce qu’on peut mettre sous la rubrique du psychique. De sorte que la novation à laquelle j’ai fait allusion et qui s’appelle Rappel du champ et de la fonction de la parole et du langage dans l’expérience psychanalytique, ne prétend pas être une position d’exhaustion par rap­port à l’inconscient — puisqu’elle est elle-même intervention dans le conflit.

Et ce rappel qui peut vous paraître un peu long a sa portée immédia­te en ceci que ce que je veux dire, c’est que ce rappel lui-même a une por­tée transférentielle. Ce que je souligne, puisque aussi bien ceci est recon­nu, du fait que justement a pu être reproché à mon séminaire de jouer, par rapport à ce qui constituait mon audience, justement une fonction qui fût, par l’orthodoxie de l’Association Psychanalytique, considérée comme périlleuse, justement, d’intervenir dans le transfert! Or, loin que je la récuse, cette incidence me paraît en effet radicale, pour être consti­tutive à tout rappel de ce qui est, de ce que j’ai appelé cette novation, ce renouvellement de l’alliance avec la découverte de Freud.

Ceci indique que la cause de l’inconscient, et vous voyez bien qu’ici le mot ‘cause’ est à prendre dans son ambiguïté (cause à soutenir mais aussi fonction de la cause au niveau de l’inconscient) cette cause à soute­nir doit être foncièrement conçue comme une cause perdue. Et c’est la seule chance qu’on ait de la gagner.

C’est pourquoi, au deuxième temps de mon explication conceptuelle marquant la connexion qui à la fois est nécessaire et distingue le concept de la répétition dans sa dimension méconnue, c’est essentiellement d’y mettre en relief ce ressort qui est celui de la rencontre toujours évitée, de la chance manquée comme étant la visée qui donne son sens au terme de la répétition: que la fonction de manquement, de ratage, qui est toujours dans la répétition analytique, ne se soutient que de marquer, en un point x, la place du rendez-vous, place de la tuché.

Ceci, je ne peux plus longuement ainsi y insister, représente la part d’ombre qui se maintient au niveau du second concept, que j’ai appelé ici, au regard de la chance, vanité de la répétition, occultation en quelque sorte constitutive, mais ici dont la place, de se resserrer, d’être plus réduite, laisse à penser qu’il y a un progrès dans l’accessibilité de la fonc­tion conceptuelle qui nous laisse en somme entrevoir autre chose (autre chose d’accessible au troisième temps, celui [du] transfert où nous allons arriver, entrer aujourd’hui) que le choix qui serait celui où nous ferait buter ce second temps, le dilemme…

—        ou d’assumer purement et simplement notre implication comme ana­lystes, dans le caractère éristique de ce discord de tout exposé de notre expérience

—        ou de polir le concept au niveau de quelque chose qui serait impossible à objectiver sinon d’une analyse transcendantale de la cause.

Si vous voulez, celle-ci se formulerait ainsi, reprenant la formule, clas­sique, le cliché de l’ablata causa tollitur effectus, nous n’aurions qu’une petite modification à y apporter qui serait de souligner le singulier de la protase, l’ablata causa, en mettant au pluriel les termes de l’apodose, non plus tollitur, mais tolluntur effectus, et qui voudrait dire « les effets ne se portent bien qu’en l’absence de la cause».

Tous les effets sont soumis à la pression d’un ordre transfactuel qui en somme demande à entrer dans leur danse d’effets — mais à quoi, en somme, s’ils se tenaient bien la main comme dans la chanson célèbre, ils feraient obstacle à ce que la cause s’immisce dans leur ronde!

A cet endroit, il faut définir la cause inconsciente comme n’étant ni un xxx (ouleon), ni un ‘non-étant’ (comme, je crois, certains, Henri Ey, nommément), non-étant de la possibilité. ‘L’étant’, ce serait l’étant de la profondeur. Elle n’est rien de tout cela, elle est un xxx (mé on), de l’in­terdiction qui porte à l’être un étant malgré son non-avènement. C’est une fonction de l’impossible sur quoi se fonde une certitude.

