samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIII LES PSYCHOSES 1955 – 1956 Leçon du 14 mars 1956

Leçon du 14 mars 1956

 

Nous allons reprendre notre propos un petit peu en arrière. Je vous rappelle que nous en sommes arrivés au point où, par l’analyse au sens courant du mot du texte de Schreber nous avons mis de plus en plus fortement l’accent sur l’importance des phénomènes de langage dans l’écono­mie de la psychose. C’est dans ce sens qu’on peut parler de structures freudiennes des psychoses.

Mais la question présente est: quelle fonction ont, dans les psychoses, ces phénomènes de langage qui y apparaissent si fréquemment ?

Il serait bien surprenant que – si vraiment l’analyse est ce que nous disons ici, à savoir si étroitement liée aux phéno­mènes du langage en général, et à l’acte de la parole – il serait très surprenant qu’elle ne nous apporte pas une façon d’apercevoir l’économie du langage dans la psychose d’une façon qui ne soit pas absolument la même que celle dont on le comprenait dans l’abord classique, celui qui ne pouvait faire mieux que de se référer à des théories psychologiques classiques, le langage et ses différents niveaux.

Nous sommes arrivés à quelque chose qui pour se référer à notre schéma fondamental de la communication analy­tique, qui se révèle au sujet S qui est en même temps ce S où le 1 doit devenir S à l’autre, qui est ce qu’essentiellement la parole du sujet doit atteindre, puisqu’il est aussi ce dans quoi ce message doit lui venir, puisque c’est bien la réponse de l’autre qui est essentielle à la parole* , à la fonction fonda­trice de la parole: entre S et A, la parole fondamentale que doit révéler l’analyse, nous avons le détour où la dérivation où le circuit imaginaire, qui vient résister au passage de cette parole, sous la forme de ce passage par ce a et ce a’ qui sont les pôles imaginaires du sujet, ce qui est suffisamment indi­qué par la relation dite spéculaire, celle du stade du miroir, ce par quoi le sujet dans sa corporéité, dans sa multiplicité, dans son morcellement naturel, qui est en a’, qui est l’orga­nisme et qui se réfère à cette unité imaginaire qui est le moi, c’est-à-dire ce a, où il se connaît, où il se méconnaît aussi, et qui est ce dont il parle… il ne sait pas à qui, puisqu’il ne sait pas non plus qui parle en lui, qui est donc ce dont il est parlé en a’, quand le sujet commence l’analyse comme je le disais schématiquement dans les temps archaïques des séminaires, le sujet commence par parler de lui** quand il aura parlé de lui, qui aura sensiblement changé dans l’intervalle, à vous, nous serons arrivés à la fin de l’analyse.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Je n’ai pas ici à m’étendre sur ce sujet, Cela veut dire que l’absence de l’analyste en tant que moi *** – car l’analyste si nous le plaçons maintenant dans ce schéma, qui est le schéma de la parole du sujet, nous pouvons dire qu’ici l’analyste est quelque part en A, et que la position étant strictement inversée, nous avons ici le a’. là où l’analyste pourrait parler, pourrait répondre au sujet, s’il entre dans son jeu, s’il entre dans le couplage de la résistance, s’il fait justement ce qu’on lui apprend à ne pas faire, ce qu’on essaie tout au moins de lui apprendre à ne pas faire. C’est là donc lui qui sera en a’. C’est ici, c’est-à-dire dans le sujet, qu’il se verra de la façon la plus naturelle, c’est à savoir, s’il n’est pas analysé, cela arrive de temps en temps, je dirai même que d’un certain côté l’analyste n’est jamais complè­tement analyste, pour la simple raison qu’il est homme, c’est-à-dire qu’il partage lui aussi aux mécanismes imagi­naires qui font obstacle au passage de la parole du sujet: très précisément, en tant qu’il saura ne pas s’identifier au sujet, ne pas entrer dans la capture imaginaire, c’est-à-dire ici être assez mort pour ne pas être pris dans cette relation imagi­naire, que là il saura, à l’endroit où sa parole est toujours sol­licitée d’intervenir, ne pas intervenir, assez pour ne pas permettre cette progressive migration de l’image du sujet en S, vers ce quelque chose qui est le S, la chose à révéler, la chose aussi qui n’a pas de nom, qui ne peut trouver son nom, justement pour autant que le circuit de la migration s’ache­vant directement de S vers A, c’est ce qui était sous le discours du sujet, c’est ce que le sujet avait à dire à travers son faux discours, qui finira par s’achever et trouver ici un passage, d’autant plus facilement que l’économie aura été progressi­vement amenuisée de cette relation imaginaire.

je vais vite je ne suis pas ici pour refaire toute la théorie du dialogue analytique, mais simplement pour vous indiquer que le mot, que cette « parole » – avec l’accent que comporte la notion du mot comme solution d’une énigme, comme solution d’un problème, comme fonction problématique – se situe là, dans l’Autre. C’est toujours par l’intermédiaire de l’Autre que se réalise toute parole pleine, toujours dans le « tu es » que le sujet se situe et se reconnaît lui-même.

La notion à laquelle nous sommes arrivés en analysant la structure du délire de Schreber, au moment où il s’est consti­tué, je veux dire au moment où à la fois le système corréla­tif qui lie le moi à cet autre imaginaire, à cet étrange Dieu auquel Schreber a affaire, ce Dieu qui ne comprend rien, qui le méconnaît, qui ne répond pas, qui est ambigu, qui le trompe, système donc où s’est achevé son délire corrélative­ment à une sorte de précipitation, de localisation, je dirai, très précisément des phénomènes hallucinatoires, nous a fait aboutir, tout au moins voisiner avec la notion qu’il y a quelque chose qu’on peut, dans la psychose, reconnaître et qualifier comme une exclusion de cet Autre au sens où l’être s’y réalise dans cet aveu de la parole, que les phénomènes dont il s’agit dans l’hallucination verbale, ces phénomènes qui, dans leur structure même, manifestent la relation d’écho intérieur où le sujet est par rapport à son propre dis­cours, ces phénomènes hallucinatoires qui arrivent à deve­nir de plus en plus, comme s’exprime le sujet, « insensés », comme on dit, purement verbaux, vidés de sens, faits de seringages divers, de ritournelles sans objet; ils nous donnent le sentiment que la structure qui est à rechercher est précisé­ment dirigée vers ceci: qu’est-ce que c’est que ce rapport spécial à la parole ? Qu’est-ce qui manque pour que le sujet, puisse en quelque sorte arriver à être nécessité dans la construction de tout ce monde imaginaire, en même temps que de l’intérieur de lui-même il subit une sorte d’automa­tisme, à proprement parler, de la fonction du discours qui devient pour lui non seulement quelque chose d’envahis­sant, de parasitaire, mais quelque chose dont la présence devient en quelque sorte pour lui ce à quoi il est suspendu ?

