samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 6 mars 1957

Leçon du 6 mars 1957

Nous allons aujourd’hui essayer de parler de la castration dont vous pouvez constater dans l’œuvre de Freud que, à la façon du complexe d’œdipe, si elle est partout là, ce n’est que pratiquement pour le complexe d’œdipe que Freud essaye d’en articuler pleinement la formule dans un article de 1931 consacré à quelque chose d’entièrement neuf.

Et pourtant le complexe d’œdipe est là depuis le début dans la pensée de Freud puisqu’on peut penser que c’est là le grand problème personnel d’où il est parti : qu’est-ce qu’un père ? Il n’y a là-dessus aucun doute puisque nous savons que sa biographie, les lettres à Fliess sont confirmatives de ces pré­occupations et de cette présence dès l’origine du complexe d’œdipe. Et ce n’est que très tard que Freud s’en est expliqué.

 

Pour la castration, il n’y a nulle part ni rien de pareil. Jamais Freud n’a pleinement articulé le sens précis, l’incidence psychique précise de cette crainte ou de cette menace, de cette instance, de ce moment dramatique où ces mots peuvent être également posés avec un point d’interrogation à propos de la cas­tration. Et en fin de compte, quand la dernière fois j’ai commencé d’aborder le problème par la venue par en dessous de la frustration, du jeu phallique imaginaire avec la mère, beaucoup d’entre vous, s’ils ont saisi le dessin que je faisais de l’intervention du père, son personnage symbolique étant purement le personnage symbolique des rêves, sont restés dans l’interrogation sur le sujet de : Qu’est-ce que cette castration ? Qu’est-ce à dire que pour que le sujet parvienne à la maturité génitale, il faut en somme qu’il ait été castré ?

 

Si vous prenez les choses au niveau simple de la lecture, encore que ce ne soit articulé comme cela nulle part, c’est littéralement dans l’œuvre de Freud, impliqué partout. La castration si vous voulez, est le signe du drame de l’œdipe, comme il en est le pivot implicite. Ceci peut être éludé, peut être pris dans une sorte de comme si, qui revient à entendre le courant du discours analytique qui semble vraiment interrogé sur sa …. Mais à partir du moment où il suffit que le texte, comme je le fais pour le moment, vous y fasse arrêter un peu pour qu’en effet le côté abrupt de cette affirmation vous paraisse problématique – et en effet ça l’est – et d’autre part que la formule si paradoxale qu’elle soit, à laquelle je faisais un instant allusion, vous pouvez la prendre comme point de départ. Qu’est-ce que veut dire donc une pareille formulation ? Qu’implique-­t-elle ? Que suppose-t-elle ?

C’est bien à cela d’ailleurs que les auteurs se sont attachés car tout de même, il y en a certains que la singularité d’une telle conséquence n’a pas manqué d’arrêter et au premier rang d’entre eux par exemple, quelqu’un comme Ernest Jones qui – et vous vous en rendrez compte si vous lisez son oeuvre – n’a jamais pu arriver à surmonter les difficultés du maniement du complexe de castration comme tel, et qui a essayé de formuler un terme qui lui est par­ticulier, mais qui bien entendu, comme tout ce qui est introduit dans la communauté analytique, qui a fait son chemin et a porté des échos, c’est la notion qui lui est propre et qui est citée par les auteurs principalement anglais, de l’aphanisis (en grec : disparaître). La solution qu’a tenté de donner Jones au mode d’incidence dans l’histoire du drame psychique de la castration, est celle­-ci.

 

La crainte de la castration que nous ne pouvons pas, au moins dans sa perspective, suspendre à l’accident, à la contingence des menaces pourtant si singulièrement toujours reproduites dans les histoires et dans le fait qui s’exprime par la menace parentale bien connue : « On fera venir quelqu’un qui coupera ça », le côté paradoxalement motivé, non enraciné dans une sorte de constante nécessaire de la relation inter-individuelle, n’est pas le seul côté qui ait arrêté les auteurs. Le maniement même de la castration que Freud pourtant articule bien comme quelque chose qui précisément menace le pénis, le phallus – la question justement est là – cette difficulté qu’il y a à intégrer quelque chose de si singulier dans sa forme positive, a poussé Jones à essayer d’asseoir le mécanisme du développement autour duquel elle se constitue principalement.

C’est là son objet au moment où il commence vraiment d’aborder le pro­blème autour duquel doit se constituer le super ego, et qui l’a poussé à mettre au premier plan la notion de l’aphanisis, dont je pense qu’il suffira que je vous l’articule moi-même pour que vous voyez à quel point elle-même n’est pas non plus sans présenter de grandes difficultés.

 

En effet l’aphanisis, c’est la disparition, mais disparition de quoi ? Dans Jones, disparition du désir. Le complexe de castration en tant que aphanisis, est substitué à la castration, c’est la crainte pour le sujet de voir s’éteindre en lui le désir.

 

Vous ne pouvez pas ne pas voir, je pense, ce qu’une pareille notion repré­sente en elle-même d’une relation hautement subjectivée. C’est peut-être en effet quelque chose de concevable en tant que source d’une angoisse primordiale, mais assurément c’est une angoisse singulièrement réfléchie. Il semble qu’il faille véritablement faire une espèce de saut dans une compréhension qui laisse ouvert, qui suppose franchi du même coup un immense…… pour à partir de données qui seraient celles d’un sujet pris à partir même de ses premiers mouvements de relation à l’endroit de ces objets, supposé déjà être en position de prendre ce recul qui lui fait non seulement articuler une frustration comme telle, mais à cette frustration suspendre l’appréhension d’un tarissement du désir.

