samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LI LES ÉCRITS TECHNIQUES DE FREUD 1953 – 1954 Leçon du 27 Janvier 1954

Leçon du 27 Janvier 1954

La résistance et les défenses – son sens et leurs fonctions – dans l’expérience analytique

LACAN – Nous allons redonner la parole à Anzieu, que j’ai eu un peu l’air de minimiser la dernière fois..

ANZIEU -J’abordais le dernier paragraphe qui, dans les Études sur l’hystérie, traite de la résistance, effort d’explication théorique de la résistance décrite et découverte dans les pages précédentes.

J’avais commencé d’expliquer, et le docteur Lacan a continué dans ce sens, la triple stratification du matériel psychique que décrit Freud autour d’un noyau central de souvenirs, noyau pathogène auquel il faut accéder. Il y a un arrange­ment linéaire, chronologique… D’autre part, des espèces de stratifications de souvenirs semblables qui sont liés ensemble, et d’autre part une espèce de démarche dynamique, en zigzag, qui suit le contenu de la pensée, et par laquelle on arrive à la surface, au centre.

C’est la description des stratifications de souvenirs semblables qui est ici intéressante, du point de vue de la résistance. Il se les représente comme concen­triquement stratifiés autour du noyau pathogène. Et qu’est-ce qui détermine ces couches concentriques ? C’est leur degré d’éloignement du noyau; c’est que ce sont, dit-il, des couches d’égale résistance.

Je serais assez tenté, ça m’est une idée tout à fait personnelle, de voir dans cette formulation de Freud l’influence d’un mode de pensée qui à l’époque com­mence à être important, qui est de penser en termes de champ : le champ élec­trique, magnétique, un certain champ dynamique. Et de même que quand on se rapproche du centre d’un champ, du foyer d’un champ, les lignes de forces deviennent de plus en plus fortes, vraisemblablement sur le même modèle Freud conçoit la superposition des souvenirs; et par conséquent je crois que ce n’est pas par hasard, comme l’a fait remarquer Mannoni, que l’on parle du bon­homme d’Ampère. Freud parle du bonhomme d’Ampère comme étant ce petit bonhomme qui barre le chemin entre l’inconscient et le conscient. Ce n’est pas par hasard qu’on a affaire à une métaphore d’ordre électrique. C’est que les rela­tions d’ordre électrique et magnétique interviennent ici dans la théorisation de la notion de résistance.

MANNONI – Il aurait dû prendre le démon de Maxwell, parce que le bon­homme d’Ampère, il ne fait rien du tout.

LACAN – Oui, je ne voulais pas entrer dans la théorie de l’électricité, mais le bonhomme d’Ampère n’a pas le pouvoir de faire ouvrir ou fermer… MANNONI – Ce rôle-là, c’est le démon de Maxwell.

HYPPOLITE – Mais le démon de Maxwell ne peut pas être averti du passage d’une molécule. La possibilité d’une signalisation est impossible. Le démon de Maxwell ne peut pas être informé quand une molécule passe.

LACAN – Nous entrons dans une ambiguïté tout à fait scabreuse, car la résistance est bien la formule… Toutes ces questions sont d’autant plus opportunes à poser que les textes psychanalytiques évidemment fourmillent de ces impropriétés méthodiques. Il est vrai que ce sont des sujets difficiles à traiter, à verbaliser, sans donner au verbe un sujet. Évidemment, tout le temps nous entendons que l’ego pousse le signal de l’angoisse, manie l’instinct de vie, l’instinct de mort. On ne sait plus où est le central, l’aiguilleur, l’aiguille. Comme tout cela est difficile à réaliser d’une façon prudente et rigoureuse, en fin de compte nous voyons tout le temps des petits démons de Maxwell apparaître dans le texte analytique, qui sont d’une prévoyance, d’une intelli­gence!

L’ennuyeux, c’est qu’on n’a pas une idée assez précise de la nature des démons dans l’analyse…

ANZIEU -je crois d’ailleurs que sur ce point il faudrait évidemment revenir à l’histoire de l’électricité, du magnétisme. Je ne sais pas trop si la notion d’in­flux nerveux, sa nature électrique avait déjà été découverte; dans un des pre­miers travaux de jeunesse de Freud où, appliquant justement la méthode psychologique de…, en y ajoutant un certain nombre de perfectionnements, Freud avait réussi à y découvrir une certaine continuité de cellules qui consti­tuaient un nerf. On discutait : qu’est-ce que c’est que le nerf ?

LACAN – Les travaux de Freud en neurologie sont à l’origine de la théorie du neurone.

ANZIEU – Il y a justement… la conclusion d’un de ses travaux est au bord même de la découverte de cette théorie. C’est assez curieux d’ailleurs que Freud soit resté au bord de la découverte de théories, et que ce soit à la psychanalyse qu’il ait versé.

HYPPOLITE – Est-ce qu’il n’estimait pas avoir échoué en matière d’électri­cité ? Il me semble avoir lu ça quelque part.

ANZIEU – En matière de zoologie.

MANNONI – Oui en matière clinique d’électricité, il a renoncé à appliquer les appareils électriques

aux névrosés après une épreuve pénible.

HYPPOLITE – Justement. C’est la compensation de ce qu’il estimait être un échec.

ANZIEU – Oui, en effet. Il avait essayé l’électrothérapie en clientèle privée. LACAN – Hyppolite fait allusion au fait que justement, dans ses travaux anté­rieurs à la période psychanalytique de Freud, ses travaux anatomiques peuvent être considérés comme des réussites, et ont été sanctionnés comme tels.

Quand il s’est mis à opérer sur le plan physiologique, il semble avoir mani­festé un certain désintérêt, et en fait c’est une des raisons pour lesquelles d’ailleurs il semble n’avoir pas poussé jusqu’au bout la portée de la découverte de la cocaïne. Même là son investigation physiologique a été molle; elle était toute proche de la thérapeutique de l’utilisation comme analgésique; et il a laissé de côté la chose tout à fait rigoureuse, la valeur anesthésique de la cocaïne, par insuffisance de curiosité de physiologiste; c’est très certain!

Mais enfin nous sommes là dans un trait de la personnalité de Freud. On peut poser la question de savoir si sans doute, comme disait Anzieu, il le réser­vait à un meilleur destin. On peut se poser cette question. Il a fait certains retours sur des domaines où il semblait avoir tant soit peu de penchant!… Mais aller jusqu’à dire que c’est une compensation, je crois que c’est un peu exces­sif, car en fin de compte, si nous lisons les travaux publiés sous le titre Naissance de la psychanalyse, le premier manuscrit retrouvé, théorie de l’appa­reil psychique, il est bien, et d’ailleurs tout le monde l’a reconnu et souligné, dans la voie de l’élaboration théorique de son temps, sur le fonctionnement mécanistique de l’appareil nerveux. Il faut d’autant moins s’étonner que des métaphores électriques s’y mêlent. Il ne faut pas non plus oublier que l’électri­cité en elle-même est partie, au départ, d’une expérimentation physiologique, avant d’être rendue à l’influx nerveux. C’est dans le domaine de la conduction nerveuse que la première fois le courant électrique a été expérimenté. On ne sait pas quelle en serait la portée.

ANZIEU – Je crois que c’est surtout du point de vue conceptuel qu’il y a là quelque chose d’important. En effet, Freud a été formé en neurologie par un certain nombre de physiologistes qui ont apporté une conception tout à fait nouvelle dans ce domaine, dont on a retrouvé l’espèce de serment.

LACAN – Les trois grands conjurés de la psychophysiologie.

