Leçon du 18 février 1975
La dernière fois, je vous ai témoigné de mes expériences « errantes », et comme j’étais déçu que le mardi-gras n’ait pas raréfié la plénitude de cette salle, comme j’en étais déçu, je me suis laissé glisser à vous raconter ce que je pense.
Néanmoins aujourd’hui pour des raisons qui me sont, je dois dire, personnelles, pour la raison que mon travail a été un peu dérangé cette semaine, j’aimerais bien prendre le relais de ce qui me semblait déjà s’imposer et qui, après tout, je peux le concevoir, demandait un temps. Aujourd’hui ce temps me semble, je vous le répète, pour de simples raisons personnelles, ce temps pourrait bien venir – du moins, je le souhaite – que certains, certains parmi vous, me posent, me posent des questions auxquelles, je vous le répète, je serais heureux au moins de pouvoir répondre à ce qui semblerait que dans l’état actuel j’ai la réponse.
Je serais vraiment très très reconnaissant à ces certains qui certainement au sens où je l’entends, ek-sistent, à ces certains s’ils me lançaient la balle, si je puis dire; et à la personne qui s’y dévouerait la première, parce qu’après tout, il suffit qu’un se décide, pour que d’autres s’en trouvent frayer la voie.
Voilà! Je fais appel à qui voudrait bien parler le premier ou la première. J’aimerais beaucoup qu’on me pose une question. D’abord ça me donnerait la note de ce qui peut accrocher. Il me semble que la dernière fois déjà, en avançant ce que j’ai dit d’un effort fait, pour distinguer (non seulement distinguer) ce dont je vous montrerai à l’occasion d’où ça part… -89-
Ça part d’une mise à plat du nœud. Il faut dans le nœud distinguer ceci c’est que si c’est très difficile d’en faire rentrer la théorie dans la mathématique, ceci au point que disons, je n’ai pas trouvé quoique ce soit qui réponde à ce nœud, à ce nœud qui (j’y ai été mené enfin! pas à pas), à ce nœud à quoi j’ai abouti en tant que le nœud borroméen. Comment j’y ai abouti ? Il est certain qu’actuellement, enfin si moi bien sûr! j’en sais la suite, seule pourra permettre d’en trouver le fil, c’est-à-dire, ce qui en fait la consistance, seule permettra d’en trouver le fil, la suite, la suite des Séminaires dont vous avez le premier et le dernier, grâce au soin de quelqu’un, et aussi celui qui n’est pas le médian, celui qui est le onze. C’est assurément ce qui en donnera ce que je désigne de la consistance.
Comment se fait-il que quelque chose qui, je l’ai évoqué, aurait pu être le départ d’un autre mode de penser, avec rigueur. More geometrico, c’est ce que, c’est ce qu’un Spinoza, par exemple, se targuait de filer, de déduire quelque chose selon le mode et le modèle donné par les Anciens. Il est clair que ce more geometrico définit un mode d’intuition qui est proprement le mathématique et que ce mode d’intuition, après tout, ne va pas de soi.
La façon dont le point, la ligne, est en quelque sorte fomentée d’une fiction, et aussi bien la surface qui ne se soutient que de la fente, que de la cassure, d’une cassure sans doute spécifiée, spécifiée d’être à deux dimensions (mais comme la ligne n’est une dimension que d’être sans consistance à proprement parler, ce n’est pas beaucoup dire que de dire qu’on en ajoute une) et d’autre part, la troisième, celle qui en somme s’édifie d’une perpendiculaire à la surface, est quelque chose de bien étrange.
