vendredi, octobre 11, 2024
Recherches Lacan

LI LES ÉCRITS TECHNIQUES DE FREUD 1953 – 1954 Leçon du 3 Février 1954

 Leçon du 3 Février 1954

Nous sommes arrivés la dernière fois à un point où, en somme, nous nous demandions : quelle est la nature de la résistance ?

je voudrais aujourd’hui faire quelques remarques, vous induire dans un cer­tain mode d’appréhension d’un phénomène pris au niveau de l’expérience, au moment où quelque chose, comme vous allez voir, par rapport à une certaine façon de traiter notre vocabulaire, qui est à plusieurs faces – ce qui ne veut pas dire qu’il y ait ambiguïté – je voudrais vous faire voir d’une certaine façon où nous pouvons reconnaître à la source ce qui apparaît, dans l’expérience orien­tée vers l’analyse, être la résistance.

Vous avez bien senti l’ambiguïté – et pas seulement la complexité – de notre approche par rapport à ce phénomène qu’on peut appeler de résistance. Il nous semble par plusieurs témoignages, par plusieurs formulations de Freud que la résistance émane de ce qui est à révéler, de ce qu’on appelle en d’autres termes le refoulé, le verdrängt, ou encore l’unterdrückt; les premiers traducteurs ont traduit unterdrückt par étouffé, c’est bien mou; est-ce la même chose l’un et l’autre, verdrängt ou unterdrückt ? Nous n’allons pas entrer dans ces détails. Nous ne verrons cela que quand nous aurons commencé à saisir, à voir s’établir les perspectives, les distinctions entre ces phénomènes.

je voudrais vous amener aujourd’hui à quelque chose qui me paraît, dans les textes mêmes que nous avons commentés, ces petits Écrits techniques, qui me paraît être un de ces points où la perspective s’établit. Avant de manier le voca­bulaire, comme toujours, il s’agit d’essayer de comprendre, d’être dans un endroit où les choses s’ordonnent.

À la présentation de malades du vendredi, je vous ai annoncé quelque chose et je vais essayer de tenir ma promesse.

Voyez-vous, il y a quelque chose qui au beau milieu de ce recueil s’appelle la dynamique du transfert. Comme tous les articles traduits dans ce recueil, on ne peut pas dire que nous ayons lieu d’être entièrement satisfaits de cette traduc­tion. Il y a de singulières inexactitudes qui vont jusqu’aux limites de l’impro­priété. Il y en a d’étonnantes, et elles vont toutes dans le même sens qui est d’effacer les arêtes du texte. À ceux qui savent l’allemand, je ne saurais trop recommander de se reporter au texte allemand; ils verront beaucoup de choses dans cet article sur la dynamique du transfert. Il y a beaucoup à dire sur le plan de la traduction, et en particulier une coupure, un point mis à l’avant-dernière ligne, qui isole une toute petite phrase qui a l’air de venir là on ne sait pourquoi « Enfin rappelons-nous, nul ne peut être tué in absentia ou in effigie », alors que dans le texte allemand, c’est : «… car il faut se rappeler que nul ne peut être tué in absentia ou in effigie.» C’est articulé à la dernière phrase. Alors qu’isolée cette phrase semble incompréhensible, la phrase de Freud est parfaitement arti­culée.

Ce passage que je vous ai annoncé comme étant particulièrement significatif, je veux vous le dire, il semble qu’il s’articule directement avec ce à quoi j’ai essayé de vous introduire en vous rappelant ce passage important des Studien dans l’article sur la psychothérapie où il s’agit de cette résistance rencontrée par approximation dans le sens « radial», comme dit Freud, du discours du sujet quand il se rapproche du noyau profond, ce que Freud appelle le « noyau patho­gène », c’est ennuyeux de devoir le lire en français.

«Étudions un complexe pathogène dans sa manifestation parfois très appa­rente et parfois presque imperceptible… si l’on sait le texte allemand, on peut traduire à la rigueur par sa manifestation, mais parfois très apparente et par­fois…, en allemand, c’est entre parenthèses : ou bien apparent comme symp­tôme, ou bien tout à fait impossible à appréhender, tout à fait non manifeste. »

Il s’agit de la façon dont le complexe se traduit, et c’est de cette traduction du complexe qu’il s’agit quand on dit qu’elle est apparente ou qu’elle est imper­ceptible. Ce n’est pas la même chose que de dire que le complexe, lui… Il y a un déplacement qui suffit à donner une espèce de flottement,

«Depuis sa manifestation dans le conscient jusqu’à ses racines dans l’in­conscient, nous parvenons bientôt dans une région où la résistance se fait si nettement sentir que l’association qui surgit alors en porte la marque, de cette résistance, et nous apparaît comme un compromis entre les exigences de cette résistance et celles du travail d’investigation. »

Ce n’est pas tout à fait «l’association qui surgit », c’est nächste Einfall, la plus proche, la prochaine association; enfin, le sens est conservé.

« L’expérience, là est le point capital, montre que c’est ici que surgit le trans­fert, lorsque quelque chose parmi les éléments du complexe, dans le contenu de celui-ci, est susceptible de se reporter sur la personne du médecin, le trans­fert a lieu, fournit l’idée suivante et se manifeste sous forme d’une résistance, d’un arrêt des associations par exemple. De pareilles expériences nous ensei­gnent que l’idée de transfert est parvenue de préférence à toutes les autres associations possibles à se glisser jusqu’au conscient, justement parce qu’elle satisfait la résistance. »

Ceci est mis par Freud en italique.

« Un fait de ce genre se reproduit un nombre incalculable de fois au cours d’une analyse, toutes les fois qu’on se rapproche d’un complexe pathogène, c’est d’abord la partie du complexe pouvant venir comme transfert qui se trouve poussée vers le conscient et que le patient s’obstine à défendre avec la plus grande ténacité. »

Donc les deux éléments de ce paragraphe à mettre en relief sont ceux-ci ; « Nous arrivons bientôt dans une région où la résistance se fait nettement sentir. »

Nous sommes donc dans le registre : cette résistance propre émane du pro­cessus même, l’approximation, si je puis dire, du discours.

