vendredi, octobre 11, 2024
Recherches Lacan

Le savoir du psychanalyste Entretiens de Sainte Anne 1971 – 1972 Leçon du 1er juin 1972

Leçon du 1er  juin 1972

Vous le savez, ici je dis ce que je pense. C’est une position féminine, parce qu’en fin de compte penser, c’est très particulier. Alors, comme je vous écris de temps en temps, j’ai pendant un petit voyage que je viens de faire, inscrit un certain nombre de propositions dont la première est qu’il faut reconnaître que le psychanalyste est mis, par le discours — c’est un terme à moi — par le discours qui le conditionne — qu’on appelle, depuis moi, le « discours du psychanalyste » — dans une position, disons difficile. Freud disait impossible, « unmöglich », c’est peut-être un peu forcé, il parlait pour lui. Bon ! D’autre part, deuxième proposition : il sait — ceci d’expérience, ce qui veut dire que, si peu qu’il ait pratiqué la psychanalyse, il en sait assez pour ce que je vais dire — il sait dans tous les cas avoir une commune mesure avec ce que je dis. C’est tout à fait indépendant du fait qu’il soit, de ce que je dis, informé, puisque ce que je dis aboutit, comme je l’ai, il me semble, démontré cette anné5 à situer son savoir. Ça, c’est l’histoire du savoir sur la vérité. Ça, c’est la place de la vérité, pour ceux qui viennent pour la première fois. Ça, celle du semblant ; ça, celle de la jouissance, et ça, du plus-de-jouir, ce que j’écris en abrégé ainsi : « + de jouir ». Pour la jouissance, nous mettrons un J. C’est son rapport, au savoir, qui est difficile, non bien sûr à ce que je dis, puisque dans l’ensemble du no man’land psychanalytique, on ne sait pas que je le dis. Ça ne veut pas dire que de ce que je dis, on n’en sache rien, puisque ça sort de l’expérience. Mais on a, de ce qu’on en sait, horreur, ce dont je peux dire, comme ça, vraiment simplement que je les comprends — « je peux dire », ça veut dire : « je peux dire, si on y tient » — mais je les comprends, je me mets à leur place d’autant plus facilement que j’y suis. Mais je le comprends d’autant plus facilement que, comme tout le monde, j’entends ce que je dis. Néanmoins, néanmoins ça ne m’arrive pas tous les jours, parce que ce n’est pas tous les jours que je parle. En réalité, je le comprends, c’est-à-dire que j’entends ce que je dis, les quelques jours — mettons un ou deux — qui précèdent immédiatement mon séminaire, parce qu’à ce moment-là je commence à vous écrire. Les autres jours, la pensée de ceux à qui j’ai eu affaire me submerge.

Il faut que je vous l’avoue, parce qu’à ce moment-là, l’impatience de ce que j’ai appelé — et donc que je peux encore appeler, parce que c’est rare que je revienne — de ce que j’ai appelé dans SCILICET mon échec, me domine. Voilà. Oui. Ils savent, je rappelle ça parce que le titre de ce que j’ai à traiter ici, c’est : « Le savoir du psychanalyste ». « Du », dans ce cas-là, ça évoque le « le », article défini, en français enfin c’est ce qu’on appelle défini. Oui ! Pourquoi pas « des psychanalystes », après ce que je viens de vous dire ? Ça serait plus conforme à mon thème de cette année, c’est-à-dire « y a d’l’un ». Y en a des qui se disent tels. Je suis d’autant moins à discuter leur dire qu’il n’y en a pas d’autres. Je dis « du », pourquoi ? C’est parce que c’est à eux que je parle malgré la présence d’un très grand nombre de personnes qui ne sont pas psychanalystes ici. Le psychanalyste donc sait ce que je dis. Ils le savent, je vous l’ai dit, d’expérience, si peu qu’ils en aient, même si ça se réduit à la didactique qui est l’exigence minimale pour que psychanalystes ils se disent. Car même si ce que j’ai appelé « la passe » est manqué, eh bien, ça se réduira à ça qu’ils auront eu une psychanalyse didactique, mais en fin de compte, ça suffit pour qu’ils sachent ce que je dis. La passe — c’est toujours dans SCILICET que tout ça traîne, c’est plutôt l’endroit indiqué — quand je dis que la presse est manquée, ça ne veut pas dire qu’ils ne se sont pas offerts à l’expérience de la passe. Comme je l’ai souvent marqué, cette expérience de la passe est simplement ce que je propose à ceux qui sont assez dévoués pour s’y exposer à de seules fins d’information sur un point très délicat et qui consiste à en somme, ce qui s’affirme de la façon la plus sûre, c’est que c’est tout à fait a-normal — objet a normal — que quelqu’un qui fait une psychanalyse veuille être psychanalyste. Il y faut vraiment une sorte d’aberration qui vaut, qui valait la peine d’être offerte à tout ce qu’on pouvait recueillir de témoignage.