Comment, sans que quelque chose donne support à ce qu’il faut bien dire être abstraction fondée sur un coup de scie, comment, sans retrouver la corde, faire tenir cette construction ? Mais, d’un autre côté, ce n’est pas non plus par hasard que les choses se sont ainsi produites, sans doute y a-t-il là une nécessité qui est, disons, mon Dieu! parce que je ne trouve pas mieux, qui est de la faiblesse d’un être manuel, Homo Faber comme on l’a dit. Mais pourquoi cet être manuel, l’homo faber qui aussi bien, ne serait-ce que pour, je l’ai fait remarquer, véhiculer ce à quoi il s’attaque, ce qu’il manipule, part bien de quelque chose qui a consistance, part de la corde ? Quelle nécessité fait que cette corde, cette corde – dont dans la dixième Règle, celle de Descartes, que j’ai évoquée – Descartes évoque qu’aussi bien, après tout, l’art du tisserand, l’art de la tresse, (l’art de la fileuse pourrait donner le modèle) comment se fait-il que des choses s’exténuent, s’exténuent à ce point que le fil en devienne inconsistant ?
Peut-être y a-t-il là ce quelque chose qui est en rapport avec un refoulement ? Avant de s’avancer jusqu’à dire que ce refoulé, c’est le primordial, c’est l’Urverdrängt, c’est ce que Freud désigne comme l’inaccessible de l’inconscient. [Rumeur au fond de la salle]. Ce ne serait peut-être pas mal que quelqu’un du fond prenne la parole et me pose une question, ça me montrerait à quelle hauteur il faut élever la voix pour que moi j’entende, puisque les choses semblent mal fonctionner. Est-ce que quelqu’un du fond ne pourrait pas frayer cette voie que j’ai souhaitée tout à l’heure ?
Il faut partir de ceci n’est-ce pas! de combien aisément on rate la figuration de ce nœud, de ce nœud spécial que je désigne d’être borroméen et qui a cette propriété singulière qu’il suffit de rompre quelque chose qui pourtant s’y figure simplement à savoir d’un tore, à savoir d’un tore dont justement il suffit de le couper pour avoir en main cette épaisseur, cette consistance à savoir ce qui fait corde.
C’est bien pourquoi interrogeant, interrogeant mon nœud ainsi dessinable [au tableau] [figure VI-I] et de fait dessiné, j’ai marqué ceci qu’il n’était pas moins dessinable et qu’il restait nœud à cette seule condition qu’une de ces boucles, on l’ouvre [figure VI-2] et qu’elle se transforme en une droite – nous retrouvons la question que j’ai posée au départ, celle de la droite et de son peu de consistance mathématique, géométrique; ici cette consistance restituée suppose que nous l’étendions à l’infini pour qu’elle continue à jouer sa fonction. Il faut donc voir infiniment prolongée cette -91 –
corde, en haut et en bas, pour que le nœud reste tel, reste nœud. C’est bien en quoi la droite, la droite sur quoi en somme prend appui cette corde dans son état présent, la droite n’est guère consistante et c’est bien là-dessus d’ailleurs que la géométrie a si l’on peut dire, glissé; soit à partir du moment où cette droite infinie on en a dans une géométrie dite sphérique, restitué l’infini, en en faisant un nouveau rond. Sans s’apercevoir que dès la position du nœud, du nœud borroméen, ce rond est impliqué et qu’il n’y avait donc pas peut-être a faire tout ce détour.
Quoi qu’il en soit, la dernière fois vous m’avez vu étendre cette géométrie du nœud borroméen à trois, à la figuration de ce qui est exigé pour que ça vaille pour quatre. C’était vous donner l’expérience de la difficulté de ce que j’ai appelé le nœud mental. Mais je sais bien que c’est à la tentative de le mettre à plat, le mettre à plat ce nœud mental, c’est-à-dire se soumettre à ce que la prétendue pensée, c’est-à-dire quelque chose qui colle à l’étendue, à une condition : bien loin d’en être séparée comme le suppose Descartes – la pensée n’est qu’étendue, et encore, il lui faut une étendue, pas n’importe laquelle, une étendue à deux dimensions, une étendue qui puisse se barbouiller. Car c’est bien là la façon dont il ne serait pas déplacé, dont il ne serait pas inopportun de définir cette surface dont tout à l’heure je montrais dans la géométrie, celle qui s’imagine, qui s’est soutenue essentiellement d’un imaginaire, c’est bien comme ça qu’on pourrait aussi bien la définir cette surface, ce trait de scie sur un solide, c’est que ça offre quelque chose, quelque chose à barbouiller.