 

En fait, c’est bien autour de la notion de privation, pour autant qu’elle fait surgir la crainte de l’aphanisis, que Jones a tenté d’articuler toute sa genèse du super ego comme l’aboutissement normal, la formation à laquelle aboutit normalement le complexe d’œdipe, et bien entendu il s’est rencontré tout de suite avec les distinctions qui sont celles auxquelles je crois que nous arrivons à donner une forme un peu plus maniable, à savoir que quand il parle du terme de privation, il ne peut pas, même un seul instant, ne pas distinguer la privation en tant que pure privation – qui fait que le sujet n’est pas satisfait dans l’un quelconque de ces besoins – et la privation qu’il appelle délibérée, celle qui suppose en face du sujet un autre sujet qui lui refuse cette satisfaction qu’il recherche.

 

D’ailleurs comme il n’est pas facile à partir de données aussi peu tranchées, d’allier le passage de l’une à l’autre, surtout quand on les conserve à l’état de synonymes, il en vient naturellement à indiquer que le plus fréquemment la privation est prise comme une frustration, et est équivalente à la frustration pour le sujet. A partir de là, bien entendu, beaucoup de choses sont facilitées dans l’articulation d’un procès, mais si elles sont facilitées pour l’élocuteur, ça n’est pas dire qu’elles le soient autant pour l’auditeur un peu exigeant.

 

En fait, je ne donne pas du tout dans ce tableau le même sens que Jones au terme de privation. La privation dont il s’agit dans ce tableau, pour autant qu’elle intervient comme un des termes, est ce quelque chose par rapport à quoi doit se repérer la notion de castration. Si comme vous l’avez vu, j’essaye de redonner au terme de frustration sa complexité de rapport véritable, et ceci, dans la séance avant l’interruption je l’ai fait d’une façon très articulée, et il vous en reste assez pour voir que je n’emploie pas le terme de frustration dans la forme sommaire où il est employé habituellement, la privation et la castration n’interviennent ici distinguées, que parce qu’il n’est en effet pas possible d’ar­ticuler sur l’incidence de la castration quelque chose sans isoler la notion de privation en tant qu’elle est ce que j’ai appelé un trou réel.

Autrement dit, la privation dont il s’agit, pour restituer les choses, et au lieu de noyer le poisson, essayons au contraire de bien l’isoler, la privation c’est la privation du poisson, c’est le fait que la femme spécialement n’a pas le pénis. Je veux dire que ce fait, fait intervenir constamment son incidence dans l’évo­lution de presque tous les cas qu’il nous expose, le fait que la femme n’a pas de pénis, que l’assomption du fait que la femme en est privée, qu’elle donne au garçon l’exemple le plus saillant que nous pouvons rencontrer à tout instant dans les histoires des cas de Freud, que donc la castration si elle est ce quelque chose que nous cherchons prend comme base cette appréhension dans le réel de l’absence de pénis chez la femme, que c’est là le point crucial dans la majeure partie des cas autour duquel tourne, dans l’expérience du sujet mâle le fondement sur lequel s’appuie d’une façon tout à fait spécialement angoissante, efficace, la notion de la privation.

 

C’est qu’effectivement il y a une partie des êtres dans l’humanité, qui sont dit-on dans les textes, châtrés. Bien entendu, ce terme est tout à fait ambigu, ils sont châtrés dans la subjectivité du sujet. Ce qu’ils sont dans le réel et ce qui est invoqué comme expérience réelle, c’est qu’ils sont dans la réalité privés. Celle donc à laquelle je fais allusion, c’est cette référence au réel autour de quoi l’expérience de la castration tourne dans l’enseignement des textes de Freud. Je vous ai fait remarquer à ce propos que nous devons, pour articuler cor­rectement les pensées, mettre en corrélation avec cette privation dans le réel, le fait qu’il s’agit obligatoirement, du seul fait que nous posons les choses ainsi dans une référence, non pas de l’expérience du malade, ce sont les expériences de notre pensée, de la façon d’appréhender nous-même ce dont il s’agit.

 

La notion même de privation est laissée particulièrement sensible et visible dans une expérience comme celle-là, qui implique la symbolisation de l’objet dans le réel. Rien n’est privé de rien, tout ce qui est réel se suffit à lui-même, parce que le réel par définition est plein. Si nous introduisons dans le réel la notion de privation, c’est pour autant que nous symbolisons déjà assez le réel, et même que nous symbolisons tout à fait pleinement, pour indiquer que si quelque chose n’est pas là, c’est parce que justement nous supposons sa présence possible, c’est-à-dire que nous introduisons dans le réel pour en quelque sorte le recouvrir, le creuser, le……, le simple ordre du symbolique.

 

C’est pour cela que je dis qu’au niveau de cette marche l’objet dont il s’agit dans l’occasion est le pénis, c’est un objet qui nous est donné à l’état symbolique au moment et au niveau où nous parlons de privation. D’autre part, je vous rappelle la nécessité de ce tableau. Il est tout à fait clair que la castration, pour autant qu’elle est efficace, qu’elle est éprouvée, qu’elle est présente dans la genèse d’une névrose, c’est la castration d’un objet imaginaire. Jamais aucune castration dont il s’agit dans l’incidence d’une névrose n’est une castration réelle, c’est pour autant qu’elle joue dans le sujet sous la forme d’une action portant sur un objet imaginaire, que la castration entre en jeu.

