Leçon du 13 Janvier 1954
Pour commencer l’année nouvelle, pour laquelle le vous présente mes bons vœux, je l’introduirai volontiers par un thème que j’exprimerai à peu près ainsi « fini de rire! »
Pendant le dernier trimestre, vous n’avez guère eu ici autre chose à faire qu’à m’écouter. je vous annonce solennellement que, dans ce trimestre qui commence, je compte, j’espère, j’ose espérer que moi aussi je vous entendrai un peu.
Ceci me paraît absolument indispensable. D’abord, parce que c’est la loi même et la tradition du séminaire que ceux qui y participent y apportent plus qu’un effort personnel. Ils apportent une collaboration par les communications effectives. Et ceci, bien entendu ne peut venir que de ceux qui sont intéressés de la façon la plus directe à ces séminaires, ceux pour qui ces séminaires de textes ont leur plein sens, c’est-à-dire sont engagés à des degrés, à des titres divers dans notre pratique.
Ceci n’exclura pas, bien entendu, que vous n’obteniez de moi les réponses que je serai en mesure de vous donner; et il me serait tout particulièrement sensible que, dans ce trimestre, tous et toutes, selon la mesure de vos moyens, vous donniez à l’établissement de ce que je pourrais appeler nouvelle étape, nouveau stade du fonctionnement de ce séminaire, ce que j’appellerai votre maximum. Votre maximum, ça consiste à ce que, quand j’interpellerai tel ou tel pour le charger d’une section précise de notre tâche commune, on ne réponde pas, avec un air ennuyé, que justement cette semaine on a des charges particulièrement lourdes, telle ou telle de ces réponses que vous connaissez bien.je parle tout au moins pour ceux qui font partie du groupe que nous représentons ici, et dont je voudrais que vous vous rendiez bien compte que s’il est constitué comme tel, à l’état de groupe autonome, s’étant isolé comme tel, c’est précisément pour une tâche qui nous intéresse tous, ceux qui font partie de ce groupe, et qui comporte rien moins pour chacun de nous que l’avenir, le sens de tout ce que nous faisons et aurons à faire dans la suite de notre existence.
Si vous ne venez pas à ce groupe à ce plein sens, au sens de mettre vraiment en cause toute votre activité, je ne vois pas pourquoi nous nous serions constitués sous cette forme. Pour tout dire, ceux qui ne sentiraient pas en eux-mêmes le sens de cette tâche, j e ne vois pas pourquoi ils resteraient attachés à notre groupe, pourquoi ils n’iraient pas se joindre à toute espèce d’autre forme de bureaucratie!…
Ces réflexions sont particulièrement pertinentes, à mon sens, au moment où nous allons aborder ce qu’on appelle communément les Écrits techniques de Freud. C’est un terme qui est déjà fixé par une certaine tradition. Dès le vivant de Freud, sous la façon dont les choses sont présentées, sous forme d’édition, on a vu paraître sous la forme de la Sammlung1, la collection des petits écrits sur les névroses… je ne me souviens plus exactement. Un petit volume in-octavo, qui isolait un certain nombre d’écrits de Freud qui vont de 1904 à 1919, et qui sont des écrits dont le titre, la présentation, le contenu, indiquent dans l’ensemble ce qu’est la méthode psychanalytique. Et ce qui motive et justifie cette forme, ce dont il y a lieu de mettre en garde tel ou tel praticien inexpérimenté qui voudrait s’y lancer, c’est qu’il faut considérer comme indispensable d’éviter un certain nombre de confusions quant à la pratique et aussi l’essence de la méthode.
Et l’on vit également apparaître sous une forme graduellement élaborée un certain nombre de notions fondamentales pour comprendre le mode d’action de la thérapeutique analytique. Et, en particulier dans ces écrits, un certain nombre de passages extrêmement importants pour la compréhension du progrès qu’a fait, au cours de ces années 1904-1919, l’élaboration qu’a subie [?] la pratique. Et aussi dans la théorie de Freud la notion de résistance, la fonction du transfert, le mode d’action et d’intervention dans le transfert; et enfin même, à un certain point, la notion de la fonction essentielle de la névrose de transfert.
1. Le titre exact est: Sammlungkleiner Schriften zur Neurosenlehre aus den Jahren 1893-1906. D’autres séries suivront celle-là. En 1931, une autre édition s’intitule: Schriften zur Neurosenlehre und zur psychoanalytischen Technik. (NA.E.)Inutile de vous dire que ce petit groupe d’écrits a une importance toute particulière. Ce groupement pourtant n’est pas complètement ni entièrement satisfaisant; au premier abord tout au moins. Peut-être le terme Écrits techniques n’est pas ce qui lui donne effectivement son unité, car il représente en effet une unité dans l’œuvre de Freud et la pensée de Freud; une unité par une sorte d’étape dans sa pensée, si on peut dire. C’est sous cet angle que nous l’étudierons; étape effectivement intermédiaire entre ce que nous pourrions appeler le premier développement de ce que quelqu’un-un analyste dont la plume n’est pas toujours de la meilleure veine, mais qui a eu en cette occasion une trouvaille assez heureuse, et même belle – a appelé expérience germinale dans Freud. En effet, nous pouvons distinguer jusque vers, mettons 1904, ou même 1906; 1904 représentant l’apparition de l’article sur la méthode psychanalytique, dont certains disent que c’est là pour la première fois qu’on a vu apparaître le mot psychanalyse – ce qui est tout à fait faux, parce que le mot psychanalyse a été employé bien avant par Freud – mais enfin là le mot psychanalyse est employé d’une façon formelle, et dans le titre même de l’article; alors mettons 1904 ou 1906; 1909, ce sont les conférences à la Clark University, voyage de Freud en Amérique accompagné de son « fils » [Jung]. Et c’est là, ou le point de repère entre 1904 et 1906, que nous pouvons choisir comme représentant le premier développement de cette expérience germinale.
