samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIII LES PSYCHOSES 1955 – 1956 Leçon du 21 mars 1956

Leçon du 21 mars 1956

 

Je compléterai mon propos d’hier soir, la formation de l’analyste, de ce qui constituerait ses lieux propres, avec transmission de cette science que j’ai nommée très précisément, et dont la caractéristique générale est d’être ordonnée par la linguistique. Je n’avais bien entendu dans ce sens pas beaucoup plus de choses à dire, étant donné que nous n’y sommes pas… Le sens de ce que j’ai dit, à savoir de la confé­rence, était bien que la formation de l’analyste est d’abord de se bien pénétrer de ce qui est articulé de la façon la plus énergique possible pour des gens dont une partie est extrêmement loin de nos études.

Vous allez voir au contraire qu’à travers une espèce de réfraction qui est celle si vous voulez de ce mauvais symbo­lisme, de cette notion confuse du symbolisme qui mêle dans le symbolisme à proprement parler, et celui dans lequel nous nous entendons ici, le symbolisme en tant que structuré dans le langage, et ce qu’on peut appeler le symbolisme naturel que j’ai appelé alors hier soir sous une formule sous le chef de laquelle j’ai mis mon développement: lire dans le marc de café n’est pas lire dans les hiéroglyphes.

C’est donc bien là qu’était l’essentiel. S’il y a quelque chose qui a pu, dans ce que j’ai dit hier soir, être partiel, laisser à dési­rer, mais aussi bien entendu c’est la partie concomitante de ce que j’avais d’abord voulu pleinement développer. Je crois que quand même pour un auditoire tel qu’il était, il fallait faire vivre un peu cette différence du signifiant et du signifié. J’ai même donné des exemples, certains humoristiques; j’ai donné le schéma et je suis passé aux applications analytiques.

Je ne crois pas même qu’il y ait des chances suffisantes pour que les gens aient seulement entendu tout le soin que j’ai essayé de prendre, de donner une espèce de dimension concrète, de faire un bâti qui permette de saisir ce sur quoi nous mettons l’accent, en rappelant que la pratique freu­dienne tend en quelque sorte à promouvoir au premier plan, à fasciner en quelque sorte l’attention des analystes dans ce qu’elle nous montre de séduisant dans les formes imagi­naires, les rapports de signification de sujet à sujet, la valeur significative de son monde sur le plan imaginaire, sur le plan intuitif, et surtout j’ai rappelé que tout ce que Freud nous dit, tout ce sur quoi il met l’accent, tout ce qui permet en somme l’organisation, le progrès, ce qui permet de définir ce champ comme quelque chose que nous pouvons déplacer, mais dans lequel nous avons à proprement parler une entrée, nous pouvons à proprement parler le mettre en jeu. Contrairement, la dynamique des phénomènes est liée à ce caractère d’ambiguïté, de duplicité fondamentale qui résulte de la distinction du signifiant et du signifié dans tout ce qui est des phénomènes du champ analytique.

Vous avez pu voir combien c’est autour de la probléma­tique du mot, combien ce n’est pas par hasard que c’est un jungien qui est venu apporter ce terme. Au fond du mythe jungien, il y a en effet ceci que le symbole est conçu comme ce que j’ai appelé une espèce de fleur qui monte du fond; c’est un épanouissement de ce qui est au fond de chacun, de l’homme en tant que typique. La distinction est là, de savoir si le symbole est cela, ou si c’est au contraire quelque chose qui enveloppe, contient, intervient, forme ce que mon inter­locuteur appelait assez joliment la création.

La seconde partie concernait cet infléchissement de l’ana­lyse ou ce qui résulte dans l’analyse de cet oubli de la vérité fondamentale de la structuration du signifiant – signifié, et là bien entendu, je n’ai indiqué comme j’espère l’avoir assez fortement articulé dans l’ensemble, je n’ai pu qu’indiquer ce en quoi la théorie de l’analyse qui se reflète sur l’ego, la façon dont elle se désigne elle-même, dont l’exprime dans cette doctrine la théorie promue actuellement dans les cercles new-yorkais, indiquant bien qu’il y a là quelque chose qui change tout à fait la perspective dans laquelle sont abordés les phénomènes analytiques. J’ai essayé d’indiquer en quoi ceci participait de la même dégradation, de la même oblitération de la distinction essentielle. Cela aboutit à mettre au premier plan, en effet, un des ressorts dynamique­ment très effectifs dans l’ordre de l’imaginaire, et qui est celui de la relation de moi à moi. Et, je n’ai pu qu’esquisser ce qui peut même en l’occasion en résulter. Je veux dire que j’ai mis l’accent sur ceci, c’est que s’il y a quelque part, ce qu’on appelle « renforcement du moi », c’est-à-dire mise de l’accent sur la relation fantasmatique en tant qu’elle est tou­jours reliée, qu’elle est corrélative de la relation du moi, c’est précisément et plus spécialement chez le névrotique – tous les sujets ne sont pas des névrotiques – caractérisé par une structure typique. Il y a bien d’autres façons, de modes d’intervention: l’extension des névroses du côté des névroses de caractère, des autres modes de manifestations significa­tives de l’inconscient. Il y en a d’autres, mais tout spéciale­ment dans la névrose, ce mode d’intervention va dans le sens qui est exactement opposé à celui de la dissolution, non seu­lement des symptômes, qui, sont à proprement parler dans leur signifiance, mais qui à l’occasion peuvent être pourtant mobilisés, mais de la structure de la névrose.