 

Le problème pour nous est justement de concevoir pourquoi, par quelle nécessité cette castration s’introduit dans un développement qui est le déve­loppement typique du sujet. Il s’agit qu’il rejoigne cet ordre complexe qui consti­tue la relation de l’homme à la femme, qui fait que la réalisation génitale est soumise dans l’espèce humaine à un certain nombre de conditions. Nous repar­tons comme la dernière fois du sujet dans son rapport originaire avec la mère, dans l’étape que l’on qualifie de préœdipienne, et sur laquelle nous avons vu que l’on peut articuler beaucoup de choses. Nous espérons avoir mieux articulé qu’on ne le fait habituellement quand on parle de cette étape préœdipienne, je veux dire en tenant compte d’une façon plus différenciée de ce qui, d’ailleurs, est toujours retrouvé dans le discours de tous les auteurs. Même démontrés, nous croyons qu’ils sont moins bien maniés, moins bien raisonnés.

 

Nous allons repartir de là pour en quelque sorte essayer de saisir à sa naissance la nécessité de ce phénomène de la castration, en tant que symbolisant une dette symbolique, une punition symbolique, quelque chose qui s’inscrit dans la scène symbolique en tant qu’il s’empare comme de son instrument de cet objet imaginaire.

Déjà, pour nous servir de guide, pour que nous puissions nous référer à des termes que je pose d’abord, et que je vous demande d’accepter un instant comme acquis, l’hypothèse, la supposition sur laquelle va pouvoir s’appuyer notre articulation – nous l’avons vu la dernière fois – derrière cette mère sym­bolique nous disons qu’il y a ce père symbolique qui lui, est en quelque sorte une nécessité de la construction symbolique, mais qu’aussi nous ne pouvons situer que dans un au-delà, je dirais presque dans une transcendance, en tout cas dans quelque chose qui, je vous l’ai indiqué au passage, n’est rejoint que par une construction mythique.

 

J’ai souvent insisté sur le fait que ce père symbolique en fin de compte n’est nulle part représenté et c’est la suite qui vous confirmera si la chose est valable, si elle est effectivement utile à nous faire retrouver dans la réalité complexe cet élément du drame de la castration. Ici nous trouvons le père réel sous-jacent, et ici le père imaginaire

 

 

Si le père symbolique est le signifiant qu’on ne peut jamais parler qu’en retrouvant à la fois sa nécessité et son caractère, qu’il nous faut accepter comme une sorte de donnée irréductible du monde du signifiant, si donc il en est ainsi pour le père symbolique, le père imaginaire et le père réel sont deux termes à propos desquels nous avons beaucoup moins de difficultés.

 

Le père imaginaire, nous avons tout le temps affaire à lui, c’était lui auquel se référait le plus communément tout ce qui était de la dialectique permise, toute la dialectique de l’agressivité, toute la dialectique de l’identification, toute la dialectique de l’idéalisation par où le sujet accède à quelque chose qui s’appelle l’identification au père. Tout cela se passe au niveau du père imaginaire. Si nous l’appelons imaginaire, c’est aussi bien parce qu’il est intégré à cette relation de l’imaginaire qui forme le support psychologique de relations qui sont à pro­prement parler des relations d’espèce, des relations au semblable, les mêmes qui sont au fond de toute capture libidinale, comme aussi de toute réaction agressive. Ce père imaginaire aussi bien participe de ce fait, a des caractères typiques. Ce père imaginaire c’est à la fois le père effrayant que nous connaissons au fond de tellement d’expériences névrotiques, c’est un père qui n’a aucunement d’une façon obligée, de relation avec le père réel qu’a l’enfant. C’est ce par quoi nous est expliqué, combien fréquemment nous voyons dans les fantasmes de l’enfant intervenir une figure du père, spécialement de la mère aussi, cette figure à l’occasion tout à fait grimaçante, qui n’a vraiment qu’un rapport extrê­mement lointain avec ce qui a été là présent du père réel de l’enfant, et ceci est uniquement lié à la période, et aussi à la fonction que va jouer ce père imaginaire à tel moment du développement.

 

Le père réel, c’est tout à fait autre chose, c’est quelque chose dont l’enfant, en raison de cette interposition des fantasmes, de la nécessité aussi de la relation symbolique, n’a jamais eu comme pour tout être humain qu’une appréhension, en fin de compte très difficile.

S’il y a quelque chose qui est à la base et au fondement de toute l’expérience analytique, c’est pourquoi nous avons tellement de peine à appréhender ce qu’il y a de plus réel autour de nous, c’est-à-dire les êtres humains tels qu’ils sont. C’est toute la difficulté, aussi bien du développement psychique que simplement de la vie quotidienne, de savoir à qui nous avons réellement affaire, au moins à un personnage qui est dans les conditions ordinaires aussi lié par sa présence au développement d’un enfant, qui est un père, qui peut à juste titre être consi­déré comme un élément constant de ce qu’on appelle de nos jours, l’entourage de l’enfant. Et assurément, je vous prie donc de prendre ce qui par certains côtés, peut être au premier abord peut vous présenter dans ses caractères avoir été la question qui au premier abord, peut vous paraître paradoxale. Effec­tivement, et contrairement à une sorte de notion normative ou typique qu’on voudrait lui donner dans l’insistance du complexe de castration dans le drame de l’œdipe, c’est au père réel qu’est déférée effectivement la fonction saillante dans ce qui se passe autour du complexe de castration.

 

Donc vous voyez que dans la façon dont je vous le formule, ce qui peut apparaître déjà comme contingence, comme peu explicable : pourquoi cette castration, pourquoi cette forme bizarre d’intervention dans l’économie du sujet qui s’appelle castration, ça a quelque chose de choquant en soi. J’en redouble la contingence en vous disant que ça n’est pas par hasard, que ça n’est pas une espèce de bizarrerie des premiers abords de ce sujet qui ferait que d’abord le médecin s’est arrêté à ces choses que l’on a reconnu être plus fantasmatiques que l’on croyait, à savoir les scènes de la séduction primitive.

