mardi, novembre 5, 2024
Recherches Lacan

LXXIV L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre 1976 – 1977 Leçon du 16 novembre 1976

Leçon du 16 novembre 1976

Il y a une affiche comme ça qui professe… est-ce que vous avez su la lire ? Qu’est-ce que ça donne pour vous ? L’insu que sait, quand même ça fait, bla-bla, ça équivoque; L’insu que sait, et après j’ai traduit l’Unbewusst, j’ai dit qu’il y avait, au sens de l’usage en français du partitif, qu’il y avait de « l’une-bévue ». C’est une façon aussi bonne de traduire l’Unbewusst que n’importe quelle autre, que l’inconscient en particulier qui, en français – et en allemand aussi d’ailleurs – équivoque avec inconscience.

L’inconscient, ça n’a rien à faire avec l’inconscience. Alors pourquoi ne pas traduire tout tranquillement par l’une-bévue. D’autant plus que ça a tout de suite l’avantage de mettre en évidence certaines choses ; pourquoi est-ce qu’on s’oblige dans l’analyse des rêves, qui constitue une bévue comme n’importe quoi d’autre, comme un acte manqué, à ceci près qu’il y a quelque chose où on se reconnaît. On se reconnaît dans le trait d’esprit, parce que le trait d’esprit tient à ce que j’ai appelé lalangue, on se reconnaît dans le trait d’esprit, on y glisse et là-dessus Freud a fait quelques considérations qui ne sont pas négligeables. Je veux dire que l’intérêt du trait d’esprit pour l’inconscient est quand même lié à cette chose spécifique qui comporte l’acquisition de lalangue. Pour le reste, est-ce qu’il faut dire que pour l’analyse d’un rêve il faut s’en tenir à ce qui s’est passé la veille ? Ça ne va pas de soi. Freud en a fait une règle, mais il conviendrait quand même de s’apercevoir qu’il y a bien des choses qui, non seulement peuvent remonter plus haut, mais qui tiennent à ce qu’on peut appeler le tissu même de l’inconscient. Est-ce que l’acte manqué aussi c’est une affaire qui doit être analysée étroitement selon ce qui s’est passé, non pas la veille, mais cette fois-ci dans la journée, c’est vraiment quelque chose qui pose question.

Cette année, disons que, avec cette insu que sait de l’une-bévue, j’essaye d’introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient. Quel rapport y a-t-il entre ceci qu’il faut admettre que nous avons un intérieur que l’on appelle comme on peut, psychisme par exemple, on voit même Freud écrire endo, endo-psychique ; cela ne va pas de soi que la Psuké ce soit endo ; cela ne va pas de soi qu’il faille endosser cet endo, quel rapport y a-t-il entre cet endo, cet intérieur et ce que nous appelons couramment l’identification ? C’est ça en somme que, sous ce titre qui est comme ça fabriqué pour l’occasion, c’est ça que je voudrais mettre sous ce titre. Parce qu’il est clair que l’identification, c’est ce qui se cristallise dans une identité. D’ailleurs ce fication dans le français est en allemand autrement énoncé, Identifizierung, dit Freud, dans un endroit où j’ai été le retrouver, parce que je ne me souvenais pas que j’avais fait un séminaire sur l’Identifizierung. Je ne me souvenais pas, je me souvenais quand même de ce qu’il y avait dans le chapitre, je ne savais pas que j’y avais consacré une année. Mais je me souvenais qu’il y a pour Freud au moins trois modes d’identification, à savoir l’identification auquel il réserve — je ne sais pas bien pourquoi — la qualification d’amour. Amour, c’est la qualification qu’il donne à l’identification au père. Qu’est-ce que c’est que d’autre part ce qu’il avance d’une identification faite de participation ? Il appelle ça, il épingle ça de l’identification hystérique. Et puis il y a une troisième identification qui est celle qu’il fabrique d’un trait, d’un trait que j’ai autrefois — j’en avais gardé quand même le souvenir sans savoir que j’avais fait tout un séminaire sur l’identification — d’un trait que j’ai appelé « unaire », ce trait unaire nous intéresse parce que, comme Freud le souligne, c’est pas quelque chose qui a affaire spécialement avec une personne aimée. Une personne peut être indifférente et un trait unaire choisi comme constituant la base d’une identification. Ce n’est pas indifférent, puisque c’est comme ça que Freud croit pouvoir rendre-compte de l’identification à la petite moustache du Führer dont chacun sait qu’elle a joué un grand rôle.

