samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXXII R.S.I. 1974 – 1975 Leçon du 18 mars 1975

Leçon du 18 mars 1975

 

– Soury, où êtes-vous ? Bon! alors, vous avez distribué ? J’ai vu, hein! Bon, vous en avez distribués combien?

– Il y a trois textes en cent cinquante exemplaires chacun. – Comment?

– Il y a trois textes en cent cinquante exemplaires chacun.

– Ouais! Alors personne n’en a ! C’est bien ennuyeux! Vous m’aviez dit que vous en feriez… distribueriez cinq cents ?

– On peut en amener d’autres la prochaine fois, mais là on en a amené que cent cinquante.

– Oui, non mais c’est très gentil déjà de votre part, c’est pas un reproche que je vous fais, c’est très gentil déjà de votre part, seulement, seulement c’est… il y en a à qui ça va manquer. Ça va leur manquer d’ailleurs uniquement parce que les autres l’ont!

Bon! alors je suis forcé de dire, pour ceux qui ne l’ont pas, ce qu’il y a dans ces papiers que Pierre Soury et Michel Thomé ont distribués. Il y a ce quelque chose dont vous avez vu la dernière fois – je ne peux pas dire, l’explication, parce que justement je ne l’ai pas expliqué vraiment. Ce dessin qui, me semble-t-il, pour autant que j’en sache quelque chose, qui est une trouvaille, une trouvaille que Michel Thomé a faite sur une certaine figure 61, qui est quelque part dans mon dernier séminaire, celui qui s’appelle, qui est intitulé Encore. Il a fait là la trouvaille d’une erreur, d’une erreur dans ce dessin.

Je présume, je ne peux pas en dire plus, je présume que c’est une erreur heureuse – felix culpa, comme on dit. C’est une erreur heureuse si c’est à l’occasion de cette erreur que Michel Thomé, – mais peut-être l’avait-il inventé tout seul -, avait inventé tout seul ceci que j’ai indiqué, (enfin! la dernière fois, dans un de ces papiers que j’ai fait coller au tableau) et qui démontre qu’il y a en somme, qu’il est possible de figurer – je ne dis pas écrire -, de figurer des nœuds borroméens tels (disons les choses rapidement) qu’ils ne se défassent que par un bout, qu’à partir d’un bout. Si, (ah! c’est pas facile!) si on attaque donc un quelconque, un quelconque des ronds de ficelle qui sont noués d’une certaine façon, – précisément d’une façon non borroméenne puisque si elle était borroméenne, il suffirait de rompre un quelconque pour que tous les autres soient immédiatement indépendants les uns des autres, alors que la définition de ces nœuds, de ces nœuds tels qu’ils ne se défassent que par un bout, ça signifie qu’à attaquer n’importe lequel, ce n’est que dans un sens, et pas dans l’autre, que tous se dénouent – mais dans le sens où tous se dénouent, c’est un par un et non pas immédiatement qu’il convient de les dénouer.

Je ne sais pas si c’est à l’occasion de cette erreur ou de son cru que Michel Thomé a fait, ce que j’appelais tout l’heure, cette trouvaille. Il est peut-être là, alors qu’il le dise! il est là ?

– Vous l’avez faite à l’occasion de l’erreur, la trouvaille ? C’est à l’occasion de l’erreur? Oui? C’est bien ce que je dis, c’est une heureuse erreur! Mais ceci prouve à tout le moins ceci, c’est que (je dois dire ma surprise parce que j’en ai pas tous les jours des preuves), je ne parle pas absolument sans effet. Vous me direz que ces effets, je ne peux pas les mesurer puisqu’on ne m’en donne pas trace. Mais enfin, justement, c’est ce dont je sais gré à ce couple d’amis, Soury et Thomé, c’est de m’en donner trace, c’est encourageant quand même! J’aimerais bien en avoir de temps en temps, d’autres traces! Il faut dire qu’on y regarde à deux fois avant de me les donner, – non sans raison d’ailleurs parce qu’il se pourrait très bien que les traces que j’en recueille, ne soient pas aussi solides, ne soient pas aussi faites nœuds.

