vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LIV LA RELATION D'OBJET 1956 – 1957 Leçon du 8 mai 1957

Leçon du 8 mai 1957

 

S’il fallait vous rappeler le caractère constitutif de l’incidence du symbolique dans le désir humain, il me semble qu’à défaut d’une juste accommodation sur la plus commune et quotidienne expérience, une formule, un exemple tout à fait saisissant pourrait être trouvé dans la formule suivante dont l’immédiateté, l’omniprésence ne peut échapper à aucun : qu’est-ce que peut vouloir dire en termes de coaptation instinctuelle, comme on dit, la formulation de ce désir qui est peut-être le plus profond de tous les désirs humains, le plus constant en tout cas, qui est difficile à méconnaître à tel ou tel tournant de notre vie à chacun, et en tout cas de ceux auxquels nous accordons le plus d’attention, de ceux qui sont tourmentés par quelque malaise subjectif qui s’appelle, pour le dire enfin, le désir d’autre chose ?

 

Qu’est-ce qu’il peut vouloir dire dans le registre de la relation d’objet conçue comme une sorte d’évolution, de développement mental immanente à elle-même, surgissant par une successive poussée qu’il ne s’agit que de favoriser, de la relation d’objet comme référée à un objet typique, en quelque sorte préformé ? D’où peut venir ce désir d’autre chose ?

 

Cette remarque préliminaire — pour vous mettre si on peut dire, comme s’exprime Freud quelque part à propos des milieux égyptiens dans ses lettres, pour vous mettre dans la…… Nous reprenons les choses où nous les avons laissées, c’est-à-dire au petit Hans.

 

Ce que je viens de vous dire n’est d’ailleurs pas, bien entendu, sans rapport avec mon sujet. En effet, que cherchons-nous à détecter jusqu’à présent, dans cette fomentation mythique, qui nous paraît possible ? La caractéristique essen­tielle de l’observation de Hans, c’est de cela avant tout qu’il s’agit. Ce que j’appelle fomentation mythique, ce sont ces différents éléments signifiants dont je vous ai assez montré pour chacun l’ambiguïté, et combien ils sont essen­tiellement faits pour pouvoir recouvrir, nous dirons à peu près n’importe quel signifié, mais pas tous les signifiés bien entendu en même temps. Quand un des signifiants retrouve tel élément du signifié, les autres éléments signifiants qui sont en cause en recouvrent d’autres. Autrement dit la constellation signi­fiante opère par quelque chose que nous pouvons appeler système de trans­formation, ou mouvement tournant. Ceci est à regarder de plus près, quelque chose qui à chaque instant couvre d’une façon différente et du même courant, semble exercer une action profondément remaniante sur ce qui est le signifié.

 

Pourquoi ceci ? Comment pouvons-nous concevoir la fonction dynamique de cette espèce d’opération de sorcière dont l’instrument est le signifiant, et dont le but, la fin, le résultat doit être une réorientation, une repolarisation, une reconstitution après une crise, du signifié ?

C’est ainsi que nous posons la question sous cet angle, que nous croyons qu’il s’impose de la poser pour la simple raison que si la fomentation mythique — appelons-la d’un autre terme qui est plus courant, mais qui est exactement la même chose, encore que moins bien adapté — les théories infantiles de la sexualité telles que nous les voyons, telles que nous nous y intéressons chez l’enfant, si nous nous y intéressons c’est bien parce qu’elles ne sont pas sim­plement une espèce de superflu, de rêve inconsistant, c’est bien parce qu’elles­-mêmes en elles-mêmes comportent un élément dynamique qui est à proprement parler ce quelque chose dont il s’agit dans l’observation de Hans, faute de quoi littéralement l’observation de Hans n’a aucune espèce de sens.

 

Cette fonction du signifiant, nous devons l’aborder sans idée préconçue sur cette observation là, parce qu’elle est plus exemplaire, mieux prise, mieux saisie en quelque sorte dans le miracle des origines, là où si je puis dire l’esprit de l’inventeur et de ceux qui l’ont suivi n’a pas eu le temps encore de se relester de sortes d’éléments tabous, de la référence à un réel fondé sur des préjugés qui nécessitent en quelque sorte, ou qui retrouvent je ne sais quel appui dans des références antérieures qui sont précisément celles qui, par le champ qui vient d’être découvert, sont mises en cause, ébranlées, dévalorisées.

