LEÇON du 21 MAI 1969
Le système de nulle part, voilà, pourrait-on dire, ce qu’il nous faut exposer. C’est bien là que prendrait son sens enfin le terme d’utopie, mais cette fois réalisée du bon bout, si je puis dire. La vieille “nullibiquité” à laquelle, dans les temps anciens, j’avais redonné le lustre qu’elle mérite pour avoir été inventée par l’évêque Wilkings, ça n’est nulle part, qu’est-ce que c’est ? Il s’agit de la jouissance. Ce que l’expérience analytique démontre, encore faut-il le dire, c’est que, par un lien à quelque chose qui n’est rien d’autre que ce qui permet l’émergence du savoir, la jouissance est exclue, le cercle se ferme. Cette exclusion ne s’énonce que du système lui-même en tant que c’est le symbolique. Or, c’est par là qu’elle s’affirme comme réel, réel dernier du fonctionnement du système même qui l’exclut nulle part, la voici redevenue partout de cette exclusion même qui est tout ce par quoi elle se réalise et c’est bien là, on le sait, à quoi s’attache notre pratique, démasquer, dévoiler ce qui, là où nous avons affaire, dans le symptôme, démasque cette relation à la jouissance, notre réel, mais pour autant qu’elle est exclue.
C’est à ce titre que nous avançons ces trois termes comme support de la jouissance en tant qu’elle est exclue, de l’Autre comme lieu où ça se sait, du a comme de l’effet de chute qui résulte, car c’est l’enjeu de l’affaire, qui résulte de ceci que, dans le jeu du signifiant, c’est la jouissance qui est visée pourtant, que le signifiant surgit du rapport indicible de ce quelque chose qui, d’avoir reçu d’où, ce moyen, le signifiant, en est frappé d’une relation à ce quelque chose qui de là se développe, va prendre forme comme Autre. Ce lien du sujet à l’Autre, Autre à qui il advient des avatars, qui n’a pas dit son dernier mot, et c’est bien cela qui nous accroche, voilà au niveau de quels termes nous avons à situer cette psychanalyse qui en est, si je puis dire, depuis son moment d’origine, l’expérience sauvage, née sans doute, dans un éclair exceptionnel par la voie de Freud et qui, depuis, ne cesse d’être à la merci des versants qui s’offrent à elle et qui sont identiques à ceux-là même dans lé réseau desquels le sujet qu’elle traite est pris.
Je voudrais partir de quelque chose d’aussi proche qu’il est possible. Tenez, vous m’en ferez la morale que vous voudrez, analytique s’il vous plaît, ou autre, peu importe, bon. Voilà un objet pour lequel j’ai une préférence, une préférence à titre d’appareil. C’est un stylo qui est aussi
proche qu’il est possible d’un porte-plume par sa minceur, porte-plume au sens antique, antédiluvien ; il n’y a plus que très peu de personnes qui s’en servent. Il est comme tel d’un très faible contenu puisque vous le voyez, son réservoir, puisqu’il peut rentrer pour finir par devenir réduit à quelque chose qui tient dans le creux de la main, son réservoir est d’un très faible contenu. Il en résulte qu’il est très difficile à charger parce qu’il se produit des effets osmotiques, ce qui fait que quand on verse la goutte, la goutte est juste à la taille de son entrée. Il est donc fort incommode ; et pourtant, j’y tiens. J’y tiens d’une préférence spéciale, pour la raison qu’il réalise un certain type de porte-plume avec une plume, une vraie plume et en effet il date, il date d’une époque où c’était vraiment une plume et pas quelque chose de rigide comme il se fait maintenant. Ce porte-plume, donc, m’a été donné par quelqu’un qui savait que je cherchais ça. C’était un cadeau qui venait d’être fait très peu de minutes avant, ou d’heures ou de jours peu importe, par quelqu’un qui en faisait certainement un hommage d’un ordre assez précis, pour tout dire fétichiste. C’était d’ailleurs un objet qui, de la personne donatrice à celle qui me l’a transmis, se signalait de venir de sa grand-mère. C’est bien pour ça qu’il n’est pas facile à retrouver. Il y a des échoppes tout à fait particulières, paraît-il, à New-York, où on vend les stylos de la Belle Epoque. Par une autre voie, comme vous voyez, j’en ai un.