Si nous reprenons les choses à l’autre bout, à l’année 1920, nous voyons l’élaboration de la théorie des instances, de la théorie structurale, ou encore métapsychologique, comme Freud l’a appelée, de l’expérience freudienne. C’est l’autre bout: c’est un autre développement qu’il nous a légué de son expérience et de sa découverte.
Vous le voyez, les Écrits techniques s’échelonnent et se situent exactement entre les deux. C’est ce qui leur donne leur sens, parce que autrement, si nous voulions dire que les Écrits techniques sont une unité au cas où Freud parle de la technique, ce serait une conception tout à fait erronée. On peut dire qu’en un certain sens Freud n’a jamais cessé de parler de la technique. Je n’ai pas besoin d’évoquer devant vous les Studien über Hysterie qui ne sont absolument qu’un long exposé de la découverte de la technique analytique. Nous l’y voyons en formation, et c’est ce qui fait le prix de ces études; et je dirai que si on voulait faire en effet un exposé complet, systématique, de la façon dont la technique s’est développée chez Freud, c’est ainsi qu’il faudrait commencer. Nous ne pourrions que nous y référer et l’évoquer sans cesse. La raison pour laquelle je n’ai pas pris Studien über Hysterie, c’est tout simplement qu’elles ne sont pas facilement accessibles: vous ne lisez pas tous l’allemand, ni même l’anglais. Il y en a une édition dans les Collected Papers (vol. I) qu’on peut se procurer. Ce n’était pas extrêmement facile de vous demander à tous de faire cet effort. D’autre part, il y a d’autres raisons que ces raisons d’opportunité, pour lesquelles j’ai choisi ces Écrits techniques.
Mais, pour poursuivre, nous dirons que, même dans la Science des rêves, il s’agit tout le temps et perpétuellement de technique. On peut dire qu’il n’y a pas… qu’il ait parlé, écrit, sur des thèmes disons d’élaboration mythologique, ethnographique, les thèmes proprement culturels, il n’y a guère d’oeuvre de Freud qui ne nous apporte quelque chose sur la technique. Mais, pour accentuer encore ce que je veux dire, il est inutile de souligner qu’un article comme Analyse terminable et interminable, paru dans le tome V des Collected Papers, vers les années 1934, est un des articles les plus importants quant à la technique.
En fait, la question de l’esprit dans lequel il me paraîtrait souhaitable que cette année, ce trimestre, nous poursuivions les commentaires de ces Écrits techniques est quelque chose de tout à fait important à fixer dès aujourd’hui. Et c’est pour cela que je considère les quelques mots que je vous introduis comme importants.
je les ai appelés Introduction aux commentaires sur les Écrits techniques de Freud.
En effet, il y a plusieurs façons de voir les choses. Si nous considérons que nous sommes ici pour nous pencher avec admiration sur les textes de Freud et nous en émerveiller, évidemment nous aurons toute satisfaction. Ces écrits sont d’une fraîcheur, d’une vivacité qui ne manquent jamais de produire le même effet que tous les autres écrits de Freud. La personnalité s’y découvre d’une façon parfois tellement directe qu’on ne peut pas manquer de l’y retrouver, comme dans tel ou tel des meilleurs moments que nous avons déjà rencontrés dans les textes que nous avons commentés. La simplicité, les raisons, la motivation des rêves qu’il nous donne, la franchise du ton, enfin, est déjà à soi toute seule une sorte de leçon. L’aisance avec laquelle sont traitées toutes les questions des règles pratiques à observer est une chose à laquelle il ne serait jamais mauvais de se référer pour nous faire voir combien pour Freud il s’agissait là d’un instrument, au sens où on dit qu’on a un marteau bien en main; il dit: « bien en main pour moi; mais ce que je vous dis là, c’est parce que c’est moi, comme ça que j’ai l’habitude de le tenir. Mais d’autres peut-être préféreraient un instrument un tout petit peu différent, plus à leur main ». Vous en verrez des passages tout à fait clairs, encore plus clairement que je ne vous le dis sous cette forme métaphorique.