Il est singulier que la seule façon dont on soit arrivé en somme cette surface idéale, a la reproduire, ce soit justement ce devant quoi on recule, à savoir la tresse d’une toile et que ce soit sur une toile que le peintre ait en somme à barbouiller, puisque c’est tout ce qu’il trouve à faire pour dompter le regard, (comme je l’ai exprimé dans un temps, ce qu’il en est de la fonction du peintre) et qu’ici aussi c’est sur quelque chose de spécifié, le tableau noir, que je me trouve forcément mettre à plat, mettre à plat ce que j’ai à vous communiquer du nœud. C’est bien là qu’en effet se sent d’une façon particulière, se sent ceci, c’est que ce nœud que je vous ai d’autre part figuré grâce a votre imagination perspective, à savoir comment ça tient, le nœud borroméen a trois, comment C’est fait, c’est fait de deux nœuds qui sont indépendants l’un de l’autre, et il s’agit de savoir par où passe le troisième pour que ça fasse nœud.
Je vous al posé la même question concernant ce qu’il faut pour que ça fasse nœud, même si au départ nous laissons les trois ronds de ficelle du premier problème, nous les laissons indépendants, et je vous ai figuré en le mettant à plat également quoique d’une façon qui en portait la perspective en vous figurant ce qu’il en est de ce qui se passe pour ces trois ronds que j’ai dessines indépendants, en nie contentant, pour vous simplifier les choses, de montrer comment il faut les tracer pour que le quatrième, le quatrième que j’ai représenté un peu différemment de la façon dont je le fais maintenant vous mettant en valeur la fonction quadruple du quatrième rond de ficelle [figure VI-3].
Mais quand j’ai voulu le mettre à plat d’une façon qui reproduise en la modifiant, c’est-à-dire en rendant indépendants les trois nœuds, les trois ronds de ficelle de départ je me suis trouvé faire une erreur. Et cette erreur je puis dire qu’il s’agissait plutôt d’un ratage, lié à ceci qu’en étant las, las de nie souvenir des trucs que je m’étais donne a moi-même pour correctement figurer ce qui résulte de la mise à plat, d’une mise à plat modelée sur celle du nœud à trois, j’ai omis, j’ai raté si je puis dire, j’ai raté exprès, par lassitude, et aussi bien pour vous donner, mon Dieu! l’exemple du peu de naturel avec lequel ces choses fonctionnent, à savoir la représentation du nœud.
[Au tableau]. Voici donc, pour en prendre le truc mental, la façon d’abord dont ceci s’opère : si du supérieur à l’inférieur, vous notez par 1, 2, 3, [figure VI-4] ce qui bien sûr! n’a rien à faire avec un supérieur et un inférieur, puisque aussi bien il suffirait de les retourner pour que le problème se renouvelle. Voici comment il convient de procéder, cela je le savais, mais justement c’est à le négliger du fait que je me suis trouvé opérer de la façon que vous avez vue, et qui laissait hors du nœud le cercle 1, mais du même coup aussi bien tous les autres. Il convient de partir de ce qui, des trois cercles mis à plat de cette façon, et le 3 hors du 1 et de finir par le 3 dans le 2. Quand on opère ainsi, les choses fonctionnent.
Il n’en est pas moins vrai qu’il est facile de voir qu’elles peuvent aussi fonctionner d’une autre façon, mais qu’il y en a une troisième, justement celle que j’ai prise la dernière fois et qui laisse un de ces nœuds libres et nommément le l, ce en quoi du même coup, il laisse libre les autres.