J’ai donc un aperçu de l’histoire de cet objet qui, par ailleurs, me tient à cœur pour lui-même, indépendamment tout à fait de cette histoire, car à la vérité je ne sais pas spécial gré à la personne qui me l’a donné de m’avoir fait ce don. Mon rapport à lui est indépendant ; il est certainement très près de ce qui pour moi est l’objet a. J’ai un aperçu de son histoire mais, pour tout objet, est-ce que vous ne voyez pas de la sorte dont je viens d’animer celui-là, que cette question de son histoire se pose autant que pour un quelconque sujet ; cette histoire, comment imaginer qui la sait, qui peut en répondre sinon à instituer cet Autre comme le lieu où ça se sait et qui est-ce qui ne voit pas, si on lui ouvre cette dimension, qu’au moins pour certains, et, j’ose dire, pour chacun, elle existe, que pour certains, elle est tout à fait prévalente, mais que pour tous elle fait un fond. Il y a quelque part où ça se sait, tout ce qui est arrivé. Le signifiant de A en tant qu’entier, dès qu’on s’interroge dans cette voie, on reconnaît qu’il est implicite et que, pour le névrosé obsessionnel, il l’est beaucoup plus que pour d’autres. C’est par là, au niveau de l’histoire, en tant que — c’est pour ça que j’ai pris ce biais — elle est suggérée pas du tout directement du sujet mais aussi bien du sort des objets, c’est par cette voie qu’il est sensible ce qu’a de fou cette présupposition d’un lieu quelconque où ça se sait. Ceci est important parce qu’il est clair que le “ça se sait” verse aussitôt dans l’intérêt que prend la question. Là où ça se sait, au sens neutre où nous l’avons introduit, c’est là que se pose la question si ça se sait soi-même.
La réflexibilité ne surgit pas de la conscience sinon par ce détour qu’il faut vérifier, c’est que là où l’on suppose que ça se sait continuer tout, est-ce qu’il se sait que ça se sache ? Si l’on s’interroge sur ce qu’il en est de l’activité mathématique, dont il est humoristique de constater que tout spécialement le mathématicien est toujours aussi incapable de rien dire en son fond si ce n’est qu’il sait très bien ce que c’est quand il fait des mathématiques. Quand à vous dire à quoi il le discerne, jusqu’à présent motus. Il peut dire que ça n’en est pas, mais ce que ça est n’est pas encore trouvé. Nous émettons un énoncé qui peut-être commencerait dans cette voie ; organiser des choses, des choses qui se disent d’une façon telle que ça se sait soi-même, assurément, à tout instant, et que ça peut en témoigner. Comme me le disait tout récemment quelqu’un, mathématicien, avec qui j’en parlais, ce qui caractérise un énoncé mathématique, c’est sa liberté du contexte. Un théorème peut s’énoncer tout seul et se défendre. Il porte en lui cette dose suffisante de recouverture à soi-même qui le rend libre du discours qui l’introduit. La chose est à revoir de près. Ce côté de différence avec les autres discours où toute citation risque d’être abusive au regard de ce qui l’enserre et qu’on appelle contexte est important à marquer. Cette substance du “ça se sait” instantané comme tel, s’accompagne de ceci qu’elle suppose que tout ce qui y attient, ça se sait, au sens de “ça se recouvre soi-même”, ça se sait dans son ensemble, c’est-à-dire que ce qui est révélateur, c’est que le supposé d’un discours qui aspire à pouvoir entièrement se recouvrir soi-même rencontre des limites. Il rencontre des limites en ceci précisément qu’il y existe des points qui n’y sont pas posables, dont la première image sera aussi bien donnée par la suite des nombres entiers et par ceci qui s’articule que celui défini comme étant plus grand qu’un quelconque n’y est justement pas posable, entendons dans cette série infinie, dit-on, des nombres entiers.
C’est précisément que ce nombre soit exclu, et proprement en tant que symbole, — nulle part ne peut être écrit ce nombre plus grand qu’aucun autre — c’est très précisément de cette impossibilité de l’écrire que toute la série des nombres entiers tire ce qu’elle a non pas d’être une simple graphie d’une chose qui peut s’écrire, mais d’être quelque chose qui est dans le réel. Cet impossible même est d’où surgit ce réel. Ce mécanisme est très précisément ce qui permet de le reprendre, au niveau du symbole, et d’inscrire au titre du transfini ce signe même non posable au niveau de la série des entiers, et de commencer à interroger sur ce qu’on peut opérer à partir de ce signe posé comme non posable au niveau de la série des entiers, et de s’apercevoir qu’effectivement ce signe, symbole repris au niveau de ce qui fait la réalité de toute la série des entiers, permet un nouveau traitement symbolique où les relations recevables au terme de la série des entiers peuvent être reprises, non pas toutes mais très certainement une part d’entre elles, et c’est le progrès qui se poursuit d’un discours tel que, pour se savoir à chaque instant, jamais il ne se trouve sans rencontrer cette combinaison des limites avec ces trous qu’on appelle infini, c’est-à-dire non saisissable jusqu’à ce que justement il soit, d’être repris dans une structure différente, réductible à être cette limite, l’aporie en aucun cas n’étant que l’introduction à une structure de l’Autre.