Deuxièmement, « L’expérience montre que c’est ici que surgit le transfert. » Et troisièmement, le transfert se produit «justement parce qu’il satisfait la résistance. » Quatrièmement : « Un fait de ce genre se reproduit un nombre incalculable de fois au cours d’une psychanalyse. »

Il s’agit bien d’un phénomène observable, sensible, dans l’analyse. Et cette partie du complexe qui s’est manifestée sous la forme transfert se trouve

« Poussée vers le conscient, à ce moment-là, et le patient s’obstine à la défendre avec la plus grande ténacité. » Ici s’accroche une note qui va mettre en relief le phénomène dont il s’agit, ce phénomène qui est en effet observable, quelquefois avec une pureté vraiment extraordinaire, et que nous marque sans aucun doute l’ordre d’interventions suggéré par la pratique, l’indication, les recettes qui peuvent nous avoir été transmises, celles-là directement émanées d’un autre texte de Freud

« Quand le patient se tait, il y a toutes les chances que ce tarissement de son discours soit dû à quelque pensée qui se rapporte à l’analyste. »

Ce à quoi, dans un maniement technique qui n’est pas rare, mais tout de même nous avons appris chez nos élèves à mesurer, à réfréner, ceci se traduit fré­quemment par la question suivante : « Sans doute avez-vous quelque idée qui plus ou moins se rapporte à moi ou quelque chose qui n’en est pas loin?»

Cette sollicitation va en effet dans certains cas cristalliser les discours du patient dans quelques remarques qui concernent soit la tournure, soit la figure, soit le mobilier, soit la façon dont l’analyste a accueilli le patient ce jour-là et ainsi de suite. Mais bien entendu ceci n’est pas sans être fondé. En effet, quelque chose peut habiter à ce moment-là l’esprit du patient qui est de cet ordre. Et il y a une grande variété de relations établies dans ce qu’on peut ainsi extraire en incitant le patient à diriger le cours de ses associations, en les focalisant sur une certaine orientation. Il y a déjà là une grande diversité.

Mais l’on observe, parmi ce nombre incalculable de fois, quelquefois quelque chose qui est infiniment plus pur, c’est qu’au moment où il semble prêt à se manifester, à formuler quelque chose qui soit plus près, plus authentique, plus brûlant que cela n’a jamais été atteint au cours de la vérité du sujet, le sujet s’in­terrompt et est capable dans certains cas de manifester, de formuler en paroles, comme quelque chose qui peut être ceci : «Je réalise, dit-il, soudain, à ce moment, le fait de votre présence. »

C’est une chose qui m’est arrivée plus d’une fois dans mon expérience, et à quoi, je pense, les analystes peuvent facilement apporter leur témoignage d’un phénomène semblable.

Il y a là quelque chose qui s’établit en connexion avec la manifestation sen­sible, concrète de la résistance qui parmi tous ces faits intervient en fonction du transfert, au niveau du tissu même de notre expérience. Il y a là quelque chose qui prend une valeur en quelque sorte tout à fait élective parce que le sujet res­sent lui-même comme une sorte de brusque virage du discours. Il n’est pas capable, en raison même de l’aspect caractéristique pour lui subjectivement du phénomène, d’en donner quelque témoignage, mais en même temps, ce témoi­gnage, il le manifeste comme l’expression de quelque chose d’autre, d’un subit tournant qui le fait passer d’un versant à l’autre du discours, et on pourrait presque dire d’un accent à un autre de la fonction de la parole.

Je vais reprendre.

J’ai voulu simplement tout de suite mettre devant vous le phénomène bien centré, focalisé, tel que je le considère comme éclairant notre propos aujourd’hui, et le point qui va nous permettre de repartir pour poser certaines questions.

Je veux, avant de poursuivre cette marche, me réarrêter au texte de Freud, pour bien vous montrer combien, au moment où Freud lui-même nous le signale, ce dont je vous parle est la même chose que ce dont il parle. Je veux bien vous montrer qu’il faut que vous vous dégagiez pour un instant de l’idée que la résistance est quelque chose qui est cohérent avec toute cette construction qui fait que l’inconscient est dans un sujet donné, à un moment donné, contenu et, comme on dit, refoulé.

Il s’agit d’un phénomène que Freud localise, focalise dans l’expérience ana­lytique, quelle que soit l’extension que nous puissions donner ultérieurement au terme de résistance dans ses rapports, sa connexion avec l’ensemble des défenses, et c’est pour cela que la petite note que je vais adjoindre à la lecture est importante. Là, Freud met les points sur les i.

« Il ne faudrait pas conclure cependant à une importance pathogénique »… C’est bien ce que je suis en train de vous dire, il ne s’agit pas de ce qui est important dans le sujet en tant que nous faisons après coup la notion de ce qui a motivé, au sens profond du terme, motivé les étapes de son développement. … « à une importance pathogénique particulièrement grande d’élément choisi en vue de la résistance de transfert. Quand au cours d’une bataille les combattants se disputent avec acharnement la possession de quelque petit clocher, ou de quelque ferme, nous n’en déduisons pas que cette église est un sanctuaire national ou que la ferme abrite les trésors de l’armée. Là l’intérêt des lieux peut être tactique et n’exister que pour ce seul combat. » Vous voyez bien le phénomène dont il s’agit, c’est quelque chose en rapport avec ce mouvement par où le sujet s’avoue. Dans ce mouvement Freud nous dit qu’il apparaît quelque chose qui est résistance. Quand cette résistance devient trop forte, c’est à ce moment que surgit le transfert.

C’est un fait, il ne dit pas « phénomène », le texte de Freud est précis. S’il avait dit : « apparaît un phénomène de transfert », il l’aurait mis, mais là il ne l’a pas mis. Et la preuve qu’il l’aurait mis, c’est qu’à la fin de ce texte, dans la dernière phrase, celle qui commence en français par

«Avouons que rien n’est plus difficile en analyse »,

on a traduit en français : « vaincre les résistances », tandis que le texte dit : die Bezwingung der übertragungsphünomene « le forçage des phénomènes de trans­fert ». Je ne sais pas pourquoi on a traduit « phénomènes de transfert » par « résis­tance ». J’utilise ce passage pour vous montrer que l’übertragungsphünomene est du vocabulaire de Freud. Pourquoi l’a-t-on traduit par résistance ? Ce n’est pas un signe de grande culture, sinon de grande compréhension.

Ce que Freud a écrit, c’est que c’est précisément là que surgit non pas le phé­nomène de transfert, il doit tout de même bien savoir ce qu’il dit, à savoir qu’il y a là quelque chose, en rapport essentiel avec le transfert.