C’est bien en ça que j’ai institué provisoirement cet essai de recueil pour savoir pourquoi quelqu’un, qui sait ce que c’est que la psychanalyse par sa didactique, peut encore vouloir être analyste. Alors, je n’en dirai pas plus sur ce qu’il en est de leur position, simplement parce que j’ai choisi, cette année, « Le savoir du psychanalyste » comme étant ce que je proposais pour mon retour à Ste Anne. C’est pas pour ménager du tout les psychanalystes, ils n’ont pas besoin de moi pour avoir le vertige de leur position, je ne l’augmenterai pas à le leur dire. Oui ! Ce qui pourrait être fait — et je le ferais peut-être à un autre moment — ce qui pourrait être fait d’une manière piquante, dans une certaine référence que je n’appellerai « historique » qu’entre guillemets — enfin, vous verrez ça quand ça viendra, si je subsiste — pour ceux qui sont des fins finauds, je leur parlerai du mot tentation. Là, je ne parle que du savoir et je remarque qu’il ne s’agit pas de la vérité sur le savoir, mais du savoir sur la vérité, et que ceci, le savoir sur la vérité, s’articule de la pointe de ce que j’avance cette année sur le « y a d’l’un ». « Y a d’l’un » et rien de plus, mais c’est un Un très particulier, celui qui sépare le Un de Deux, et que c’est un abîme. Je répète, la vérité — je l’ai déjà dit — ça ne peut que se mi-dire quand le temps de battement sera passé qui fera que je peux en respecter l’alternance, je parlerai de l’autre face, du mi-vrai : il faut toujours séparer le bon grain et « l’ami-vrai » ! Comme je vous l’ai dit tout à l’heure peut-être, je reviens d’Italie où je n’ai jamais eu qu’à me louer de l’accueil, même de mes collègues psychanalystes ! Grâce à l’un d’entre eux, j’en ai rencontré un troisième qui est tout à fait à la page, enfin, à la mienne, bien entendu. Il opère avec Dedekind, et il a trouvé ça tout à fait sans moi, je ne peux pas dire que, à la date où il a commencé de s’y mettre, je n’y étais pas déjà, mais enfin c’est un fait que j’en ai parlé plus tard que lui, puisque je n’en parle que maintenant et que lui avait déjà écrit là-dessus tout un petit ouvrage. Il s’est aperçu de la valeur en somme des éléments mathématiques pour faire émerger quelque chose qui vraiment, notre expérience d’analyste, la concerne. Eh bien, comme il est tout à fait bien vu — il a tout fait pour ça — il a réussi à se faire entendre dans des endroits très bien placés de ce qu’on appelle l’ I.P.A. — l’Institution Psychanalytique Avouée, je traduirai — donc il a réussi à se faire entendre, mais ce qu’il y a de très curieux, c’est qu’on ne le publie pas.. On ne le publie pas en lui disant : « Vous comprenez, personne ne comprendra ! » Je dois dire que je suis surpris parce que, en somme, du « Lacan », entre guillemets, bien sûr, enfin, des choses de la veine que je suis censé représenter auprès des incompétents d’une certaine linguistique, on est plutôt pressé d’en bourrer l’International journal. Plus il y a des trucs dans la poubelle, naturellement, moins ça se discerne ! Alors pourquoi, diable, est-ce que dans ce cas on a cru devoir faire obstacle, puisque pour moi, il me semble que c’est un obstacle et que le fait qu’on dise que les lecteurs ne comprendront pas, c’est secondaire ? Il n’est pas nécessaire que tous les articles de l’International journal soient compris.

Il y a donc quelque chose qui là-dedans ne plaît pas. Mais il est évident que, comme celui que je viens — non pas de nommer parce que vous ignorez profondément son nom, il n’a encore rien réussi à publier — est parfaitement repérable, je ne désespère pas que, à la suite de ce qui filtrera des mes propos aujourd’hui — et surtout si on sait que je ne l’ai pas nommé on le publiera. Vraiment, ça a l’air de lui tenir assez à cœur pour que je l’aide à ça volontiers. Si ça ne vient pas, je vous en parlerai un peu plus ! Revenons au temps. Le psychanalyste a donc un rapport à ce qu’il sait, complexe. Il le renie, il le réprime, pour employer le terme dont en anglais se traduit le refoulement, la Verdrängung, et même il lui arrive de n’en rien vouloir savoir. Et pourquoi pas ? Qui est-ce que ça pourrait épater ? La psychanalyse, me direz-vous, alors quoi ! J’entends d’ici le bla-bla-bla de quiconque n’a pas de la psychanalyse la moindre idée. Je réponds à ce qui peut surgir de ce floor, comme on dit, je réponds : est-ce le savoir qui guérit, que ce soit celui du sujet ou celui supposé dans le transfert, ou bien est-ce le transfert, tel qu’il se produit dans une analyse donnée ? Pourquoi le savoir, celui dont je dis qu’a dimension tout psychanalyste, pourquoi le savoir serait-il, comme je disais tout à l’heure, avoué ? C’est de cette question que Freud a pris en somme la Verwerfung, il l’appelle « un jugement qui dans le choix rejette ». Il ajoute « qui condamne », mais je le condense. Ce n’est pas parce que la Verwerfung rend fou un sujet, quand elle se produit dans l’inconscient, qu’elle ne règne pas, la même et du même nom d’où Freud l’emprunte, qu’elle ne règne pas sur le monde comme un pouvoir rationnellement justifié. « Des psychanalystes », vous allez le voir, à la différence avec « le », « des psychanalystes », ça se préfère, ça se préfère soi, voyez-vous. C’est pas les seuls. Il y a une tradition là-dessus : la tradition médicale. Pour se préférer, on n’a jamais fait mieux, sauf les saints. Les saints : S.A.I.N.T.S., oui, on vous parle tellement des autres qu’il faut que je précise, parce que les autres… enfin, passons ! Les saints — s, a, i, n, t, s — ils se préfèrent eux-aussi, ils ne demandent même qu’à ça, ils se consument de trouver la meilleure façon de se préférer, alors qu’il y