Pourquoi en somme l’acte manqué ici a-t-il fonctionné, sinon pour témoigner que nulle, après tout, analyse n’évite que quelque chose, quelque chose ne résiste dans cette théorie du nœud. Et c’est bien ce qu’après tout, je ne crois pas mal de vous l’avoir fait sentit, et de vous l’avoir fait ressentir en quelque sorte d’une façon expérimentale. Il est tout à fait clair que l’autre façon, l’autre façon qui se distingue de ceci, c’est que à inverser ces deux propositions, à savoir à partir de ce qui du 2 est hors du 1, mais ce que je fais là n’a pas… [Au tableau] ce que je fais là et que je n’avais pas fait d’abord embrouille, puisque aussi bien c’est vous figurer les choses d’une façon qui fait que les deux ronds de ficelle verts ont l’air de se recroiser. Annuler simplement ces quatre points et vous verrez que dans chaque cas les deux façons de procéder conviennent bien.
En quoi conviennent-elles bien ? Elles conviennent bien en ceci, c’est que la fonction du 2 et celle du 3, comme l’autre figure, celle qui est en perspective, le démontre, comme l’autre figure le fait apparaître, la fonction du 2 et du 3 sont strictement équivalentes, et qu’au regard du cercle qui serait ici désigné 1, ces deux autres s’équivalent strictement : à savoir que pour que ce qui est de la façon dont le rond rose les contourne, le mode est le même si nous adoptons cette figuration.
Que dire? Que dire sinon que ce que la figure centrale met en évidence, c’est que la droite infinie qui s’y figure, la droite dite infinie, (mais dont j’ai fait remarquer à l’occasion ce que ça suppose, à savoir à proprement parler l’impossible) que cette droite infinie s’oppose, s’oppose du fait de sa rupture (et cette rupture, comment ne pas la considérer comme affine à quelque chose qui est bien l’essentiel du nœud), cette droite s’oppose à ce qui fait rond comme ce que j’ai appelé la consistance, à d’autre part quelque chose sur quoi je n’ai pas appuyé la dernière fois et qui est bien ce qui fait l’essentiel de ce que nous appelons un rond, et nommément un rond de ficelle, c’est-à-dire le trou qu’il y a au milieu. D’où l’interrogation que j’ai posée la dernière fois de savoir s’il n’y avait pas correspondance, correspondance de la consistance, de l’ek-sistence et du trou à chacun même des termes que j’avance comme Imaginaire, Symbolique et Réel. Si la consistance est bien comme je l’ai énoncé la dernière fois de l’ordre de l’Imaginaire, puisque aussi bien c’est vers ce point de fuite de la ligne mathématique que la corde s’en va, nous avons à nous interroger sur ce qu’il en est de ce qui fait le rond de ficelle comme tel, et que si nous disons que c’est le trou, c’est un fait que nous n’en sommes pas satisfaits : qu’est-ce qu’un trou, si rien ne le cerne ?
Or, la dernière fois, j’avais bien marqué que l’ek-sistence, [au tableau] à savoir ce quelque chose qui au regard de l’ouverture et de ce qui fait trou, que l’ek-sistence à savoir pour mettre les choses à plat, ce quelque chose que nous devons, dans la mise à plat, figurer [figure VI-5], que l’ek-sistence appartient à ce champ, qui est, si je puis dire, supposé par la rupture elle-même et que c’est par là, c’est là dans, dans l’a (écrivez la, l apostrophe a) que se joue si l’on peut dire le sort du nœud, que si le nœud a une eksistence, c’est d’appartenir à ce champ et c’est bien en ceci que je l’énonçais que l’ek-sistence est au regard de cette correspondance de l’ordre du Réel, que l’ek-sistence du nœud est Réel à tel point que j’ai pu dire, j’ai pu avancer que le nœud mental, ça ek-siste, que le mens se le figure ou pas, puisque ce que nous voyons c’est qu’il en est encore à explorer, à explorer cette ek-sistence du nœud, et à l’explorer non sans peine, puisqu’il n’y a pas à ma connaissance, quoique ce soit, sauf à apprendre à le constituer et à l’apprendre par la tresse, ce qui assurément n’est pas à proprement parler une façon mentale de résoudre la question, alors qu’il semble, il semble qu’il y ait à proprement parler une résistance du mens à mentaliser ce nœud. Je vous en ai donné tout à l’heure un exemple!
