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Recherches Lacan

LXXIV L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre 1976 – 1977 Leçon du 10 mai 1977

Leçon du 10 mai 1977

Je me casse la tête, ce qui est déjà embêtant, parce que je me la casse sérieusement ; mais, le plus embêtant, c’est que je ne sais pas sur quoi je me casse la tête. Il y a quelqu’un qui, nommé Gödel, qui vit en Amérique et qui a énoncé le nom de indécidable. Ce qu’il y a de solide, dans cet énoncé, c’est qu’il démontre qu’il y a de l’indécidable. Et il le démontre sur quel terrain ? Sur quelque chose que je qualifierai comme ça, du plus mental de tous les mentaux, je veux dire de tout ce qu’il y a de plus mental, le mental par excellence, la pointe du mental, à savoir ce qui se compte : ce qui se compte c’est l’arithmétique. je veux dire que c’est l’arithmétique qui développe le comptable. La question est de savoir s’il y a des Un qui sont indénombrables ; c’est tout au moins ce qu’a promu Cantor. Mais ça reste quand même douteux, étant donné que nous ne connaissons rien que de fini, et que le fini, c’est toujours dénombré.

Est-ce que c’est dire la faiblesse du mental ? C’est simplement la faiblesse de ce que j’appelle l’Imaginaire. L’Inconscient a été identifié par Freud, — on ne sait pas pourquoi -, l’Inconscient a été identifié par Freud au mental. C’est tout au moins ce qui résulte du fait que le mental est tissé de mots, entre quoi, — c’est expressément, me semble-t-il, la définition qu’en donne Freud -, entre quoi il y a des bévues toujours possibles. D’où mon énoncé, que de Réel il n’y a que l’impossible. C’est bien là que j’achoppe : le Réel est-il impossible à penser ? S’il ne cesse pas, — mais il y a là une nuance -, je n’énonce pas que, il ne cesse pas de ne pas se dire, ne serait-ce que parce que le Réel, je le nomme comme tel, mais je dis, qu’il ne cesse pas de ne pas s’écrire.

Tout ce qui est mental, en fin de compte, est ce que j’écris du nom de « sinthome », s.i.n.t.h.o.m.e. c’est -à-dire signe.

Qu’est-ce que veut dire être signe ? C’est là-dessus que je me casse la tête. Est-ce qu’on peut dire que la négation soit un signe ? J’ai autrefois essayé de poser ce qu’il en est de l’instance de la lettre. Est-ce que c’est tout dire que de dire que le signe de la négation, qui s’écrit comme ça, n’a pas à être écrit ? Qu’est-ce que nier ? Qu’est-ce qu’on peut nier ? Ceci nous met dans le bain de la Verneinung dont Freud a promu l’essentiel. Ce qu’il énonce, c’est que la négation suppose une Bejahung. C’est à partir de quelque chose qui s’énonce comme positif, qu’on écrit la négation. En d’autres termes, le signe est à rechercher — et c’est bien ce que, dans cette instance de la lettre, j’ai posé — c’est à rechercher comme congruence du signe au Réel.

Qu’est-ce qu’un signe qu’on ne pourrait écrire ? Car ce signe, on l’écrit réellement. J’ai mis en valeur comme ça, un temps, la pertinence de ce que lalangue, française, touche comme adverbe. Est-ce qu’on peut dire que le Réel ment ? Dans l’analyse, on peut sûrement dire que le Vrai mente. L’analyse est un long cheminement — on le retrouve partout — que le chemine-ne-mente, c’est quelque chose qui ne peut à l’occasion que de nous signaler que, comme dans le fil du téléphone, nous nous prenons les pieds.