Toute la question de formalisation des règles techniques y est traitée avec une liberté qui est certainement à soi toute seule un enseignement qui pourrait suffire et qui donne déjà à une première lecture des Écrits techniques son fruit et sa récompense. Il n’y a rien qui soit plus salubre, plus libérant que la lecture directe de ces écrits où, pour la première fois, sont données un certain nombre de règles pratiques, d’un caractère tout à fait instrumental, et rien n’est plus significatif pour bien montrer que la question est ailleurs. Ce n’est pas tout, dans la façon de nous transmettre ce qu’on pourrait appeler voies de cette vérité de la pensée freudienne. On pourrait y joindre une autre face qui se montre sous un certain nombre de passages, qui viennent peut-être au second plan, mais qui sont très sensibles; c’est le caractère souffrant de cette personnalité, le sentiment qu’il a de la nécessité de l’autorité, ce qui ne va pas certainement sans une certaine dépréciation fondamentale de ce que celui qui a quelque chose à transmettre ou à enseigner peut attendre de ceux qui le suivent et qui l’écoutent. Une certaine méfiance profonde de la façon dont les choses sont appliquées et comprises apparaît en bien des endroits, et même, vous verrez, je crois qui n’est pas très difficile à trouver, une dépréciation toute particulière de la matière humaine qui lui est offerte dans le monde contemporain. C’est bien assurément ce qui nous permet d’entrevoir aussi pourquoi Freud a, tout à fait en dehors du cercle, du style de ce qu’il écrit, concrètement et pratiquement mis en exercice ce poids de son autorité; et combien à la fois il a été exclusif par rapport à toutes sortes de déviations, très effectivement, déviations qui se sont manifestées, et en même temps impératif dans la façon dont il a laissé s’organiser autour de lui la transmission de cet enseignement.
Cela n’est qu’un aperçu de ce qui peut nous être révélé par cette lecture. La question de savoir si c’est uniquement cela, cet aspect historique de l’action, de la présence de Freud, sur le sujet de la transmission technique, est-ce que c’est à cela que nous allons nous limiter ?
Eh bien, non! je ne crois pas que ce puisse être possible. Ne serait-ce d’abord que, malgré tout l’intérêt et le côté stimulant, agréable, détendant, que cela peut avoir, ça ne serait tout de même qu’assez inopérant.
Vous savez que c’est toujours en fonction de l’actualité, en fonction du sens que peut avoir… à savoir qu’est-ce que nous faisons quand nous faisons de l’analyse? Ce commentaire de Freud a été jusqu’ici par moi apporté, et je ne vois pas pourquoi nous ne poursuivrions pas cet examen à propos de ce petit écrit dans le même style et dans le même esprit.
Or, pour partir de l’actualité de la technique, de ce qui se dit, s’écrit, et se pratique quant à la technique analytique… je ne sais pas si la majorité d’entre vous, une partie tout au moins, je l’espère – a bien pris conscience de ceci. C’est que quant, à la façon dont les praticiens analystes, à travers le monde, pour l’instant, je parle de maintenant, 1954, cette année toute fraîche, toute nouvelle, ces analystes divers, pensent, expriment, conçoivent leur technique… au point de ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler la confusion la plus radicale. Je mets en fait qu’actuellement parmi les analystes et qui pensent – ce qui déjà rétrécit le cercle – il n’y en a peut-être pas un seul, dans le fond, qui se fasse la même idée qu’un quelconque de ses contemporains, ou de ses voisins sur le sujet – N’êtes-vous pas d’accord, Michèle Cahen ? – sur le sujet de ce qu’on fait, de ce qu’on vise, de ce qu’on obtient, de ce qu’il s’agit…
C’en est même au point que nous pourrions nous amuser à ce petit jeu de rapprocher les conceptions formulées qui sont les plus extrêmes, et nous verrons qu’elles aboutissent à des formulations rigoureusement contradictoires. Et ceci sans chercher bien loin. Nous ne chercherons pas des amateurs de paradoxes. D’ailleurs ils ne sont pas tellement abondants, en général. La matière est assez grave, et assez sérieuse pour que divers théoriciens abordent cela sans désir de fantaisie. Et en général l’humour est absent de ces sortes d’élucubrations sur les résultats thérapeutiques, sur leurs formes, sur leurs procédés et les voies par lesquelles on les obtient. On se raccroche à la balustrade, au garde-fou de quelque partie d’élaboration théorique faite par Freud lui-même. Et c’est ce qui donne à chacun la garantie qu’il est encore en communication avec ceux qui sont ses confrères et collègues. C’est par cet intermédiaire, par l’intermédiaire du langage freudien, que la communication est maintenue entre des praticiens qui très évidemment se font des conceptions assez différentes de leur action thérapeutique, et, qui plus est, de la forme générale de ce rapport interhumain qui s’appelle la psychanalyse. Quand je dis rapport interhumain, vous voyez déjà que je mets les choses au point où elles sont venues actuellement. Car il est évident que la notion du rapport entre l’analyste et l’analysé est la voie dans laquelle s’est engagée l’élaboration des doctrines modernes pour essayer de retrouver une assiette, un plan d’élaboration qui corresponde au concret de l’expérience. C’est certainement là une direction, la plus féconde dans laquelle les choses soient engagés depuis la mort de Freud. C’est ce que M. Balint appelle, par exemple, la création de ce qu’il appelle une two bodies psychology, terme d’ailleurs qui n’est pas de lui, qu’il a emprunté au défunt Rickman qui était une des rares personnes qui aient eu un petit peu d’originalité théorique dans le milieu analyste depuis la mort de Freud.
Cette manière de formuler les choses, autour de laquelle, vous le voyez, on peut regrouper facilement toutes les études qui ont été faites sur la relation
d’objet, l’importance du contre-transfert, et un certain nombre de termes connexes parmi lesquels au premier plan le rôle du fantasme, à savoir l’interréaction imaginaire entre l’analysé et l’analyste, est quelque chose dont nous aurons à tenir compte.