Mais voilà qui nous mène à la fonction de transfert. Car cet indéter­miné de pur être qui n’a point d’accès à la détermination, cette position primaire de l’inconscient qui s’articule aussi bien comme étant constitué par l’indétermination du sujet, c’est à cela que le transfert nous offre l’ac­cès — d’une façon énigmatique qui est celle que nous allons explorer maintenant, et dont l’essence, le l’ai désignée dans la troisième colonne comme répondant aux étapes du sujet, indéterminé, et de la rencontre impossible, le nœud gordien qui nous offre l’accès à ce qui est cherché dans la visée du sujet : à savoir sa certitude.

C’est dire que, concernant le transfert, la position du psychanalyste, sa présence, la façon dont il [la] conçoit, ce qui en somme est un temps normal (si nous pouvons appeler ainsi celui dans lequel nous vivons), à ce qui, pour l’analyste, est en somme ce à quoi se réduit, à lui, sa propre certitude concernant l’inconscient, la façon dont il la conçoit ne peut être extraite du concept que nous pouvons, nous, donner, que nous pouvons tenter d’achever du ‘transfert’. Il est alors frappant de noter la multipli­cité, la pluralité voire la plurivalence des conceptions qui, dans l’analyse, ont été formulées du transfert.

J e ne prétendrai pas vous en faire faire une revue exhaustive, car ceci à soi seul suffirait à occuper de très longues périodes d’enseignement. C’est pourquoi j’essaierai de vous guider par les chemins d’une explora­tion choisie.

Et, ici, la moindre chose qui s’indique est de marquer les premiers reliefs par où le concept a été abordé par Freud lui-même.

A son émergence dans les textes et les enseignements de Freud, quelque chose nous guette comme un glissement que nous ne saurions lui imputer, a fortiori lui reprocher: c’est, ce concept de transfert, de n’y voir que le concept même de la répétition. N’oublions pas que, quand Freud nous le présente, il nous dit : « Ce qui ne peut être remémoré se répète dans la conduite. » Cette conduite, pour révéler ce qu’elle répète, est livrée à la reconstruction de l’analyste. En un sens, on peut aller à croire que l’opacité du traumatisme, telle qu’elle est alors maintenue dans sa fonction inaugurale par la pensée de Freud (c’est-à-dire pour nous, la résistance de la signification) est là nommément tenue pour res­ponsable de la limite de la remémoration.

Et, après tout, nous pourrions nous y trouver à l’aise dans notre propre théorisation, de reconnaître qu’il y a là un moment fort signifi­catif, ce qu’on pourrait appeler la passation de pouvoirs du sujet à l’Autre, à l’Autre, celui que nous appelons le grand Autre, le lieu de la parole, virtuellement le lieu de la vérité.

Est-ce là le moment fécond, le point d’apparition du concept du transfert? C’est là ce qu’il en est, en apparence, et c’est souvent ce à quoi l’on s’en tient…

Mais, regardons de plus près. Ce moment, dans Freud, n’est pas sim­plement ce moment-limite qui correspondrait à ce que j’ai désigné (et c’est pour cela qu’il m’a fallu vous le rappeler au début de cette confé­rence) « le moment de fermeture de l’inconscient », de la pulsation tem­porelle qui le fait disparaître à un certain point de son énoncé. Ce moment, Freud quand il amène la fonction du transfert, a bien soin de le marquer comme la cause de ce que nous appelons transfert.

L’Autre est dès avant présent, latent ou pas, dans la révélation subjec­tive. II est déjà là quand quelque chose a commencé à se livrer de l’in­conscient.

Ce que le sujet a commencé d’abord d’en donner sous une forme qui est loin d’être limitée à la remémoration, sous une forme où l’interpré­tation de l’analyste ne fait en somme que recouvrir le fait que l’incons­cient et ses nœuds dans leur constitution (où qu’ils aboutissent, au rêve, au lapsus, au rire du mot d’esprit ou au symptôme), l’inconscient lui-même, s’il est ce que je dis, à savoir jeu du signifiant, l’inconscient dans ses formations a déjà, lui, procédé par interprétation. L’Autre, le grand Autre est déjà là dans toute ouverture, si fugitive soit-elle, de l’inconscient.

