Leçon du 7 janvier 1959
Il y a une distinction à laquelle cette expérience nous confronte, entre ce que chez le sujet nous devons appeler le désir, et la fonction dans la constitution de ce désir, dans la manifestation de ce désir, dans les contradictions qui au cours des traitements éclatent entre le discours du sujet et son comportement. Distinction dis-je, essentielle, entre le désir et la demande.
S’il y a quelque chose que, non seulement les données d’origine, le discours freudien, mais précisément tout le développement du discours freudien, tient dans la suite, à savoir les contradictions qui vont éclater, c’est bien dû au caractère problématique qu’y joue la demande, puisque en fin de compte tout ce vers quoi s’est dirigé le développement de l’analyse depuis Freud a été de plus en plus de mettre l’importance sur ce qui a été appelé diversement et qui en fin de compte converge vers une notion générale de “névrose de dépendance”, c’est-à-dire que ce qui a été caché, ce qui est voilé derrière cette formule, c’est bien l’accent mis par une sorte de convergence de la théorie et de ses glissements, et de ses échecs de la pratique aussi, c’est-à-dire d’une certaine conception concernant la réduction qui est à obtenir par la thérapeutique.
C’est bien ce qui est caché derrière la notion de “névrose de dépendance”. Le fait fondamental de la demande avec ses effets imprimants, comprimants, opprimants sur le sujet, qui est là et dont il s’agit justement de chercher si à l’endroit de cette fonction – que nous révélons comme formatrice, selon la formation de la genèse du sujet – nous adoptons l’attitude correcte, je veux dire celle qui en fin de compte va être justifiée, à savoir l’élucidation d’une part et la levée, du même coup, du symptôme. Il est en effet clair que si le symptôme n’est pas simplement quelque chose que nous devons considérer comme le legs d’une sorte de soustraction, de suspension qui s’appelle frustration; si cela n’est pas simplement une sorte de déformation du sujet, de quelque façon qu’on l’envisage, sous l’effet de quelque chose qui se dose en fonction d’un certain rapport au réel – comme je l’ai dit une frustration imaginaire c’est toujours à quelque chose de réel qu’elle se rapporte – si ce n’est pas cela, si entre ce que nous découvrons effectivement dans l’analyse comme ses suites, ses séquences, ses effets, voire ses effets durables, ces impressions de frustration et le symptôme; il y a quelque chose d’autre, d’une dialectique infiniment plus complexe, et qui s’appelle le désir; si le désir est quelque chose qui ne peut se saisir et se comprendre qu au nœud le plus étroit, non pas de quelques impressions laissées par le réel mais au point le plus étroit où se nouent ensemble, pour l’homme, réel, imaginaire et son sens symbolique, ce qui est précisément ce que j’ai essayé de démontrer – et c’est ce pourquoi le rapport du désir au fantasme s’exprime ici dans ce champ intermédiaire entre les deux lignes structurales de toute énonciation signifiante.
Si le désir est bien là, si c’est de là que partent les phénomènes disons métaphoriques, c’est-à-dire l’interférence du signifiant refoulé sur un signifiant patent qui constitue le symptôme, il est clair que c’est tout manquer que de ne pas chercher à structurer, à organiser, à situer la place du désir. Ceci, nous avons commencé de le faire cette année en prenant un rêve sur lequel je me suis longtemps arrêté, rêve singulier, rêve que Freud se trouve avoir à deux reprises mis en valeur (je veux dire avoir intégré secondairement à la Traumdeutung après lui avoir donné une place particulière tout à fait utile dans l’article Les Deux Principes de l’événement psychique, le désir et le principe de réalité (article publié en 1911), ce rêve est celui de l’apparition du père mort. Nous avons essayé d’en situer les éléments sur la chaîne double telle que j’en ai montré la distinction structurale, dans ce qu’on peut appeler le graphe, de l’inscription du sujet biologique élémentaire, du sujet du besoin dans les défilés de la demande, et longuement articulé. J’ai posé pour vous comment nous devions considérer cette articulation fondamentalement double: pour autant qu’elle n’est jamais demande de quelque chose, pour autant qu’à l’arrière fond de toute demande précise, de toute demande de satisfaction, le fait même du langage, en symbolisant l’autre – l’autre comme présence et comme absence – comme pouvant être le sujet du don d’amour qu’il donne par sa présence et rien que par sa présence, je veux dire en tant qu’il ne donne rien d’autre, c’est-à-dire en tant que précisément ce qu’il donne est au delà de tout ce qu’il peut donner, que ce qu’il donne est justement ce rien qui est tout de la détermination présence-absence.
Nous avons articulé ce rêve en rejetant de façon didactique sur cette duplicité des signes, quelque chose qui nous permet de saisir dans la structure du rêve, le rapport qui est établi par cette production fantasmatique dont Freud a tenté d’élucider la structure tout au long de sa vie, magistralement dans la Traumdeutung, et nous essayons d’en voir la fonction pour ce fils en deuil d’un père sans aucun doute aimé, veillé jusqu’à la fin de son agonie, qu’il fait ressurgir dans des conditions que le rêve articule avec une simplicité exemplaire: c’est-à-dire que ce père apparaît comme il était de son vivant, qu’il parle, et que le fils devant lui muet, poigné, étreint, saisi par la douleur – la douleur, dit-il, de penser que « son père était mort et qu’il ne le savait pas ». Freud nous dit, il faut compléter « qu’il était mort, selon son vœu ». Il ne savait pas, quoi ? Que c’était « selon son vœu ».
Tout est là donc, et si nous essayons d’entrer de plus près dans ce qui est la construction, la structure de ce rêve, nous remarquons ceci: c’est que le sujet se confronte avec une certaine image et dans certaines conditions, je dirais qu’entre ce qui est assumé dans le rêve par le sujet et cette image à quoi il se confronte, une distribution, une répartition s’établit qui va nous montrer l’essence du phénomène.