Sans doute est-ce par un procédé qui est celui du reste et qui suppose comme fondamental l’ordre exploré, exploré à partir de mon expérience, exploré de l’expérience à proprement parler analytique dont j’ai dit qu’elle m’a conduit à cette trinité infernale, appelons-la par son nom, cette Trinité infernale du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Je ne pense pas ici jouer d’une corde qui ne soit pas freudienne, Flectere si nequeo Superos écrit en tête de la Traumdeutung le cher Freud Acheronta movebo. Et c’est sans doute là que prend illustration, enfin! ce que j’ai appelé la vérité, la vérité d’une certaine religion, pour laquelle je mettais en valeur que ce n’est pas tout à fait au hasard qu’elle arrive à une notion divine qui soit d’une trinité ceci, contrairement à la tradition sur laquelle elle-même se branche. Je ne vous dis pas comme je me suis laissé aller à en faire confidence à un auditoire qui n’était autre, si mon souvenir est bon, que celui, je crois d’Angleterre, à moins que ce ne soit celui de Strasbourg, qu’importe d’ailleurs! – je n’ai pas été jusqu’à faire cette confidence que le désir de l’homme, ce qui est pourtant tangible, c’est l’enfer, l’enfer très précisément en ceci que c’est l’enfer qui lui manque! Et avec cette conséquence que c’est à quoi il aspire, et nous en avons le témoignage, le témoignage dans la névrose qui est très exactement ceci, c’est que le névrosé c’est quelqu’un qui n’arrive pas à ce qui pour lui est le mirage où il se trouverait à se satisfaire, c’est à savoir une perversion, qu’une névrose c’est une perversion ratée.
Simple petite illustration du nœud, – du nœud et de ce pour quoi c’est au nœud que j’arrive pour essayer de soutenir, si je puis dire, ce qui se produit et dont votre nombre est le témoignage, à savoir quelque intérêt.
C’est bien parce que vous êtes beaucoup plus intéressés enfin! que vous le supposez chacun, dans cette nodalisation de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, que vous êtes là, ce me semble, car aussi bien, pourquoi prendriez-vous cette étrange satisfaction à entendre sur cette occasion mes balbutiements, car aussi bien c’est ce à quoi aujourd’hui il faut me résoudre, c’est à savoir que je ne peux que frayer ce que ceci comporte comme conséquences.
Si c’est bien en effet sous ce mode que l’ek-sistence du nœud se supporte, à savoir de ce champ qui, mis à plat, est intermédiaire à ce qui du trou fait cette interrogation, intermédiaire à ce qui du trou fait corps, alors que ce qui supporte le corps, c’est bien autre chose, c’est la ligne de la consistance. Un corps, un corps tel que celui dont vous vous supportez, c’est très précisément ce quelque chose qui pour vous n’a d’aspect que d’être ce qui résiste, ce qui consiste avant de se dissoudre. Et si le Réel est à localiser quelque part, à savoir dans ce champ intermédiaire de la mise à plat que j’ai figuré, dénoté de l’ek-sistence, il reste que ce ne peut être que par élimination que nous ferions, et c’est cela qui pour nous fait interrogation, que ce n’est qu’à, à nous poser la question de savoir si le trou c’est bien ce qui est de l’ordre du Symbolique que j’ai fondé du signifiant, c’est bien là le point que nous nous trouverons avoir au cours de cette année à trancher.
