samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 22 mai 1957

Leçon du 22 mai 1957

« Des enfants au maillot »

« O cités de la mer, je vois chez vous vos citoyens, hommes et femmes, les bras et les jambes étroitement ligotés dans de solides liens par des gens qui n’entendront point votre langage, et vous ne pourrez exhaler qu’entre vous, par des plaintes larmoyantes, des lamentations et des soupirs, vos douleurs et vos regrets de la liberté perdue. Car ceux-là qui vous ligotent ne comprendront pas votre langue, non plus que vous ne les comprendrez. »

Ce petit morceau extrait des Carnets de notes de Léonard de Vinci il y a quelque mois, et que j’avais complètement oublié, me paraît assez propre à introduire notre leçon d’aujourd’hui. Ce passage assez grandiose n’est qu’à entendre, bien entendu, à titre allusif.

Nous allons reprendre aujourd’hui notre lecture des textes du petit Hans, en tentant d’entendre la langue dans laquelle le petit Hans s’exprime.

La dernière fois je vous ai pointé un certain nombre d’étapes de ce déve­loppement du signifiant, dont en somme il nous fait considérer que le centre énigmatique, à savoir le signifiant du cheval inclus dans la phobie, se présente comme ayant pour fonction celle d’un cristal dans une solution sursaturée. C’est autour de ce signifiant du cheval que vient en somme se développer, s’épanouir en une sorte d’immense arborescence, ce développement mythique dans lequel l’histoire du petit Hans consiste..

Tout de suite, pour maintenant si je puis dire immerger cet arbre dans le bain de ce qui a été vécu par le petit Hans, nous devons voir quel a été le rôle de ce développement de l’arbre, et je veux vous indiquer ce à quoi va tendre une sorte de bilan que nous allons avoir à faire, de ce qu’a été le progrès du petit Hans.

 

Tout de suite il vous indique que puisqu’il s’agit ici de la relation d’objet prise dans les termes d’un progrès, et pendant que le petit Hans va vivre son œdipe, rien ne nous indique dans l’observation que nous devions considérer les résultats comme en quelque sorte pleinement satisfaisants. Je dirais qu’il y a quelque chose que l’observation à son début accentue, c’est je ne sais quoi qu’on pourrait appeler une sorte de maturité précoce chez ce petit Hans. On ne peut pas dire qu’à ce moment là il est avant son œdipe, mais assurément à la sortie.

La façon, en d’autres termes, dont le petit Hans éprouve ses rapports avec les petites filles, a déjà comme on nous le souligne dans l’observation, tous les caractères avancés d’une relation, nous ne dirons pas adulte, mais en quelque sorte qui permet de lui reconnaître une espèce d’analogie assez brillante, qui fait que pour tout dire, Freud lui-même se présente comme une sorte d’heureux séducteur, et qu’assurément ce terme complexe, voire donjuanesque, tyrannique dont j’ai laissé sortir une fois ici le terme pour le plus grand scandale de certains, est tout à fait caractérisé dans cette attitude précoce du petit Hans, qui indique l’entrée dans une sorte d’heureuse adaptation à un contexte réel.

 

Que voyons-nous au contraire à la fin ? A la fin, il faut bien le dire, on retrouve les mêmes petites filles habitant le monde intérieur du petit Hans. Mais si vous lisez l’observation, vous ne pourrez pas ne pas être frappé de voir, non seulement combien elles sont plus imaginaires et combien elles sont vraiment radicalement imaginaires. Ce sont des fantasmes avec lesquels le petit Hans s’entretient, et dans un rapport sensiblement changé d’ailleurs, ce sont bien plutôt ses enfants.

Je dirais que si c’est là qu’il faut voir en quelque sorte la matrice laissée par la résolution de la crise, à la future relation du petit Hans avec les femmes, bien assurément nous pouvons dire que du point de vue de la surface, le résultat est suffisamment acquis de l’hétérosexualité du petit Hans, mais que ces filles resteront marquées de quelque chose qui sera si on peut dire le stigmate de leur mode d’entrée dans la structure libidinale du petit Hans, et nous le verrons même traiter en détail comment elles sont entrées.

 

Assurément le style narcissique de leur position par rapport au petit Hans, est irréfutable, et nous verrons même plus en détail ce qui le détermine, ce qui le situe. Assurément le petit Hans, si on peut dire, aimera les femmes, mais elles resterons liées fondamentalement chez lui à une sorte de mise à l’épreuve de son pouvoir. C’est aussi bien pourquoi tout nous indique qu’il ne sera jamais sans les redouter : si on peut dire, elles seront ses maîtresses. C’est aussi bien que ce seront et ce restera les filles de son esprit, et vous le verrez ravi à la mère, mais ce n’est certainement pas au-delà de la relation à l’objet féminin que s’achève chez le petit Hans.

Ceci est destiné à vous montrer, ou à vous indiquer où est l’intérêt d’une telle recherche. Naturellement cela demande une reprise de notre parcours pour être confirmé. I1 faut en somme que nous situions, puisque nous avons pris cela comme point de repère par rapport au temps de la structuration signifiante du mythe du petit Hans, les différentes étapes de ce qui se passe, à savoir de son progrès.

 

Nous parlons de relation d’objet entre les différents temps de la formation mythique signifiante. Quels sont les objets qui passent successivement au pre­mier plan de l’intérêt du petit Hans ? Quels sont en somme les progrès qui se passent corrélativement dans le signifié, dans cette période particulièrement active, féconde d’une sorte de renouvellement, de révolution de la relation du petit Hans à son monde ? Allons-nous pouvoir saisir quelque chose qui parallèlement, nous permet de saisir ce que scandent ces successives cristallisations sous forme de fantasmes ? Sans aucun doute successives cristallisations d’une configuration signifiante dont je vous ai montré la dernière fois la communauté de figure, à savoir que je vous ai permis tout au moins d’entrevoir comment dans ces successives fifres, les mêmes éléments permutent avec les autres pour à chaque fois renouveler, tout en laissant fondamentalement la même, la confi­guration signifiante.