L’observation de Hans dans sa fraîcheur, garde encore toute sa puissance révélatrice, je dirais presque toute sa puissance explosive, et nous devons nous arrêter sur la façon dont Hans dans cette évolution complexe, est pris dans ce dialogue avec le père qui joue à ce moment-là un rôle véritablement inséparable du progrès de la dite fomentation mythique. On peut même dire que c’est à chacune des interventions du père que cette fomentation mythique en quelque sorte stimulée, rebondit, se met à repartir, à revégéter à nouveau. Mais, comme Freud le remarque expressément quelque part, elle a bien ses lois et ses nécessités propres. Ce n’est pas toujours, et bien loin de là, ce qu’on attend que nous donne Hans, il apporte des choses qui surprennent, et qu’en tout cas le père n’attend pas — si Freud nous indique que lui les a prévues — et il apporte aussi bien au-delà de ce que Freud lui-même pouvait prévoir, puisque Freud ne semble pas dissimuler que beaucoup d’éléments restent encore en quelque sorte inexpliqués, à l’occasion ininterprétés. Mais avons-nous nous mêmes besoin qu’ils soient, tous interprétés ?

Nous pouvons quelquefois pousser un petit peu plus loin l’interprétation qu’ont faite les deux coopérants le père et Freud. Ce que nous essayons de faire ici, ce sont les lois propres de la gravitation de la cohérence de ce signifiant groupé apparemment autour de ce quelque chose dont, Freud nous le dit expres­sément, nous pourrions être tentés de qualifier la phobie, par son objet, le cheval dans l’occasion, si nous ne nous apercevions que ce cheval va bien au-delà de ce qui paraît comme figure en quelque sorte prévalente, qui est beaucoup plus quelque chose comme une espèce de figure héraldique qui centre tout le champ, qui est lourde elle-même de toutes sortes d’implications, et ré-implications signi­fiantes avant tout.

Donc un certain nombre de points de référence sont nécessaires à marquer ce qui va être maintenant le progrès de notre chemin. Il est clair que nous partons de ceci, et encore nous n’abordons absolument rien de nouveau puisque Freud lui-même l’articule de la façon la plus expresse, après un dialogue qui est le premier dialogue où Hans avec son père commence à faire sortir de la phobie ce que j’appelle précisément ses implications signifiantes, à savoir tout ce que Hans est capable de construire autour, qui est riche de tout un aspect mythique ou même romanesque si vous voulez, d’une fantasmatisation qui n’est pas simplement du passé, mais aussi bien de ce qu’il voudrait faire avec le cheval, autour de ce cheval, de ce qui accompagne et module sans aucun doute son angoisse, mais qui a aussi sa force propre de construction.

 

Après cet entretien auquel nous allons venir maintenant, de Hans avec son père, Freud indique à un autre moment que la phobie ici prend plus de courage, elle se développe, elle montre ses diverses phases. Et Freud écrit ceci : « Ici nous avons l’expérience combien diffuse, et cette phobie va sur le cheval, mais aussi sur la voiture, mais aussi sur le fait que les chevaux tombent, et aussi sur le fait que les chevaux mordent, et sur des chevaux qui sont d’une certaine nature, mais aussi sur les voitures qui sont chargées ou pas… Disons tout bonnement que toutes ces particularités touchent le vif en ceci que l’angoisse originellement n’a absolument rien à faire avec le cheval ou les chevaux méchants, tellement qu’il sera transporté sur elle (la phobie du cheval), et que se fixera alors au lieu, non pas du cheval, mais du complexe du cheval, que là-dessus pourra donc se fixer et se transporter tout ce qui se montrera approprié à certains transferts. »

 

C’est donc de la façon la plus expressément formulée dans Freud. Nous avons là deux pôles, le pôle qui est premier, qui est un signifiant, et ce signifiant va servir de support toute la série des transferts, c’est-à-dire à ce remaniement dans toutes les permutation possibles du signifié, qui en principe — nous pouvons le supposer à titre d’hypothèse de travail, et pour autant que c’est conforme à tout ce que notre expérience exige — soit différent de ce qui était au début, c’est-à-dire que quelque chose se soit passé du côté du signifié, et ce quelque chose qui se passe du côté du signifié, je vous l’indique déjà, ce peut être quelque chose qui est absolument exigible, c’est que de par le signifiant, le champ du signifié se soit ou réorganisé ou étendu d’une façon quelconque. Et alors pourquoi le cheval ?