C’est là que nous en sommes arrivés. Et le dois dire qu’ici, pour faire un pas de plus, nous devons, comme il arrive sou­vent, faire d’abord un pas en arrière; que le sujet, en somme, ne puisse dans la psychose se reconstituer que dans ce que j’ai appelé l’allusion imaginaire, ceci à propos d’autres phé­nomènes que je vous ai montrés « in vivo » dans une pré­sentation de malade. C’est le point précis où nous en arrivons. Et c’est de la relation, de cette constitution du sujet dans la pure et simple allusion imaginaire, celle qui ne peut jamais aboutir, qu’est le problème, c’est-à-dire le pas que nous devons faire pour essayer de le faire avancer. Jusqu’à présent on s’en est contenté. L’allusion imaginaire paraissait très significative, on y retrouvait tout le matériel, tous les éléments de l’inconscient. On ne semble s’être jamais à pro­prement parler demandé ce que signifiait, au point de vue économique, le fait que cette allusion en elle-même n’eut aucun pouvoir résolutif, et comme tout de même on y a insisté, mais en y mettant comme une espèce de mystère, et je dirai presque, avec le progrès du temps, en s’efforçant d’effacer les différences radicales qu’il y a dans cette struc­ture par rapport à la structure des névroses. À Strasbourg, on m’a posé les mêmes questions qu’à Vienne. Des gens qui paraissaient assez sensibles à certaines perspectives que j’avais abordées, finissaient par me dire « Comment opérez-vous dans les psychoses ? » [comme s’il n’y avait pas assez à faire quand on a affaire à des auditoires aussi peu préparés que ceux-là, et de mettre l’accent sur le b­a-ba de la technique]. Et je répondais

« La question est un petit peu en train. Il faudra essayer de trouver quelques repères essentiels, avant de parler de la technique, voire de la recette psychothérapique. »

On insistait encore :

« On ne peut quand même pas ne pas faire quelque chose pour eux !

– Mais oui. Mais attendons pour en parler que certaines choses soient dégagées. »

Avant de faire ce pas, je voudrais tout de même – puisqu’en quelque sorte le caractère fascinant de ces phéno­mènes de langage dans la psychose est quelque chose qui peut renforcer ce que j’ai appelé tout à l’heure un malentendu – je voudrais y revenir; et même d’une façon assez insistante, pour que je puisse espérer qu’après cela quelque chose sera, pour moi et pour ceux qui m’entendent aujour­d’hui, sur ce point définitivement mis au point.

Je vais faire parler quelqu’un. Bien souvent je suis censé dire que j’entends situer et même reconnaître dans son discours, il articule verbalement, tout ce que le sujet a à nous communiquer sur le plan de l’analyse.

 

 Bien entendu, la position extrême ne manque pas d’entraîner chez ceux qui s’y arrêtent des abjurations assez vives, qui se produisent dans deux attitudes: celle de la main sur le cœur, et, par rapport à ce que nous appellerons l’attestation authentique d’un déplacement vers le haut, l’autre attitude c’est l’inclinaison de la tête qui est censée venir peser dans le plateau de la balance que je déchargerai trop au gré de mon interpellateur.

D’une façon générale, on me fait confiance. Il y a ce: « heu­reusement vous n’êtes pas tout seul dans la Société de psy­chanalyse. Et il existe d’ailleurs une femme de génie Françoise Dolto, qui nous montre dans ses séminaires la fonction tout à fait essentielle de l’image du corps, de la façon dont le sujet y prend appui dans ses relations avec le monde. Nous retrouvons là cette relation substantielle sur laquelle, sans doute, se broche la relation du langage mais qui est infiniment plus concrète, plus sensible. »

je ne suis pas du tout en train de faire la critique de ce qu’enseigne Françoise Dolto, car très précisément, en tant qu’elle fait usage de sa technique, de cette extraordinaire appréhension, de cette sensibilité imaginaire du sujet, elle en fait très exactement, quoique sur un terrain différent et dans des conditions différentes, au moins quand elle s’adresse aux enfants, exactement le même usage. C’est-à-dire que de tout cela elle parle, autrement dit qu’elle apprend aussi à ceux qui l’écoutent à en parler.

Mais ceci ne peut pas simplement résoudre la question que de faire cette remarque. Cela laisse encore quelque chose d’obscur. Et c’est bien là ce que je voudrais vous faire entendre. Il est clair que, je ne suis pas non plus surpris – j’ai encore à y revenir – si je disais que quelque chose persiste d’un malentendu à dissiper même chez des gens qui croient me suivre. je ne m’exprimerai pas de la façon qui convient. Dire cela voudrait dire que puisque je […] de la croyance de ceux qui me suivent, j’exprime là une espèce de déception. Ce serait tout de même être en désaccord avec moi-même que d’éprouver, si peu que ce soit, une déception semblable, si comme c’est strictement au fond de la notion que je vous enseigne du discours, je me mettrais tout d’un coup à méconnaître le mien, que le fondement même du discours interhumain est le malentendu. je ne vois donc pas pourquoi je serais moi-même surpris. Mais ce n’est pas seulement pour cela que je n’en suis pas surpris qu’il puisse susciter une certaine marge de malentendu. C’est qu’en plus si quand même on doit être cohérent avec ses propres notions dans sa pratique, si tout espèce de discours valable doit justement être jugé sur les propres principes qu’il produit, je dirai que c’est avec une intention expresse, sinon absolument délibé­rée, que d’une certaine façon je poursuis ce discours, d’une façon telle que je vous offre l’occasion de ne pas tout à fait le comprendre: grâce à cette marge tout au moins, il restera toujours la possibilité que vous-même vous disiez que vous croyez me suivre, c’est-à-dire que vous restiez dans une position par rapport à ce discours problématique qui laisse toujours la porte ouverte à une progressive rectification.

