samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 20 mars 1957

Leçon du 20 mars 1957

Je voudrais commencer par mettre au point quelque chose concernant l’ar­ticle paru dans la Psychanalyse numéro 2 sous le titre de l’un de mes séminaires et spécialement son introduction. Un certain nombre d’entre vous ont eu le temps de le lire et d’y regarder d’un peu près. Je suis reconnaissant à ceux qui se sont consacrés à cet examen, de leur attention. Néanmoins, il faut croire que le souvenir d’un contexte dans lequel ce qui est apporté dans cette intro­duction a été amené n’est pas facile à tous à retrouver puisqu’ils retombent si on peut dire, à propos de la compréhension de ce texte, dans cette sorte d’erreur réalisante d’une autre espèce qui est celle à laquelle certains avaient pu se laisser prendre au moment où j’exposais ces termes, par exemple quand ils s’imaginaient que je niais le hasard. Je fais allusion à cela dans mon texte même, et je n’y reviens pas.

 

Pour éclairer ce dont il s’agit, c’est ce qu’a fait une des personnes qui ont le mieux compris et le mieux examiné cette chose, et de la façon la plus précise, je dirais presque de la façon la plus compétente, puisqu’en somme cette personne a retrouvé un réseau que l’on peut dessiner ainsi : il suffit d’avoir ordonné dans une série de symboles 1,2,3 les regroupements de signes, plus, plus moins, ordonnés au hasard dans une succession temporaire.

Alors nous ordonnons 1, 2, 3 ces séries de signes selon qu’ils représentent, soit une succession de signes identiques, soit une alternance, soit au contraire quelque chose de plus différent qui est représenté par ceci, mais aussi bien cela, c’est-à-dire un signe qui au premier aspect, se distingue des autres, qui n’a pas de symétrie. C’est ce que j’appelle d’un terme intraduisible en français odd. C’est le dissymétrique, c’est celui qui dès l’abord saute aux yeux comme étant impair, boiteux. C’est une simple question de définition, il suffit de le poser comme cela, pour que ce soit instauré comme une convention, l’existence d’un symbole.

 

Je vous rappelle que les + et les — vous donneront ici 2, 2, 2, puis encore ici 3, puis ensuite le signe 3, naturellement chaque signe se rapportant aux trois qui précèdent dans la succession temporaire. C’est ce qui je crois est inscrit dans mon texte sans aucune ambiguïté, mais pour dire d’une façon assez res­serrée pour que ça ait fait difficulté pour certains, mais le contexte empêche que l’on prenne un seul instant pour autre chose que pour cette définition cette convention qui en est la convention de départ.

A partir de là, il s’agit d’appeler α, β, Γ, δ, une autre série de symboles qui se construisent à partir de la seconde série, et ceci étant fondé sur cette remarque que lorsque l’on connaît les deux termes extrêmes dans la seconde série, le terme médian est univoque. Nous tiendrons donc compte pour définir les termes α, β, Γ, δ, que les deux extrêmes dans la série étant un cas comme celui-là, vous voyez où cela va, de odd, à odd. La convention est fondée donc d’inscrire un signe qui se trouve par son ampleur attraper les cinq anté­cédents de la première ligne par le signe, donc du même au même, c’est-à-­dire de symétrique à symétrique, qu’il s’agisse de 1 à 1, de 1 à 3, de 3 à 1, c’est α, de odd à odd c’est β, partir pour arriver à odd c’est Γ revenir de odd c’est δ. Telles sont les conventions.

A partir de là, si on veut définir par un réseau tout ce qui est possible, nous arrivons à construire un réseau qui est ainsi fabriqué (parallélépipède formé de vecteurs). Il faut qu’il soit orienté, et voici exactement comment il l’est. Le α peut se reproduire indéfiniment par ce vecteur. Ceci ne peut pas ne pas avoir cet actionnement à chacun des sommets, sauf si ceci est expressément indiqué par la boucle ainsi définie. Vous voyez résumé sur ce réseau d’une façon exhaus­tive toutes les successions possibles, et les seules possibles indiqués là, c’est-à­-dire qu’une série quelconque qui ne peut pas se coucher sur ce réseau est une série impossible.

 

Pourquoi n’ai-je pas mis cela dans mon texte ? D’abord parce que je ne l’avais pas représenté ici. C’est une espèce d’appareil de contrôle, de façon d’envelopper, de verrouiller, définitivement le problème de façon à s’apercevoir et à être sûr qu’on n’a omis aucune des possibilités, aucune des solutions pos­sibles. C’est un simple contrôle des calculs. Il a cet intérêt que vous pouvez toujours vous y reporter comme à quelque chose à quoi vous pouvez vous fier, qui vous indiquera que vous avez peut-être dans certains cas, oublié une solution possible, quelque soit le problème que vous vous posiez à propos de cette série, ou que vous vous êtes complètement trompés.

 

J’arrive au point litigieux. Vous le voyez sur ce réseau, ceci vous montre qu’il y a en quelque sorte deux espèces de β, et deux espèces de δ. Si vous regardez chacun de ces sommets, vous voyez qu’il y a toujours une division dichotomique qui se propose à partir de chacun de ces sommets. Exemple : voilà, il peut y avoir après Γ un β, et il peut y avoir après Γ un α, parce que ce vecteur là a un privilège d’être à deux sens. Ici vous voyez également un δ, et il y a deux issues possibles : il peut y avoir ce δ là et après, Γ ou un autre δ, ce n’est pas la même chose que ce δ là après lequel il peut y avoir un β ou un α.

 

L’objection que certains ont fait à propos de la mise en évidence de cette diversité fonctionnelle est la suivante : selon eux on pourrait par exemple les appeler par huit lettres différentes au lieu de les appeler par quatre lettres dif­férentes, ou bien mettre un petit a ou a2, et il m’a été dit qu’il n’y avait pas là une définition d’un symbole qui fut en quelque sorte clair et distinct, et que par conséquent tout ce que je représentais et articulais de ce qui est dit dans mon texte, n’était qu’une sorte d’opacification du mécanisme à propos du jeu des symboles, une sorte de création qui ferait surgir de soi-même une sorte de loi interne qui est toujours — et c’est là que commence l’espèce de trouble qui se produit dans l’esprit de certains — une implication de quelque chose qui est introduit par la création du symbole, qui va au-delà de ce qui est donné au départ, à savoir le pur hasard. C’est là-dessus que je crois devoir m’expliquer.