 

Là dessus on peut broder : le cheval est un thème plutôt riche dans ce qui est de la mythologie, dans les légendes et les contes de fées de la mathé­matique onirique, dans ce qu’elle a de plus constant, de plus opaque, que le cauchemar appelle jument de nuit. Tout le livre de Monsieur Jones est centré là-dessus pour nous montrer à quel point il n’y a pas simplement là un hasard, que la jument de nuit n’est pas simplement la sorcière de nuit, l’apparition angoissante, que ce n’est pas un hasard si la jument mère vient là se substituer à la sorcière. Là bien entendu, Monsieur Jones cherche selon la bonne habitude, à trouver dans l’analyse du côté du signifié, ce qui l’amène à trouver que tout est dans tout, et à nous montrer qu’il n’y a pas de jeu de la mythologie antique, ni même moderne, qui échappe au fait d’être par quelque côté un cheval. Et en effet, Mars, Odin, Zeus, tous ont des chevaux, il s’agit de savoir pourquoi.

Alors ils ont des chevaux, ils sont des chevaux, tout est en cheval dans ce livre. Il n’est évidemment pas difficile de montrer à partir de là que la racine MR qui est à la fois mère, mara, et aussi bien la mer en français, est elle aussi une racine qui à elle toute seule comporte cette signification qui est d’autant plus facile à retrouver, qu’elle recouvre à peu près tout.

 

Ce n’est pas évidemment par cette voie que nous procéderons, et nous n’irons pas à penser qu’il y a du côté du cheval toutes les implications. I1 va certainement du côté du cheval quelque chose qui comporte toutes sortes de propensions analogiques qui en font effectivement en tant qu’image, quelque chose qui peut être un réceptacle favorable à toutes sortes de symbolisations d’éléments naturels qui viennent au premier plan de la préoccupation infantile au tournant où nous voyons en effet le petit Hans. L’accent que j’essaie ici de vous mettre, qui est toujours et partout omis, c’est que ce n’est pas cela l’essentiel. L’essentiel est ceci : un certain signifiant est apporté à un moment critique de l’évolution du petit Hans, qui va jouer un rôle absolument polarisant, recristallisant d’une façon qui nous apparaît comme pathologique sans doute, mais qui assurément est constituante de cette façon. A ce moment-là le cheval se met à ponctuer le monde extérieur de ce que Freud plus tard à propos de la phobie du petit Hans, qualifiera de fonction de signal, signaux en effet qui restructurent à ce moment là pour lui le monde profondément marqué de toutes sortes de limites dont nous avons maintenant à saisir la propriété et la fonction.

 

Qu’est-ce que veut dire que ces limites étant constituées, il se constitue du même coup la possibilité par le fantasme ou le désir – nous allons le voir – d’une transgression de cette limite, en même temps qu’un obstacle, une inhi­bition qui l’arrête en-deçà de cette limite ? Ceci est fait avec cet élément qui est un signifiant, le cheval.

Pour comprendre la fonction du cheval, la voie n’est pas de chercher de quel côté est l’équivalent du cheval : si c’est lui-même le petit Hans ou la mère du petit Hans, ou le père du petit Hans, car c’est successivement tout cela, et encore bien d’autres choses. Cela peut être tout cela, cela peut être n’importe quoi de tout cela, pour autant que le système signifiant, cohérent avec le cheval dans les successifs essais, disons, que le petit Hans fait de les appliquer sur son monde pour le restructurer, se trouve au cours de ces essais à tel ou tel moment toucher, recouvrir tel ou tel élément composant majeur du monde du petit Hans, nommément son père, sa mère, lui-même, la petite Anna sa petite sœur, et les petits camarades, les filles fantasmatiques, et bien d’autres choses.

Ce dont il s’agit, c’est que d’abord nous devons considérer que le cheval, quand il est introduit comme point central de la phobie, introduit un nouveau terme qui précisément a pour propriété d’abord d’être un signifiant obscur. Je dirais presque que le jeu de mots que je viens de faire en disant un signifiant, vous pouvez le prendre d’une façon complète. Il est par certains côtés insi­gnifiant, c’est pour cela qu’il a sa fonction la plus profonde, qu’il joue ce rôle de soc qui va refendre d’une nouvelle façon le réel.

 

Nous pouvons en concevoir la nécessité, car tout allait très bien jusque là pour le petit Hans. C’est bien ce quelque chose – je pense vous l’avoir déjà suffisamment indiqué et je le répète ici – qui surgit avec l’apparition secondaire du cheval. Freud le souligne bien : peu de temps après l’apparition du signal diffus de l’angoisse, le cheval va entrer en fonction et c’est par le développement de cette fonction, c’est par ce qui va se passer dans la suite – à savoir tout ce qu’on va faire avec le cheval – et en le suivant à chaque instant et jusqu’au bout que nous pouvons arriver à comprendre ce qui s’est passé, quelle est la fonction de ce signifiant et de ce cheval.