Ça donne évidemment une idée que ces nœuds, c’est quelque chose d’assez original, dirai-je, avec l’ambiguïté peut-être, je n’en suis pas sûr, de l’originel. Ce qu’ils confirmeraient, ce serait que c’est pas tellement facile d’y remonter, et puis, ça ne veut pas dire, l’originel, que ça soit de ça qu’on parte. Il est même tout à fait sûr qu’historiquement ben ! disons… ça ne se trouve pas sous le pied d’un cheval, le nœud borroméen ! On s’y est intéressé très tard. Disons que, si tant est que j’ai l’ombre d’un mérite, (je ne sais pas ce que ça veut dire d’ailleurs, « mérite»), c’est que quand j’ai eu vent de ce truc, le nœud borroméen (j’ai trouvé ça dans les notes d’une personne que je rencontre de temps en temps et qui l’avait recueilli au séminaire de Guilbaud) il y a une chose certaine, c’est que j’ai eu immédiatement enfin! la certitude que c’était là quelque chose de précieux. Précieux pour moi, pour ce que j’avais à expliquer.

J’ai immédiatement fait le rapport de ce nœud borroméen avec ce qui, dès lors, m’apparaissait comme des ronds de ficelle. Quelque chose de pourvu d’une consistance particulière, qui reste à appuyer et qui était pour moi reconnaissable dans ce que j’avais énoncé dès le départ de mon enseignement; lequel, sans doute, je n’aurais pas émis, y étant peu porté de nature, sans un appel, un appel lié de façon plus ou moins contingente à, disons, une crise dans le discours analytique. Il est possible qu’avec le temps, je me serais aperçu qu’il fallait quand même cette crise, la dénouer, mais il a fallu des circonstances pour que je passe à l’acte.

Donc, ces nœuds borroméens me sont venus comme bague au doigt et j’ai tout de suite su que ça avait un rapport qui mettait le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel dans une certaine position les uns par rapport aux autres; dont le nœud m’incitait à énoncer quelque chose qui (comme je l’ai dit déjà ici), les homogénéisait.

Qu’est-ce que veut dire homogénéiser? C’est évidemment, comme le remarquait précédemment Pierre Soury dans une petite note qu’il m’a communiquée (parce que je tiens beaucoup rendre à chacun son dû), qu’ils ont quelque chose de pareil. Comme le même Pierre Soury me faisait remarquer: « du pareil au même » (c’est de lui), « du pareil au même, il y a la place pour une différence ». Mais mettre l’accent sur le « pareil », c’est très précisément en ça que consiste l’homogénéisation, la poussée en avant de l’ô~totos qui n’est pas « le même », qui est « le pareil ». Qu’est-ce qu’ils ont de « pareil » ? Eh bien! c’est ce que je crois devoir -123 –

désigner du terme de consistance, ce qui est déjà avancer quelque chose d’incroyable! Qu’est-ce que la consistance de l’Imaginaire, celle du Symbolique et celle du Réel peuvent avoir de commun? Est-ce que par ce mode, cet énoncé, je vous rend sensible (il me semble que c’est difficile de vous le rendre plus sensible), que le terme de consistance dès lors ressortit à l’Imaginaire.

Ouais! Ici je m’arrête pour faire une parenthèse destinée à vous montrer que le nœud, c’est pas facile de le figurer. je ne dis pas de se le figurer, parce que dans l’affaire, j’élimine tout à fait le sujet qui se le figure, puisque je pars de la thèse que le sujet c’est ce qui est déterminé par la figure en question, déterminé, non pas d’aucune façon qu’il en soit le double, mais que c’est des coincements du nœud, de ce qui dans le nœud détermine des points triples du fait du serrage du nœud que le sujet se conditionne.

je vais peut-être tout à l’heure vous le rappeler sous forme de dessin au tableau. Quoi qu’il en soit, le figurer, ce nœud, n’est pas commode. je vous en ai donné déjà des preuves en cafouillant plus ou moins moi-même à tel ou tel petit dessin que j’ai fait; quoi qu’il en soit le dernier épisode de mes rapports avec le nommé Pierre Soury consiste, c’est bien le cas de le dire, en ceci qui est certainement bien étrange. C’est qu’après avoir accédé une première fois à ce qu’il avait avancé, avancé à très juste titre, à savoir qu’il y avait dans le Réel du nœud borroméen, un Réel auquel vous ajoutez ceci que chacun des ronds vous l’orientez.

