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Recherches Lacan

LXXVII Dissolution 1979 – 1980 10 juin 1980

10 juin 1980

LE MALENTENDU

Je n’ai pas voulu vous quitter sans remettre ça — encore une fois.
Ce n’est pas seulement que je me suis dit que je vous devais bien un au revoir, pour m’avoir cette année assisté, d’assister à ce séminaire où je ne vous ai pas ménagés.
Il y a encore une raison autre à cet au revoir : c’est que je m’en vais comme ça, au Venezuela.

Ces Latino-Américains, comme on dit, qui ne m’ont jamais vu, à la différence de ceux qui sont ici, ni entendu de voix vive, eh bien, ça ne les empêche pas d’être lacano.
Il semble que ça les y aide plutôt. Je me suis transmis là-bas par l’écrit, et il paraît que j’y ai fait souche. En tout cas, le croient-ils.
Il est sûr que c’est l’avenir. Et c’est en quoi, d’y aller voir, m’intéresse.
Il m’intéresse de voir ce qui se passe quand ma personne n’écrante pas ce que j’enseigne. Peut-être bien que mon mathème y gagne.
Rien ne dit que si ça me plaît, je n’y resterai pas, au Venezuela. Vous voyez pourquoi je voulais vous dire au revoir.
Vous n’avez pas idée du nombre de gens que ça embête, que je me pointe là-bas, et que j’y ai convoqué mes lacano-américains. Ça embête ceux qui s’étaient si bien occupés à me représenter qu’il suffit que je me présente pour qu’ils en perdent les pédales.
Je vais donc m’instruire là-bas, mais évidemment je vais revenir.
Je vais revenir parce que ma pratique est ici — et ce séminaire, qui n’est pas de ma pratique, mais qui la complémente.
Ce séminaire, je le tiens moins qu’il ne me tient.
Est-ce par l’habitude qu’il me tient ? Sûrement pas, puisque c’est par le malentendu. Et il n’est pas près de finir, précisément parce que je ne m’y habitue pas, à ce malentendu. Je suis un traumatisé du malentendu. Comme je ne m’y fais pas, je me fatigue à le dissoudre. Et du coup, je le nourris. C’est ce qui s’appelle le séminaire perpétuel.
Je ne dis pas que le verbe soit créateur. je dis tout autre chose parce que ma pratique le comporte : je dis que le verbe est inconscient — soit malentendu.
Si vous croyez que tout puisse s’en révéler, eh bien, vous vous mettez dedans tout ne peut pas. Cela veut dire qu’une part ne s’en révélera jamais.
C’est précisément ce dont la religion se targue. Et c’est ce qui donne son rempart à la Révélation dont elle se prévaut pour l’exploiter.
Quant à la psychanalyse, son exploit, c’est d’exploiter le malentendu. Avec, au terme, une révélation qui est de fantasme.
C’est ce que vous a refilé Freud. Quel filon, il faut le dire. Tous autant que vous êtes, qu’êtes-vous d’autre que des malentendus ? Le nommé Otto Rank en a approché en parlant du traumatisme de la naissance. De traumatisme, il n’y en a pas d’autre : l’homme naît malentendu.

Puisqu’on m’interroge sur ce qu’on appelle le statut du corps, j’y viens, pour souligner qu’il ne s’attrape que de là. Le corps ne fait apparition dans le réel que comme malentendu.
Soyons ici radicaux : votre corps est le fruit d’une lignée dont une bonne part de vos malheurs tient à ce que déjà elle nageait dans le malentendu tant qu’elle pouvait. Elle nageait pour la simple raison qu’elle parlêtrait à qui mieux mieux. C’est ce qu’elle vous a transmis en vous “donnant la vie”, comme on dit. C’est de ça que vous héritez. Et c’est ce qui explique votre malaise dans votre peau, quand c’est le cas.
Le malentendu est déjà d’avant. Pour autant que dès avant ce beau legs, vous faites partie, ou plutôt vous faites part du bafouillage de vos ascendants.
Pas besoin que vous bafouilliez vous-même. Dès avant, ce qui vous soutient au titre de l’inconscient, soit du malentendu, s’enracine là.
Il n’y a pas d’autre traumatisme de la naissance que de naître comme désiré. Désiré, ou pas — c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre.
Le parlêtre en question se répartit en général en deux parlants. Deux parlants qui ne parlent pas la même langue. Deux qui ne s’entendent pas parler. Deux qui ne s’entendent pas tout court. Deux qui se conjurent pour la reproduction, mais d’un malentendu accompli, véhiculera avec la dite reproduction.
J’admets que le langage puisse servir à une communication sensée. Je ne dis pas que ce soit le cas de ce séminaire. Pour la bonne raison que la communication sensée, c’est le dialogue, et que côté dialogue, je ne suis pas gâté.
J’ajoute que je ne tiens pas la communication scientifique pour un dialogue, puisque non-sensée, ce qui est à son avantage.
Le dialogue est rare. Pour ce qui est de la production d’un corps nouveau de parlant, il est si rare qu’il est absent de fait. Il ne l’est pas de principe, mais le principe ne s’inscrit que dans la symbolique.
C’est le cas du principe dit de la famille, par exemple.
Sans, doute ceci a-t-il été pressenti de toujours. Assez pour que l’inconscient ait été tenu pour le savoir de Dieu.
Ce qui néanmoins distingue le savoir dit inconscient du savoir de Dieu, c’est que celui-ci était sensé celui de notre bien.
C’est ce qui n’est pas soutenable. D’où la question que j’ai posée, Dieu croit-il en Dieu ?
Comme d’habitude quand je pose une question, c’est une question – réponse.

Voilà.
On m’a fait remarquer que le séminaire de cette année n’était pas intitulé. C’est vrai. Vous allez tout de suite voir pourquoi. Le titre est : Dissolution
Évidemment, je ne pouvais pas vous le dire en novembre, parce que mon effet aurait été manqué. On peut dire que c’est un signifiant qui vous a accrochés. J’ai tellement bien réussi à vous y intéresser, qu’il n’y en a plus que pour ça.
Quelqu’un me fait des remontrances parce que j’en fais pas assez à son gré. Il en a le loisir parce qu’il ne vient pas chez moi. C’est le contraire : il a la bonté de m’accueillir chez lui quand je ne suis pas ailleurs.
Alors, forcément, je l’écoute. Il souhaite un rythme plus soutenu, et j’en suis bien d’accord. C’est à quoi je veillerai après l’été.
La Cause freudienne commence à exister toute seule, du fait qu’on s’en réclame, ce qui veut dire qu’on s’en fait déjà une réclame. Il suffit maintenant de quoi ? — d’un courrier, d’un petit bulletin, qui fasse liaison. Éric Laurent voudra bien s’atteler à ce que ça existe, et à ce que les nouveaux cartels, qui foisonnent, se fassent connaître.

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