[Au tableau] Nous nous trouvons donc actuellement, sous une forme interrogative, mettre ici le trou avec un point d’interrogation et pas autre chose…
[interruption de l’enregistrement]
… en question ce qui est du Symbolique alors qu’ici le Réel, c’est l’ek-sistence, et que la consistance est ici correspondante à l’Imaginaire.
Il est certain que ces catégories ne sont pas aisément maniables. Elles ont pour elles pourtant d’avoir laissé quelques traces dans l’Histoire, à savoir que si c’est au bout du compte, du compte d’une exténuation philosophique traditionnelle dont le sommet est donné par Hegel que quelque chose a rejailli sous le nom d’un nommé Kierkegaard, dont vous savez combien j’ai dénoncé comme convergente à l’expérience bien plus tard apparue d’un Freud, sa promotion comme telle de l’ek-sistence. Il y a là quelque chose, semble-t-il, dont on ne puisse dire et dont on ne puisse trouver dans Kierkegaard lui-même témoignage que c’est, pas seulement ment à la promotion de la répétition comme de quelque chose de plus fondamental dans l’expérience que la résolution dite thèse, antithèse, synthèse sur quoi un Hegel tramait l’Histoire; la mise en valeur de cette répétition comme d’une fonction fondamentale dont l’étalon se trouve dans la jouissance et dont les relations (les relations vécues par le Kierkegaard en question) sont celles d’un nœud sans doute jamais avoué, mais qui est celui de son père à la faute, à savoir l’introduction non pas de son expérience, mais de l’expérience de celui qui se trouve par rapport à lui occuper la place du père que cette place du père du même coup ne devienne problématique. A savoir que chose singulière pour une tradition qui manipulait le Abba 2 à tort et à travers, que ce soit à cette date et à cette date seulement que se promeuve en même temps l’existence comme telle, qui sans doute n’a pas le même accent que celui que j’y mets à la fragmenter d’un tiret que ce soit à cette époque que l’ek-sistence émerge, si je puis dire, émerge pour moi, émerge pour que moi j’en fasse quelque chose qui s’écrit autrement, et que ce soit là ce qui soit touchable, tangible dans quelque chose qui se définisse du nœud. Je ne crois pas que ce soit là quelque chose de nature à me mettre, si je puis dire, en continuité avec une interrogation philosophique, mais bien plutôt dans un mode de rupture qui est aussi bien ce qui s’impose si l’émergence de l’inconscient comme d’un savoir, d’un savoir propre à chacun, à chacun particulier, est de nature à changer complètement les conditions dans lesquelles la notion même de savoir a dominé, disons, des temps plus antiques, disons même l’Antiquité. Il est entré ce caractère de savoir par des voies qu’il faut que nous interrogions, que nous interrogions d’une façon qui, de toute façon, remet en question sa substance. Si le savoir est quelque chose d’aussi dépendant, d’aussi dépendant des rapports de la suite des générations au Symbolique, au trou dont je parlais tout à l’heure, pour l’appeler par son nom, s’il est aussi dépendant de ce que la suite des générations a fomenté comme savoir, comment ne pas réinterroger son statut. Y a-t-il un, du savoir dans le Réel ? Il est bien clair que la supposition de toujours, (mais une supposition qui n’était à proprement parler pas faite, pas avouée) c’est que selon toute apparence il y en avait puisque le Réel, ça marchait, ça tournait rond. Et c’est bien ça qui manifeste que pour nous, il y a un changement, parce que ce, ce « dans le Réel » nous y touchons un savoir sous une tout autre forme.
