samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 19 décembre 1956

Leçon du 19 décembre 1956

La conception analytique de la relation d’objet a déjà une certaine réalisation historique. Ce que j’essaye de vous montrer la reprend dans un sens partiellement différent, partiellement aussi le même, mais qui ne l’est tout de même bien entendu que pour autant qu’elle s’insère dans un ensemble différent qui lui donne une signification différente.

 

I1 convient, au point où nous en sommes parvenus, de bien ponctuer d’une façon accusée comment cette relation d’objet est mise par le groupe de ceux qui en font de plus en plus état — et j’ai pu m’en apercevoir récemment aux relectures de certains articles — au centre de leur conception de l’analyse. I1 convient de bien marquer en quoi cette formulation qui se précipite, qui s’affirme, et même jusqu’à un certain point qui s’affirme en même temps au cours des années, aboutit à quelque chose de maintenant très fermement articulé. Il est arrivé que dans certains articles j’ai souhaité ironiquement que quelqu’un donne vraiment la raison de la relation d’objet telle qu’elle est pensée dans une certaine orientation ; mon vœu a été amplement comblé depuis, c’est plus d’un qui nous a donné cette formulation, et plus spécialement une formulation qui a été plutôt en s’amollissant de la part de celui qui l’avait introduite à propos de la névrose obsessionnelle, mais pour d’autres on peut dire qu’il y a eu un effort de précision dans la conception dominante. Et dans l’article sur La motricité dans la relation d’objet dans le numéro de Janvier Juin 1955 de la Revue Française de Psychanalyse, Monsieur Michel Fain nous donne un exemple vivant, et je pense, répondant en tout au résumé que je vais vous en faire, les choses certainement vous paraîtront même aller beaucoup plus loin à la lecture de l’article que l’idée que je pourrai vous en donner d’une façon forcément raccourcie dans ces quelques mots…

 

Enfin j’espère que vous verrez à quel point il est exact que la relation entre l’analysé et l’analysant est conçue au départ comme celle qui s’établit entre un sujet (le patient) et un objet extérieur (l’analyste), et pour nous exprimer dans notre vocabulaire, l’analyste est là conçu comme réel. Toute la tension de la situation analytique est conçue sur cette base que c’est ce couple qui à lui tout seul est un élément animateur du développement analytique, qu’entre un sujet couché ou non sur un divan et l’objet extérieur qui est l’analyste, il ne peut en principe s’établir, se manifester que ce qui est appelé la relation pulsionnelle primitive, celle qui doit normalement, c’est le présupposé du développement de la relation analytique, se manifester par une activité motrice. C’est du côté des petites traces soigneusement observées des époques de réaction motrice du sujet que nous trouvons le dernier mot de ce qui se passe au niveau de la pulsion qui sera là en quelque sorte localisée, sentie vivante par l’analyste, c’est pour autant que le sujet contient ses mouvements qu’il est forcé de les contenir dans la relation telle qu’elle est établie par la convention analytique, c’est à ce niveau là qu’est localisé dans l’esprit de l’analyste ce dont il s’agit de manifester, c’est à dire la pulsion en train d’émerger.

 

En fin de compte la situation est à la base conçue comme ne pouvant s’extérioriser que dans une agression érotique, qui ne se manifeste pas parce qu’il est convenu qu’elle ne se manifestera pas, mais dont en quelque sorte il est souhaitable que l’érection surgisse, si l’on peut dire, à tout instant. C’est précisément dans la mesure où à l’intérieur de la convention analytique, la position de la règle, la manifestation motrice de la pulsion ne peut pas se pro­duire, qu’il nous sera permis de nous apercevoir que ce qui interfère dans cette situation, elle considérée comme constituante, nous est très précisément formulé en ceci qu’à la relation avec l’objet extérieur se superpose une relation avec un objet intérieur.

 

C’est ainsi qu’on s’exprime dans l’article que je viens de vous citer. C’est pour autant que le sujet a une certaine relation avec un objet intérieur qui est toujours considéré comme étant la personne présente, mais prise en quelque sorte dans les mécanismes imaginaires déjà institués dans le sujet, c’est en tant qu’une certaine discordance s’introduit entre cet objet imaginaire et l’objet réel, que l’analyste va être à chaque instant apprécié, jaugé, et qu’il va modeler ses interventions à chaque instant dans la mesure de la discordance entre cet objet intérieur de cette relation fantasmatique à quelqu’un qui est en principe la personne présente puisqu’il n’est personne d’autre que ceux qui sont là à entrer en jeu dans la situation analytique et la notion mise en valeur par l’un de ces auteurs, suivi dans cette occasion par tous les autres, qui est celle de la distance névrotique que le sujet impose à l’objet, se réfère très précisément à cette situa­tion analytique.

 

C’est dans toute la mesure où à un moment l’objet fantasmatique, l’objet intérieur sera enfin, au moins dans cette position suspendue et de cette façon vécue par le sujet, réduit à la distance réelle qui est celle du sujet à l’analyste, c’est dans la mesure où le sujet réalisera son analyste comme présence réelle. Ici les auteurs vont très loin. J’ai déjà fait plusieurs fois allusion au fait qu’un de ces auteurs, il est vrai alors dans une période postulante de sa carrière, avait parlé comme du tournant crucial d’une analyse le moment où — et ce n’était pas une métaphore — son analysé avait pu le sentir, il ne s’agissait pas qu’il puisse le sentir psychologiquement, où il avait perçu son odeur. Cette sorte de mise au premier plan, d’affleurement de la relation de subodoration est, je dois dire, une des conséquences mathématiques d’une conception semblable de la relation analytique. Il est bien certain que dans une position réfrénée à l’intérieur de laquelle doit peu à peu se réaliser une distance qui est conçue comme la distance ici active, présente, réelle vis-à-vis de l’analyste, il est bien certain qu’un des modes des relations les plus directes dans cette position qui est une position réelle et simplement réfrénée, doit être ce mode d’appréhension à distance qui est donné par la subodoration. Je ne prends pas là un exemple, ceci a été répété à plusieurs reprises, et il semble que dans ce milieu on tende de plus en plus à donner une importance pivot à de tels modes d’appréhension.

