samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXXIV L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre 1976 – 1977 Leçon du 11 janvier 1977

Leçon du 11 janvier 1977

Qu’est-ce qui règle la contagion de certaines formules ? Je ne pense pas que ce soit la conviction avec laquelle on les prononce, parce qu’on ne peut pas dire que ce soit là le support dont j’ai propagé mon enseignement. Enfin ça, c’est plutôt J.A. Miller qui peut là-dessus porter un témoignage : est-ce qu’il considère que ce que j’ai jaspiné, au cours de mes 25 années de séminaire portait cette marque ?

Bon. Ceci, d’autant plus que ce dont je me suis efforcé, c’est de dire le vrai, mais je ne l’ai pas dit avec tellement de conviction, me semble-t-il. J’étais quand même assez sur la touche pour être convenable. Dire le vrai sur quoi ? Sur le savoir. C’est ce dont j’ai cru pouvoir fonder la psychanalyse, puisqu’en fin de compte tout ce que j’ai dit se tient. Dire le vrai sur le savoir, ça n’était pas forcément supposer le savoir au psychanalyste. Vous le savez, j’ai défini de ces termes le transfert, mais ça ne veut pas dire que ça ne soit pas une illusion. Il reste que, comme je l’ai dit quelque part dans ce truc que j’ai relu moi-même avec un peu d’étonnement — ça me frappe toujours ce que j’ai raconté dans l’ancien temps, je ne m’imagine jamais que c’est moi qui aie pu dire ça — il en reste donc ceci que le Savoir et la Vérité n’ont entre eux, comme je le dis dans cette « Radiophonie » là du N° 2-3 de Scilicet, que le Savoir et la Vérité n’ont aucune relation entre eux. Il faut que je me tape maintenant une préface pour la traduction italienne de ces quatre premiers numéros de Scilicet.

Ça ne m’est naturellement pas tellement commode, vu l’ancienneté de ces textes. Je suis certainement plutôt faiblard dans la façon de recevoir la charge de ce que j’ai moi-même écrit. Ça n’est pas que ça me paraisse toujours la chose la plus mal inspirée, mais c’est toujours un peu en arrière de la main et c’est ça qui m’étonne.

Le Savoir en question donc, c’est l’inconscient. Il y a quelque temps, convoqué à quelque chose qui n’était rien de moins que ce que nous essayons de faire à Vincennes sous le nom de « Clinique psychanalytique », j’ai fait remarquer que le Savoir en question, c’était ni plus ni moins que l’inconscient et qu’en somme c’était très difficile de bien savoir l’idée qu’en avait Freud. Tout ce qu’il dit, me semble-t-il, m’a-t-il semblé, impose que ce soit un Savoir.

Essayons de définir ce que ça peut nous dire, ça, un Savoir. Il s’agit, dans le Savoir, de ce que nous pouvons appeler, effets de signifiant.

J’ai là un truc qui, je dois dire, m’a terrorisé. C’est une collection qui est parue sous le titre de La Philosophie en effet. La Philosophie en effet, en effets de signifiants, c’est justement ce à propos de quoi je m’efforce de tirer mon épingle du jeu, je veux dire que je ne crois pas faire de philosophie, on en fait toujours plus qu’on ne croie, il n’y a rien de plus glissant que ce domaine ; vous en faites, vous aussi, à vos heures, et ce n’est certainement pas ce dont vous avez le plus à vous réjouir.

Freud n’avait donc que peu d’idées de ce que c’était que l’inconscient. Mais il me semble, à le lire, qu’on peut déduire qu’il pensait que c’était des effets de signifiant. L’homme — il faut bien appeler comme ça une certaine généralité, une généralité dont on ne peut pas dire que quelques-uns émergent ; Freud n’avait rien de transcendant : c’était un petit médecin qui faisait, mon Dieu, ce qu’il pouvait pour ce qu’on appelle guérir, ce qui ne va pas loin — l’homme donc, puisque j’ai parlé de l’homme, l’homme ne s’en tire guère de cette affaire de Savoir. Ça lui est imposé par ce que j’ai appelé les effets de signifiant, et il n’est pas à l’aise : il ne sait pas « faire avec » le Savoir. C’est ce qu’on appelle sa débilité mentale dont, je dois dire, je ne m’excepte pas. Je ne m’excepte pas simplement parce que j’ai à faire au même matériel, au même matériel que tout le monde et que ce matériel, c’est ce qui nous habite. Avec ce matériel, il ne sait pas « y faire ». C’est la même chose que ce « faire avec » dont je parlai tout à l’heure, mais, c’est très important comme ça, ces nuances de langue. Ça ne peut pas se dire, ce « y faire », dans toutes les langues. Savoir y faire, c’est autre chose que de savoir faire. Ça veut dire se débrouiller. Mais cet « y faire » indique qu’on ne prend pas vraiment la chose, en somme, en concept.