C’est une question qui a beaucoup d’intérêt parce qu’il résulterait de certains propos qui ont été avancés que la fin de l’analyse serait de s’identifier à l’analyste. Pour moi, je ne le pense pas. Mais enfin c’est ce que soutient Balint, et c’est très surprenant. A quoi donc s’identifie-t-on à la fin de l’analyse ? Est-ce qu’on s’identifierait à son inconscient ? C’est ce que je ne crois pas. Je ne le crois pas, parce que l’inconscient reste — je dis « reste », je ne dis pas « reste éternellement », parce qu’il n’y a aucune éternité — reste l’Autre. C’est de l’Autre avec un grand A qu’il s’agit dans l’inconscient. Je ne vois pas qu’on puisse donner un sens à l’inconscient, si ce n’est de le situer dans cet Autre, porteur des signifiants, qui tire les ficelles de ce qu’on appelle imprudemment, imprudemment, parce que c’est là que se soulève la question de ce qu’est le sujet à partir du moment où il dépend si entièrement de l’Autre.

Alors en quoi consiste ce repérage qu’est l’analyse ? Est-ce que ça serait ou ça ne serait pas, s’identifier, s’identifier en prenant ses garanties, une espèce de distance, s’identifier à son symptôme ? J’ai avancé que le symptôme, ça peut être — c’est monnayable, c’est courant — ça peut être le partenaire sexuel. C’est dans la ligne de ce que j’ai proféré — proféré sans que ça vous fasse pousser des cris d’orfraie — c’est un fait, j’ai proféré que le symptôme pris dans ce sens c’est, pour employer le terme de connaître, c’est ce qu’on connaît, c’est même ce qu’on connaît le mieux, sans que ça aille très loin. Connaître n’a strictement que ce sens. C’est la seule forme de connaissance prise au sens où l’on a avancé qu’il suffirait qu’un homme couche avec une femme pour qu’on puisse dire qu’il la connaît, voire inversement. Comme malgré que je m’y efforce, c’est un fait que je ne suis pas femme, je ne sais pas ce qu’il en est de ce qu’une femme connaît d’un homme. Il est très possible que ça aille, ça aille très loin. Mais ça ne peut tout de même pas aller jusqu’à ce que la femme crée l’homme, même quand il s’agit de ses enfants, il s’agit de quelque chose qui se présente comme un parasitisme. Dans l’utérus de la femme, l’enfant est parasite, et tout l’indique, jusques et y compris le fait que ça peut aller très mal entre ce parasite et ce ventre.

Alors qu’est-ce que ça veut dire connaître ? Connaître veut dire savoir faire avec ce symptôme, savoir le débrouiller, savoir le manipuler, savoir, ça a quelque chose qui correspond à ce que l’homme fait avec son image, c’est imaginer la façon dont on se débrouille avec ce symptôme. Il s’agit ici, bien sûr, du narcissisme secondaire, le narcissisme radical, le narcissisme qu’on appelle primaire étant dans l’occasion exclu. Savoir y faire avec son symptôme c’est là la fin de l’analyse. Il faut reconnaître que c’est court. Ça ne va vraiment pas loin. Comment ça se pratique, c’est bien entendu ce que je m’efforce de véhiculer dans cette foule, je ne sais pas avec quel résultat. Je me suis embarqué dans cette navigation comme ça, parce que dans le fond on m’y a provoqué. C’est ce qui résulte de ce qui a été publié par je ne sais quelle série spéciale d’Ornicar sur la scission de 53. J’aurais été sûrement beaucoup plus discret si la scission de 53 n’avait pas eu lieu.

La métaphore en usage pour ce qu’on appelle l’accès au réel, c’est ce qu’on appelle le modèle. Il y a un nommé Kelvin qui s’est beaucoup intéressé à ça, Lord même qu’il s’appelait, Lord Kelvin. Il considérait que la science c’était quelque chose dans lequel fonctionnait un modèle et qui permettait, à l’aide de ce modèle, de prévoir quels seraient les résultats, les résultats du fonctionnement du réel. On recourt donc à l’imaginaire pour se faire une idée du réel. Écrivez alors « se faire », « se faire une idée » j’ai dit, écrivez le « sphère » pour bien savoir ce que l’imaginaire veut dire. Ce que j’ai avancé dans mon nœud borroméen de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, m’a conduit à distinguer ces trois sphères et puis ensuite à les renouer. Il a fallu donc que je passe de ces trois boules — il y a les dates, j’ai énoncé le Symbolique, l’Imaginaire, et le Réel en 54, j’ai intitulé une conférence inaugurale de ces trois noms devenus en somme par moi ce que Frege appelle noms propres. Fonder un nom propre, c’est une chose qui fait monter un petit peu votre nom propre. Le seul nom propre dans tout ça, c’est le mien.