J’ai indiqué ici que ce que nous devons appeler dans la névrose obsessionnelle, structure de la névrose, c’est juste­ment cela le sens de ce que Freud a apporté quand il fait sa nouvelle topique, quand il a mis l’accent sur la fonction du moi en tant que fonction imaginaire, et là, j’ai indiqué aussi pour ceux qui étaient là, qu’il ne semble pas que la simple ins­pection massive, montre immédiatement par sa disposition générale, que le moi n’est absolument rien de ce qu’on en fait spécialement dans l’usage analytique.

J’ai indiqué hier soir les points les plus significatifs. Vous voyez que Freud met le moi en relation avec le caractère à proprement parler fantasmatique de l’objet; et que le moi en tant que mirage, ce qu’il a appelé « idéal du moi », c’est-à­-dire justement la fonction d’illusion, d’irréalisation, la fonc­tion fondamentalement narcissisante du moi, dit-il en toutes lettres, a le privilège de l’exercice, de l’épreuve de la réalité. C’est elle qui atteste pour le sujet la réalité; c’est-à­-dire, le contexte n’est pas douteux, il s’agit très précisément de dire que c’est à la fonction du moi en tant que fonction du moi qu’aboutit le fait que le sujet valorise, accentue, donne l’accent de la réalité à quoi que ce soit, c’est la fonction fon­damentalement illusoire, exprimée comme telle.

De cette topique ressort que quelque chose, ai je indiqué, devait normalement se produire à partir de là, c’est à savoir quelle est dans les névroses typiques l’utilisation que prend précisément comme élément du sujet, c’est à dire comment à l’aide du moi, pour ne pas dire l’homme pense, il ne faut pas dire l’âme pense, dit Aristote, mais l’homme pense avec son âme, nous dirons que le névrosé pose sa question névro­tique, sa question secrète, sa question bâillonnée, sa ques­tion qui n’est pas formulée; il pose sa question avec son moi, dans Freud, c’est de nous montrer comment un ou une hys­térique use de son moi, comment un obsessionnel use de son moi pour poser la question, c’est-à-dire justement pour ne pas la poser, pour la maintenir, pour la soutenir dans la pré­sence, la structure d’une névrose étant justement ce qu’elle est pour nous, elle a dans sa nature ce qu’elle est; pour nous elle a été longtemps une pure et simple question; elle était un problème parce qu’elle est un problème dans sa nature; le névrosé est dans une position de symétrie, il est la question que nous nous posons; comme ce sont des questions qui nous touchent tout autant que lui, c’est bien pour cela que nous avons la plus grande répugnance à la formuler toujours plus précisément. Je vous rappelle que ceci illustre tout simplement dans la façon dont depuis toujours je vous pose le problème de l’hystérie; c’est celui auquel Freud a donné l’éclairage le plus éminent, celui du cas de Dora. Qu’est-ce que Dora ? C’est quelqu’un qui est en effet pris dans un état sympto­matique bien clarifié, dans ce cas, à ceci près que Freud, de son propre aveu fait une erreur sur ce qu’on peut appeler l’objet; très précisément il fait cette erreur sur l’objet dans toute la mesure où il est trop centré sur la question de l’objet, c’est-à-dire où il ne fait pas intervenir la foncière duplicité subjective qui est impliquée; il est tout centrés sur ce qui peut être l’objet du désir de Dora. Il ne se demande pas avant tout et d’abord, non seulement ce que Dora désire, mais même qui désire dans Dora. Et le ressort de son erreur la critique de sa technique, est donnée par lui-même dans la reconnaissance du fait qu’il s’est trompé sur l’objet, c’est-à-dire quelque chose qui est dans toute la topique générale de la relation subjective. C’est bien ici qu’il nous l’indique, puisque aussi bien dans ce ballet à quatre de Dora, de son père, de M. K. et de Mme K Freud s’aperçoit que l’objet qui intéressait vraiment Dora est Mme K.

Mais ceci qu’est-ce que ça veut dire ? Nous le savons. La configuration du cas Dora se présente donc ainsi. C’est en tant qu’identifiée à M. K, c’est en tant que la question de savoir où est le moi de Dora est résolue par ceci: le moi de Dora est M. K.; la fonction remplie, si vous voulez, dans le schéma du stade du miroir par l’image spéculaire quand elle est là où le sujet situe son sens pour le reconnaître le type de la reconnaissance dans le semblable là où pour la première fois le sujet situe son moi, ce point externe d’identification imaginaire, c’est dans M. K. qu’elle le situe. C’est à partir de

là, et en tant qu’elle est M. K., que tous ses symptômes prennent leur sens définitif, à savoir que s’ils demandaient des conversions explicatives, quelquefois un tout petit peu tirées par les cheveux à Freud, devient toujours infiniment plus simple; l’action de l’aphonie de Dora qui se produit pendant les absences de M. K. que Freud explique d’une façon assez jolie, mais qui ne laisse pas sans quelque doute, parce qu’elle parait presque trop belle; elle n’a plus besoin de parler puisqu’il n’est plus là. Il n’y a plus qu’à écrire; cela laisse tout de même un peu rêveur. Pour qu’elle se tarisse, c’est que le mode d’objectivation n’est posé nulle part ailleurs. L’aphonie survient parce que Dora est laissée directement en la présence de Mme K. à propos de quoi toute son expérience, semble-t-il de ce qu’elle a pu entendre des relations entre son père et Mme K est liée à une appréhension d’un mode d’exercice de la sexualité qui dégage très certainement, qui est celui de la fellation de Mme K. par le père de Dora: c’est quelque chose qui paraît infiniment plus significatif pour l’intervention de symptômes oraux dans la confrontation, le tête à tête de Dora avec Mme K.. Mais ceci d’ailleurs est tout à fait accessoire dans mon exposé.