Est-ce à dire que par là nous soyons dans une voie qui soit effectivement la voie qui nous permette de bien situer les problèmes? D’un côté, oui. D’un côté, non. Il y a un gros intérêt à promouvoir une recherche de cette espèce, pour autant qu’elle marque bien l’originalité de ce dont il s’agit par rapport à une one bodypsychology, la psychologie constructive habituelle. Il faut marquer de quelque chose dès l’abord que c’est ailleurs que se constitue tout ce que nous pourrons élaborer dans l’expression analytique, à savoir dans un certain rapport déterminé.
Est-ce assez de dire qu’il s’agit d’un rapport entre deux individus ? C’est là que gît, je crois, une partie du problème insuffisamment approfondie. Là on peut apercevoir les impasses où se trouve actuellement portée la formulation théorique de la technique. je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant. Encore que, pour ceux qui sont ici présents, familiers de ce séminaire, vous devez bien entendre, à savoir qu’il n’y a pas de two bodies’psychology si nous ne faisons pas intervenir ce tiers élément dont je vous ai déjà présenté une des phases sous la forme du rapport symbolique de la parole prise en tant que telle, et prise comme point central de perspectives, de points de vue, d’aperceptions de l’expérience analytique. C’est-à-dire que c’est dans un rapport à trois, et non pas dans une relation à deux, que peut se formuler pleinement, dans sa complétude, l’expérience analytique.
Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas en exprimer des fragments, des morceaux, des pans importants dans un autre registre, et dans un registre qui indique particulièrement…
Mais ce que je veux mettre comme prémisse au développement de notre discussion, c’est ceci : que là gît un des points les plus importants à élucider pour comprendre, pour situer à quelle sorte de difficultés un certain nombre de formulations des relations interanalytiques, qui sont d’ailleurs différentes, et c’est facile à comprendre. Si le fondement de la relation interanalytique est effectivement quelque chose que nous pouvons représenter comme ça, triadique, il y aura plusieurs façons de choisir dans les trois éléments de cette triade. Il y aura une façon de mettre l’accent sur chacune des trois relations triadiques qui s’établissent à l’intérieur d’une triade. Et ce sera, vous le verrez, une façon qui est tout à fait pratique de classer un certain nombre d’élaborations théoriques qui sont données de la technique.
Tout cela peut paraître actuellement un peu abstrait. je ne peux pas faire plus ni mieux aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, ce que je veux tâcher de dire de plus concret, de plus proche du terrain, pour vous introduire à cette discussion, j’ai parlé tout à l’heure de l’expérience germinale chez Freud. Cette expérience germinale, je vais l’évoquer rapidement ici, puisqu’en somme c’est cela qui a fait l’objet en partie de nos dernières leçons, celles du trimestre dernier, tout entier attaché, centré, autour de la notion que c’est la reconstitution complète de l’histoire du sujet qui est l’élément essentiel, constitutif, structural, du progrès analytique.
je crois vous voir démontré que Freud en est parti, que chaque fois il s’agit pour lui de l’appréhension d’un cas singulier, et c’est cela qui a fait le prix de l’analyse, de chacune de ces cinq grandes psychanalyses; les trois que nous avons déjà vues, élaborées, travaillées ensemble, vous le démontrent, c’est que c’est là qu’est vraiment l’essentiel, son progrès, sa découverte, dans la façon de prendre un cas dans sa singularité.Eh bien, le prendre dans sa singularité, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut essentiellement dire que pour lui l’intérêt, l’essence, le fondement, la dimension propre de l’analyse, c’est la réintégration par le sujet de son histoire jusqu’à ses dernières limites sensibles, c’est-à-dire jusqu’à quelque chose qui dépasse de beaucoup les limites individuelles.
Ceci dit, qui peut se fonder, se déduire, se démontrer de mille points textuels dans Freud, et c’est ce que nous avons fait ensemble au cours de ces dernières années, ceci se présente, si vous voulez, dans le fait, dans l’accent mis par Freud sur tel ou tel point, essentiel à conquérir par la technique sous la forme d’un certain nombre de caractéristiques, ce que j’appellerai situation de l’histoire dans sa première apparence, cela apparaîtrait comme accent mis sur le passé. Bien entendu, je vous ai montré que ce n’était pas simple; l’histoire, ce n’est pas le passé; l’histoire, c’est le passé dans le sens où il est historisé dans le présent. Et il est historisé dans le présent parce qu’il a été vécu dans le passé.
je veux indiquer que dans la technique, les voies et les moyens pour accéder à cette réintégration, restitution de l’histoire du sujet, cela prendra la forme d’une recherche de restitution du passé. Ceci étant considéré comme point de mire, comme résultat matériel, comme accent de la recherche, poursuivi par un certain nombre de voies techniques.