 

Le 5 avril nous avons le thème que j’ai appelé du retour, qui bien entendu n’est pas ce qu’il explique essentiellement, mais il a cela comme fond. C’est le thème de ce que nous pourrions appeler un départ, ou plus exactement d’une angoissante solidarité avec la voiture, la Wagen qui est au bord de la rampe de départ, et que le fantasme du petit Hans développe en quelque sorte, car ce n’est pas d’emblée qu’elle se présente ainsi, il faut que l’interrogation du père le facilite d’avouer ses fantasmes, et en même temps de les parler, de les organiser, et aussi de se les révéler à lui-même en même temps que nous pouvons les apercevoir.

C’est le 11 Avril que nous voyons apparaître le fantasme de la baignoire qu’on dévisse, avec à l’intérieur le petit Hans et son grand trou dans le ventre, sur lequel nous concentrons une silhouette approximative. Entre les deux que s’est-il passé ? C’est le 21 avril que nous trouvons le fantasme que nous pouvons appeler du : nouveau départ avec le père. C’est un fantasme manifestement représenté comme fantasmatique et impossible : il part avec la grand-mère avant que le père n’arrive, quand le père le rejoint, on ne sait par quel miracle le petit Hans est là. Voilà dans quel ordre les choses se présentent.

Le 22 avril c’est le wagonnet dans lequel le petit Hans s’en va tout seul. Et puis quelque chose d’autre marquera probablement la limite de ce à quoi nous pourrons arriver aujourd’hui.

 

Avant le 5 avril, de quoi s’agit-il ? Entre le 1er mars et le 5 Avril il s’agit essentiellement et uniquement du phallus. Il s’agit du phallus à propos duquel le père lui apporte la remarque, lui suggère la motivation de sa phobie, c’est à savoir que c’est dans la mesure où il se touche, où il se masturbe, que la phobie a lieu. Il va plus loin : le père suggère l’équivalence de la phobie de ce qu’il craint avec ce phallus, au point de s’attirer de la part du petit Hans la réplique qu’un phallus, un Wiwimacher — qui est très exactement le terme dans lequel le phallus s’inscrit dans le vocabulaire du petit Hans — ça ne mord pas.

 

Nous nous trouvons là à l’entrée dans les sortes de malentendus qui vont présider à tout le dialogue du petit Hans avec son père, en ce sens que le fait qu’un phallus c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce qui mord, dans ce qui blesse, c’est quelque chose qui est si vrai que quelqu’un qui n’est pas psychanalyste et à qui j’avais fait lire cette observation du petit Hans, qui est un mythologue, quelqu’un qui a sur le sujet des mythes été assez loin dans la pénétration du problème, me disait : « Il est tout à fait frappant de voir en quelque sorte sous­ jacente à tout le développement de l’observation, on ne sait quelle fonction, non pas de vagina dentata, mais du phallus dentatus. »Seulement bien entendu, cette observation se développe tout entière sous le registre du malentendu. J’ajouterai : c’est là le cas tout à fait ordinaire de toute espèce d’interprétation créatrice entre deux sujets, c’est même comme cela qu’elle se développe de la façon à laquelle il faut s’attendre, c’est la moins anormale qui soit, et je dirais que c’est justement dans la béance de ce malen­tendu que va se développer quelque chose qui aura sa fécondité au moment où le père lui parlera du phallus. Il lui parlera de son pénis réel, de celui qu’il est en train de toucher. Il n’a certainement pas tort, car l’entrée en jeu chez le jeune sujet de la possibilité d’érection, et tout ce qu’elle comporte pour lui d’émotions nouvelles, est quelque chose qui incontestablement a changé l’équi­libre profond de toutes ses relation avec ce qui constitue alors le point stable, le point fixe, le point tout-puissant de son monde, à savoir la mère. Et d’autre part, il y a quelque chose qui joue le rôle prévalent dans le fait que tout d’un coup quelque chose arrive qui est cette angoisse foncière qui fait tout vaciller, au point que tout est préférable, même le forgeage d’une image angoissante en elle-même complètement fermée, comme celle du cheval, et qui à tout le moins au centre de cette angoisse, marque une limite, marque un repère.

 

Ce qui dans cette image ouvre la porte à cette morsure, à cette attaque, c’est un autre phallus c’est le phallus imaginaire de la mère – en tant que c’est par là que pour le petit Hans s’ouvre la phobie intolérable – ce qui a été jus­qu’alors le jeu de montrer ou de ne pas montrer le phallus, de jouer avec un phallus qu’il sait depuis longtemps parfaitement inexistant et qui pour lui est l’enjeu des relations avec la mère. Ce plan sur lequel s’établit ce jeu de séduction, non seulement avec la mère, mais avec toutes les petites filles dont il sait aussi très bien qu’elles n’ont pas de phallus, mais le maintien de ce jeu qu’elles en ont quand même un, c’est là quelque chose sur lequel l’a repoussé jusque là toute la relation fondamentalement pas simplement de leurre en quelque sorte au sens le plus immédiat, mais de jeu à ce leurre. Entendons que si nous nous souvenons du fantasme sur lequel se termine la première partie de l’observation, à partir de laquelle, celle qui commence à partir du moment où la phobie se déclare, ce fantasme du petit Hans se rapporte à ses parents. C’est un fantasme qui est d’ailleurs, à la limite, c’est le seul qui n’est d’ailleurs pas un fantasme, c’est un rêve, c’est un jeu où l’enfant cache dans sa main quelque chose, un jeu de gage à la suite duquel il reçoit le droit de la petite fille à lui faire faire pipi. Et à ce moment là Freud et l’observation, soulignent qu’il s’agit d’un rêve auditif. Dans ce jeu de montrer ou de voir qui est au fond de la relation première scoptophilique avec les petites filles, l’élément parlé, le jeu passé dans le symbole, dans la parole n’y est-il pas d’ores et déjà prévalent ?