C’est ce qu’on voit fort bien dans la théorie des ensembles, dans laquelle on peut un certain temps en effet s’avancer innocemment, et qui nous intéresse d’une façon particulière parce qu’après tout, au niveau plus
radical où nous avons à faire, à savoir de cette incidence du signifiant dans la répétition, en apparence rien n’objecte, rien n’objecte d’abord à ce que A ne soit que l’inscription entière de toutes les histoires possibles. Chaque signifiant renvoie d’autant plus à l’Autre qu’il ne peut renvoyer à lui-même qu’en tant qu’autre. Rien ne fait donc obstacle à ce que les signifiants se répartissent d’une façon circulaire, ce qui, à ce titre, permettra fort bien d’énoncer qu’il y a ensemble de tout ce qui de soi ne s’identifie pas à soi-même; à tourner en rond, il est parfaitement concevable que tout s’ordonne, même le catalogue de tous les catalogues qui ne se contiennent pas eux-mêmes. Il est parfaitement admissible, à cette seule condition qu’on sache, et c’est certain, qu’aucun catalogue ne se contient lui-même, sinon par son titre. Ça n’empêche pas que l’ensemble de tous les catalogues auront ce caractère clos que chaque catalogue, en tant qu’il ne se contient pas lui-même, peut toujours être inscrit dans un autre que lui-même contient. La seule chose exclue, si nous traçons le réseau de ces choses, c’est le tracé qui s’écrirait ainsi, celui qui admet d’un point à un autre d’un réseau quelconque et d’un réseau orienté, qui exclut, si b renvoie à un certain nombre d’autres points, d, e, f, qui exclut ceci que b renvoie à lui-même. Il suffit dans cette occasion que b renvoie à c, et que c lui-même renvoie à b pour qu’il n’y ait plus aucun obstacle à la subsistance corrélative de b et c et qu’une totalité les enveloppe.
Si quelque chose nous interroge, c’est justement de l’expérience analytique comme repérant quelque part ce point à l’infini de tout ce qui s’ordonne dans l’ordre des combinaisons signifiantes, ce point à l’infini irréductible en tant qu’il concerne une certaine jouissance, laissée problématique, et qui pour nous instaure la question de la jouissance sous un aspect qui n’est plus externe au système du savoir. Ce signifiant de la jouissance, ce signifiant exclu pour autant qu’il est, que celui que nous promouvons sous le terme du signifiant phallique, voilà ce autour de quoi s’ordonnent toutes ces biographies à quoi la littérature analytique tend à réduire ce qu’il en est des névroses.
Mais ce n’est pas parce que nous pouvons recouvrir d’une homologie aussi complète qu’il est possible les relations dites interpersonnelles de ce que nous appelons un adulte – adulte, faut-il le dire, foncièrement adultéré – puisque ce que nous retrouvons à travers ces relations, nous le cherchons dans cette biographie seconde que nous disons originelle, qui est celle de ses relations infantiles, et que là, au bout d’un certain temps d’accoutumance de l’analyste, nous tenons pour reçues les relations tensionnelles qui s’établissent à l’endroit d’un certain nombre de termes, le père, la mère, la naissance d’un frère ou d’une petite sœur, que nous considérons comme primitifs mais qui bien sûr ne prennent ce sens, ne prennent ce poids qu’en raison de la place qu’ils tiennent dans cette articulation telle par exemple – il y en aura peut-être de plus élaborées, je le souhaite – mais telle en fait que celle que je vous articule au regard du savoir, de la jouissance et d’un certain objet en tant que primordialement c’est par rapport à eux que vont se situer toutes ces relations primordiales dont il ne suffit pas de faire surgir la simple homologie dans un recul au regard de celui qui vient nous confier ses relations actuelles, mais dont, que nous le voulions ou pas, que nous le sachions ou pas, nous faisons sentir le poids, la présence et l’instance dans toute la façon dont nous, nous comprenons cette seconde biographie première, dite infantile, et qui n’est là que pour nous masquer bien souvent la question, celle sur laquelle nous aurions à nous, nous interroger vraiment, j’entends nous analystes, à savoir ce qui détermine de cette façon la biographie infantile et dont le ressort n’est toujours bien évidemment que dans la façon dont se sont présentés ce que nous appelons désirs chez le père, chez la mère, et qui par conséquent nous incitent à explorer non pas seulement l’histoire mais le mode de présence sous lequel chacun de ces trois termes, savoir, jouissance et l’objet a ont été au sujet offerts effectivement. C’est ce qui fait, et c’est là que gît ce que nous appelons improprement le choix de la névrose, voire le choix entre psychose et névrose. Il n’y a pas eu de choix, le choix était déjà fait au niveau de ce qui s’est au sujet présenté mais n’est perceptible, repérable qu’en fonction des trois termes tels que nous venons ici d’essayer. de les dégager.