L’orienter, c’est une affaire qui semble ne concerner que chacun des ronds. Il y aurait une autre façon, ces ronds, (ne disons pas de les reconnaître, car reconnaître ça serait déjà entrer dans toutes sortes d’implications), disons de les différencier, ça serait de les colorier. Vous sentez bien toute la distance qu’il y a entre le coloriage (et c’est là quelque chose qui devrait rentrer au niveau où Goethe a pris les choses : mais il y en a pas la moindre trace dans La théorie des couleurs) et un niveau où ceyar quoi la couleur est quelque chose qui est gros de différenciation. Evidemment, il y a une limite, à savoir qu’il n’y a pas un nombre infini de couleurs. Il y a des nuances sans doute. Mais grâce à la couleur, il y a de la différence.

J’avais posé la question à un de mes précédents séminaires : si ces nœuds, j’en avais pris un, un peu plus compliqué que le nœud borroméen à trois, non pas qu’ils ne fussent pas trois, mais j’avais posé la question de savoir si ce nœud n’était qu’un, à savoir si l’introduction de la différenciation dans le nœud laissait le nœud non pas «pareil», mais toujours le « même ». Il est effectivement toujours le même, mais il n’y a qu’une seule façon de le démontrer, c’est de démontrer que dans tous les cas, (qu’est-ce que veut dire « cas » ?), il est réductible au « pareil ».

C’est bien en effet ce qui est arrivé. C’est que j’étais en effet bien convaincu qu’il n’y a qu’un nœud colorié, mais j’ai eu un flottement, c’est ça que j’appelle ma dernière aventure concernant le nœud orienté. Parce qu’« orienté » ça concerne un oui ou un non pour chacun des nœuds et je me suis laissé, là, égarer par quelque chose qui tient au rapport de chacun de ces oui ou non avec les deux autres. Et pendant un moment, je me suis dit – je n’ai pas été jusqu’à me dire qu’il y avait huit nœuds (je ne suis pas si bête!), à savoir 2 x 2 x 2 x 2, « oui ou non » x « oui ou non » x «oui ou non » x «oui ou non ». je n’ai même pas été jusqu’à penser qu’il y en avait quatre, mais je ne sais pas pourquoi je me suis cassé la tête sur le fait qu’il y en avait deux, et ce n’est pas quand même quelque chose qui soit sans portée. Qu’après l’avoir demandé de façon expresse, j’ai obtenu de Pierre Soury, qui, je l’espère, vous en fera la distribution la prochaine fois, j’ai obtenu, (vais-je dire la démonstration ?) ce que je demandais, à savoir la monstration qu’il n’y a qu’un nœud borroméen orienté. La monstration en question, que Pierre Soury m’a communiquée dans les délais, si je puis dire (il n’est pas sans mérite), il a fallu qu’il se [la colletinne], c’est cotonneux à démontrer, il m’a fourni à temps pour que je le lise et que j’en sois bien convaincu, la monstration sinon la démonstration, la monstration que de nœud orienté, il n’y en a qu’un, bel et bien le même.

La seule chose à quoi ceci nous conduit et, là, c’est lui que J’interpelle, c’est ceci : c’est que ce pareil qu’il réduit au même, il ne peut le faire qu’à partir de ce quelque chose sur quoi je l’interroge à cette occasion. C’est : pourquoi faut-il pour qu’on la figure, cette monstration, pourquoi faut-il en passer par ce que j’appelle, et que j’ai déjà appelé, ma mise à plat du nœud ?