 

Vous savez que c’est une étape de la pensée de Freud, avant même qu’il analyse, avant d’être doctriné sur ce sujet. Mais pour la castration, il ne s’agit point de fantasmatiser toute l’affaire de la castration comme on l’a fait des scènes de séduction primitive. Si effectivement la castration est quelque chose qui mérite d’être isolé, qui a un nom dans l’histoire du sujet, ceci est toujours liée à l’in­cidence, à l’intervention du père réel, ou si vous voulez également marqué d’une façon profonde, et profondément déséquilibré par l’absence du père réel, et c’est uniquement par rapport à cette nécessité qui introduit comme une profonde atypie, et demande alors la substitution au père réel de quelque chose d’autre qui est profondément névrosant.

 

C’est donc sur la supposition du caractère fondamental du lien qu’il y a entre le père réel et la castration que nous allons partir pour tâcher de nous retrouver dans ces drames complexes que Freud élabore pour nous, et où bien souvent nous avons le sentiment qu’il se laisse à l’avance guider par une sorte de droit fil tellement sûr de temps en temps, comme dans le cas du petit Hans, que je vous ai souligné que nous avions nous-mêmes l’impression de nous trouver à chaque instant guidés, mais sans rien saisir, ni les motifs qui nous font choisir à chaque carrefour.

Je vous prie donc pour un instant, à titre provisoire, d’admettre que c’est autour d’une telle position que nous allons commencer d’essayer de comprendre cette nécessité de la signification du complexe de castration.

 

Prenons le cas du petit Hans. Le petit Hans, à partir de quatre ans et demi, fait ce qu’on appelle une phobie, c’est-à-dire une névrose. Cette phobie est prise en mains ensuite par quelqu’un qui se trouve être un des disciples de Freud, et qui est un très brave homme, à savoir ce qu’on peut faire de mieux comme père réel, et aussi bien il nous est dit que le petit Hans a vraiment pour lui tous les bons sentiments, il est clair qu’il aime beaucoup son père, et en somme il est loin de redouter de lui des traitements aussi abusifs que celui de la castration.

D’autre part, on ne peut pas dire que le petit Hans soit vraiment frustré de quelque chose. Tel que nous le voyons au début de l’observation, le petit Hans, enfant unique, baigne dans le bonheur. Il est l’objet d’une attention que certainement le père n’a pas attendu l’apparition de la phobie pour manifester, et il est aussi l’objet des soins les plus tendres de la mère, et même si tendres qu’on lui passe tout. A la vérité, il faut la sublime sérénité de Freud pour enté­riner l’action de la mère, il est tout à fait clair que de nos jours tous les anathèmes seraient déversés sur cette mère qui admet tous les matins le petit Hans en tiers dans le lit conjugal, ceci contre les réserves expresses que fait le père et époux.

 

Il se montre à l’occasion, non seulement d’une tolérance bien particulière, mais que nous pouvons juger comme tout à fait hors du coup dans la situation, car quoiqu’il dise, les choses n’en continuent pas moins de la façon la plus décidée, nous ne voyons pas un seul instant que la mère en question tienne à une seule minute le moindre compte de l’observation qui lui est respec­tueusement suggérée par le personnage du père.

Il n’est frustré de rien ce petit Hans, il n’est vraiment privé en rien. Au début de l’observation, quand même, la mère a été jusqu’à lui interdire la mas­turbation, non seulement ça n’est pas rien, mais elle a même été jusqu’à pro­noncer les paroles fatales : « Si tu te masturbes, on fera venir le docteur A… qui te la coupera ». Ceci nous est rapporté au début de l’observation, et nous n’avons pas l’impression que ce soit là quelque chose de décisif. L’enfant conti­nue. Bien entendu c’est une chose qui n’est pas un élément d’appréciation, mais assurément cette intervention doit être notée à raison du scrupule avec lequel il a relevé l’observation du fait que les parents se sont suffisamment informés, ce qui d’ailleurs ne les empêche pas de se conduire exactement comme s’ils ne savaient rien.

 

Néanmoins, ce n’est certainement pas à ce moment que même un seul instant, Freud lui-même songe à rapporter quoi que ce soit de décisif quant à l’apparition de la phobie. L’enfant écoute cette menace, je dirais presque comme il convient. Et vous verrez qu’après coup même, ressort cette implication qu’après tout on ne peut rien dire de plus à un enfant, que c’est justement ce qui lui servira de matériaux à construire ce dont il a besoin, c’est-à-dire justement le complexe de castration. Mais la question de savoir pourquoi il en a besoin est justement une autre question, et c’est à celle-là que nous sommes, et nous ne sommes pas près de lui donner tout de suite une réponse.

 

Pour l’instant il ne s’agit pas de castration, ce n’est pas là le support de ma question, il s’agit de la phobie et du fait que nous ne pouvons en aucun cas même, la relier d’une façon simple et directe à l’interdiction de la mas­turbation. Comme le dit très bien Freud, à ce moment là, la masturbation en elle-même est une chose qui n’entraîne aucune angoisse, l’enfant continuera sa masturbation. Bien entendu, il l’intégrera dans la suite au conflit qui va se manifester au moment de sa phobie, mais ça n’est certainement pas quoi que ce soit d’apparent, une incidence traumatisante qui survienne à ce moment qui nous permette de comprendre le surgissement de la phobie.

Les conditions autour de cet enfant sont optima, et le problème de la portée de la phobie reste un problème qu’il faut savoir introduire avec justement son caractère véritablement digne, questionnable en l’occasion, et c’est à partir de là que nous allons pouvoir trouver tel ou tel recoupements qui seront pour nous éclairants voire favorisants.