en a de si simples, comme le montrent les méde-saints, eux aussi. Enfin, ceux-là ne sont pas des saints, ça, ça va de soi. Il y a peu de choses aussi abjectes à feuilleter que l’histoire de la médecine. ça peut-être conseillé comme vomitif ou comme purgatif, ça fait les deux. Pour savoir que le savoir n’a rien à faire avec la vérité, il n’y a rien de plus convaincant. On peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte de provocateur. Ça n’empêche pas que le médecin se soit arrangé — et pour des raisons qui tenaient à ce que leur plate-forme avec le discours de la science devenait plus exiguë — que les médecins se soient arrangés à mettre la psychanalyse à leur pas. Et ça, ils s’y connaissaient, ceci naturellement d’autant plus que le psychanalyste étant fort embarrassé, comme je suis parti là-dessus, fort embarrassé de sa position, il était d’autant plus disposé à recevoir les conseils de l’expérience. Je tiens beaucoup à marquer ce point d’histoire qui est, dans mon affaire, pour autant qu’elle ait de l’importance, tout à fait un point-clé, grâce à cette conjuration contre laquelle est dirigé un article exprès de Freud sur la Laïernanalyse, grâce à cette conjuration qui a pu se produire peu après la guerre, Pavais déjà perdu la partie avant de l’avoir engagée. Simplement, je voudrais qu’on me croie là-dessus, parce que — pourquoi, je le dirai — si, ce soir je témoigne — et je ne le fais pas par hasard à Ste Anne puisque je vous ai dit que c’est là que je dis ce que je pense — si je déclare que c’est très précisément à ce titre de savoir très bien l’avoir, à l’époque, perdue que cette partie je l’ai engagée. Ça n’a rien d’héroïque, vous savez, il y a un tas de parties qui s’engagent dans ces conditions. C’est même un des fondements de la condition humaine, comme dit l’autre, et ça ne réussit pas plus mal que n’importe quelle autre entreprise. La preuve, hein !

Le seul ennui — mais il n’est que pour moi — c’est que ça ne vous laisse pas très libre, je dis ça en passant pour la personne qui m’a, il y a je ne sais pas quoi, le deuxième séminaire avant, qui m’a interrogé sur le fait si je croyais ou non à la liberté. Une autre déclaration que je veux faire et qui après tout a bien son importance, puisque après tout, je ne sais pas, c’est mon penchant ce soir, une autre déclaration qui celle-là alors est tout à fait prouvée — là, je vous demande de me croire, que je m’étais très bien aperçu que la partie était perdue, après tout je n’étais pas si malin, j’ai peut-être cru qu’il fallait foncer et que je foutrais en l’air l’Internationale Psychanalytique (Avouée), et là personne ne peut dire le contraire de ce que je vais dire, c’est que je n’ai jamais lâché aucune des personnes que je savais devoir me quitter avant qu’elle s’en aille elle-même. Et c’est vrai aussi du moment où la partie était en somme, pour la France, perdue, qui est celle à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure, ce petit brouhaha dans une conjuration médecin-psychanalyste d’où est sorti en 53 le début de mon enseignement. Les jours où l’idée de devoir poursuivre le dit enseignement ne m’habite pas, c’est-à-dire un certain nombre, il est évident que j’ai, comme tous les imbéciles, l’idée de ce que ça aurait pu être pour la Psychanalyse Française (!) si j’avais pu enseigner là où, pour la raison que je viens de dire, je n’étais nullement disposé à lâcher quiconque, je veux dire que si scandaleuses que fussent mes propositions sur « Fonction et Champ… et patati et patata… de la parole et du langage », mais j’étais disposé à couvrir le sillon pendant des années pour les gens même les plus durs de la feuille et, au point où nous en sommes, personne n’y aurait perdu parmi les psychanalystes. Je vous ai dit que j’avais fait un petit tour en Italie. Dans ces cas, je vais aussi… pourquoi pas, parce que il y a beaucoup de gens qui m’aiment : à propos, il y a quelqu’un qui m’a envoyé un verre à dents ! Je voudrais savoir qui c’est, pour la remercier, cette personne. Il y a une personne qui m’a envoyé un verre à dents. Je dis ça pour ceux qui étaient là au Panthéon la dernière fois. C’est une personne que je remercie d’autant plus que ce n’est pas un verre à dents. C’est un merveilleux petit verre rouge, long et galbé, dans lequel je mettrai une rose, qui que ce soit qui me l’ait envoyé. Mais je n’en ai reçu qu’un, ça je dois le dire. Enfin passons. II y a des personnes qui m’aiment un peu dans tous les coins, mêmes dans les couloirs du Vatican. Pourquoi pas, hein ? Il y a des gens très bien. Il n’y a que là ceci pour la personne qui m’interroge sur la liberté — il n’y a qu’au Vatican que je connaisse des libres-penseurs ? Moi, je suis pas un libre-penseur, je suis forcé de tenir à ce que je dis, mais là-bas, quelle aisance ! Ah ! On comprend que la Révolution Française ait été véhiculée par les abbés. Si vous saviez quelle est leur liberté, mes bons amis, vous auriez froid dans le dos. Moi, j’essaie de les ramener au dur, il n’y a rien à faire, ils débordent : la psychanalyse, pour eux, est dépassée ! Vous voyez à quoi ça sert, la libre-pensée : ils voient clair. C’était pourtant un bon métier, hein ? Ça avait des bons côtés. Quand ils disent que c’est dépassé, ils savent ce qu’ils disent. Ils disent : c’est foutu, parce que quand même on doit faire un peu mieux ! Je dis ça quand même pour, avertir les personnes, les personnes qui sont dans le coup, et particulièrement, bien sûr, celles qui me suivent, qu’il faut y regarder à deux fois avant d’y engager ses descendants, parce que c’est très possible qu’au train où vont les choses, ça tombe tout d’un coup sec, comme ça.