Ce que Freud nous indique, et dès ce qu’il apporte au premier temps concernant le transfert, c’est que le transfert est essentiellement résistant, Ubertragungswiderstand, que le transfert est le moyen par où s’inter­rompt la communication de l’inconscient, que l’inconscient se referme par le moyen du transfert, qu’il est là quelque chose qui, loin d’être ce que j’ai appelé tout à l’heure la «passation de pouvoirs», est justement la fermeture en tant qu’elle lui est opposée.

Ceci est essentiel à marquer le paradoxe qui s’exprime assez commu­nément en ceci (et qui peut être trouvé même dans le texte de Freud) que ce transfert est à attendre, pour l’analyste, pour qu’il commence à don­ner l’interprétation.

J e veux bien accentuer ce dont il s’agit en ce point clé, parce qu’il est la ligne de partage, en ce que nous qualifierons de la bonne et la mauvai­se façon de concevoir le transfert. II y en a, je vous l’ai dit, dans la pra­tique analytique, de multiples. Elles ne sont pas forcément à s’exclure. Elles peuvent être définies à différents niveaux, et par exemple l’instan­ce qui est fréquemment faite de la relation du sujet à telle ou telle de ces instances que dans le second temps de sa topique, Freud a pu définir comme l’idéal du moi ou le surmoi par exemple, si elles sont partielles, ce n’est seulement que de donner une vue latéralisée de ce qui est essen­tiellement le rapport avec le grand Autre.

Mais il est d’autres divergences qui, elles, sont irréductibles. La conception qui est à la fois formulée mais plus ou moins bien appliquée et qui, de toutes façons, là où elle se formule, ne peut que contaminer la pratique, que «l’analyse du transfert doit procéder sur le fondement d’une alliance avec la partie saine du moi du sujet», que l’analyse du transfert, c’est de faire appel à son bon sens, je dirais, pour lui faire remarquer le caractère illusoire qu’ont telles ou telles de ses conduites à l’intérieur de la relation avec l’analyste, est quelque chose qui propre­ment subvertit ce dont il s’agit, à savoir — bien effectivement la présen­tification de cette schize du sujet qui est ici, effectivement, réalisée dans la présence.

Mais, faire appel à cette partie du sujet qui serait, là dans le réel, apte à juger avec l’analyste (des parties saines conjuguées!) de ce qui se passe dans le transfert, c’est là méconnaître que c’est justement cette partie-là qui est intéressée dans le transfert, que c’est elle qui ferme la porte, ou la fenêtre, ou les volets, comme vous voudrez, et que la belle avec qui on peut parler, est là derrière, que c’est elle qui ne demande qu’à les rouvrir, les volets. Et c’est bien pour cela que c’est à ce moment que l’interpréta­tion devient décisive, car c’est à elle qu’on a à s’adresser.

Je ne ferai qu’indiquer ici, dans ce schéma ce qu’il comporte de réver­sion de ce qui est communément imagé, si l’on peut dire, dans le modè­le qu’on en a dans la tête.

C’est qu’en somme, si je dis quelque part que l’inconscient c’est le dis­cours de l’Autre, c’est précisément comme cela qu’il convient de conce­voir ce moment décisif où apparaît le sens de l’interprétation.

Le discours de l’Autre qu’il s’agit de réaliser, celui de l’inconscient, il n’est pas au-delà de la fermeture, il est au-dehors, et c’est lui qui, par la bouche de l’analyste, en appelle à la réouverture du volet.

Il n’en reste pas moins qu’il y a un paradoxe, à désigner dans ce mouvement de fermeture justement le moment initial où l’interpréta­tion peut prendre sa portée. C’est ici aussi ce par quoi se révèle ce qu’on peut appeler la crise conceptuelle permanente qui existe dans l’analyse, concernant la façon dont il convient de concevoir la fonction du transfert.