Quant au reste, il s’agit tout au long de cet article de la dynamique du trans­fert, et c’est là en effet le point central de toutes les questions qu’il pose dans cet article, et que je ne prends pas dans leur ensemble, car les questions qu’il pose sont toutes les questions qui relèvent de la spécificité de la fonction du transfert en analyse, qui fait que le transfert est là non pas comme il est partout ailleurs, mais qu’il joue une fonction tout à fait particulière dans l’analyse, là c’est le cœur, le point pivot de cet article que je vous conseille de lire.

Je l’amène à l’appui d’une certaine question centrale portée sur la question de la résistance. C’est néanmoins – vous le verrez -, dans cet article, le point pivot de ce dont il s’agit, à savoir de la dynamique du transfert.

Qu’est-ce que ceci peut apprendre sur le sujet de la nature de cette résis­tance? Quelque chose qui aussi peut déterminer notre dernier entretien. À par­tir d’un certain moment, qui est-ce qui parle ? Qu’est-ce que ça veut dire cette reconquête, cette retrouvaille de l’inconscient

Nous avons posé la question de ce que signifient mémoire, remémoration technique de cette remémoration, de ce que signifie libre association en tans qu’elle nous permet d’accéder par un certain chemin à une certaine formulation de quelque chose qui est histoire du sujet. Mais que devient le sujet ? Est-ce tou­jours le même sujet dont il s’agit au cours de ce progrès ?

Nous voilà devant un phénomène où nous saisissons quelque chose, un nœud, une connexion, pression si l’on peut dire originelle, ou plutôt à propre­ment parler une résistance dans ce progrès. Et nous voyons en un certain point de cette résistance se produire quelque chose qui est ce que Freud appelle le transfert, c’est-à-dire à ce moment-là l’actualisation dans un certain sens de la personne de l’analyste, et de ce quelque chose dont je vous ai tout à l’heure dit, en l’extrayant de mon expérience, qu’au point le plus sensible, me semble-t-il, et le plus significatif du phénomène, quand, là, il s’avère que le sujet le ressent comme la brusque perception de ce quelque chose qui n’est pas si facile à défi­nir, le phénomène vécu, le sentiment de la présence.

C’est quelque chose que nous n’avons pas tout le temps, il faut bien le dire. Nous sommes influencés par toutes sortes de présences; notre monde n’a véri­tablement sa consistance, sa densité, sa stabilité vécue, que parce que d’une cer­taine façon nous tenons compte de ces présences. Mais les réaliser comme telles, vous sentez bien que c’est quelque chose dont je dirai que nous tendons sans cesse à effacer la vie; ça ne serait même pas facile à mener si à tout instant nous sentions la présence dans tout ce qu’elle comporte, et au fin fond du fond ce qu’elle comporte de mystère, c’est un mystère que nous tendons plutôt à écar­ter, et auquel, pour tout dire, nous nous sommes faits.

Eh bien, je crois que c’est là quelque chose sur lequel nous ne saurions nous arrêter trop longtemps; et nous allons essayer de le prendre, de le reconnaître par d’autres bouts; ce que Freud nous enseigne, justement la bonne méthode analytique qui consiste toujours à retrouver un même rapport, une même rela­tion, un même schéma si l’on peut dire, dans des formes vécues, comportements à l’occasion, et aussi bien sur tout ce qui se passe à l’intérieur de la relation ana­lytique autrement dit, ce qu’on appelle « à des niveaux différents ».

Il s’agit en quelque sorte, en retenant ce point, il s’agit pour nous d’essayer d’établir ce qu’on appelle une perspective, une sorte de perception d’une pro­fondeur de séparation de plusieurs plans, et de voir que ce que nous sommes habitués par certains maniements, certaines notions, nos étiquettes, à poser d’une façon massive et rigoureuse, comme le Ça et le Moi, pour tout dire, par exemple, eh bien, peut-être que ça n’est peut-être pas simplement lié à une sorte de paire contrastée ?

De ce côté-là, il y a quelque chose; nous voyons s’étager une stéréoscopie un peu plus complexe.

Pour ceux qui ont assisté à mon commentaire de L’homme aux loups, déjà si loin maintenant, il y a un an et demi, je voudrais vous rappeler certaines choses très frappantes de ce texte. Quand nous arrivons au moment où Freud aborde la question du complexe de castration, chez ce sujet, qui est quelque chose qui surgit, émerge, à différentes places de l’observation, mais qui est évidemment dans un rapport fonctionnel extrêmement particulier dans la structuration de ce sujet, Freud arrive à se poser, et à nous poser, certaines questions.La suivante, à certain moment où entre en question la crainte de la castration chez ce sujet, nous voyons apparaître toute une série de symptômes, qui sont des symptômes qui se situent sur le plan que nous appelons communément anal; toutes sortes de manifestations intestinales, et en fin de compte la ques­tion qu’il arrive à poser est celle-ci: nous les interprétons, tous ces symptômes, dans le registre de ce qu’on appelle la conception anale des rapports sexuels, une certaine étape de la théorie infantile de la sexualité. Comment cela se fait-il, puisque par le fait même que la castration est entrée en jeu, à ce moment-là, le sujet s’est élevé à un niveau de structure génitale, c’est sa théorie de la sexualité ? Et il nous explique à ce moment-là quelque chose qui est évidemment très sin­gulier; il nous explique ceci : quand le sujet est parvenu par l’intermédiaire de différents éléments, au premier rang desquels se situe la maturation, à une pre­mière maturation infantile ou prématuration infantile qui fait que le sujet par­vient avec certaines étapes, est mûr pour réaliser au moins partiellement une structuration plus spécifiquement génitale du rapport interpersonnel de ses parents, il nous dit ceci : les mécanismes, c’est là l’observation, qui entrent en jeu pour que ce sujet refuse la position homosexuelle qui est la sienne dans ce rapport, cette réalisation de la situation oedipienne, le sujet refuse, rejette, le mot allemand est verwirft, tout ce qui est de ce plan, du plan précisément de la réa­lisation génitale. Il retourne à sa vérification antérieure de cette relation affec­tive, il se replie sur les positions de la théorie anale de la sexualité.En d’autres termes, ce dont il s’agit, c’est de quelque chose qui n’est même pas un refoulement au sens de quelque chose qui aurait été réalisé sur un cer­tain plan, puis repoussé.« Refoulement, dit-il, est autre chose, eine Verdrängung ist etwas… anderes als eine Verwerfung»,et dans la traduction française que nous avons, due à des personnes que leur inti­mité avec Freud aurait dû peut-être un peu plus illuminer, mais sans doute ne suffit-il pas d’avoir porté une relique d’une personnalité éminente pour être autorisée à se faire la gardienne… ! On traduit: «Un refoulement est autre chose qu’un jugement qui rejette et choisit. » Pourquoi traduire Verwerfung par « juge­ment»? je conviens que c’est difficile à traduire, mais quand même la langue française…