 

Ce qui va se passer, c’est qu’à toute tentative du père dans cette première période, du père d’introduire tout ce qui concerne la réalité du pénis avec ce qui lui indique qu’il convient pour l’instant d’en faire très exactement, c’est­-à-dire de n’y pas toucher, répond avec une rigueur automatique chez le petit Hans, la remise au premier plan des thèmes de ce jeu. Entendez que par exemple il sort tout de suite ce fantasme qu’il était avec sa mère toute nue en chemise. C’est à ce propos que le père lui pose la question : « Mais elle était toute nue, ou en chemise ! ». Ce qui ne trouble pas le petit Hans : elle était avec une chemise si courte qu’on pouvait juste la voir toute nue, c’est-à-dire qu’on pouvait juste voir, et bien entendu aussi ne pas voir.

Vous reconnaissez la structure du bord ou de la frange, qui caractérise l’appréhension fétichiste. C’est toujours jusqu’au point où l’on pouvait un peu voir, et où l’on ne voit pas ce qui va apparaître, ce qui est suscité de caché dans la relation avec la mère, à savoir ce phallus inexistant, mais dont il faut aussi qu’on joue à ce qu’il soit là, et pour en quelque sorte accentuer le caractère de ce dont il s’agit à ce moment là, à savoir d’une défense contre l’élément bouleversant qu’apporte le père avec son insistance à parler du phallus en termes réels.

 

Dans ce fantasme, le petit Hans appelle un témoin, c’est-à-dire une petite fille qu’il appelle Grete, et qui est empruntée aux bagages, à sa maison par­ticulière, aux petites amies avec lesquelles il poursuit ses relations imaginaires, mais concernant des personnages parfaitement réels qu’il poursuit à ce moment. Qu’elle s’appelle Grete et qu’elle intervienne dans ce fantasme, il n’est pas inutile de le souligner puisque nous la retrouverons plus tard.

 

C’est elle qui est appelée dans le fantasme comme témoin de ce que maman et lui-même sont en train de faire, car à ce moment il introduit comme à la dérobée, très vite, le fait que très rapidement il se touche un petit peu.

 

La formation en somme de compromis, je veux dire le fait qui pour lui montre la nécessité de faire rentrer sur le fond de la relation phallique avec la mère, tout ce qui peut intervenir de nouveau, non seulement par le fait de l’existence réelle de son pénis, mais du fait que c’est là-dessus que le père essaye de l’entraîner, est quelque chose qui littéralement structure tout la période anté­rieure au 5 avril telle que nous la voyons dans l’observation dessinée.

 

Quand je dis toute la période antérieure au 5 avril, bien entendu cela ne veut pas dire qu’il n’y ait que cela. Quelque chose de second va apparaître autour de ce 30 mars, date de la consultation avec Freud. Assurément ce qui va apparaître à ce niveau n’est pas entièrement artificiel, puisque comme je vous l’ai dit, c’est annoncé par ce qui déjà est impliqué par la collaboration du père du petit Hans dans ses fantasmes où il appelle en quelque sorte son père à son aide.

 

Donc entre le 1er mars et le 15 mars où se situe le fantasme de Grete et de la mère, il s’agit avant tout de pénis réel et de phallus imaginaire. C’est justement entre le 15 mars et la consultation avec Freud, qu’au moment où le père essaye de faire passer complètement dans la réalité le phallus en lui faisant remarquer que les grands animaux ont de grand phallus, et que les petits en ont de petits, et ce qui assurément entraîne le petit Hans à dire : « Chez moi il est bien accroché, et il grandira », le même schéma que celui que je vous indiquais tout à l’heure se reproduit, c’est à savoir quelque chose qui est une réaction.

Chez le petit Hans, si vous voulez, nous avons à ce moment là quelque chose qui est la tentative complète de réaliser le phallus de la part du père,et la réaction du petit Hans une fois de plus sera quelque chose qui ne consiste pas du tout à entériner ce à quoi pourtant lui-même accède, mais à forger ce fantasme des deux girafes où se manifeste le 27 mars ce qui en est l’essentiel. A savoir une symbolisation du phallus maternel, ce phallus maternel qui net­tement est représenté dans la petite girafe, et qui pour le petit Hans, en quelque sorte pris entre son attachement imaginaire et l’insistance du réel par l’inter­médiaire de la parole du père, entre dans la voie, va donner en quelque sorte sa scansion, le schéma de tout ce qui va se développer dans le mythe de la phobie, c’est à savoir que c’est le terme imaginaire qui va devenir pour lui l’élément symbolique.

 

En d’autres termes, loin que dans la relation d’objet nous constations la voie en quelque sorte directe du passage à la signification d’un nouveau réel, d’une acquisition du maniement du réel au moyen d’un instrument symbolique pur et simple, nous voyons au contraire qu’au moins dans la phase critique dont il s’agit à propos du petit Hans et que la théorie analytique pointe comme étant celle de l’œdipe, le réel ne peut être réordonné dans la nouvelle configuration symbolique qu’au prix d’une réactivation de tous les éléments les plus imaginaires, qu’au prix d’une véritable régression imaginaire du premier abord qu’en a fait le sujet.