L’important c’est que c’est en tant qu’identifiée à M.K. que toute la situation fondamentale, celle d’ailleurs à laquelle Dora participe effectivement jusqu’au moment de la décompensation névrotique; c’est elle qui rend possible toute cette situation dont par ailleurs elle se plaint. Et ceci fait partie de la situation. C’est en tant que Dora est identi­fiée à M. K. Mais il s’agit de savoir ce que cela veut dire et pourquoi’? C’est très exactement que sa façon d’interroger sur ce qu’est son sexe, ce qu’est sa féminité, qu’est-ce que dira Dora ? Qu’est-ce que dit l’hystérique femme fondamentale­ment par sa névrose ? La question est un point sur lequel nous touchons quelque chose d’essentiel. C’est en cela que nous voyons la fécondité de l’appréhension freudienne des phénomènes, c’est qu’ils ne savent pas nous montrer les plans de structure du symptôme, c’est qu’une vérité qui nous met tout de suite beaucoup plus loin; s’il y a quelque chose qui ressort de tout ce sur quoi Freud a toujours insisté malgré le mouvement d’enthousiasme pour les phénomènes imagi­naires remués dans l’expérience analytique, les bonnes volontés à trouver immédiatement les symétries, les analo­gies; le complexe d’Œdipe, comme c’est clair, comme on l’a bien expliqué pour le garçon, alors ça doit bien être la même chose pour la fille; et d’ailleurs comme Freud lui-même l’a indiqué, beaucoup de choses jouent aussi; Freud a toujours insisté sur l’essentielle dissymétrie du complexe d Œdipe.

Est-ce que ceci précisément ne va pas être quelque chose qui nous permette d’entrer plus loin dans cette dialectique de l’imaginaire et du symbolique ? Est-ce que ça n’est pas là que gît assurément ce côté paradoxal? Pourquoi en effet, ne pas admettre tout simplement que dans la rivalité de la fille avec la mère à l’égard du père il ne s’agit là que d’objet du désir ? Vous me direz: il y a la relation d’amour primaire avec la mère, c’est quelque chose, c’est quelque chose qui introduit une dissymétrie. Mais comme loin d’en être là à l’époque où Freud commence à ordonner les faits qu’il constate dans l’expérience et qui le forcent à affirmer qu’il y a pour la fille (et il y a bien d’autres éléments de dissymétrie) l’élément anatomique sur lequel Freud insiste, qui fait que pour la femme les deux sexes dans leur organisation anatomique sont identiques, est-ce que c’est simplement là qu’est la rai­son de la dissymétrie ? C’est cela qui nous est en quelque sorte proposé, imposer par les études de détail très serrées que fait Freud sur ce sujet.

Je n’ai qu’à en nommer quelques unes: « les considéra­tions sur la différence anatomique des deux sexes » sont un des titres des travaux qui ont été faits sur ce registre. Il y en a d’autres. Il y a l’article sur « la sexualité féminine » qui est de 1931, (l’autre étant de 1925). Puis le « déclin du complexe d’Œdipe » qui est de 1924, je crois.

Ce que nous voyons, c’est qu’une dissymétrie essentielle apparaît au niveau du signifiant, au niveau du symbolique. Et il n’y a pas dirons-nous, à proprement parler de symbolisa­tion du sexe de la femme comme tel; la symbolisation en tout cas n’en est pas la même, n’a pas la même source, n’a pas le même mode d’accès que la symbolisation du sexe de l’homme et ceci pour une raison qu’il ne faut pas même chercher au­-delà de ce quelque chose de simple, c’est que l’imaginaire ne fournit qu’une absence là où il y a ailleurs un symbole très prévalent, que c’est de la prévalence de la Gestalt phallique que dépend quelque chose d’essentiel dans ce qui force la femme, dans la réalisation du complexe oedipien, à ce détour par l’identification au père, ce qui est tout à fait dissymétrique par rapport à ce qui se passe chez le garçon, et la force à prendre les mêmes chemins que le garçon pendant un temps. L’accès de la femme au complexe oedipien se fait du côté du père. C’est son identification imaginaire qui se fait en passant par le père, exactement comme chez le garçon, et elle le fait précisément en fonction d’une prévalence de la forme imagi­naire, mais en tant qu’il est pris lui-même comme élément symbolique central, de l’Œdipe.