I1 y a deux choses : une considération que je vais faire devant vous, qui sera un rappel de ce que nous pouvons appeler la situation fondamentale quant au phallus de l’enfant par rapport à la mère. Nous l’avons dit, dans la relation préœdipienne, dans la relation de l’enfant à la mère qu’avons-nous ? La relation de l’enfant à la mère en tant qu’elle est objet d’amour, objet désiré pour sa présence, objet qui suppose une relation aussi simple que vous pouvez la sup­poser, mais qui est très précocement manifestable dans l’expérience, dans le comportement de l’enfant, la sensibilité, la réaction à la présence de la mère, et très vite son articulation en un couple présence/absence. C’est vous le savez, ce sur quoi nous partons, et si les difficultés ont été élevées à propos de ce qu’on peut appeler le monde objectal premier de l’enfant, c’est en raison d’une insuffisante distinction du terme même d’objet.

Qu’il y ait un objet primordial, que nous ne puissions pas, en aucun cas constituer idéalement – c’est-à-dire dans notre idée – ce monde de l’enfant comme étant un pur état de suspension aux limites indéterminées à l’organe qui le satisfait, c’est-à-dire à l’organe du nourrissage, c’est une chose que je ne suis pas le premier à contredire – toute l’œuvre et l’articulation d’Alice Balint entre autres, par exemple, est là pour articuler d’une façon différente, moins soutenable je crois, mais pour articuler ce que je suis en train de vous dire, à savoir que la mère existe – mais ça ne suppose pas pour autant qu’il y ait déjà ce quelque chose qui s’appelle moi et non-moi, et que la mère existe – comme objet sym­bolique et comme objet d’amour.

C’est ce que confirmera, à la fois l’expérience, et ce que je suis en train de formuler dans la position que je donne ici à la mère sur ce tableau, en tant qu’elle est d’abord, nous dit-on, mère symbolique, et que ça n’est que dans la crise de la frustration qu’elle commence à se réaliser par un certain nombre de chocs et particularités qui sont ce qui arrive dans les relations entre la mère et l’enfant, cette mère objet d’amour qui peut être à chaque instant la mère réelle justement pour autant qu’elle frustre cet amour.

La relation de l’enfant avec elle est une relation d’amour, elle a en effet ce quelque chose qui peut ouvrir la porte à ce qu’on appelle d’habitude la relation indifférenciée première, mais c’est faute de savoir l’articuler.

 

En fait ce qui se passe fondamentalement, ce qui est la première étape concrète de cette relation d’amour comme telle, à savoir ce quelque chose qui fait le fond sur lequel se passe ou ne se passe pas avec une signification, la satisfaction de l’enfant, qu’est-ce que c’est ?

 

C’est que l’enfant prend cette relation en s’y incluant lui-même comme l’objet de l’amour de la mère, c’est-à-dire que l’enfant apprend ceci qu’il apporte à la mère le plaisir, c’est une des expériences fondamentales de l’enfant qu’il sache que si sa présence commande si peu que ce soit celle de la présence qui lui est nécessaire, c’est en raison où lui-même il y introduit quelque chose, cet éclairement qui fait que cette présence là l’entoure comme quelque chose, à quoi lui, il apporte une satisfaction d’amour. Le « être aimé » est fondamental, c’est le fond sur lequel va s’exercer tout ce qui va se développer entre la mère et l’enfant, c’est précisément en tant que quelque chose s’articule peu à peu dans l’expérience de l’enfant qui lui indique que dans cette présence de la mère à lui-même, il n’est pas seul. C’est autour de cela que va s’articuler toute la dialectique du progrès de cette relation de la mère à l’enfant.

 

Je vous l’ai indiqué, la question qui est proposée par les faits est de savoir comment il appréhende ce qu’il est pour la mère, et vous le savez, nous l’avons posé comme hypothèse de base. S’il n’est pas seul et si tout tourne autour de là, ceci bien entendu ouvre à notre esprit une des expériences les plus communes : que d’abord il n’est pas seul parce qu’il y a d’autres enfants. Mais nous avons indiqué comme hypothèse de base qu’il y a un autre terme constant et radical, et indépendant des contingences et des particularités de l’histoire et de la pré­sence ou de l’absence de l’autre enfant, par exemple c’est le fait que la mère conserve à un degré différent selon les sujets, le pénis-neid qui fait que l’enfant est quelque chose par rapport à cela. Il le comble ou il ne le comble, mais la question est posée. La découverte, et de la mère phallique pour l’enfant, et du pénis-neid pour la mère sont strictement coexistants du problème que nous essayons d’aborder pour l’instant.

 

Ce n’est pas au même niveau, et j’ai choisi de partir d’un certain point pour arriver à un certain point, et c’est à cette étape que nous devons tenir pour une des données fondamentales de l’expérience analytique ce pénis-neid comme un terme de référence constante de la relation de la mère à l’enfant, qui fait ce que l’expérience prouve – parce qu’il n’y a pas moyen d’articuler autrement les perversions, en tant qu’elles ne sont pas intégralement explicables contrairement à ce qu’on dit, par l’étape préœdipienne – où l’on voit que c’est dans la relation à la mère que l’enfant éprouve le phallus comme étant le centre du désir de la mère, et où il se situe lui-même en différentes positions, par où il est amené à maintenir, et très exactement à leurrer ce désir de la mère.

C’est là-dessus que portait l’articulation de la leçon à laquelle je faisais allusion tout à l’heure. De quelque façon, l’enfant se présente à la mère comme étant ce quelque chose qui lui offre le phallus en lui-même, et à des degrés et dans des positions diverses. Ici il peut s’identifier à la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la mère comme porteuse du phallus ou se présenter lui-­même comme porteur de phallus.