Déjà nous avions essayé de l’articuler, de la cerner si je puis dire, en répartissant sur l’échelle signifiante les thèmes signifiants caractéristiques. Sur la ligne supérieure le « il ne le savait pas », référence essentiellement subjective dans son essence, qui va au fond de la structure du sujet: « il ne savait pas » comme tel, ne concerne rien de factuel. C’est quelque chose qui implique la profondeur, la dimension du sujet – et nous savons qu’ici elle est ambiguë, c’est-à-dire que ce « qu’il ne savait pas », nous allons le voir, n’est pas seulement et purement attribuable à celui auquel il est attribué paradoxalement, absurdement, d’une façon qui résonne contradictoire et même d’une façon de non-sens, à celui qui est mort, mais résonne aussi bien qu’elle dans le sujet, et y participe de cette ignorance. Précisément ce quelque chose est essentiel.
En outre voici comment le sujet se pose, dans la suspension si je puis dire de l’articulation onirique. Lui, le sujet tel qu’il se pose, tel qu’il s’assume c’est, si l’on peut dire, puisque l’autre ne sait pas, la position de l’autre subjective – et ici d’être en défaut si l’on peut dire (qu’il soit mort, bien sûr c’est là un énoncé qui en fin de compte ne saurait l’atteindre). Toute expression symbolique telle que celle-ci, de “l’être mort”, le fait subsister, en fin de compte le conserve; c’est précisément bien le paradoxe de cette position symbolique: c’est qu’il n’y a pas d’être à l’être, d’affirmation de l’être mort qui d’une certaine façon ne l’immortalise, et c’est bien de cela qu’il s’agit ans le rêve. Mais cette position subjective de “l’être en défaut”, cette moins-value subjective, ne vise pas qu’il soit mort, elle vise essentiellement ceci qu’il est celui qui ne le sait pas. C’est ainsi que le sujet se situe en face de l’autre, aussi bien cette sorte de protection exercée à l’égard de l’autre – qui fait que non seulement il ne sait pas, mais qu’à la limite, je dirais qu’il ne faut pas le lui dire – est quelque chose qui se trouve toujours plus ou moins à la racine de toute communication entre les êtres, ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas lui faire savoir. Voilà quelque chose dont vous devez toujours soupeser les incidences chaque fois que vous avez affaire au discours analytique.
On parlait hier soir de ceux qui ne peuvent pas dire, s’exprimer, des obstacles, de la résistance à proprement parler du discours. Cette dimension est essentielle pour rapprocher de ce rêve un autre rêve qui est emprunté à la dernière page du journal de Trotski, à la fin de son séjour en France, au début de la dernière guerre, je crois, rêve qui est une chose singulièrement émouvante. C’est au moment où, peut-être pour la première fois, Trotski commence à sentir en lui les premiers coups de cloche de je ne sais quel fléchissement de la puissance vitale si inépuisable chez ce sujet. Et il voit apparaître dans un rêve son compagnon Lénine qui le félicite de sa bonne santé, de son caractère impossible à abattre. Et l’autre, d’une façon qui prend sa valeur de cette ambiguïté qu’il y a toujours dans le dialogue, lui laisse entendre que peut-être cette fois, il y a en lui quelque chose qui n’est pas toujours au même niveau que son vieux compagnon lui a toujours connu. Mais ce à quoi il pense, ce vieux compagnon ainsi surgi d’une façon si significative à un moment critique, tournant de l’évolution vitale, c’est à le ménager. Et voulant rappeler quelque chose qui précisément se rapporte au moment où lui-même, Lénine, a fléchi dans son effort, il dit pour lui désigner ce moment où il est mort: « le moment où tu étais très, très malade », comme si quelque formulation précise de ce dont il s’agissait devait par son seul souffle dissiper l’ombre en face de laquelle le même Trotski, dans son rêve, à ce même tournant de son existence, se maintient.
Eh bien, si d’une part, dans cette répartition entre les deux formes affrontées, ignorance émise sur l’autre qui lui est imputée, comment ne pas voir qu’inversement il y a quelque chose là qui n’est pas autre chose que l’ignorance du sujet lui-même qui ne sait pas, non seulement quelle est la signification de son rêve, à savoir tout ce qui lui est sous-jacent (ce que Freud évoque, à savoir son histoire inconsciente, les vœux anciens, mortels, contre le père), mais plus encore quelle est la nature de la douleur même, à laquelle à ce moment-là le sujet participe, à savoir cette douleur (dont en en cherchant le chemin et l’origine nous avons reconnu cette douleur éprouvée, entrevue dans la participation des derniers moments du père) de l’existence comme telle, en tant qu’elle subsiste à la limite, dans cet état où plus rien n’en est encore appréhendé, le fait du caractère inextinguible de cette existence même et la douleur fondamentale qui l’accompagne quand tout désir s’en efface, quand tout désir en est évanoui.
C’est précisément cette douleur que le sujet assume, mais comme étant une douleur qu’il motive elle aussi absurdement, puisqu’il la motive uniquement de l’ignorance de l’autre, de quelque chose qui, en fin de compte, si on y regarde de très près n’est pas plus un motif de ce qui l’accompagne comme motivation, que le surgissement, l’affect dans une crise hystérique qui s’organise apparemment d’un contexte dans lequel il est extrapolé, mais qui en fait ne s’en motive pas.
Cette douleur, c’est précisément de la prendre sur lui que le sujet s’aveugle sur sa proximité, sur le fait que dans l’agonie et dans la disparition de son père, c’est quelque chose qui le menace lui-même, qu’il a vécu et dont il se sépare actuellement par cette image réévoquée – cette image qui le rattache à ce quelque chose qui sépare et qui apaise l’homme – dans cette sorte d’abîme ou de vertige qui s’ouvre à lui chaque fois qu’il est confronté avec le dernier terme de son existence. C’est-à-dire justement ce qu’il a besoin d’interposer entre lui et cette existence, dans l’occasion un désir. Il ne cite pas n’importe quel support de son désir, n’importe quel désir als le plus proche et le plus urgent, le meilleur, celui qu’il a dominé longtemps, celui qui l’a maintenant abattu. Il lui faut le faire pour un certain temps revivre imaginairement, parce que dans cette rivalité avec le père, dans ce qu’il y a là de fond de pouvoir dans le fait que lui triomphe en fin de compte, du fait qu’il ne sait pas, l’autre, alors que lui, sait, là est la mince passerelle grâce à quoi le sujet ne se sent pas lui-même directement envahi, directement englouti, parce que ce qui s’ouvre à lui de béance, de confrontation pure et simple avec l’angoisse de la mort, telle que nous savons en fait que la mort du père, chaque fois qu’elle se produit, est pour le sujet ressentie comme la disparition (dans un langage plus grossier) de cette sorte de bouclier, d’interposition, de substitution qu’est le père, au maître absolu, c’est-à-dire à la mort.