 

Voici donc comment la position analytique est pensée à l’intérieur de cette situation qui est une situation de rapport réel de deux personnages dans un enclos à l’intérieur duquel ils sont séparés par une sorte de barrière qui est une barrière conventionnelle, et quelque chose doit se réaliser. Je parle de la formulation théorique des choses, nous verrons après où ceci mène quant aux conséquences pratiques. Il est bien clair qu’une conception aussi exorbitante ne peut pas être poussée jusqu’à ses dernières conséquences, il est bien clair d’autre part que si ce que je vous enseigne est vrai, cette situation n’est même pas réellement cela, il ne suffit pas de la concevoir comme telle, bien entendu pour qu’elle soit ainsi qu’on la conçoit, on la mènera de travers en raison de la façon dont on la conçoit, mais ce qu’elle est réellement reste tout de même qu’elle est ce quelque chose que j’essaye de vous exprimer par ce schéma qui fait intervenir et s’entrecroiser la relation symbolique et la relation imaginaire l’une servant en quelque sorte de filtre à l’autre, et il est bien clair que cette situation n’est pas réelle pour autant qu’on la méconnaît, c’est donc quelque chose qui se trouvera manifester l’insuffisance de cette conception. Mais inver­sement l’insuffisance de cette conception peut avoir quelques conséquences sur la façon de mener à bonne fin l’ensemble de la situation.

 

C’est un exemple d’espèce que je vais mettre en valeur aujourd’hui devant vous pour vous montrer effectivement à quoi cela peut aboutir. Mais d’ores et déjà voici donc une situation conçue comme une situation réelle, comme une situation de réduction de l’imaginaire au réel, opération de réduction à l’intérieur de laquelle se passent un certain nombre de phénomènes qui permettront de situer les différentes étapes où le sujet est resté plus ou moins adhérent ou fixé à cette relation imaginaire, et de faire ce qu’on appelle l’exhaustion des diverses positions, positions essentiellement imaginaires comme on l’a montré, au premier plan de la relation prégénitale comme devenant de plus en plus l’essentiel de ce qui est exploré dans l’analyse.

 

La caractéristique d’une telle conception est assurément que la seule chose, et ce n’est pas rien puisque tout est là, la seule chose qui n’est aucunement élucidée on peut l’exprimer ainsi : c’est que l’on ne sait pas pourquoi l’on parle dans cette situation — on ne le sait pas assurément, cela ne veut pas dire qu’on pourrait s’en passer — rien n’est dit quant au fait de la fonction à proprement parler du langage et de la parole dans cette position. Aussi bien d’ailleurs ce que nous verrons venir au jour c’est la valeur toute spéciale qui est donnée, ceci encore vous le trouverez chez les auteurs et dans les textes cités, ponctuée de la façon la plus précise que seule la verbalisation impulsive, les espèces de cris vers l’analyste du type : Pourquoi ne me répondez-vous pas ? représentent en fin de compte ce quelque chose qui est valable pour autant qu’il s’agit là de mots impulsifs, et signaler une verbalisation n’a d’importance qu’autant qu’elle est impulsive, qu’autant qu’elle est manifestation motrice.

 

Dans cette opération du réglage si l’on peut dire de la distance de l’objet interne à laquelle toute la technique en quelque sorte se soumettra, à quoi allons­-nous aboutir ? Qu’est-ce que notre schéma nous permet de concevoir de ce qui peut se passer ? Cette relation concerne la relation imaginaire, la relation du sujet en tant que plus ou moins discordant, décomposé, ouvert au morcellement, à une image unifiante qui est celle du petit autre, qui est une image narcissique. C’est très essentiellement sur cette ligne que s’établit la relation imaginaire, de même que c’est sur cette ligne qui n’en est pas une puisqu’il convient de l’établir, que se produit cette relation à l’Autre qui n’est pas simplement l’Autre qui est là, qui est littéralement le lieu de parole, c’est en tant qu’il y a déjà structuré dans la relation parlante cet au-delà, cet Autre au-delà même de cet autre que vous appréhendez imaginairement, cet Autre supposé qui est le sujet comme tel, le sujet dans lequel votre parole se constitue parce qu’il peut comme parole, non seulement l’accueillir, la percevoir, mais y répondre, c’est sur cette ligne que s’établit tout ce qui est de l’ordre transférentiel à proprement parler, l’imaginaire y jouant précisément un rôle de filtre, voire d’obstacle. Bien entendu dans chaque névrose, le sujet a déjà, si l’on peut dire, son propre réglage, c’est à quelque chose que lui sert en effet de réglage par rapport à l’image, c’est à quelque chose que cela lui sert pour à la fois entendre et ne pas entendre ce qu’il y a à entendre au lieu de la parole.