C’est nommément pour reprendre ici ma construction [va au tableau], c’est nommément ceci que si nous tenons à ce qu’un savoir, ça ait pour support, non pas, je ne dis pas le trou, la consistance du Symbolique, ce qui apparaît dans le Réel…
Ce qui apparaît dans le Réel, c’est à proprement parler ceci, parce que peut-être vous souvenez-vous que le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire se situent ainsi. C’est le quelque chose qui, mis à plat, mis à plat parce que nous pensons, qui mis à plat apparaît dans le Réel, à savoir à l’intérieur du domaine que la consistance du rond de ficelle permet seule de définir, qui se présente non pas comme le savoir immanent au Réel qu’il n’y a aucune façon de résoudre sinon à déjà l’y mettre sous la forme du, du vous sous la forme de quelque chose que le Réel saurait ce qu’il a à faire, et quand ce n’est pas le vous eh bien! c’est la toute puissance et la sagesse de Dieu! Je n’ai pas à revenir sur le fait que vous savez, que vous savez parce que je vous l’ai seriné, à savoir que le monde n’est pas pensable sans Dieu, je parle du monde newtonien, car comment chacune des masses saurait-elle à quelle distance elle est de toutes les autres ? Il n’y a pas d’issue! Voltaire croyait à l’Être Suprême, je n’ai pas reçu ses confidences, je ne sais pas quelle idée il s’en faisait, mais ça pouvait guère être loin de l’idée de la toute-science, c’est à savoir que c’est lui qui faisait marcher la machine. La vieille histoire du savoir dans le Réel, on sait que c’est ce qui a, mon Dieu! soutenu enfin toutes ces vieilles métaphores. Ces vieilles métaphores en fin de compte, il faut bien le dire! Aristote était populiste enfin! n’est-ce pas! C’est l’artisan qui lui donne le modèle pour toutes ses causes : sa cause finale si je puis m’exprimer ainsi, sa cause formelle, sa cause, ça cause même à tour de bras, ça cause même matérielle et ça n’en est que plus désespérant. Il est certain qu’au niveau de la cause, de la cause physique, de ce qui est inscrit par lui dans sa Physique, toute la superbe, n’est-ce pas! du vous„ du vous présent au monde se réduit, se réduit à ce que j’ai qualifié enfin d’artisanal, d’artisanal qui fait que ça a été accueilli les bras ouverts partout où c’est la métaphore du potier qui prime et où c’est une main divine qui a fait le pot. Comment continue-t-il à tourner pourtant tout seul ? C’est bien là justement la question, et la question sur laquelle les raffinements de savoir s’il continue de s’en occuper, (à savoir de le faire tourner, ou s’il le laisse tourner tout seul après l’avoir éjecté) est véritablement secondaire.
Mais toute la question du savoir est à reprendre seulement à partir de ceci qu’un savoir n’est supposé que d’une relation au Symbolique, c’est-à-dire à ce quelque chose qui s’incarne d’un matériel comme signifiant, ce qui n’est pas à soi tout seul poser une mince question. Car qu’est-ce qu’un matériel signifiant? Nous n’en avons que la pointe du museau chez Aristote, au niveau où il parle du stoikeion mais il est certain que l’idée même de matière n’est strictement pensable qu’issue du matériel signifiant où elle trouve ses premiers exemples.
Alors! Pour essayer simplement de noter quelque chose, qui sera ce sur quoi se déroule ma notation, c’est certain que c’est d’une expérience, d’une expérience de la figuration du symptôme comme reflétant dans le Réel le fait qu’il y a quelque chose qui ne marche pas et où, pas dans le Réel bien sûr, dans le champ du Réel, ce quelque chose qui ne marche pas tient. Tient à quoi ? Tient qu’à ce que je supporte dans mon langage du parlêtre. De ce qui n’est que parlêtre, parce que s’il parlait pas, il y aurait pas le mot être, et qu’à ce parlêtre, il y a un champ, un champ connexe au trou que je figurerai ici (je vous demande pardon, je ne tiens pas tout spécialement à ce que mes figures soient élégantes, ni symétriques); c’est dans la mesure où il n’y a ouverture possible, rupture, consistance issue de ce trou, lieu d’ek-sistence, Réel, que l’inconscient est là [figure VI-G] et que ce qui s’y, ce qui y fait tenue passant derrière le trou du Réel, derrière sur cette figure, (car si vous la retournez, c’est devant, qu’il y a cohérence) qu’il y a consistance entre le symptôme et l’inconscient. À ceci près que le symptôme n’est pas définissable autrement que par la façon dont chacun jouit de l’inconscient en tant que l’inconscient le détermine.