On commence de voir ici s’esquisser une sorte de […] qui est constituée par quoi ? La formule que j’essaye de vous présenter comme étant la formule fondamentale de ce qui constitue le support, le rapport intra-subjectif essentiel où tout désir comme tel doit s’inscrire; c’est sous cette forme la plus simple, celle qui est inscrite ici, ce rapport séparé dans le rapport quadrilatère, celui du schéma L, celui du sujet au grand Autre pour autant que ce discours partiellement inconscient qui vient du grand Autre vient s’interposer en lui. La tension a-a’, ce qu’on peut encore sous certains rapports appeler la tension image de a par rapport à a; selon qu’il s’agit du rapport a-a’, du sujet à l’objet, du rapport image de a par rapport à l’Autre, pour autant qu’elle structure ce rapport. C’est justement l’absent qui – comme étant caractéristique du rapport du désir sur le rapport du sujet, $, avec les fonctions imaginaires, qui est exprimé dans la formule $ poinçon a – en ce sens que le désir comme tel, et par rapport à tout objet possible pour l’homme, pose pour lui la question de son élision subjective.
Je veux dire qu’en tant que le sujet, dans le registre, dans la dimension de la parole en tant qu’il s’y inscrit en tant que demandeur, à approcher de ce quelque chose qui est l’objet le plus élaboré, le plus évolué – ce que plus ou moins adroitement la conception analytique nous présente comme étant l’objet de l’oblativité, cette notion, je l’ai souvent souligné, fait difficulté, c’est à celle-là que nous essayons nous aussi de nous confronter, que nous essayons de formuler d’une façon plus rigoureuse – le sujet, pour autant que comme désir, c’est-à-dire dans la plénitude d’un destin humain qui est celui d’un sujet parlant, à approcher cet objet se trouve pris dans cette sorte d’impasse qui fait qu’il ne saurait l’atteindre lui-même, cet objet comme objet, qu’en quelque façon en se trouvant lui comme sujet, sujet de la parole, ou dans cette élision qui le laisse dans la nuit du traumatisme, à proprement parler dans ce qui est au-delà de l’angoisse même, ou de se trouver devoir prendre la place, se substituer, se subsumer sous un certain signifiant qui se trouve (je l’articule purement et simplement pour l’instant, je ne le justifie pas puisque c’est tout notre développement qui doit le justifier, et toute l’expérience analytique est là pour le justifier) être le phallus.
C’est de là que part le fait que dans toute assomption de la position mûre, de la position que nous appelons génitale, quelque chose se produit au niveau de l’imaginaire qui s’appelle la castration et a son incidence au niveau de l’imaginaire. Pourquoi ? Parce que le phallus, entre autres – il n’y a que dans cette perspective que nous pouvons comprendre toute la problématique qu’a soulevé le fait, véritablement à l’infini, et dont il est impossible autrement de sortir – la question de la phase phallique pour les analystes, la contradiction je dirais, le dialogue Freud-Jones sur ce sujet, qui est singulièrement pathétique – toute cette sorte d’impasse où Jones entre (lorsque se révoltant contre la conception trop simple que se fait Freud de la fonction phallique comme étant le terme univoque autour de quoi pivote tout le développement concret, historique, de la sexualité chez l’homme et la femme), met en valeur ce qu’il appelle les fonctions de défense liées à cette image du phallus. L’un et l’autre en fin de compte disent la même chose, ils l’abordent par des points de vue différents. Ils ne peuvent se rencontrer assurément faute de cette notion centrale, fondamentale, qui fait que nous devons concevoir le phallus comme, dans cette occasion, pris, soustrait si l’on peut dire, à la communauté imaginaire, à la diversité, à la multiplicité des images qui viennent assumer les fonctions corporelles, isolé en face de toutes les autres dans cette fonction privilégiée qui en fait le signifiant du sujet.