Ceci nous mène à pousser la porte de certaines philosophies. Il ne faut pas pousser cette porte trop vite, parce qu’il faut rester au niveau où j’ai placé ce que j’ai en somme appelé les discours ; les dits, c’est le « dire qui secourt ». Il faut quand même bien profiter de ce que nous offre d’équivoque la langue dans laquelle nous parlons. Qu’est-ce qui secourt, est-ce que c’est le dire ou est-ce que c’est le dit ? Dans l’hypothèse analytique, c’est le dire ; c’est le dire, c’est-à-dire l’énonciation, l’énonciation de ce que j’ai appelé tout à l’heure la vérité. Et dans ces « dire-secours », j’en ai, l’année où je parlais de L’Envers de la psychanalyse — vous ne vous en souvenez sûrement pas — j’en avais comme ça distingué en gros 4, parce que je m’étais amusé à faire tourner une suite de 4 justement et que, dans cette suite de 4, la Vérité, la vérité du dire, la Vérité n’était en somme qu’impliquée, puisque comme vous vous en souvenez peut-être… oui, comme vous vous en souvenez peut-être, ça se présentait comme ça, je veux dire que c’était le discours du maître qui était le discours le moins vrai.

 

Le moins vrai, ça veut dire le plus impossible. J’ai en effet marquer de l’impossibilité ce discours, c’est tout au moins ainsi que je l’ai reproduit dans ce qui a été imprimé de Radiophonie.

Ce discours est menteur et c’est précisément en cela qu’il a atteint le Réel. Verdrängung, Freud a rappelé ça ; et pourtant, c’est bien un dit qui le secourt. Tout ce qui se dit est une escroquerie. C’est pas seulement de ce qui se dit à partir de l’inconscient. Ce qui se dit à partir de l’inconscient participe de l’équivoque, de l’équivoque qui est le principe du mot d’esprit : équivalence du son et du sens, voilà au nom de quoi j’ai cru pouvoir avancer que l’inconscient était structuré comme un langage.

Je me suis aperçu, comme ça, un peu sur le tard et à propos de quelque chose qui est paru dans Lexique et grammaire ou bien Langue Française, revue trimestrielle ; c’est un petit article que je vous conseille de regarder de près parce qu’il est de quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’estime, il est de J.-C. Milner. C’est le n° 30, paru en mai 1976. Ça s’appelle Réflexions sur la référence. Ce qui, après la lecture de cet article, est pour moi l’objet d’une interrogation, c’est ceci : c’est le rôle qu’il donne à l’anaphore. Il s’aperçoit que la grammaire, ça joue un certain rôle et que nommément la phrase qui n’est pas si simple : « J’ai vu 10 lions et toi, dit-il, tu en as vu 15 », l’anaphore comporte l’usage de ce « en ». Il met les choses très précisément au point en disant que ce « en » ne vise pas les lions, il vise les 10. Je préférerai qu’il ne dise pas : « tu en as vu 15 » ; j’aimerais mieux qu’il dise : « tu en as vu plus ». Parce que, à la vérité, ces 15, il ne les a pas comptés, le « tu » en question. Mais il est certain que dans la -phrase distincte : « j’ai capturé 10 des lions et toi, tu en as capturé 15 », la référence n’est plus au 10, mais qu’elle est aux lions. Il est, je crois, tout à fait saisissant que, dans ce que j’appelle la structure de l’inconscient, il faut éliminer la grammaire. Il ne faut pas éliminer la logique, mais il faut éliminer la grammaire. Dans le français, il y a trop de grammaire. Dans l’allemand, il y en a encore plus. Dans l’anglais, il y en a une autre, mais en quelque sorte implicite. Il faut que la grammaire soit implicite pour pouvoir avoir son juste poids.

Je voudrais vous indiquer quelque chose qui est d’un temps où le français n’avait pas une telle charge de grammaire. Je voudrais vous indiquer ce quelque chose qui s’appelle Les bigarrures du seigneur des Accords. Il vivait tout à fait à la fin du siècle XVIe. Et il est saisissant parce que semble tout le temps jouer sur l’inconscient, ce qui tout de même est curieux, étant donné qu’il n’en avait aucune espèce d’idée, encore bien moins que Freud, mais que c’est tout de même là-dessus qu’il joue. Comment arriver à saisir, à dire cette sorte de flou qui est en somme l’usage ? Et comment préciser la façon dont, dans ce flou, se spécifie l’inconscient qui est toujours individuel ?