C’est quelque chose qui mérite d’être individualisé, cette mise à plat. Parce que, comme je pense que vous l’avez déjà vu par ce crayonnage qu’il a bien fallu que je fasse sur un tableau (c’est-à-dire mise à plat, un crayonnage perspectif), vous avez bien pu voir que si ce nœud n’est pas du tout de sa nature un nœud plat, bien loin de là! le fait qu’il faille passer par la mise à plat pour mettre en valeur la mêmeté du nœud, quelle que soit l’orientation que vous donnez à chacun (ce qui, je l’ai déjà fait sentir, indiqué, évoquerait qu’il y en aurait huit) je vous ai dit que je m’y suis pas laissé prendre. Mais enfin! quand même je me suis encore empêtré à penser qu’il y en avait deux. Cela prouve simplement l’extraordinaire débilité de la pensée, au moins de la mienne; et d’une façon générale que la pensée, celle qui procède par ce que j’ai dit tout à l’heure d’un oui ou non, la pensée, il convient d’y regarder à deux fois avant d’accepter ce qu’il faut bien intituler, du verdict.

Est-ce qu’il n’y a pas, si je puis dire, une sorte de fatum de la pensée qui, en l’attachant de trop près au vrai, lui laisse glisser entre les doigts, si je puis dire, le Réel ? C’est bien ce que j’ai fait surgir la dernière fois par une remarque sur le concept en tant que ce n’est pas la même chose, le concept, que la vérité; en tant que le concept ça se limite à la prise comme le mot capere implique, et qu’une prise, ce n’est pas suffisant pour s’assurer que c’est le Réel qu’on a en main.

Voilà! Ces propos que je vous tiens, que vous avez, je ne sais pas pourquoi, la patience d’accepter, font qu’il m’est impossible de vous avertir à tout instant de ce que je fais en vous parlant. Que je fasse quelque chose qui vous concerne, votre présence en est la preuve, mais ça ne suffit pas pour dire sous quel mode cela se passe. Dire que vous y comprenez quelque chose n’est même pas certain, pas certain au niveau où se soutient ce que je dis; mais il y a quand même quelque chose qui est digne et c’est bien pour situer ce quelque chose (je le dis sous cette forme) que « on se comprend ». Il est difficile de ne pas sentir, dans le texte même de ce qui est dit – dans le sens, que : « on se comprend » n’a pas d’autre substrat que « on s’embrasse». Et je vois quand même que c’est pas là tout à fait ce que nous faisons, et qu’il y a là une équivoque, une équivoque qui, il faut le dire, comme toutes les équivoques a une face de saloperie, pour appeler les choses par leur nom. Et ce dont je m’efforce, disons, c’est de mettre un peu d’humour dans la reconnaissance de cette saloperie comme présence!

C’est bien ce qui donne son poids à la façon dont je tranche le nœud en énonçant ce point dont il convient bien de préciser la portée, qu’il n’y a pas de rapport sexuel.

Qu’est-ce que ça veut dire, quand je le dis ? Ça veut pas dire que le rapport sexuel ne traîne pas les rues! Et qu’en mettant en évidence qu’il faut tout recentrer sur ce frotti-frotta (ce fricotage, pour faire appel à quoi! au Réel! au Réel du nœud), Freud n’a pas bien sûr fait un pas, un pas qui d’ailleurs consistait, n’est-ce pas, tout simplement à s’apercevoir que depuis toujours on ne parlait que de ça : que tout ce qui s’était fait de philosophie suait le rapport sexuel à plein bord.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire si j’énonce qu’il n’y a pas de rapport sexuel ? C’est désigner un point très local, manifester la logique de la relation, marquer que R pour désigner la relation, R à mettre entre x et y, c’est entrer d’ores et déjà dans le jeu de l’écrit, et que, pour ce qui est du rapport sexuel, il est strictement impossible d’écrire x R y, d’aucune façon, qu’il n’y a pas d’élaboration logicisable et du même coup mathématisable du rapport sexuel.

C’est exactement l’accent que je mets sur cet énoncé « il n’y a pas de rapport sexuel », et c’est donc dire que sans le recours à ces consistances différentes (pour l’instant je ne les prends que comme consistances), à ces consistances différentes qui pourtant se distinguent d’être nommées Imaginaire, Symbolique, et Réel, sans le recours à ces consistances en tant qu’elles sont différentes, il n’y a pas de possibilité de frotti-frotta. Qu’il n’y a aucune réduction possible de la différence de ces consistances à quelque chose qui s’écrirait simplement d’une façon qui se supporte, je veux dire qui résiste à l’épreuve de la mathématique et qui permette d’assurer le rapport sexuel.