C’est tout à fait exact. Et d’une certaine façon on peut dire en effet que dans le choix des symboles il y a une certaine ambiguïté en quelque sorte déjà donnée au départ, et elle est donnée à partir du moment où vous faites les symboles. La simple indication de l’oddity, c’est-à-dire de la dissymétrie, alors que puisque nous avons parlé d’une succession temporaire, les choses sont orien­tées, et il n’est évidemment pas la même chose qu’il y ait d’abord 2 puis 1, ou 1 puis 2. Les confondre serait introduire dans le symbole lui-même quelque chose que dans la référence affirmée l’on peut exprimer plus clairement, mais il s’agit de savoir ce que veut dire la clarté en question.

C’est quelque chose que vous pouvez appeler ambiguïté, mais dites-vous bien que c’est justement cela qu’il s’agit de faire sentir, à savoir que c’est dans la mesure où le symbole à un certain niveau, est à tous les niveaux, que le symbole en tant qu’il est plus, suppose le moins, le symbole en tant qu’il est moins, suppose le plus. L’ambiguïté est toujours là, plus nous avançons dans la construction, et j’ai fait le pas minimum que l’on puisse faire en les groupant par trois. Je ne l’ai pas démontré au cours de l’article parce que je n’avais pas d’autre but que de vous rappeler dans quel contexte avait été introduite la lettre volée. Admettez pour un instant que c’est le pas minimum.

 

Quand vous faites ce pas minimum, c’est justement dans la mesure où le symbole recèle cette ambiguïté qu’apparaît ce que j’appelle la loi. En d’autres termes, si vous supposiez que vous remplacez quatre des sommets par la suite ε, ζ, η, θ, vous aurez en effet des séquences possibles qui seront différentes, qui seront extrêmement compliquées puisque vous aurez à faire à huit termes, et que chacun se couplera avec deux des autres, selon un ordre qui sera loin d’être immédiatement évident. Mais c’est justement l’intérêt du choix de ces symboles ambigus qui couplent, parce qu’ils sont bien couplés par quelque chose, ce sommet α avec un autre sommet que nous avons appelé α aussi, et qui en effet a des fonctions différentes. C’est en cela qu’il est intéressant de voir que les groupant ainsi, vous voyez sortir la loi extrêmement simple que je vous ai exprimée par un des schémas du texte, celle qui permet de dire que d’un temps au troisième temps, vous avez toujours ceci que j’écris d’une façon un peu différente.

Vous pouvez avoir n’importe quel δ, α, Γ, δ et ici vous avez α, β, Γ, δ. Du premier au troisième temps vous pouvez retrouver le α, et le Γ, mais le δ, et le β sont deux impossibilités essentielles par rapport à une dichotomie qui exclut que du premier au troisième temps succèdent un Γ ou un δ à un α ou un δ, de même que à un β ou à un Γ succèdent un α ou un β. Dans mon texte j’ai indiqué certaines suites de cela, certaines propriétés qui ont pour intérêt de mettre en évidence toutes sortes d’autres phases de la forme, lois de syntaxe qui peuvent se déduire de cette formule extrêmement simple, et j’ai essayé de les faire d’une façon telle qu’elles soient métaphoriques, c’est-à-dire qu’elles vous permettent d’entrevoir ce en quoi le signifiant est véritablement organisateur de quelque chose d’inhérent à la mémoire humaine, pour autant que la mémoire humaine en impliquant dans sa trame toujours quelques élé­ments de signifiant se trouve fondamentalement structurée d’une façon différente de toute espèce de conception possible de la mémoire vitale, à savoir de la persistance ou de l’effacement ou du maintien d’une impression.

 

Pourquoi ? Parce que ce qui est important à voir dès que nous introduisons le signifiant dans le réel, et il est introduit dans le réel à partir du moment où simplement on parle, mais encore à partir du moment où simplement on compte, tout ce qui est appréhendé dans l’ordre de la mémoire est pris dans quelque chose qui la structure essentiellement d’une façon fondamentalement différente de tout ce qu’une théorie de la mémoire fondée sur le thème de la propriété vitale pure et simple peut arriver à faire concevoir.

 

C’est cela que j’essaie d’illustrer, et là évidemment métaphoriquement, quand je vous parle du futur, du futur antérieur, quand je fais intervenir après le troisième temps, le quatrième temps, c’est à savoir que si on se fixe à ce quatrième temps, un point d’arrivée, c’est-à-dire l’un des symboles possibles, n’importe lequel peut être fixé puisque ce quatrième temps redevient la même fonction qu’un second temps, c’est-à-dire que α, β, Γ, δ 8 peuvent se retrouver à ce moment là à ce quatrième temps. Si vous fixez à ce quatrième temps comme point de terminaison un α, β, Γ, δ, il en résultera certaines éliminations au deuxième et au troisième temps, ce qui peut en quelque sorte servir à imaginer ce qui se précise dans un futur immédiat, à partir du moment où il devient par rapport à un but, à un projet déterminé, le futur antérieur.

 

Le fait que certains éléments de signifiant soient rendus impossibles de ce seul fait, est quelque chose que j’illustrerai métaphoriquement comme la fonction que nous pourrions donner à ce que j’appellerai dans cette occasion, le signifiant impossible.

 

Ce que je veux vous marquer aujourd’hui, c’est que bien entendu j’ai inter­rompu là mon développement, mais comme certain, justement au nom d’une espèce de fausse évidence qui pourrait sortir du fait que toute espèce de mystère ne disparaît pas car il peut dégager des lois, et toutes aussi simples, à considérer d’une façon différenciée les termes des différents sommets dans la construction parallélépipédique que je vous ai donné.