En d’autres termes, si je m’arrangeais de façon à être très facilement compris, c’est-à-dire à ce que vous ayez tout à fait la certitude que vous y êtes, en raison même des pré­mices concernant le discours interhumain, le malentendu serait irrémédiable, grâce à la façon dont je crois devoir approcher les problèmes. Il y a donc toujours pour vous la possibilité d’être ouverts à une révision de ce qui est dit d’une façon d’autant plus aisée que le fait que vous n’y avez pas été plutôt me revient entièrement, c’est-à-dire que vous pouvez vous en décharger sur moi. C’est bien à ce titre que je me permets de revenir aujourd’hui sur quelque chose qui est tout à fait essentiel et qui signifie très exactement ceci:

je ne dis pas que ce qui est communiqué dans la relation analytique passe par le discours du sujet. je n’ai donc abso­lument pas à distinguer dans le phénomène même de la com­munication analytique le domaine de la communication verbale de celui de la communication préverbale; que cette communication pré ou même extra-verbale soit en quelque sorte permanente dans l’analyse, ceci n’est absolument pas douteux. Il s’agit de voir ce qui dans l’analyse constitue le champ proprement analytique. C’est identique à ce qui constitue le phénomène analytique comme tel, à savoir le symptôme. Et un très grand nombre de phénomènes dits normaux ou subnormaux, qui n’ont pas été jusqu’à l’analyse élucidée quant à leur sens, ces phénomènes s’étendent bien au-delà du discours et de la parole, puisque ce sont des choses qui arrivent au sujet dans la vie quotidienne d’une façon extrêmement étendue, et qui étaient restées non seule­ment problématiques mais inattaquées. Puis les phénomènes de lapsus, troubles de la mémoire, les rêves, plus encore quelques autres que l’analyse a permis d’éclairer, en particulier le phénomène du mot d’esprit qui a une valeur si essentielle dans la découverte freudienne, parce qu’il fait vraiment sentir, il permet de toucher du doigt la cohérence parfaite qu’avait dans l’œuvre de Freud cette relation du phénomène analytique au langage.

Commençons par dire ce que le phénomène analytique n’est pas. Ce préverbal dont il s’agit est quelque chose sur lequel précisément l’analyse a apporté d’immenses lumières.

 En d’autres termes, pour la compréhension duquel, pour la reconnaissance duquel elle a apporté un instrument de choix. Il faut distinguer ce qui est éclairé par un instrument, par un appareil technique, et cet appareil technique lui-même. Il faut distinguer le sujet de l’objet, l’observateur de l’observé. Ce préverbal c’est quelque chose qui est essentiellement lié dans la doctrine analytique au préconscient. C’est cette somme des impressions internes et externes dont le sujet peut supposer, à partir des relations naturelles, et si tant est qu’il y ait des relations chez l’homme qui soient tout à fait naturelles, mais il y en a, si perverties soient-elles. Tout ce qui est de l’ordre de ce préverbal participe à ce que noms pou­vons appeler, si je peux dire, d’une Gestalt intramondaine. Les informations dans le sens large du terme que le sujet en reçoit, si particulières qu’elles soient, restent des informa­tions du monde où il vit. Là-dedans tout est possible: là il a fallu les […] et la poupée infantile qu’il a été et qu’il reste: il est l’objet excrémentiel, il est égout, il est ventouse. C’est l’analyse qui nous appelé à explorer ce monde imaginaire.

Tout ceci participe d’une espèce de poésie barbare que l’analyste n’a pas été du tout le premier à faire sentir et qui donne son charme à certaines oeuvres poétiques. Nous sommes là dans ce que j’appellerai le chatoiement innom­brable de la grande signification affective. Pour exprimer tout cela, les mots justement qui lui viennent en abondance, au sujet, sont là tous à sa disposition, et aussi parfaitement accessibles, aussi inépuisables dans leurs combinaisons que la nature à laquelle ils répondent. C’est ce monde de l’enfant dans lequel vous vous sentez tout à fait à l’aise, d’autant plus que vous avez été familiarisés avec tous ces fantasmes: le haut vaut le bas, l’envers vaut l’endroit, et la plus grande et universelle équivalence en est la loi. C’est même ce qui nous laisse assez incertains pour y fixer les structures.

En fin de compte, ce discours de la signification affective atteint d’emblée aux sources de la fabulation. Il y a un monde entre celui-là et le discours de la revendication pas­sionnelle, par exemple, pauvre à côté de lui qui déjà radote, mais c’est que là il y a déjà le heurt de la raison. Le travail de ce discours qui est en fin de compte que ce discours est beau­coup plus couramment atteint que même son apparence peut le faire soupçonner.

Mais, pour revenir à notre discours de la communication imaginaire en tant que justement, son support préverbal tout naturellement s’exprime en discours et plus et mieux qu’un autre, nous voyons aussi qu’à lui tout seul c’est le dis­cours le plus fin, de celui que rien ne canalise. Ici nous nous trouvons dans le domaine depuis toujours exploré, et par la déduction empirique, et par la déduction même a priori catégorielle, nous nous retrouvons dans un terrain absolu­ment familier. La source et le magasin de ce préconscient de ce que nous appelons imaginaire est même pas mal connu je dirai qu’il a été abordé assez heureusement déjà dans une tradition philosophique. On peut dire que les idées-schèmes de Kant sont quelque chose qui se situe à l’orée de ce domaine, tout au moins c’est là qu’il pourrait trouver ses plus brillantes lettres de créance. Quant à la pensée, il n’en reste pas moins que la théorie de l’image et de l’imagination sont dans la tradition classique d’une insuffisance surpre­nante. Et que c’est bien justement un des problèmes qui s’offrent à nous, de savoir pourquoi il a fallu attendre si long­temps pour même en ouvrir, avant même d’en structurer la phénoménologie. Nous savons bien en fin de compte ce domaine à proprement parler insondable, que si nous avons fait des progrès remarquables dans sa phénoménologie nous ne le maîtrisons pas encore et que le problème de l’image fondamentale n’est pas pour autant résolu parce que l’ana lyse a permis d’y mettre en ordre le problème de l’image dans sa valeur formatrice qui se confond avec les problèmes qui sont ceux des origines, voire même de l’essence de la vie, qui, si l’on peut espérer un jour aller plus loin, c’est certai­nement bien plutôt du côté des biologistes, des éthologistes *, de l’observation du comportement animal qu’il faut espérer des progrès, que l’inventaire analytique n’épuise absolu­ment pas la question de la fonction imaginaire, s’il permet d’en montrer certains traits d’économie essentielle.