Ces modes qui sont ceux sous lesquels j’ai pris la parole, Symbolique, Imaginaire et Réel, je ne dirai pas du tout qu’ils soient évidents. Je m’efforce simplement de les é-vider, ce qui ne veut pas dire la même chose parce qu’« évider » repose sur vide et qu’« évidence » repose sur « voir ». Est-ce à dire que j’y crois ? J’y crois dans le sens où ça m’affecte comme symptôme. J’ai déjà dit ce que le symptôme doit à l’y croire. Et ce à quoi je m’efforce, je m’essaie, c’est à donner à ce J’y crois, une autre forme de crédibilité. Il est certain que j’y échouerai. Ce n’est pas une raison pour ne pas l’entreprendre, ne serait-ce, pour démontrer ce qui est l’amorce de l’impossible, déjà mon impuissance.

Le nœud est supposé par moi être le Réel dans le fait de ce qu’il détermine comme ek-sistence, je veux dire, dans ce par quoi il force un certain tain mode de « tourne autour», le mode sous lequel ek-siste un rond de ficelle à un autre, voilà sur quoi j’en arrive à déplacer la question, par elle-même insoluble, de l’objectivité.

Ça me semble moins bébête, l’objectivité ainsi déplacée, ça me semble moins bébête que le noumène; parce que, (tâchez de penser un peu ce sur quoi on s’obstine depuis plus de deux millénaires d’histoire) le noumène, conçu par opposition au phénomène, il est strictement impossible de ne pas faire surgir à son propos – mais vous allez le voir c’est d’un après-coup – de ne pas faire surgir à son propos la métaphore du trou.

Rien à dire sur le noumène, sinon que la perception a valeur de tromperie. Mais pourquoi, là, ne pas faire remarquer que c’est nous qui la disons tromperie, cette perception ? Car la perception à proprement parler ne dit rien précisément. Elle ne dit pas, c’est nous qui lui faisons dire, nous parlons tout seuls. C’est bien ce que je dis : à propos de n’importe quel dire, nous prêtons notre voix. Ça c’est une conséquence : le dire, ce n’est pas la voix, le dire est un acte.

Alors, si le noumène ce n’est rien d’autre que ce que je viens d’énoncer comme trou, peut-être ce trou, de le retrouver dans notre Symbolique nommé comme tel et à partir de la topologie du tore (du tore en tant que distingué de la sphère par un mode d’écriture dont se définissent aussi bien homo- que homéo-, que auto-morphisme) dont le fondement est toujours la possibilité de se fonder sur ce qu’on appelle une déformation continue (et une déformation qui se définit de rencontrer ce qui fait obstacle – c’est ça la topologie – d’une autre corde supposée consister), c’est ça qui fait le tore (t-o-r-e) que j’appellerais bien à l’occasion le tore-boyau.

Est-ce que pour vous figurer le tore d’une façon qui soit bien sensible…

[Au tableau] Voilà un tore [figure VIII-1], faites-y un trou, introduisez la main et attrapez ce qui est au centre, au centre du tore. Ça laisse comme ça un sentiment dont le moins qu’on puisse dire est qu’il y a discordance entre cette main et ce qu’elle serre.

Il y a une autre façon que ça de le montrer, ça serait à l’intérieur du tore de supposer un autre tore [figure VIII-2]. Jusqu’où peut-on aller comme ça? Faut pas croire qu’il suffise ici d’en placer un autre à l’intérieur du second tore, car ça ne serait pas du tout quelque chose d’homogène malgré l’apparence donnée par la coupe, ça ne serait pas quelque chose d’homogène à ce qui est figuré ici.

[Au tableau] Comme le démontre bien la façon correcte de dessiner un tore, quand on le fait d’une façon mathématique [figure VIII-3], il faudrait que ce soit un autre rond placé ici [figure VIII-2] pour qu’il soit, celui-là, équivalent à celui que j’ai coupé d’abord pour donner ici figure du tore.