 

Ne disons rien de plus que ceci : tout notre effort, tout notre intérêt porte uniquement sur ce qui est là dans cette position transverse par rapport à l’avè­nement de la parole, si tout est méconnu de la relation entre la tension imaginaire et ce qui doit se réaliser, venir au jour du rapport symbolique inconscient – parce que précisément c’est là toute la doctrine analytique qui est là à l’état potentiel, qu’il y a quelque chose qui doit lui permettre de s’achever, de se réaliser autant comme histoire que comme aveu – si nous abandonnons la notion de la fonction de la relation imaginaire par rapport à cette impossibilité de l’avènement symbolique qui constitue la névrose, si nous ne les pensons pas sans cesse chacun en fonction de l’Autre, ce qu’on peut s’attendre en principe qu’il y ait à dire est ce que précisément ces auteurs, les tenants de cette concep­tion, appellent la relation d’objet, et cette distance à l’objet est précisément réglée dans une certaine fin.

Si nous ne nous intéressons à elle que pour en quelque sorte l’anéantir, si tant est que ce soit possible en ne s’intéressant qu’à elle nous arrivions à quelque chose, à un certain résultat, qu’il suffise de savoir que nous en avons déjà, des résultats. Il nous est déjà venu en mains des sujets qui ont passé par ce style d’appréhension et d’épreuve. Il y a quelque chose d’absolument certain, c’est qu’au moins dans un certain nombre de cas, et précisément de cas de névrose obsessionnelle, cette façon tout entière de situer le développement de la situation analytique dans une poursuite de la réduction de cette fameuse distance qui serait considérée comme caractéristique de la relation d’ objet à la névrose obsessionnelle, nous obtenons ce qu’on peut appeler des réactions perverses paradoxales. Par exemple l’explosion qui est tout à fait inhabituelle et qui n’existait guère dans la littérature analytique avant que fût mis au pre­mier plan ce mode technique, la précipitation d’un attachement homosexuel pour un objet en quelque sorte tout à fait paradoxal qui dans la relation du sujet reste même là à la façon d’une sorte d’artéfact, d’une espèce de gélification d’une image, d’une chose qui s’est cristallisée, précipitée autour des objets qui se trouvent à la portée du sujet, et qui peut manifester pendant un certain temps une assez durable persistance. Ceci n’est pas étonnant si nous prenons la relation de la triade imaginaire mère-enfant-phallus.

Au point où j’ai poussé les choses la dernière fois vous avez vu s’ébaucher une ligne de recherche, c’est assurément pour nous en tenir au prélude de la mise enjeu de la relation symbolique qui ne se fera qu’avec la quarte fonction qui est celle du père qui est introduite par la dimension de l’œdipe Nous sommes ici dans un triangle qui en lui-même est préœdipien, je le souligne, il n’est pas là isolé que d’une façon abstraite. II ne nous intéresse dans son développement que pour autant qu’il est ensuite repris dans le quatuor avec l’entrée en jeu de la fonction paternelle à partir de cette, disons, déception fondamentale de l’enfant reconnaissant non seulement qu’il n’est pas l’objet unique de la mère – nous avons laissé ouverte la question de savoir comment il le reconnaissait – mais s’apercevant que l’objet possible – ceci plus ou moins accentué selon les cas – l’intérêt de la mère, est le phallus. Première question de la recon­naissance de la relation mère-enfant. S’apercevant en second lieu que la mère est justement privée, manque elle-même de cet objet, voilà le point où nous en étions parvenus la dernière fois.

 

Je vous l’ai montré en évoquant le cas transitoire d’une phobie chez une très jeune enfant, qui nous permettait de l’étudier, en quelque sorte, d’une façon très favorable parce que c’est la limite de la relation oedipienne que nous pou­vions voir à la suite de quelque double déception, déception imaginaire, repérage par l’enfant lui-même du phallus qui lui manque, puis ensuite dans un deuxième temps de la perception qu’à la mère, à cette mère qui est à la limite du sym­bolique et du réel, à cette mère manque aussi le phallus, et l’éclosion, l’appel par l’enfant pour soutenir en quelque sorte cette relation insoutenable et l’in­tervention de cet être fantasmatique qui est le chien qui intervient ici comme celui qui est en quelque sorte à proprement parler le responsable de toute la situation, celui qui mord, celui qui châtre, celui grâce à quoi est pensable, est vivable symboliquement l’ensemble de cette situation, au moins pour une période provisoire.

 

Que se passe-t-il donc, quelle est la position possible quand cet attelage des trois objets imaginaires dans l’occasion est rompu ? Il y a plus d’une solution possible, et la solution est toujours appelée dans une situation normale ou anor­male.

 

Que se passe-t-il dans la situation oedipienne normale ? C’est par l’inter­médiaire d’une certaine rivalité ponctuée d’identification, dans une alternance des relations du sujet avec le père, que quelque chose pourra être établi qui fera que le sujet se verra, en quelque sorte diversement selon sa position lui­ même de fille ou de garçon, mais conférer si l’on peut dire – pour le garçon c’est tout à fait clair – conférer dans certaines limites, celles précisément qui l’introduisent à la relation symbolique, conférer cette puissance phallique. Et d’une certaine façon quand je vous ai dit l’autre jour que pour la mère l’enfant comme être réel était pris comme symbole de son manque d’objet, de son appétit imaginaire pour le phallus, l’issue normale à cette situation peut se concevoir comme étant ceci précisément réalisé au niveau de l’enfant, c’est à dire que l’enfant reçoit symboliquement ce phallus dont il a besoin, mais dont pour qu’il en ait besoin il faut qu’il ait été préalablement menacé par l’instance castratrice qui est originalement et essentiellement l’instance paternelle. C’est dans une constitution sur le plan symbolique, sur le plan d’une sorte de pacte,de droit au phallus que s’établit pour l’enfant cette identification virile qui est au fondement d’une relation oedipienne normative.