Éclairons encore plus ici notre lanterne et disons ceci, qu’en somme sur les deux plans, qui sont: le premier plan immédiat, apparent, spontané qui est l’appel, (qui est “au secours ! “, qui est “du pain!”, qui est un cri en fin de compte, qui est en tout cas quelque chose où, de la façon la plus totale, le sujet est identique pour un moment à ce besoin) tout de même doit s’articuler au niveau quesitif de la demande qui se trouve, lui, dans le premier rapport, dans l’expérience entre l’enfant et la mère – fonction de ce qui est articulé et qui sera de plus en plus articulé bien sûr dans le rapport de l’enfant et de la mère, de tout ce qu’il lui substitue de l’ensemble de la société qui parle sa propre langue. Entre ce niveau et le niveau votif, c’est-à-dire là où le sujet, tout au cours de sa vie, a à se retrouver, c’est-à-dire à trouver ce qui lui a échappé parce qu’étant au-delà, en dehors de tout, la forme du langage, de plus en plus et à mesure qu’elle se développe, laisse passer, laisse filtrer, rejette, refoule ce qui d’abord tendait à s’exprimer de son besoin. Cette articulation au second degré, c’est ce qui, comme étant justement modelé, transformé par sa parole, c’est-à-dire cet essai, cette tentative de passer au-delà de cette transformation même, c’est cela que nous faisons dans l’analyse, et c’est pourquoi on peut dire que, de même que tout ce qui réside de ce qui doit s’articuler au niveau quésitif est là au A, comme un code pré-déterminé – combien préexistant à l’expérience du sujet, comme étant ce qui dans l’Autre est offert au jeu du langage, à la première batterie signifiante que le sujet expérimente pour autant qu’il apprend à parler…
Qu’est-ce que nous faisons dans l’analyse ? Qu’est-ce que nous rencontrons, qu’est-ce que nous reconnaissons lorsque nous disons que le sujet en est au stade oral, au stade anal, etc., rien d’autre que ce qui est exprimé sous cette forme mûre dont il ne faut pas oublier l’élément complet: c’est le sujet en tant que marqué par la parole et dans un certain rapport avec sa demande. C’est ceci littéralement que dans telle ou telle interprétation où nous lui faisons sentir la structuration orale, ana e, ou autre de sa demande, nous ne gisons pas simplement recon-naissance du caractère anal de la demande, nous confrontons le sujet à ce caractère ana ou oral, nous n’intéressons pas simplement que quelque chose qui est immanent dans ce que nous articulons comme étant la demande du sujet, nous confrontons le sujet à cette structure de sa demande. Et c’est là justement que doit balancer, osciller, vaciller l’accentuation de notre interprétation. Car accentuée d’une certaine façon nous lui apprenons à reconnaître quelque chose qui, si l’on peut dire, est à ce niveau supérieur, niveau votif, niveau de ses vœux, de ce qu’il souhaite, en tant qu’ils sont inconscients. Nous lui apprenons si l’on peut dire à parler, à se reconnaître dans ce qui correspond au [D] à ce niveau, mais nous ne lui donnons pas pour autant les réponses. En soutenant l’interprétation entièrement dans ce registre de la reconnaissance des supports signifiants cachés dans sa demande, inconscients, nous ne faisons rien d’autre.
Si nous oublions ce dont il s’agit, c’est-à-dire de confronter le sujet avec sa demande, nous ne nous apercevons pas que ce que nous produisons c’est justement le collapse, l’effacement de la fonction du sujet comme tel dans la révélation de ce vocabulaire inconscient, nous sollicitons le sujet de s’effacer et de disparaître. Et c’est bel et bien dans beaucoup de cas ce dont il s’agit. C’est à savoir que dans un certain apprentissage que l’on peut faire dans l’analyse de l’inconscient, d’une certaine façon ce qui disparaît, ce qui fuit, ce qui est de plus en plus réduit, ce n’est rien d’autre que cette exigence qui est celle du sujet de se manifester au-delà de tout cela dans son être: à le ramener sans cesse au niveau de la demande on finit bien par quelque côté – et c’est ce que l’on appelle dans une certaine technique “l’analyse des résistances” – par réduire purement et simplement ce qui est son désir.
Or, s’il est simple et facile de voir que dans la relation du sujet à l’Autre, la réponse se fait rétroactivement et ailleurs; que là quelque chose retourne en arrière sur le sujet pour le confirmer dans le sens de la demande, pour l’identifier à l’occasion à sa propre demande, il est clair de même, au niveau où le sujet cherche à se situer, à se reconnaître justement dans ce qu’il est au delà de cette demande, qu’il y a une place pour la réponse, que cette place pour la réponse, là schématisée par S signifiant de A barré, S(A), c’est-à-dire le rappel que l’Autre, lui aussi, est marqué par le signifiant, que lui aussi, l’Autre, est aboli d’une certaine façon dans le discours, cela n’est rien qu’indiquer un point théorique dont nous verrons la forme qu’il doit prendre. Cette forme, elle est essentiellement justement la reconnaissance de ce qu’a de châtré tout ce qui, de l’être vivant, tente de s’approcher de l’être vivant tel qu’il est évoqué par le langage. Et bien entendu, ce n’est point à ce niveau que nous pouvons d’abord donner la réponse.
Mais par contre, respecter, viser, explorer, utiliser ce que déjà on exprime au-delà de ce lieu de la réponse chez le sujet, et qui est représenté par la situation imaginaire où lui-même se pose, se maintient, se suspend comme dans une sorte de position qui assurément participe par certains côtés des artifices de la défense, c’est bien cela qui fait l’ambiguïté de tellement de manifestations du désir, du désir pervers par exemple.
C’est pour autant que là, quelque chose s’exprime qui est le point le plus essentiel où l’être du sujet tente de s’affirmer. Et ceci est d’autant plus important à considérer qu’il faut considérer que c’est précisément là, en ce lieu même que doit se produire ce que nous appelons si aisément l’objet achevé, la maturation génitale, autrement dit tout ce qui constituera (comme s’exprime quelque part bibliquement M. Jones) les rapports de l’homme et de la femme se trouvera, du fait que l’homme est un sujet parlant, marqué des difficultés structurelles qui sont celles qui s’expriment dans ce rapport du $ avec le a.
Pourquoi ? Parce que précisément, si l’on peut dire que jusqu’à un certain moment, un certain état, un certain temps du développement, le vocabulaire, le code de la demande peut passer dans un certain nombre de relations, lesquelles comportent un objet amovible (à savoir la nourriture pour ce qui est du rapport oral, l’excrément pour ce qui est du rapport anal, pour nous limiter pour l’instant à ces deux-là), quand il s’agit du rapport génital il est bien évident que ce n’est que par une espèce d’emprunt, de prolongation de ce morcellement signifiant du sujet dans le rapport de la demande que quelque chose peut nous apparaître – et nous apparaît en effet, mais à titre morbide, à titre de toutes ces incidences symptomatiques – à savoir le phallus. Pour une très simple et bonne raison, c’est que bel et bien le phallus ne l’est pas, cet objet amovible, qu’il ne le devient que par son passage au rang de signifiant et que tout ce dont il s’agit dans une maturation génitale complète repose sur ceci que tout ce qui, chez le sujet, doit se présenter comme étant ici l’achèvement de son désir est bien, pour le dire en clair, quelque chose qui ne peut pas se demander.