 

Le petit Hans donc se trouve dans cette position tout d’un coup d’être dans une situation qui assurément est décompensée. Et pourquoi est-il dans cette situation décompensée ? Tout semble, jusqu’à un certain moment qui est le 5 ou 6 février 1908, c’est-à-dire à un trimestre environ avant sa cinquième année, tout semble fort bien supporté. Il y a quelque chose qui se produit à ce moment là. Prenons-le un instant et aussi directement que possible dans les termes de références qui sont ceux que jusque là nous voyons.

Le jeu se poursuit avec la mère sur la base de ce leurre de séduction qui est celui qui jusqu’alors a pleinement suffi et dont je rappelle les termes : le rapport d’amour avec la mère, c’est ce qui introduit l’enfant à la dynamique imaginaire elle-même dans laquelle peu à peu il s’initie, et dans laquelle, je dirais presque – pour introduire ici sous un nouvel angle le rapport au sein, j’entends au sens du giron – il s’insinue. Nous avons vu dans les débuts de l’observation ceci étalé à tout instant comme étant le jeu même avec l’observation cachée que Hans fait là dans une sorte de perpétuel voilement ou dévoilement.

 

A la base de ses relations avec sa mère, quelque chose s’est produit qui est l’introduction de certains éléments réels. Ce qui se poursuit jusque là sur la base du jeu, cette poursuite du dialogue autour du présent ou de l’absent symbolique, est quelque chose dont tout d’un coup pour Hans toutes les règles sont violées, car il apparaît deux choses : c’est au moment où Hans se trouve le plus en mesure de répondre cash au jeu, je veux dire de la montrer enfin et pour de vrai, et dans l’état le plus glorieux sa petite verge, qu’à ce moment­ là il est rebuté. Sa mère lui dit littéralement, non seulement que c’est défendu, mais que c’est une petite cochonnerie, que c’est quelque chose de répugnant et assurément nous ne pouvons pas ne pas voir là un élément tout a fait essentiel. Freud d’ailleurs souligne que ces sortes de contre-coups de l’inter­vention dépréciative, sont quelque chose qui ne vient pas tout de suite. I1 souligne littéralement ce terme que je m’exténue à répéter, à promouvoir au premier plan de la réflexion analytique après coup : obéissance, ce que veut dire obéir, entendre avant toute audience.

Ce n’est pas tout de suite que ni de telles menaces, ni de telles rebuffades portent, elles portent après un temps. Et, aussi bien là, serais-je dans une position loin d’être partiale, apporterais-je aussi – d’ailleurs Freud le souligne bien, et non pas seulement entre les lignes – un élément réel de comparaison : il a pu par des comparaisons entre le grand et le petit, situer à sa juste mesure le caractère réduit, infime, ridiculement insuffisant de l’organe en question. C’est cet élément réel qui vient se surajouter et lester cette rebuffade qui déjà pour lui, met en branle jusqu’aux fondements même de l’édifice des relations avec sa mère.

Ajouter à cela la présence de la petite Anna, est quelque chose qui d’abord a été pris dans diverses faces, les multiples angles des modes d’assimilation très divers sur lesquels il peut la prendre, mais qui aussi de plus en plus vient pour un instant témoigner qu’en quelque sorte un autre élément du jeu est bien là présent, qui peut mettre aussi en cause tout l’édifice, tous les principes, toutes les bases du jeu, et qui le rend lui-même, et même peut-être à l’occasion superflu. Ceux qui ont l’expérience de l’enfant savent bien que ce sont là des faits de l’expérience commune que l’analyse de l’enfant met tout le temps à notre portée.

 

Pour l’instant ce qui nous occupe, c’est la façon dont ce signifiant va opérer au milieu de tout cela.

Que faut-il faire ? Il faut aller aux textes et faire de la construction, il faut savoir lire. Et quand nous voyons des choses qui se reproduisent d’une certaine façon avec tous les mêmes éléments, mais en se recomposant de façon différente, il faut savoir les enregistrer, et vous apercevoir que ceci n’a pas simplement une espèce de référence analogique lointaine, ne fait pas allusion si on peut dire à des événements intérieurs que nous extrapolons, que nous supposons chez le sujet, ce n’est pas, comme nous le disons dans le langage ordinaire, le symbole de quelque chose qui est en train lui-même de cogiter, c’est bien autre chose : ce sont des lois qui manifestent cette structuration, non pas du réel, mais du symbolique, qui vont se mettre à jouer entre elles, à opérer, si je puis dire, toutes seules d’une façon autonome, qu’il nous convient en tout cas pour un temps de considérer comme telles, de façon à nous apercevoir si en elle-même cette opération de remaniement, de restructuration est justement ce quelque chose qui à l’occasion opère.

 

Je vais vous illustrer ce que je vais vous dire.