Enfin, c’est uniquement pour ceux qui ont à y engager leur descendance, je leur conseille la prudence. J’ai déjà parlé de ce qui se passe dans la psychanalyse, il faut quand même bien préciser certains points que j’ai déjà abordés, par conséquent que je crois pouvoir traiter brièvement au point où nous en sommes : c’est que c’est le seul discours — et rendons-lui hommage — c’est le seul discours, au sens où j’ai catalogué quatre discours, c’est le seul qui soit tel que la canaillerie y aboutisse nécessairement à la bêtise. Si on savait tout de suite que quelqu’un qui vient vous demander une psychanalyse didactique c’est une canaille, mais on lui dirait : « pas de psychanalyse pour vous, mon cher ! Vous en deviendrez bête comme chou ». Mais on ne le sait pas, c’est justement soigneusement dissimulé, on le sait quand même au bout d’un certain temps, dans la psychanalyse, la canaillerie étant toujours, non pas héréditaire, c’est pas d’hérédité qu’il s’agit, il s’agit de désir, désir de l’Autre d’où l’intéressé a surgi. Je parle du désir : c’est pas toujours le désir de ses parents, ça peut être celui de ses grands-parents, mais si le désir dont il est né est le désir d’une canaille, c’est une canaille immanquablement. Je n’ai jamais vu d’exceptions, et c’est même pour ça que j’ai toujours été si tendre pour les personnes dont je savais qu’elles devaient me quitter, au moins pour les cas où c’était moi qui les avais psychanalysées, parce que je savais bien qu’elles étaient devenues tout à fait bêtes. Je peux pas dire que je l’avais fait exprès, comme je vous l’ai dit, c’est nécessaire. C’est nécessaire quand une psychanalyse est poussée jusqu’au bout, ce qui est la moindre des choses pour la psychanalyse didactique. Si la psychanalyse n’est pas didactique, alors c’est une question de tact : vous devez laisser au type assez de canaillerie pour qu’il se démerde désormais convenablement. C’est proprement thérapeutique, vous devez le laisser surnager. Mais pour la psychanalyse didactique, vous pouvez pas faire ça, parce que Dieu sait ce que ça donnerait. Supposez un psychanalyste qui reste une canaille : ça hante la pensée de tout le monde ! Soyez tranquille, la psychanalyse, contrairement à ce qu’on croit, est toujours vraiment didactique, même quand c’est quelqu’un de bête qui la pratique, et je dirai même, d’autant plus. Enfin, tout ce qu’on risque, c’est d’avoir des psychanalystes bêtes. Mais c’est, comme je viens de vous le dire, en fin de compte, sans inconvénient, parce que quand même, l’objet a à la place du semblant, c’est une position qui peut se tenir. Voilà ! On peut être bête d’origine aussi. C’est très important à distinguer. Bon ! Alors, je n’ai rien trouvé de mieux, quant à moi, je n’ai rien trouvé de mieux que ce que j’appelle le mathème pour approcher quelque chose concernant le savoir sur la vérité, puisque c’est là en somme qu’on a réussi à lui donner une portée fonctionnelle.