Et alors, qu’on puisse avancer des choses pareilles pose la question de ce que c’est que le sens. N’y aurait-il de sens que menteur, puisque la notion de Réel, on peut en dire qu’elle exclue — qu’il faut écrire au subjonctif — qu’elle exclue le sens ? Est-ce que ça indique qu’elle exclue aussi le mensonge ? C’est bien ce à quoi nous avons à faire, quand nous parions en somme sur le fait que le Réel exclue, — au subjonctif, mais le subjonctif est l’indication du modal -, qu’est-ce qui se module dans ce modal qui exclurait le mensonge ? A la vérité, il n’y a, — nous le sentons bien -, dans tout cela que paradoxes.

Les paradoxes sont-ils représentables ? Δοξα, Doxa, c’est l’opinion, la première chose sur quoi j’ai introduit une conférence, au temps de ce qu’on appelle ou de ce qu’on pourrait appeler mes débuts, c’est sur le Menon où on énonce que la Δοξα, c’est l’opinion vraie. Il n’y a pas la moindre opinion vraie, puisqu’il y a des paradoxes. C’est la question que je soulève, que les paradoxes soient ou non représentables, je veux dire dessinables. Le principe du dire vrai, c’est la négation, et ma pratique, puisque pratique il y a, pratique sur quoi je m’interroge, c’est que, je me glisse, j’ai à me glisser, parce que c’est comme ça que c’est foutu, j’ai à me glisser entre le transfert, qu’on appelle, je ne sais pourquoi, négatif, mais c’est un fait qu’on l’appelle comme ça. On l’appelle négatif parce qu’on sent bien qu’il y a quelque chose, on ne sait toujours pas ce que c’est que le transfert positif, le transfert positif, c’est ce que j’ai essayé de définir sous le nom du sujet supposé savoir. Qu’est-ce qui est supposé savoir ? C’est l’analyste. C’est une attribution, comme déjà l’indique le mot de supposé ; une attribution, ce n’est qu’un mot ; il y a un sujet, quelque chose qui est dessous qui est supposé savoir. Savoir est donc son attribut. Il n’y a qu’une seule chose, c’est qu’il est impossible de donner l’attribut du savoir à quiconque.

Celui qui sait, c’est, dans l’analyse, l’analysant, ce qu’il déroule, ce qu’il développe, c’est ce qu’il sait, à ceci près que c’est un Autre, — mais y a-t-il un Autre ? -, que c’est un Autre qui suit ce qu’il a à dire, à savoir ce qu’il sait. Cette notion d’Autre, je l’ai marquée dans un certain graphe d’une barre qui le rompt, A. Est-ce que ça veut dire que rompu ça soit nié ? L’analyse, à proprement parler, énonce, que l’Autre ne soit rien que cette duplicité.

Y a de l’Un, mais il n’y a rien d’autre. L’Un, je l’ai dit, l’Un dialogue tout seul, puisqu’il reçoit son propre message sous une forme inversée. C’est lui qui sait, et non pas le supposé savoir.

J’ai avancé aussi ce quelque chose qui s’énonce de l’universel, et ceci pour le nier ; j’ai dit qu’il n’y a pas de tous. C’est bien en quoi, les femmes, sont plus homme que l’homme. Elles ne sont pas-toutes, ai-je dit. Ces tous donc, n’ont aucun trait commun ; ils ont pourtant celui-ci, le seul trait commun, le trait que j’ai dit unaire. Ils se confortent de l’Un. Y a de l’Un, je l’ai répété tout à l’heure pour dire qu’il y a de l’Un, et rien d’autre. Y a de l’Un, mais, ça veut dire qu’il y a quand même du sentiment. Ce sentiment que j’ai appelé, selon les unarités, que j’ai appelé le support, le support de ce qu’il faut bien que je reconnaisse, la haine, en tant que cette haine est parente de l’amour ; la mourre que j’écris dans — il faut tout de même bien que je finisse là-dessus — que j’écris dans mon titre de cette année : l’insu que sait, quoi ? de l’une-bévue. Il n’y a rien de plus difficile à saisir que ce trait de l’une-bévue.