Chercher l’origine de la notion de symptôme, qui n’est pas du tout à chercher dans Hippocrate, qui est a chercher dans Marx, qui le premier dans la liaison qu’il fait entre le capitalisme et quoi ? le bon vieux temps, ce qu’on appelle quand on veut enfin! tâcher de l’appeler autrement, le temps féodal. Lisez là-dessus toute la littérature : le capitalisme est considéré comme ayant certains effets, et pourquoi en effet, n’en aurait-il pas! Ces effets sont somme toute, bénéfiques, puisqu’il a l’avantage de réduire à rien l’homme prolétaire, grâce à quoi l’homme prolétaire réalise l’essence de l’homme. Et d’être dépouillé de tout est chargé d’être le messie du futur. Telle est la façon dont Marx analyse la notion de symptôme. Il donne bien sûr des foules d’autres symptômes, mais la relation de ceci avec une foi en l’homme est tout a fait incontestable.
Si nous faisons de l’homme, non plus quoique ce soit qui véhicule un futur idéal, mais si nous le déterminons de la particularité dans chaque cas, de son inconscient et de la façon dont il en jouit, le symptôme reste à la même place où l’a mis Marx, mais il prend un autre sens, il n’est pas un symptôme social, il est un symptôme particulier. Sans doute, ces symptômes particuliers ont-ils des types, et le symptôme de l’obsessionnel n’est pas le symptôme de l’hystérique. C’est très précisément ce que j’essaierai de faire porter pour vous dans la suite.
Pour l’obsessionnel pourtant, je le note tout de suite, il y a un symptôme très particulier. Personne bien sûr! n’a la moindre appréhension de la mort (sans ça vous ne seriez pas là si tranquilles). Pour l’obsessionnel, la mort est un acte manqué. C’est pas si bête, car la mort n’est abordable que par un acte encore, pour qu’il soit réussi, faut-il que quelqu’un se suicide en sachant que c’est un acte, ce qui n’arrive que très rarement. Encore que ça ait été fort répandu à une certaine époque, à l’époque où la philosophie avait une certaine portée, une portée autre que de soutenir l’édifice social. Il y a quelques personnes qui sont arrivées à se grouper en école d’une façon qui avait des conséquences. Mais il est bien singulier et bien de nature aussi à nous faire suspecter l’authenticité de l’engagement dans les-dites écoles, qu’il y ait pas du tout besoin d’avoir atteint une sagesse quelconque, qu’il suffise d’être un bon obsessionnel pour savoir de source certaine que la mort est un acte manqué. Non pas, bien sûr, que ça ne suppose que je ne donne là quelque développement, mais je m’en tiendrai là pour aujourd’hui, puisque aussi bien je n’ai même pas pu, comme il fallait s’y attendre, aborder l’os de ce que je voulais vous dire, à savoir si à force de dire que la femme n’ek-siste pas, comme quelqu’un me l’a objecté, je ne la faisais pas ek-sister! N’en croyez rien. Ce sera la chose que J’aborderai la prochaine fois. Je pense pouvoir soutenir que c’est à l’état d’une (ou d’unes… innombrables… mais d’unes… dénombrables), je ne dirai pas innombrable, mais d’une parfaitement dénombrable, que les femmes ek-sistent, et non pas à l’état de La.
2 – «Abba («père», en araméen) Utilisé au début de la période rabbinique comme nom, c’est aussi un terme de respect et un des noms de Dieu.» in Alan Unterman, Dictionnaire du Judaïsme, Histoire, mythes et traditions, Paris 1997, Thames & Hudson Éditions.