 

Le 22 avril, le père a, comme tous les dimanches – point essentiel -, emmené son petit Hans voir la grand-mère à Lainz. Le cœur de la ville de Vienne se situe au bord d’un bras du Danube. C’est dans cette partie là de la ville intérieure cernée par les Rings, que se situe la maison des parents du petit Hans. Derrière la maison se trouve le bureau des douanes, et un peu plus loin la fameuse gare dont on parle souvent dans l’observation, et devant vous avez la place du Minis­tère de la Guerre et un très joli musée. C’est à cette gare que Hans pense aller quand il aura fait des progrès et sera arrivé à dépasser un certain champ qui se trouve devant la maison. Tout me laisse à penser que la maison se situe très au bout, car il fait une fois allusion au fait que tout près de chez eux est la voie du Nordbahn, or, le Nordbahn est de l’autre côté du Canal du Danube. Il y a pas mal de petites organisations de chemins de fer dans Vienne : il y a tout ce qui arrive de l’Est, de l’Ouest, du Nord, du Sud, mais il y a en outre des quantités de petits chemins de fer locaux, en particulier une voie de ceinture en contre-bas, probablement dans laquelle s’est jetée la première homosexuelle dont je vous ai parlé au début de cette année .

 

Mais deux voies nous intéressent pour ce qui est de l’aventure du petit Hans : il y a un chemin de fer de liaison qui a pour propriété de relier le Nordbahn à la gare de Hauptzollamt derrière le bloc de maisons, et où le petit Hans peut voir les wagonnets – les draisines comme s’exprime Freud – sur lesquels le petit Hans convoite tellement d’aller. Dans l’intervalle, il a touché à une autre gare. Et c’est ce chemin de fer, souterrain par endroits, qui s’en va vers Lainz.

Ce dimanche 22 avril, le père propose au petit Hans une route un petit peu plus compliquée que d’habitude. Ils vont en effet faire une station à Schönbrunn, sur le Stadtbahn, qui est le Versailles viennois, et où se trouve le jardin zoologique où va le petit Hans avec son père, et qui joue un rôle si important dans l’observation. Mais un Versailles beaucoup moins grandiose, la dynastie des Habsbourg était probablement beaucoup plus près de son peuple que celle des Bourbons, parce qu’on voit très bien que même à une époque où la ville était beaucoup moins étendue, l’horizon est là tout près. Après la visite du parc de Schönbrunn, ils reprendront un tramway à vapeur – le tramway 60 à l’époque – qui les emmènera à Lainz, pour vous donner un ordre de grandeur Lainz est à peu près la même distance de Vienne, que Vaucresson de Paris, et qui continue jusqu’à Mauer et Mtidling. Quand ils vont directement chez la grand-mère, ils prennent un tramway qui passe beaucoup plus au Sud et qui arrive directement. Une autre ligne de tramways relie cette ligne directe et le Stadt­bahn, qui est le fameux St Veit.

 

Ceci vous permettra de comprendre ce que voudra dire le petit Hans le jour où il aura un fantasme de départ de Lainz pour revenir à la maison, quand il dira que le train est parti avec lui et sa grand-mère, et que le père qui l’a raté, peut avoir le second train arrivé de St Veit. Ce réseau forme donc une boucle virtuelle, car les deux lignes ne communiquent pas, elles permettent simplement les deux de rejoindre Lainz.

 

Quelques jours après, dans une conversation avec son père, le petit Hans va produire quelque chose qui se classe parmi ces nombreuses choses dont le petit Hans nous témoigne d’avoir pensé. Même quand on veut absolument lui faire dire qu’il a l’a rêvé, il souligne bien qu’il s’agit de choses qu’il a pensées.

Le point essentiel où intervient d’une certaine façon le complexe, Freud nous l’indique lui-même quelque part, nous pouvons voir, dit-il, qu’il est tout à fait naturel qu’au point où les choses en sont, ce qui se rapporte au cheval et à tout ce que le cheval va faire, au rôle du cheval, s’étend beaucoup plus loin dans le système des transports.

En d’autres termes, à l’horizon que dessinent les circuits du cheval, il y a les circuits du chemin de fer, et c’est tellement vrai et évident que la première explication que donne Hans à son père quand il s’agit de lui donner les détails du vécu de sa phobie, c’est quelque chose qui est lié au fait que devant sa maison il y a une cour et une allée très large. On comprend pourquoi c’est toute une affaire pour le petit Hans de les traverser. Devant la maison les chariots attelés viennent charger et décharger, ils se rangent le long d’une rampe de déchargement. La tangence, si on peut dire, du système circuit du cheval, avec le système circuit du chemin de fer, est indiquée de la façon la plus claire la première fois que le petit Hans commence un peu à s’expliquer sur la phobie du cheval.