 

Mais rien qu’ici je vous fais une remarque en quelque sorte latérale. Qu’est­-ce qui résulte de ceci ? II y a quelque chose d’assez singulier, voire de paradoxal dans les formulations originaires qui sont sous la plume de Freud de la distinction entre la relation anaclitique et la relation narcissique.

 

Dans l’œdipe cette relation libidinale …..

 

Chez l’adolescent Freud nous dit qu’il y a deux types d’objet d’amour, l’objet amour anaclitique qui porte la marque d’une dépendance primitive à la mère, l’objet d’amour narcissique qui est modelé sur l’image qui est l’image du sujet lui-même, qui est l’image narcissique. C’est cette image que nous avons essayé ici d’élaborer en en montrant la racine dans la relation spéculaire à l’autre.

Le mot anaclitique, encore que nous le devions à Freud, est vraiment bien mal fait car en grec il n’a vraiment pas le sens que Freud lui donne qui est indiqué par le mot allemand Anlehung, relation, c’est une relation d’appui contre. Ceci d’ailleurs prêtant encore à toutes sortes de malentendus, certains ayant poussé cet appui contre jusqu’à être quelque chose qui est une sorte finalement de réaction de défense. Mais laissons cela de côté, en fait si on lit Freud on voit bel et bien qu’il s’agit de ce besoin d’appui et de quelque chose qui en effet ne demande qu’à s’ouvrir du côté d’une relation de dépendance.

 

Si on pousse plus loin on verra qu’il y a de singulières contradictions dans la formulation opposée que Freud donne de ces deux modes de relations, ana­clitique et narcissique. Très curieusement il est amené à parler dans la relation anaclitique d’un besoin d’être aimé beaucoup plus que d’un besoin d’aimer ; inversement et très paradoxalement le narcissique apparaît tout d’un coup sous un jour qui nous surprend, car à la vérité certainement il est attiré par un élément d’activité inhérent au comportement très spécial du narcissique, il appa­raît actif pour autant justement qu’il méconnaît toujours jusqu’à un certain point l’autre. C’est du besoin d’aimer que Freud le revêt et dont il lui donne l’attribut, ce qui en fait tout à fait paradoxalement et soudain une sorte de lieu naturel de ce que dans un autre vocabulaire nous appellerions oblatif, et qui ne peut que déconcerter.

 

Je crois qu’il y a là-dessus à revenir, mais qu’une fois de plus c’est dans la méconnaissance de la position des éléments intrasubjectifs que ces perspectives paradoxales prennent leur origine, et du même coup leur justification. Ce qu’on appelle la relation anaclitique là où elle a de l’intérêt, c’est à dire au niveau de sa persistance chez l’adulte, est toujours conçue comme une sorte de pure et simple survivance, prolongation de ce qu’on appelle une position infantile. Si effectivement le sujet qui a cette position et qu’ailleurs dans l’article sur les types libidinaux, Freud n’appelle ni plus ni moins que la position érotique – ce qui montre bien que c’est effectivement la position la plus ouverte – ce qui fait en fait méconnaître l’essence, c’est précisément de ne pas s’apercevoir que pour autant que le sujet acquiert dans la relation symbolique, se voit investi du phallus comme tel, comme lui appartenant et comme étant pour lui d’un exercice si l’on peut dire légitime, il devient par rapport à ce qui succède à l’objet maternel, à cet objet retrouvé, marqué de la relation à la mère primitive qui sera dans la position normale de l’œdipe, toujours en principe, ceci dès l’origine de l’exposé Freudien, l’objet pour le sujet mâle, c’est à dire qu’il devient le porteur de cet objet de désir pour la femme.

La position devient anaclitique en tant que c’est de lui, du phallus dont il est désormais le maître, le représentant, le dépositaire, c’est en tant que la femme dépend de lui que la position est anaclitique. La relation de dépendance s’établit pour autant que s’identifiant à l’autre, au partenaire objectal, il est indispensable à ce partenaire, que c’est lui qui la satisfait, et lui seul parce qu’il est en principe le seul dépositaire de cet objet qui est l’objet du désir de la mère. C’est en fonction d’un achèvement de la position oedipienne que le sujet se trouve dans la position que nous pouvons qualifier d’optima dans une certaine perspective par rapport à l’objet retrouvé qui sera le successeur de l’objet maternel primitif, et par rapport auquel il deviendra lui, l’objet indis­pensable, et que se sachant indispensable, une partie de la vie érotique pré­cisément des sujets qui participent de ce versant libidinal soit tout entière condi­tionnée par le besoin une fois expérimenté et assumé de l’autre, de la femme maternelle comme ayant besoin en lui de trouver son objet qui est l’objet phal­lique.

 

Voilà ce qui fait l’essence de la relation anaclitique en tant qu’opposée à la relation narcissique. Ceci n’est qu’une parenthèse destinée à montrer l’utilité de mettre toujours en jeu cette dialectique de la relation, ici des trois objets premiers, autour de laquelle reste pour l’instant, sauf dans la notion générale de quelque chose qui les embrasse tous et les lie dans la relation symbolique, autour de laquelle reste pour l’instant localisé le quatrième terme qui est le père en tant qu’il introduit ici la relation symbolique, la possibilité de la trans­cendance de la relation de frustration ou de manque d’objet, dans la relation de castration qui est tout autre chose, c’est à dire qui introduit ce manque d’objet dans une dialectique, dans quelque chose qui prend et donne, qui ins­titue, investit, confère la dimension du pacte d’une interdiction, d’une loi, de l’interdiction de l’inceste en particulier, dans toute cette dialectique.