Donc, ce monde préconscient en tant qu’il est le corrélatif du discours de la Bewusstsein en tant qu’il recèle tout ce monde intérieur, qui est là, accumulé, prêt à resurgir, prêt à sortir au jour de la conscience, à la disposition du sujet, sauf contre ordre, ce monde, je n’ai jamais dit qu’il avait en lui-même une structure de langage. je dis, parce que c’est l’évi­dence, qu’il s’y inscrit, qu’il s’y refond. Mais il garde toutes ses voies propres, ses communications. Ce n’est absolument pas là que l’analyse a apporté sa découverte essentielle, son appareil structural, ni même ce par quoi elle a permis de découvrir quelque chose dans ce monde. Il est évidemment très surprenant de voir dans l’analyse l’accent mis sur la rela­tion d’objet comme telle, la proposition au premier plan de la relation d’objet venir en somme à l’actif d’une prépondérance  [p.186,l. 23la relation imaginaire, …]          exclusive de ce monde de la relation imaginaire – et c’est là­-dessus que j’insiste – comme telle, masquer, mettre au second plan, faire rentrer dans l’ordre, effacer, élider, ce qui est à pro­prement parler le champ de la découverte analytique.

je reviendrai sur les responsabilités qu’il convient de rap­porter à chacun. Il est certain qu’il est très surprenant qu’un nommé Kris par exemple, marque bien dans le développe­ment de ce qu’il produit depuis quelque temps la progres­sive dominance de cette perspective en remettant au premier plan, ce qui a bien entendu tout son intérêt, l’accent essen­tiel dans l’économie des progrès de l’analyse sur ce qu’il appelle nommément – car il a lu Freud – les procès mentaux préconscients, en mettant l’accent sur le caractère fécond de la régression du moi, en remettant d’une façon tout entière sur le plan de l’imaginaire les voies d’accès à l’inconscient, ce qui est d’autant plus surprenant que si nous suivons Freud il est tout à fait clair qu’aucune exploration, si pro­fonde, si exhaustive qu’elle soit, du préconscient ne mènera absolument jamais à un phénomène inconscient comme tel. Qu’en d’autres termes cette espèce de mirage auquel une prévalence tout à fait démesurée de la psychologie de l’« ego » dans la nouvelle école américaine amène à peu près quelque chose comme ceci, comme si un mathématicien que nous supposons idéal, qui aura fait tout d’un coup la décou­verte des valeurs négatives, se mettait soudain à espérer en divisant indéfiniment une grandeur positive par deux, espé­rer au bout de cette opération franchir la ligne du zéro et entrer dans le domaine rêvé de ces grandeurs entr’aperçues. C’est une erreur d’autant plus surprenante, voire grossière, qu’il n’y a rien sur quoi Freud insiste plus que sur cette différence radicale de l’inconscient et du préconscient. Seulement, comme malgré tout on considère que tout cela c’est un grand fourre-tout et qu’il n’y a pas entre l’un et l’autre de différence structurale, encore que Freud y insiste d’une façon tellement claire que je m’étonne qu’on ne puisse pas y reconnaître très précisément ce que je vais vous dire maintenant. On s’imagine que quand même on a beau dire qu’il y a une barrière c’est comme quand on a mis dans un magasin à grains quelque chose qui sépare deux endroits, les rats finissent par y passer: en fin de compte l’imagination fondamentale qui semble régler actuellement la pratique analytique, c’est qu’il y a quelque chose qui doit communi­quer entre la névrose et la psychose, entre le préconscient et l’inconscient. Il s’agit de pousser dans un sens pour arriver à perforer la paroi.

C’est une idée dont la poursuite amène les auteurs eux-mêmes qui sont tant soit peu cohérents, à développer, dans des surajouts ou adjonctions théoriques qui sont tout à fait surprenantes, le retour de la sphère non conflictuelle, du moins comme on s’exprime, ce qui est une notion tout a fait exorbitante, pas simplement régressive, mais transgressive, On n’avait jamais entendu une chose pareille, même dans le domaine de la psychologie la plus néospiritualiste des facul­tés de l’âme, jamais personne n’avait songé à faire de la volonté quelque chose qui se situât dans une sorte d’empire non conflictuel. Ce n’est à rien moins que cela qu’amènent les théoriciens de cette nouvelle école de l’« ego », pour expli­quer comment, dans leur propre perspective, quelque chose peut encore rester l’instrument du progrès analytique.

En effet, si nous nous trouvons pris entre une notion du moi qui devient le cadre prévalent des phénomènes, c’est le cadre essentiel lui-même où il n’est pas question de ne pas recourir. Tout passe par le moi. 11 est bien certain qu’on voit mal comment la régression du moi devenue elle, à son tour, la voie d’accès à l’inconscient, est quelque chose qui peut conserver quelque part, où que ce soit, un élément médiateur qui est absolument indispensable pour concevoir l’action du traitement analytique, si on ne le met pas dans cette espèce de « moi » véritablement « idéal » [ici entre guillemets] et au pire sens du mot, qu’est la sphère dite non-conflictuelle, laquelle devient le lieu mythique des entifications les plus incroyablement réactionnelles.