L’antinomie, la contradiction de sa fonction qui le fait saisir comme le point d’impact de la portée interprétative en ceci même que par rap­port à l’inconscient, il est son moment de fermeture, voilà ce qui nécessite que nous le traitions comme ce qu’il est, à savoir comme nœud. Nous le traiterons ou non comme un nœud gordien, c’est à voir… Qu’il soit un nœud et qu’il nous incite à en rendre compte, ce que j’ai fait pendant plusieurs années, par des considérations de topologie (qui, j’es­père, à ceux qui les ont entendues, ne paraîtront pas superflues à rappe­ler), voilà la voie où nous engage ce que nous avons maintenant à dire sur le transfert.

Il y a une crise dans l’analyse. Et après tout, je suis fondé, parce que justement il n’y a là rien de partial, à choisir le dernier article où cette crise peut se manifester de la façon la plus éclatante, de n’être pas d’un esprit médiocre, d’être ce Thomas S. Szasz qui nous parle de Syracuse —cela ne le rend pas plus apparenté hélas! à Archimède, car cette Syracuse est dans l’Etat de New York. Cet article paru dans son dernier numéro, et c’est pourquoi je le prends dans son occasion de rencontre arbitraire, dans le dernier numéro de l’International Journal of Psychoanalysis, cet article lui est inspiré par une idée cohérente avec la recherche qui inspi­re les articles précédents de son auteur, qui est une recherche véritable­ment émouvante de l’authenticité du chemin analytique.

Il est extrêmement frappant qu’il se trouve — c’est là certes, une position extrémiste, c’est une position poursuivie dans un discours excessivement cohérent —, il est tout à fait frappant qu’un auteur, d’ailleurs des plus estimés dans son cercle qui est celui de la psychana­lyse exactement américaine, fasse cet article pour considérer, mettre en question la fonction du concept du transfert comme n’étant rien d’autre qu’une défense du psychanalyste; et qu’il aboutisse à une conclusion qui est celle-ci, conclusion (terminale par rapport à un article, mais qui nous laisse en suspens au regard de l’avenir) d’un exa­men qui assurément ne peut que paraître dès lors, vous allez le voir, que très problématique, à une conclusion comme celle-ci : « Le trans­fert est le pivot sur lequel toute la structure, la structure entière du trai­tement psychanalytique, repose. » C’est un concept qu’il appelle inspi­red — je me méfie toujours des faux amis dans le vocabulaire anglais, j’ai essayé de peser. Cet inspired ne me paraît pas vouloir dire ‘inspiré’, mais quelque chose plutôt comme ‘officieux’, c’est un concept offi­cieux autant qu’indispensable.

« Encore, dit-il, donne-t-il asile, harbour, aux germes, non seulement de sa propre destruction mais de la destruction de la psychanalyse elle-même. » Pourquoi? Parce qu’il tend à placer la personne de l’analyste au-delà de l’épreuve de la réalité, telle qu’il peut la tenir de ses patients, de ses collègues et de lui-même. Ce risque, this hazard, doit être carré­ment, frankly, reconnu. Et il ajoute : « Ni la professionnalisation, ni l’élévation des standards, ni les analyses didactiques poussées jusqu’au forçage, coerced training analysis, ne peuvent nous protéger contre ce danger».

Et c’est là, qu’ici est la confusion, dont je dois [dire] que nous voyons mal où elle conduit: « Seule l’intégrité de l’analyste et de la situation ana­lytique peut nous rendre sauf de l’extinction de the unique dialogue, du dialogue unique entre l’analyste et l’analysé. » Cet ‘unique’ se rapporte évidemment, fait que tout dans l’analyse — nous verrons jusqu’à quel point il faut considérer ce fait comme légitime — se trouve actuellement pointé sur l’analyse du transfert.