En d’autres termes, si le complexe de castration prend une valeur pivot dans la réalisation de l’Œdipe, -et ceci pour les deux sujets, aussi bien le garçon que la fille, – c’est très précisément en fonction du père que le phallus est un sym­bole dont il n’y a pas de correspondant, d’équivalent. C’est d’une dissymétrie dans le signifiant qu’il s’agit, et cette dis­symétrie dans le signifiant détermine les voies par où passe­ront chez les uns et les autres sujets le complexe d’Œdipe. Les deux voies les font passer par le même sentier: le sentier de la castration chez le garçon, et exactement de la même façon chez la fille avec ce qu’il détermine comme étant le pivot de la réalisation de l’Œdipe dans la sexualité féminine, à savoir le pénis.

Nous avons donné là justement un instrument tout à fait caractéristique et tout à fait frappant de la prédominance du signifiant dans les voies d’accès de la réalisation subjective: celle de l’expérience d’Œdipe. Là où l’assomption imagi­naire de la situation n’est nullement impensable, il y a en effet une sorte de compensation, il y a tous les éléments pour une expérience de la position féminine qui soit en quelque sorte directe, symétrique à la réalisation de la position mas­culine, si c’était simplement quelque chose qui se réalise dans l’ordre de l’expérience vécue, comme on dit, dans l’ordre de quelque chose qui serait de l’ordre de la sympa­thie de l’ego, des sensations; il y eu au contraire quelque chose que l’expérience nous montre qui se manifeste dans une différence frappante, singulière, c’est pourquoi l’un des sexes, pour arriver à sa pleine réalisation dans le sujet est-il en quelque sorte nécessité à se supporter, au moins à prendre comme support, comme base de son identification, le sup­port formel, l’image de l’autre sexe.

Ceci à soi tout seul est quelque chose qui ne peut littérale­ment que trouver sa place – je veux simplement vous faire remarquer que le seul fait que les choses soient ainsi pose une question qui ne peut s’ordonner, qui ne peut rester une pure et simple bizarrerie de la nature, ne peut s’interpréter que dans le fait que c’est l’ordonnance symbolique, en tant qu’elle existe qui règle tout. Que là où il n’y a pas de maté­riel symbolique, il y a obstacle, défaut à la réalisation de l’identification essentielle, de voie essentielle pour la réalisa­tion de la sexualité du sujet; et que ce défaut provient du fait que le symbolique pour un point manque de matériel, parce qu’il lui en faut un, et qu’il y a quelque chose qui se trouve à proprement parler être moins désirable que le sexe mascu­lin dans ce qu’il a de provoquant, c’est le sexe féminin qui a ce caractère d’absence, ce vide, ce trou qui fait qu’une dis­symétrie essentielle apparaît dans quelque chose où il semble que, si tout était à saisir dans l’ordre d’une dialec­tique des pulsions, on ne verrait pas pourquoi un tel détour, une telle anomalie serait nécessitée.

Cette remarque est loin de nous suffire quant à la ques­tion qui est en jeu, c’est à savoir de la fonction du moi chez les hystériques mâles et femelles. Ici, nous devons nous aper­cevoir de quelque chose qui, si l’on peut dire, est au fond des questions qui vont être soulevées c’est à dire des questions liées non pas seulement au matériel, au magasin-accessoire du signifiant, mais au rapport du sujet avec le signifiant dans son ensemble; c’est-à-dire avec ce à quoi peut répondre le signifiant. Car, bien entendu, j’ai parlé hier soir d’êtres de langage, c’était pour bien frapper mon auditoire. Les êtres de langage ne sont pas des êtres organisés. Qu’ils soient des êtres ce n’est pas douteux; qu’ils soient des êtres qui impri­ment leurs formes dans l’homme, et que ma comparaison avec les fossiles soit jusqu’à un certain point tout à fait indi­quée, qu’il y ait dans l’homme des êtres qui sont à propre­ment parler des êtres de signifiant, ceci est certain, mais il reste qu’ils n’y ont pas pour autant une existence substan­tielle en soi, s’il y a une problématique, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Pour revenir à notre fonction du moi dans la névrose, il faut partir de ceci: nous avons deux plans: le plan du sym­bolique et le plan de l’imaginaire. Considérons le paradoxe qui résulte de ce que je pourrais appeler certains entrecroise­ments, une sorte de croisement fonctionnel qui apparaît aus­sitôt tout à fait frappant. Qu’est-ce qu’évoque le symbolique dans sa fonction chez l’homme ? Il semble que le symbolique c’est ce que qui nous livre tout le système du monde. C’est parce que l’homme a des mots qu’il connaît des choses. Et le nombre des choses qu’il connaît correspond au nombre des choses qu’il peut nommer. Ceci n’est pas douteux.

D’autre part, ce que nous appelons l’imaginaire, et que la relation imaginaire soit liée à tout le domaine de l’éthologie, à la psychologie animale, aux fonctions de la relation sexuelle, de la capture par l’image de l’autre, qu’elle soit l’un des ressorts essentiels de cette spécificité du choix, à l’intérieur de la même espèce du partenaire sexuel qui se trouve être en même temps le partenaire fécond, c’est aussi quelque chose qui semble aller de soi. En d’autres termes, qu’un des domaines soit ouvert à toute la neutralité de l’ordre de la connaissance humaine et que l’autre soit précisément le domaine même de l’érotisation de l’objet, c’est ce qui semble au premier abord manifesté à nous.