Qu’est-ce que l’inconscient opposé à ce domaine du pré­conscient, tel que nous venons de le situer

Si je dis que tout ce qui est de la communication analy­tique a structure de langage, ça ne veut justement pas dire que l’inconscient s’exprime dans le discours. Je dis ce qui est de l’ordre de l’inconscient. Et ceci, la lecture de Freud la Traumdeutung, la « Psychologie de la vie quotidienne » et le « mot d’esprit », le rendent absolument clair, évident, transparent. Rien n’est explicable des détours, du relief qu’il donne à mesure qu’il s’avance dans l’exploration de ces questions à sa recherche, si cela ne s’explique pas de la façon sui­vante: c’est que le phénomène analytique comme tel, et quel qu’il soit, n’est pas un langage au sens où ça voudrait dire que c’est un discours, mais je n’ai jamais dit que c’était un dis­cours; le phénomène analytique est structuré comme le langage. C’est dans ce sens qu’on peut dire qu’il est une variété phénoménale et non pas la moindre, mais justement la plus importante, la plus révélatrice des rapports, comme tels, de l’homme au domaine du langage, le phénomène analytique.

Tout phénomène analytique, tout phénomène qui participe comme tel du champ analytique, de la découverte analytique, de ce à quoi nous avons affaire dans le symptôme et dans la névrose nommément est structuré comme le langage.

Qu’est-ce que ceci veut dire ? Ceci veut dire que c’est un phénomène qui a présenté toujours cette duplicité essen­tielle du signifiant et du signifié. Ceci veut dire que le signi­fiant y a sa cohérence propre qui participe des caractères du signifiant dans le langage, c’est-à-dire que nous saisissons le point où ce signifiant se distingue de tout autre espèce de signe. Nous allons le suivre dans l’ordre du domaine pré­conscient imaginaire à la trace.

Nous partons du signe biologique, l’expérience de la psy­chologie animal nous a montré son importance. Il y a dans la structure même, dans la morphologie des animaux quelque chose qui a cette valeur captante grâce à quoi celui qui en est le récepteur, celui qui voit le rouge du rouge-gorge, par exemple et celui qui est fait pour le recevoir, entrent dans une série de comportements, dans un compor­tement désormais unitaire, qui lie le porteur de ce signe à celui qui le perçoit, qui est quelque chose qui nous donne une idée tout à fait précise de ce qu’on peut appeler la signi­fication naturelle. Et de là, et sans chercher autrement com­ment ceci s’élabore pour l’homme, il est bien clair que nous pouvons en fait arriver par une suite de transitions à toute une épuration, à toute une neutralisation du signe naturel. Il y a un point où ce signe se sépare de son objet, c’est la trace, le pas sur le sable du personnage inconnu qui devien­dra le compagnon de Robinson sur son île. C’est là un signe à quoi Robinson ne se trompe pas. je dirai que là nous avons la séparation du signe avec l’objet, la trace dans ce qu’elle comporte de négatif et de séparé est quelque chose qui nous mène à ce que j’appelais l’ordre et le champ du signe natu­rel, à la limite du point où il est à proprement parler le plus évanescent. La distinction ici du signe et de l’objet est tout à fait claire, puisque la trace c’est justement ce que l’objet laisse et il est parti ailleurs. je dirai même qu’objectivement il n’y a besoin d’aucune espèce de sujet, de personne qui reconnaisse le signe pour que ce signe et cette trace soient là. La trace existe même s’il n’y a personne pour la regarder.

À partir de quand passons-nous à ce qui est de l’ordre du signifiant ? Le signifiant est en effet là quelque part. Il peut s’étendre à beaucoup des éléments de ce domaine du signe. Mais le signifiant est un signe qui ne renvoie pas à un objet, même à l’état de trace, et dont pourtant la trace annonce le caractère essentiel. Il est lui aussi signe d’une absence. Mais le signifiant, en tant qu’il fait partie du langage, c’est un signe qui renvoie à un autre signe, En d’autres termes pour s’opposer à lui dans un couple dont l’élément essentiel est le caractère du couple, c’est-à-dire dont l’élément essentiel est l’accord.

Et je suis revenu assez souvent ces temps-ci pour avoir surpris sur un thème comme celui du jour déjà dans le signi­fiant, à partir du moment où il y a le jour et la nuit, il ne s’agit pas de quelque chose qui soit d’aucune façon définissable par l’expérience. L’expérience ne peut rien indiquer qu’une série de modulations, de transformations, voire une pulsa­tion, une alternance de la lumière et de l’obscurité, avec toutes ses transitions. Le langage commence à l’opposition le jour et la nuit. Et à partir du moment où il y a le jour comme signifiant, ce jour est livré à toutes les vicissitudes d’un jeu où, à l’intérieur de signifiants et par des lois d’éco­nomie qui sont celles propres au signifiant, le jour arrivera à signifier des choses assez diverses. Ce caractère du signifiant marque d’une façon absolu­ment essentielle tout ce qui est de l’ordre de l’inconscient: l’œuvre de Freud avec son énorme armature philologique, qui est là à jouer jusque dans l’intimité des phénomènes, est absolument impensable, si vous ne mettez pas au premier plan la prédominance, la dominance du signifiant dans tout ce qui est impliqué du sujet dans les phénomènes analytiques comme tels.

Ceci doit nous mener à un pas plus loin dont il est ques­tion aujourd’hui.

Je vous ai parlé de l’Autre en tant que fondamental de la parole, en tant que le sujet avoue, s’y reconnaît, s’y fait reconnaître. C’est là qu’est le point essentiel. Dans une névrose l’élément déterminant, l’élément qui sort, ce n’est pas telle ou telle relation perturbée, comme on dit, orale, anale, voire génitale, tel lien homosexuel, comme tel. Nous ne savons que trop combien nous sommes gênés au manie­ment par exemple de cette relation homosexuelle, que nous mettons en évidence d’une façon permanente chez des sujets dont la diversité ne permet pas de faire intervenir, sur le plan proprement des relations instinctuelles et d’une façon uni­forme, de relation homosexuelle.

Ce dont il s’agit c’est littéralement et à proprement par­ler d’une question, d’un problème par où le sujet a à se reconnaître sur le plan du signifiant, sur le plan du to be or not to be ce qui est ou ce qui n’est pas, sur le plan de son être. Et ceci je veux vous l’i illustrer par un exemple.