 

Il y a là un haut degré, non pas d’abstraction, mais de généralisation de ce niveau de la relation imaginaire, de la relation que j’appelle leurrante, par où l’enfant en quelque sorte atteste à la mère qu’il peut la combler, non seu­lement comme enfant, mais aussi pour ce qui est le désir et ce qui manque, pour tout dire, à la mère. La situation est certainement structurante, fonda­mentale, puisque c’est autour de cela, et uniquement autour de cela que peut s’articuler la relation du fétichiste à son objet. Par exemple toutes les gammes intermédiaires qui le lient à une relation aussi complexe et aussi élaborée, et à laquelle seule l’analyse a pu donner son accent et son terme, le transvestisme – l’homosexualité étant ici réservée à ce dont il s’agit dans l’homosexualité, c’est­-à-dire du besoin de l’objet et du pénis réel chez l’autre.

 

A quel moment allons-nous voir que quelque chose met un terme à la relation ainsi soutenue ? Ce qui met un terme dans le cas du petit Hans par exemple, que nous voyons au début de l’observation par une sorte d’heureuse rencontre de l’éclairage, de miracle heureux qui se produit à chaque fois que nous faisons une découverte, nous voyons l’enfant complètement engagé dans cette relation où le phallus joue le rôle le plus évident. Les notes qui sont données par le père comme étant ce qui a été relevé dans le développement de l’enfant jusqu’à l’heure H où commence la phobie, nous apprennent que l’enfant est tout le temps en train de fantasmer le phallus, d’interroger sa mère sur la pré­sence du phallus chez la mère très précisément, puis chez le père, puis chez les animaux. On ne parle que du phallus, le phallus est vraiment l’objet pivot, l’objet central de l’organisation de son monde, du moins si nous nous en tenons aux propos qui nous sont apportés. Nous sommes devant le texte de Freud, nous essayons de lui donner son sens.

 

Qu’y a-t-il donc de changé, puisqu’il n’y a véritablement rien d’important, rien de critique qui survienne dans la vie du petit Hans ? Ce qu’il y a de changé, c’est que son pénis à lui commence à devenir quelque chose de tout à fait réel, il commence à remuer, il commence à se masturber, et ça n’est pas tellement que la mère intervienne à ce moment là qui est l’élément important, que déjà le pénis devienne quelque chose de réel. Ceci c’est le fait massif de l’observation, à partir de là il est tout à fait clair que nous devons nous demander s’il n’y a pas une relation entre cela et ce qui apparaît à ce moment là, c’est-à-dire l’angoisse. .

 

je n’ai pas encore abordé le problème de l’angoisse ici, parce qu’il faut prendre les choses par ordre. L’angoisse, vous le savez, tout au long de l’œuvre de Freud est véritablement une des questions permanentes, à savoir comment nous devons la concevoir. Je ne donne pas dans une phrase le résumé du chemin parcouru par Freud, c’est tout de même quelque chose qui, comme mécanisme, est là toujours présent dans les étapes de son observation, la doctrine vient après. L’angoisse dont il s’agit en cette occasion, comment devons-nous la conce­voir ? Aussi près que possible du phénomène.

 

Je vous prie un instant simplement d’essayer cette sorte de mode d’abord qui consiste à faire preuve d’un peu d’imagination, et de vous apercevoir que l’angoisse, par cette relation extraordinairement évanescente par où elle nous apparaît chaque fois que le sujet est, si insensiblement que ce soit, décollé de son existence, et où pour si peu que ce soit il s’aperçoit comme étant sur le point d’être repris dans quelque chose que vous appellerez ce que vous voudrez suivant les occasions, image de l’autre, tentation, bref ce moment où le sujet est suspendu entre un temps où il ne sait plus où il est, vers un temps où il va être quelque chose qu’il ne pourra plus jamais se retrouver, c’est cela l’an­goisse.

 

Ne voyez-vous pas qu’au moment où apparaît chez l’enfant sous la forme d’une pulsion dans le sens le plus élémentaire du terme, quelque chose qui remue, le pénis réel, c’est à ce moment là que commence à apparaître comme un piège ce qui longtemps a été le paradis même du bonheur, à savoir ce jeu où on est ce qu’on est pas, où on est pour la mère tout ce que la mère veut, parce que bien entendu je ne peux pas parler de tout à la fois, mais tout cela dépend du fait après tout de ce que l’enfant est réellement pour la mère, et nous allons essayer d’y mettre tout à l’heure quelque différence, et nous allons tâcher d’approcher de plus près ce qu’était Hans pour sa mère.

Mais pour l’instant nous restons dans ce point crucial qui nous donne le schéma général de la chose. Jusque là l’enfant, d’une façon satisfaisante ou pas – mais après tout dont il n’y a aucune raison de ne pas voir qu’il peut mener très longtemps ce jeu d’une façon satisfaisante – l’enfant est dans ce paradis du leurre avec un peu de bonheur, et même très peu pour sanctionner cette relation si délicate qu’elle puisse être à mener. Par contre l’enfant essaie de se couler, de s’intégrer dans ce qu’il est pour l’amour de la mère.

 

Mais à partir du moment où intervient sa pulsion à lui, son pénis réel, il apparaît ce décollement dont je parlais tout à l’heure, à savoir qu’il est pris à son propre piège, qu’il est dupe de son propre jeu, que toutes les discordances, que toutes les béances, et la béance particulièrement immense qu’il y a entre le fait de satisfaire à une image et de, lui, avoir là justement quelque chose à lui présenter, à présenter cash si je puis dire, et ce qui ne manque pas de se produire n’est pas simplement que l’enfant, dans ses tentatives de séduction, échoue pour telle ou telle raison, ou qu’il soit refusé par la mère qui joue à ce moment là le rôle décisif. C’est que ce qu’il a en fin de compte à présenter est quelque chose qui peut lui apparaître à l’occasion, et nous en avons mille expériences dans la réalité analytique, comme quelque chose de misérable. A ce moment le fait que l’enfant soit mis devant cette ouverture, ce dilemme, ou d’être le captif la victime ou l’élément pacifié d’un jeu où il devient dès lors la proie des significations de l’autre.