Mais la lecture de cet article (et après tout je peux penser que cette revue est d’un accès suffisamment possible, encore qu’elle ne vienne pas ici en France par paquets, pour un nombre au moins important de mes auditeurs, pour vous inciter à en prendre connaissance d’ici la prochaine fois), toute cette impasse ci désignée et, je dois dire, entièrement forgée, complètement erronée qui est ici désignée, est pourtant pour l’auteur nécessitée par le fait même qu’il ne saurait concevoir l’analyse du trans­fert que dans les termes que j’ai posés tout à l’heure : à savoir d’un assen­timent, d’un accord obtenu ou non de la part de l’analyste, de ce qu’on appelle — il est le seul à ne pas s’en servir, mais le texte implique que c’est ce dont il s’agit —, ce qu’on appelle la partie saine du moi, celle qui est apte à juger de la réalité, et à trancher de l’illusion

Le départ de son article commence ainsi logiquement : « le transfert est semblable à tels concepts qui sont celui de l’erreur, de l’illusion, ou du fantasme. » Et c’est à partir de là que sont étudiés les cas, divisés en ces termes, une fois obtenue la présence du transfert, c’est une question d’accord entre l’analysé et l’analyste, à ceci près que l’analyste étant ici, juge sans appel et sans recours pour lui-même nous sommes évidem­ment conduits à dénommer comme champ de pur risque, champ sans contrôle, toute analyse du transfert. Je n’ai pris cet article que comme un cas limite, et après tout, exemplaire, démonstratif, opératoire l’occasion, a nous inciter à restituer ici, une détermination, qui fasse entrer en jeu un autre ordre.

Cet ordre n’est, à proprement parler, que celui de la vérité. Entendez que la dialectique, par quoi la vérité ne se fonde que de ceci, que la paro­le, même mensongère, y fait appel et la suscite, cette dimension, est-ce­ quelque chose qui est toujours absent de ce que j’appellerai le logico-positivisme, qui se trouve effectivement, ici, dominer l’analyse de ce concept du transfert dans Szasz et par Szasz.

Chose singulière, on a pu parler de la conception de la dynamique inconsciente, d’intellectualisaion, sous prétexte que j’y mettais au pre­mier rang la fonction du signifiant. Assurément, ne voit-on pas, ici appa­raître, dans cette facette inattendue du développement de la pensée de l’analyse dans la psychanalyse américaine, qu’il s’agit là, bel et bien, dans ce mode opératoire où tout se. joue de la confrontation d’une réalité et d’une connotation d’illusion portée sur le phénomène du transfert, que c’est leçon, qu’est effectivement l’intellectualisation prétendue et qui serait ici dominante.

Assurément, il y a quelque chose qui semble, pour tout lecteur, qui se détache de l’attrait d’un texte, assurément, très serré, et même prenant, et qui simplement, se révèle un ceci, que loin que nous ayons à considé­rer ici deux sujets, dans une position duelle, à discuter de quelque chose qui se serait là, ici déposé comme l’effet de chute d’une compression dans le comportement, isolé comme paradoxal du patient dans l’analyse, que, entre deux sujets, il se passe bien autre chose, et nommément que tout à fait hors du champ où se tranche et ne se tranche pas l’accord sur une objectivité, il nous faut faire surgir le domaine de la tromperie pos­sible, quand je vous ai introduit le terme du sujet de la certitude carté­sienne, comme le point de départ nécessaire de toutes nos spéculations, sur ce que révèle l’inconscient, j’ai bien marqué le rôle de balancier essentiel qu’est l’autre dans Descartes comme, dit-on, ne doit-il pas être, en aucun cas trompeur. Mais cet autre, assurément, le danger, dans l’ana­lyse, c’est qu’il soit un autre trompé. Or, ce n’est pas là tout. Ce dont il s’agit, je le souligne, quand il s’agit d’appréhender la dimension du trans­fert. Ce n’est certes pas là, la seule direction dans laquelle il convient de rappeler ce dont il s’agit, ce que je ne fais ici qu’indiquer car j’aurai à y entrer la prochaine fois, ce n’est pas la seule dimension que celle-ci que je désigne comme celle de la tromperie, dans le sens de ce que le sujet cherche — et tout ceci est en suspens — la tromperie, si elle a quelque part, chance de réussir, quant à un faux accès à ce qui lui manque, c’est bien assurément, l’amour qui en donne le modèle, quelle meilleure manière d’assurer, de s’assurer, sur le point où on se trompe, que de per­suader l’autre de la vérité de ce qu’on avance et est-ce que ce n’est pas là une structure fondamentale que le transfert nous donne l’occasion d’imaginer de la dimension de l’amour, c’est qu’à persuader l’autre qu’il a ce qui peut nous compléter, et qu’aussi bien, c’est justement ce qui fait surgir, à point nommé, nécessairement, à l’occasion, cette dimension de l’amour, voilà qui nous servira de perte exemplaire, pour la prochaine fois à démontrer le tour.