L’extension de Lacan au Symbolique, à l’Imaginaire et au Réel, c’est ce qui permet à ces trois termes de consister, je n’en suis pas spécialement fier. Mais je me suis après tout aperçu que consister ça voulait dire quelque chose, c’est à savoir qu’il fallait parler de corps ; il y a un corps de l’Imaginaire, un corps du Symbolique — c’est lalangue — et un corps du Réel dont on ne sait pas comment il sort. Ce n’est pas simple, non que la complication vienne de moi, mais elle est dans ce dont il s’agit. C’est parce que j’ai été, comme dit l’autre, confronté avec l’idée que supporte l’inconscient de Freud, que j’ai essayé, non d’en répondre, mais d’y répondre de façon sensée, c’est-à-dire en n’imaginant pas que cette avision — ce dont Freud s’est avisé, c’est ça que je veux dire — que cette avision concerne quelque chose qui serait à l’intérieur de chacun, de chacun de ceux qui font foule et qui croient être de ce fait une unité.

On a traduit cette notion de foule que veut bien dire Massenpsychologie, on l’a traduit Psychologie collective et analyse du moi. Rien n’y fait. Freud a beau prendre expressément son départ de ce que Gustave Lebon a appelé nommément psychologie des foules, on traduit par psychologie collective, une collection, une collection de perles sans doute, chacun en étant une, alors que ce dont il s’agit, c’est de rendre compte de l’existence, de l’existence dans cette foule de quelque chose qui se qualifie moi.

Qu’est-ce que ça peut être que ce moi ? C’est ce que pour essayer de vous l’expliquer, j’ai essayé d’imaginer cette année l’usage de ce qu’on appelle une topologie. Une topologie, comme vous pourrez le saisir rien qu’à ouvrir quoi que ce soit qui s’appelle Topologie générale, une topologie ça se fonde toujours sur un tore, même si ce tore est à l’occasion une bouteille de Klein, car une bouteille de Klein est un tore, un tore qui se traverse lui-même — j’ai parlé de ça il y a bien longtemps.

Voilà. Ici, vous voyez que, dans ce tore, il y a quelque chose qui représente un intérieur absolu quand on est dans le vide, dans le creux que peut constituer un tore. Ce tore peut être une corde sans doute, mais une corde elle-même se tord, et il y a quelque chose qui est dessinable comme étant l’intérieur de la corde. Vous n’avez à cet égard qu’à déployer ce qui s’énonce comme nœud dans une littérature spéciale.

 

Alors il y a évidemment deux choses, il y a deux espèces de trous; le trou qui s’ouvre à ce qu’on appelle l’extérieur, ça met en cause ce dont il s’agit quant à l’espace. L’espace passe pour étendue quand il s’agit de Descartes. Mais le corps nous fonde l’idée d’une autre espèce d’espace. Ça n’a pas l’air tout de suite d’être ce qu’on appelle un corps, ce tore en question. Mais vous allez voir qu’il suffit de le retourner, non pas comme se retourne une sphère, parce qu’un tore ça se retourne d’une toute autre façon. Si ici, par exemple, je me mets à imaginer que c’est une sphère qui est à l’intérieur d’une autre sphère, je n’obtiens rien qui ressemble à ce que je vais essayer de vous faire sentir maintenant. Si je fais un trou dans l’autre sphère, cette sphère-là va sortir comme un grelot.

Mais c’est un tore, c’est un tore c’est-à-dire qu’Il va se comporter autrement.

 

Il suffirait que vous preniez, une simple chambre à air, une chambre a air d’un petit pneu que vous vous appliqueriez à mettre à l’épreuve, vous verrez alors que le pneu prête à cette façon de s’enfiler, si je puis dire, dans ce qu’offre à lui d’issue la coupure, la coupure que nous avons pratiquée ici et que, si je devais poursuivre, à supposer que la coupure vienne ici, vienne ici se rabattre, s’inverser, si l’on peut dire, ce que vous aller obtenir est ceci qui est différent, différent en apparence, du tore; car c’est bel et bien un tore tout de même, quoique, vu cette fois-ci en coupe, c’est bel et bien un tore exactement comme si nous coupions ici le tore dont il s’agit. Je pense qu’il ne vous échappe pas que a rabattre, ceci jusqu’à ce que nous bouclions le trou que nous avons fait dans le tore, c’est bel et bien la figure qui suit que nous obtenons. Ça ne semble pas ravir, si je puis dire, votre consentement. C’est pourtant tout à fait sensible. Il suffit d’y faire un essai.