 

Revenons à notre sujet. Que se passe-t-il si c’est la relation imaginaire qui devient la règle et la mesure de toute la relation anaclitique ? I1 en adviendra exactement ceci : c’est qu’au moment où entrent dans le désaccord, dans le non-lien, dans la destruction des liens pour une raison quelconque évolutive des incidences historiques de la relation de l’enfant à la mère par rapport au tiers objet – objet phallique qui est à la fois ce qui manque à la femme et ce que l’enfant a découvert qui manque à la mère – il y a d’autres modes de rétablissement de cette cohérence. Ces modes sont des modes imaginaires, ce sont des modes imaginaires qui, non typiques, consistent dans l’identification de l’enfant à la mère, par exemple à partir d’un déplacement imaginaire de l’enfant par rapport à son partenaire maternel, le choix à sa place, l’assomption pour elle de ce manque vers l’objet phallique comme tel. Le schéma que je vous donne là n’est rien d’autre que le schéma de la perversion fétichiste.Voilà un exemple de solution si vous voulez, mais il y a une voie plus directe. En d’autres termes d’autres solutions existent d’accès à ce manque d’objet qui est déjà sur le plan imaginaire la voie humaine d’une réalisation qui est le rapport de l’homme à son existence, c’est à dire à quelque chose qui peut être mis en cause, qui déjà fait quelque chose de différent de l’animal et de toutes les relations animales possibles sur le plan imaginaire, c’est à dire à l’intérieur de certaines conditions qui seront des conditions en quelque sorte ponctuées, extra-historiques telles que se présente toujours le paroxysme de la perversion. La perversion a cette propriété de réaliser un certain mode d’accès à cet au delà de l’image de l’autre qui caractérise la dimension humaine, mais elle le réalise simplement dans un moment comme en produisent toujours les paroxysmes des perversions, qui sont en quelque sorte des moments syncopés dans l’intérieur de l’histoire du sujet. Il y a une somme de convergence ou de montée vers le moment qui est peut-être très significativement qualifié de passage à l’acte, et pendant ce passage à l’acte quelque chose est réalisé qui est fusion, qui est accès à cet au-delà qui est à proprement parler cette dimension tran­s-individuelle que la théorie anaclitique freudienne formulait comme telle, et nous apprend à appeler l’éros, cette union de deux individus chacun étant arraché à lui-même et pour un instant plus ou moins fragile, transitoire, voire même virtuel, constituant cette unité. Cette unité est réalisée à certains moments de la perversion, et ce qui constitue la perversion est précisément qu’elle ne peut être jamais réalisée que dans ces moments non ordonnés symboliquement.

 

Le sujet finalement trouve son objet, et son objet exclusif, et il le dit lui­-même, d’autant plus exclusif et d’autant plus parfaitement plus satisfaisant qu’il est inanimé, du moins comme cela il sera bien tranquille de ne pas avoir de déception de sa part. Quand le sujet aime une pantoufle voilà le sujet qui a vraiment, on peut dire, l’objet de ses désirs à sa portée, c’est plus sûr, un objet lui-même dépourvu de propriété subjective, intersubjective, voire trans-sub­jective. La solution fétichiste est incontestablement pour ce qui est de réaliser la condition de manque comme tel une des conditions les plus concevable dans cette perspective, et elle est réalisée.

 

Nous savons aussi que le propre de la relation imaginaire étant d’être tou­jours parfaitement réciproque puisque c’est une relation en miroir, nous devons nous attendre à voir apparaître chez le fétichiste de temps en temps la position non pas d’identification à la mère, mais l’identification à l’objet. C’est effec­tivement ce que nous verrons se produire au cours d’une analyse de fétichiste, car cette position comme telle est toujours ce qu’il y a de plus non satisfaisante. Il ne suffit pas que pour un court instant l’illumination fascinante de l’objet qui a été l’objet maternel soit quelque chose qui satisfasse le sujet, pour qu’autour de cela puisse s’établir tout un équilibre érotique, et effectivement pour le moment si c’est à l’objet qu’il s’identifie, il perdra on peut dire son objet primitif, à savoir la mère, il se considèrera lui-même pour la mère comme un objet destructeur, c’est ce perpétuel jeu, cette sorte de profonde diplopie qui marque toute l’appréhension de la manifestation fétichiste dans laquelle nous aurons à entrer plus tard. Mais c’est tellement visible et manifeste que quelqu’un comme Phyllis Greenacre qui a cherché à approfondir sérieusement le fondement de la relation fétichiste, nous dit qu’il semble qu’on soit en présence d’un sujet qui vous montrerait avec une excessive rapidité sa propre image dans deux miroirs opposés. Ca lui est sorti comme cela sans qu’elle sache très bien à ce moment là pourquoi, car cela vient comme les cheveux sur la soupe, mais elle a eu tout d’un coup le sentiment que c’est cela, il n’est jamais là où il est pour la bonne raison qu’il est sorti de sa place, qu’il est passé dans une relation spéculaire de la mère au phallus, et qu’il est alternativement l’un et l’autre, position qui n’arrive à se stariser que pour autant qu’est saisi cette sorte de symbole unique, privilégié et en même temps impermanent qu’est l’objet précis du fétichisme, c’est à dire le quelque chose qui symbolise le phallus.