Et l’essence de la névrose, et ce à quoi nous avons affaire, consiste très précisément en ceci que ce qui ne peut pas se demander sur ce terrain – chez justement le névrosé, ou dans le phénomène névrotique, à savoir dans ce qui apparaît de plus ou moins sporadique dans l’évolution de tous les sujets qui participent de la structure de la névrose – consiste justement, on retrouve toujours cette structure, en ceci que ce qui est de l’ordre du désir s’inscrit, se formule, dans le registre de la demande.
Au cours d’une relecture que je faisais récemment de M. Jones, je reprenais tout ce qu’il a écrit sur [la phase phallique]; c’est très saisissant à tout instant ce qu’il apporte de son expérience la plus fine, la plus directe: « Je voudrais relater quelque chose d’un très grand nombre de patients masculins qui présentent une déficience à achever ou à accomplir leur virilité en relation à d’autres hommes ou à des femmes, et à montrer que leur failure, leur manque dans cette occasion, leur achoppement, et de la façon la plus stricte […… ] leur attitude de besoin d’abord d’acquérir quelque chose des femmes, quelque chose que pour une bonne raison, ils ne peuvent jamais réellement acquérir ». « Pourquoi ? », dit Jones, et quand il dit « pourquoi ? » dans son article et dans son contexte c’est un vrai « pourquoi ? » Il ne sait pas pourquoi mais il le constate, il le ponctue comme un point d’horizon, une ouverture, une perspective, un point où les guides lui échappent. «Pourquoi un acte, c’est imparfait. Aussi peut-il donner au garçon ce sentiment de la possession imparfaite de son propre pénis. Je suis tout à fait convaincu que les deux choses sont tout à fait intimement reliées l’une à l’autre, alors que la connexion logique entre ces deux choses n’est certainement pas évidente46. » En tout cas pas évidente pour lui…
À tout instant nous retrouvons ces détails sur la phénoménologie la plus affleurante, je veux dire les successions nécessaires par lesquelles un sujet se glisse, pour arriver à l’action pleine de son désir, les préalables qui lui sont nécessaires. Nous pouvons les reconstituer, retrouver ce que j’appellerai les cheminements labyrinthiques où se marque le fait essentiel de la position que le sujet a prise dans cette référence, dans cette relation, structurale pour lui, entre désir et demande. Et si le maintien de la position incestueuse dans l’inconscient est quelque chose qui a un sens, et qui a des conséquences effectivement diversement ravageantes sur les manifestations du désir, sur l’accomplissement du désir du sujet, ce n’est justement pour rien d’autre que ceci: c’est que la position dite incestueuse conservée quelque part dans l’inconscient, c’est justement cette position de la demande.
Le sujet à un moment dit-on, – et c’est ainsi que s’exprime M. Jones – a à choisir entre son objet incestueux et son sexe. S’il veut conserver l’un, il doit renoncer à l’autre. Je dirai que ce entre quoi et quoi il a à choisir à tel moment initial, c’est entre sa demande et son désir.
Reprenons maintenant, après ces indications générales, le cheminement dans lequel je désire vous introduire pour vous montrer la commune mesure qu’a cette structuration du désir et comment effectivement elle se trouve impliquée. Les éléments imaginaires pour autant qu’ils…, ils doivent être infléchis, ils doivent être pris dans le jeu nécessaire de la partie signifiante pour autant qu’il est commandé, ce jeu, par la structure double du votif et du quésitif.
Prenons un fantasme, le plus banal, le plus commun, celui que Freud lui-même a étudié, auquel il a accordé une attention spéciale, le fantasme on bat un enfant. Reprenons-le maintenant, avec la perspective qui est celle dont nous nous approchons, pour essayer de saisir comment peut se formuler la nécessité du fantasme en tant que support du désir.
Freud, parlant de ces fantasmes tels qu’il les a observés sur un certain nombre de sujets à l’époque avec une prédominance chez les femmes, nous dit que la première phase de la Schlag fantasie est restituée, pour autant qu’elle parvient à être réévoquée (soit dans les fantasmes, soit dans les souvenirs du sujet) par la phrase suivante « der Vater schlägt das Kind », et que l’enfant qui est battu dans l’occasion, est par rapport au sujet ceci: « le père bat l’enfant que je hais. » (souligné par Freud)
Nous voici donc portés par Freud, du point initial au cœur même de quelque chose qui se situe dans la qualité la plus [aiguë] de l’amour et de la haine, celle qui vise l’autre dans son être, et pour autant que cet être dans cette occasion est soumis au maximum de la déchéance, dans la valorisation symbolique par la violence et le caprice paternel, il est là. L’injure ici, si on l’appelle narcissique est quelque chose qui, en somme, est totale. Elle vise, chez le sujet haï, ce qui est demandé au-delà de toute demande. Elle vise ceci qu’il est absolument frustré, privé d’amour. Le caractère de déchéance subjective qui est lié pour l’enfant à la rencontre avec la première punition corporelle laisse des traces diverses suivant le caractère diversement répété. Et chacun peut constater à l’époque où nous vivons, où ces choses sont extrêmement ménagées aux enfants que, s’il arrive qu’après qu’un enfant n’ait jamais été battu, il soit l’objet une fois de quelques sévices, fussent-ils le plus justifiés, du moins à une époque relativement tardive, on ne saurait imaginer les conséquences, au moins sur l’instant, prostrantes qu’à cette expérience pour l’enfant.