Or, si les choses sont telles, ce que nous voyons c’est que la réalisation de la position sexuelle chez l’être humain est liée, nous dit Freud – et nous dit l’expérience – à l’épreuve, à la traversée d’une relation fondamentalement symbolisée, celle de l’Oedipe, que ce n’est que par l’intermédiaire d’une position intermédiaire aliénant le sujet, c’est-à-dire le faisant désirer l’objet d’un autre et le posséder par la procuration d’un autre, c’est en tant que nous nous trouvons dans une position structurée dans la duplicité même du signifiant et du signifié, c’est en tant qu’est symbolisé à proprement parlé la fonction de l’homme et de la femme, c’est en tant qu’elle est littéralement arrachée au domaine de l’imaginaire pour être située dans le domaine du symbolique, que se réalise toute position sexuelle normale, achevée. C’est dans le domaine du symbolique, c’est un passage dans le domaine du symbolique, c’est à la symbolique qu’est soumise, comme une exigence essentielle la réalisation génitale, que l’homme se virilise, et que la femme accepte véritablement sa fonction féminine.

Inversement, chose non moins singulière et paradoxale, c’est dans l’ordre de l’imaginaire que se situe cette relation d’identification à partir de quoi l’objet se réalise comme objet de concurrence. Le domaine de la connaissance a ce caractère fondamentalement inséré dans la primitive dialec­tique paranoïaque de l’identification au semblable. C’est de là que partent les premières possibilités, la première, ouver­ture d’identification à l’autre, à savoir un objet. Un objet s’isole et se neutralise comme tel, s’érotise particulièrement. C’est ce qui fait entrer dans le champ du désir humain infi­niment plus d’objets élémentaires, matériels, qu’il n’en entre dans l’expérience animale.

C’est dans cet entre-croisement qui, bien entendu, n’est pas sans profonds motifs, que gît la source de ce que nous devons considérer comme étant la fonction essentielle que joue le moi dans la structuration de la névrose.

Qu’est-ce qui se passe en effet quand dora se trouve poser sa question, s’interroger sur : qu’est-ce qu’une femme ? Cela a le sens – et pas un autre- d’une interrogation, une tentative de symboliser l’organe féminin comme tel. Nous dirons que dans cette occasion son identification à l’homme lui est lit­téralement un moyen de connaître si elle identifiée à l’homme en tant précisément que porteur de pénis. C’est que ce pénis à elle lui sert littéralement d’instrument imagi­naire pour appréhender ce qu’elle n’arrive pas à symboliser.

En ce sens, on peut dire que l’hystérique-femme, s’il y a beaucoup plus d’hystériques-femmes, que d’hystériques-hommes, c’est un fait d’expérience clinique, c’est parce que le chemin de la réalisation symbolique de la femme comme telle est beaucoup plus compliqué, inversement pour ce qui est d’en poser le problème, c’est-à-dire en quelque sorte de s’arrêter à mi-chemin, car devenir une femme et s’interroger sur ce qu’est une femme sont deux choses essentiellement différentes; je dirai même plus, que c’est parce qu’on ne le devient pas qu’on s’interroge, et, jusqu’à un certain point s’interroger est le contraire de le devenir. La métaphysique de sa position est le détour imposé à la réalisation subjective chez la femme. C’est parce que sa position est essentielle­ment problématique, et jusqu’à un certain point inassimi­lable, qu’elle fera plus facilement une hystérie qu’un sujet du sexe opposé. Mais d’un autre côté, une hystérie sera précisé­ment aussi une solution plus adéquate, quand la question prend forme sous cet aspect de l’hystérie. Elle prend cette forme par la voie la plus courte, c’est à dire qu’il lui est très facile de poser la question simplement par l’identification au père. C’est ce qui fait la particulière clarté de la position féminine à l’intérieur de l’hystérie. En ce sens et à ce titre, c’est une position qui présente une espèce de stabilité particulière envers elle-même, de sa sim­plicité structurale. Plus une structure est simple, moins elle a d’occasions de montrer des points de rupture.

Pour ce qui est de la question de ce qui se passe dans l’hystérie masculine, la situation sera beaucoup plus com­plexe, justement dans la mesure où chez l’homme la réalisa­tion oedipienne est mieux structurée, la question qui est la question dans l’hystérie féminine aura moins de chance de se poser pour lui. Mais cette question justement, qu’elle est­ Car dire que quelque chose manque si l’on peut dire est-elle? dans le matériel signifiant qui aide à la réalisation de la posi­tion masculine, il n’y a rien de correspondant au phallus. C’est là qu’on le voit, ce n’est absolument pas épuiser la question de la dissymétrie entre le garçon et la fille dans la position de l’Œdipe. Il y a la même dissymétrie dans le cas de la réalisation de l’hystérie, qui se manifeste en ceci, c’est que l’hystérique homme et femme, se pose la même ques­tion; c’est-à-dire que le quelque chose autour de quoi est la question de l’hystérique mâle – c’est le sens de l’observation que j’ai donné la dernière fois – c’est quelque chose qui concerne la position féminine.

Déjà, je vous l’ai dit, c’est quelque chose qui tourne autour du fantasme de la grossesse dans cette observation. Est-ce que cela suffit à épuiser la question ?

