Le 5 janvier 1980
Lettre de dissolution
École Freudienne de Paris
Je parle sans le moindre espoir — de me faire entendre notamment. Je sais que je le fais — à y ajouter ce que cela comporte d’inconscient. C’est là mon avantage sur l’homme qui pense et ne s’aperçoit pas que d’abord il parle. Avantage que je ne dois qu’à mon expérience. Car dans l’intervalle de la parole qu’il méconnaît à ce qu’il croit faire pensée, l’homme s’embrouille, ce qui ne l’encourage pas. De sorte que l’homme pense débile, d’autant plus débile qu’il enrage… justement de s’embrouiller. Il y a un problème de l’école. Ce n’est pas une énigme. Aussi, je m’y oriente, point trop tôt. Ce problème se démontre tel, d’avoir une solution : c’est la dis – la dissolution.
À entendre comme de l’Association qui, à cette école, donne statut juridique. Qu’il suffise d’un qui s’en aille pour que tous soient libres, c’est, dans mon nœud borroméen, vrai de chacun, il faut que ce soit moi dans mon École.
Je m’y résous pour ce qu’elle fonctionnerait. Si je ne me mettais en travers, à rebours de ce pour quoi je l’ai fondée. Soit pour un travail, je l’ai dit — qui, dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité — qui ramène la praxis originale qu’il a intitulée sous le nom de psychanalyse dans le devoir qui lui revient en notre monde — qui, par une critique assidue, y dénonce les déviations et les compromissions qui amortissent son progrès en dégradant son emploi. Objectif que je maintiens. C’est pourquoi je dissous. Et ne me plains pas desdits “membres de l’École freudienne” — plutôt les remercié-je, pour avoir été par eux enseigné, d’où moi, j’ai échoué — c’est-à-dire me suis embrouillé. Cet enseignement m’est précieux. Je le mets à profit.
Autrement dit, je persévère.
Et appelle à s’associer derechef ceux qui, ce janvier 1980, veulent poursuivre avec Lacan.
Que l’écrit d’une candidature les fasse aussitôt connaître de moi. Dans les 10 jours, pour couper court à la débilité ambiante, je publierai les adhésions premières que j’aurai agréées, comme engagement de critique assidue de ce qu’en matière de “déviations et compromissions” I’EFP a nourri.
Démontrant en acte que ce n’est pas de leur fait que mon École serait Institution, effet de groupe consolidé, aux dépens de l’effet de discours attendu de l’expérience, quand elle est freudienne. On sait ce qu’il en a coûté, que Freud ait permis que le groupe psychanalytique l’emporte sur le discours, devienne Église.
L’internationale, puisque c’est son nom, se réduit au symptôme qu’elle est de ce que Freud en attendait. Mais ce n’est pas elle qui fait poids. C’est D’Église, la vraie, qui soutient le marxisme de ce qu’il lui redonne sang nouveau… d’un sens renouvelé. Pourquoi pas la psychanalyse, quand elle vire au sens ? Je ne dis pas ça pour un vain persiflage. La stabilité de la religion vient de ce que le sens est toujours religieux. D’où mon obstination dans ma voie de mathèmes — qui n’empêche rien, mais témoigne de ce qu’il faudrait pour, l’analyste, le mettre au pas de sa fonction.
Si je père-sévère, c’est que l’expérience faite appelle contre-expérience qui compense.
Je n’ai pas besoin de beaucoup de monde. Et il y a du monde dont je n’ai pas besoin.
Je les laisse en plan afin qu’ils me montrent ce qu’ils savent faire, hormis m’encombrer, et tourner en eau un enseignement où tout est pesé. Ceux que j’admettrai avec moi feront-ils mieux ? Au moins pourront-ils se prévaloir de ce que je leur en laisse la chance.
Le Directoire de I’EFP, tel que je l’ai composé, expédiera ce qui se trame d’affaires dites courantes, jusqu’à ce qu’une Assemblée extraordinaire, d’être la dernière, convoquée en temps voulu conformément à la loi, procède à la dévolution de ses biens, qu’auront estimés les trésoriers, René BaiIly et Solange Faladé.
Guitrancourt, ce 5 janvier 1980