Quoi qu’il en soit, nous pouvons considérer comme donné que l’expérience primitive est bien là ce dont il s’agit, telle que Freud nous l’exprime: « Entre cette phase et la suivante il doit se passer quelques grosses transformations ». En effet cette seconde phase, Freud nous l’exprime ainsi: « la personne qui bat est restée être le père, mais l’enfant battu est devenu régulièrement, dans la règle, l’enfant du fantasme lui-même. Le fantasme est à un très très haut degré teinté de plaisir, et s’accomplit d’une façon tout à fait significative à laquelle nous aurons a aire plus tard » – et pour cause. « Sa formule articulée est maintenant ainsi: je suis battu par le père. » (souligné par Freud)
Mais Freud ajoute que ceci qui est « la plus importante et la plus lourde en conséquence de toutes les phases, nous pouvons dire d’elle quand même dans un certain sens qu’elle n’a jamais d’existence réelle. Elle n’est jamais en aucun cas ré-évoquée, elle n’est jamais portée à la conscience. Elle est une construction de l’analyse, mais elle n’en est pas moins une nécessité. »
Je crois qu’on ne soupèse pas assez les conséquences d’une telle affirmation chez Freud. En fin de compte, puisque nous ne la rencontrons jamais, cette phase la plus significative, il est tout de même très important de voir, puisqu’elle aboutit à une troisième phase, la phase en question, qu’il est nécessaire que nous concevions cette seconde phase comme [nécessaire] et recherchée par le sujet. Et bien entendu, ce quelque chose qui est cherché nous intéresse au plus haut degré, puisque ce n’est rien d’autre que la formule du masochisme primordial, c’est-à-dire justement ce moment où le sujet va chercher au plus près sa réalisation à lui, de sujet, dans la dialectique signifiante.
Quelque chose d’essentiel, comme dit Freud à juste titre, s’est passé entre la première et la seconde phase. C’est à savoir ce quelque chose où il a vu l’autre comme précipité de sa dignité de sujet érigé, de petit rival; quelque chose s’est ouvert en lui qui lui fait percevoir que c’est dans cette possibilité même d’annulation subjective que réside tout son être en tant qu’être existant, que c’est là, en frôlant au plus près cette abolition, qu’il mesure la dimension même dans laquelle il subsiste comme être-sujet-à-vouloir, comme être qui peut émettre un vœu.
Qu’est-ce que nous donne toute la phénoménologie du masochisme, telle qu’il faut bien tout de même aller la chercher dans la littérature masochiste, qu’elle nous plaise ou qu’elle ne nous plaise pas, que ce soit pornographique ou pas ? Prenons un roman célèbre, ou un roman récent paru chez une maison demi clandestine. Qu’est-ce que l’essence du fantasme masochiste en fin de compte ? C’est la représentation par le sujet de quelque chose, d’une pente, d’une série d’expériences imaginées, dont le versant, dont le rivage tient essentiellement à ceci qu’à la limite, il est purement et simplement traité comme une chose, comme quelque chose qui à la limite se marchande, se vend, se maltraite, est annulé dans toute espèce de possibilité à proprement parler votive de se saisir autonome. Il est traité, comme un fantasme, comme un chien, dirons-nous, et pas n’importe quel chien, un chien qu’on maltraite, précisément comme un chien déjà maltraité.
Ceci c’est la pointe, le point pivot, la base de transformation supposée chez le sujet qui cherche à trouver où est ce point d’oscillation, ce point d’équilibre, ce produit de ce $ qui est ce en quoi il a précisément à entrer, s’il entre, si une fois entré dans la dialectique de la parole il a quelque part à se formuler comme sujet. Mais en fin de compte, le sujet névrotique est comme Picasso, “il ne cherche pas, il trouve” (car c’est ainsi que s’est exprimé un jour Picasso), formule vraiment souveraine. Et à la vérité, il y a une espèce de gens qui cherche et il y a ceux qui trouvent. Croyez-moi, les névrosés, à savoir tout ce qui se produit de spontané de cette étreinte de l’homme avec sa parole, trouvent. Et je ferai remarquer que “trouver” vient du mot latin tropus, très expressément de ce dont je parle sans cesse: des difficultés de rhétorique. Le mot qui dans les langues romanes désigne “trouver” – au contraire de ce qui se passe dans les langues germaniques où c’est une autre racine qui sert pour cela, il est curieux qu’il soit emprunté au langage de la rhétorique.
Suspendons-nous un instant sur ce moment tiers, du [au] point où le sujet a trouvé. Celui-là nous l’avons tout de suite, il vaut peut-être de s’y arrêter. Dans le fantasme : on bat un enfant qu’est-ce qu’il y a ? ce qui bat, c’est on, c’est tout à fait clair, et Freud y insiste. Il n’y a rien à faire, on lui dit: mais qui bat ? c’est un tel ou un tel ? le sujet est vraiment évasif. Ce n’est qu’après une certaine élaboration interprétative, quand on aura retrouvé la première phase, qu’on pourra y retrouver une certaine figure ou image paternelle sous cette forme, la forme où le sujet a trouvé son fantasme; en tant que son fantasme sert de support à son désir, à l’accomplissement masturbatoire. À ce moment là, le sujet est parfaitement neutralisé. Il est on. Et quant à ce qui est tant battu, ce n’est pas moins difficile à saisir, c’est multiple: [immer nur Buben], beaucoup d’enfants, des garçons, [nur Mädel] quand il s’agit de la fille, mais pas forcément avec un rapport obligatoire entre le sexe de l’enfant qui fantasme et le sexe de l’image fantasmée.
Les plus grandes variations, les plus grandes incertitudes règnent aussi sur ce thème où nous savons bien que, par quelque côté que ce soit, a ou a’ que ce soit i (a) ou a, l’enfant, jusqu’à un certain point, participe puisque c’est lui qui fait le fantasme. Mais enfin, nulle part d’une façon précise, d’une façon non-équivoque, d’une façon qui ne soit pas précisément indéfiniment oscillante, l’enfant se situe.
Mais ce sur quoi ici nous aimerions mettre l’accent, c’est sur quelque chose de fort voisin de ce que j’ai appelé tout à l’heure la répartition entre les éléments intra-subjectifs du rêve. D’une part dans le fantasme sadique (celui-ci est dans les fantasmes qu’on peut observer à peu près dans leur plus grande expansion) je demanderai où est l’affect accentué ? l’affect accentué – de même qu’il était dans le rêve porté sur le sujet rêvant cette forme de la douleur- est incontestablement un fantasme sadique, est porté sur l’image fantasmée du partenaire; c’est le partenaire, non pas tellement en tant qu’il soit battu, qu’en tant qu’il va l’être, ou qu’il ne sait même pas comment il va l’être.