La question n’est pas là. Ce que je voudrais que vous souteniez un instant devant votre esprit, c’est que ceci veut simplement dire que dès qu’il y a une graphie, il y a une orthographe, et je vais vous l’illustrer tout de suite d’une autre façon que celle-ci qui aura peut-être à vos yeux une valeur plus probante, bien que je n’ai pas fabriqué tout ceci comme une espèce d’excursion à la mathé­matique, avec l’incompétence universelle qui me caractériserait. Vous auriez tort de la croire. D’abord ce ne sont pas des choses sur lesquelles je réfléchis depuis hier ; ensuite je l’ai fait contrôler par un mathématicien. Ne croyez pas que parce que ces précisions ont été apportées, le moindre élément d’incertitude ou de fragilité ait été introduit, je vous le répète, ceci a été contrôlé.

Je veux maintenant vous dire en quoi ceci a cette valeur qui illustre d’une façon pertinente ce que j’ai voulu dire tout à l’heure, quand je vous ai dit : dès qu’il y a graphie, il y a orthographe. C’est qu’à partir de ces données hypo­thétiques simples, et en raison d’une certaine simplicité sur laquelle je reviendrai tout à l’heure en particulier pour justifier pourquoi je suis parti de odd et non pas ce que j’aurais aussi bien pu faire au départ, distinguer en effet comme on me l’a dit, le odd avec deux pieds légers au début, ou le odd avec deux pieds légers à la fin, l’anapeste du dactyle.

Je ne l’ai pas fait – nous y reviendrons – et c’est justement en cela que consiste l’intérêt de la question, c’est à savoir que à partir de certaines définitions, peut-être en effet tout à fait rudimentaires et éliminées elles-mêmes, certains éléments intuitifs et spécialement cet élément intuitif particulièrement saisissant qui est celui fondé sur la scansion, comportent déjà toute une sorte d’engagement corporel. La poésie commence là, mais nous n’entrons même pas dans la poésie, nous faisons uniquement intervenir la notion de symétrie ou d’asymétrie, et je vous dirai pourquoi il me semble intéressant de limiter à ce strict élément, la création du premier signifiant, à partir donc de cette hypothèse, mais pas dans le sens où l’usage habituel entend le mot hypothèse, dans le sens de défi­nition, action ou prémisses extrêmement simples qui en résultent.

 

Je reproduis ici mon tableau avec ici le deuxième temps indéterminé et ici α, β au dessus et Γ, δ en dessous.

 

Maintenant arrivons au cinquième temps : α, β, δ en dessus et au dessous qui nous montre qu’ici, si nous notons ce qui est possible après un a, puis ce qui est possible après un β puis ce qui est possible après chacun des autres, nous voyons ici que peut se produire α, β, Γ, δ. Vous voyez l’excès de possibilités que nous avons, nous avons tous les possibles, et nous les avons aux deux niveaux.

Seulement le moindre examen de la situation vous montre que si vous choisissez ici comme point d’arrivée, donc au cinquième temps, une lettre quel­conque, la lettre δ par exemple vous vous apercevez que si vous prenez aussi comme point de départ une autre lettre, par exemple la lettre α, si vous dites je veux avoir une série telle qu’au premier temps il y ait α et qu’au cinquième temps il y ait β, vous voyez tout aussitôt que ça ne peut être en aucun cas cette lettre-là ni rien de cette ligne là puisque, du fait qu’au départ vous partez de α, vous ne pouvez avoir que ce qui se produit ici au-dessus de la ligne de dichotomie, c’est-à-dire α ou β et ensuite donc vous ne pouvez avoir que ce qui est aussi au-dessus de cette ligne dichotomique, c’est-à-dire α, β, Γ, δ.

Mais que faut-il pour que vous ayez β ? II faut qu’ici vous ayez α parce que β, ne peut provenir que de α. Il en résulte que quand vous avez le dessein de faire une série où se trouvent deux lettres déterminées, à un espacement de temps 5 la lettre médiane, celle-ci, au troisième temps est déterminée d’une façon absolument univoque.

 

Je pourrais vous montrer d’autres propriétés aussi frappantes, mais je me tiendrai à celles-là pour vous montrer si ceci peut faire surgir à votre esprit la dimension qu’il s’agit d’évoquer. C’est qu’il résulte de cette propriété que si vous prenez un terme quelconque, en considérant le terme deux fois antérieur et le terme deux fois postérieur, vous pouvez immédiatement vérifier, et alors cela d’une façon simple qui ne comporte absolument aucun trouble à l’œil – c’est une vérification que peut faire un typographe – à un point quelconque de la chaîne s’il y a une faute. I1 suffit de se reporter au terme qui est deux fois antérieur et au terme qui est deux fois postérieur. I1 ne peut y avoir dans ce cas qu’une seule lettre possible.

 

En d’autres termes, dès qu’il y a graphie, le moindre surgissement de la graphie fait surgir en même temps l’orthographe, c’est-à-dire le contrôle possible d’une faute. C’est pour cela qu’est construit cet exemple, pour vous montrer que dès le surgissement le plus simple, le plus élémentaire du signifiant, la loi surgit tout à fait – bien entendu – indépendamment de tout élément réel. Cela ne veut pas dire que d’une façon quelconque le hasard soit commandé, c’est que la loi sort avec le signifiant, antérieurement indépendante précisément de toute expérience. C’est ceci qui est fait pour être démontré par cette spéculation sur les α, β, Γ, δ.

 

Ces choses semblent entraîner dans un certain nombre de très grandes résistances quelques esprits. Néanmoins il m’a semblé que c’était une voie plus simple pour faire sentir une certaine dimension, que de conseiller par exemple la lecture – voire de la commenter – de M. Frege, mathématicien de ce siècle qui s’est consacré à cette science en apparence la plus simple des simples, qui est l’arithmétique, et qui a cru devoir faire des détours considérables, parce que plus une chose est près de la simplicité plus elle est difficile à saisir, mais assurément des détours tout à fait convaincants pour démontrer qu’il n’y a aucune déduction possible du nombre 3, à partir de l’expérience seulement. Ceci bien entendu nous entraîne dans une série de spéculations philosophiques ou mathématiques desquelles je n’ai pas cru devoir vous faire subir l’épreuve.