J’indique assez que ceci, s’il nous permet de réfuter totalement est une critique aussi extrême et dont on ne voit d’ailleurs pas à quoi elle peut aboutir que celle qui est faite, ici, du maniement du concept de transfert.

Si c’est elle aussi qui nous permet, qui nous indique de complètement rejeter toute référence à cette prétendue alliance avec la partie saine du moi, comme constituant l’opération du transfert (ceci je l’indique pour que vous ne vous y trompiez pas), n’est pas tout ce que j’ai à vous mon­trer. Car c’est le moyen dont le sujet fait surgir un certain nombre d’ef­fets que désigne l’emploi du mot transfert, ce n’est pas là, ce qui motive, ce qui cause radicalement la fermeture qu’il comporte. Ce qui motive, ce qui le cause et qui sera l’autre face de notre examen des concepts du transfert, se rapportant avec ce que j’ai désigné avec le point d’interro­gation, dans la partie gauche, partie d’ombre, réservée au niveau du concept de transfert, et que j’ai dessiné par l’objet a.

 

E Wahl — On pourrait vous demander à quelle théorie de la connais­sance, dans le système des théories existantes, pourrait se rattacher tout ce que vous avez dit dans la première moitié de la conférence et tout ce jeu d’un savoir qui n’est toujours en état de s’éclipser, c’est une évanescence…

Lacan — Comme je suis en train de dire, après tout, que c’est à propre­ment parler la nouveauté du champ freudien que de nous donner dans l’expérience quelque chose qui est fondamentalement saisi comme ça, après tout, ce n’est pas tellement surprenant que vous n’en retrouviez pas le modèle dans Plotin.

Ceci dit, je trouve que j’ai quand même lâché un petit bout de la corde. je sais que mon refus de suivre, par exemple, la première question de Miller à la première ou à la seconde conférence, sur le sujet d’une ontolo­gie, justement de l’inconscient, j’ai tout de même lâché un petit bout de la corde par des références très très précises. J’ai parlé de l’on, de l’ouk on. Avec l’ouk on, je faisais très précisément allusion à la formulation qu’est amené à en donner Ey, dont on ne peut pas dire que ce soit de la plus gran­de compétence concernant ce qu’il en est de l’inconscient. Je parle d’Henri Ey qui essaie de l’intégrer et qui y arrive à des tours de discours, qui arri­ve à situer quelque part l’inconscient dans sa théorie de la conscience. Et j’ai parlé de mé on, de l’interdit, du dit-que-non, de ce qu’il y a d’être visé dans la position de non accès à l’étant, comme l’étant quelque chose qui ne va pas, dans le fond, très loin comme indication proprement métaphy­sique. Je ne pense pas là transgresser les bornes que je me suis à moi-même affirmées, mais qui, tout de même, structurent d’une façon parfaitement transmissible, l’ordre dans lequel peut se situer ce que vous venez de dire, les points sur lesquels vous avez fait porter votre question.

Bien sûr, ça fait intervenir tout ce statut, d’ailleurs depuis longtemps reconnu, comme étant celui de l’inconscient. Pour le terme c’est moins le terme de connaissance dont il s’agit, le terme précisément de savoir tant qu’il est la visée dernière de la réalisation, la Selbstbewusstsein, dans l’in­conscient. Il y a un savoir qui n’est pas du tout à concevoir comme savoir à s’achever, à se clore, comme savoir futur, un savoir de non-savoir. En ce sens, vous complétez par votre question, si vous voulez, les remarques que j’ai faites à ce niveau de l’on, de l’ouk on et du mé on. Encore c’est-il tou­jours trop le substantiver que d’en donner de pareilles formules. C’est pour ça que je les évite très soigneusement, et aussi pourquoi je marque qu’après tout, ça n’est pas là à concevoir comme une réserve, comme des sortes de linéaments qui seraient simplement comme une photo, révélés. Il y a des choses qui sont là, au-delà des volets de la fermeture, mais jus­tement ce n’est pas ce qui se désigne comme articulable, qui s’articule en avant, pour les faire se rouvrir, et de la place de l’analyste à l’occasion.