HYPPOLITE – Rejet

LACAN – Oui, rejet. Ou, à l’occasion, refus… Pourquoi « un jugement » introduit tout d’un coup là-dedans ? C’est ça… La théorie du jugement. Quant

à la question de la vérité à peu près où nous jouons là, à savoir que l’introduc­tion brusque du jugement à un niveau où nulle part il n’y a trace de Urteil. Rien du tout dans ce paragraphe!

Rien dans ce paragraphe de Freud ! Il y a Verwerfung. Et alors, plus loin encore, nous avons ici à la ligne 11, trois pages plus loin, après l’élaboration des conséquences de cette structure, il remet les choses pour conclure, et nous dit « Kein Urteil über seine »…

c’est la première fois qu’ Urteil vient; c’est pour boucler. Mais ici, il n’y en a pas; bien entendu! Aucun jugement n’a été porté sur l’existence de ce problème de la castration.

« Aber etwas so »… mais les choses en sont là, … « als ob sie nicht » comme si elles n’existaient pas.

je crois que dans l’ordre de la question que nous posons, de ce que c’est que la résistance, de ce que c’est que le refoulement, cette articulation importante nous montre à l’origine de ce quelque chose de dernier qu’il faut bien qui existe pour que le refoulement même soit possible, à savoir un quelque chose d’autre, un au-delà même de cette histoire dans lequel déjà, tout à l’origine, quelque chose, je sais seulement ce que dit Freud; Quelque chose s’est déjà constitué pri­mitivement, non seulement qui ne s’avoue pas, mais qui, de ne pas se formuler, est littéralement « comme si cela n’existait pas », mais est pourtant en un certain sens quelque part, puisque, ce que Freud nous dit partout, c’est ce premier noyau du refoulé qui est le centre d’attraction, qui appelle à lui tous les refou­lements ultérieurs. Si ce n’est pas dit à propos de la résistance, c’est mis sous toutes les formes. je dirai que c’est l’essence même de sa découverte, à savoir qu’en fin de compte il n’est pas besoin de recourir à une sorte de prédisposition, innée, encore qu’il l’admette à l’occasion comme un grand cadre général, mais simplement il ne s’en sert jamais en principe pour expliquer comment se pro­duit un refoulement de tel type, qu’il soit hystérique ou obsessionnel. Lisez Bemerkungen über Neurosen, le second article, en 1898, sur les névroses de défense.

Si le refoulement prend certaines fois certaines formes, c’est en raison de l’at­traction du premier noyau de refoulé qui est dû, à ce moment-là, à une certaine

Le titre exact d° cet article est: Weitere Bemerkungen über die Abwehr-Neuropsychosen, 1896 (N.d.E.)expérience qu’il appelle « l’expérience originelle traumatique » ; question à reprendre par la suite : qu’est-ce que veut dire « trauma » ? Il a fallu que nous le relativisions d’une façon particulière et la question de l’imaginaire… Tout cela est intéressant.

Mais ce noyau primitif est quelque chose qui se situe ailleurs, dans les étapes, les avatars du refoulement. Il est en quelque sorte son fond et son support. je suspends un instant ce thème de L’homme aux loups. Nous y reviendrons tout à l’heure, car, dans la structure de ce qui arrive à L’homme aux loups, ce moment tout à fait singulier de la Verwerfung, de la réalisation de l’expérience en tant que génitale est quelque chose qui a un sort tout à fait particulier, et que Freud lui-même, dans la suite du texte, différencie de tous les autres.

Or, chose singulière, ce quelque chose qui est en quelque sorte exclu de tout ce qui est de l’histoire du sujet, de tout ce que le sujet est capable de dire – car en fin de compte c’est un ressort de cette observation sur ce sujet – il a fallu le forçage de Freud, il a fallu vraiment la technique employée pour qu’on en vienne à bout, à savoir pour que l’expérience répétée du rêve infantile prenne son sens, et permette non pas le revécu, mais la reconstruction de l’histoire de ce sujet d’une façon directe.

Nous allons voir si quelque chose – et quoi – est apparu dans l’histoire du sujet. je le suspends pour l’instant.Prenons les choses à un autre bout, de ce que Freud nous a appris à voir, pre­nons la Traumdeutung. Et prenons-la au début, la partie qui est sur les proces­sus du rêve, Traumvorgünge, la première partie, où il nous donne, où il consent de relater tout ce qui se dégage de tout ce qu’il a élaboré au cours de ce livre qui est fondamental, ce chapitre qui commence par cette phrase magnifique «Il est bien difficile de rendre par la description d’une succession, car il reprend une fois de plus, il réélabore tout ce qu’il a déjà expliqué sur le rêve, la simultanéité d’un processus compliqué et en même temps de paraître aborder chaque nouvel exposé sans idée préconçue. »

Et cette phrase représente les difficultés mêmes que j’ai aussi, ici, pour reprendre sans cesse ce problème qui est toujours présent à notre expérience, et il faut bien, sous diverses formes, arriver à le créer à chaque fois sous un angle neuf, et qui paraît isolé.

Que nous dit-il dans la première partie de l’étude des processus du rêve,

c’est-à-dire au niveau de ce chapitre où il parle du phénomène de l’oubli? Il faut lire ces textes. Il faut refaire à chaque fois l’innocent. Il y a là vraiment quelque chose dans ce chapitre, un progrès où nous sentons, où nous touchons en quelque sorte du doigt quelque chose de vraiment très singulier.

