LETTRES
Lettre pour la Cause freudienne 23 octobre 1980
Il y a du refoulé. Toujours. C’est irréductible. Élaborer l’inconscient, comme il se fait dans l’analyse, n’est rien qu’y produire ce trou. Freud lui-même, je le rappelle, en fait état. Cela me paraît confluer pertinemment à la mort. À la mort que j’en identifie de ce que, comme le soleil dit l’autre, elle ne se peut regarder en face. Aussi, pas plus que quiconque, je ne la regarde. Je fais ce que j’ai à faire, qui est de faire face au fait, frayé par Freud, de l’inconscient. Là-dedans, je suis seul.
Puis, il y a le groupe. J’entends que “La Cause” tienne le coup.
– Le cartel fonctionne. Il suffit de n’y pas faire obstacle, sauf à vectorialiser, ce dont je donne la formule, et permuter.
– Un Directoire gère. Ses responsables, en place pour deux ans — après quoi, changent — Des commissions les assistent, pour deux ans aussi.
– Une Assemblée annuelle, dite administrative, a à connaître de la marche des choses ; instance, elle, permanente.
– Tous les deux ans, un Congrès, où tous sont conviés.
– Un Conseil enfin, dit statutaire, est garant de ce que j’institue.
La Cause aura son École. D’où procédera l’ÂME, de la Cause freudienne maintenant. La passe produira l’AE nouveau — toujours nouveau de l’être pour le temps de témoigner dans l’École, soit trois ans. Car mieux vaut qu’il passe, cet AE, avant que d’aller droit s’encastrer dans la caste.
Première lettre du forum
26 janvier 1981
Jacques Lacan
Voilà un mois que j’ai coupé avec tout — ma pratique exceptée. J’ai peu envie d’agiter ce que je ressens. Soit une sorte de honte. Celle d’un patatras : alors on en vit un, qu’il avait vraiment privilégié vingt ans et plus, se lever et lancer une poignée de sciure dans les yeux du vieux bonhomme qui… etc.
L’expérience a son prix, car ça ne s’imagine pas à l’avance.
Cette obscénité a eu raison de la Cause. Il serait bien qu’un rideau fût tiré là-dessus.
Ceci est l’École de mes Élèves, ceux qui m’aiment encore.
J’en ouvre aussitôt les portes. Je dis : aux Mille.
Cela vaut d’être risqué. C’est la seule sortie possible — et décente.
Un forum (de l’École) sera par moi convoqué, où tout sera à débattre — ce, sans moi. J’en apprécierai le produit.
Pour avoir éprouvé ce qu’il me reste de ressources physiques, je m’en remets pour sa préparation à Robert Lefort, Paul Lemoine, Pierre Martin, Jacques-Alain Miller, Colette Soler, que j’appelle à mes côtés comme conseils (1).
1. Trois autres conseils nommés par Jacques Lacan démissionnèrent avant la tenue du forum.
Seconde lettre du forum
11 mars 1981
Mon fort est de savoir ce qu’attendre signifie.
J’en obtiens qu’en somme, on m’exécute au nom du nom qui m’est propre. Comme il se doit, pour sauver l’assiette professionnelle acquise de ma formation — à l’y réduire.
Obnubilation de responsables (1), à mettre au compte du statut de suffisance dont je n’ai su les préserver.
Ils portent ailleurs leurs impasses. Reste l’école que j’ai adoptée pour mienne.
Neuve et mouvante encore, c’est ici que s’éprouvera le noyau dont il se peut que mon enseignement subsiste.
On fera bien maintenant de se compter pour cette tâche.
Avis étant pris de mes conseils, je convoque pour les 28 et 29 de ce mois, mon premier forum (2).
(1) D’anciens responsables de l’EFP avaient annoncé la création d’un “Centre d’études”
(2) les Actes de ce forum ont été publiés par l’École de la Cause freudienne.