C’est beaucoup mieux quand c’est Pierce qui s’en occupe, il met les fonctions zéro et un qui sont les deux valeurs de vérité. Il ne s’imagine pas par contre, qu’on peut écrire grand V ou grand F pour désigner la vérité et le faux. J’ai déjà indiqué ça en quelques phrases, j’ai déjà indiqué ça au Panthéon, c’est à savoir qu’autour du « yad’l’un », il y a deux étapes : le Parménide et puis ensuite il a fallu arriver à la Théorie des Ensembles, pour que la question d’un tel savoir, qui prend la vérité comme simple fonction, et qui est loin de s’en contenter, qui comporte un réel qui, avec la vérité, n’a rien à faire — ce sont les mathématiques — néanmoins, pendant des siècles, il faut croire que la mathématique se passait là-dessus de toute question, puisque c’est sur le tard, et par l’intermédiaire d’une interrogation logique, qu’elle a fait faire un pas à cette question qui est centrale pour ce qui est de la vérité, à savoir comment et pourquoi « yad’l’un » ! Vous m’excuserez, je ne suis pas le seul. « Yad’l’un », autour de cet Un tourne la question de l’existence. J’ai déjà fait là-dessus quelques remarques, à savoir que l’existence n’a jamais été abordée comme telle avant un certain âge et qu’on a mis beaucoup de temps à l’extraire de l’essence. J’ai parlé, du fait qu’il n’y eût pas en grec très proprement quelque chose de courant qui veuille dire « exister », non pas que j’ignorasse εξτστμι, εξισταμαι, mais plutôt que je constatasse qu’aucun philosophe ne s’en était jamais servi. Pourtant c’est là que commence quelque chose qui puisse nous intéresser. Il s’agit de savoir ce qui existe. Il n’existe que de l’Un — avec ce qui se presse autour de nous, je suis forcé ici aussi également de me presser — la Théorie des Ensembles, c’est l’interrogation : pourquoi « yad’l’un » ? L’Un, ça ne court pas les rues, quoi que vous en pensiez, y compris cette certitude tout à fait illusoire, et illusoire depuis très longtemps — ça n’empêche pas qu’on y tienne — que vous en êtes Un, vous aussi. Vous en êtes un, il suffit que vous essayiez même de lever le petit doigt pour vous apercevoir que, non seulement vous n’êtes pas Un, mais que vous êtes, hélas ! Innombrables, innombrables chacun pour vous. Innombrables jusqu’à ce qu’on vous ait appris, ce qui peut être un des bons résultats de l’affluent psychanalytique, que vous êtes selon les cas, tout à fait finis — ça, je vous le dis très vite, parce que je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer — tout à fait finis pour ce qui est des hommes — là c’est clair — finis, finis, finis ! Pour ce qui est des femmes dénombrables. Je vais tâcher de vous expliquer brièvement quelque chose qui commence à vous frayer là-dessus la voie, puisque, bien entendu, ce n’est pas des choses qui sautent aux yeux, surtout quand on ne sait pas ce que ça veut dire, « fini » et « dénombrable » ! Mais si vous suivez un peu mes indications, vous lirez n’importe quoi, parce que ça pullule maintenant, les ouvrages sur la Théorie des Ensembles, même pour aller contre. Il y a quelqu’un de très gentil que j’espère bien voir tout à l’heure pour m’excuser de ne pas lui avoir apporté ce soir un livre que j’ai tout fait pour trouver et qui est épuisé, qu’il m’a passé la dernière fois, et qui s’appelle « CANTOR A TORT ». C’est un très bon livre. C’est évident que Cantor à tort, d’un certain point de vue, mais il a incontestablement raison, pour le seul fait que ce qu’il a avancé a eu une innombrable descendance dans la mathématique, et que tout ce dont il s’agit, c’est ça : c’est que ce qui fait avancer la mathématique, ça suffit à ce que ça se défende. Même si Cantor a tort du point de vue de ceux qui décrètent, on ne sait pourquoi, que le nombre, ils savent ce que c’est, toute l’histoire des mathématiques bien avant Cantor a démontré qu’il n’y a pas de lieu où il soit démontrable, il n’y a pas de lieu où il soit plus vrai que l’impossible, c’est le réel. Ça a commencé aux Pythagoriciens à qui, un jour, a été asséné ce qu’ils devaient bien savoir, parce qu’il ne faut pas non plus les prendre pour des bébés, que racine de deux n’était pas commensurable. C’est repris par des philosophes, et ce n’est pas parce que ça nous est parvenu par le Théétète qu’il faut croire que les mathématiques de l’époque n’étaient pas à la hauteur et incapables de répondre, que justement de s’apercevoir que de ce que l’incommensurable existait, on commençait à se poser la question de ce que c’était que le nombre. Je ne vais pas vous faire toute cette histoire, il y a une certaine affaire de racine de moins un, une certaine affaire de racine de moins un qu’on a appelé depuis, on ne sait pourquoi, imaginaire. Il n’y a rien de moins imaginaire que racine de moins un comme la suite l’a prouvé, puisque c’est de là qu’est sorti ce qu’on peut appeler le nombre complexe, c’est-à-dire une des choses les plus utiles et les plus fécondes qui aient été créées en mathématiques.