C’est quelque chose qui n’est pas spécifiquement non plus féminin, c’est à savoir la question de la procréation, c’est quelque chose qui tourne, nous l’avons vu, aussi autour des thèmes de morcelage, les fantasmes de corps morcelé, et à proprement parler le morcellement fonctionnel, ou même le morcellement anatomique, fantasmatique, dont on a vu depuis longtemps qu’il donne les points de rupture, sont des phénomènes hystériques comme tels. Cette anatomie fan­tasmatique dont depuis longtemps les auteurs ont souligné le caractère structural dans le phénomène de l’hystérie, c’est à savoir qu’on ne fait pas une paralysie ni une anesthésie selon les voies et la topographie des branches nerveuses. Rien dans l’anatomie nerveuse ne recouvre quoi que ce soit de ce qui s’est produit dans les symptômes hystériques. C’est toujours une anatomie imaginaire dont il s’agit.

Tout cela forme la constellation des phénomènes hystériques.

Est-ce que nous n’allons pas pouvoir tout de même pré­ciser ce qui, au-delà du signifié, donne le sens de ce qui pour l’hystérique, sans aucun doute, se situe au niveau du sym­bolique, au niveau du signifiant, mais qui n’en reste pour­tant pas moins jusqu’à un certain point… Il y a quelque chose qui est le facteur commun de la position féminine comme de la position masculine; c’est à savoir pour tous les deux se pose, sans aucun doute, dans des voies et dans des termes différents, la question de la procréation. Ceci déjà paraît être un accès auquel il est difficile de soustraire ce côté problématique de l’essence de la paternité comme de la maternité. C’est quelque chose qui ne se situe pas purement et simplement au niveau de l’expérience. Qu’il y ait en effet une expérience féminine de la maternité, et qu’elle soit essen­tiellement différente de la paternité, laquelle pose justement à la lumière de l’analyse toute une variété de phénomènes, de manifestations, et du même coup de problèmes, qui sont ceux sur lesquels pour la première fois l’analyse a permis d’apporter quelques lumières.

Récemment je m’entretenais avec quelqu’un de mes élèves des problèmes depuis longtemps soulevés de la cou­vade. Et il me rappelait là-dessus les éléments que les eth­nographes ont pu apporter récemment sur ce problème qui restait problématique. Il est clair que là-dessus des faits qui sont des faits d’expérience, d’investigation dans le domaine à proprement parler du symbolique, le fait de retrouver dans un usage, dans quelque chose qui n’est manifestable que là, parce que c’est simplement là que cela apparaît d’une façon claire, à savoir dans telle ou telle tribu d’Amérique centrale, permet à certains moments de trancher certaines questions qui se posent sur la signification de la couvade, qui est res­tée très ambiguë et très énigmatique; jusqu’à une époque récente on hésitait sur ses relations avec les éléments divers de croyance concernant le sens du mécanisme de la paternité, l’élément de contrecoup et de culpabilité des relations se réfléchit par l’intermédiaire de la femme.

On peut faire entrer un élément tout à fait précis de mise en question de la fonction du père comme tel dans la pro­création, c’est à dire de l’élément qu’apporte le père à la créa­tion d’un nouvel individu. Je n’ai pas à vous dire sur quels faits peuvent se fonder cette affirmation qui apporte une pré­cision essentielle dans le domaine du matériel signifiant qui permet de préciser que la couvade se situe au niveau de la question concernant ce que c’est que la procréation mascu­line en tant qu’elle y participe.

Dans cette voie, par cette approche, il ne paraîtra peut-­être pas forcé de dire qu’en somme ce vers quoi nous amène cette question sur la question des névroses est ceci: réfléchis­sons à ce qu’est le signifiant, le symbolique en tant qu’il donne une forme dans laquelle puisse s’insérer ce qu’on peut à juste titre appeler à proprement parler le sujet au niveau de l’être, ce en quoi le sujet se reconnaît comme étant ceci ou cela. Beaucoup de choses s’expliquent dans ce registre en tant qu’explicatif, que causal, que coordonnant ce quelque chose qui dans le dernier ressort n’est pas autre chose que la chaîne des signifiants. La notion même de cau­salité n’est pas autre chose.

Il y a tout de même une chose qui échappe à la trame. Mais il n’y a pas à aller chercher très loin. Il y a deux choses qui échappent à la trame, c’est au niveau du symbolique entendons-le, l’explication de la succession, sortie des êtres les uns par rapport aux autres, c’est très précisément la pro­création dans sa racine essentielle, c’est qu’un être naisse d’un autre. Il y a là quelque chose qui, dans l’ordre du sym­bolique est couvert par le fait qu’un ordre est instauré de cette succession entre les êtres; mais de leur essentielle indi­viduation, c’est-à-dire du fait qu’il y en ait un autre qui sorte du premier, qu’il y ait création; et d’ailleurs il n’y a pas créa­tion, précisément tout le symbolisme est là pour affirmer que la créature n’engendre pas la créature, que la créature est impensable sans une fondamentale création. Dans le sym­bolique, rien n’explique la création.

En d’autres termes, rien n’explique, c’est la même chose, qu’il faille que des êtres meurent pour que d’autres naissent, et le rapport essentiel de la reproduction sexuée avec l’appa­rition de la mort, disent les biologistes, si c’est vrai, montre que les biologistes sont aussi autour de quelque chose qui est la même question. La question de savoir ce qui lie deux êtres dans l’apparition de la vie en tant que telle, est quelque chose qui ne va de soi que pour autant que l’être lui-même est inté­gré dans le symbolique, c’est-à-dire que pour lui la question ne se pose pas à partir du moment où il est dans le symbo­lique réalisé comme homme ou comme femme, mais dans toute la mesure où ce quelque chose arrive à la façon d’un accident, qui l’empêche d’y accéder. Et ceci peut arriver aussi bien par le fait des accidents biographiques de chacun.