A propos de l’oubli du rêve et de son sens, il approche ce phénomène, à pro­pos de toutes les objections qu’on peut faire sur la valabilité du souvenir du rêve : qu’est-ce que c’est que ce rêve ? Est-ce que la reconstitution qu’en fait le sujet est exacte ? Nous n’avons aucune garantie que quelque chose d’autre qu’on peut appeler verbalisation ultérieure n’y soit pas mêlé. Est-ce que tout rêve n’est pas une sorte de chose instantanée, à laquelle la parole du sujet réta­blit toute une histoire ? Il écarte tout cela, et plus, il écarte toutes les objections en montrant qu’elle ne sont pas fondées et en montrant que ce n’est pas cela le sujet, et il le montre en montrant de plus en plus cette chose tout à fait singu­lière qu’en somme plus le texte que le sujet nous donne est incertain, plus il est significatif. Que c’est au doute même que le sujet porte sur certaines parties du rêve que lui – qui l’attend et l’écoute, qui est là pour en révéler son sens -, verra que justement c’est là la partie importante; parce que le sujet en doute, il faut en être sûr.

Mais à mesure que le chapitre s’avance, le procédé s’amenuise à un point tel qu’à la limite, presque, le rêve qui serait le plus significatif serait le rêve com­plètement oublié et dont le sujet ne pourrait rien dire; ça va aussi loin que ça, car en fin de compte c’est à peu près ce qu’il dit

« On peut souvent retrouver par l’analyse tout ce que l’oubli a perdu; dans toute une série de cas quelques bribes permettent de retrouver non point le rêve, qui serait accessoire, mais les pensées qui sont à sa base. »

Quelques bribes, c’est bien ce que je vous dis. Il n’en reste plus rien. Mais ce qui l’intéresse, c’est quoi ? Là évidemment nous tombons sur ces pensées qui sont à sa base. Et chaque fois que nous parlons du terme « pensée », il n’y a rien de plus difficile à manier pour des gens qui ont appris la psychologie; et comme nous avons appris la psychologie, ces pensées, ça va devenir quelque chose comme ce que nous roulons sans cesse en gens habitués à penser…

Mais peut-être que ces pensées qui sont à sa base, nous sommes suffisamment éclairés par toute la Traumdeutung pour nous apercevoir que ce n’est pas tout à fait ce qu’on pense quand on fait des études, sur la phénoménologie de la pen­sée, pensée sans images ou avec images, etc., ces choses que nous appelons cou­ramment la pensée, puisque ce dont il s’agit tout le temps, c’est d’un désir. Et Dieu sait que ce désir, nous avons appris à nous apercevoir qu’il est au cours de cette recherche comme un singulier furet que nous voyons disparaître et repa­raître à travers toute une sorte de jeu de passe-passe, et en fin de compte, nous ne savons pas toujours si c’est du côté de l’inconscient ou du côté du conscient, comme il va s’agir dans le chapitre sur la… Ce désir doit receler encore quelques questions, et après tout quelque mystère, car en fin de compte, quand on regarde de bien près le désir dont il s’agit, il ne pose rien de moins que la ques­tion que nous avions posée à la fin de notre dernière séance

Le désir de qui ?

Et de quel manque, surtout?

Mais l’important c’est ce que nous voyons là. Et ce que nous voyons là nous est aussitôt illustré par un exemple; je ne prends que celui-ci, à notre portée dans une petite note qu’il extrait des Vorlesungen, L’introduction à la psychanalyse.

Il nous parle d’une malade à la fois sceptique et très intéressée par lui, Freud, qui, après un rêve assez long au cours duquel, dit-il, certaines per­sonnes lui parlent de mon livre sur le Witz, le trait d’esprit, et lui en disent du bien. Et tout cela – vous voyez comme c’est là, manifeste – ne semble pas apporter des choses d’une très grande richesse. Il est ensuite question de quelque chose; et tout ce qui reste du rêve, c’est cela : « canal », peut-être un autre livre où il y a ce mot « canal », quelque chose où il est question de canal… Elle ne sait pas; c’est tout à fait obscur. Il prend cela comme exemple d’une analyse de rêve. Il reste « canal », et on ne sait pas à quoi ça se rapporte, ni d’où ça vient, ni où ça va, peut-être d’un livre ou de quelque chose d’autre, mais on ne sait pas quoi.

Eh bien, « c’est ça qui est le plus intéressant », dit-il, quand on a affaire non seulement à quelque petite bribe, mais une toute petite bribe avec autour une aura d’incertitude. Et qu’est-ce que ça donne ? Ce n’est pas le plus intéressant ce que je vais vous dire, mais ça donne toute l’histoire. C’est que le lendemain, non pas le jour même, elle raconte qu’elle a une idée qui se rattache à cela; c’est précisément un trait d’esprit: une traversée de Douvres à Calais, un Anglais et un Français, au cours de la conversation l’Anglais cite un mot qui est le mot célèbre : « Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. » Et le Français, galant, répond : « Oui, le pas de Calais », ce qui est particulièrement gentil pour l’in­terlocuteur. Or, le pas de Calais, c’est le canal de la Manche; on retrouve le canal et du même coup, quoi? Il faut bien le voir, ça a tout à fait la même fonction que ce surgissement au moment des résistances, il s’agit évidemment de cela : la malade sceptique a débattu longuement auparavant le mérite de Freud sur le trait d’esprit. Il s’agit qu’après sa discussion et au moment où sa conviction, son discours, hésite… Donc il ne sait plus où aller. Exactement le même phénomène à ce moment-là paraît, comme, disait l’autre jour Mannoni, et qui m’a semblé très heureux, il parlait en accoucheur, « la résistance se présente par le bout transférentiel ».

« Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas », c’est le point où le rêve s’ac­croche à l’auditeur, ça c’est pour Freud; évidemment « canal », ce n’est pas beau­coup, mais après les associations, c’est là, en quelque sorte, indiscutable.

Après ce petit exemple, je voudrais en prendre d’autres; et je dois dire que si nous étendions notre investigation, nous y verrions des choses bien singulières, en particulier la connexion étroite manifestée par tout ce chapitre, car Dieu sait si Freud est sensible dans son groupement des faits. Ce n’est pas par hasard que les choses viennent se grouper dans certains chapitres. Combien, par exemple, à ce moment où le rêve prend une certaine orientation, il arrive dans le rêve des phénomènes qui sont tout spécialement de l’ordre linguistique; une faute de langage faite par le sujet, en toute conscience, par le sujet, le sujet sait dans le rêve que c’est une faute de langage, où un personnage intervient pour le corri­ger et lui faire remarquer. Mettant bien cela en accord, en harmonie avec ce moment, ce phénomène de l’adaptation à quelque chose du discours et une adaptation en un point critique, une adaptation qui se réalise non seulement mal, mais qui se dédouble sous nos yeux.