Il y a une chose qui frappe, c’est qu’il n’y a pas trois dimensions dans le langage. Le langage, c’est toujours mis à plat. Et c’est bien pour ça que mon histoire tordue de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, avec le fait que le Symbolique, c’est ce qui passe au-dessus de ce qui est au-dessus et ce qui passe en-dessous de ce qui est en-dessous, c’est bien ce qui en fait la valeur. La valeur, c’est que c’est mis à plat.

C’est mis à plat, et d’une façon dont vous savez, parce que je vous l’ai répété, ressassé, dont vous savez la fonction, la valeur, à savoir que ça a pour effet que, l’un quelconque des trois étant dissout, les 2 autres se libèrent. C’est ce que j’ai appelé, dans son temps, du terme de nœud pour ce qui n’est pas un nœud, mais effectivement une chaîne. Cette chaîne quand même, il est frappant qu’elle puisse être mise à plat.

Et je dirai que – c’est une réflexion comme ça que m’a inspiré le fait que, pour ce qui est du Réel, on veut l’identifier à la matière – je proposerai plutôt de l’écrire comme ça, « l’âme à tiers ». Ce serait comme ça une façon plus sérieuse de se référer à ce quelque chose à quoi nous avons à faire, dont ce n’est pas pour rien qu’elle est homogène aux deux autres; qu’un nommé Charles – Sanders comme il s’appelait, vous le savez, je l’ai déjà écrit souvent ce nom, maintes et maintes fois, – que ce Peirce était tout à fait frappé par le fait que le langage n’exprime pas à proprement parler la relation, c’est bien là quelque chose qui est frappant; que le langage ne permet pas une notation comme x ayant un certain type, et pas un autre, de relation avec y; c’est bien ce qui m’autorise, puisque Peirce lui-même articule qu’il faudrait pour ça une logique ternaire, et non pas, comme on en use, une logique binaire, c’est bien ce qui m’autorise à parler de « l’âme à tiers », comme de quelque chose qui nécessite un certain type de rapports logiques.

Oui. Eh bien, tout de même, je vais en effet venir à cette Philosophie en effet, collection qui paraît chez Aubier-Flammarion, pour dire ce qui m’a un peu effrayé dans ce qui chemine en somme de quelque chose que j’ai inauguré par mon discours. Il y a un livre qui y est paru d’un nommé -51-

Nicolas Abraham et d’une nommée Maria Torok. Ça s’appelle Cryptonymie, ce qui indique assez l’équivoque, à savoir que le nom y est caché, et ça s’appelle Le Verbier de l’Homme aux loups. Je ne sais pas, il y en a peut-être qui sont là et qui ont assisté à mes élucubrations sur L’homme aux loups. C’est à ce propos que j’ai parlé de forclusion du nom du père. Le Verbier de l’Homme aux loups est quelque chose où, si les mots ont un sens, je crois reconnaître la poussée de ce que j’ai articulé depuis toujours, à savoir que le signifiant, c’est de cela qu’il s’agit dans l’inconscient, et que, le fait que l’inconscient, c’est qu’en somme, on parle – si tant est qu’il y ait du parlêtre – qu’on parle tout seul, qu’on parle tout seul, parce qu’on ne dit jamais qu’une seule et même chose qui en somme dérange, d’où sa défense et tout ce qu’on élucubre sur les prétendues résistances. Il est tout à fait frappant que la résistance – je l’ai dit – c’est quelque chose qui prenne son point de départ chez l’analyste lui-même et que la bonne volonté de l’analysant ne rencontre jamais rien de pire que la résistance de l’analyste.

La psychanalyse, -je l’ai dit, je l’ai répété tout récemment, – n’est pas une science. Elle n’a pas son statut de science et elle ne peut que l’attendre, l’espérer. Mais c’est un délire dont on attend qu’il porte une science. C’est un délire dont on attend qu’il devienne scientifique. On peut attendre longtemps. On peut attendre longtemps, j’ai dit pourquoi, simplement parce qu’il n’y a pas de progrès et que ce qu’on attend ce n’est pas forcément ce qu’on recueille. C’est un délire scientifique donc, et on attend qu’il porte une science mais ça ne veut pas dire que jamais la pratique analytique portera cette science.