ANZIEU – En quoi consistait ce serment: qu’il n’existe pas d’autre force que celles qui sont analogues aux forces physico-chimiques. Il n’y a pas de grandes forces occultes, mystérieuses; toutes les forces se ramènent à l’attraction et à la répulsion. Il est intéressant de revenir à ce texte du serment, de 1840, où s’est formée cette école.

C’est donc sur le modèle de l’astronomie… Je pensais même, en vous enten­dant parler du Moi comme masse d’idées que vous y faisiez allusion. Brentano, lui, a donné le volume des oeuvres complètes de Stuart Mill où se trouvent ces données de la psychologie empiriste.

Qu’est-ce que Jung s’est efforcé de faire quand il a énoncé la loi de l’associa­tion des idées: les idées s’attirent entre elles ? Il reprenait la grande loi de Newton découverte dans la physique, que les corps s’attirent entre eux. La grande loi du monde psychique était analogue à la loi du monde physique. La notion de force se dégageait là, et l’électricité est un des privilégiés; ça va sans doute se substituer au levier, modèle de la mécanique antique; maintenant il y a cette notion d’at­traction et de répulsion pour expliquer les phénomènes fondamentaux.

Cette chose expérimentée contre-transférentiellement comme résistance, Freud va la théoriser en recourant à ces notions de force. Et la force suppose quelque chose qui s’oppose à cette force. La force est force par rapport à une certaine résistance; notions fondamentales en électricité.

Je crois que c’est surtout comme modèle conceptuel que Freud a été amené à mettre l’accent. C’est proprement contre-transférentiel

« Il résiste, et ça me rend furieux. »

Je crois que là, du point de vue clinique, la notion de résistance représente bien une expérience que nous sommes tous amenés à faire une fois ou l’autre avec presque tous les patients dans notre pratique.

LACAN – Quoi ?Qu’est-ce ?

ANZIEU – Cette expérience extrêmement désagréable où on se dit « il était sur le point, il pourrait trouver lui-même, il le sait sans savoir qu’il le sait, il n’a qu’à se donner la peine de regarder dessus, et ce bougre d’imbécile, cet idiot… », tous les termes agressifs et hostiles qui nous viennent à l’esprit, « il ne le fait pas ». Et la tentation qu’on a de le forcer, de le contraindre…

LACAN – Ne titillez pas trop là-dessus…

HYPPOLITE – C’est la seule chose qui permette à l’analyste d’être intelligent, c’est quand cette résistance fait passer l’analysé pour un idiot. Cela donne une haute conscience de soi.

LACAN – Le piège d’ailleurs tout de même du contre-transfert, puisqu’il faut l’appeler ainsi, est tout de même plus insidieux que ce premier plan.

ANZIEU-Je crois que c’en est le gros plan par excellence. C’est ce qui a frappé Freud. Et quand il s’est efforcé ensuite d’en rendre compte, ce n’est pas beau­coup plus tardivement qu’il l’a élaboré, sous forme de contre-transfert, selon les conceptions qu’il avait présentes à l’esprit et les travaux faits antérieurement. On arrive à cette représentation que vous-même avez esquissée, qui est que le noyau pathogène n’est pas un noyau passif, mais un noyau éminemment actif, et que, de ce noyau pathogène, il y a toute une infiltration qui se dirige par des ramifications vers tout l’appareil psychique. Et la résistance est au contraire quelque chose, une autre infiltration symétrique, qui provient de l’ego du sujet, et qui s’efforce justement d’arrêter ces ramifications de l’infiltration pathogène là où elle s’efforce de passer dans des couches de plus en plus superficielles. LACAN – À quel texte vous rapportez-vous là?

ANZIEU – Toujours dans les Etudes sur l’hystérie.

LACAN – Ce que vous venez de dire que la résistance est caractérisée comme – enfin vous n’avez pas dit le mot, je ne sais pas comment vous vous êtes arrangé pour ne pas le dire – mais comme la défense en somme de l’ego contre les infil­trations du noyau pathogène, quel est votre texte ?

ANZIEU – Les Études sur l’hystérie, après l’exposé des trois schémas, des trois arrangements linéaire, concentrique et dynamique.

Vous voulez que je retrouve la page?…

« L’organisation pathogène ne se comporte pas comme un corps étranger mais bien plutôt comme une infiltration», là un mot dont la significa­tion m’échappe: « in filtrate » ?

LACAN – Eh bien, ce qui est infiltré, l’infiltrat.

ANZIEU -…

«l’infiltrat doit dans cette comparaison passer pour être la résistance.» LACAN – Eh bien, ça ne veut pas dire que c’est la réaction de l’ego; il n’y a pas d’idée de formation réactionnelle de la résistance, là.

ANZIEU – C’est exact.

LACAN – C’est-à-dire que, malgré vous, vous sollicitez déjà des textes ulté­rieurs dans le sens d’identifier la résistance aux dépens de quelque chose qui est déjà nommé dans les Studien, mais cet ego, dont on parle dans les Studien, cette masse idéationnelle, contenu d’idéations que constitue l’ego dans les Studien, c’est à voir…

Disons… Je vais vous aider, vous dire ce que j’en pense. C’est pour cela que nous sommes là, pour voir ce que signifie l’évocation de la notion de l’ego d’un bout à l’autre de l’œuvre de Freud. Il est tout à fait impossible de comprendre ce que représente l’ego en psychologie, telle qu’elle a commencé à surgir avec les travaux de 1920, travail sur la psychologie de groupe, sur le das Ich und das Es. Il est impossible de le comprendre si l’on noie tout dans une espèce de somme générale d’appréhension d’un certain versant du psychisme.

Ce n’est pas du tout ça dans l’œuvre de Freud; ça a un rôle fonctionnel, lié à certaines nécessités techniques.

Pour dire tout de suite ce que je veux dire, par exemple pour prendre les choses… le triumvirat qui fonctionne à New York: Hartmann, Loewenstein et Kris; dans leur élaboration ou leur tentative, leur effort d’élaboration actuelle d’une psychologie de l’ego, ils sont tout le temps, on le voit, il suffit de se rapporter à leur texte, ils sont autour de ce problème : qu’est-ce qu’a voulu dire la dernière théorie de l’ego de Freud ? Est-ce qu’on en a jusqu’à pré­sent vraiment tiré les implications techniques ? Et c’est écrit comme ça, je ne . traduis pas, je ne fais que répéter ce qui est dans les deux ou trois derniers articles de Hartmann, qui sont à votre portée là, dans ce livre, Psychoanalytic Quarterly 1951, par exemple trois articles de Loewenstein, Kris et Hartman sur ce sujet, groupés là et qui valent la peine d’être lus. On ne peut pas abso­lument dire qu’ils aboutissent à une formulation pleinement satisfaisante, mais manifestement ils cherchent dans ce sens, posent des principes et des pré­cisions théoriques qui comportent des applications techniques certainement très importantes; et ils arrivent à formuler qu’elles n’ont pas été pleinement tirées. Cela ne veut pas dire qu’on n’en ait pas tiré du tout. Hartmann le ditla question est là.C’est très curieux de voir comment la question vraiment que ce travail s’éla­bore à travers la suite d’un article qui se succède depuis quelques années, spé­cialement depuis la fin de la guerre. Je crois que ça donne toute l’apparence très manifeste d’un échec qui est significatif et doit être instructif pour nous.En tous les cas, il y a évidemment toute une distance, un monde parcouru,entre le départ, l’ego tel qu’on en parle dans les Studien et cette dernière théo­rie de l’ego encore problématique pour nous telle qu’elle a été forgée par Freud lui-même à partir de 1920. Entre les deux, il y a quelque chose: ce champ cen­tral que nous sommes en train d’étudier. En somme, comment est venue à jour cette théorie de l’ego qui se présente actuellement sous cet aspect complètement problématique d’être la dernière pointe de l’élaboration théorique de Freud, une théorie de Freud jamais vue, ou sinon jamais vue une théorie extraordinai­rement originale et nouvelle; et en même temps se présenter sous la plume d’Hartmann quelque chose qui de toutes ses forces tend à rejoindre le courant psychologique classique.