Bref, plus se fait d’objections à ce qu’il en est de cette entrée par l’Un, c’est-à-dire par le nombre entier, plus il se démontre que c’est justement de l’impossible qu’en mathématique s’engendre le réel. Et c’est justement de ce que par Cantor ait pu être engendré quelque chose qui n’est rien de moins que toute l’œuvre de Russel, voire infiniment d’autres points qui ont été extrêmement féconds dans la Théorie des Fonctions, il est certain que, au regard du réel, c’est Cantor qui est dans le droit fil de ce dont il s’agit. Si je vous suggère, — je parle aux psychanalystes — de vous mettre un peu à cette page, c’est justement pour la raison qu’il y a quelque chose à en tirer dans ce qui est, bien sûr, votre péché mignon. Je dis ça parce que vous avez affaire à des êtres qui pensent, qui pensent, bien sûr, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, qui pensent comme Télémaque, comme tout au moins le Télémaque que décrit Paul-Jean Toulet : « ils pensent à la dépense », eh bien ! Ce dont il s’agit, c’est de savoir si vous, analystes, et ceux que vous conduisez dépensent ou non en vain leur temps. Il est clair qu’à cet égard, le pathos de pensée qui peut pour vous résulter d’une courte initiation, encore qu’il ne faut pas non plus qu’elle soit trop brève, à la Théorie des Ensembles, est quelque chose bien de nature à vous faire réfléchir sur des notions comme l’existence, par exemple. Il est clair que ce n’est qu’à partir d’une certaine réflexion sur les mathématiques, que l’existence a pris son sens. Tout ce qu’on en a pu dire avant, par une sorte de pressentiment, religieux notamment, à savoir que Dieu existe, n’a strictement de sens qu’en ceci qu’à mettre l’accent — je dois, y mettre l’accent parce qu’il y a des gens qui me prennent pour un maître à penser — c’est ceci : que vous y croyiez ou pas, gardez ça dans votre petit creux d’oreille — moi je n’y crois pas, mais on s’en fout, pour ceux qui y croient, c’est la même chose — que vous y croyiez ou pas, à Dieu, dites-vous bien qu’avec Dieu, dans tous les cas, qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, il faut compter. C’est absolument inévitable.

C’est pour ça que je récris au tableau ce autour de quoi j’ai essayé de faire tourner quelque chose sur ce qu’il en est du prétendu rapport sexuel. Je recommence : il existe un x tel que ce qu’il y a de sujet déterminable par une fonction qui est ce qui domine le rapport sexuel, à savoir la fonction phallique — c’est pour ça que je l’écris Φx — il existe un x qui détermine de ceci qu’il ait dit non à la fonction. Vous voyez que de là d’où je parle, vous voyez d’ores et déjà la question de l’existence liée à quelque chose dont nous ne pouvons pas méconnaître que ce soit un dire. C’est un « dire non » je dirai même plus, c’est un « dire que non ». Ceci est capital, ceci est justement ce qui nous indique le point juste où doit être pris, pour notre formation, formation d’analyste, ce qu’énonce la Théorie des Ensembles, il y en a Un « au-moins-Un » qui « dit que non ». C’est un repère, c’est un repère, bien entendu, qui ne tient pas même un instant, qui n’est d’aucune façon enseignant, ni enseignable, si nous ne le conjoignons pas à cette inscription quantificatrice des quatre termes, à savoir le quanteur dit universel, x. Φ x, c’est-à-dire le point d’où il peut être dit, comme cela s’énonce dans la doctrine freudienne, qu’il n’y a de désir, de libido — c’est la même chose — que masculine. C’est, à la vérité, une erreur qui a tout son prix de repère. Que les trois autres formules, à savoir il n’existe pas, cet x, pour dire qu’il n’est pas vrai que la fonction phallique soit ce qui domine le rapport sexuel et que, d’autre part, nous devions — je ne dis pas « nous puissions » écrire — qu’à un niveau complémentaire de ces trois termes, nous devions écrire la fonction du « pas-tout » comme étant essentielle à un certain type de rapport à la fonction phallique en tant qu’elle fonde le rapport sexuel, c’est là évidemment ce qui fait, de ces quatre inscriptions, un ensemble. Sans cet ensemble, il est impossible de s’orienter correctement dans ce qu’il en est de la pratique de l’analyse pour autant qu’elle a affaire avec ce quelque chose qui couramment se définit comme étant l’homme, d’une part, et, d’autre part, ce correspondant généralement qualifié de femme, qui le laisse seul. Il le laisse seul, c’est pas la faute du correspondant, c’est la faute de l’homme. Mais faute ou pas faute, c’est une affaire que nous n’avons pas à trancher immédiatement, je le signale au passage ; ce qu’il importe pour l’instant c’est d’interroger le sens de ce que peuvent avoir à faire ces quatre fonctions qui ne sont que deux : l’une, négation de la fonction de l’autre, fonction opposée, ces quatre fonctions pour autant que les diversifie leur accouplement quanté. Il est clair que ce que veut dire le -x, barré, c’est-à-dire négation de x, est quelque chose qui depuis longtemps — et depuis assez à l’origine pour qu’on puisse dire qu’on est absolument confondu que Freud l’ait ignoré —  de x, négation de Φx, à savoir cet « au-moins-Un ! cet Un tout seul qui se détermine d’être l’effet du « dire-que-non » à la fonction phallique, c’est très précisément le point sous lequel il faut que nous mettions tout ce qui s’est dit jusqu’à présent de l’Œdipe, pour que l’Œdipe soit autre chose qu’un mythe. Et ceci a d’autant plus d’intérêt qu’il ne s’agit pas là de genèse, ni d’histoire, ni de quoi que ce soit qui ressemble, comme il semble à certains moments dans Freud que ç’ait pu être énoncé par lui, à savoir un évènement. II ne saurait s’agir d’évènement à ce qui nous est représenté comme étant avant toute histoire. Il n’y a d’évènement que ce qui se connote dans quelque chose qui s’énonce. II s’agit de structure. Qu’on puisse parler de « Tout-homme » comme étant sujet à la castration, c’est ce pourquoi, de la façon la plus patente, le mythe d’Œdipe est fait. Est-il nécessaire de se mettre à retourner à des fonctions mathématiques pour énoncer un fait logique qui est celui-ci : c’est que, s’il est vrai que l’inconscient est structuré comme un langage, la