 

Nous en avons là dès les premiers pas de la névrose du petit Hans – névrose infantile j’entends – le modèle et le schéma : le père représentant de la réalité et de son nouvel ordre de l’adaptation au réel, le petit Hans y répondant par une sorte de foisonnement imaginaire qui renforce en quelque sorte d’une façon d’autant plus typique qu’elle est vraiment soutenue sur cette espèce de profond mode d’incrédulité, dans lequel d’ailleurs vous allez voir chez le petit Hans se poursuivre toute la suite, pour apercevoir ce quelque chose qui est donné au début de l’observation d’une façon en somme presque matérialisée.

Là c’est évidemment le côté exceptionnel, la valeur tombée du ciel que représente l’observation, pour nous montrer dans quelle voie lui-même s’aperçoit que pour nous cela peut être pris, à savoir que non seulement on peut jouer avec mais qu’on peut en faire des bouchons de papier, ce quelque chose de chiffonné.

 

Dans cette première image de la petite girafe, c’est le commencement de la solution, la synthèse de ce que le petit Hans apprend à faire, à savoir comment on peut jouer avec ces images, et ce quelque chose qu’il ne sait pas, mais auquel il est tout simplement introduit par le fait qu’il sait déjà parler, qu’il est un petit homme, qu’il est dans un bain de langage. Il sait très bien la valeur pré­cieuse que lui offre le fait de pouvoir parler, et c’est d’ailleurs ce qu’il souligne lui-même sans cesse quand il dit de ceci ou de cela, et quand on lui dit que c’est bien ou que c’est mal. « Peu importe, dit-il, c’est toujours bien puisqu’on peut l’envoyer au Professeur ». Et il y a plus d’une remarque de cette espèce où à tout instant le petit Hans en quelque sorte montre son sentiment de cette sorte de fécondité propre, à la fois qui lui est ouverte par le fait qu’en somme il trouve à qui parler. Et là bien entendu il serait bien étonnant que nous ne nous apercevions pas à cette occasion que c’est là tout le précieux, l’efficace de l’analyse.

 

Telle est cette première analyse faite avec un enfant. Assurément de son texte, de la façon dont Freud amène son mythe d’œdipe tout crû, tout construit, sans la moindre tentative de l’adapter à quelque chose qui se présente d’im­médiat et de précis chez l’enfant, on peut penser que c’est bien un des points les plus saisissants de l’observation. Littéralement délibérément Freud lui dit

« Je vais te raconter cette grande histoire que j’ai inventée, que je savais avant que tu vins au monde : c’est qu’un jour un petit Hans viendrait qui aimerait trop sa mère, et qui à cause de cela, détesterait son père ».

Je dirais que le caractère de mythe originel que représente l’œdipe dans la doctrine de Freud, est là en quelque sorte en somme par son auteur même, pris dans une opération où son caractère fondamentalement mythique est mis à nu. Freud s’en sert de la même façon qu’on apprend depuis toujours aux enfants que Dieu a créé le ciel et la terre, ou qu’on lui apprend toute espèce d’autres choses, selon le contexte culturel dans lequel il est impliqué. C’est un mythe des origines donné comme tel, et parce qu’en somme on fait foi à ce qu’il détermine comme orientation, comme structure comme avenue pour la parole chez le sujet qui en est le dépositaire, c’est littéralement sa fonction de création de la vérité qui est en cause. Ce n’est pas autrement que Freud l’apporte au petit Hans, et littéralement ce que nous voyons, c’est que le petit Hans en quelque sorte dit – c’est la même ambiguïté qui est celle dans laquelle se poursuit tout son assentiment avec ce qui va le poursuivre – le petit Hans dit quelque chose qui est à peu près ceci : c’est très intéressant, c’est très excitant, comme c’est bien, il faut qu’il aille parler avec le bon Dieu pour avoir trouvé un truc pareil.

 

Mais quel est le résultat de ceci ? Freud lui, nous dit, nous articule, très nettement de lui-même, de son cru, à ce moment-là, que bien entendu il n’est pas à attendre que cette communication de sa part porte du premier coup, rien que par le coup porté, ses fruits. Il s’agit, dit Freud, à ce moment-là dans l’observation, l’articulant comme nous l’articulons ici, qu’elle produise ses pro­ductions inconscientes, qu’elle permette à la phobie de se développer. Il s’agit d’une incitation, d’un autre cristal si on peut dire, qui est là implanté dans la signification inachevée que représente à lui tout seul – je veux dire dans son être tout entier – à ce moment là le petit Hans, d’une part ce qui s’est produit tout seul, à savoir la phobie, et d’autre part Freud qui apporte là tout entier ce à quoi c’est destiné à aboutir. Bien entendu Freud ne s’imagine pas un seul instant que ce mythe religieux de l’œdipe qu’il aborde à ce moment là, porte immédiatement ses fruits, il n’attend qu’une chose, il le dit, c’est que cela aide ce qui est de l’autre côté, c’est-à-dire la phobie, à se développer.