La chose a plus d’une portée. Elle en a une historique. Qui ne conçoit que, s’il faut poser ce que signifie la psychanalyse dans l’histoire, et si certains choix lui sont aussi à elle offerts, c’est pour autant que nous vivons dans un temps où, à la dimension de la communauté, les rapports du savoir et de la jouissance ne sont pas les mêmes qu’ils pouvaient l’être par exemple dans les temps antiques, et qu’assurément, nous ne pouvons tenir pour rapprochable notre position de celle par exemple des Epicuriens ou d’une école telle. Il y avait une certaine position de retrait au regard de la jouissance qui était possible pour eux, d’une façon en quelque sorte innocente. Dans un temps où, de par la mise en jeu de ce que nous appelons le capitalisme, une certaine position nous inclut tous dans la relation à la jouissance d’une façon caractéristique, si l’on peut dire, par l’arête de sa pureté, que ce qu’on appelle exploitation du travailleur ne consiste très précisément en ceci que la jouissance soit exclue du travail et que, du même coup, elle ne lui donne tout son réel de la même sorte que nous avons évoqué tout à l’heure l’effet du point à l’infini, c’est par là que se suscite cette sorte d’aporie qui est proprement ce qui suggère le sens nouveau au regard de l’empire de la société, le sens nouveau, sans précédent dans le contexte antique, que prend le mot révolution et c’est en quoi nous avons à y dire notre mot pour rappeler que ce terme est, comme Marx l’a parfaitement vu, et c’est en quoi il articule la seule chose qui se soit trouvée efficace jusqu’à présent, c’est la solidarité étroite de ce terme qui s’appelle révolution avec le système même qui le porte, qui est le système capitaliste.
Que nous ayons là-dessus quelque chose qui peut peut-être offrir l’ouverture par une série d’exemples à ce qu’il peut en être d’un joint où s’ouvrirait ce cercle, c’est l’intérêt de la psychanalyse, je veux dire son intérêt dans l’histoire ; c’est aussi bien ce à quoi elle peut défaillir aussi intégralement qu’il se peut. Car, à prendre les choses au niveau de la biographie, ce que nous voyons s’offrir au tournant qui constitue biographiquement le moment d’éclosion de la névrose, c’est le choix qui s’offre, et qui s’offre d’une façon d’autant plus instante que c’est lui-même qui est déterminant de ce tournant, le choix entre ce qui est présentifié, à savoir l’approche de ce point d’impossibilité, de ce point à l’infini, qui est toujours introduit par l’approche de la conjonction sexuelle, et la face corrélative qui s’annonce du fait qu’au niveau du sujet, en raison du temps prémature – mais comment ne serait-il pas toujours prémature au regard de l’impossibilité – en raison du temps prémature où il vient à jouer dans l’enfance, ce qui, cette impossibilité, la projette, la masque, la détourne de devoir s’exercer en termes d’insuffisance, de n’être en tant que vivant, vivant et réduit à ses propres forces, forcément pas à la hauteur, l’alibi pris de l’impossibilité dans l’insuffisance est aussi bien la pente que peut prendre la direction, comme je l’ai appelée, de la psychanalyse, et qui après tout n’est pas non plus humainement parlant quelque chose où en effet nous ne puissions pas nous sentir les ministres d’un secours qui sur tel ou tel point, à propos de telle ou telle personne, peut être l’occasion d’un bienfait. Néanmoins ce n’est pas là ce qui justifie la psychanalyse. Ce n’est pas là d’où elle est sortie. Ce n’est pas là qu’il y a son sens et pour une simple raison, c’est que ce n’est pas là ce dont le névrosé nous témoigne, car ce dont le névrosé nous témoigne, si nous voulons entendre ce que, par tous ses symptômes, il nous dit, c’est que là où se place son discours, il est clair que ce qu’il cherche est autre chose que de s’égaler à la question qu’il pose.