Il est très important de voir, et vous le verrez, vous le verrez marqué, je dois le dire, tout au long de cette oeuvre de Freud dont je vous ai dit les indications
techniques, surtout les Écrits techniques dont je vous parlais tout à l’heure. Vous verrez que, pour Freud, ceci est toujours resté, et jusqu’à la fin, au premier plan de ses préoccupations. C’est bien pour cela que, autour de cet accent mis sur cette restitution du passé, se posent un certain nombre de questions qui sont, à proprement parler, les questions ouvertes par la découverte freudienne, et qui ne sont rien moins que les questions qui ont été jusqu’ici évitées, qui n’ont pas été abordées – dans l’analyse, j’entends – à savoir des fonctions du temps dans la réalisation du sujet humain. Plus on retourne à l’origine de l’expérience freudienne – quand je dis à l’origine, je ne dis pas à l’origine historique, je veux dire au point de source – plus on se rend compte que c’est cela qui fait toujours vivre l’analyse, malgré des habillements profondément différents qui lui sont donnés; plus on voit en même temps que nous devons poser la question de ce que signifie, pour le sujet humain, cette restitution du passé, là j’accentue le passé dans le sens passéiste de l’expérience, cette restitution du passé sur laquelle Freud met et remet toujours l’accent, même lorsque, avec les notions des trois instances – et vous verrez qu’on peut même dire quatre – il a donné un développement considérable au point de vue structurel; quand, par là, il a favorisé une certaine orientation de l’analyse qui va de plus en plus à détecter à l’intérieur de la technique la relation actuelle dans le présent, dans l’intérieur même de la séance analytique en tant que séance unique, et en tant que séance répétée, la suite d’expériences du traitement entre les quatre murs de l’analyse. Je n’ai besoin, pour soutenir ce que je suis en train de vous dire sur l’accent toujours maintenu par Freud, sur l’orientation de cette expérience analytique, que d’évoquer un article qu’il publiait, je crois, en 1937, qui s’appelle Constructions dans l’analyse, où il s’agit encore et toujours de la reconstruction de l’histoire du sujet. On ne peut pas voir d’exemple plus caractéristique de la persistance, d’un bout à l’autre de l’œuvre de Freud, de ce point de vue central, pivot. Et il y a presque quelque chose comme une réinsistance dernière, sur ce thème, dans le fait que Freud insiste sur cet article.
On peut le considérer comme l’extrait, la pointe, le dernier mot de ce qui est tout le temps mis en jeu dans une oeuvre aussi centrale que L’homme aux loups, à savoir : quelle est la valeur de ce qui est reconstruit du passé du sujet ? À ce moment-là, on peut dire que Freud arrive, on le sent très bien en beaucoup d’autres points de son oeuvre, arrive à une notion qui, vous l’avez vu, émergeait au cours des derniers entretiens que nous avons eus le trimestre dernier, et qui est à peu près celle-ci: c’est qu’en fin de compte, nous dit Freud, en fin de compte le fait que le sujet revive, se remémore, au sens intuitif du mot, les événements formateurs de son existence, n’est pas en soi-même tellement important.
Il y a des formules tout à fait saisissantes : après tout, écrit Freud, Träume, les rêves, sind auch erinnern, les rêves sont encore une façon de se souvenir; mais les rêves comme tels.
Et il en écrit bien d’autres sur ce sujet. Il va même jusqu’à dire: et après tout, les souvenirs-écrans, eux-mêmes, sont un représentant tout à fait satisfaisant de ce dont il s’agit. Cela ne veut pas dire qu’ils sont, en tant que et sous leur forme manifeste de souvenirs, un représentant satisfaisant; mais, suffisamment élaborés, ils nous donnent absolument l’équivalence de ce que nous cherchons.
Est-ce que vous voyez, à ce degré, le point où nous en venons ? Nous en venons, dans la pensée, dans la conception de Freud lui-même, en somme, à l’idée que la lecture, la lecture qualifiée, expérimentée, du cryptogramme que représente ce que le sujet possède actuellement dans sa conscience, qu’est-ce que je vais dire: de lui-même? non, pas seulement de lui-même, de lui-même et de tout, c’est-à-dire l’ensemble de son système convenablement traduit, c’est de cela qu’il s’agit. Et c’est cela que nous lisons dans cette restitution de l’intégralité du sujet, dont je vous ai dit tout à l’heure qu’au départ elle se présentait comme une restauration du passé, et dont on s’aperçoit que sans qu’il ait jamais perdu cet idéal de reconstruction, puisque c’est le terme même qu’il emploie jusqu’à la fin, l’accent porte encore plus sur la face de la reconstruction que sur la face du revécu, de la reviviscence, au sens qu’on est communément habitué à appeler affectif pour la désigner dans ce qu’on peut considérer comme un idéal de réintégration, que le sujet se souvient comme étant vraiment à lui, comme ayant été vraiment vécue, qu’il communique avec elle, qu’il l’adopte.
Nous avons en tout cas dans les textes de Freud l’aveu le plus formel que ce n’est pas cela l’essentiel.