 

C’est donc sur le plan de relations analogues, tout au moins que nous pouvons concevoir comme étant essentiellement de nature perverse, que doivent se manifester les résultats au moins transitoires, au moins en face d’une certaine manière de manier la relation anaclitique, si nous la centrons toute entière sur la relation d’objet en tant que ne faisant intervenir qu’imaginaire et réel, et réglant sur un prétendu réel de la présence de l’analyste toute l’accommodation de la relation imaginaire.

 

Dans mon rapport de Rome j’ai fait quelque part allusion à ce mode de relation d’objet en le comparant à ce que j’appelais une sorte de bundling poussé à ses limites suprêmes en fait d’épreuve psychologique. Ce petit passage a pu passer inaperçu, mais par une note j’éclaire le lecteur et spécifie que le bundling est quelque chose de très précis qui concerne certaines coutumes qui existent encore dans ces sortes d’îlots culturels où persistent de vieilles coutumes. Mais nous en trouvons déjà dans Stendhal qui raconte cela comme une espèce de particularisme des fantaisistes suisses ou du sud de l’Allemagne, dans dif­férents endroits qui ne sont pas indifférents au point de vue géographique. Ce bundling consiste très exactement dans la conception des relations amoureuses d’une technique, d’un pattern de relations entre mâle et femelle qui consiste en ceci qu’on admet que dans certaines conditions pour un autre partenaire par exemple qui aborde le groupe d’une façon privilégiée, quelqu’un de la mai­son, la fille généralement, peut au cours d’une relation qui est essentiellement fondée comme un type de relation d’hospitalité, lui offrir de partager son lit, et ceci étant lié à la condition que le contact n’aura pas lieu, et c’est de là que vient bundling. La fille est très fréquemment dans ces modes d’usages enve­loppée d’un drap, de sorte qu’il y a toutes les conditions de l’approche, mise à part la dernière. Ceci qui peut passer pour être simplement une heureuse fantaisie de mœurs dont nous pouvons peut-être regretter de n’être pas par­ticipants, cela pourrait être amusant, mérite une certaine attention, car en fin de compte il n’y a rien de forcé à dire que la situation analytique dix-sept ou dix-huit ans après la mort de Freud est paradoxale et aboutit à être conçue, et formalisée ainsi ……

 

Il y a là le rapport d’une séance noté en 1933 ou 1934, avec tous les mou­vements de la patiente pendant la séance, orientée pour autant qu’elle manifeste quelque chose qui est l’élan plus ou moins manifeste à plus ou moins de distance par rapport à l’analyste qui est là, derrière son dos. Il y a là tout de même quelque chose d’assez frappant, encore que ce texte ait paru depuis que j’ai écrit mon rapport, et cela prouve que je n’ai rien forcé en disant que c’est à ce but et à ces conséquences psychologiques que se réduisait la pratique de l’analyse dans une certaine conception.

 

Je vous indique que si nous trouvons ces paradoxes dans les us et les cou­tumes de certains îlots culturels, il y a une secte protestante sur laquelle quel­qu’un a fait des études assez avancées, c’est une secte d’origine hollandaise qui a conservé dans ses relations d’une façon très précise les coutumes locales liées à une unité religieuse, c’est la secte des Amish.

Mais il est bien clair que tout ceci ressortit à des restes incompris bien entendu, mais dont nous trouvons la formulation symbolique tout à fait coor­donnée, délibérée, organisée dans toute une tradition qu’on peut appeler reli­gieuse, symbolique même. Il est clair que tout ce que nous savons de la pratique de l’amour courtois et de toute la sphère dans laquelle il s’est localisé au Moyen­-Age, implique cette sorte d’élaboration technique très rigoureuse de l’approche amoureuse qui comportait de longs stages réfrénés en la présence de l’objet aimé, et qui visait à la réalisation en effet de cet au-delà qui est cherché dans l’amour, cet au-delà proprement érotique, et que ces techniques, toutes ces traditions à partir du moment où on en a la clé, on en retrouve d’une façon tout à fait formulée dans d’autres aires culturelles les points d’émergence.

C’est un ordre de recherche dans la réalisation amoureuse qui, à plusieurs reprises, est posé dans l’histoire de l’humanité de façon tout à fait consciente. Ce qui est ordonné, ce qui est effectivement atteint, nous n’avons pas ici à le poser en question, que cela visât quelque chose qui essayât d’aller au-delà du court-circuit physiologique si on peut s’exprimer ainsi, il n’est également pas douteux que ça ait un certain intérêt.

Ce n’est pas là quelque chose qui est introduit ici en dehors d’une certaine référence qui nous permet de situer exactement, et cette métaphore, et en même temps la possibilité d’intégrer à divers niveaux, c’est-à-dire d’une façon plus ou moins consciente, ce qu’on fait de l’usage de la relation imaginaire comme telle – peut- être elle-même employée d’une façon délibérée – l’usage si on peut dire de pratiques qui peuvent paraître aux yeux d’un naïf être des pratiques perverses, et qui en réalité ne le sont pas plus que n’importe quel règlement de l’approche amoureuse d’une sphère définie des mœurs et des patterns, comme on s’exprime.

C’est quelque chose qui mérite d’être signalé comme point de référence pour savoir où nous nous situons.Maintenant prenons un cas qui est développé dans cette revue citée la dernière fois qui rapporte les questions sincères des membres d’un certain groupe à propos de la relation d’objet. Nous avons là sous la plume d’une personne qui a pris rang dans la communauté analytique l’observation de ce qu’elle appelle à juste titre un sujet phobique. Ce sujet phobique se présente comme quelqu’un dont l’activité a été assez réduite pour arriver à une sorte d’inactivité presque complète, le sujet a comme symptôme le plus manifeste la crainte d’être trop grand, il se présente toujours dans une attitude extrê­mement penchée, presque tout est devenu impossible de ses relations avec le milieu professionnel, il mène une vie réduite à l’abri du milieu familial, néan­moins non pas sans qu’il ait une maîtresse qui lui a été fournie par sa mère, elle-même plus âgée que lui. Et c’est dans cette constellation que l’analyste femme en question s’empare de lui et commence à aborder avec lui la question.