Bref, ces cordes supposées consister, si elles donnent quelque support à la métaphore du trou, ce n’est qu’à partir de la topologie du tore en tant qu’elle élabore mathématiquement la différence entre une topologie… implicite et une topologie qui, de s’en distinguer, devient explicite, à savoir la sphère : en tant que toute supposition d’imaginaire participe d’abord implicitement de cette sphère en tant qu’elle rayonne. Que la lumière soit! Ça, ce n’est pas un tore-boyau!

L’ennuyeux, c’est ce que l’analyse révèle, concernant ce qu’il en est de la consistance du corps, c’est au boyau qu’il faut en venir au lieu des polyèdres qui ont occupé l’imagination timéenne, timéïque, pendant des siècles. C’est ce que j’appelais tout à l’heure le tore-boyau qui prévaut, et quand je dis le tore-boyau, ça ne suffit pas (comme vous le voyez assez à ces dessins), ça ne suffit pas à orienter les choses vers le boyau, – c’est aussi bien un sphincter.

Nous voilà donc là dans ce qui rend plus sensible que tout, le rapport du corps à l’Imaginaire, et ce que je veux vous faire remarquer, c’est ceci peut-on penser l’Imaginaire, l’Imaginaire lui-même en tant que nous y sommes pris par notre corps, peut-on penser l’Imaginaire comme imaginaire pour en réduire, si je puis dire, de quelque façon, l’imaginarité ou l’imagerie (comme vous le voulez) ?

On est dans l’Imaginaire, c’est là ce qu’il y a à rappeler. Si élaboré qu’on le fasse, c’est à quoi l’analyse vous ramène; si élaboré qu’on le fasse, dans l’Imaginaire, on y est. Il n’y a pas moyen de le réduire dans son imaginarité. C’est en ça que la topologie fait un pas. Elle vous permet de penser, mais c’est une pensée d’après-coup, que l’esthétique, (que ce que vous sentez, autrement dit) n’est pas en soi, comme on dit, transcendantale : que c’est lié à ce que nous pouvons très bien concevoir comme contingence, à savoir que c’est cette topologie-là qui vaut pour un corps. Encore n’est-ce pas un corps tout seul! S’il n’y avait pas de Symbolique et d’ek-sistence du Réel, ce corps n’aurait simplement pas d’esthétique du tout, parce qu’il n’aurait pas de tore-boyau. Le toreboyau (t-o-r-e- et trait d’union comme je l’écris) c’est une construction mathématique, c’est-à-dire faite de ce rapport inek-sistant (en tant qu’eksistant) qu’il y a entre le Symbolique et le Réel. La notion de nœud que je promeus s’imagine sans doute, je l’ai dit, se figure entre Imaginaire, Symbolique et Réel, sans perdre pour autant son poids de réel, mais justement de quoi? De ce qu’il y ait nœud effectif c’est-à-dire que les cordes se coincent, qu’il y ait des cas où l’ek-sistence, le tourne-autour, ne se fait plus à cause de ces points triples dont se supprime l’eksistence. C’est cela que j’ai indiqué en vous disant que le Réel se démontre de n’avoir pas de sens, n’avoir pas de sens parce qu’il commence. Parce qu’il commence à quoi?

[Au tableau] Au fait qu’ici, si ce Réel, pour l’indiquer, si ce Symbolique pour l’indiquer d’une autre couleur, je le fais ainsi, réduisant la place, celle que j’ai indiquée être du petit a, je réduis le sens à ce point triple qui est ici. Seul ce sens, en tant qu’évanouissant donne sens au terme de Réel. De même, ici, en cet autre point triple qui serait défini de ce coin, c’est la jouissance en tant que phallique qui implique sa liaison à l’Imaginaire comme ek-sistence, l’Imaginaire c’est le pas-de-jouissance. De même que pour le Symbolique, c’est très précisément qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre qui lui donne sa consistance.