 

Ceci est néanmoins très important, car si aucune déduction de l’expérience, contrairement à ce qu’en pouvait croire M. Jung, ne peut nous faire accéder au nombre 3, il est certain que la distinction de l’ordre symbolique par rapport à l’ordre réel entre dans le réel comme un soc et y introduit une dimension originale, et que cette dimension, nous autres analystes et pour autant que nous travaillons sur ce registre de la parole, nous devons tenir compte de son ori­ginalité. C’est ceci qui est en cause dans l’occasion.

 

Pour tout dire je crains de vous fatiguer, et je vais vous faire autre chose, je vais vous dire une idée plus intuitive qui m’est venue, et celle-là est moins certaine dans son affirmation. Néanmoins je peux vous la dire, c’est la remarque qui m’est venue un jour à l’esprit, alors que je me trouvais dans un formidable zoo situé quelque part à soixante kilomètres de Londres et où les animaux y paraissent dans la plus entière liberté, les grilles étant enterrées dans le sol au fond de fossés invisibles. Je contemplais le lion entouré de trois magnifique lionnes, ceci dans l’aspect de la bonne entente et de l’humeur la plus pacifique. Il me semble que je n’ai pas fait dans mon esprit un saut trop grand alors que je me demandais pourquoi cette bonne entente entre ces animaux à propos desquels je devais normalement d’après ce que nous connaissons, voir éclater les signes de la rivalité ou du conflit les plus manifestes. C’est simplement parce que le lion ne sait pas compter jusqu’à trois. Entendez bien que c’est parce que le lion ne sait pas compter jusqu’à trois que les lionnes n’éprouvent pas entre elles le moindre sentiment de jalousie, au moins apparent. Je livre ceci à votre méditation.

 

En d’autres termes, nous ne devons en aucun cas négliger l’introduction du signifiant, pour comprendre le surgissement dont il s’agit, chaque fois que nous nous trouvons devant l’apparence de la réalité qui est notre objet principal dans l’analyse, la réalité du conflit interhumain.

 

On pourrait même aller plus loin et dire qu’en fin de compte, c’est parce que les hommes ne savent pas beaucoup mieux compter que le lion, à savoir que ce nombre trois n’est jamais complètement intégré, qu’il est seulement articulé, que le conflit existe. Parce que bien entendu, le maintien de la relation duelle fondamentalement animale, ne continue pas moins à prévaloir dans une certaine zone, celle précisément de l’imaginaire, et c’est justement dans la mesure où l’homme sait tout de même compter, qu’il se produit en dernière analyse ce quelque chose que nous appelons conflit. Si ce n’était pas si difficile d’arriver jusqu’à articuler le nombre trois, il n’y aurait pas ce gap entre le préœdipien et l’œdipien que nous essayons justement ces jours-ci de franchir comme nous le pouvons, à l’aide de petites échelles de corde et autres trucs, dont je veux simplement vous faire apercevoir que à partir du moment où on essaie de le franchir, c’est toujours aux trucs auxquels on est livré qu’il n’y a aucune espèce de franchissement véritablement expérientiel de ce gap entre le 2 et le 3.

 

C’est très précisément au point où nous en sommes arrivés avec le petit Hans, au moment où il va aborder ce passage que nous avons défini, et qui s’appelle le complexe de castration, et dont nous pouvons apercevoir qu’au départ c’est bien évidemment ce qu’il n’a pas, car il joue avec ce Wiwimacher qui est ici, qui n’est pas là, qui est celui de sa mère ou du grand cheval ou du petit cheval ou de papa, qui est le sien aussi mais dont en fin de compte on ne voit pas un seul instant que ce soit pour lui autre chose qu’un très joli objet de jeu de cache-cache, et même auquel il est capable de prendre le plus grand plaisir. Car un certain nombre d’entre vous je pense, se seront rapportés à ce texte.

C’est de là que l’on part, c’est uniquement de cela qu’il s’agit. Cet enfant se trouve sans doute à l’intention de ses parents, nous présenter au départ cette sorte de problématique du phallus imaginaire qui est partout et qui n’est nulle part, comme étant l’élément essentiel de son rapport avec ce qui est pour lui ce que Freud appellerait à ce moment là l’autre personne, de la façon la plus nette, et qui est la mère.

 

C’est là qu’il en est arrivé, et c’est à ce moment là alors que tout semble aller tellement bien que Freud nous le souligne, grâce à une espèce de libéralisme voire de laxisme éducatif assez caractéristique de la pédagogie qui semble s’être dégagé les premiers temps de la psychanalyse, nous voyons l’ enfant se déve­lopper de la façon la plus franche, la plus claire, la plus heureuse. C’est en effet après ces trois jolis antécédents, à la surprise générale, qu’il arrive ce que nous pouvons appeler sans trop dramatiser, un petit accroc, la phobie. C’est­-à-dire qu’à partir d’un certain moment cet enfant a marqué un grand effroi devant quelque chose, cet objet privilégié qui se trouve être le cheval, dont je vous ai déjà annoncé qu’il était d’une certaine façon métaphorique. Dans le texte, quand l’enfant avait dit à sa mère : « Si tu as un fait-pipi, tu dois avoir un très grand fait-pipi, un fait-pipi comme un cheval ». Il est clair que si nous voyons apparaître à l’horizon l’image du cheval, c’est à partir de ce moment que l’enfant entre dans la phobie.

 

Pour faire ce trajet métaphoriquement à travers l’observation du petit Hans, il faut comprendre comment l’enfant va passer d’une relation si simple, en fin de compte si heureuse, si clairement articulée, à la phobie.