Vous voyez combien il y a là quelque chose qui est tout à fait remarquable, et qui serait paradoxal si nous n’avions pas pu le comprendre, pour y accéder, lui donner son sens, si nous n’avions pas au moins la perception du sens que cela peut prendre dans ce registre, celui que j’essaie ici de vous faire comprendre, de promouvoir, comme étant essentiel à la compréhension de notre expérience, et qui est celui de la parole comme telle. En fin de compte, ce dont il s’agit, c’est encore moins de se souvenir que de récrire l’histoire. je suis en train en ce moment de vous parler de ce qu’il y a dans Freud, c’est très important, ne serait-ce que pour distinguer les choses. Cela ne veut pas dire qu’il ait raison, mais il est certain que cette trame est permanente, sous-jacente, continuellement, au développement de sa pensée. Il n’a jamais abandonné quelque chose qui ne peut se formuler que de la façon sous laquelle, je viens de vous le dire, c’est une formule récrire l’histoire, formule qui permet de juger, de situer les diverses formules qu’il donne de ce qui lui semble être les petits détails de l’analyse.
Vous savez que je pourrais confronter avec cela des conceptions complètement différentes de l’expérience analytique. Il n’y a pas besoin pour cela de chercher des extrémistes; et ceux qui font de l’analyse cette sorte de décharge, si on peut dire, homéopathique, à l’intérieur de l’expérience actuelle, dans le champ analytique, c’est-à-dire dans le bureau, le salon de l’analyste, le cabinet de consultation, de décharge homéopathique d’une certaine façon d’appréhender le monde sur un plan fantasmatique et qui doit, peu à peu, à l’intérieur de cette expérience actuelle, réelle, se réduire, se transformer, s’équilibrer, dans une certaine relation au réel, vous voyez bien que, là, l’accent est mis tout à fait ailleurs. L’accent est mis d’un rapport fantasmatique à un rapport qu’on appelle, sans chercher plus loin, entre guillemets, « réel ».
Je peux vous en donner mille exemples écrits de long en large, formulés, d’une personne que j’ai déjà nommée ici, qui a écrit sur la technique et a formulé là-dessus les choses d’une façon qui n’est certes pas seulement rigide et sans ouverture, qui est certainement nuancée, et fait tout pour accueillir la multiplicité, la pluralité de l’expression, et qui en fin de compte se ramène en cela. Il en résulte d’ailleurs des incidences singulières que nous pourrons évoquer à l’occasion de ces textes. Et pas elles seules.
En fait, ce dont il s’agit, ce que nous rencontrerons sans cesse comme question fondamentale au cours de l’appréhension que nous allons tenter de faire, en raison du biais, du penchant par où une certaine institution fondamentale de la pratique, celle qui nous a été donnée par Freud, en est venue à se transformer en une technique, en un certain maniement de la relation analyste-analysé, dans le sens de ce que je viens de vous dire.
Nous verrons qu’une notion est absolument centrale dans cette transformation, c’est la façon dont ont été prises, accueillies, adoptées, maniées, les notions que Freud a introduites dans la période immédiatement ultérieure à celle des Ecrits techniques; à savoir précisément, les trois instances, et, des trois, celle qui à partir de ce moment-là a pris l’importance première : rien moins que l’ego.Et c’est autour de la conception de l’ego qu’en fait pivote à la fois tout le développement de la technique analytique depuis, et que se situent toutes les difficultés que l’élaboration théorique de ce développement pratique pose.Il est certain qu’il y a un monde entre ce que nous faisons effectivement dans cette espèce d’antre où un malade nous parle, et où nous lui parlons – de temps en temps. Il y a un monde entre cela et l’élaboration théorique que nous en donnons. Même dans Freud, nous avons l’impression, là où l’écart est infiniment plus réduit, qu’il y a encore une distance.
je ne suis certes pas le seul à m’être posé la question : que faisait Freud effectivement ? Non seulement d’autres se sont posé cette question, il n’est rien de le dire, mais ils ont écrit qu’ils se la posaient. Quelqu’un comme Bergler se pose la question noir sur blanc et dit que nous ne savons en fin de compte pas grand chose là-dessus, à part ce que Freud lui-même nous a laissé voir quand il a mis, lui aussi noir sur blanc, le fruit de certaines de ses expériences, et nommément ses cinq grandes psychanalyses. Là nous avons l’aperçu, l’ouverture la meilleure sur la façon dont Freud se comportait.Effectivement, il semble que les traits de l’expérience de Freud ne peuvent pas, à proprement parler, être dans leur réalité concrète reproduits; pour une très simple raison, sur laquelle j’ai déjà insisté, à savoir la singularité qu’avait l’expérience avec Freud, du fait que Freud – c’est un point absolument essentiel dans la situation – était celui… C’est une dimension essentielle de l’expérience que Freud fut réellement, ait été réellement celui qui avait ouvert cette voie de l’expérience.
Ceci à soi tout seul donne une optique absolument particulière; ça peut se démontrer au dialogue entre le patient et Freud, Freud pour le patient d’une part, et surtout la façon dont Freud lui-même se comporte vis-à-vis du patient qui n’est en fin de compte, on le sent tout le temps, pour lui, qu’une espèce d’appui, de question, de contrôle à l’occasion, dans la voie où lui, Freud, s’avance solitaire. C’est quelque chose qui donne à soi tout seul ce côté absolument dramatique, au sens propre du mot, et aussi loin que vous pourrez pousser le terme dramatique, puisque ça va toujours jusqu’à ce qui est issu du drame humain, c’est-à-dire l’échec, dans chacun des cas que Freud nous a apportés.