 

Cela fraye tout au plus les voies à ce que j’ai appelé tout à l’heure le développement du cristal signifiant. On ne peut pas le dire plus clairement que dans ces deux phrases de Freud à la date du 30 mars, c’est-à-dire de la consul­tation avec Freud. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’à ce moment là il y a quand même une petite réaction du côté du père. Elle ne durera pas longtemps,

je veux dire que le père, nous le retrouverons vraiment dans les relations d’objet, comme je vous le disais tout à l’heure, qui sont ce que nous cherchons à saisir aujourd’hui à l’intérieur des différentes étapes de la formation signifiante, qu’à la fin, et ce n’est pas pour nous étonner. C’est tout à la fin de la crise que nous le verrons venir au premier plan, au moment où je vous ai dit l’autre jour que juste avant le fantasme du wagonnet, se passe l’affrontement avec le père dans le dialogue de l’œdipe : « Pourquoi es-tu si jaloux ? », plus exactement « passionné », c’est le terme qui est employé, et à la protestation du père : « Je ne le suis pas ! » –  « Tu dois l’être ! »

 

C’est le point de la rencontre avec le père, avec ce que représente de carence à ce moment-là la position paternelle. Ici nous ne trouvons donc qu’une première apparition, un petit choc qui est donné en somme par le fait que le père, on voit bien en quoi il est déjà là, il est là d’une façon qui est tout à fait brillante, il est là de la façon dont on peut dire que l’on s’exprime couramment, qu’il brille par son absence.

Et c’est bien ainsi que dès le lendemain, le petit Hans réagit : il vient le trouver, nous dit le père, et il lui dit qu’il est venu le voir parce qu’il avait peur qu’il soit parti. Il viendrait d’ailleurs aussi bien le voir comme cela, ce dont il a peur, c’est que le père soit parti. Ceci nous mènera plus loin puisque le père aussitôt interroge : « Mais comment une chose pareille serait-elle pos­sible ? ».

 

Là arrêtons-nous, apprenons à scander. Je dirais que devant cette peur de l’absence du père, ce qui est véritablement dans la peur c’est quelque chose qui est en somme une petite cristallisation de l’angoisse. L’angoisse n’est pas la peur d’un objet, l’angoisse c’est la confrontation du sujet à cette absence d’objet où il est happé, où il se perd et à quoi tout est préférable, jusqu’à y compris de forger le plus étrange, le moins objectal des objets, celui d’une phobie. La peur dont il s’agit là, son caractère irréel est justement manifesté si nous savons le voir, par sa forme, à savoir que c’est la peur d’une absence, je veux dire de cet objet qu’on vient de lui désigner. Le petit Hans vient dire qu’il a peur de son absence, entendez-le comme quand je vous dis qu’il s’agit d’en­tendre l’anorexie mentale par, non pas que l’enfant ne mange pas, mais qu’il mange rien.

Ici le petit Hans a peur de son absence, c’est de son absence dont il a peur et qu’il commence là à symboliser. Je veux dire que pendant que le père est en train de se casser la tête pour savoir par quel tour et par quel contre­coup l’enfant peut manifester là une peur qui ne serait que l’envers du désir, ceci n’est pas complètement faux, mais ne saisit en quelque sorte le phénomène que par ses entours. C’est bien du commencement de la réalisation par le sujet que le père n’est justement pas ce qu’on lui a dit qu’il serait dans le mythe, et il le dit au père : « Pourquoi me dis-tu que j’ai ma mère à la bonne, alors que c’est toi que j’aime ? »

 

Ce que le petit Hans vient dire ne colle pas du tout : « Il faut que ce soit toi que je haïsse, ça ne va pas ». Et en quelque sorte ce qui est impliqué là­-dedans en dehors du petit Hans, et où il est pris, c’est que c’est bien regrettable qu’il en soit ainsi. Mais tout de même d’avoir été mis dans la voie dont il s’agit, c’est-à-dire de pouvoir par rapport au mythe repérer où est une absence, est quelque chose qui s’enregistre immédiatement, que l’observation note, et si vous voulez, pour lequel il faudrait, comme je viens de le faire, entendre une symbolisation. Si nous appelons par un grand I le signifiant autour duquel la phobie ordonne sa fonction, quelque chose à ce moment là est symbolisé que nous pouvons appeler petit sigma, absence du père : I – σP°

 

Ce n’est pas dire que c’est le tout de ce qui est contenu dans le signifiant du cheval, bien loin de là. Nous allons le voir, il ne va pas s’évanouir comme cela tout d’un coup, parce qu’on aura dit au petit Hans : c’est de ton père que tu vas avoir peur, il faut que tu aies peur. Non, mais assurément quand même tout de suite le signifiant cheval est déchargé de quelque chose, et l’observation l’enregistre : « Pas de tous les chevaux blancs ».

 

Ce n’est plus maintenant de tous les chevaux blancs dont il a peur, il y en a dont il n’a plus peur, et tout de suite le père, malgré qu’il ne passe par la voie de notre théorisation, comprend qu’il y en a qui sont Vatti, et à partir du moment où il sent qu’il y en a qui sont Vatti, on n’en a plus peur.

 

On n’en a plus peur pourquoi ? Parce que Vatti est tout à fait gentil, c’est ce que le père également comprend sans comprendre tout à fait, sans même comprendre du tout jusqu’à la fin, que c’est bien là qu’est le drame, que Vatti soit tout à fait gentil, car s’il y avait eu un Vatti dont on aurait pu vraiment avoir peur, on aurait été dans la règle du jeu si on peut dire, c’est-à-dire qu’on aurait pu faire un véritable œdipe, un œdipe qui vous aide à sortir des jupes de votre mère. Mais comme il n’y a pas de Vatti dont on a peur, comme Vatti est trop gentil, cela explique qu’à évoquer l’agressivité possible du Vatti dans le mythe, le signifiant phobique de l’hypnose se décharge d’autant, et c’est enregistré dans l’après midi même.