 

Vous avez ici 2 tores dont l’un représente ce qui est advenu, alors que l’autre est l’original. Si vous, sur l’un de ces tores couplés de la même façon – ceci va nous conduire à autre chose – sur l’un de ces tores couplés, vous pratiquez la manipulation que je vous ai expliquée ici, à savoir que vous y fassiez une coupure, vous obtiendrez ce quelque chose qui se traduit comme ceci, à savoir que, les tores étant couplés, vous avez, à l’intérieur de l’un de ces tores, un autre tore, un tore qui est de la même espèce que celui que j’ai dessiné ici. Ce que désigne ceci, c’est qu’ici, vous voyez bien que ce qui est du premier tore a ici ce que j’appelle son intérieur, quelque chose dans le tore s’est retourne, qui est exactement en continuité avec ce qui reste d’intérieur dans ce premier tore. Ce tore est retourné en ce sens que désormais son intérieur est ce qui passe à l’extérieur, alors que pour désigner celui-ci comme étant celui autour duquel se retourne celui qui est ici, nous nous apercevons que celui que j’ai désigné ici, est lui, resté inchangé, c’est-à-dire qu’il a son premier extérieur, son extérieur tel qu’il se pose dans la boucle, il a son extérieur toujours a la même place.

 

Il y a donc eu, de l’un d’entre eux, retournement. Je pense que, quoique ces choses soient fort incommodes, soient fort inhibées a imaginer, je pense quand même vous avoir véhiculé, véhiculé ce dont il s’agit dans l’occasion. Je veux dire que je nie suis fait, je l’espère, entendre pour ce dont il s’agit.

Il est tout à fait remarquable que, ce qui est ici [Fig. 1-4] n’ait pas – quoique ce soit littéralement un tore – n’ait pas la même forme, a savoir que ça se présente comme une trique. C’est une trique qui n’en reste pas moins pourtant un tore. Je veux dire que comme vous l’avez déjà vu ici, ce qui vient à se former, c’est quelque chose qui n’a plus rien à faire avec la première présentation, celle qui noue les deux tores [Fig.1-5a]. Ce n’est pas la même sorte de chaîne du fait du retournement de ce que j’appelle, dans l’occasion, le premier tore. Mais par rapport à ce premier tore, par rapport au même, ce que vous avez, c’est quelque chose que je dessine comme ça, par rapport au même, le tore-trique, si nous nous souvenons du même, le tore-trique vient ici, c’est-à-dire que pour appuyer les choses, le trou qui est à faire dans le tore, celui que j’ai désigné ici, peut être fait en n’importe quel endroit du tore, jusque et y compris couper le tore ici, car alors il est tout à fait manifeste que ce tore coupé peut se retourner de la même façon et que ce sera en joignant deux coupures que nous obtiendrons cet aspect. En d’autres termes en coupant ce tore ici, on obtient ce que j’ai appelé la présentation en trique de la même façon, c’est-à-dire que quelque chose qui se manifestera dans le tore par deux coupures permettra un rabattement exactement tel que c’est en joignant deux coupures – et non pas en formant la coupure unique, celle que j’ai faite ici – c’est en joignant cieux coupures que nous obtiendrons cette trique que j’appelle de ce terme, encore que se soit un tore.

Voilà ce qu’aujourd’hui, et je conviens que ce n’est pas nourriture facile, mais ce que j’aimerais la prochaine fois, à savoir dans le mardi de décembre, ce que j’aimerais entendre la prochaine fois de quiconque d’entre vous, c’est la façon dont de ces deux modes de repliement du tore y étant adjoint un 3e qui, lui, est celui-ci

 

Supposez que nous ayons un tore dans un autre tore, la même opération est concevable pour les 2 tores, à savoir d’une coupure faite dans celui-ci et d’une coupure autre, distincte, puisque ce n’est pas le même tore, faite dans celui-là. Il est dans ce cas tout a fait clair – je vous le laisse concevoir – que le repliement de ces deux tores nous donnera une même trique, mais à ceci près que dans la trique il y aura un contenu analogue, à ceci près que pour les 2 cas, cette fois-ci, l’intérieur sera à l’extérieur et de même pour celui-ci; je veux dire pour le tore qui est à l’intérieur.

Comment, vous poserai-je la question, comment identifier – car c’est distinct – comment identifier l’identification hystérique, l’identification amoureuse dite au père, et l’identification que j’appellerai neutre, celle qui n’est ni l’une, ni l’autre, qui est l’identification à un trait particulier, à un trait que j’ai appelé – c’est comme ça que j’ai traduit l’Einziger Zug – que j’ai appelé à n’importe quel trait ?

Comment répartir ces trois inversions de tores homogènes donc dans leur pratique, et en plus qui maintiennent la symétrie, si je puis dire, entre un tore et un autre, comment les repartir, comment désigner d’une façon homologue l’identification paternelle, l’identification hystérique, l’identification à un trait qui soit seulement le même ? Voilà la question sur laquelle j’aimerais, la prochaine fois, que vous ayez la bonté de prendre parti.

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