fonction de la castration y est nécessités c’est exactement en effet ce qui implique quelque chose qui y échappe. Et quoi que ce soit qui y échappe, même si ce n’est pas — pourquoi pas, car c’est dans le mythe — quelque chose d’humain, après tout, mais pourquoi ne pas voir le père du meurtre primitif comme un orang-outang, beaucoup de choses qui coïncident dans la tradition, la tradition d’où tout de même il faut dire que la psychanalyse surgit : de la tradition judaïque. Dans la tradition judaïque, comme j’ai pu l’énoncer, l’année où je n’ai pas voulu faire plus que mon premier séminaire sur les « Noms du Père », j’ai quand même eu le temps d’y accentuer que dans le sacrifice d’Abraham, ce qui est sacrifié, c’est effectivement le père, lequel n’est autre qu’un bélier. Comme dans toute lignée humaine qui se respecte, sa descendance mythique est animale. De sorte qu’en fin de compte, ce que je vous ai dit, l’autre jour, de la fonction de la chasse chez l’homme, c’est de ça qu’il s’agit, je ne vous en ai pas dit bien long, bien sûr, j’aurai pu vous en dire plus sur le fait que le chasseur aime son gibier, tels les fils, dans l’évènement dit primordial dans la mythologie freudienne, ils ont tué le père… comme ceux dont vous voyez les traces sur les grottes de Lascaux, ils l’ont tué, mon Dieu, parce qu’ils l’aimaient, bien sûr, comme la suite l’a prouvé, la suite est triste. La suite est très précisément que tous les hommes,  de x, A renversé, l’universalité des hommes est sujette à la castration. Qu’il y ait « une exception, nous ne l’appellerons pas, du point d’où nous parlons, mythique. Cette exception, c’est la fonction inclusive : quoi énoncer de l’universel, sinon que l’universel soit enclos, enclos précisément par la possibilité négative. Très exactement, l’existence ici joue le rôle du complément ou, pour parler plus mathématiquement, du bord. Et c’est ce qui inclut ceci qu’il y a quelque part un tout x, un tout x qui devient un tout petit a — je veux dire un A renversé de (a) :  a — chaque fois qu’il s’incarne, qu’il s’incarne dans ce qu’on peut appeler « Un être », « Un être » au moins qui ne se pose que comme être et à titre d’homme nommément. C’est très précisément ce qui fait que ce soit dans l’autre colonne, et avec un type de rapport qui est fondamental, que puisse s’articuler quelque chose dans quoi se range, puisse se ranger, pour quiconque sache penser avec ces symboles, au titre de la femme.. Rien que de l’articuler ainsi, ceci nous fait sentir qu’il y a quelque chose de remarquable, de remarquable pour vous, que ce qui s’en énonce, c’est qu’il n’y en a pas une qui, dans l’énoncé, dans l’énoncé qu’il n’est pas vrai que la fonction phallique domine ce qu’il en est du rapport sexuel, s’inscrive en faux.

Et pour vous permettre de vous y retrouver au moyen de référence qui vous sont un petit peu plus familières, je dirai, mon Dieu, puisque j’ai parlé tout à l’heure du père, je dirai ce que concerne ce « Il n’existe pas de x qui se détermine comme sujet dans l’énoncé du dire-que-non à la fonction phallique », c’est à proprement parler de la vierge. Vous savez que Freud en fait un état le tabou de la virginité, etc…, et d’autres histoires follement folkloriques autour de cette affaire, et le fait qu’autrefois les vierges étaient baisées pas par n’importe qui, il fallait au moins un grand prêtre ou un petit seigneur, enfin qu’importe. L’important n’est pas ça. L’important en effet, c’est qu’on puisse dire autour de cette fonction du « vif », cette fonction du « vif » si frappante en ceci qu’il n’y ait jamais que d’une femme après tout qu’on dise qu’elle soit virile. Si vous avez jamais entendu parler, au moins de nos jours, d’un type qui le soit, vous me le montrerez, ça m’intéressera ! Là par contre, si l’homme est tout ce que vous voulez dans le genre virtuose, vire à bâbord, parer à virer, vire ce que tu veux, le viril, c’est du côté de la femme, c’est la seule à y croire. Elle pense ! C’est même ce qui la caractérise. Je vous expliquerai tout à l’heure — il faut que je vous le dise tout de suite — que c’est pour ça — je vous expliquerai dans le détail pourquoi — que la virgo n’est pas dénombrable, parce qu’elle se situe, contrairement à l’Un qui est du côté du père, elle se situe entre l’Un et le Zéro. Ce qui est entre l’Un et le Zéro, c’est très connu et ça se démontre même quand on a tort, ça se démontre dans la théorie de Cantor, ça se démontre d’une façon que je trouve absolument merveilleuse. Il y en a au moins là quelques-uns qui savent de quoi je parle, de sorte que je vais l’indiquer brièvement : il est tout à fait démontrable que ce qui est entre l’Un et le Zéro — ça se démontre grâce aux décimales — on se sert de décimales dans le système du même nom : décimal, et il est très facile de montrer que supposez — il faut le supposer — supposez que ce soit dénombrable, la méthode dite de la diagonale peut permettre de forger toujours une nouvelle suite décimale telle qu’elle ne soit certainement pas inscrite dans ce qui a été dénombré. Il est strictement impossible de construire ce dénombrable, de donner même une façon, si mince soit-elle, de le ranger, ce qui est bien la moindre des choses, parce que le dénombrable se définit de correspondre à la suite des nombres entiers. C’est donc purement et simplement d’un supposé — et là-dessus on accusera très volontiers comme il se fait dans ce livre, « Cantor a tort » — Cantor d’avoir tout simplement forgé un cercle vicieux. Un cercle vicieux, mes bon amis, mais pourquoi pas ! Plus un cercle est vicieux, plus il est drôle, surtout si on peut en faire sortir quelque chose, quelque chose comme ce petit oiseau qui s’appelle le non-dénombrable, qui est bien une des choses les plus éminentes, les plus astucieuses, les plus collants au réel du nombre qui ait jamais été inventés. Enfin, laissons ! Les onze mille Vierges, comme il se dit dans la Légende de Dorée, c’est la façon d’exprimer le non-dénombrable. Parce que les onze mille, vous comprenez, c’est un chiffre énorme, c’est surtout un chiffre énorme, pour des vierges, et pas seulement par les temps qui courent !