Que dit le petit Hans ? Le petit Hans dit ceci : « Une chose que j’aimerais follement faire, ce serait de grimper sur la voiture » où il a vu des gamins jouer, et sur les sacs et les colis, il passerait vite, et il pourrait aller sur la planche qui est la rampe de déchargement.

De quoi a-t-il peur ? Que les chevaux se mettent en marche et l’empêchent de faire cette petite chose rapide, et puis vite de redescendre.

 

Cela doit quand même avoir un sens. Je crois que pour comprendre ce sens, comme pour comprendre quoi que ce soit dans le système de fonction­nement signifiant, en cette occasion il ne faut pas partir de l’idée : qu’est-ce que peut bien faire la planche dans tout cela ? Qu’est-ce que peut bien être la voiture ? Qu’est-ce que peut bien être le cheval ? Le cheval est assurément quelque chose, et nous pourrons dire à la fin, quand nous le saurons d’après son fonctionnement, à quoi il a pu servir. Mais nous ne pouvons encore rien en savoir, nous devons nous arrêter, à ce cheval, le père s’y arrête, tout le monde s’y arrête, sauf les analystes qui relisent indéfiniment l’observation du petit Hans en cherchant à y lire autre chose. Le père, lui, s’y intéresse et lui demande pourquoi il a peur : « Serait-ce par exemple parce que tu ne pourrais pas revenir ? » – « Oh ! dit le petit Hans, pas du tout, je sais très bien où j’habite, je saurais toujours le dire et on me ramènerait. Je reviendrais peut-être même avec la voiture ».

 

Il n’y a pas de difficulté. Personne ne semble s’arrêter à cela, mais il est frappant que Hans ait peur de quelque chose, et que ce quelque chose ne soit pas du tout simplement ce qui irait si bien. Cela pourrait même aller dans le sens de ce vers quoi je pense essayer de vous amorcer la compréhension des choses, d’être en effet entraîné par la situation. Ce serait une belle métaphore. Pas du tout, il sait très bien qu’il reviendra toujours à son point de départ, au point que si nous avons un tout petit peu de comprenoire, nous pouvons nous douter que c’est peut-être cela après tout qui est en cause, c’est-à-dire qu’en effet quoi qu’on fasse, on ne puisse pas en sortir. C’est une simple indication que je vous fait en passant, mais ce serait peut-être faire preuve de subtilité et de pas assez de rigueur.

 

Il faut nous apercevoir qu’il y a des situations qui ne peuvent pas, dans l’observation, ne pas être rapprochées de celle-là dont nous voyons bien main­tenant qu’il faut nous y arrêter, parce que c’est la phénoménologie même de la phobie. Nous voyons là la totale ambiguïté de ce qui est désiré et de ce qui est craint. En fin de compte nous pourrions croire qu’en effet c’est le fait d’être entraîné, de partir, qui angoisse le petit Hans. Mais d’après ses propres témoi­gnages, ce fait de partir est tout à fait en-deçà puisqu’il sait très bien qu’on revient toujours, et par conséquent que peut en effet vouloir dire qu’il veuille en quelque sorte aller au-delà ?

 

Assurément déjà cette formule, qu’il veuille aller au-delà, c’est quelque chose que provisoirement nous pouvons, nous, tenir dans une sorte de construc­tion minimum. Si en effet tout est, dans son système, dans un certain désarroi du fait qu’on ne respecte plus les règles du jeu, il peut se sentir purement et simplement pris dans une situation intenable, l’élément le plus intenable de la situation étant de ne plus savoir, lui, où se situer.

 

Je vais donc maintenant vous rapprocher des autres éléments qui, d’une certaine façon, reproduisent ce qui est indiqué dans le fantasme de la crainte phobique. Le petit Hans va partir avec les chevaux, et la planche de déchar­gement va s’éloigner, et il va revenir reconfluer, ce qui est trop désiré ou trop craint – qui sait ? – avec sa maman.

 

Quand nous avons lu et relu l’observation, nous devons nous souvenir de deux autres histoires au moins. Il s’agit d’abord d’un fantasme qui ne vient pas à n’importe quel moment, et qui est censé se passer – il a imaginé tout le reste – avec son père. Cette fois-ci c’est aussi sur une voie de chemin de fer, mais on est dans un wagon, et il est avec son père. Ils arrivent à la station de Gmünden où ils vont passer leurs vacances d’été, ils rassemblent donc leurs affaires et ils se vêtent. Il semble que le rassemblement et l’embarquement des bagages à une époque peut-être moins dégagée que la nôtre, ait toujours repré­senté une sorte de souci. Freud lui-même dans l’observation de l’homosexuelle en fait état comme de termes de comparaison : la première étape de l’analyse correspond au rassemblement des bagages, la seconde à leur embarquement dans le train. Hans et son père n’ont pas le temps de se rhabiller que le train repart.