C’est très précisément en ce point que s’embranche ce que je vous ai indiqué l’année dernière comme l’origine de la paranoïa, parce qu’à partir du moment où le jeu devient sérieux, et où en même temps ce n’est qu’un jeu de leurre, l’enfant est entièrement suspendu à la façon dont le partenaire indique par toutes ses manifestations, pour lui toutes les manifestations du partenaire deviennent sanction de sa oui ou non suffisance. C’est ce qui se passe très précisément dans la mesure où cette situation est poursuivie, c’est-à-dire où ne vient pas intervenir la Verwerfung laissant dehors ce terme du père symbolique, dont nous allons voir dans le concret justement combien il est nécessaire.

 

Laissons le donc de côté pour l’autre enfant, pour celui qui n’est pas dans cette situation très particulière de voir et d’être livré entièrement à partir de ce moment, à l’œil et au regard de l’autre, c’est-à-dire au paranoïaque futur. Pour l’autre la situation est littéralement sans issue par elle-même. Bien entendu elle est avec l’issue puisque si je suis là, c’est pour vous montrer en quoi le complexe de castration en est l’issue.

 

Le complexe de castration reprend sur le plan purement imaginaire tout ce qui est en jeu avec le phallus, et c’est pour cela précisément qu’il convient que le pénis réel soit en quelque sorte mis hors du coup. C’est par l’intervention de l’ordre qu’introduit le père avec ses défenses, avec le fait qu’il introduit le règne de la loi, à savoir le quelque chose qui fait que l’affaire à la fois sort des mains de l’enfant, mais qu’elle est quand même réglée ailleurs, qu’il est celui avec lequel il n’y a plus de chance de gagner qu’en acceptant la répartition des enjeux telle quelle. Cela fait que l’ordre symbolique intervient, et sur le plan imaginaire précisément. Ce n’est pas pour rien que la castration c’est le phallus imaginaire, mais c’est en quelque sorte hors du couple réel que l’ordre peut être rétabli où l’enfant retrouve quelque chose à l’intérieur de quoi il pourra attendre l’évolution des évènements.

 

Ceci peut vous paraître simple pour l’instant comme solution du problème. C’est une indication, ce n’est pas une solution, c’est rapide, c’est un pont jeté. Si c’était facile, s’il n’y avait qu’un pont à jeter, il n’y aurait pas besoin de le jeter, c’est le point où nous en sommes qui est intéressant. Le point où nous en sommes c’est précisément celui où en est arrivé le petit Hans au moment où il ne se produit justement pour lui rien de pareil, où il est confronté, où il est mis à ce point de rencontre de la pulsion réelle et de ce jeu du leurre imaginaire phallique, et ceci par rapport à sa mère. Que se produit-il à ce moment là, puisqu’il y a une névrose ? Vous ne serez pas étonné d’apprendre qu’il se produit une régression. Je préférerais quand même que vous en soyez étonnés, parce que le terme de régression, je l’articule ni plus ni moins qu’à la stricte portée que je lui ai donnée dans la dernière séance avant l’interruption, quand nous avons parlé de la frustration. De même qu’en présence du défaut de la mère, je vous ai dit que l’enfant s’écrase dans la satisfaction du nourrissage, de même à ce moment où c’est lui qui est le centre qui ne suffit plus à donner ce qu’il y a à donner, il se trouve dans ce désarroi de ne plus suffire. A ce moment-là la régression se produit, qui fait feindre ce même court-circuit qui est celui avec lequel se satisfait la frustration primitive, de même que lui s’em­parait du sein pour clore tous les problèmes.

La seule chose qui s’ouvre devant lui comme une béance, c’est exactement ce qui est en train de se passer d’ailleurs, c’est la crainte d’être dévoré par la mère, et c’est le premier habillement que prend la phobie. C’est très exac­tement ce qui apparaît dans le cas de notre petit bonhomme, car tout cheval que soit l’objet de la phobie, c’est quand même d’un cheval qui mord dont il s’agit, et le thème de la dévoration est toujours par quelque côté, trouvable dans la structure de la phobie.

 

Est-ce là tout ? Bien entendu non. Ce n’est pas n’importe quoi qui mord, ni qui dévore. Nous nous trouvons confrontés avec le problème de la phobie chaque fois qu’il se produit avec un objet un certain nombre de relations fon­damentales, dont il faut bien laisser certaines de côté pour pouvoir articuler quelque chose de clair. Ce qui est certain, c’est que les objets de la phobie qui sont en particulier des animaux, se marquent d’emblée à l’œil de l’ob­servateur le plus superficiel, par ce quelque chose qui en fait par essence un objet de l’ordre symbolique. Si l’objet de la phobie est un lion, que l’enfant habite ou non, et surtout quand il n’habite pas des contrées où cet animal ait le moindre caractère, non seulement de danger, mais simplement, simplement de présence, c’est à savoir que le lion, le loup, et voire la girafe, sont justement ces objets étranges parmi lesquels……le cheval montre justement une sorte de limite extrêmement précise, qui montre bien à quel point il s’agit là d’objets, si on peut dire, qui sont empruntés à une sorte de liste ou de catégorie de signifiants qui sont de la même nature homogène : ce qu’on trouve dans les armoiries.