Ce qu’il y a au-delà, ce que j’ai appelé tout à l’heure la belle derrière les volets, c’est justement ce dont il s’agit et donc que je n’ai point abordé aujourd’hui. Il s’agit justement de repérer, ici, comment quelque chose du sujet est là par-derrière, aimanté en quelque sorte, et aimanté à un degré profond de dissociation, de schize, qui est là le point clé où nous devons voir ce que j’ai appelé le nœud gordien. Ce qui fait que c’est dans le mou­vement même d’obturation qu’il, disons le mot — je le commenterai la prochaine fois, je ne crains pas de le lancer prématurément, — dont il s’agit dans le concept même de ce qui se produit dans le transfert et de ce qu’il est alors, qu’il devient parfaitement concevable comme étant le res­sort de la progression analytique.

 

Autre question ?

 

M. Kaufmann — Quel rapport y a-t-il entre ce que vous avez désigné comme scorie et ce dont vous avez parlé antérieurement comme reste ?

Lacan — Là, le terme scorie est employé d’une façon complètement négative. Ça veut dire, cette véritable régression qui peut se produire sur le plan de la théorie de la connaissance, de la connaissance psychologique, dans toute la mesure où l’analyste se trouve placé dans un champ qu’il ne peut en quelque sorte que fuir ; et du même coup chercher les assurances dans toutes les théories qui vont s’exercer dans le sens d’une thérapeu­tique orthopédique, d’une thérapeutique conformisante, d’une thérapeu­tique qui ne cherche à rien d’autre qu’à ménager au sujet l’accès aux conceptions les plus mythiques de la happyness. Là, ce que j’ai appelé la scorie, c’est, les analystes eux-mêmes, rien d’autre.

M. Kaufman — Là, vous vous placez à un point de vue épistémologique de la connaissance…

Lacan — Je pense que… Je ne pense pas du tout que ce soit une philo­sophie de la connaissance, je pense que c’est ce que j’ai appelé les éléments d’obscurantisme de notre temps. Avec tout ce qu’il comporte, ce manie­ment sans critique des références évolutionnistes, bien d’autres choses encore, ce que Lévi-Strauss a désigné comme l’illusion archaïque, tout ce qui fait l’ambiance de notre pensée.

M. Kaufman — Est-ce que ceci a, dans votre pensée, quelque relation avec la situation analytique elle-même, je veux dire…

Lacan — Ça a une relation à la découverte de l’inconscient…

M. Kaufman —Et est-ce que ça a, dans votre pensée, une relation à la position…

Lacan — … qui est une découverte, en quelque sorte, à la fois un immense gain et une occasion de subversion sans précédent dans la psy­chologie.

M. Kaufman — Est-ce que ceci a quelque relation avec ce qui est mis en question à l’intérieur même de la psychanalyse par les gens qui y partici­pent, touchant l’inconscient. Je rejoins ici ma question, vous avez parlé des phénomènes de reste et il est assez frappant que vous vous serviez du terme de scorie…

Lacan —Je pense que si j’ai changé de terme c’est précisément pour dire qu’il ne s’agit pas là du reste où se transmet la pointe de cette dialectique, à savoir de ce reste en tant qu’il est toujours dans la destinée humaine, le point fécond ; c’est au contraire un reste négatif, un reste éteint, si vous voulez, c’est pour cela que je l’ai appelé une scorie.

M. Kaufman — Est-ce que votre réponse signifie que tout ce qui est visé relève de la même instance…

Lacan —Je ne pense pas. Quand vous verrez la façon dont je serai à doc­triner sur la fonction de l’objet a, vous verrez bien qu’il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Je ne pense pas que la déviation de l’analyse soit quelque chose d’aucune façon assimilable à l’effet dont se constitue la valeur guide de l’objet a par rapport à la subjectivité dans le fantasme.

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