 

Où est l’inconscient à ce moment là ? Où est le refoulement ? Il ne semble pas qu’il y en ait aucun, il interroge sur la présence ou l’absence du fait-pipi avec la plus grande liberté, son père, sa mère, il leur dit qu’il a été au zoo et qu’il a vu un animal, le lion en l’occasion pourvu d’un grand fait – pipi. Et le fait-pipi joue un rôle qui d’ailleurs tend à se présentifier pour toutes sortes de raisons, pas dites tout à fait au début de l’observation, mais que nous voyons apparaître après coup. Que l’enfant trouve un grand plaisir à s’exhiber lui­-même, certains de ses jeux montrant bien le caractère essentiellement à ce moment là symbolique du fait-pipi, il va l’exhiber dans le noir, il le montre à la fois comme objet caché, il s’en sert également comme élément intermédiaire pour ses relations avec les objets de son intérêt, c’est à dire les petites filles auxquelles il demande d’intervenir, de l’aider, auxquelles il le laisse regarder. Que le fait que sa mère ou son père l’aident, ce qui est souligné également, joue le plus grand rôle dans l’instauration de ses organes comme d’un élément d’intérêt par où sans aucun doute il se donne la joie de captiver l’attention, l’intérêt, voire les caresses d’un certain nombre de gens de son entourage.

 

C’est là que nous en sommes quand va se produire quelque chose. Pour avoir une idée de l’harmonie que trouve ce quelque chose, dites-vous que c’est avant la phobie que le petit Hans se trouve manifester sur le plan imaginaire, toutes les attitudes les plus formellement typiques qu’on puisse attendre de ce que nous appelons dans notre rude langage, l’agression virile. II est avec les petites filles dans cet état de mise en jeu d’une cour qui est plus ou moins présente, et qui même se différencie, se distancie en deux modes. II y a les petites filles qu’il presse, qu’il étreint, qu’il agresse, il y en a d’autres avec lesquelles il traite sous le mode du Lieberklass-distanz, les deux modes de relation très différenciée, déjà très subtile, je dirais presque très civilisés, très ordonnés, très cultivés. Le terme même cultivé est employé par Freud pour désigner la différenciation que fait le petit Hans dans ses objets. I1 ne se conduit pas de la même façon avec le petites filles qu’il considère comme des dames cultivées, des dames de son monde, et avec les petites filles de son propriétaire.

 

Il y a là toute l’apparence d’un débouché particulièrement heureux dans ce qu’on peut appeler le transfert, le réinvestissement des sentiments portés à l’objet féminin, sous l’aspect de la mère, vers d’autres objets féminins. Nous pouvons concevoir qu’il y ait quelque chose qui se produit, qui apporte dans ce développement rendu facile, nous dit-on, par cette relation particulièrement ouverte, dialoguante, qui n’interdit en rien aucun mode d’expression à l’enfant.

 

Qu’est-ce qui se produit ? Comment déjà pouvons-nous essayer d’aborder le problème, puisqu’il s’agit non pas de survoler comme je l’ai fait jusqu’à présent, mais de suivre pas à pas la critique de l’observation ?

 

Je pense ne pas forcer le texte en disant déjà quel est le signe de cette structuration sous-jacente qui est celle que je vous ai donnée comme celle de la relation de l’enfant à la mère, et à partir de quoi se conçoit l’introduction de la crise, sous la forme de la mise en jeu, de l’entrée dans le jeu du pénis réel.

 

Il y a une chose qui dans le texte n’a jamais été commentée. L’enfant fait un rêve, il pense qu’il est avec la petite Maridla, qui est une de ses petites camarades qu’il voit l’été dans une station d’Autriche. Il raconte qu’il est avec la petite fille, puis on re-raconte son rêve et on dit : c’est amusant il a rêvé qu’il était avec la petite fille, et il y a une très jolie rectification de Hans : «  Pas seulement Maridla, tout seul avec Maridla ». Je pense que cette réplique, qui comme beaucoup d’autres choses foisonnantes d’observation, passe à la lecture, ou plus exactement dont on se débarrasse dans ce sens que ce ne sont que des histoires d’enfant, a son importance, et Freud le dit bien : tout a une signification.

 

Je pense que ceci n’est strictement concevable que dans cette dialectique imaginaire qui est celle que je vous ai ouverte comme étant le plan de départ des relations de l’enfant à la mère. Ceci se produit à trois ans et neuf mois, et on nous a dit qu’à trois ans et six mois avait eu lieu la naissance de la petite soeur, par conséquent ceci peut déjà bien entendu vous satisfaire. « Non seu­lement tout seul, mais tout seul avec… », c’est-à-dire qu’on peut être avec tout à fait seul, c’est-à-dire ne pas avoir comme avec la mère, cette intruse. Il n’y a aucun doute à ce moment-là que l’enfant Hans met à s’habituer à la présence de la petite sœur.

 

Je pense donc que sur le plan de la remarque du type la plus classique, ceci ne peut en tout cas que vous apparaître pour évident, et vous satisfaire. Néanmoins vous savez bien que ce n’est pas là que je m’en tiens, c’est à savoir que je dis que assurément cette intrusion réelle de l’autre enfant dans la relation de l’enfant avec la mère est bien faite pour précipiter tel ou tel moment critique,telle ou telle angoisse décisive, mais que ce dont je suis parti, et ce sur quoi j’insiste, et ce pourquoi je n’hésite pas à mettre l’accent à propos de ce « seul­ement tout seul », c’est que quelle que soit la position, l’enfant n’est jamais seul avec la mère. Tout le progrès de ce qui se passe dans la relation apparemment duelle de l’enfant avec la mère est marqué de cet élément absolument essentiel, c’est que l’enfant n’intervient – comme l’expérience de l’analyse de la sexualité féminine nous en donne l’assurance, et à laquelle il faut garder le point de référence, l’axe, avec fermeté, de ce que Freud a maintenu jusqu’au terme concer­nant cette sexualité féminine – que comme substitut, compensation, bref dans une référence quelconque à ce quelque chose qui est ce qui manque essen­tiellement à la mère, et qui donc ne laisse jamais seul avec la mère.

C’est dans la mesure où la mère se situe, et peu à peu est apprise par l’enfant comme étant marquée de ce manque fondamental, et de ce manque après lequel elle-même elle cherche, et dont lui, l’enfant, ne lui donne une satis­faction que – si nous voulons l’appeler provisoirement – que substitutive, c’est sur cette base essentiellement que s’introduit, que se conçoit toute espèce de nouvelle béance, toute espèce de réouverture de la question, et spécialement celle qui survient avec la maturation génitale réelle, c’est-à-dire chez le garçon avec l’introduction de la masturbation, cette jouissance réelle avec son propre pénis réel.