Cet élément extraordinaire sur lequel je reviendrai à propos de la phénoménologie de l’angoisse, et où déjà je vous indique cette distinction qui est dans le texte de Freud (mais dont naturellement jamais personne n’a fait le moindre état à propos de l’angoisse) entre ces nuances qui séparent la perte pure et simple du sujet dans la nuit de l’indétermination subjective, et ce quelque chose qui est tout différent et qui est déjà avertissement, érection, si l’on peut dire, du sujet devant le danger et qui, comme tel, est articulé par Freud dans Inhibition, symptôme, angoisse, où Freud introduit une distinction encore plus étonnante, car elle est tellement subtile, phénoménologique, qu’elle n’est pas facile à traduire en français, entre [abwarten] que j’essayerais de traduire par “subir”, “n’en pouvoir mais”, “tendre le dos”, et [erwarten] qui est “s’attendre à”.
C’est dans ce registre, dans cette gamme que se situe, dans le fantasme sadique, l’affect accentué et pour autant qu’il est attaché à l’autre, au partenaire, à celui qui est en face, dans l’occasion a.
En fin de compte où est-il ce sujet qui dans cette occasion, est en proie à quelque chose qui lui manque justement pour savoir où il est ? Il serait facile de dire qu’il est entre les deux. J’irai plus loin, je dirai qu’en fin de compte le sujet l’est tellement, vraiment entre les deux, que s’il y a quelque chose ici à quoi il soit identique, ou qu’il illustre d’une façon exemplaire, c’est le rôle de ce avec quoi on frappe, c’est le rôle de l’instrument. C’est à l’instrument qu’il est ici en fin de compte identique, puisque l’instrument ici nous révèle – et toujours à notre stupeur, et toujours a la plus grande raison de nous étonner, sauf à ce que nous ne voulions pas voir – qu’il intervient très fréquemment comme le personnage essentiel dans ce que nous essayons d’articuler de la structure imaginaire du désir.
Et c’est bien là ce qui est le plus paradoxal, le plus avertissant pour nous. C’est qu’en somme c’est sous ce signifiant, ici tout à fait dévoilé dans sa nature de signifiant, que le sujet vient à s’abolir en tant qu’il se saisit en cette occasion dans son être essentiel, s’il est vrai qu’avec Spinoza nous puissions dire que cet être essentiel, c’est son désir.
Et en effet, c’est à ce même carrefour que nous sommes amenés chaque fois que se pose pour nous la problématique sexuelle. Si le point de pivot d’où nous somme partis il y a deux ans, qui était justement celui de la phase phallique chez la femme, est constitué par ce point de relais où Jones revient toujours au cours de sa discussion, pour en repartir, pour l’élaborer, pour vraiment le […], le texte de Jones sur ce sujet a la valeur d’une élaboration analytique: le point central c’est ce rapport de la haine de la mère avec le désir du phallus, c’est de là que Freud est parti. C’est autour de cela qu’il fait partir le caractère vraiment fondamental, génétique, de l’exigence phallique, au débouché de l’œdipe chez le garçon, dans l’entrée de l’œdipe pour la femme. C’est ce point de connexion: haine de la mère, désir du phallus, ce qui est le sens propre de ce Penisneid.
Or Jones, à juste titre, souligne les ambiguïtés qui sont rencontrées chaque fois que nous nous en servons. Or, si c’est le désir d’avoir un pénis à l’égard d’un autre, (c’est-à-dire une rivalité) il faut quand même qu’il se présente sous un aspect ambigu qui nous montre bien que c’est au-delà qu’on doit chercher son sens. Le désir du phallus, cela veut dire désir médiatisé par le médiatisant-phallus, rôle essentiel que joue le phallus dans la matérialisation [médiatisation] du désir.
Ceci nous amène à poser-pour introduire ce que nous aurons à développer ultérieurement dans notre analyse de la construction du fantasme, à ce carrefour qui est celui-ci – que le problème en fin de compte est de savoir comment va pouvoir être soutenu ce rapport du signifiant phallus dans l’expérience imaginaire qui est la sienne, pour autant qu’elle est profondément structurée par les formes narcissiques qui règlent ses relations avec son semblable comme tel. C’est entre $, sujet parlant, et a, c’est à savoir à cet autre que le sujet parle en lui-même. a c’est donc à cela que nous l’avons identifié aujourd’hui. C’est l’autre imaginaire, c’est ce que le sujet a en lui-même comme “pulsion”, au sens où le mot pulsion est mis entre guillemets, où ce n’est pas la pulsion encore élaborée, prise dans la dialectique signifiante, où c’est la pulsion dans son caractère pri-mitif où la pulsion représente telle ou telle manifestation du besoin chez le sujet.
Image de l’autre, à savoir ce dans quoi – par l’intermédiaire de la réflexion spéculaire du sujet à situer ses besoins – est à l’horizon quelque chose d’autre, à savoir ce que j’ai d’abord appelé la première identification à l’autre, au sens radical, l’identification aux insignes de l’autre, à savoir signifiant grand I sur a.
Je vais donner un schéma que reconnaîtrons ceux qui ont suivi la première année de mon séminaire: nous avons parlé du narcissisme. J’ai donné le schéma du miroir parabolique grâce auquel on peut faire apparaître sur un plateau, dans un vase, l’image d’une fleur cachée, soit éclairée par en dessous, soit du plateau et qui, grâce à la propriété des rayons sphériques, vient se projeter, se profiler ici en image réelle -je veux dire produire un instant l’illusion qu’il y a dans le vase précisément cette fleur.
Cela peut paraître mystérieux de voir qu’on peut imaginer qu’il faut avoir ici un petit écran pour accueillir cette image dans l’espace; il n’en est rien. J’ai fait remarquer que cette illusion, à savoir la vue du dressage dans l’air de cette image réelle, ne s’aperçoit que d’un certain champ de l’espace, qui est précisément déterminé par le diamètre du miroir sphérique, repéré par rapport au centre du miroir sphérique. C’est-à-dire que si le miroir est étroit, il faudra bien entendu se mettre dans un champ où les rayons qui sont réfléchis du miroir viennent recroiser son centre, et par conséquent dans un certain épanouissement d’une zone dans l’espace, pour voir l’image.