Laissons cela de côté pour l’instant.

Prenons encore, je l’ai pris ce matin un peu au hasard, une chose qui est célèbre, que Freud a publiée dès 1898. Dans son premier chapitre de la Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud se réfère, à propos de l’oubli des noms, à la peine qu’il a eue un jour dans une relation avec un interlocu­teur dans un voyage, à évoquer le nom de l’auteur de la fresque célèbre de la cathédrale d’Orvieto, qui est comme vous savez une vaste composition mani­festant les phénomènes attendus pour la fin du monde, et tout ce qui tourne autour de l’apparition de l’Antéchrist. Ce dont il s’agit et qu’il veut retrou­ver, l’auteur de cette fresque, est Signorelli, et il n’y arrive pas. Il en vient d’autres : c’est ça, ce n’est pas ça, il trouve Botticelli, Boltraffio… il n’arrive pas à retrouver Signorelli.Il arrive à le retrouver grâce à un procédé analytique. Il le fait ensuite quand il le prend comme exemple à sa recherche, et voici ce que ça donne: ça ne sur­git pas comme ça, du néant, ce petit phénomène, c’est inséré dans un texte, dans ceci qui est en rapport avec un monsieur, qu’il est en train de parler, et ce qu’on voit dans les antécédents est fort intéressant. Ils vont à ce moment-là de Raguse vers l’intérieur de la Dalmatie. Ils sont à peu près au niveau, à la limite, de l’Empire autrichien, en Bosnie-Herzégovine; et ce mot de Bosnie vient à pro­pos d’un certain nombre d’anecdotes, et Herzégovine aussi; puis viennent quelques remarques sur la disposition particulièrement sympathique d’une cer­taine clientèle musulmane par rapport à une certaine perspective primitive, cette façon extraordinairement décente, dans ces gens tout à fait intégrés au style de la culture islamique, comment à l’annonce par le médecin d’une très mauvaise nouvelle, que la maladie est incurable, l’interlocuteur de Freud semble en effet être un médecin qui a une pratique dans cette région, les gens ont laissé mani­fester quelque sentiment d’hostilité à l’égard du médecin, et s’adressent tout de suite à lui en disant : «Herr, s’il y avait quelque chose à faire, vous auriez été sûrement capable de la faire. » Et en présence alors de quelque chose qu’il faut accepter, l’attitude très courtoise, mesurée, respectueuse à l’égard du médecin nommé Herr, en allemand.

Tout cela forme le fond sur lequel d’abord semble déjà s’établir la suite de la conversation, avec l’oubli significatif qui va ponctuer et proposer son problème à Freud. Freud nous montre que lui-même s’est mis à prendre part à une partie de cette conversation, et le fait est que, dit-il, à partir d’un certain moment, son attention, à lui, Freud, a été portée tout à fait ailleurs, pendant même qu’il racontait l’his­toire, il pensait à autre chose. Et cette autre chose lui était amené par cette his­toire médicale, par cette attitude de ces clients si sympathiques, et par quelque chose qui lui était revenu à l’esprit sur deux thèmes : d’une part sur le fait qu’il savait le prix qu’attachaient ces patients, spécialement islamiques, à tout ce qui était de l’ordre des fonctions sexuelles, à savoir que littéralement il avait entendu quelqu’un dire : « si on n’a plus ça, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue », un patient qui l’avait consulté pour des troubles de puissance sexuelle. Et d’autre part il avait évoqué dans un des endroits où il avait séjourné, il avait appris la mort d’un de ses patients, qu’il avait très longtemps soigné, c’est-à-dire toujours quelque chose qu’on n’apprend pas sans quelque secousse, nous dit-il. Il n’avait pas voulu exprimer ces choses parce qu’il n’était pas très sûr de son interlocu­teur, concernant la valorisation des processus sexuels. D’autre part il n’avait pas volontiers arrêté sa pensée sur le sujet de la mort de ce malade. Il dit qu’il avait retiré toute son attention de ce qu’il était en train de dire.

Et Freud fait un petit tableau, vous pourrez vous reporter à ce texte, il y a un très joli petit tableau dans l’édition Imago. Il écrit tous les noms

Botticelli – BoltraffioHerzégovine – Signorelli, et en bas les pensées refou­lées, le son « Herr », la question.

Et le résultat, c’est en quelque sorte ce qui est resté: le mot Signor a été appelé par le Herr, ces gens qui s’exprimaient si bien, Traffio a été appelé par le fait qu’il avait reçu là le choc de la mauvaise nouvelle concernant son patient; et en quelque sorte, s’il a pu retrouver, au moment où son discours est venu pour tâcher de retrouver le personnage qui avait peint la fresque d’Orvieto, c’est ce qui restait disponible, étant donné qu’un certain nombre d’éléments radicaux avaient été appelés par ce qu’il appelle le refoulé, les idées concernant les histoires sexuelles des musulmans et d’autre part le thème de la mort.

Qu’est-ce à dire ?

Le refoulé n’était pas si refoulé que ça, puisqu’il le donne tout de suite, le refoulé, dans son discours, dont il n’a pas parlé à son compagnon de voyage; mais en fin de compte tout se passe en effet comme si ces mots – on peut bien parler de mots même si ce sont des parties de mots, ces vocables constituent des mots parce qu’ils ont une vie de mots individuels – ces mots, c’est la par­tie du discours que Freud avait vraiment à tenir; et il nous le dit bien, à partir de ce moment-là, c’est ce que je n’ai pas dit; mais ce qu’il n’a pas dit c’était quand même ce qu’il commençait lui-même à dire, dans le fond; c’est ça qui l’intéressait, c’est ça qu’il était prêt à dire à son interlocuteur, et pour ne le lui avoir pas dit, il est resté quoi, pour la suite de sa connexion avec ce même interlocuteur ? seulement des débris, des morceaux, les chutes, si on peut dire de cette parole.