Les deux choses sont vraies. Kris l’écrit aussi: entrée de la psychanalyse dans la psychologie générale. Or, il apparaît en même temps quelque chose de com­plètement nouveau, neuf, original dans la théorie de l’ego, et c’est même incon­cevable toute l’élaboration des années entre 1910 et 1920. Et il y a là quelque chose de paradoxal, que nous serons amenés à mettre ici en valeur, quoi qu’il se passe, soit que nous soyons amenés jusqu’aux vacances avec ces Écrits tech­niques, soit, une autre façon d’aborder le même problème avec les écrits de Schreber. Il est donc important d’être tout à fait prudent et, malgré vous, vous avez glissé là quelque chose qui n’est pas dans le texte.

Poursuivez.

ANZIEU – Il me restait à présenter en conclusion un certain nombre de remarques sur tout ce que j’avais indiqué.

Tout d’abord, c’est que, ainsi que je le disais à l’instant, cette notion de résis­tance apparaît chez Freud, est découverte; au cours d’une expérience vécue, cette expérience vécue, c’est, comme il le dit dans les Études sur l’hystérie, la grande surprise, c’est de voir que quand on demande au sujet de se laisser aller à associer librement, on s’aperçoit que le sujet a tout en lui en bon ordre : les souvenirs sont rangés en bon ordre, tout est en bon ordre en lui; et si on réus­sit à accéder à cette somme, on la trouve. Autrement dit, l’étiologie du symp­tôme et de l’hystérie est dans le sujet lui-même; elle est rangée en bon ordre et qui attend qu’on vienne la chercher. Et le sujet donc devrait voir, la trouver tout seul, puisqu’elle est en lui et en bon ordre. Mais voilà la résistance qui intervient; le sujet donc peut le savoir, et il ne veut pas; exactement comme les sujets qui pourraient être hypnotisés, à qui ça ferait le plus grand bien, et qui ne veulent pas. Par conséquent, la résistance née de cette réaction du psychothérapeute, puisqu’on ne parle pas encore de psychanalyse, une espèce de réaction de contre-réaction, de réaction de rage contre ce refus du sujet de se rendre aux évi­dences qui sont en lui, et de guérir, finalement de guérir, alors qu’il a toutes les possibilités de guérir en lui; et par conséquent la réaction première du psycho­thérapeute qui est de forcer, soit ouvertement, soit sous forme insidieuse, en insistant, de forcer le sujet.

Par conséquent, Freud va donc être amené à voir qu’il y a dans la résistance un phénomène – et je rejoins les conclusions de Mannoni – un phénomène de relation à deux, interindividuel.

LACAN – En 1896, on a déjà parlé de psychanalyse. Le terme psycho­analyse existe déjà dans un article de la Revue neurologique. Tout le monde peut le trouver, écrit en français; c’est peut-être même écrit en français que le mot psycho-analyse est apparu pour la première fois.

ANZIEU – Au lieu de voir que la résistance c’est le transfert, et que la résis­tance de l’analyste est le contre-transfert, Freud renvoie la résistance au sujet et dit que si le sujet résiste à l’analyste, c’est parce que le patient résiste à lui-même, c’est qu’il s’est défendu contre les pulsions qui ont été avivées en lui par une cer­taine expérience, à un certain moment de son histoire. Par là même la résistance est renvoyée au sujet et c’est-à-dire les trois formes de résistance : résistance, refoulement et défense, que Freud s’efforce de classer.

LACAN – Freud s’efforce de classer, où ?

ANZIEU- Il s’efforce de les classer dans le temps, puisque la défense du Moi, c’est qu’il a réagi contre l’impulsion sexuelle; le refoulement, c’est qu’il a aboli le souvenir; et la résistance est ce qu’il oppose à la remémoration actuelle où il s’expose à la découverte de cette notion.

LACAN-C’est comme cela que nous résumons, nous, des notions qui ne sont pas… qui glissent insensiblement au cours du développement de la pensée vers des acceptions de plus en plus différenciées, qui ensuite se rejoignent certaine­ment.C’est bien de cela qu’il s’agit, mais cette harmonieuse classification – résis­tance, défense, refoulement – n’est nulle part, sous sa plume à lui, présentée de cette façon-là.

ANZIEU – À peu près, si, dans les Études sur l’hystérie.

Il y aurait – pour cet élément de réaction à la réaction du sujet – il y aurait lieu de faire intervenir les facteurs personnels chez Freud. Ce serait nous entraî­ner bien loin. On sait toutefois, d’après ce que Freud a dit dans la Science des rêves, dont Bernfeld a retrouvé l’unicité, qu’il y avait une tendance à la domination extrêmement forte, puisqu’il s’est identifié à Masséna, à Hannibal; il avait ensuite envisagé de faire du droit et de la politique; donc exer­cer un pouvoir sur les personnes; et sa vocation, son orientation vers les études de médecine, il l’attribue à la suite de cette audition de conférences sur Goethe. Un texte de Goethe sur la nature. Cela semble s’expliquer de la façon suivante au pouvoir direct sur les êtres humains, Freud substitue cet exercice du pouvoir beaucoup plus indirect et acceptable du pouvoir que la science donne sur la nature; et ce pouvoir se ramenant en dernière forme, on revoit ici le mécanisme de l’intellectualisation, comprendre la nature et par là même se la soumettre, formule classique du déterminisme même, par allusion avec ce caractère auto­ritaire chez Freud qui ponctue toute son histoire, et particulièrement ses rela­tions avec les hérétiques aussi bien qu’avec ses disciples.

LACAN – Mais je dois dire que, si je parle dans ce sens, je n’ai pas été jusqu’à en faire la clef de la découverte freudienne.

ANZIEU -je ne pense pas non plus en faire la clef, mais un élément intéres­sant à mettre en évidence.

Dans cette résistance, l’hypersensibilité de Freud à la résistance du sujet n’est pas sans se rapporter à son propre caractère.

LACAN – Qu’est-ce qui vous permet de parler de l’hypersensibilité de Freud ? ANZIEU – Le fait que lui l’ait découverte, et pas Breuer, ni Charcot, ni les autres, que c’est quand même à lui que c’est arrivé, parce qu’il l’a senti plus vive­ment, et il a élucidé ce qu’il avait ressenti.