L’astuce de ma petite explication, dans le temps, était celle-ci: si quelqu’un veut voir cette image se produire, fantasmatique, à l’intérieur du pot – ou un peu de côté, qu’importe -, la voir se produire quelque part dans l’espace où il y a déjà un objet réel, et si cet observateur se trouve là, il pourra se servir du miroir [plan]. S’il est dans une position symétrique par rapport au miroir, la position virtuelle de celui qui est devant le miroir sera, dans cette inclinaison-là du miroir, de venir se situer à l’intérieur du cône de visibilité de l’image qui est à se produire ici.
Cela veut dire qu’il verra l’image de la fleur justement dans ce miroir [plan], au point symétrique. En d’autres termes ce qui se produit, si le rayon lumineux qui se réfléchit vers l’observateur est strictement symétrique de la réflexion visuelle, – de ce qui se passe de l’autre côté – c’est parce que le sujet virtuellement aura pris la place de ce qui est de l’autre côté du miroir [plan], qu’il verra dans ce miroir [plan] le vase – ce à quoi on peut s’attendre puisqu’il est là – et d’autre part l’image réelle, telle qu’elle se produit à la place où il ne peut pas la voir.
Le rapport, l’inter-jeu entre les différents éléments imaginaires et les éléments d’identification symbolique du sujet peuvent être d’une certaine façon imagés dans cet appareil optique, d’une façon que je ne crois pas non-traditionnelle puisque Freud l’a formulé quelque part dans sa Traumdeutung. Il donne quelque part le schéma des lentilles successives dans lesquelles se réfracte le passage progressif de l’inconscient au préconscient qu’il cherchait dans des références analogues – optiques, dit-il précisément.
Elles représentent effectivement ce quelque chose qui, dans le fantasme, essaye de rejoindre sa place dans le symbolique. Ceci par conséquent fait de $ autre chose qu’un œil, ce n’est qu’une métaphore. S’il désigne qu’il veut rejoindre sa place dans le symbolique, c’est d’une façon spéculaire, à savoir par rapport à l’Autre qui, ici, est le grand A. Ce miroir n’est qu’un miroir symbolique, il ne s’agit pas du miroir devant lequel le petit enfant s’agite.
Cela veut dire que dans une certaine réflexion qui est faite avec l’aide des mots dans le premier apprentissage du langage, le sujet apprend à régler quelque part, à la bonne distance, les insignes où il s’identifie, à savoir quelque chose qui donne de l’autre côté, qui lui correspond dans ces premières identifications du moi. Et c’est à l’intérieur de ça – pour autant qu’il y a déjà quelque chose à la fois de préformé, d’ouvert au morcellement, mais qui n’entre que dans ce jeu de morcellement pour autant que le symbolique existe et lui en ouvre le champ – c’est à l’intérieur de cela que va se produire cette relation imaginaire dans laquelle e sujet se trouvera pris, et qui, je l’indique, fait que dans a relation érotique à l’autre, si achevée, si poussée qu’on la suppose, il y aura toujours une point de réduction que vous pouvez saisir comme des extrapolations de l’épure érotique entre les sujets. C’est qu’il y a transformation de ce rapport premier de a à a’, i (a), de ce rapport foncièrement spéculaire qui règle les rapports du sujet avec l’autre. Il y a transformation de cela, et une répartition entre d’une part, l’ensemble des éléments morcellaires du corps, et ce à quoi nous avons affaire pour autant que nous sommes la marionnette, et pour autant que notre partenaire l’est, la marionnette. Mais la marionnette il ne lui manque qu’une chose-Je phallus. Le phallus est occupé ai leurs, à la fonction signifiante. C’est pourquoi ï1 y a toujours, je ne dis pas au sein des […… ] qui s’opposent toujours, mais qui peuvent être retrouvés à n’importe quel moment de la […… ] interprétative de la situation.
Le sujet, en tant qu’il s’identifie au phallus en face de l’autre se morcelle en tant que lui-même, en présence de quelque chose qui est le phallus. Et pour mettre les points sur les i je dirai qu’entre l’homme et la femme, je vous prie de vous arrêter à ceci que dans le rapport, fut-il le plus amoureux entre un homme et une femme, pour autant même que le désir prend […… ], le désir se trouve au-delà de la relation amoureuse de la part de l’homme. J’entends pour autant que la femme symbolise le phallus, que l’homme y retrouve le complément de son être; c’est la forme, si je puis dire, idéale.
C’est justement dans la mesure où l’homme, dans l’amour, est véritablement aliéné à ce phallus, objet de son désir qui réduit pourtant dans l’acte érotique la femme à être un objet imaginaire, que cette forme du désir sera réalisée. Et c’est bien pour cela qu’est maintenue, au sein même de la relation amoureuse la plus profonde, la plus intime, cette duplicité de l’objet sur laquelle j’ai tant de fois insisté à propos de la fameuse relation génitale. Je reviens à l’idée que justement si la relation amoureuse est ici achevée, c’est pour autant que l’autre donnera ce qu’il n’a pas, et qui est la définition même de l’amour.
De l’autre côté le rapport de la femme à l’homme, que chacun se plait à croire beaucoup plus monogamique, est quelque chose qui ne présente pas moins la même ambiguïté, à ceci près que ce que la femme trouve dans l’homme, c’est le phallus réel, et donc son désir y trouve, comme toujours, sa satisfaction. Effectivement elle se trouve en posture d’y voir une relation de jouissance satisfaisante.
Mais justement c’est dans la mesure où la satisfaction du désir se produit sur le plan réel que ce que la femme effectivement aime, et non pas désire, c’est cet être qui, lui, est au-delà de la rencontre du désir et qui est justement l’autre, à savoir l’homme en tant qu’il est privé du phallus, en tant précisément que par sa nature d’être achevé, d’être parlant, il est châtré.