Est-ce que vous voyez, là, combien est complémentaire le phénomène qui se passe au niveau de la réalité par rapport à ce qui se passe au niveau du rêve ? À savoir combien ce à quoi nous assistons, c’est par rapport à une parole véri­dique, et Dieu sait si elle peut retentir loin cette parole véridique; car, en fin de compte, de quoi s’agit-il avec elle, si ce n’est de l’absolu dont elle parle, à savoir de la mort qui est là présente, et qui est exactement ce devant quoi Freud nous dit que ce n’est pas simplement à raison de son interlocuteur, devant quoi lui-même a préféré ne pas trop s’affronter; et Dieu sait aussi si le problème de la mort pour le médecin est vécu aussi comme un problème

de maîtrise : il a quand même dans cette affaire perdu; c’est tout de même toujours ainsi que nous ressentons la perte du malade, surtout quand nous l’avons soigné longtemps.

Eh bien, ce qui exactement décapite le Signorelli, car tout se concentre autour de la première partie de ce nom, de tout son retentissement sémantique, c’est dans la mesure où la parole n’est pas dite, où la parole peut révéler le secret le plus profond de l’être de Freud, c’est dans la mesure où elle n’est pas dite; il ne peut plus s’accrocher à l’autre qu’avec les chutes de cette parole, il y avait quelque chose dont il n’y a plus que les débris; le phénomène d’oubli est là, manifesté dans ce quelque chose qui est littéralement dégradation de la parole dans son rapport avec l’autre.

Et c’est là que je veux en venir à travers tous ces exemples, c’est cette signifi­cation ambiguë – vous verrez que le mot est valable – cette signification ambi­guë, et ceci que c’est précisément dans la mesure où l’aveu de l’être chez le sujet n’arrive pas à son terme que se produit quelque chose par quoi la parole se porte littéralement tout entière sur le versant où elle s’accroche à l’autre.

Je dis que c’est ambigu, parce que bien entendu ça n’est pas étranger à son essence de parole, si je puis dire, de s’accrocher à l’autre. La parole est juste­ment exactement cela : elle est médiation, et c’est surtout cela que je vous ai enseigné jusqu’à présent; elle est médiation entre le sujet et l’autre; et bien entendu cette médiation implique cette réalisation de l’autre dans la médiation même, à savoir que c’est un élément essentiel de cette réalisation de l’autre que la parole puisse nous unir à lui. C’est la face sur laquelle j’ai toujours insisté, parce que c’est là-dedans que nous nous déplaçons sans cesse. Mais, d’un autre côté, cette parole – et je le souligne – dans la perspective de Freud, nous ne pou­vons pas dire l’expression; j’ai fait, tout ce que j’ai écrit cet été à propos de Fonction et champ de la parole sans mettre, et intentionnellement, le terme « expression », il est impossible de ne pas voir que toute l’œuvre de Freud se déploie dans le sens de la révélation, et non pas de l’expression. L’inconscient n’est pas exprimé, si ce n’est par déformation, par Entstellung, par distorsion, par transposition; dans tout le sens de la découverte freudienne, il y a là quelque chose à « révéler ».

Cette autre face de la parole qui est révélation et qui est dernier ressort de ce que nous cherchons dans l’expérience analytique, il se produit précisément ceci: qu’au moment où quelque chose que nous appelons résistance, et qui est juste­ment ce qui est aujourd’hui ce dont nous cherchons le sens même, c’est dans la mesure où la parole ne se dit pas, ou, comme l’écrit très curieusement à la fin d’un article qui est une des choses à la fois les plus mauvaises qui soient, mais si innocente et candide, l’article de Sterba qui s’appelle « Le destin », das Schicksal, qui centre toute l’expérience analytique autour de ce dédoublement de l’ego, dont une moitié va venir à notre aide, contre l’autre qui est en sens contraire; à la fin, il ne peut plus s’en sortir. Tout est là de ce qui vient à la parole; ce qui est poussé vers la parole.

Cette venue de la parole, pour autant que quelque chose la rend peut-être fondamentalement impossible, c’est là le point-ressort, le point pivot essentiel où, dans l’analyse, la parole si je puis dire, bascule tout entière sur sa fonction de rapport à l’autre, et tout est du niveau où se produit cet accrochage de l’autre, car enfin il faut être aussi enniaisé qu’on peut l’être par certaine façon de théo­riser, dogmatiser, s’enrégimenter dans la technique analytique, comme si quel­qu’un, par toute sa formation antérieure, pouvait être plus ouvert qu’un autre à valoriser ce rapport existentiel du sujet à l’analyste, pour nous avoir dit un jour qu’une des conditions préalables du traitement analytique, c’était que le sujet ait une certaine réalisation de l’autre comme tel.

Bien sûr, gros malin!

Mais il s’agit simplement de savoir à quel niveau cet autre est réalisé, et com­ment, dans quelle fonction, dans quel cercle de sa subjectivité, à quelle distance est cet autre.

Et nous savons qu’au cours de l’expérience analytique cette distance varie sans cesse; et prétendre la considérer comme un certain stade, une certaine étape du sujet!… c’est ce même esprit qui fait parler à M. Piaget de la notion prétendue égocentrique du monde de l’enfant; comme si les adultes sur ce sujet avaient à en remontrer aux gosses! Et je voudrais bien savoir qu’est-ce qui pèse dans les balances de l’Éternel comme une meilleure appréhension de l’autre, celle que M. Piaget, dans sa position de professeur, et à son âge, peut avoir de l’autre, ou celle qu’a un enfant; cet enfant que nous voyons si prodigieusement ouvert à tout ce que l’adulte lui apporte du sens du monde; cet enfant, quand on y réfléchit jamais, à ce que signifie par rapport à cette perspective, ce sentiment de l’autre, cette prodigieuse perméabilité de l’enfant à tout ce qui est mythes, légendes, contes de fées, histoires, cette façon de se laisser littéralement envahir… est-ce qu’on croit que c’est compatible avec ces petits jeux de cubes, grâce à quoi M. Piaget nous montre à quoi il accède, à une connaissance tout à fait coperni­cienne du monde?

C’est de cela qu’il s’agit. Il s’agit de savoir comment pointe à ce moment vers cet autre ce qui peut être résumé à ce sentiment le plus mystérieux et essentiel de la présence, qui peut être aussi intégré à ce que Freud nous parle dans tout ce texte à savoir toutes les structurations déjà préalables non seulement de la vie amoureuse, mais de l’organisation du monde du sujet.