LACAN – Oui, mais vous croyez… non seulement qu’on puisse mettre en valeur une fonction telle que la résistance est quelque chose qui signifie chez le sujet une particulière sensibilité à ce qui lui résiste, ou au contraire est-ce que ce n’est pas d’avoir su la dominer, aller bien ailleurs et bien au-delà, qui lui permit justement d’en faire un facteur qu’on peut objectiver, manœuvrer, dénommer, manier, et faire un des ressorts de la thérapeutique. Et vous croyez que Freud est plus autoritaire que Charcot, alors que Freud renonce tant qu’il peut à la sug­gestion pour laisser justement au sujet intégrer ce quelque chose dont il est séparé par des résistances ? En d’autres termes, est-ce de la part de ceux qui méconnais­sent la résistance qu’il y a plus ou moins d’autoritarisme dans l’appréhension du sujet ? J’aurais plutôt tendance à croire que quelqu’un qui cherche par tous les moyens à faire du sujet son objet, sa chose, dans l’hypnotisme, ou qui va cher­cher un sujet qui devient souple comme un gant, pour lui donner la forme qu’on veut ou en tirer ce qu’on peut en tirer, c’est tout de même quelqu’un qui est plus poussé par un besoin de domination, d’exercice de sa puissance, que Freud qui, dans cette occasion, paraît finement respectueux de ce qu’on appelle communé­ment aussi bien sous cet angle : la résistance de l’objet ou de la matière.

ANZIEU – Assurément.

LACAN – je crois que, pour ce que vous venez de dire, il faut être extrême­ment prudent dans ces choses. Nous ne pouvons pas manier si aisément toute notre technique.

Quand je vous parle de l’analyse de l’œuvre de Freud, c’est justement pour y procéder avec toute la prudence analytique et ne pas faire d’un trait caracté­riel quelque chose qui soit une constante de la personnalité, plus encore une caractéristique du sujet. je crois même que là-dessus il y a des choses très impru­dentes sous la plume de joncs, mais je crois quand même plus nuancées que ce que vous avez dit.

Penser que la carrière de Freud a été une compensation de son désir de puis­sance, voire de sa franche mégalomanie, dont il reste d’ailleurs des traces dans ses propos, qui restent encore à interpréter, je crois que c’est…

je crois que la question du drame de Freud au commencement où il découvre sa voie, c’est quelque chose qui ne peut pas se résumer d’une manière telle que nous caractérisions tout ce qu’il a apporté dans le contact avec le sujet comme étant la continuation du désir de puissance! Nous avons tout de même assez appris dans l’analyse, la révolution, voire la conversion dans la personnalité pour ne pas nous sentir obligés de faire une équivalence entre Freud rêvant de dominer le monde par les moyens de la volonté de puissance, de commande­ment, et Freud initiateur d’une vérité nouvelle. Cela ne me semble pas relever de la même cupido, si ce n’est de la même libido.

HYPPOLITE – Vous permettez?… Il me semble quand même que dans la domination de Charcot – sans accepter intégralement les formules d’Anzieu et les conclusions qu’il en tire -, dans la domination de Charcot par hypnotisme, il s’agit de la domination sur un être réduit à l’objet…

LACAN – Nous allons peut-être un peu loin, en tout cas, à réduire…

HYPPOLITE – C’est la possession d’un être qui n’est plus maître de lui. Tandis que, contrairement, la domination freudienne, c’est vaincre un sujet, un être qui a encore une conscience de soi. Il y a donc en quelque sorte une domination plus forte dans la domination de la résistance à vaincre que dans la suppression pure et simple de cette résistance – sans vouloir en tirer la conclusion que Freud ait voulu dominer le monde.

LACAN – Oui, il y aurait cela, s’il y avait ce que…

HYPPOLITE – C’est une domination facile, celle de Charcot.

LACAN – Il s’agit de savoir si celle de Freud était une domination tout court.

Il semble qu’après ce que nous avons vu de sa façon de procéder dans les cas cli­niques qu’il rapporte  et je réserve toujours bien des choses qui ne sont pas indiquées dans sa façon de procéder – dans l’ensemble, bien entendu, nous avons vu des choses qui nous surprennent – mais qui nous surprennent par rap­port à certains principes techniques auxquels nous accordons une importance – des choses qui nous surprennent dans son interventionnisme. Elles sont peut-être dans un certain sens beaucoup moins cette sorte de victoire sur la conscience du sujet dont parlait Hyppolite que les techniques modernes qui mettent toujours tout l’accent sur la résistance.

Bien loin de là, dans Freud nous voyons une attitude, on ne peut pas dire plus complexe, peut-être plus indifférenciée, c’est-à-dire humaine.

Il ne définit pas toujours ce qu’on appelle maintenant interprétation de la défense, ou du contenu, ce qui n’est peut-être pas toujours la meilleure… Au bout du compte, c’est plus subtil, nous nous apercevons que c’est la même chose. Mais il faut être un peu subtil pour cela. Et nous voyons qu’en fin de compte chez Freud l’interprétation du contenu joue le rôle d’interprétation de la défense.

Ce n’est certainement pas cette sorte de technique, dont vous avez raison d’évoquer l’ombre, puisque c’est en somme ça qui est… J’essaierai de vous montrer par quel biais précisément se présente le danger d’un tel forçage du sujet par les interventions de l’analyste. Elles sont beaucoup plus actuelles dans les techniques dites modernes, comme on dit en parlant de l’analyse comme on parle des échecs, elles sont beaucoup plus actuelles qu’elles n’ont jamais été manifestées dans Freud. Et je ne crois pas que la sortie théorique de la notion de résistance puisse nous servir de prétexte de formuler à l’égard de Freud cette sorte d’accusation qui va radicalement en sens contraire de l’effet manifestement libérateur de toute son oeuvre et de son action théra­peutique.Ce n’est pas un procès de tendance que je vous fais. C’est une tendance que vous manifestez à la conclusion de votre travail. Et qui ne peut, je crois, servir qu’à voir les choses sous une forme critique. Il faut avoir un esprit d’examen, de critique, même vis-à-vis de l’œuvre originale; mais sous cette forme ça ne peut servir qu’à épaissir le mystère, et pas du tout à le mettre au jour.

ANZIEU – Une dernière chose, qui est du mouvement psychanalytique dans cette même expérience privilégiée dont il s’est efforcé de découvrir l’explication. Freud découvre les trois notions : défense, résistance, refoulement. Après un moment de flottement, dans la même année, il essaie de synthétiser, d’étendre en dehors de l’hystérie à la névrose obsessionnelle, à la paranoïa, la notion de défense et de chercher le type spécifique de défense qu’il y avait à l’œuvre dans ces autres névroses.

Freud va par la suite centrer la psychologie psychanalytique sur la notion de refoulement, puis plus tard sur la notion de résistance. Et en 1920 il reviendra à cette notion de défense qui est esquissée ici.

En ce sens, je crois que l’on a bien affaire à cette cellule germinale de la pen­sée freudienne, dont, au cours de l’histoire il va successivement développer les aspects qui chronologiquement sont les plus essentiels.

LACAN – Quand vous dites cellule germinale, vous vous référez à qui ? ANZIEU – A Bergman, germinal cell.

LACAN-En tout cas dans cet article dont j’ai bien le souvenir, le nom m’avait échappé, ce dont il s’agit tout au long de l’article, qui est donné comme la cel­lule germinale de l’observation analytique, ceci est d’autant plus important à souligner que ça touche bien à cette question du sens de la découverte freu­dienne, c’est la notion de retrouvailles et de restitution du passé, dont il montre que c’est de là qu’est partie notre expérience. Il se réfère au travail avec Breuer, Studien über Hysterie et il montre que jusqu’à la fin de l’œuvre de Freud, et jus­qu’aux dernières expressions de sa pensée, la notion de restitution du passé, sous mille formes et enfin sous la forme de la reconstruction, est maintenue tou­jours pour lui au premier plan. C’est de cela qu’il s’agit. Dans cet article, l’ac­cent n’est nullement mis sur le groupement par exemple autour de cette expérience fondamentale de la résistance. C’est avant tout…

ANZIEU- je n’avais pas parlé de la cellule germinale. je me suis efforcé de rat­tacher le développement de la résistance à tout ce développement.