Le névrosé, qu’il s’agisse de l’hystérique ou de l’obsessionnel – nous ferons ultérieurement le lien des deux versants avec cet objet a que nous avons produit dans l’efficace de la phobie – le névrosé met en question ce qu’il en est de la vérité du savoir, et très précisément en ceci qu’il append à la jouissance. Et en reposant la question, a-t-il raison ? Oui, certes, puisque nous savons que ce n’est que de cette dépendance que le savoir a son statut originel, et que dans son développement, il en articule la distance. A-t-il raison ? Son discours, certes, est dépendant de ce qu’il en est de la vérité du savoir. Mais comme déjà devant vous je l’ai articulé, ce n’est point parce que ce discours relève de cette vérité. Pour qu’il soit dans le vrai, la cohérence de la suspension du savoir à l’interdit de la jouissance ne rend pas pour autant lisible dans ce qui, à un certain niveau, dénonce ce nœud constitutif et aussi bien pourquoi ne traduirait-il pas, lui aussi, au dernier terme, une certaine forme d’aporie? Si je l’ai dit tout à l’heure, dans ce qui s’offre comme position prise au niveau des impasses qui se formulent comme loi de l’Autre, quand il s’agit du sexuel, je dirai qu’au dernier terme, après avoir criblé autant que je l’ai pu les faces sous lesquelles se distinguent l’obsessionnel et l’hystérique, la meilleure formule que je pourrais donner procède précisément de ce qui s’offre au niveau de la nature, au naturel comme solution de l’impasse à cette loi de l’Autre. Pour l’homme qui a à remplir l’identification à cette fonction dite du père symbolique, la seule à satisfaire, et c’est en cela qu’elle est mythique, la position de la jouissance virile dans ce qu’il en est de la conjonction sexuelle, pour l’homme, ce qui s’offre au niveau du naturel est très précisément ce qui s’appelle savoir être le maître et, en effet, ça a été, ça l’est probablement encore, ça a été et ça reste encore très suffisamment à la portée de quelqu’un.
Je dirai que l’obsessionnel est celui qui refuse de se prendre pour un maître car, au regard de ce dont il s’agit, la vérité du savoir, ce qui lui importe, c’est le rapport de ce savoir à la jouissance, et de ce savoir ce qu’il sait, c’est qu’il n’a rien, rien d’autre de ce qui reste de l’incidence première de son interdiction, à savoir l’objet a. Toute jouissance n’est pour lui pensable que comme un traité avec celui, l’Autre comme entier par lui toujours imaginé fondamental, avec lequel, avec lequel il traite la jouissance pour lui ne s’autorise que d’un paiement, d’un paiement toujours renouvelé, dans un insatiable tonneau des Danaïdes, dans ce quelque chose qui ne s’égale jamais et qui fait des modalités de la dette le cérémonial où seulement il rencontre sa jouissance.
A l’inverse, à l’opposé, l’hystérique dont ce n’est pas pour rien qu’elle se rencontre, cette forme de la réponse aux impasses de la jouissance, à l’opposé, l’hystérique – et c’est précisément pour cela que ce mode se rencontre plus spécialement chez les femmes – l’hystérique se caractérise de ne pas se prendre pour la femme car, dans cette impasse, dans cette aporie aussi naturellement que pour le maître, les choses s’offrent assez uniement à la femme de remplir un rôle dans la conjonction sexuelle où naturellement elle a une assez bonne part. Ce que l’hystérique, dit-on, refoule, mais qu’en réalité elle promeut, c’est ce point à l’infini de la jouissance comme absolue. Elle promeut la castration au niveau de ce nom du père symbolique à l’endroit duquel elle se pose, ou comme voulant être, au dernier temps, sa jouissance. Et c’est parce que cette jouissance ne peut être atteinte qu’elle refuse toute autre qui, pour elle, aurait ce caractère de diminution de n’avoir, ce qui est vrai en plus, rien à faire que d’externe, que d’être du niveau de la suffisance ou de l’insuffisance, au regard de ce rapport absolu qu’il s’agit de poser.