Je n’ai pas eu besoin d’en chercher un particulièrement favorable. J’ai pris une vieille observation d’hystérie, ce qui fait que j’ai choisi celle-là, c’est une hystérie traumatique, c’est qu’elle met au premier plan ce fantasme de grossesse, de procréation, qui est absolument dominant dans l’histoire de notre Président Schreber, puisqu’en fin de compte tout le délire aboutit à ceci: c’est que tout doit être réengendré par lui, quand enfin il sera arrivé au bout, à sa féminisation par rapport à Dieu; enfin une nouvelle humanité d’esprit schre­bérien, une série d’enfants schrebériens naîtront. Et bien, je veux parler de ce cas d’hystérie, parce que juste­ment il nous servira à serrer de près la différence qu’il y a entre une névrose et une psychose. Ici pas trace d’éléments halluci­natoires du discours. Nous sommes en plein dans un symp­tôme hystérique. Il s’agit d’une observation de Hasler joseph qui était un psychologue de l’école de Budapest, qui a publié une observation qu’il a recueilli à la fin de la guerre 1914­1918. Il s’agit de la Révolution hongroise, et il nous raconte l’histoire d’un type qui est conducteur de tramway. Il a 33 ans, il est protestant hongrois, austérité, solidité, tradition paysanne et il a quitté sa famille à un âge qui est celui de la fin de l’adolescence pour aller à la ville. Il a mené une vie profes­sionnelle déjà assez marquée par des changements qui ne sont pas sans signification. D’abord boulanger, puis dans un labo­ratoire de chimie. puis enfin conducteur de tramway. Il est conducteur au sens où on dit: c’est celui qui tire la sonnette et qui poinçonne les billets. Il a été aussi au volant.

Enfin, un jour, il descend de son véhicule, il trébuche et tombe par terre, se fait un peu traîner. Il a une bosse, un peu mal dans le côté gauche. On l’emmène à l’hôpital où on s’aperçoit qu’il n’a rien du tout. On lui fait une piqûre au cuir chevelu pour fermer la plaie. Tout se passe bien ? Il ressort après avoir été examiné sous toutes les coutures. On est bien sûr qu’il n’y a rien. On y a beaucoup radiographié, lui-même y a mis du sien. Et puis, progressivement s’établissent une série de crises qui se caractérisent par la montée d’une douleur tout à fait spéciale à la première côte, une crise vraiment très spéciale, mystérieuse, qui diffuse à partir de ce point et qui mène le sujet à un état de malaise de plus en plus croissant. Il se couche sur le côté gauche, s’étend. Il se couche sur un oreiller qui le bloque. Et puis les choses persistent et s’aggra­vent avec le temps d’une façon toujours plus marquée, ces crises douloureuses qui durent quelques jours, reviennent à périodes régulières. Elles vont de plus en plus loin, elles entraînent de véritables pertes de connaissance chez le sujet.

On repose toutes les questions: on l’examine sous toutes les coutures. On ne trouve absolument rien. On pense à une hystérie traumatique et on l’envoie à Hasler qui l’analyse. Cette observation est extrêmement instructive, par ce qu’elle va nous montrer. Nous avons un matériel abondant. L’homme participe à la première génération analytique. Il voit les phénomènes avec beaucoup de fraîcheur. Il les explore en long et en large. Néanmoins cette observation est publiée en 1921 et elle participe déjà de quelque chose qui est l’espèce de systématisation qui commence à frapper à ce moment-là corrélativement, semble-t-il, l’observation et la pratique; puisque c’est le tournant qui provient à ce moment dans la pratique, d’où va naître tout ce renversement qui va mettre l’accent, dans la suite, sur l’analyse des résistances.

Du point de vue historique aussi, Hasler est extrêmement impressionné à ce moment-là par la nouvelle psychologie de l’« ego ». Par contre il connaît bien les choses plus anciennes, à savoir les premières analyses de Freud sur le caractère anal, c’est-à-dire la notion que les éléments économiques de la libido peuvent jouer un rôle décisif sur la formation du moi. Et on sent qu’il s’intéresse beaucoup au moi de son sujet, à son style de comportement, aux choses qui traduisent chez lui ces éléments régressifs, pour autant qu’ils s’inscrivent non pas seulement dans les symptômes, mais dans la struc­ture. Il marque avec beaucoup de pertinence l’importance de certains phénomènes tout à fait frappants des premières séances, à savoir d’une attitude du sujet qui le laisse assez déconcerté: après la première séance le sujet tout à coup s’assoit sur le divan et se met à le regarder avec des yeux en boule de loto, la bouche béante, comme s’il découvrait un monstre inattendu et énigmatique. À d’autres reprises le sujet marque des manifestations de transfert assez surpre­nantes: en particulier, une fois, il se redresse brusquement, pour retomber dans l’autre sens du divan, met le nez contre le divan, et en offrant à l’analyste ses jambes pendantes d’une façon qui, dans sa signification générale, n’échappe pas non plus à l’analyste. Bref des éléments comme le caractère profondément significatif de la relation imaginaire, la préci­pitation tout de suite de tendances… qui posent la question des tendances instinctuelles du sujet, d’une homosexualité latente, réelle même et accompagnée de toutes sortes d’élé­ments régressifs que l’observateur a mis en valeur; c’est quelque chose qui en quelque sorte s’organise et donne son sens, son dessin général à ce qui est observé.

Observons les choses de plus près.

Ce sujet est un sujet qui a été assez bien adapté. Il a des relations avec ses camarades qui sont celles d’un syndicaliste militant, un petit peu leader, et il s’intéresse beaucoup à ce qui le lie à ses camarades Il jouit là d’un prestige incontes­table. Et notre auteur de noter aussi la façon très particulière dont son auto didactisme s’exerce: tous ses papiers sont bien en ordre. Il essaie de trouver les traits du caractère anal et il progresse. Mais en fin de compte l’interprétation qu’il donne au sujet de ses tendances, n’est ni admise ni repous­sée: c’est accueilli, ça ne fait ni chaud ni froid. Rien ne bouge. Nous nous trouvons devant cette même butée devant quoi Freud se trouve aussi avec l’«homme aux loups » quelques années auparavant, et dont Freud ne donne pas dans l’« homme aux loups » – puisqu’il a un autre objet dans sa recherche toute la clé.