 

C’est dans cette constellation que rien ne peut être compris autrement que dans cette constellation de départ, qui est celle qui est le fondement par où peuvent s’introduire les éléments critiques qui peuvent avoir les débouchés divers qui constituent un complexe d’œdipe à issue normale, ou un complexe d’œdipe plus ou moins abordé de façon plus ou moins négativée, et qui n’est pas du tout ce qu’on vous enseigne d’habitude, une névrose.

 

Reprenons donc là où nous en sommes, et faisons ici un petit bout de remarque, à savoir que si l’enfant a à découvrir cette dimension, à savoir que quelque chose est désiré par la mère au-delà de lui-même, c’est-à-dire au-delà de l’objet du plaisir d’abord qu’il ressent être lui-même dans sa mère, et qu’il aspire à être, la situation ne doit se concevoir – comme toute espèce de situation analytique – que dans la référence essentiellement intersubjective qui comporte toujours et à la fois, et corrélativement la dimension originale de chaque sujet, mais en même temps la réalité de cette perspective intersubjective telle qu’elle est entrée dans chaque sujet.

 

Autrement dit, je vous fais remarquer au passage ce quelque chose qui est voilé au départ, et que nous n’arriverons à dévoiler qu’à la fin. Mais vous en savez déjà assez de l’observation pour pouvoir au moins vous poser la ques­tion, et vous référer à des termes que j’ai employés autrefois à bon ou à mauvais escient, à savoir ces termes essentiels comme d’une division tout à fait majeure de l’abord signifiant de quelque réalité que ce soit chez un sujet, à savoir la métaphore et la métonymie.

C’est bien le cas de l’appliquer et au moins de laisser aller tant de points d’interrogation. C’est que dans toute situation intersubjective telle qu’elle s’éta­blit entre l’enfant et la mère nous aurons une question préalable si l’on peut dire, à nous poser. Elle sera préalable et ce sera probablement seulement à la fin qu’elle sera tranchée, à savoir que dans cette fonction de substitution ce qui finalement fait image pour l’exprimer ne veut rien dire. Substitution, c’est facile à dire, essayons donc de substituer un caillou à un morceau de pain. Quand vous le mettez dans la trompe de l’éléphant, il ne le prendra pas tout à fait du ton uni que vous pourriez croire. Il ne s’agit pas de substitution, il s’agit de savoir ce que signifie cette substitution signifiante, et pour tout dire il s’agit de savoir ce que signifie cette substitution signifiante, et pour tout dire il s’agit de savoir si pour la mère et par rapport a ce phallus qui est l’objet de son désir, quelle est la fonction de l’enfant.

 

Il est clair que ce n’est pas tout à fait la même chose si l’enfant par exemple est la métaphore de son amour pour le père, ou s’il est la métonymie de son désir du phallus qu’elle n’a pas et qu’elle n’aura jamais. Tout indique très précisément dans la conduite de la mère qui est là tout à fait évidente avec cet enfant qu’elle traîne littéralement partout avec elle, depuis les W.C. jusqu’à son lit, que l’enfant lui est un appendice absolument indispensable et que par conséquent – car c’est exactement cela la mère de Hans que Freud adore, cette mère qu’il a soignée, cette mère si bonne et si aux petits soins pour cet enfant, et en plus elle est jolie, c’est cette dame qui trouve le moyen de changer de culotte devant son enfant, c’est tout de même de dimension bien particulière – et si quelque chose est fait dans cette observation, si quelque chose se trouve illustrer ce que je vous dis d’essentiel dans cet ordre, c’est que ce qui est derrière le voile, c’est bien l’observation du petit Hans et bien d’autres encore qui nous le montrent.

Qu’est-ce que veut dire que l’enfant est la métonymie pour le phallus ? Cela ne veut pas dire qu’elle ait plus de considération pour le phallus de l’enfant, comme elle le montre bien à la vérité cette personne si libérale quand il s’agit d’éducation, de parler des choses, quand il s’agit de venir au fait et d’y mettre le doigt sur ce petit bout de machin que l’enfant lui sort, elle est saisie d’une peur bleue. C’est tout de même comme cela dans cette espèce de tonus vivant, il faut tâcher de rebiquer cette observation du petit Hans pour qu’elle brille.

 

Donc vous le voyez : ce n’est pas tout à fait la même chose que de dire que l’enfant est pris comme une métonymie du désir du phallus à la mère, cela implique cette chose très importante que ça n’est pas en tant que phallophore qu’il est métonymique, c’est en tant que totalité. C’est là justement que s’établit le drame. Pour lui tout irait très bien s’il s’agissait de Wiwimacher, mais c’est qu’il ne s’agit pas de cela, c’est lui tout entier qui est en cause, et c’est parce que c’est lui tout entier qui est en cause, que latence commence très sérieu­sement à apparaître au moment où entre enjeu le Wiwimacher réel. I1 devient pour lui un objet de satisfaction. C’est à ce moment là que commence à se produire ce qu’on appelle l’angoisse.

 

Ce qu’on appelle l’angoisse tient à ceci, c’est qu’il peut mesurer toute la différence qu’il y a entre ce pour quoi il est aimé, et ce qu’il peut donner, et qu’à partir de ce moment là cet enfant qui, du seul fait qu’il est dans la position qui est la position originaire de l’enfant par rapport à la mère – c’est-à-dire qu’il est là pour être objet de plaisir, donc qu’il est dans une relation où il est fondamentalement imaginé, et tout ce qu’il peut lui arriver de meilleur, c’est de passer de l’état purement passif, c’est ce qui est essentiel cette passivité primordiale, nous la reverrons, et si nous ne voyons pas que c’est là que s’insère cette pacification primordiale, nous ne pouvons rien comprendre à l’observation de l’homme aux loups – ce qu’il peut faire de mieux au-delà d’être imaginé, pris dans la capture, dans le piège de ce quelque chose où il s’introduit pour être l’objet de sa mère et où il se rend compte si on peut dire peu à peu de ce qu’il est vraiment, il est imaginé, ce qu’il peut faire de mieux, c’est de s’ima­giner tel qu’il est imaginé, c’est à dire de passer à la voie moyenne si on peut s’exprimer ainsi.