 

Puis il y a le troisième fantasme que Hans rapporte à son père le 21 avril, et que nous appellerons : la scène du quai. Cette scène du quai se situe juste avant ce que nous appellerons : le grand dialogue avec le père – étiquettes conventionnelles destinées à se repérer par la suite.

Hans a pensé qu’il partait de Lainz avec la grand-mère, cette femme que l’on va voir avec le père tous les dimanches, dont on ne nous dit absolument rien dans toute l’observation, et je dois dire que cela laisse fort à penser du caractère redoutable de la dame, car c’était à une époque où il était beaucoup plus facile qu’à moi de situer toute la famille. La lainzoise comme l’appelle le petit Hans, est censée s’être embarquée avec lui dans le train, avant que le père ait réussi à descendre de la passerelle, et ils sont partis. Et comme il passe souvent des trains, et que l’on voit la ligne jusqu’à St Veit, le petit Hans raconte qu’il arrive sur le quai à temps pour prendre le second train avec son père.

 

Comment le petit Hans qui était déjà parti, est-il revenu ? C’est bien là l’impasse. A la vérité c’est une impasse que personne ne réussit à élucider, mais ces questions, le père se les pose. Dans l’observation on consacre douze lignes à ce qui a bien pu se passer dans l’esprit du petit Hans. Quant à nous, conten­tons-nous de nos schémas : dans le premier schéma on part à deux, avec la grand’maman, dans le deuxième schéma, mystérieusement c’est la voie de l’im­possible, de la non-solution, puis dans le troisième on finit par repartir à deux avec le père.

En d’autres termes, nous voyons à ce propos quelque chose qui ne peut pas manquer de nous frapper si l’on connaît en gros déjà les deux pôles de l’observation du petit Hans : au départ tout ce drame maternel évident, sans cesse souligné, et à la fin je suis maintenant avec le père. On ne peut tout de même pas ne pas voir qu’il doit y avoir un certain rapport entre cet aller et retour implacable vers la mère, et le fait qu’un beau jour au moins on rêve de repartir d’un bon pas avec le père – c’est une simple indication, mais elle est en clair – à ceci près que c’est tout à fait impossible, c’est-à-dire qu’on ne voit absolument pas comment le petit Hans, puisqu’il est déjà parti en avant avec la grand’mère, peut repartir avec le père. Cela n’est possible que dans l’imaginaire.

 

Autrement dit ce que nous voyons apparaître là comme en filigrane, c’est ce schéma fondamental que je vous ai dit être celui de tout progrès mythique qu’on part d’un impossible ou d’une impasse pour arriver a une autre impasse et à une autre impossibilité. Dans le premier cas, il est impossible de sortir de cette mère, on y revient toujours, ne me dis pas que c’est pour cela que je suis anxieux. Dans l’autre cas on peut bien en effet penser qu’il n’y a qu’à permuter et partir avec le père, comme Hans lui-même le pensait au point même de l’écrire au Professeur – ce qui est le meilleur usage que l’on puisse faire de ses pensées – seulement il apparaît également dans le texte du mythe que c’est impossible, qu’il y a toujours quelque part quelque chose qui baille.

 

Si nous partons de ce schéma, nous verrons que ça ne se limite pas à ces éléments qui en quelque sorte nous donnent tout à fait facilement et par eux-­mêmes, l’occasion de les rapprocher de ce schéma de l’attelage : avec qui est­-on attelé ? C’est quelque chose qui est assurément l’un des éléments absolument premiers de l’apparition du choix du signifiant du cheval, ou de son utilisation. Ici la direction dans laquelle se fait le couplage est absolument inutile à discerner, le sens dans lequel Hans opère est aussi bien dicté par les occasions favorables que lui fournit la fonction cheval, et nous pouvons dire que cela a guidé pour lui le choix du cheval. En tout cas lui-même prend soin de nous en montrer l’origine quand il nous dit à quel moment – c’est également un moment de dialogue avec le père qui n’est pas plus que les autres n’importe lequel – où il dit à son père à quel moment il pense avoir attrapé la bêtise, c’est-à-dire le 9 avril.

 

Nous verrons à la suite de quoi ceci est venu. II nous dit qu’il jouait au cheval et qu’il s’est passé quelque chose qui a une très grande importance, à savoir ce qui donne le premier modèle de quelque chose qui sera retrouvé ensuite, à savoir le fantasme de la blessure. Il est arrivé que ce fantasme se manifeste plus tard à propos de son père, mais qui d’abord a été extrait du réel, précisément dans l’un de ces jeux de cheval.