Je ne force rien dans ce que je vous raconte, puisque c’est dans le texte, il suffit d’en décaler imperceptiblement le point de perspective, pour que sim­plement elle ne devienne plus une espèce de labyrinthe dans lequel on se perd, mais que chacun des détails par contre, prenne à tout instant un sens. Car je peux avoir l’air d’aller là assez lentement, de repartir encore du début, mais il faut bien que je vous le fasse saisir, c’est qu’aucun détail de l’observation n’échappe à cette mise en perspective, qu’à partir du moment où vous voyez comment s’articule le rapport du signifiant rapporté tout brut par Freud, avec le signifié en gésine, nous le voyons retentir mathématiquement sur les fonctions du signifiant qui est suscité à l’état spontané, naturel, dans la situation du petit Hans. A ce moment là nous voyons s’enregistrer aussitôt ces effets de sous­traction, de décharge, pour autant simplement qu’on a amené le père, et d’autant moins qu’il faut que ça s’inscrive d’une façon en quelque sorte mathématique, comme sur le tableau d’une balance.

I1 y a une partie des chevaux blancs qui ne font plus peur, et l’observation elle-même articule qu’il y a deux ordres d’angoisse, nous dit Freud, je veux dire que Freud en remet sur ce que je viens de dire : Freud distingue l’angoisse autour du père qu’il oppose à l’angoisse devant le père. Nous n’avons vraiment pas à prendre acte de la façon dont Freud lui-même nous la présente, pour y retrouver exactement les deux éléments que je viens ici de vous décrire : l’an­goisse autour de cette place vide, creuse que représente le père dans la confi­guration du petit Hans, c’est justement celle qui cherche son support dans la phobie, et dans toute la mesure où on a pu susciter, ne serait-ce qu’à l’état d’exigence de quelque chose de postulé, une angoisse devant le père, dans toute cette mesure l’angoisse autour de ce qui est la fonction du père est déchargée.

Enfin on peut avoir une angoisse devant quelque chose, malheureusement ça ne peut pas aller bien loin puisque le père, tout en étant là précisément, n’est nullement apte à supporter la fonction établie que lui donnent les nécessités d’une formation mythique correcte, rapide, et dans toute sa portée universelle qu’a le mythe d’œdipe.

 

C’est précisément ce qui force notre petit Hans à retomber dans sa difficulté. Sa difficulté après cela, comme Freud l’a prévu, va commencer à se développer, à s’incarner, à se précipiter dans les productions qui doivent se développer de sa phobie. Et on commence tout de suite à voir plus clair, en ce sens qu’apparaît le premier fantasme du 5 avril d’où je suis parti l’autre fois comme d’un premier terme, et dont nous retrouvons jusqu’à la fin les transformations, et qui en somme avec tout ce qui l’entoure, tout ce qui l’annonce, met en valeur le poids, quelque chose que le petit Hans dans le jour qui le précède immédiatement, commence de bien articuler : qu’est-ce qui me fait peur ?

 

On commence à le voir, c’est que le cheval – et c’est articulé comme cela dans le texte – le père en met un coup, il fait vraiment de l’analyse, c’est-à­-dire que de temps en temps il ne sait plus très bien où aller, cela lui permet de trouver des choses – il voit les quatre modes sous lesquels le cheval fait peur. Ce sont tous des éléments qui mettent en jeu ce quelque chose qui pour un homme – c’est-à-dire un animal qui est destiné à se savoir exister, à la différence des autres animaux et c’est bien ce qui doit être au moment où cela montre son instance la plus perturbante, c’est à savoir justement ce qui est développé, articulé, à ce moment-là dans les néoproductions de la phobie par le petit Hans, à savoir le mouvement. Entendez bien qu’il ne s’agit pas du mouvement uniforme dont nous savons depuis toujours, ou tout au moins depuis quelque temps, que c’est un mouvement dans lequel on ne se sent pas, un mouvement dans lequel on se sauve. C’est là déjà depuis Aristote, que la discrimination du mouvement linéaire et du mouvement rotatoire a ce sens là. Dans un langage plus moderne, il y a une accélération, je veux dire là où le petit Hans nous dit que le cheval en tant qu’il traîne quelque chose après lui, est redoutable, quand il file, quand il démarre – plus quand il démarre vite que quand il démarre lentement – là partout où en quelque sorte on peut sentir cette inertie qui fait que ce mouvement – pour qui n’est pas impliqué dans ce mouvement, et pour qui ce minimum de détachement de la vie consiste justement en ce que j’ai appelé tout à l’heure se savoir exister, être un être conscient de lui-même pris dans ce mouvement – se manifeste, présente cette sorte d’inertie qui fait que c’est là que l’angoisse est à analyser, que l’angoisse est aussi bien de l’entraînement du mouvement que son envers, à savoir le fantasme d’être laissé en arrière, d’être laissé tomber.

La chute profonde que représente pour Hans cette introduction de quelque chose qui tout d’un coup l’emporte dans un mouvement, à savoir de tout ce qui modifiant profondément ses relations avec cette stabilité de la mère, le met en présence de la mère, comme aussi bien de quelque chose qui pour lui est vraiment subversive dans ses bases mêmes, cette mère, il nous le dit sous la forme à ce moment là de ce qu’il dit du cheval : Umfallen und beissen wird, c’est ce qui à la fois tombera et mordra.

 

La morsure, nous savons à quoi elle est liée : elle est liée au surgissement de ce qui se produit chaque fois qu’en somme l’amour de la mère vient à man­quer, au moment où la mère en somme tombe pour lui, elle est en même temps ce quelque chose qui n’a d’autre issue que ce qui est pour le petit Hans lui­-même, la réaction d’angoisse de nécessité, la réaction qu’on appelle catastro­phique.