 

A partir du moment où il existe aussi comme réel, il n’a pas beaucoup le choix : évidemment il est certain qu’il peut s’imaginer comme fondamen­talement autre et rejeté. Autre de ce qui est désiré, et comme tel hors du champ imaginaire où elle pouvait jusque là trouver à se satisfaire par la place qu’il y occupait.

 

Freud le souligne : ce dont il s’agit, c’est de quelque chose qui survient d’abord, une angoisse, mais angoisse de quoi ? Nous en avons des traces : un rêve, il se réveille sanglotant parce que sa mère allait partir, où « tu allais partir » dit-il au père, quelque chose qui est une séparation. Nous pouvons compléter ces termes par mille autres traits, c’est en tant qu’il est séparé de sa mère, et quand il est avec quelqu’un d’autre que se manifestent ces angoisses. Ce qu’il y a de certain, c’est que ces angoisses apparaissent d’abord, et Freud le souligne.

Le sentiment d’angoisse se distingue de la phobie, c’est-à-dire de ce quelque chose qui n’est pas tellement facile à saisir, et que nous allons essayer de cerner. Qu’est-ce qu’une phobie ?

 

Naturellement on peut sauter gaiement et dire : la phobie, c’est l’élément représentatif là-dedans. Je veux bien, mais vous êtes bien avancés après, pour­quoi cet élément représentatif, et pourquoi une représentation si singulière ? Et quel rôle joue-t-elle ? Un autre piège consiste à se dire qu’il y a une finalité, et qu’elle doit servir à quelque chose. Pourquoi donc servirait-elle à quelque chose ? N’y aurait-il pas aussi des choses qui ne servent à rien ? Pourquoi tran­cher d’avance que la phobie sert à quelque chose ? Peut-être ne sert-elle exac­tement à rien ? Tout se serait aussi bien passé si elle n’avait pas été là, pourquoi avoir des idées préconçues de finalité à cette occasion ?

 

Nous allons tâcher de savoir la fonction de la phobie. Qu’est-ce que la phobie en cette occasion ? En d’autres termes, quelle est la structure particulière de la phobie du petit Hans ? Ce qui nous amènera peut-être à avoir quelques notions sur ce qu’est la structure générale d’une phobie.

 

Quoiqu’il en soit, je voudrais dès maintenant vous faire remarquer à ce propos la différence entre l’angoisse et la phobie, elle est ici tout à fait sensible. Je ne sais pas si la phobie est une chose tellement représentative que cela, car nous allons voir qu’il est très difficile de savoir de quoi il a peur. Il l’articule de mille façons, mais il reste un résidu tout à fait singulier.

Si vous avez lu l’observation , vous savez que ce cheval qui est brun, blanc, noir, vert et ces couleurs ne sont pas sans un intérêt, pose une énigme qui jusqu’au bout de l’observation n’est jamais résolue. C’est je ne sais quelle espèce de tâche noire qu’il a par là, qui en fait un animal des temps historique. Devant ce chanfrein de cheval il y a cette espèce de tache noire, et le père d’interroger l’enfant : « Est-ce le fer qu’il a dans la bouche ? » – « pas du tout » dit l’enfant. « Est-ce le harnais ? » – « Non, non » – « Et celui que tu vois là, a-t-il la tâche ? » – « Non, non » dit l’enfant, et puis un beau jour, fatigué, il dit « oui, celui-là l’a, n’en parlons plus ». Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on ne sait jamais ce que c’est que ce noir qui est devant la bouche du cheval.

 

Ce n’est donc pas si simple que cela une phobie, puisqu’il y a même des éléments quasiment irréductibles. C’est assez peu représentatif, et si il y a quelque chose qui donne bien le sentiment de ce sur quoi on s’est exprimé dans ces poussées qui surviennent périodiquement dans l’analyse, cette notion d’une espèce d’élément négatif hallucinatoire, c’est bien là quelque chose dans cette sorte de flou, car c’est en fin de compte cela qui nous apparaît le plus clair dans cette tête de cheval, et qui est bien fait pour nous en donner l’idée.

 

Mais il y a une chose certaine, c’est qu’il y a une différence radicale entre deux sentiments, entre ce sentiment d’angoisse pour autant que l’enfant se sent tout d’un coup lui-même, comme quelque chose qui peut être tout d’un coup complètement mis hors de jeu. Bien sûr la petite sœur prépare, et au maximum, la question, et je vous le répète, c’est sur un fond beaucoup plus profond que la crise s’ouvre, que le sol se dérobe sous les pieds à partir du moment où l’enfant peut concevoir qu’il peut tout d’un coup ne plus remplir d’aucune façon sa fonction, qu’il peut n’être plus rien, et que tout simplement il n’est rien de plus que ce quelque chose qui a l’air d’être quelque chose, mais qui en même temps n’est rien, et qui s’appelle une métonymie.

C’est-à-dire, je parle de quelque chose que nous avons déjà vu. La méto­nymie c’est le procédé du roman réaliste : si un roman réaliste nous intéresse, ce n’est pas à cause de tout le menu chatoiement réel qui nous est apporté car le roman réaliste n’est toujours en fin de compte qu’un amoncellement de clichés, si ces clichés nous intéressent, c’est justement parce que derrière cela ils visent toujours autre chose, ils visent précisément exactement ce qui a l’air d’être le plus contraire, c’est-à-dire tout ce qui manque, tout ce qui fait que c’est très au-delà de tous ces détails, de toute cette espèce de scintillement de cailloux qui nous est donné, il y a le quelque chose qui précisément nous attache, plus c’est métonymique, plus c’est au-delà qu’est la visée du roman.