LACAN -je voudrais vous dire tout de même quelques mots.

je crois que les exposés qu’ont faits Mannoni et Anzieu ont l’intérêt de vous montrer les côtés brûlants de toute cette affaire. Il y a eu dans leurs exposés, comme il convient à des esprits sans doute formés, mais relativement récem­ment introduits sinon à l’application sur l’analyse, du moins à sa pratique, à sa technique, quelque chose d’assez acéré, voire polémique, ce qui a toujours son intérêt comme introduction à la vivacité du problème.

je crois qu’il y a là en effet une question très délicate, d’autant plus délicate que, comme je l’ai indiqué dans mes propos interruptifs, elle est tout à fait actuelle chez certains d’entre nous.

Le reproche tout à l’heure implicitement formulé comme étant quelque chose de tout à fait inaugural à la méthode de Freud, ce qui est tout à fait paradoxal, car si quelque chose fait l’originalité du traitement analytique, c’est justement d’avoir perçu tout à fait à l’origine, et d’emblée, ce quelque chose d’original dans le sujet, qui le met dans ce rapport vraiment problématique avec lui-même, cette chose qui fait que ce n’est pas tout simple de le guérir, d’avoir mis cela en conjonction avec, ce qui est la trouvaille même, la découverte, au sens où je vous l’ai exposé au début de cette année, à savoir le sens des symptômes. Le refus de ce sens, c’est quelque chose qui pose un problème. La nécessité que ce sens soit plus que révélé, soit accepté par le sujet, c’est quelque chose qui classe au pre­mier chef des techniques pour lesquelles la personne humaine, au sens où nous l’entendons de nos jours, où nous nous sommes aperçu que ça avait son prix, que la psychanalyse fait partie, est une technique qui non seulement la respecte, mais fonctionne dans cette dimension, et ne peut pas fonctionner autrement.

Et il serait tout de même paradoxal de mettre au premier plan que la notion de la résistance du sujet est quelque chose qui en principe est forcé par la technique. Cela me parait évident. Ce qui ne veut pas dire que le problème ne se pose pas.

Le style d’interventions de notre technique analytique… il est tout à fait clair que de nos jours tel ou tel analyste ne fait littéralement pas un pas dans le traitement sans apprendre à ses élèves à poser la question: qu’est-ce qu’il a pu encore inventer comme défense ? Cette notion vraiment, non pas poli­cière au sens où il s’agit de trouver quelque chose de caché, c’est plutôt le terme à appliquer aux phases douteuses de l’analyse dans ses périodes archaïques, mais la phase inquisitoriale, ce qui est assez différent: il s’agit de savoir quelle posture le sujet a pu bien prendre, quelle attitude, quelle trou­vaille a-t-il faite pour se mettre dans une position telle que tout ce que nous lui dirons sera inopérant ?

Pour tout dire, l’espèce… ce n’est pas juste de dire de mauvaise foi pour ce style qui est celui d’une certaine technique analytique, mauvaise foi est trop lié à des implications de l’ordre de la connaissance, qui sont tout à fait étrangères à cet état d’esprit, ça serait trop subtil encore. Il y a tout de même encore l’idée d’une espèce de mauvaise volonté fondamentale, une implication vraiment volontariste; le sujet non seulement ne veut rien savoir, mais est capable la moi­tié du temps, voire le temps d’une vie humaine, il ne faut pas trop s’étonner que vous le retrouviez à la fin avec des attitudes ou des pensées, un contenu tout à fait différent dans le même mot qu’il a employé; entre deux, ils peuvent, d’être mariés, avoir procréé, et ceci suffit à donner un sens exactement opposé à un dialogue qui, à la fin du voyage, pourrait être considéré comme reproduisant mot pour mot le dialogue qui s’est ébauché au départ. Les mots auront un sens nouveau du fait que les personnes seront totalement différentes. Je voudrais tout simplement… je vais prendre un exemple avant d’entrer dans mon sujet.

Un article d’Annie Reich, qui est paru dans le numéro 1 de 1951 sur le contre-transfert. Cet article prend sa valeur, ses coordonnées avec une certaine façon d’orienter la technique qui va très loin dans une certaine école, disons dans une certaine partie de l’école anglaise. On en vient, vous le savez, à proférer que toute l’analyse doit se passer dans le hic et nunc, c’est-à-dire qu’en fin de compte tout se passerait dans une sorte d’étreinte toujours présente des intentions du sujet, ici et là, dans la séance, sans aucun doute à travers lesquelles nous entre­voyons des lambeaux, des fragments, des ébauches plus ou moins bien rappor­tées de son passé, mais où en fin de compte, c’est cette espèce d’épreuve -j’allais presque dire d’épreuve de force psychologique – à l’intérieur du traitement où résiderait toute l’activité de l’analyse.

Après tout, c’est bien là la question : l’activité de l’analyse. Comment agit­-elle ? Qu’est-ce qui porte ? Pour ceux dont il s’agit, pour Annie Reich, rien n’est important si ce n’est cette espèce de reconnaissance par le sujet hic et nunc, des intentions de son discours. Et ses intentions sont des intentions qui n’ont jamais de valeur que dans leur portée hic et nunc, dans l’interlocution présente. Quand il est avec son épicier, ou son coiffeur, en réalité, implicitement, il engueule le personnage à qui il s’adresse. En partie, chacun sait – il suffit d’avoir la moindre pratique de la vie conjugale, elle vous donne une sensibilité à ces choses – on sait toujours qu’il y a une part de revendication implicite dans le moindre fait qu’un des conjoints rapporte à l’autre justement plutôt ce qui l’a embêté dans la jour­née que le contraire; mais il y a tout de même aussi quelquefois quelque chose d’autre: le soin de l’informer de quelque événement important à connaître. Les deux sont vrais; il s’agit de savoir sur quel point on porte la lumière et ce qu’on considère comme important. Les choses vont parfois plus loin.

Annie Reich rapporte ceci d’un analyste, qui se trouve dans la situation sui­vante d’avoir eu – on sent bien qu’elle brouille certains traits. Tout laisse à pen­ser qu’après tout il doit bien s’agir de quelque chose comme d’une analyse didactique, à savoir en tout cas d’une analyse avec quelqu’un de très proche, dont le champ d’activité est très proche du champ de la psychanalyse. Ce sujet, je parle de l’analysé, a été amené à faire à la radio une communication sur un sujet qui intéresse vivement l’analyste lui-même, ce sont des choses qui arrivent, ça! Il se trouve que cette communication à la radio, il la fait à un moment où il vient justement, lui, le sujet analysé, de perdre sa mère. Tout indique que la mère en question joue un rôle tout à fait important dans ce qu’on appelle les fixations,voire les subjectivités du patient, profondément informé. C’est quelques jours avant l’émission que le deuil le frappe. Il en est certainement très affecté. Néanmoins, il n’en tient pas moins ses engagements d’une façon particuliè­rement brillante.

À la séance suivante, le sujet arrive dans une espèce d’état de stupeur, voisine de la confusion; il n’y a rien à en sortir, non seulement, mais on en sort quelque chose de surprenant dans son incoordination. L’analyste interprète hardiment en disant: « Vous êtes dans cet état parce que vous pensez que je vous en veux beaucoup du succès que vous venez d’avoir l’autre jour à la radio, sur ce sujet qui vous le savez m’intéresse moi-même au premier chef. » Bon!… Et je vous en passe.