Première étape : mordre ; deuxième étape : tomber, se rouler par terre. A partir de maintenant, nous dit le petit Hans – quand il essaye de restituer d’une façon d’ailleurs complètement fantasmatique le moment où pour lui la phobie a été attrapée – c’est ce quelque chose qui s’exprime pour lui aussi dans cette formule dont il faut retenir la structure : « A partir de maintenant, toujours les chevaux attelés à l’omnibus tomberont ». Telle est la formule dans laquelle s’incarne pour le petit Hans ce dont il s’agit, à savoir de la mise en question sur ces bases mêmes, de tout ce qui à ce moment là a constitué les assises de son monde.

 

Ceci est très précisément ce qui nous mène jusqu’au 9 avril à l’élaboration autour de la phobie du thème de l’angoisse du mouvement, thème dans lequel quoique ce soit qu’essaye d’apporter de tempérament le père est absolument sans effet parce qu’en effet rien ne peut résoudre pour un être comme l’homme dont le monde se structure dans le symbolique, ce devenir senti, ce quelque chose qui l’emporte dans un mouvement, et c’est pour cela qu’il faut que dans sa structuration signifiante, le petit Hans fasse cette conversion qui va consister à changer, à convertir le schéma du mouvement en le schéma d’une substitution.

Ceci par étapes. Il y aura d’abord l’introduction du thème de l’amovible, puis ensuite avec ceci se produira la substitution, c’est-à-dire les deux étapes schématiques qui sont exprimées dans la formation de la baignoire, là où elle est au moment où on la dévisse. Et on ne la dévisse pas sans frais, car comme je vous l’ai dit, il faut qu’à ce moment là le petit Hans se fasse quelque chose dont nous savons que ça n’est jamais sans frais que ce passage s’opère, ce quelque chose qui va parfaitement consister en ceci – qui n’est pas assez mis en relief dans l’observation – que pour un temps non seulement il suffit de la castration, mais qu’elle est formellement symbolisée par ce perçoir, ce grand perçoir qui lui entre dans le ventre.

Puis la deuxième étape que quand on dévisse quelque chose, on peut revisser autre chose à la place, et que par cette forme signifiante le quelque chose dont il s’agit, à savoir l’opération de transformation pour le sujet, du mouvement en substitution, de la continuité du réel dans la discontinuité du symbolique, est ce qui est par toute l’observation démontré comme le cheminement même sans lequel sont incompréhensibles les étapes et le progrès de l’observation.

 

Que se passe-t-il dans le signifié, je veux dire dans ce qui arrive à la fois de confus et de pathétique au petit Hans, entre le 5 avril, à savoir le schéma du fantasme de la voiture qui démarre, avec tout ce qui lui est attaché de la phobie, et le déboulonnage fantasmatique de la baignoire où commence à s’amor­cer cette symbolisation de la substitution possible ? Qu’y a-t-il entre les deux ? I1 y a entre les deux tout un entour dont je suis forcé de déblayer le matériel. C’est tout le long passage qui va durer très exactement à peu près tout ce temps pendant lequel se produit pour le petit Hans le seul élément qui est susceptible dans la situation antérieure, d’introduire l’amovibilité comme un élément fon­damental de sa restructuration de son monde.

 

Qu’est-ce que c’est ? C’est très exactement ce que je vous ai dit être l’élément qu’il faut que nous introduisions dans la dialectique du montrer et ne pas voir, du susciter comme ce qui est ce qui n’est pas, mais caché, c’est-à-dire le voile lui-même.

 

En d’autres termes, pendant ces deux jours de questionnements anxieux, le père littéralement n’y comprend rien et ne fait par là, comme nulle part ailleurs qu’une espèce de tâtonnement maladroit que Freud lui-même souligne, et dont il précise que c’est la partie en quelque sorte ratée de l’investigation analytique. Peu importe, il nous en reste assez, non seulement pour voir ce qui en constitue l’essentiel, mais pour voir ce que Freud lui-même a pris soin d’y souligner comme l’essentiel, ce qui se passe devant les voiles, c’est-à-dire la paire de petites culottes qui sont là dans leurs détails, soignées, fignolées dans l’observation, la petite culotte jaune et la culotte noire dont on nous dit que c’est une Reformhose. La Reformhose est ce quelque chose qui évi­demment est une nouveauté à l’usage des femmes qui vont du vélo. En effet nous savons bien que la mère de Hans est à la pointe du progrès. La mère de Hans, nous la retrouverons, et je pense que quelques judicieux extraits de très jolies comédies d’Apollinaire, en particulier Les mamelles de Tirésias, nous aideront à la peindre de plus près. Comme on dit dans cet admirable drame : « Elles sont tout ce que nous sommes, et cependant ne sont pas hommes ».

C’est bien là qu’est tout le drame. C’est de là que tout est parti depuis le début, pas simplement parce que la mère du petit Hans est plus ou moins féministe, mais parce qu’il s’agit en somme pour le petit Hans de la vérité fondamentale inscrite dans les vers que je viens de vous citer, et à propos desquels Freud ne nous a jamais dissimulé la valeur essentielle et décisive, en nous rap­pelant la phrase que « l’anatomie c’est le destin ».