Ce qui surgit est la question foncière, ce en quoi est ce qui nécessite aussi la question que lui-même, Freud a posée dans « Au-delà du principe du plaisir ». De même, dit-il, que la vie va se reproduire, chaque fois qu’elle se reproduit, le même cycle qu’elle est forcée de répéter pour rejoindre le but com­mun de la mort, disons que ceci est en quelque sorte le reflet de son expérience. En fin de compte, ce que chaque névrose reproduit, c’est en effet un certain cycle dans l’ordre du signi­fiant, dans l’ordre de certaines questions particulières, les plus fondamentales sans doute, qui se produisent au niveau du signifiant, mais sur le fond de la question se pose le rap­port de l’homme au signifiant comme tel, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui est radicalement inassimilable au signi­fiant, c’est tout simplement son existence singulière; pour­quoi est-il là? d’où sort-il ? que fait-il ? Autrement dit la question de savoir pourquoi il va disparaître étant donné que le signifiant est incapable de lui donner un élément pour une simple raison que justement en tant que signifiant, il le met au-delà de la mort, parce qu’en tant que signifiant il le consi­dère déjà comme mort; il l’immortalise par essence.

La question de la mort, c’est celle qui est au fond un autre mode de la création névrotique de la question, c’est celui de la névrose obsessionnelle. je l’ai indiqué hier soir. je le laisse de côté aujourd’hui, parce que nous n’allons pas faire les névroses obsessionnelles cette année. Les considérations que je vous propose là sont des considérations de structure générale qui sont encore préludes aux problèmes qui nous sont posés par le psychotique. je m’intéresse spécialement à la question telle qu’elle est posée dans l’hystérie parce qu’il s’agit justement de savoir en quoi le mécanisme de la psy­chose, nommément du Président Schreber, pour autant qu’il importe aussi que nous voyions s’y dessiner la question de la procréation féminine, tout spécialement… Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est pour la situer par rapport à la façon dont la question se présente chez l’hystérique que je fais ce détour qui est en même temps une illustration des points que j’ai remués hier soir.

Je désire vous signaler que, illustrant les choses sur lesquelles j’ai mis un accent assez fort hier soir, il y a des textes.

Et je crois que, pour ceux d’entre vous qui savent l’allemand ou l’anglais, pour vous y reporter, pour vous montrer que ce ne sont pas là des choses déduites de ma part. Freud a compris les névroses et un certain nombre d’autres choses. Il a fait son travail. Ma position peut très bien s’expri­mer en ceci que mon travail à moi, c’est de comprendre ce qu’a fait Freud. Et par conséquent toute espèce d’interpré­tation, même de ce qui est implicite dans Freud, est absolu­ment légitime. Donc, c’est vous dire que ce n’est pas pour reculer devant mes responsabilités que je vous prie de vous reporter à ce qu’ont puissamment articulé certains textes.

Il est quand même frappant de voir qu’en 1896, c’est-à­-dire dans ces années où Freud lui-même nous dit qu’il a ordonné, monté sa doctrine, et qu’il a mis longtemps avant de sortir ce qu’il avait à dire, il marque bien le temps de latence, qui est toujours de trois ou quatre ans, qu’il y a eu entre le moment où il a composé ses principales oeuvres et celui où il les a fait sortir. La Traumdeutung a été écrite trois ou quatre ans avant sa sortie. De même la Psychologie de la vie quotidienne et notamment dans le cas de Dora. Pendant cette période, il est frappant que ce n’est pas après-coup qu’apparaît cette structuration double qui est celle du signi­fiant et du signifié, et de voir que dans une lettre comme la lettre 46, par exemple, Freud nous dit que c’est le moment où il commence à voir apparaître dans son expérience, à pouvoir construire et c’est très tôt les étapes du développement du sujet comme étant essentiellement à mettre en relation avec l’existence de l’inconscient et ses mécanismes. Il est extrême­ment frappant de le voir employer le terme de « überset­zung » pour désigner telle ou telle étape des expériences du sujet, en tant qu’elle semble ou non traduite. «Traduite», qu’est-ce que cela veut dire ? Il s’agit de ce qui se passe au niveau défini par les âges du sujet, le premier âge qu’il dis­tingue: de un à quatre ans, puis de là à huit ans, ensuite la période pré-pubertaire, et enfin la période de maturité. Ce qui importe c’est de voir que la notion de « überset­zung », le fait que le sujet ait traduit, est mis au premier plan. Et d’après le contexte, il est curieux de se rapporter à ce qui dans Freud, met tant de force sur l’élément du signifiant. Le « Bedeutung » ne peut pas être traduite comme spécifiant le signifiant et non pas le signifié. De même que dans la lettre 52, à laquelle je vous prie de vous reporter, vous aurez exac­tement ce que j’ai déjà une fois relevé, c’est qu’il dit ceci: «Je travaille avec la supposition que notre mécanisme psychique est né d’après la mise en couches par un ordonnancement dans lequel de temps en temps le matériel que l’on a sous la main subit un remaniement d’après de nouvelles relations et un bouleversement dans l’inscription, une réinscription. »