La suite de l’observation montre qu’il ne faut pas moins d’un an au sujet pour retrouver [recouvrer ?] ses esprits à l’endroit de cette interprétation-choc, qui n’avait pas manqué d’avoir un certain effet, car il avait repris instantanément ses esprits. Le fait que le sujet sorte d’un état d’embrouillement, de brouillard, à la suite d’une intervention de l’analyste, aussi directe que celle-là, ne prouve abso­lument pas que l’intervention ait été efficace, au sens à proprement parler thé­rapeutique, structurant du mot, à savoir que dans l’analyse elle eût été vraie. Non! Elle a ramené le sujet au sens de l’unité de son Moi. Il était dans la confu­sion. Il en est brusquement ressorti en se disant: «J’ai là quelqu’un qui me rap­pelle qu’en effet tout est loup au loup. Nous sommes dans la vie. » Et il repart, il redémarre; l’effet est instantané. Mais ça n’a jamais été considéré dans l’ana­lyse comme la preuve de la justesse de l’interprétation que le sujet change de style. Je considère à juste titre que quand il apporte un matériel confirmatif, cela prouve la justesse de l’interprétation. Et encore, cela mérite d’être nuancé.

Ici, au bout d’un an, le sujet s’aperçoit que ce dont il s’agissait dans son état confusionnel était lié à un contrecoup de ses réactions de deuil, réactions qu’il n’avait pu surmonter qu’en les inversant littéralement.

Ceci évidemment suppose que nous entrions dans la psychologie du deuil. Certains d’entre vous la connaissent assez, avec son aspect dépressif, pour pou­voir concevoir qu’effectivement cette communication faite dans un monde de relation au sujet très particulier dans la parole à la radio, adressée à une foule d’auditeurs invisibles, à la fois cette invisibilité; on peut même dire un caractère qui ne s’adresse pas forcément implicitement pour l’imagination du sujet à ceux qui l’écoutent, mais aussi bien à tous, aux vivants comme aux morts.

Le sujet était évidemment dans un rapport extrêmement conflictuel avec le fait qu’il pouvait à la fois regretter que sa mère ne puisse être témoin de son suc­ces; mais quelque chose dans son discours lui était peut-être adressé, dans ce discours qui s’adressait à ses invisibles auditeurs.

Quoi qu’il en soit, le caractère nettement inversé pseudomaniaque de l’attitude du sujet, et sa relation étroite avec la perte récente de cette mère qui représentait pour lui la perte d’un objet privilégié dans ses liens d’amour, est manifestement au ressort de cet état critique dans lequel il était arrivé à la séance suivante. Or, immédiatement son exploit, le fait qu’il ait réalisé, malgré les circonstances contraires, d’une façon brillante, ce qu’il s’était engagé à faire.

L’important n’est pas ceci. L’important est ce qui tout à fait manifeste sous la plume de quelqu’un qui est loin d’avoir une attitude critique vis-à-vis d’un cer­tain style d’intervention, que le mode d’interprétations sur la base de la signifi­cation intentionnelle de l’acte du discours dans le moment présent de la séance, est quelque chose qui est soumis à toutes les relativités qu’implique l’engage­ment éventuel de l’ego de l’analyse dans la situation.

Pour tout dire, ce qui est important, ce n’est pas que l’analyste lui-même se soit trompé. Rien n’indique même qu’on puisse dire que ce soit le contre-trans­fert en lui-même qui soit coupable de cette interprétation manifestement réfu­tée par la suite du traitement.

Que le sujet ait éprouvé lui-même les sentiments que l’analyste imputait à son analysé de lui donner à lui analyste, non seulement nous pouvons l’ad­mettre, mais c’est excessivement probable. Qu’il ait été guidé par cela dans l’in­terprétation qu’il a donnée, c’est une chose qui n’est pas du tout à considérer même comme dangereuse.

Le seul sujet analysant, l’analyste, qu’il ait éprouvé ces sentiments, c’est jus­tement son affaire que de savoir en tenir compte d’une façon opportune pour s’éclairer comme d’une aiguille indicatrice de plus dans sa technique. On n’a jamais dit que l’analyste ne doit jamais éprouver de sentiments vis-à-vis de son patient. On doit dire qu’il doit savoir non seulement les mettre à leur place, ne pas y céder, mais s’en servir d’une façon techniquement bien située. C’est parce qu’il a cru devoir chercher d’abord dans l’hic et nunc la raison d’une certaine attitude du patient qu’il a cru devoir la trouver dans quelque chose qui existait effectivement là, dans le champ intersubjectif des deux personnages. Il était bien placé pour le connaître, parce qu’il éprouvait en effet que c’est bien ainsi qu’il éprouvait le sentiment d’hostilité, ou tout au moins d’agacement vis-à-vis du succès de son patient.

Ce qui est grave, c’est qu’il ait cru être autorisé par une certaine technique à en user d’une façon directe, d’emblée.Qu’est-ce que je veux dire par là ? Qu’est-ce que J’oppose?

je vais essayer de vous l’indiquer à présent. je dis qu’il se croit autorisé à faire ce que j’appellerai une interprétation d’ego à ego – ou d’égal à égal, permettez-moi le jeu de mots. – C’est de cela qu’il s’agit. Autrement dit, une interprétation dont le fondement et le mécanisme ne peuvent en rien être distingués du méca­nisme de la projection. Quand je dis projection, je ne dis pas projection erro­née. Entendez bien ce que je suis en train de vous dire. Il y a une formule qu’avant d’être analyste j’avais – avec mes faibles dons psychologiques – mise à la base de la petite boussole dont je me servais pour évaluer certaines situations. je me disais volontiers : « les sentiments sont toujours réciproques ». C’est abso­lument vrai, malgré l’apparence. Dès que vous mettez en champ deux sujets, je dis deux, pas trois, les sentiments sont toujours réciproques.

Donc l’analyste était fondé à penser que du moment qu’il avait ces senti­ments-là, virtuellement les sentiments correspondants pouvaient être évoqués chez l’autre. Et la preuve est que justement il les a parfaitement acceptés. Quand on lui a dit : « Vous êtes hostile, parce que vous pensez que je suis irrité contre vous. » Il suffisait de le lui dire pour que ce sentiment soit établi. Le sentiment était donc valablement déjà là, puisqu’il suffisait d’y mettre la petite étincelle pour qu’il existe.

Donc ce qui est important est que si le sujet a accepté cette interprétation, c’est d’une façon tout à fait fondée, pour cette simple raison que, selon toute apparence, dans une relation aussi intime que celle qui existe entre analysé et analyste, il était assez averti des sentiments de l’analyste pour être induit à quelque chose de symétrique.

La question est de savoir si une certaine façon de comprendre l’analyse des défenses ne nous mène pas à une technique je dirais presque obligatoirement générative d’une certaine sorte d’erreurs; une erreur qui n’en est pas une. je veux dire quelque chose qui est avant le vrai et le faux, quelque chose qui est tel­lement obligatoirement juste et vrai qu’on ne peut pas dire si elle répond ou non à une vérité. De toute façon elle sera vérifiée. Il s’agit donc de savoir pourquoi un tel danger existe.

je crois pouvoir vous dire pourquoi. C’est que dans cette sorte d’interpréta­tion de la défense, que j’appelle d’ego à ego, il convient, quelle que soit sa valeur éventuelle, de s’en abstenir. Il faut même dans ces sortes d’interprétations de la défense qu’il y ait toujours au moins, et ça veut dire que ça ne suffit pas, un troi­sième terme.Et en réalité il en faut plus, comme j’espère pouvoir vous le démontrer. Mais je ne suis en train, pour aujourd’hui, que d’ouvrir le problème avec quelques mots qui sont importants, à savoir précisément ces fonctions réciproques de l’ego des sujets.