La question est toute différente pour ceux qui se trouvent être en posture de suivre ces voies, à savoir les voies que Freud a ouvertes au cours de cette expérience poursuivie pendant toute sa vie, et jusqu’à quelque chose qu’on pourrait appeler l’entrée d’une espèce de terre promise. Mais on ne peut pas dire qu’il y soit entré. Il suffit de lire ce qu’on peut vraiment considérer comme son testament, à savoir L’analyse terminable et interminable, pour voir que, s’il y avait quelque chose dont Freud a eu conscience, c’est qu’il n’y était pas entré, dans cette terre promise. Cet article, je dirais, n’est pas une lecture à proposer à n’importe qui, qui sache lire, heureusement il n’y a pas tellement de gens qui savent lire. Mais pour ceux qui savent lire, c’est un article difficile à assimiler, pour peu qu’on soit analyste – si on n’est pas analyste, on s’en fiche!
La situation donc, dis-je, est tout à fait différente pour ceux qui se trouvent suivre les voies de Freud. C’est très bien précisément sur cette question de la façon dont ces voies sont prises, adoptées, recomprises, repensées – et nous ne pouvons pas faire autrement que de centrer tout ce que nous pouvons apporter comme critique de la technique analytique.
En d’autres termes, ne vaut, ne peut valoir la plus petite partie de la technique, ou même tout son ensemble, qu’en fonction et dans la mesure où nous comprenons où est la question fondamentale, pour tel ou tel analyste qui l’adopte.
Dans d’autres termes, quand nous entendons parler de l’ego à la fois comme de ce qu’il est l’allié de l’analyste, non seulement l’allié, mais la seule source. Nous ne connaissons que l’ego, écrit-on couramment, c’est écrit par Mlle Anna Freud, où ça a un sens qui n’est pas le même que chez le voisin; c’est écrit par M. Fenichel, Mme [Klein], à peu près tout ce qui a été écrit sur l’analyse depuis 1920 : nous ne nous adressons qu’au Moi, nous n’avons de communication qu’avec le Moi, tout doit passer par le Moi. D’un autre côté, tout ce qui a été apporté comme développement sur le sujet de cette psychologie du Moi peut se résumer à peu près dans ce terme : le Moi est structuré exactement comme un symptôme; à savoir qu’à l’intérieur du sujet, ce n’est qu’un symptôme privilégié, c’est le symptôme humain par excellence, c’est la maladie mentale de l’homme. je crois que traduire le Moi analytique de cette façon rapide, abrégée, c’est donner quelque chose qui résume au mieux ce qui résulte au fond de la lecture pure et simple d’Anna Freud, Le moi et les mécanismes de défense. Vous ne pouvez pas ne pas être frappés de ce que le Moi se construit, se situe dans l’ensemble du sujet comme un symptôme, exactement. Rien ne l’en différencie. Il n’y a aucune objection à faire à cette démonstration, qui est particulièrement fulgurante, et non moins fulgurant le fait que les choses en sont à un point tel de confusion que la suite des catalogues des mécanismes de défense qui constituent le Moi dans cette position singulière. Ce catalogue qui est une des listes, un des catalogues les plus hétérogènes qu’on puisse concevoir, Anna Freud elle-même le souligne, le dit très bien
«Rapprocher le refoulement de notions comme le retournement de l’instinct contre son objet, ou l’inversion de ses buts, c’est mettre côte à côte des éléments qui ne sont absolument pas homogènes. »
Il faut dire qu’au point où nous en sommes, nous ne pouvons peut-être pas faire mieux – et ceci est une parenthèse. Ce qui est important c’est de voir cette profonde ambiguïté que l’analyste se fait de l’ego, l’ego qui est tout ce à quoi on accède, l’ego qui est une espèce d’achoppement, d’acte manqué, de lapsus. Tout à fait au début de ses chapitres sur l’interprétation analytique, Fenichel parle de l’ego comme tout le monde, et éprouve le besoin de dire que l’ego a cette fonction essentielle d’être une fonction par où le sujet apprend le sens des mots; c’est-à-dire que dès la première ligne il est au cœur du sujet. Tout est là. Il s’agit de savoir si le sens de l’ego déborde le Moi. Et en effet une fonction de l’ego, si elle est une fonction de l’ego… Tout le développement que donne Fenichel par la suite est absolument incompréhensible. D’ailleurs, il n’insiste pas. Je dis que c’est un lapsus, parce que ce n’est pas développé, et tout ce qu’il développe consiste à dire le contraire, et aboutit à un développement où il nous dit qu’en fin de compte le Ça et l’ego, c’est exactement la même chose; ce qui n’est pas fait pour éclaircir l’ensemble du problème. Mais, je le répète, ou bien la suite du développement est impensable, ou bien ce n’est pas vrai. Et il faut savoir qu’est-ce que l’ego ? En quoi le sujet est-il pris, qui comprend, outre le sens des mots, bien autre chose, le rôle formateur fondamental du langage dans son histoire ?