Ce qui est essentiellement neuf dans la théorie, c’est l’affirmation que la mémoire n’est pas simple, mais qu’elle est plurale, multiple, et enregistrée sous diverses formes, sous diverses espèces. Je vous fait remarquer la parenté de ce qu’il dit là avec un travail beaucoup trop négligé; le schéma que je vous ai commenté l’autre jour, il l’explique comme ceci, et souligne que ce qui caractérise ces différentes étapes et ceci c’est justement la différence qui s’établit au cours de cette étape dans l’achèvement de la pluralité de ces inscrip­tions mnésiques; ces inscriptions mnésiques il les caractéri­sera pour chacune dans les différences de complexité qui sont les suivantes

D’abord, la « warhnehmung » (perception), c’est une posi­tion première, primordiale, qui reste simplement hypothé­tique, car en quelque sorte rien n’en vient au jour dans le sujet.

La « Bewusstsein » (conscience) et la mémoire sous cette forme simple s’excluant comme telles, c’est un point sur lequel Freud par la suite n’a jamais varié. Il a toujours sem­blé que le phénomène de mémoire pure en tant qu’inscrip­tion, en tant qu’il marque dans le sujet l’acquisition d’une nouvelle possibilité de réagir, est quelque chose qui devait rester complètement immanent au mécanisme, c’est-à-dire qu’il ne fasse intervenir aucune saisie du sujet par lui-même à aucune occasion. L’étape « warhnehmung » qui est la véritable étape pri­maire purement hypothétique, elle est là pour marquer qu’il faut supposer quelque chose de simple à l’origine de ce dont il s’agit, c’est-à-dire de cette conception de la mémoire comme étant essentiellement faite d’une pluralité de registres. La première, c’est donc la première registration des perceptions tout à fait inaccessibles à la conscience elle aussi, et qui est ordonnée par des associations de simulta­néité. Nous avons, là fondé et posé, comme l’exigence ori­ginelle d’une primitive instauration de simultanéité, c’est-à-dire de ce que je vous ai montré quand nous avons essayé l’année dernière, de faire des sortes d’exercices démonstratifs concernant les symboles qui faisaient que les choses devenaient (+ +, + -, – -) intéressantes à partir du moment où nous y établissions sa raison d’être dans la struc­ture des groupes de trois.

Mettre des groupes de trois ensemble, c’est en effet les instaurer dans la simultanéité; la naissance du signifiant, c’est la simultanéité, et aussi bien l’existence du signifiant est une coexistence synchro­nique. Après cela, la « Bewusstsein » est le second mode qui est ordonné comme quelque chose qui est une relation de causalité. Les inscriptions inconscientes correspondent à quelque choses, car il indique dans quel sens cette naissance primordiale d’une nouvelle dimension nous dirige. Elle est de l’ordre de quelque chose qui sera là des souvenirs conceptuels, qui, dit-il, « de la même façon est inaccessible à la conscience ». La notion de relation causale qui apparaît là pour la première fois en tant que telle, c’est-à-dire le moment où le signifiant qui est constitué comme signifiant s’ordonne à quelque chose d’autre qui ne peut être et qui n’est à cette occasion que justement et secondairement l’apparition du signifié avec ce qu’il comporte en effet, la prise, qui est quelque chose là impossible à méconnaître. C’est seulement après qu’inter­vient la « vorbewusstsein », qui est le troisième mode de remaniement entre ces choses, lié à l’apparition consciente des investissements qui correspondent dès cette époque à notre mot officiel, dit-il. Et c’est à partir de ce préconscient que seront rendus conscients les investissements, selon cer­taines règles précises. Et cette seconde conscience de la pen­sée est liée, nous dit-il, vraisemblablement à l’expérience hallucinatoire des représentations verbales: l’émission des mots. Il y a là quelque chose dont l’exemple le plus radical est dans l’expérience de l’hallucination verbale, liée au méca­nisme paranoïaque par lequel nous auditivons la représen­tation des mots. C’est à ceci qu’est liée l’apparition de la conscience qui autrement serait toujours sans lien avec la mémoire.

Et dans toute la suite qu’il manifeste, c’est que le phéno­mène de la « Verdrängung » (répression) consiste toujours dans la tombée de quelque chose qui est précisément de l’ordre de l’expression signifiante dans la tombée de ce qui est dans une de ces inscriptions, de ces illustrations au moment du passage d’une étape de développement à une autre, c’est-à-dire dans le fait que le signifiant de ce qui est enregistré à une de ces étapes en passant à une autre, ne fran­chit pas le mode de reclassement après-coup que nécessite une phase nouvelle d’organisation signifiant-signification où entre le sujet, et que c’est comme tel et ainsi qu’il faut expliquer l’existence de quelque chose qui est refoulé. Cela reste dans un mode d’inscription qui est antérieur; la notion d’inscription, d’insertion de tout ce qui est dans un signi­fiant, qui lui-même domine tout, qui domine l’enregistre­ment, est essentielle à la théorie de la mémoire, pour autant qu’elle est à la base, pour Freud, de sa première investigation du phénomène de l’inconscient.

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