Il est tard! Cela ne nous permet pas d’entrer aussi loin que je l’aurais voulu dans le problème des rapports de la résistance et des défenses. je voudrais néan­moins vous-donner quelques indications dans ce sens.

Après vous avoir montré les problèmes et les dangers que comporte une cer­taine technique de l’analyse des défenses, je crois nécessaire, après les exposés de Mannoni et Anzieu, de poser certains principes.

Il y a une chose tout à fait claire, qui mérite qu’on s’y réfère comme départ d’une définition tout à fait coordonnée, en fonction de l’analyse de la notion de résistance. Freud a donné la première définition, je crois, dans la Science des rêves. Ceux qui peuvent lire l’allemand et qui ont des textes de l’édition d’Imago, édition anglaise, trouveront ceci à la page 521; je vous signale que c’est dans le chapitre VII, Psychologie des processus du rêve, première section qui concerne l’oubli des rêves. Nous avons une phrase décisive qui est celle-ci

« Was immer die Fortsetzung die Arbeit sfrt ist eine Widerstand. » Ce qui veut dire : « Tout ce qui peut détruire, suspendre, altérer la continuation, Fortsetzung, du travail… »

et il s’agit du travail analytique. Il s’agit, là où nous sommes, dans l’analyse des rêves, il ne s’agit pas de symptômes, il s’agit de traitement, de Behandlung, quand on dit qu’on traite un objet, qu’on traite quelque chose qui passe dans certains processus : « Tout ce qui suspend, détruit, stört la continuation du tra­vail est une résistance ». ce qui malheureusement a été traduit en français par « Tout obstacle à l’interprétation provient de la résistance psychique. »

je vous signale ce point, parce qu’évidemment ça ne rend pas facile la vie à ceux qui n’ont que la traduction très sympathique du courageux M. Meyerson. Cela doit vous inspirer une salutaire méfiance à l’égard d’un certain nombre de traductions de Freud. Et tout le paragraphe précédent est traduit dans ce style. La note en bas, dans l’édition allemande et qui discute tout de suite après: « est­-ce que nous allons dire que si le père du patient meurt, est-ce que c’est une résis­tance ? » je ne vous dis pas comment il conclut. Mais vous voyez dans quelle ampleur est posée la question de la résistance. Cette note est supprimée dans l’édition française.

En effet, c’est de cela qu’il s’agit : «Tout ce qui suspend, détruit, la conti­nuité [on peut même traduire Fortsetzung dans ce sens] du traitement est une résistance. »

je crois qu’il faut partir de textes comme ceux-là, et les suspendre un peu dans notre esprit, les tamiser et voir ce que ça donne.

De quoi s’agit-il, en somme ? Il s’agit de la poursuite du traitement, du tra­vail. Pour mettre bien les points sur les i, il n’y a pas mis Behandlung, ce qui pourrait faire dire « la guérison », non, il s’agit du « travail », Arbeit; ça consiste en un certain nombre de choses, ça peut être défini par sa forme, par ce qui s’y passe, l’association verbale déterminée par une règle, celle dont il vient de par­ler, cette règle fondamentale de l’association libre; tout ceci nous mène à la fameuse question: il y a tout de même ce travail, il ne s’agit même que de cela, puisque nous sommes dans l’analyse des rêves, c’est évidemment de la révéla­tion de l’inconscient, et point d’autre chose qu’il s’agit au niveau de l’élabora­tion du rêve. C’est là que nous en sommes, à la révélation de l’inconscient.

Ceci déjà va nous permettre d’évoquer un certain nombre de problème. En particulier celui-ci, car tout à l’heure Anzieu l’a évoqué, à savoir : cette résis­tance, précisément, d’où vient-elle ? Il y a là-dessus beaucoup de choses à dire. D’où vient-elle ? Nous avons vu qu’il n’y a pas de texte dans les Studien über Hysterie qui nous permette de considérer qu’elle vienne comme telle du Moi. Que d’autre part rien n’indique non plus dans l’élaboration qui est faite dans L’interprétation des rêves qu’elle vienne d’aucune façon, ni d’une façon exclu­sive encore bien moins, de ce qu’on appelle le processus secondaire qui est une étape tellement importante de la pensée de Freud. Même quand nous arrivons dans les années 1916, où Freud fait paraître son premier article proprement métapsychologique die Entfernung, le refoulement que nous voyons poindre, première indication, existe: Der Widerstand… C’est-à-dire qu’à ce moment-là la résistance est conçue comme quelque chose qui se produit en effet du côté du conscient, mais dont l’identité est essentiellement réglée par sa distance Entfernung, de ce qui a été originellement refoulé.

Le lien donc de la résistance avec le contenu de l’inconscient lui-même est encore là extrêmement sensible. Ceci à une époque tout à fait tardive, je crois; je retrouverai la date exacte. C’est la première étude qui a été ultérieurement groupée dans les Écrits métapsychologiques. Cet article fait partie de la période intermédiaire, moyenne, de l’évolution.

En fin de compte, ce qui a été originalement refoulé, qu’est-ce que c’est ?

A cette étape ? Et jusqu’à cette période que je qualifie d’intermédiaire. C’est encore et toujours le passé. Un passé qui doit être restitué et dont nous ne pou­vons pas faire autrement que de réévoquer une fois de plus les problèmes et l’ambiguïté, les problèmes qu’il soulève quant à sa définition, sa nature, sa fonction, si nous voulons partir de quelque chose de solide pour concevoir, évoquer, définir ce que Freud appelle une résistance. Disons que tout ce qui se passe pendant cette période qui est la période de L’homme aux loups, pour la caractériser, période où Freud pose la question de « ce que c’est que le trauma », et où tout le problème pour lui est lié à ceci qu’il s’aperçoit que le trauma est une notion extrêmement ambiguë, que la notion événementielle du trauma est une chose qui de toute façon ne peut être mise en question, puisqu’il apparaît selon toute évidence clinique que la face fantasmatique du trauma est infini­ment plus importante, et que dès lors l’événement passe au second plan dans l’ordre des références subjectives. Mais que, par contre, la datation du trauma est quelque chose qu’il convient de conserver, si je puis dire, mordicus, et c’est cela aussi.

Ceux qui ont suivi mon enseignement sur le sujet de L’homme aux loups doi­vent le savoir; il ne s’agit que de cela, dans L’homme aux loups. Après tout, qui saura jamais ce qu’il a vu ? Mais il est certain que ce que nous ne savons pas s’il l’a vu ou s’il ne l’a pas vu, il ne peut l’avoir vu qu’à telle date, et il ne peut pas l’avoir vu même une année plus tard. Et il ne s’agit que de cela. Je ne crois pas trahir la pensée de Freud. Il suffit de savoir le lire, c’est écrit noir sur blanc, de montrer que l’important ne peut être défini que dans la perspective de l’histoire et de la reconnaissance.

Je voudrais encore, pour ceux qui ne sont pas familiers avec toute cette dia­lectique que j’ai abondamment développée, tâcher de vous donner un certain nombre de notions. Il faut toujours être au niveau de l’alphabet – je m’excuse pour ceux à qui ça paraîtra des redites. Je vais vous donner un exemple. Pour bien vous faire comprendre ce que pose le problème de la reconnaissance, les questions qu’elle pose; combien vous ne pouvez pas noyer cela dans des notions aussi confuses que celles de mémoire, de souvenir, si en allemand ça peut encore avoir un sens, Erlebnis, la notion française de souvenir, vécu ou pas vécu, prête à toutes les ambiguïtés. Je vais vous donner une petite histoire.