Regardons de plus près cette observation parce qu’elle est extrêmement significative. Ce qui va apparaître, c’est que dans le déclenchement de la névrose, je veux dire dans son aspect symptomatique, dans celui qui a rendu l’intervention de l’analyse nécessaire, qu’est-ce que nous trouvons ? On peut dire, nous trouvons effectivement qu’il y a un trauma, et que ce trauma a dû réveiller quelque chose. Nous trou­vons des traumas à la pelle dans l’enfance du sujet, quand il était tout petit et qu’il commençait à se mettre à grouiller sur le sol, sa mère lui a marché sur le pouce. On ne manque pas de marquer qu’à ce moment-là quelque chose de décisif avait dû se produire, puisque même, au gré de la tradition familiale il aurait, après cela, commencé à sucer son pouce. Vous voyez: castration-régression. On en trouve d’autres. Seulement, il y a un tout petit malheur. C’est qu’on s’aper­çoit de ceci avec la sortie du matériel, c’est que ce qui a été décisif dans le déclenchement, dans la décompensation de la névrose (parce que naturellement le sujet était névrosé avant d’avoir son accident, sinon ça n’aurait pas produit d’hysté­rie), dans la décompensation de sa névrose, ce qui a joué le rôle essentiel, ça n’est pas apparemment le choc, l’accident. Les choses se sont compliquées, aggravées, déclenchées, révé­lées symptomatiquement, à partir des examens radiogra­phiques, les examens radiographiques comme tels. Et l’auteur ne voit pas toute la portée de ce qu’il nous apporte et que s’il a une idée préconçue, c’est précisément dans l’autre sens, c’est en somme à cette preuve interrogative qui le met sous le feu d’instruments mystérieux à connaître qu’est l’appareil de radio, que le sujet déclenche ses crises. Et ces crises, le mode de ces crises, leur périodicité, leur style, apparaissent liés très évidemment par tout le contexte également du matériel, avec le fantasme d’une grossesse. Ce qui domine donc dans le symptôme, dans la manifestation symptomatique du sujet, c’est dans doute ces éléments relationnels qui colorent pour lui d’une façon imaginaire ses relations aux objets, d’une façon qui permet d’y reconnaître la relation anale, ou ceci, ou cela, ou homosexuelle, mais ce à quoi se rapporte le symp­tôme, ce justement dans quoi ces éléments même son pris, c’est dans la question qui est posée: « est-ce que je suis ou non quelqu’un qui est capable de procréer ? » et de procréer selon le registre féminin. C’est au niveau de l’Autre, au niveau du mot, au niveau de l’élément symbolique, pour autant que nous devons comme analystes assez bien savoir que toute l’intégration de la sexualité chez le sujet humain est liée à une reconnaissance symbolique. Si la reconnais­sance de la position sexuelle du sujet, comme telle n’est pas liée à l’appareil symbolique, l’analyse et le freudisme n’ont plus qu’à disparaître, ils ne veulent absolument rien dire, si ce n’est pas la relation, comme Freud y a insisté dès le début et jusqu’à la fin, comme nous ne devons jamais l’oublier, du complexe d’Œdipe, c’est-à-dire du sujet en tant qu’il trouve sa place dans un appareil symbolique préformé, qui donne la loi, qui instaure la loi dans la sexualité, et une loi qui désormais deviendra constituante, qui prend toute cette sexualité et ne l’établit et ne l’instaure et ne permet au sujet même de l’atteindre et de la réaliser que sur ce plan, la loi symbolique, l’analyse si elle ne savait pas ça, n’aurait abso­lument rien découvert.

Ce dont il s’agit chez ce sujet, c’est de la question «qui suis-je ? » ou « suis-je ? » C’est d’une relation d’être. C’est d’une relation essentielle, c’est d’un signifiant fondamental qu’il s’agit. Et c’est pour autant que cette question est réveillée, elle était là bien sûr et nous l’avons maintenant, avec cette clé-là, retrouvée tout au long de l’observation. C’est pour autant que cette question est réveillée en tant que symbolique et non pas en tant que phase de la relation inter­subjective, que réactivation imaginaire de quelque type que ce soit, c’est en tant qu’un au-delà, quelque chose qui suppose qu’il veut arriver au mot de ce qu’il essaie en tant que ques­tion, qu’est entré le nouveau déclenchement décompensant dans sa névrose, que les symptômes eux-mêmes s’organi­sent: et quels que soient leurs qualités, leur nature, le maté­riel auquel ils sont empruntés, ils prennent valeur eux-mêmes de formulation, de reformulation, d’insistance même de cette question.

Cette clé bien entendu ne se suffit pas à elle-même. Elle se confirme du fait qu’il ressort à ce moment-là que des élé­ments de la vie passée du sujet gardent pour lui tout leur relief. Un jour où il a pu observer, caché, une femme du voi­sinage de ses parents qui poussait des cris, des gémissements qui n’en finissaient plus, il l’a surprise dans une attitude qui était celle des contorsions et des douleurs, les jambes éle­vées, et il a su de quoi il s’agissait; ceci d’autant plus que l’accouchement n’aboutissant pas, le médecin doit interve­nir, morcelant, et qu’il voit partir quelque part dans un cou­loir

l’enfant en morceaux, qui est tout ce qu’on a pu tirer. Ceci survient en connexion avec l’analyse de sa reconnais­sance des troubles, lesquels troubles eux-mêmes ont là deux

valeurs. Car la valeur significative, à savoir le caractère féminisé du discours du sujet, par exemple quand il parle, quand il demande l’appui du médecin, est quelque chose qui est tellement saisissable et immédiatement saisissable quand notre analyste fait part au sujet des premiers éléments, il obtient du sujet cette remarque que le médecin qui l’a exa­miné a été sensible à quelque chose qui ressemble à cela, et qu’il a dit à sa femme: « Je n’arrive pas à me rendre compte de ce qu’il a; il me semble que si c’était une femme je com­prendrais bien mieux. » Il a perçu le côté significatif, mais il n’a pas pu, pour la simple raison qu’il n’avait pas l’appareil analytique, qui n’est concevable que dans la registre des structurations de langage, s’apercevoir que tout ceci n’est encore qu’un matériel adéquat, favorable dont on peu user, mais on userait aussi bien de n’importe quel autre pour exprimer quelque chose qui est au-delà de toute relation actuelle ou inactuelle, qui est la question du sujet sur ce qui est pour lui en cause, c’est-à-dire un « qui suis-je ? Est-ce que le suis un homme ou une femme ? ». « Est-ce que le suis particulièrement capable d’engendrer ? »