Lisez et relisez les observations d’hystériques à la lumière de ces termes, et vous les verrez bien autrement que d’anecdote, d’un tournage en rond biographique que le transfert à répéter sans doute résout pour le rendre plus maniable, mais ne fait que tempérer, pour comprendre le ressort de ce qui nous vient comme ouverture, comme béance, de quelque façon, que, par ailleurs, nous nous employons à la calmer, n’est-il pas essentiel de repérer ce ressort d’où il surgit et qui n’est rien d’autre que ce en quoi le névrosé réinterroge cette frontière que rien ne peut, en fait, suturer, celle qui s’ouvre entre savoir et jouissance.
Si, dans l’articulation que j’ai donnée du 1 et du a, qui n’est certes pas promue ici par hasard ni d’une façon qui soit caduque, qui n’est rien d’autre, je vous l’ai dit, que ce en quoi, dans un modèle mathématique, s’inscrit – et il n’y a pas à s’en surprendre car c’est la première chose qu’on ait à rencontrer – s’inscrit dans une série ce qui se conjoint à la simple répétition du 1, à cette seule condition que nous en inscrivions la relation sous la forme d’une addition – après deux 1, un 2, et de continuer indéfiniment, le dernier 1 joint au 2, un 3, 5 et après ça un 8, et après ça un 13, et ainsi de suite – c’est ceci, je vous l’ai dit, qui par la proportion qu’il engendre, de plus en plus serrée à mesure que les nombres croissent, définit strictement la fonction du a. La série a cette propriété de dénoncer à être reprise dans le sens inverse, en procédant par soustraction, d’aboutir à une limite dans le sens négatif, ce qui, marqué de cette proportion du a, ira toujours en diminuant, arrive à ce qu’on en fasse, dans ce sens, la somme, à une limite parfaitement finie qui, donc, reprise est un départ.
Ce que fait l’hystérique peut s’inscrire dans ce sens, à savoir qu’il ou elle soustrait ce a comme tel au 1 absolu de l’Autre, de l’interroger ; de l’interroger s’il livre ou non ce 1 dernier, qui soit en sorte son assurance. Dans ce procès, il est facile à l’aide du modèle que je viens de rappeler de démontrer qu’au mieux tout son effort, je dis l’effort de l’hystérique après avoir mis en question ce a, ne sera rien que de se retrouver tel, strictement égal à ce a et à rien d’autre. Tel est ici le drame qui se traduit, à être transposé du niveau où il est, où il s’énonce d’une façon parfaitement correcte dans un autre, se traduit par l’irréductible béance d’une castration réalisée.
Il y a d’autres issues de l’impasse ouverte par l’hystérique à ce qu’il soit résolu au niveau des énoncés, à ce niveau que j’ai caractérisé de l’épinglage “famil” que la rencontre à la castration. Mais à l’autre niveau, à celui de l’énonciation, à celui qui promeut la relation de la jouissance et du savoir, qui ne sait que des exemples historiques illustres ne fassent apercevoir qu’au niveau d’un savoir qui serait savoir se recouvrant d’un savoir expérimenté de la relation telle qu’elle se présente, de la relation sexuelle telle qu’elle ne s’aperçoit que de l’appréhension de ce point à l’infini qui est impasse et aporie, certes, mais qui est aussi limite, la solution peut être trouvée d’un équilibre subjectif, à cette seule condition que le tribut juste soit payé de l’édifice d’un savoir.
Pour l’obsessionnel, chacun sait qu’il en est de même ; de la productivité de l’obsessionnel, chacun sait que tout un secteur dépend ; même les plus aveugles, les plus fermés à la réalité historique se sont aperçus de sa contribution à ce qu’on appelle la pensée. Est-ce que ce n’est pas, là aussi, ce qui exprime sa limite, ce qui nécessite au plus haut point d’être désexorcisé ? C’est bien là que Freud porte la question quand il nous parle des rapports du rituel obsessionnel avec la religion. Assurément toute religion ne s’exténue pas dans ce qu’il est de ces pratiques, et c’est bien l’angoissant du pari de Pascal que de nous faire apercevoir qu’à prendre les choses même au niveau de la promesse, à s’avérer partisan du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et à rejeter l’Autre, à le rejeter au point de dire qu’on ne sait ni s’il est, ni bien sûr encore plus ce qu’il est, c’est pourtant bien celui-là, au niveau de s’il est ou pas, de pair ou impair qu’il interroge dans le pari, parce qu’il est pris, vu son époque, dans cette interrogation du savoir.
C’est là-dessus que je vous laisserai aujourd’hui.