C’est une science qui a d’autant moins de chance de mûrir qu’elle est antinomique; que quand même, par l’usage que nous en avons, nous savons qu’il y a ses rapports entre la science et la logique. Il y a une chose qui, je dois dire, m’étonne encore plus que la diffusion, la diffusion dont je sais bien qu’elle se fait, la diffusion de ce qu’on appelle mon enseignement, mes idées – puisque ça voudrait dire que j’ai des idées – la diffusion de mon enseignement à ce quelque chose qui est l’autre extrême des groupements analytiques, qui est cette chose qui chemine sous le nom d’Institut de Psychanalyse, une chose qui m’étonne encore plus, ce n’est pas que Le Verbier de l’Homme aux loups, non seulement

il vogue, mais qu’il fasse des petits, c’est que quelqu’un dont je ne savais pas que – pour dire la vérité, je le crois en analyse – dont je ne savais pas qu’il fût en analyse – mais c’est une simple hypothèse – c’est un nommé Jacques Derrida qui fait une préface à ce Verbier. Il fait une préface absolument fervente, enthousiaste où je crois percevoir un frémissement qui est lié – je ne sais pas auquel des deux analystes il a affaire – ce qu’il y a de certain, c’est qu’il les couple; et je ne trouve pas, je dois dire, malgré que j’aie engagé les choses dans cette voie, je ne trouve pas que ce livre, ni cette préface soient d’un très bon ton. Dans le genre délire, je vous en parle comme ça, je ne peux pas dire que ce soit dans l’espoir que vous irez y voir; je préférerais même que vous y renonciez, mais enfin je sais bien qu’en fin de compte vous allez vous précipiter chez Aubier- Flammarion, ne serait-ce que pour voir ce que j’appelle un extrême. C’est certain que ça se combine avec la de plus en plus médiocre envie que j’ai de vous parler. Ce qui se combine, c’est que je suis effrayé de ce dont en somme je me sens plus ou moins responsable, à savoir d’avoir ouvert les écluses de quelque chose sur lequel j’aurais aussi bien pu la boucler. J’aurais aussi bien pu me réserver à moi tout seul la satisfaction de jouer sur l’inconscient sans en expliquer la farce, sans dire que c’est par ce truc des effets de signifiant qu’on opère. J’aurais aussi bien pu le garder pour moi, puisqu’en somme si on ne m’y avait pas vraiment forcé, je n’aurais jamais fait d’enseignement. On ne peut pas dire que ce que Jacques Alain Miller a publié sur la scission de 53, ce soit avec enthousiasme que j’ai pris la relève sur le sujet de cet inconscient.

Je dirai même plus, je n’aime pas tellement la seconde topique, je veux dire celle où Freud s’est laissé entraîner par Groddeck. Bien sûr, on ne peut pas faire autrement, ces mises à plat, le Ça avec le gros œil qui est le Moi. Le Ça, c’est…, tout se met à plat. Mais enfin, ce Moi – qui d’ailleurs en allemand ne s’appelle pas Moi, s’appelle Ich – Wo es war – là où c’était, là où c’était : on ne sait pas du tout ce qu’il y avait dans la boule de ce Groddeck pour soutenir ce Ça, cet « Es ». Lui pensait que le Ça dont il s’agit, c’était ce qui vous vivait. C’est ce qu’il dit quand il écrit son Buch, son « Livre du ça », son livre du Es, il dit que c’est ce qui vous vit.

Cette idée d’une unité globale qui vous vit, alors qu’il est bien évident que le Ça dialogue, et que c’est même ça que j’ai désigné du nom de grand A, c’est qu’il y a quelque chose d’autre, ce que j’appelai tout à l’heure « l’âme-à-tiers », « l’âme-à-tiers » qui n’est pas seulement le Réel, qui est quelque chose avec quoi expressément, je le dis, nous n’avons pas de relations. Avec le langage, nous aboyons après cette chose, et ce que veut dire S (A) c’est ça que ça veut dire, c’est que ça ne répond pas. C’est bien en ça que nous parlons tout seuls, que nous parlons tout seuls jusqu’à ce que sorte ce qu’on appelle un Moi, c’est-à-dire quelque chose dont rien ne garantit qu’il ne puisse à proprement parler délirer. C’est bien en quoi j’ai pointé, comme Freud d’ailleurs, qu’il n’y avait pas à y regarder de si près pour ce qui est de la psychanalyse et que, entre folie et débilité mentale, nous n’avons que le choix. En voilà assez pour aujourd’hui.

Print Friendly, PDF & Email