Ceci nous amène à nous dire qu’à propos des Écrits techniques de Freud nous aurons à nous poser un certain nombre de questions qui iront loin; à cette seule condition, bien entendu, que ce soit en fonction d’abord de notre expérience, à chacun, et aussi de ce par quoi nous essaierons de communiquer entre nous à partir de l’état actuel de la théorie et de la technique, que nous nous posions la question de savoir: qu’est-ce qu’il y avait, d’ores et déjà, de contenu, d’impliqué dans ce que Freud amenait à ce moment? Qu’est-ce qui s’orientait vers les formules où nous sommes amenés dans notre pratique ? Et qu’est-ce qu’il y a peut-être de rétrécissement dans la façon dont nous sommes amenés à voir les choses, ou, au contraire, qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce qui s’est réalisé depuis, qui va dans le sens d’une systématisation plus rigoureuse, plus adéquate à la réalité, d’un élargissement ?
C’est dans ce registre, et rien moins que dans ce registre, que notre commentaire peut prendre son sens.
Pour vous donner l’idée, la façon plus précise encore dont j’envisage cet examen, je vous dirai ceci
Vous avez vu, à la fin des dernières leçons que je vous ai faites, l’amorce que j’ai indiquée, d’une certaine lisibilité de quelque chose qu’on peut appeler le mythe psychanalytique, cette lisibilité étant dans le sens d’une, non pas tellement d’une critique, que d’une mesure de l’ampleur de la réalité à laquelle il s’affronte dans toute la mesure où il ne peut y donner une réponse que mythique; c’est-à-dire dans une appréhension plus large, aussi large que possible du côté positif de la conquête théorique que réalise par rapport à cet x, qui n’est pas du tout donné pour être un x… ni un x fermé, cet x peut être un x tout à fait ouvert, qui s’appelle l’homme.
Le problème est beaucoup plus limité, différent peut-être, beaucoup plus urgent pour nous quand il s’agit de la technique, car je dirais là que c’est sous le coup de notre propre discipline analytique que tombe l’examen, que nous pouvons et que nous avons à faire, de tout ce qui est de l’ordre de notre technique, je veux dire que, aussi distants sont les actes et les comportements du sujet, de ce qu’il vient à ce propos nous apporter dans la séance, aussi distants sont nos comportements concrets dans la séance analytique et l’élaboration théorique que nous en donnons.
Mais ce que je viens de dire de la distance qui est une première vérité n’a son sens et son intérêt, et sa portée, que pour autant que cela se renverse et que cela veut dire aussi: aussi proches. C’est à savoir que de même que les actes concrets du sujet ne sont justement même concrets, sensibles, admettons les choses avec leur accent, l’absurdité foncière du comportement interhumain n’est compréhensible qu’en fonction de ce système, comme l’a dénommé heureusement d’ailleurs, sans savoir ce qu’elle disait – comme d’habitude – Mme Mélanie Klein, de ce « système » qui s’appelle le Moi humain, à savoir cette série de défenses, de négations, de barrages, d’inhibitions, de fantasmes fondamentaux, en fin de compte, qui l’orientent et le dirigent, exactement de la même façon, notre conception théorique de notre technique, même si elle ne coïncide pas exactement avec ce que nous faisons, avec nos patients, n’en est pas moins quelque chose qui structure, motive profondément la moindre de nos interventions auprès desdits patients.
Et c’est bien cela qu’il y a de grave. Bien entendu, il ne suffit pas de savoir, il ne suffit pas que nous ayons une certaine conception de l’ego pour que notre ego entre en jeu à la façon du rhinocéros dans le magasin de porcelaines de notre rapport avec le patient; ça ne suffit pas. Mais il y a quand même un certain rapport et une certaine façon de concevoir la fonction de l’ego du patient dans l’analyse…
J’ouvre seulement la question. C’est à notre travail et à notre examen de la résoudre.
Que le mode inversé sous lequel effectivement nous nous permettons de faire intervenir notre ego, naturellement nous nous permettons, comme l’analyse
nous a révélé que nous nous permettons les choses, sans le savoir, mais nous nous permettons effectivement de faire intervenir notre ego dans l’analyse; et cela a quand même bien son intérêt, parce qu’en fin de compte il faut tout de même savoir, puisqu’il s’agit tellement dans l’analyse de réadaptation au réel, si c’est la mesure de l’ego de l’analyste qui donne la mesure du réel ?
La question de la théorie de la technique est aussi intéressante. L’action de l’analyste, quoi qu’il fasse, que l’ensemble de notre système du monde, à chacun, je parle de celui, concret, dont il n’est pas besoin que nous l’ayons déjà formulé pour qu’il soit là, qu’il n’est pas de l’ordre de l’inconscient, qu’il agit dans la moindre façon de nous exprimer quotidiennement, dans la moindre spontanéité de notre discours, ceci est quelque chose qui effectivement est oui ou non et va servir de mesure dans l’analyse.
je pense pour aujourd’hui avoir assez ouvert la question, pour que maintenant vous voyiez l’intérêt de ce que nous pouvons faire ensemble. je voudrais qu’un certain nombre d’entre vous, Mannoni, ne vous en allez pas, voulez-vous vous associer à un de vos voisins, Anzieu, par exemple, pour étudier « la notion de résistance » dans les écrits de Freud qui sont à votre portée ? Les Écrits techniques groupés sous le titre Technique psychanalytique aux PUF; ne pas négliger la suite des leçons publiées sous le titre : Introduction à la psychanalyse.
Si deux autres, Perrier et Granoff, voulaient s’associer sur le même sujet? Nous verrons comment procéder, nous nous laisserons guider par l’expérience elle-même.