 

Le diagnostic du sujet est fait d’une façon fine, et le diagnostic de phobie ne souffre pas de difficulté malgré le paradoxe du fait que l’objet phobogène au premier aspect n’a pas l’air d’être extérieur. Il l’est pourtant en ceci qu’à un moment nous voyons apparaître un rêve répétitif qui est le modèle d’une anxiété extériorisée. Dans ce cas particulier l’objet n’est découvert qu’à un second abord, c’est précisément l’objet lui-même phobique que nous savons parfaitement reconnaissable, il est le substitut de l’image paternelle qui est tout à fait carente dans ce cas, c’est l’image d’un homme en armure, au reste pourvu d’un instrument particulièrement agressif qui n’est autre qu’un tube de fly-tox qui va détruire tous les petits objets phobiques, des insectes, qui est là mer­veilleusement illustrée. Et c’est d’être traqué et étouffé dans le noir par cet homme en armure que le sujet se révèle avoir la crainte, et cette crainte n’est pas rien dans l’équilibre général de cette structure phobique. On obtient au bout d’un certain temps l’émergence de cette image. L’analyste femme qui a charge du sujet nous donne là une observation intitulée D’une réaction perverse ou de l’apparition d’une perversion au cours d’un traitement analytique. Ce n’est pas forcer les choses – perversion sexuelle transitoire – de ma part que d’introduire cette question de réaction perverse puisque l’auteur met l’accent sur l’intérêt de l’observation comme étant cet intérêt, et en effet l’auteur n’est pas tranquille, non seulement l’auteur n’est pas tranquille, mais l’auteur s’est très bien aperçu que la réaction qu’elle appelle perverse – bien entendu c’est une étiquette – est apparue dans des circonstances précises. En tout cas le fait que l’auteur pose la question autour de ce moment prouve qu’elle a conscience que la question est là, à partir du moment où ayant enfin vu venir au jour l’objet phobogène – l’homme en armure, elle l’interprète comme étant la mère phallique.

 

Pourquoi la mère phallique alors que c’est vraiment l’homme en armure avec tout son caractère héraldique. Pourquoi la mère phallique ? Pendant toute cette observation sont rapportées avec je crois une fidélité incontestable et en tout cas assez bien soulignée, les questions que se pose l’auteur. L’auteur se pose la question suivante : n’ai-je pas fait là une interprétation qui n’est pas la bonne puisque tout de suite après est apparue cette réaction perverse, et que nous avons été engagés ensuite dans rien moins qu’une période de trois ans où par étapes le sujet a d’abord développé un fantasme pervers qui consistait à s’imaginer vu urinant par une femme qui très excitée venait alors le solliciter d’avoir avec elle des relations amoureuses, puis ensuite une réversion de cette position, c’est à dire lui le sujet observant en se masturbant ou en ne se mas­turbant pas une femme en train d’uriner, puis dans une troisième étape la réalisation effective de cette position, c’est à dire la trouvaille dans un cinéma d’un petit local qui se trouvait providentiellement pourvu de lucarnes grâce auxquelles il pouvait effectivement observer des femmes dans les w.c. d’à côté pendant que lui-même était dans son propre cagibi.

 

Nous avons donc là quelque chose à propos de quoi l’auteur lui-même s’interroge sur la valeur déterminante d’un certain mode d’interprétation par rapport à la précipitation d’une chose qui d’abord a pris l’allure d’une cris­tallisation fantasmatique de quelque chose qui fait évidemment partie des composantes du sujet, à savoir non pas de la mère phallique, mais de la mère dans son rapport avec le phallus. Mais l’idée qu’il y a dans le coup une mère phallique, l’auteur lui-même nous en donne la clé. L’auteur s’interroge à un moment sur la menée générale du traitement, et il observe qu’elle-même a été en fin de compte beaucoup plus interdisante ou interdictrice que ne l’avait jamais été la mère. Tout fait apparaître que l’entité de la mère phallique est là produite en raison de ce que l’auteur appelle elle-même ses propres positions contre­transférentielles. Si on suit l’analyse de près on n’en doute absolument pas, car cependant que se développait cette relation imaginaire, bien entendu dans toute la mesure où elle avait été développée par le faux pas analytique, nous voyons:

 

1 : l’analyste intervenir à propos d’un rêve où le sujet se trouvant en pré­sence d’une personne de son histoire passée, vis-à-vis de laquelle il prétend avoir des impulsions amoureuses, se prétend empêché par la présence d’un autre sujet féminin qui a joué également un rôle dans son histoire, une femme qu’il a vue dans son enfance uriner devant lui à une période beaucoup plus avancée de son enfance, c’est à dire passé l’âge de treize ans. L’analyste intervient de la façon suivante : Sans doute vous aimez mieux vous intéresser à une femme en la regardant uriner que de faire l’effort d’aller à l’assaut d’une autre femme qui peut vous plaire mais qui se trouve être quelqu’un de marié. Par cette intervention l’analyste pense réintroduire la vérité d’une façon un peu forcée, car le personnage masculin n’est indiqué dans le rêve que par des associations, à savoir le mari prétendu de la mère. Le mari qui vient réintroduire le complexe d’œdipe intervient d’une façon qui a tous les caractères de la provocation, surtout si on sait que c’est le mari de l’analyste qui a envoyé le sujet à celle-ci.