Est-ce à dire que tout ceci ce sont des modèles ? J’ai déjà dit et proféré, ce qui n’est pas raison pour que le ne le répète pas, que les modèles recourent comme tels à l’Imaginaire pur, les nœuds recourent au Réel et prennent leur valeur de ceci qu’ils n’ont pas moins de portée dans le mental que le Réel, même si le mental est imaginaire pour la bonne raison qu’ils ont leur portée dans les deux. Tout couple, tout ce qu’il y a de couple se réduit à l’Imaginaire, la négation est aussi bien façon d’avouer, Verneinung, Freud y insiste dès le début : façon d’avouer là où seul, l’aveu est possible parce que l’Imaginaire, c’est la place où toute vérité s’énonce et une vérité niée a autant de poids imaginaire qu’une vérité avouée, Verneinung que Bejahung.

Comment se fait-il, c’est la question que je pose de vous apporter la réponse, que le Réel ne commence qu’au chiffre 3 ? Tout Imaginaire a du 2 dans le coup, si je puis dire, comme reste de ce 2 effacé du Réel. C’est bien en cela que le 2 ek-siste au Réel, et qu’il n’est pas déplacé de confirmer que l’ek-sistence, à savoir ce qui joue de chaque corde comme eksistence, a la consistance des autres, que cette ek-sistence, c’est-à-dire ce jeu, ce champ limité, ou le trajet, (ou le lacet comme me disait récemment quelqu’un me parlant sur ce sujet, qui n’est encore que Soury) que l’ek-sistence, le jeu de la corde jusqu’à ce que quelque chose la coince, -131 –

c’est bien là la zone où l’on peut dire que la consistance, la consistance du Réel, à savoir ce sur quoi Freud a mis l’accent, a renouvelé l’accent, sans doute d’un terme antique, le phallus. Mais comment savoir ce que les Mystères mettaient sous le terme du phallus ? En l’accentuant, Freud s’y est épuisé, mais ce n’est pas d’une autre façon que de sa mise à plat. Or, ce dont il s’agit, c’est de donner tout son poids à cette consistance, non pas seulement ek-sistence du Réel. Nommer, nommer, qu’aussi bien vous pourriez écrire n-apostrophe-h-o-deux-m-e-r, n’hommer. « Dire » est un acte : ce par quoi « dire » est un acte, c’est d’ajouter une dimension, une dimension de mise à plat.

Sans doute, dans ce que j’incitais à l’instant Pierre Soury à nous faire part, à savoir de sa démonstration, de ce qu’il n’y a qu’un nœud, à le prendre comme orienté, il distingue toutes sortes d’éléments qui ne relèvent que de la mise à plat : retournements de plans, retournements de ronds, retournements de bandes, voire échange externe ou interne. Ce ne sont là, vous le lirez, du moins je l’espère, ce ne sont là qu’effets de mise à plat dont il convient de mettre en valeur qu’il n’y a là qu’un recours, qu’un recours exemplaire à la distance qu’il y a entre le Réel du nœud et cette conjonction de domaines, celle qui s’inscrit, tout à l’heure que j’inscrivais ici au tableau pour donner poids au sens. Que tout ceci puisse éclairer, éclaire en fait la pratique d’un discours, du discours proprement dit analytique, c’est ce que je vous laisse à décider, sans faire plus aujourd’hui de concessions. J’en conviens, je n’en ai pas beaucoup faites. Mais référez-vous simplement à des termes tels que ceux que Freud avance concernant ce qu’il appelle l’identification. Je vous propose en clôture de cette séance d’aujourd’hui ceci : l’identification, l’identification triple telle qu’il l’avance, je vous formule la façon dont je la définis

s’il y a un Autre réel, il n’est pas ailleurs que dans le nœud même et c’est en cela qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Cet Autre réel, faites-vous identifier à son Imaginaire, vous avez alors l’Identification de l’hystérique au désir de l’Autre, celle qui se passe ici en ce point central. Identifiez-vous au Symbolique de l’Autre Réel, vous avez alors cette identification que j’ai spécifiée de l’einziger Zug, du trait unaire. Identifiez-vous au Réel de l’Autre réel, vous obtenez ce que j’ai indiqué du Nom-du-Père, et c’est là que Freud désigne ce que l’identification a à faire avec l’amour.

Je parlerai la prochaine fois des trois formes de Noms-du-père, celles qui nomment comme tels, l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel, car c’est dans ces noms eux-mêmes que tient le nœud.

 

1 – Le texte de cette note est reproduit à l’annexe II. p. 187.

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