 

Son père lui demande comment était le cheval à ce moment-là, était-il attelé à une voiture ? « Pas forcément, répond Hans, le cheval peut être sans voiture, et dans ce cas la voiture est à la maison ou au contraire il peut être attelé à une voiture ». Hans articule lui-même que d’abord et avant tout le cheval est un élément fait pour être attelé, amovible, attachable. Ce caractère, si on peut dire, d’ambocepteur que nous allons retrouver tout le temps dans le fonctionnement du cheval, est donné dans l’expérience première d’où Hans l’extrait. Le cheval avant d’être un cheval, est quelque chose qui lie, qui coordonne et, vous allez le voir, c’est bien précisément dans cette fonction de médiation que tout au long du développement du mythe ancien, nous allons retrouver le cheval, et s’il en était besoin, pour asseoir ce qui va être confirmé de toutes parts dans ce qu’ensuite je vais vous développer dans cette fonction du signifiant du cheval.

 

Nous avons tout de suite, de la bouche de Hans lui-même, l’indication que c’est dans ce sens de coordination grammaticale du signifiant, qu’il s’agit d’aller, car c’est à ce moment-là même, au moment où il articule ceci à propos du cheval, que Hans lui-même dit : « J’ai attrapé la bêtise ». Le terme attraper sert tout le temps, pas non plus à propos de n’importe quoi, mais à propos de la bêtise, et tout le temps à propos d’attraper des enfants quand on dit littéralement qu’une femme attrape un enfant. Ceci non plus je ne l’extrais pas de quelque chose qui soit passé inaperçu des auteurs, à savoir du père et de Freud : il y a une grand note de Freud là-dessus, et tout le monde s’y intéresse, au point que cela fait une petite difficulté pour le traducteur qui, pour une fois, a été résolue très élégamment. Hans dit : « C’est tout le temps à cause du cheval – il évoque en quelque sorte cette rengaine – qu’il a attrapé la bêtise », et Freud ne peut pas s’y tromper d’identifier ce fait qu’une association de mots peut se faire entre wegen et wägen, le pluriel de wagen qui veut dire voiture, et de dire que c’est ainsi que fonctionne l’inconscient.

 

En d’autres termes, le cheval traîne la voiture exactement de la même façon que le quelque chose qui traîne derrière soi le mot wegen. Il n’y a donc abso­lument rien d’abusif à nous apercevoir que c’est précisément au moment où Hans est en proie à quelque chose qui n’est même pas un pourquoi – car au-­delà du point où les règles du jeu sont respectées, il n’y a plus que le trouble, le manque d’être, le manque de pourquoi – que Hans à ce moment là fait en quelque sorte traîner son parce que, qui ne répond à rien, par quelque chose qui est justement ce Ich pur et simple qu’est le cheval.

 

En d’autres termes, nous nous trouvons là à la naissance, au point où surgit même la phobie devant le processus typique de la métonymie, c’est-à-dire le passage du poids du sens, plus exactement de l’interrogation que comporte le propos, le passage d’un point du texte, de la ligne textuelle, au point qui suit. La définition de la métonymie est essentiellement et dans sa structure, ceci : c’est parce que le poids de ce wegen est entièrement voilé et transféré à ce qui est juste à la suite : dem Pferd, cheval, que le terme prend sa valeur articulatoire, à ce moment assume en lui tous les espoirs de solution. Toute la béance de la situation de Hans à ce moment-là est attachée autour d’un transfert de poids grammatical de cette même chose après tout où vous ne faites en fin de compte que retrouver les concrètes – et non pas imaginées dans je ne sais quel hyper­espace psychologique – associations dont nous avons deux espèces:

 

1- L’association métaphorique qui à un mot répond par un autre qui peut lui être substitué.

2- L’association métonymique qui, à un mot, donne le mot suivant qui peut venir dans une phrase.

 

Vous avez les deux espèces de réponse dans l’expérience psychologique, et vous appelez cela association parce que vous voulez absolument que ça se passe quelque part dans les neurones cérébraux. Mais moi je n’en sais rien, en tout cas, en tant qu’analyste, je ne veux rien en savoir, je les trouve, ces deux différents types d’associations qui s’appellent la métaphore et la métonymie, là où elles sont dans le texte de ce bain de langage dans lequel Hans est immergé, et dans lequel il a trouvé la métonymie originelle qui apporte le premier terme, ce cheval autour duquel va se reconstituer tout son système.

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