 

C’est bien de cela qu’il s’agit, mais ce que nous voyons au moment où le petit Hans articule ce qu’il a à dire, et qu’interrompent tout le temps les questions passionnées du père qui le rendent difficile en quelque sorte à cribler – mais Freud le fait car ce que Freud nous dit est l’essentiel – ce qu’on voit de plus clair là-dedans, c’est qu’il y a deux étapes sous lesquelles le petit Hans reconnaît et différencie les culottes qui se projettent sur leur dualité d’une façon confuse, comme si chacune pouvait à un certain moment remplir plus une des fonctions que l’autre. Mais l’essentiel est ceci : les culottes en elles-mêmes sont liées pour lui à une réaction de dégoût, bien plus, le petit Hans a demandé qu’on écrive à Freud que quand il avait vu les culottes, il avait craché et il était tombé par terre, puis il avait fermé les yeux. C’est justement pour cela, à cause de cette réaction que le choix est fait que le petit Hans ne sera jamais un fétichiste. Si au contraire il avait reconnu que ces culottes étaient précisément tout son objet, à savoir ce mystérieux phallus que personne ne verra jamais, il s’en serait satisfait et serait devenu fétichiste. Mais comme le destin en a voulu autrement, le petit Hans précisément est dégoûté des culottes, mais il précise que quand c’est la mère qui les porte, c’est une autre affaire, c’est-à­-dire que là elles ne sont plus répugnantes du tout.

C’est justement cela, à savoir la différence qu’il a entre ce qui pourrait s’offrir à lui comme objet, à savoir les culottes en elles-mêmes, et le fait qu’elles ne gardent leur vertu si on peut dire, qu’étant en fonction, que là où il continue à soutenir le leurre du phallus, c’est là qu’est le nerf, le passage qui nous permet d’appréhender l’expérience.

 

A ce moment là, la réalité s’est mise en valeur par cette longue interrogation autour de laquelle le petit Hans essaye de s’expliquer, et dans la mesure même où il est poussé dans des directions divergentes et confuses, s’explique si mal mais dont pourtant l’essentiel est, par l’intermédiaire de cet objet privilégié, d’introduire l’élément d’amovibilité que nous allons retrouver dans la suite, et qui à partir de ce moment là fait passer sur le plan de l’instrumentation, du formidable matériel d’instruments que nous allons voir se développer comme dominant à partir de ce moment là, l’évolution du mythe signifiant. Je vous l’ai dit la dernière fois, j’en ai amené quelques uns, je vous ai même montré combien déjà dans les ambiguïtés du signifiant se trouvaient inscrites des choses singulières, cette extraordinaire homonymie entre la pince, le sabot et la dent du cheval. Je pourrais vous développer cela encore bien plus loin, si je vous disais que le sabot s’appelle la pince au milieu, et que des deux côtés, ça s’appelle les mamelles !

 

La dernière fois en vous parlant du Böhrer qui veut dire tournevis, je vous ai dit que ce n’est justement pas ce qui est dans le fantasme de l’installateur, à savoir qu’il s’agit d’une pince, de tenailles, et que c’est Freud qui ressort son Böhrer à ce moment là, sans avoir vu très bien la valeur que lui offrait cette instrumentation.

 

Donc ne croyez pas qu’elle soit unique, vous allez voir apparaître dans les objets qui vont venir maintenant progressivement s’imposer, les rapports non seulement de la mère et de l’enfant, mais de cette amovibilité foncière qui s’exprime pour l’homme dans la question de la naissance et de la mort. Vous allez les voir maintenant s’introduire, et derrière eux le personnage absolument

énigmatique, inquiétant, burlesque qui va être la cigogne. Mais n’oubliez pas également qu’elle a un tout autre style, par ce Monsieur Stoch que vous allez voir arriver avec sa silhouette extravagante, un petit chapeau et ses clefs, pas dans ses poches parce qu’il n’en a pas, mais dans son bec, et il se sert aussi de son bec comme de forceps, de bascule et de cadenas.

 

Nous sommes submergés à partir de ce moment-là par le matériel et c’est cela en effet qui va caractériser toute la suite de l’observation. Mais pour ne pas vous laisser partir sans quelque chose, je vous dirais que c’est le moment axial, tournant de ce qui va se passer autour de la mère et de l’enfant.

 

Nous reprendrons tout cela pas à pas la prochaine fois, et nous verrons par l’intermédiaire de quelle forme signifiante précise cette mère et cet enfant sont toujours les mêmes, transformés. La voiture deviendra une baignoire, puis une boîte, etc.,… Tout cela s’emboîtant les uns dans les autres. Mais à un moment qui était évidemment très joli, et ceci quand on a fait suffisamment de progrès avec la mère, et vous verrez lesquels, intervient un très joli petit fantasme qui est celui-ci : le petit Hans prend une petit poupée de caoutchouc qu’il appelle comme par hasard, Grete. On lui demande pourquoi – « Parce que je l’ai appelée Grete ». Evidemment si on a bien lu l’observation, ce qui semble avoir un peu échappé au père c’est que c’est bien la même qui était témoin du jeu avec la mère. Mais là, on a fait des progrès, comme on a déjà assez avancé dans la maîtrise de la mère, et vous verrez que ce terme doit être employé dans son sens le plus technique, vous verrez par l’intermédiaire de qui on a appris à la conduire au bout des rênes, et même à lui taper dessus un petit peu. Et à ce moment là, quand la petite poupée est transpercée par le couteau, on introduit quelque chose pour le faire ressortir. Le petit Hans refait sa petite perforation, mais cette fois-ci avec un petit canif que l’on a préalablement fait entrer par le petit trou qui est fait pour faire « Quich… ».

 

Le petit Hans a définitivement trouvé le fin mot et le fin bout de la farce. Cette mère avait dans la tête en réserve, un petit couteau pour le lui couper. Et le petit Hans lui a coupé le chemin pour le faire sortir.

Print Friendly, PDF & Email