 

Notre cher petit Hans se voit donc là tout d’un coup précipité, ou pré­cipitable tout au moins, dans sa fonction de métonymie. Il s’imagine comme un néant pour arriver tout de même à dire ce mot d’une façon plus vivante que théorique.

Que se passe-t-il à partir du moment où entre en jeu dans son existence, la phobie ? Une chose en tout cas est certaine, c’est que devant les chevaux, l’angoisse, ce n’est pas de l’angoisse qu’il éprouve, c’est de la peur. Il a peur qu’il arrive quelque chose de réel, deux choses nous dit-il : que les chevaux mordent, que les chevaux tombent. La différence qu’il y a entre l’angoisse qui littéralement est quelque chose de sans objet, et là je ne fais que répéter Freud parce qu’il l’a parfaitement articulé, et la phobie, c’est que pour la phobie ce dont il s’agit, ce n’est pas du tout d’angoisse, malgré le ton qu’il donne ici aux chevaux : les chevaux portent de l’angoisse, mais ce qu’ils portent, c’est la peur, et la peur d’une certaine façon concerne toujours quelque chose d’articulable, de nommable, de réel. Ces chevaux peuvent mordre, ces chevaux peuvent tom­ber. Ils ont bien d’autres propriétés qu’ils peuvent garder en eux-mêmes …… la trace de l’angoisse dont il s’agit, et peut-être en effet y a-t-il quelque rapport.

 

Nous verrons par la suite les rapports qu’il y a entre ce flou, cette espèce de tâche noire, car les chevaux recouvrent quelque chose, et il y a quand même quelque chose par en-dessous qui apparaît, qui fait lumière derrière ce qui commence à flotter, c’est ce noir. Mais dans le vécu comme tel de l’angoisse, ce qu’il y a chez le petit Hans, c’est la peur. La peur de quoi ? Pas la peur du cheval, la peur des chevaux, de sorte qu’à partir de ce moment-là, le monde apparaît ponctué de toute une série de points dangereux, de points d’alarme si on peut dire, qui est quelque chose qui d’une certaine façon, le restructure.

Ici selon le conseil de Freud, qui se pose à un moment donné des questions sur la fonction de la phobie, et qui conseille lui-même pour trancher entre ces questions de se rapporter à d’autres cas, n’oublions quand même pas qu’une des formes les plus typiques de la phobie – nous verrons aussi après ce qu’est une phobie, est-ce une espèce morbide, ou est-ce un syndrome – une des formes les plus répandues de la phobie, c’est l’agoraphobie, la phobie de la castration.

 

L’agoraphobie est quelque chose qui assurément porte en soi sa valeur. Voilà le monde ponctué de signes d’alarme, l’agoraphobie nous montre même que ces signes d’alarme dessinent un champ, un domaine, une aire. Jusqu’à un certain point nous pouvons dire que nous savons – s’il nous faut absolument tenter dans quelle direction s’amorce, je ne dirais pas la fonction, parce qu’il ne faut pas se précipiter, mais le sens de la phobie. C’est bien cela, c’est d’in­troduire dans le monde de l’enfant une structure, une certaine façon de mettre au premier plan la fonction d’un intérieur et d’un extérieur. Jusque là l’enfant était en somme dans l’intérieur de sa mère, il vient d’en être rejeté, où de s’en imaginer rejeté dans l’angoisse, le voilà qui, à l’aide de quelque chose – c’est une tentative, nous abordons la phobie de ce côté – la phobie en somme instaure un nouvel ordre de l’intérieur et de l’extérieur, une série de seuils se mettent à structurer le monde.

 

Ce n’est pas si simple, je suis persuadé qu’il y aurait beaucoup à apprendre ici d’une étude de certains éléments qui nous sont donnés par l’ethnographe, de la façon dont sont construits dans un village les espaces. Dans les civilisations primitives on ne construit pas les villages n’importe comment, il y a des champs défrichés, et d’autre vierges, et à l’intérieur de cela il y a encore des limites qui signifient des choses vraiment fondamentales quant aux repères de ces gens plus ou moins près du dégagement de la nature, il y aurait là beaucoup à apprendre, peut-être vous en dirai-je tout de même quelque mots. Quoi qu’il en soit, il y a seuil, il y a plus, il y a aussi quelque chose qui peut présenter à ce seuil comme une image de ce qui le garde, le terme de chute…… ou de …… d’édifice qui vient en avant, ou d’édifice de garde. C’est le terme par lequel Freud a expressément articulé la phobie, c’est quelque chose qui est construit en avant du point d’angoisse.

 

Déjà quand même là quelque chose commence à nous apparaître, à s’ar­ticuler qui nous montre sa fonction. Je veux simplement ne pas aller trop vite et je vous demande de ne pas vous en tenir là, parce qu’on se contente de peu d’habitude, et après tout l’idée que c’est très joli, que nous avons transformé l’angoisse en peur, la peur est apparemment plus rassurante que l’angoisse, ce n’est pas certain non plus. Simplement nous voulons ponctuer aujourd’hui que dans la genèse, nous ne pouvons absolument pas marquer la peur comme un élément primitif, primordial dans la construction du moi, selon que l’a arti­culé de la façon la plus formelle comme base de toute sa doctrine, quelqu’un que je ne nomme jamais et qui se trouve sur le …… d’un rapport à une certaine école dite à plus ou moins juste titre parisienne. La peur en aucun cas ne peut être considérée comme un élément primitif, comme un premier élément dans la structure de la névrose. S’il y a un point sur lequel nous le touchons, où nous voyons que la peur intervient dans le conflit névrotique comme une chose qui défend en avant, comme quelque chose de tout à fait autre, qui est essen­tiellement et par nature sans objet, qui est l’angoisse, c’est bien la phobie qui nous permet de l’articuler.

 

Je resterai aussi aujourd’hui sur ce … de mon discours. Je pense vous avoir amenés sur ce point précis où la question de la phobie se pose par rapport à quoi elle est amenée – et je vous prie de le prendre au sens le plus profond du terme – à répondre. Nous essaierons de voir la prochaine fois où la suite des choses pourra nous mener.

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