Quand on a cette clé, toute sa vie paraît, se réordonne dans une perspective qui devient d’une fécondité incroyable, c’est-à-dire que par exemple on parle de préoccupations anales chez ce sujet, de fonctions excrémentielles et on donne beaucoup d’éléments de l’importance que ça pouvait prendre pour lui. Mais autour de quoi jouait cet intérêt porté à ses excréments ? Autour de ceci: s’il pouvait y avoir dans les excréments des noyaux de fruits qui fussent encore capables de lever une fois mis en terre.

Le sujet a une grande ambition, c’est de s’occuper de l’éle­vage de poulets et tout spécialement du commerce des neufs. Il s’intéresse à toutes sortes de questions de botanique, qui sont toutes centrées autour des questions de germination ou de couvée. On peut même dire que toute une série d’acci­dents qui lui sont arrivés dans sa profession de conducteur de tramway sont liés à quelque chose de fondamental qui se relie à un certain nombre de faits qui sont liés au morcelage, qui sont liés à son appréhension d’une naissance qui l’a frappé dans son caractère dramatique. Ce n’est pas l’origine dernière, que nous pouvons trouver de ce qui est la question pour le sujet, mais c’en est une particulièrement expressive. D’autres éléments encore nous permettent de voir ces accidents et tout spécialement le dernier, comme quelque chose aussi dans quoi le sujet s’intègre par le fait que c’est tout à fait manifeste. Il tombe du tramway qui est devenu pour lui une espèce d’appareil significatif, il choit; il accouche lui-même, c’est tout le thème et le thème unique du fantasme de grossesse avec tout ce qui est corrélation, et la fin spécialement dramatique. Mais il est dominant en tant que quoi ? En tant que signifiant de quelque chose dont tout le contexte nous montre que c’est ce dont il s’agit pour lui, à savoir son intégration ou sa non-intégration à la fonction virile comme telle, à la fonction de père, ce à quoi il n’arrive précisément jamais.

 

Quand il a épousé une femme, il s’est arrangé pour que ce soit une femme qui avait déjà un enfant et avec laquelle il n’a pu avoir que des relations insuffisantes. Et le caractère problématique pour lui de la question de son identification symbolique est là ce qui soutient toute com­préhension possible de l’observation.

En d’autres termes, tout ce qui est dit, tout ce qui est exprimé, tout ce qui est gestualisé, tout ce qui est manifesté, ne prend son sens qu’en fonction de quelque chose qui est la réponse à formuler sur cette relation fondamentalement symbolique: « Suis-je un homme ou suis-je une femme? » Vous ne pouvez pas manquer quand je vous expose les choses ainsi, à propos de cette observation, en vous la résu­mant, de faire le rapprochement avec ce sur quoi j’ai mis l’accent dans le cas de Dora: et à quoi aboutit-elle, si ce n’est à une question fondamentale sur le sujet de son sexe, quand je dis de son sexe, c’est non pas quel sexe elle a, mais « qu’est ce que c’est que d’être femme? ». Les deux rêves de Dora sont absolument transparents. On ne parle que de cela: « qu’est-ce qu’un organe féminin ? ».

Nous nous trouvons là devant quelque chose de singulier. C’est très exactement que le sujet mâle se trouve dans la même position, à savoir que la femme s’interroge sur ce que c’est qu’être une femme, de même que le sujet mâle s’inter­roge sur ce que c’est qu’être une femme.

C’est là que nous reprendrons la prochaine fois. Car ça nous introduira à mettre en valeur des éléments qui sont tout à fait essentiels dans toute compréhension de cette valeur signifiante du symptôme dans la névrose, ce sont les dissy­métries que Freud a toujours soulignées dans la relation du complexe d’Œdipe. En d’autres termes, si pour la femme la réalisation de son sexe ne se fait pas dans le complexe d’Œdipe d’une façon symétrique à celle de l’homme, c’est­-à-dire non pas par une identification à la mère par rapport à l’objet maternel, mais au contraire par identification à l’objet paternel, comme Freud le souligne, il faut qu’elle fasse, ce qui lui assigne une espèce de détour supplémentaire dont il n’a jamais démordu, quelque chose qu’on a pu abor­der depuis du côté des femmes spécialement, pour rétablir cette symétrie, ce n’est pas sans motif, et c’est quelque chose aussi qui confirme cette distinction de l’imaginaire et du symbolique que j’ai reprise aujourd’hui: mais vous le ver­rez, cette espèce, d’un autre côté, de détour supplémentaire, de désavantage où se trouve la femme dans l’accès à l’iden­tité de son propre sexe, à sa sexualisation comme telle, est quelque chose qui se retourne d’un autre côté dans l’hysté­rie en un avantage, puisque grâce à cette identification ima­ginaire au père, qui est pour elle absolument accessible en raison spécialement de sa place, de sa situation dans la com­pétition de l’œdipe, lui permet d’interroger tout naturelle­ment pour elle dans l’hystérie les choses deviennent excessivement faciles à concevoir et à schématiser; vous le verrez pour l’homme, précisément dans la mesure où le com­plexe d’Œdipe, fait d’une certaine façon pour lui permettre de réaliser et d’accéder à ce à quoi il est le plus difficile d’accé­der, c’est-à-dire à une virilité effective, justement à cause de cela dans la névrose et dans le détour névrotique pour lui le chemin sera plus complexe.

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