Ces objets qui ont mené Freud et rendu également nécessaire pour Freud dans la construction de Totem et tabou l’analogie entre le père et le totem, ont une fonction bien spéciale, et sont là pour autant justement que par quelque côté ils ont à suppléer à ce signifiant du père symbolique, signifiant dont nous ne voyons pas quel est le dernier terme, et dont c’est justement la question de savoir pourquoi il se revêt de telle ou telle forme, de tel ou tel habillement. Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui soit de l’ordre du fait ou de l’expérience et du positif et de l’irréductible dans ce que nous rencontrons. Ceci n’est pas une déduction, mais est quelque chose qui est un appareil nécessité par le soutien de ce que nous trouvons dans l’expérience. Aussi bien nous ne sommes pas là pour résoudre pourquoi la phobie prend la forme de tel ou tel animal ce n’est pas là la question.

 

Ce sur quoi je veux vous laisser, c’est de vous demander d’ici la prochaine fois, de prendre le texte du petit Hans et de vous apercevoir que c’est une phobie sans aucun doute, mais si je puis dire c’est une phobie en marche. Dès qu’elle est apparue, tout de suite les parents ont pris le fil, et jusqu’au point où elle se termine le père ne le quitte pas. Je voudrais que vous lisiez ce texte, vous en aurez toutes les impressions papillonnantes qu’on peut en avoir, vous aurez même le sentiment à bien des occasions, d’être tout à fait perdus. Néanmoins je voudrais que ceux d’entre vous qui auront bien voulu se soumettre à cette épreuve, me disent la prochaine fois si quelque chose dans ce qu’ils auront lu ne les frappe pas, qui fait le contraste entre l’étape de départ où nous voyons le petit Hans développer à plein tuyau toutes sortes d’ima­ginations extraordinairement romancées concernant ses relations avec tout ce qu’il adopte comme ses enfants. C’est un thème de l’imaginaire où il se démontre avec une grande aisance, comme en quelque sorte encore dans l’état où il peut prolonger, où c’est tellement même le jeu de leurre avec la mère qu’il prolonge, qu’il peut se sentir tout à fait à l’aise lui-même dans une position qui mêle l’identification à la mère, l’adoption d’enfants et en même temps toute une série de formes amoureuses de toutes les gammes, qui va depuis la petite fille qu’il sert et courtise d’un peu près, qui est la fille des propriétaires de l’endroit de vacances où ils vont, jusqu’à la petite fille qu’il aime à distance, et qu’il situe comme déjà inscrite dans toutes les formes de la relation amoureuse qu’il peut poursuivre avec une très grande aisance sur le plan de la fiction.

Et le contraste entre cela et ce qui va se passer quand après les interventions du père, sous la pression de l’interrogation analytique plus ou moins dirigée du père auprès de lui, il se livre à cette sorte de roman vraiment fantastique dans lequel il reconstruit la présence de sa petite sœur dans une caisse dans la voiture sur les chevaux, bien des années avant sa naissance. Bref la cohérence que vous pourrez voir se marquer massivement entre ce que j’appellerai l’orgie imaginaire au cours de l’analyse du petit Hans, avec l’intervention du père réel.

 

En d’autres termes, si l’enfant aboutit à une cure des plus satisfaisante, nous verrons ce que veut dire cure satisfaisante à propos de sa phobie, c’est très nettement pour autant qu’est intervenu le père réel qui était si peu intervenu jusque là, parce qu’il a pu intervenir d’ailleurs parce qu’il avait derrière le père symbolique qui est Freud. Mais il est intervenu, et dans toute la mesure où il intervient, tout ce qui tentait à se cristalliser sur le plan d’une sorte de réel prématuré repart dans un imaginaire si radical qu’on ne sait plus même tel­lement bien où on est, qu’à tout instant on se demande si le petit Hans n’est pas là pour se moquer du monde ou pour faire un humour raffiné, et il l’est d’ailleurs incontestablement, puisqu’il s’agit d’un imaginaire qui joue pour réor­ganiser le monde symbolique. Mais il y a en tous cas une chose certaine, c’est que la guérison arrive au moment où s’exprime de la façon la plus claire sous la forme d’une histoire articulée, la castration comme telle, c’est à savoir que « l’installateur » vient, la lui dévisse et lui en donne une autre.

C’est exactement là que s’arrête l’observation. La solution de la phobie est liée à si on peut dire, la constellation de cette triade intervention du père réel, et nous y reviendrons la prochaine fois, tout soutenu et épaulé qu’il soit par le père symbolique. II entre là-dedans comme un pauvre type. Freud à tout instant est forcé de dire : c’est mieux que rien, il fallait bien le laisser parler, surtout dit-il — et vous le trouverez au bas d’une page comme je vous l’articule – « ne comprenez pas trop vite », et ces questions avec lesquelles il le presse. Manifestement, il fait fausse route. N’importe, le résultat est scandé par ces deux points : l’orgie imaginaire de Hans, l’avènement si on peut dire de la castration pleinement articulée comme ceci : on remplace ce qui est réel par quelque chose de plus beau, de plus grand. L’avènement, la mise au jour de la castration est ce qui met à la fois le terme à la phobie, et ce qui montre, je ne dirais pas sa finalité, mais ce à quoi elle supplée.

 

Il n’y a là, vous le sentez bien, qu’un point intermédiaire de mon discours, simplement j’ai voulu vous en donner assez pour que vous voyiez où s’étage, où s’épanouit son éventail de question. Nous reprendrons la prochaine fois cette dialectique de la relation de l’enfant avec la mère, et la valeur de la signification véritable du complexe de castration.

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