Cette bévue, c’est, ce dont je traduis l’Unbewusst, c’est-à-dire l’Inconscient. En allemand, ça veut dire inconscient, mais traduit par l’une-bévue, ça veut dire tout autre chose, ça veut dire un achoppement, un trébuchement, un glissement de mot à mot, et c’est bien de ça qu’il s’agit quand nous nous trompons de clef pour ouvrir une porte que précisément cette clef n’ouvre pas ; Freud se précipite pour dire que on a pensé qu’elle ouvrait cette porte, mais qu’on s’est trompé. Bévue est bien le seul sens qui nous reste pour cette conscience. La conscience n’a pas d’autre support que de permettre une bévue. C’est bien inquiétant parce que cette conscience ressemble fort à l’Inconscient, puisque c’est lui qu’on dit responsable, responsable de toutes ces bévues qui nous font rêver. Rêver au nom de quoi ? De ce que j’ai appelé l’objet a, à savoir ce dont se divise le sujet, qui, d’essence, est barré, à savoir plus barré encore que l’Autre.

Voilà sur quoi je me casse la tête. Je me casse la tête et je pense qu’en fin de compte la psychanalyse, c’est, c’est ce qui fait vrai. Mais, faire vrai, comment faut-il l’entendre ? C’est un coup de sens, c’est un sens blant. Il y a toute la distance que j’ai désignée du S indice 2, (S2) à ce qu’il produit. Que bien entendu l’analysant produise l’analyste, c’est ce qui ne fait aucun doute. Et c’est pour ça que je m’interroge sur ce qu’il en est de ce statut de l’analyste à quoi je laisse sa place de faire vrai, de semblant, et dont je considère, que c’est d’ailleurs, là où vous l’avez vu autrefois, il n’y a rien de plus facile que de glisser dans la bévue, je veux dire dans un effet de l’Inconscient, puisque c’était bien un effet de mon inconscient, qui fait que vous avez eu la bonté de considérer ceci comme un lapsus, et non pas comme ce que j’ai voulu qualifier moi-même, à savoir la fois suivante, comme une erreur grossière.

 

Qu’est-ce que ce sujet, sujet divisé, a pour effet si, le S1, le signifiant indice 1, S indice 1, se trouve dans notre tétraèdre, puisque ce que j’ai marqué, c’est que, de ce tétraèdre, il y a toujours une de ses liaisons qui est rompue, c’est à savoir que le S indice 1 ne représente pas le sujet -124-

auprès du S indice 2, à savoir de l’Autre. Le S indice 1 et le S indice 2, c’est très précisément ce que je désigne par le A divisé dont je fais lui-même un signifiant, S (A).

C’est bien ainsi que se présente le fameux Inconscient. Cet Inconscient, il est en fin de compte impossible de le saisir. Il ne représente, — j’ai parlé tout à l’heure des paradoxes comme étant représentables, à savoir dessinables -, il n’y a pas de dessin possible de l’Inconscient. L’Inconscient se limite à une attribution, à une substance, à quelque chose qui est supposé être sous et ce qu’énonce la psychanalyse, c’est très précisément ceci, que ce n’est qu’une, je dis déduction, déduction supposée, rien de plus. Ce dont j’ai essayé de lui donner corps avec la création du Symbolique a très précisément ce destin que ça ne parvient pas à son destinataire.

Comment se fait-il pourtant que ça s’énonce? Voilà l’introduction centrale de la psychanalyse. Je m’en tiens là pour aujourd’hui. J’espère pouvoir dans huit jours, puisqu’il y aura un 17 mai, – Dieu sait pourquoi! -, enfin on m’a annoncé qu’il y aurait un 17 mai, et qu’ici je n’aurais pas trop d’examinés, si ce n’est vous que j’examinerai moi-même et que peut-être j’interrogerai dans l’espoir que quelque chose passe de ce que je dis. Au revoir!

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