Et, évidemment, la première inflexion de cette parole dès que s’infléchit dans sa courbe toute la réalisation de la vérité du sujet, la première réinflexion si j’avais à faire un certain nombre d’étapes, de niveaux, cette captation de l’autre qui tient dès lors sa fonction, je le prendrais dans une formule qui m’a été don­née par un de ceux qui sont ici et que je contrôle. je lui ai dit: « En somme, où est-ce qu’il en est votre sujet à votre égard pendant cette semaine ? » et il m’a donné l’expression que je trouve exactement coïncider avec l’expression que j’avais essayé de situer dans cette inflexion : « Il m’a pris à témoin. » Et c’est en effet une des fonctions à la fois les plus élevées, mais déjà défléchie de cette parole, la prise à témoin.

Un peu plus loin, ce sera la séduction. Un peu plus loin encore, la tentative de capter l’autre dans un jeu où la parole passe même, l’expérience analytique nous l’a bien montré, à une autre fonction où elle est plus symbolique, une satis­faction instinctive plus profonde; sans compter ce dernier terme : désorganisa­tion complète de la fonction de la parole dans les phénomènes de transfert, qui est celui sur lequel Freud s’arrête comme sur une chose où le sujet se libère tout à fait et arrive à faire exactement ce qui lui plait.

En fin de compte, ce à quoi nous sommes ramenés par cette considération, est-ce que ce n’est pas ce quelque chose dont je suis parti dans ce rapport dont je vous parlais tout à l’heure sur les fonctions de la parole, à savoir à quoi l’op­position et toute la gamme de réalisations qui existent entre parole pleine et parole vide, parole en tant qu’elle réalise la vérité du sujet, parole en tant qu’au contraire le sujet va s’égarer dans tout ce que nous pourrions appeler les machi­nations du système du langage, et de tous les systèmes de références que lui donne l’état culturel où il a plus ou moins partie prenante par rapport à ce qu’il a à faire, hic et nunc, avec son analyste.

De sorte que la question qui est directement introduite par le point d’arrêt où je vous ai mis aujourd’hui sur ce phénomène nous mène exactement à ceci Cette résistance dont il s’agit projette bien entendu dans ses fruits, dans ses résultats, projette en effet sur le système de qui, de quoi, sur ce système que nous appelons le système du moi, pour autant que justement le système du Moi n’est même pas concevable sans le système, si l’on peut dire, de l’autre. Ce Moi est exactement référentiel à l’autre, ce moi se constitue par rapport à l’autre; il est exactement corrélatif; et le niveau auquel l’autre est vécu situe exactement le niveau auquel le Moi littéralement pour le sujet existe.

La résistance en effet s’incarne dans ce système du Moi et de l’autre. Elle s’y réalise à tel ou tel moment de l’analyse. Mais c’est en quelque sorte d’ailleurs qu’elle part, à savoir de l’impuissance du sujet à aboutir dans ce domaine de la réalisation de sa vérité, c’est à chaque instant et d’une façon sans doute plus ou moins d’ores et déjà définie pour un sujet déterminé, en raison des fixations de son caractère et de sa structure, c’est à un certain niveau que vient se projeter cet acte de la parole, dans une certaine relation du Moi à l’autre, dans un certain niveau, dans un certain style de la relation à l’autre.

Qu’est-ce à dire ?

Vous le voyez, c’est qu’à partir de ce moment-là, quel est le paradoxe ? Voyez le paradoxe de la position de l’analyste, c’est en somme au moment où la parole du sujet est la plus pleine que moi analyste je pourrais intervenir; mais j’interviendrais sur quoi ? Sur son discours; et plus il est à lui, plus moi je me centre sur son discours. Mais l’inverse est également vrai; plus son dis­cours est vide, plus je suis amené, moi aussi, à me rattraper à lui, c’est-à-dire à faire ce qu’on fait tout le temps, dans cette fameuse analyse des résistances, à chercher cet au-delà du discours du sujet; cet au-delà – réfléchissez bien – qui n’est nulle part; cet au-delà qui n’est pas là; cet au-delà que le sujet a à réa­liser, mais qu’il n’a pas justement réalisé; c’est-à-dire cet au-delà qui est en somme fait de mes projections à moi au même niveau où le sujet est réalisé. Ce dont je vous ai montré la dernière fois les dangers, à faire ces sortes d’in­terprétations ou imputations intentionnelles qui, vérifiées ou non, ou suscep­tibles ou non de vérifications, je dirais ne sont pas plus vérifiables que n’importe quel système de projections qui en participe toujours plus ou moins; et c’est bien là la difficulté de l’analyse, quand nous disons que nous faisons l’interprétation des résistances, nous sommes en présence très préci­sément de cette difficulté : comment opérer à un certain niveau de moindre densité du rapport de la parole ? Comment opérer dans cette interpsycholo­gie, ego et alter ego, où nous sommes mis par la dégradation même du pro­cessus de la parole ? En d’autres termes, comment, quels sont les rapports possibles entre certaine fonction d’intervention de la parole, d’interprétation, pour l’appeler par son nom, et le niveau de l’ego en tant que ce niveau est toujours, implique toujours corrélativement l’analysé et l’analyste ?

La question est bien celle-ci. C’est qu’à partir d’un certain moment, d’un cer­tain niveau même où la fonction de la parole a versé tellement uniquement dans le sens de l’autre qu’elle n’est plus médiation mais seulement violence implicite,

réduction de l’autre à sa fonction par rapport au Moi du sujet, que pouvons-nous faire encore pour manier valablement dans l’expérience analytique la parole ? Vous sentez le caractère absolument oscillant du problème, et combien il nous ramène à des questions qui sont en fin de compte celles-ci : qu’est-ce que veut dire pour l’homme cet appui pris dans l’autre ? Et pourquoi l’autre devient-il d’autant moins vraiment autre que lorsqu’il prend plus exclusivement cet appui ?

C’est de ce cercle vicieux qu’il s’agit de sortir dans l’analyse; et pourquoi est-ce que nous y sommes, en quelque sorte tellement, d’autant plus pris que l’his­toire de la technique montre un accent toujours plus grand mis sur ce problème pour autant qu’on accentue le côté moïque des résistances ? C’est le même pro­blème qui s’exprime encore d’une autre façon sous cette forme : pourquoi le sujet s’aliène-t-il d’autant plus qu’il s’affirme plus comme moi ?

Et nous revenons à la question de la séance précédente

Quel est donc celui qui, au-delà du Moi, cherche à se faire reconnaître.

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