Je me réveille le matin, dans mon rideau, comme Sémiramis. J’ouvre 1’œil; c’est un rideau que je ne vois pas tous les jours, parce que c’est le rideau de ma maison de campagne, je ne le vois que tous les huit ou quinze jours, et je remarque dans les traits que fomente la frange du rideau une fois de plus, je dis une fois de plus, je ne l’ai jamais vu qu’une fois dans le passé comme ça, le pro­fil disons d’une espèce de visage, à la fois aigu, caricatural et vieillot de ce qui pour moi représente vaguement le style d’une figure de marquis XVIII° siècle, pour donner les fabulations toutes niaises auxquelles se livre l’esprit au réveil.

Eh bien, c’est à cause de cela, de cette cristallisation, gestaltiste comme on dirait de nos jours, de cette reconnaissance d’une figure que l’on connaît depuis longtemps, ç’aurait été une tache sur le mur, ç’aurait été la même chose, c’est à cause de cela je puis dire, que je puis dire que le rideau n’a pas bougé d’une ligne, car exactement huit jours avant, au réveil, j’avais vu la même chose. Je l’avais bien entendu complètement oublié. Mais c’est à cause de cela que je sais que le rideau n’a pas bougé. Il est toujours là, exactement à la même place.

Ceci est un apologue, ça se passe sur le plan imaginaire, encore qu’il ne serait pas difficile… et que toutes les coordonnées symboliques qui représentent, autour de cela, des niaiseries : marquis du XVIII° siècle, etc., jouent un rôle très important, car si je n’avais pas un certain nombre de fantasmes sur le sujet de ce que représente le profil, je ne l’aurais pas non plus reconnu dans la frange de mon rideau.

Mais, laissons cela…

Ce que cela comporte sur le plan de la reconnaissance, à savoir que c’était bien comme ça huit jours auparavant, est lié à un phénomène de reconnaissance dans le présent.

C’est exactement ce que Freud, dans les Studien über Hysterie, emploie. Je dis emploie, quand il dit qu’il y avait quelques études sur la mémoire à cette époque, et s’y référait sur les souvenirs évoqués et sur la reconnaissance, la force actuelle et présente qui lui donne non pas forcément son poids et sa densité, mais tout simplement sa possibilité. Freud procède ainsi. Quand il ne sait plus à quel saint se vouer pour obtenir la reconstruction du sujet, il la prend toujours là avec la pression des mains sur le front, et il lui énumère toutes les années, tous les mois, toutes les semaines, voire tous les jours, les nommant un par un, « le mardi 17, le mercredi 18, etc. ». C’est-à-dire qu’il fait assez de confiance à ce qui depuis a été défini dans ses analyses qui ont été faites sur le sujet de ce que c’est que la mémoire, ce qu’on appelle le « temps socialisé », sur la structuration implicite du sujet par ce temps socialisé, pour penser que, quand il va arriver au point où l’aiguille de l’horloge croisera effectivement, à travers cette symboli­sation qu’il en fait, le moment critique du sujet, le sujet dira: « ah oui, justement, ce jour-là, je me souviens de quelque chose ».

Je ne suis pas en train de confirmer si ça a réussi ou non. Freud nous dit que ça réussissait.

Est-ce que vous saisissez bien la portée de ce que je suis en train de vous dire ? En d’autres termes, le centre de gravité du sujet est supposé par la technique analytique à son origine. Et dès lors il n’y a aucun lieu de démontrer que ceci soit réfuté à sa fin, car à la vérité, si ça n’est pas comme cela, on ne voit absolu­ment pas ce qu’a apporté de nouveau l’analyse, le centre de gravité du sujet étant cette synthèse présente du passé qu’on appelle l’histoire. Et c’est à cela que nous faisons confiance quand il s’agit de faire progresser le travail. C’est une première phase des choses. Est-ce que cela suffit ?

Non, bien entendu. Cela ne suffit pas. La résistance du sujet s’exerce sur ce plan. Mais cette résistance, vous allez le voir, se manifeste d’une façon curieuse qui mérite d’être définie, explorée, par des cas absolument particuliers. Je vais vous en évoquer un.

Un cas où Freud avait toute l’histoire, la mère la lui avait racontée. Alors il l’a communiquée au sujet. Il lui dit : « Voilà ce qui s’est passé. Voilà ce qu’on vous a fait. » A chaque fois la patiente, l’hystérique, répondait par une petite crise d’hystérie, reproduction de la crise caractérisée. Elle écoutait et répondait par sa forme de réponse, qui était de répondre par symptôme; ce qui pose quelques petits problèmes.

Si nous appelons cela résistance ? C’est une question de savoir que j’ouvre pour aujourd’hui.

Ce que je voudrais simplement, la question sur laquelle je voudrais terminer est ceci : quand Freud, à la fin des Studien über Hysterie, nous définit la résis­tance comme cette inflexion que prend le discours à mesure qu’il s’approche du noyau pathogène, à savoir ce quelque chose qui amène ce qui est cherché et qui repousse le discours, ce quelque chose que fuit le discours, qu’est-ce que c’est ?

Il est bien certain que nous ne pouvons résoudre ces problèmes qu’en appro­fondissant quel est le sens de ce discours. Nous l’avons déjà dit, c’est un dis­cours historique. Mais ce que nous n’avons pas résolu, c’est qu’il [quel ?] est le lien, car n’oublions pas quel est le départ de cette technique; c’est une technique hypnotique. Dans l’hypnotisme, le sujet tient tout ce discours. Il le tient même d’une façon particulièrement saisissante, en quelque sorte dramatisé, ce qui implique la présence de l’auditeur. Il est essentiel. Et ce discours, il est sorti de son hypnotisme. Il ne s’en souvient plus. Néanmoins, c’est là l’entrée dans la technique, pour autant que ce dont on s’était aperçu est que la reviviscence du trauma était en soi-même et immédiatement, sinon de façon permanente, théra­peutique.

Donc ceci intéresse ce sujet, que ce discours ait été tenu comme ça, sans réflé­chir plus loin, par quelqu’un qui peut dire « moi ». Le moins qu’on puisse dire, et qui ne vous échappe absolument pas, est que le caractère vécu, revécu appa­remment du traumatisme dans la phase de l’état second hystérique, est une façon de parler absolument ambiguë, parce que ça n’est pas parce que c’est dra­matisé, parce que cela se présente sous un aspect pathétique, que le mot revécu puisse en soi-même nous satisfaire. Qu’est-ce que ça veut dire, l’assomption par le sujet de son propre vécu ? Si je porte le problème au point où il est le plus ambigu, à savoir dans l’état second hypnotique du sujet, c’est parce que là c’est évident que la question se pose.

Et c’est exactement la même chose à tous les niveaux de l’expérience analy­tique, exactement pour autant que se pose la question: que signifie un discours ? Que nous forçons le sujet d’établir dans une certaine parenthèse, celle de la règle fondamentale, celle qui lui dit, en fin de compte : votre discours n’a pas d’im­portance et même bien plus, qui implique que du moment qu’il se livre à cet exercice, déjà il ne croit plus qu’à moitié à ce discours, car il sait qu’à tout ins­tant il est sous les feux croisés de notre interprétation. Il s’y attend donc. La question est justement : quel est le sujet du discours ?

C’est là-dessus que nous reprendrons la prochaine fois et tâcherons de dis­cuter par rapport à ces problèmes fondamentaux quelles sont la signification et la portée de la résistance.

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