 

A ce moment là c’est précisément quelque chose qui est un virage, c’est à ce moment là que se produit le retournement progressif du fantasme d’ob­servation, du sens d’être observé à celui d’observer soi-même.

2 : comme si ce n’était pas assez, l’analyste, à une demande du sujet de ralentir le rythme des séances, lui répond : Vous manifestez là vos positions passives parce que vous savez très bien que de toute façon vous ne l’obtiendrez pas. A ce moment là le fantasme se cristallise complètement, ce qui prouve qu’il y a quelque chose de plus. Le sujet qui comprend pas mal de choses dans ses relations d’im­possibilité d’atteindre l’objet féminin, finit par développer ses fantasmes à l’in­térieur du traitement lui-même, crainte d’uriner sur le divan, etc.. Il commence à avoir de ces réactions qui manifestent un certain rapprochement de la distance à l’objet réel, il commence à épier les jambes de l’analyste – ce que l’analyste note d’ailleurs avec une certaine satisfaction -. Il y a en effet quelque chose qui est au bord de la situation réelle, de la constitution de la mère non pas phallique mais aphallique.

S’il y a quelque chose qui est en effet le principe de l’institution de la position fétichiste, c’est très précisément en ceci que le sujet s’arrête à un certain niveau de son investigation et de son observation de la femme en tant qu’elle a ou n’a pas l’organe qui est mis en question. Nous nous trouvons donc là devant une position qui fait aboutir peu à peu le sujet à dire : mon dieu il n’y aurait de solution que si je couchais avec mon analyste. Il le dit. A ce moment là l’analyste commence à trouver que ça lui tape un peu sur les nerfs et lui fait cette remarque à propos de laquelle elle s’interroge ensuite anxieusement : Ai-je bien fait de dire cela ? – Vous vous amusez pour l’instant, lui dit-elle, à vous faire peur avec quelque chose dont vous savez très bien que ça n’arrivera jamais.

N’importe qui peut s’interroger sur le degré de maîtrise que comporte une intervention comme celle-là, qui est un rappel un peu brutal des conventions de la situation analytique. C’est tout à fait en accord avec la notion que l’on peut se faire de la position analytique comme étant une position réelle. Voilà donc les choses remises au point. C’est très précisément après cette intervention que le sujet passe définitivement à l’acte et trouve l’endroit parfait, l’endroit élu dans le réel à savoir l’organisation de la petite pissoire des Champs Elysées où il se trouvera cette fois réellement à la bonne distance réelle, séparé par un mur de l’objet de son observation, qu’il pourrait cette fois observer bel et bien non pas comme mère phallique, mais très précisément comme mère aphal­lique, et suspendre là pendant un certain temps toute l’activité érotique qui est tellement satisfaisante qu’il déclare que jusqu’au moment de cette découverte il a vécu comme un automate, mais que maintenant tout est changé.

 

Voilà où les choses en sont. Je voulais simplement vous faire toucher du doigt qu’assurément la notion de distance de l’objet analyste en tant qu’objet réel, et la notion dite de référence, peut être quelque chose qui n’est pas sans effet, ce ne sont peut-être pas les effets les plus désirables en fin de compte.

Je ne vous dit pas comment se termine ce traitement, il faudrait l’examiner minutieusement tant chaque détail est riche d’enseignement. La dernière séance est éludée, le sujet se fait également opérer de quelque varice, tout y est. La tentative timide d’accès à la castration et une certaine liberté qui peut en décou­ler y est même indiquée. On juge après cela que c’est suffisant, le sujet retourne avec sa maîtresse, la même qu’il avait eu au début, celle qui a quinze ans de plus que lui, et comme il ne parle plus de sa grande taille on considère que la phobie est guérie. Malheureusement à partir de ce moment-là il ne pense plus qu’à une chose, c’est la taille de ses souliers, ils sont tantôt trop grands, il perd l’équilibre, ou ils sont trop petits et ils lui serrent le pied, de sorte que le virage, la transformation de la phobie est accomplie. Après tout pourquoi pas considérer cela comme la fin du travail analytique ? De toute façon du point de vue expérimental il y a quelque chose qui n’est assurément pas dépourvu d’intérêt. Le sommet bien entendu de l’accès à la prétendue bonne aisance, à l’objet réel est donné comme s’il y avait là presque un signe de reconnaissance, je parle entre initiés au moment où le sujet a la perception en présence de son analyste d’une odeur d’urine, ceci étant considéré comme le moment où la distance à l’objet réel – tout au long de l’observation il nous est indiqué que c’est là le point par où toute la relation névrotique pèche – où la distance est enfin exacte, ceci bien entendu coïncidant avec le sommet, l’apogée de la per­version.

 

Quand je dis perversion, dites-le vous bien, pas plus d’ailleurs que l’auteur ne se le dissimule, il ne faut pas considérer à proprement parler ceci comme une perversion, mais bien plutôt comme un artéfact. Ces choses, encore qu’elles puissent être permanentes et très durables, sont tout de même des artéfacts susceptibles de rupture, de dissolution quelque fois assez brusques. Au bout d’un certain temps le sujet se fait surprendre par une ouvreuse. Le seul fait d’être surpris par cette ouvreuse fait tomber du jour au lendemain la fré­quentation de l’endroit particulièrement propice que le réel était venu lui offrir à point nommé – le réel offre toujours à point nommé tout ce qu’on a besoin quand on a été enfin réglé par les bonnes voies à la bonne distance.

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