Donc, nous, nous avons pointé ces faits, tâchons maintenant de comprendre ce qu’il en advient, de ce « Pas-Toute », qui est vraiment le point vif, le point original de ce que j’ai inscrit au tableau. Car nulle part, jusqu’à présent, dans la logique, n’a été mise, promue, mise en avant la fonction du « Pas-Toute » comme telle. Le mode de la pensée, pour autant qu’il est, si je puis dire, subverti par le manque du rapport sexuel, pense et ne pense qu’au moyen de l’Un. L’Universel, c’est ce quelque chose qui résulte de l’enveloppement d’un certain champ par quelque chose qui est l’ordre de l’Un, à ceci près qui est la véritable signification de la notion de l’ensemble, c’est très précisément ceci, c’est que l’ensemble, c’est la notation mathématique de ce quelque chose où, hélas, je ne suis pas pour rien, qui est une certaine définition, celle que je note du S barré, ($), c’est à savoir du sujet, du sujet pour autant qu’il n’est rien d’autre que l’effet de signifiant, autrement dit ce que je représente un signifiant pour un autre signifiant. L’ensemble, c’est la façon dont, à un tournant de l’histoire, les gens les moins faits pour mettre au jour ce qu’il en est du sujet, s’y sont trouvés, si l’on peut dire, nécessités. L’ensemble n’est rien d’autre que le sujet. C’est bien pour cela qu’il ne saurait même se manier sans l’addition de l’ensemble vide (Ø). Jusqu’à un certain point, je dirai que l’ensemble vide se démarque dans sa nécessité de ceci qu’il peut être pris pour un élément de l’ensemble, à savoir que l’inscription de la parenthèse qui désigne l’ensemble avec comme élément l’ensemble vide (Ø) , est quelque chose sans quoi est absolument impensable tout maniement de cette fonction, de cette fonction qui — je vous le répète, je pense vous l’avoir suffisamment indiqué — est faite très précisément à un certain tournant pour interroger, interroger au niveau du langage commun — je souligne commun, parce que ce n’est nullement ici aucun, de quelque sorte que ce soit, métalangage qui règne — pour interroger du point de vue logique, interroger avec le langage tout ce qu’il en est de l’incidence, dans le langage lui-même, du nombre, c’est-à-dire de quelque chose qui n’a rien à faire avec le langage, de quelque chose qui est plus réel que n’importe quoi, le discours de la science l’a suffisamment manifesté. Pas-Tout — il manquait la barre — c’est très précisément ce qui résulte de ceci, non pas que rien ne le limite, mais que la limite est autrement située.

Ce qui fait que le Pas-Tout, si je puis dire et je le dirai pour aller vite, c’est ceci : c’est que contrairement à l’inclusion dans de x « il existe le Père dont le dire-non le situe par rapport à la fonction phallique », inversement c’est en tant qu’il y a le vide, le manque, l’absence de quoi que ce soit qui dénie la fonction phallique au niveau de la femme, que, inversement, il n’y a rien d’autre que ce quelque chose que le « Pas-Tout » formule dans la position de la femme à l’endroit de la fonction phallique. Elle est en effet, pour elle, « pas toute ». Ce qui ne veut pas dire que, sous quelque incidence que ce soit, elle le nie. Je ne dirai pas qu’elle soit autre, parce que très précisément le mode sous lequel elle n’existe pas dans cette fonction, de la nier, ce qui est très précisément ce mode, c’est qu’elle est ce qui dans mon graphe s’inscrit du signifiant de ceci, que l’Autre est barré, S (A). La femme n’est pas le lieu de l’Autre et, plus encore, elle s’inscrit très précisément comme n’étant pas l’Autre dans la fonction que je donne au grand A, à savoir comme étant le lieu de la vérité. Et ce qui s’inscrit dans la non-existence de ce qui pourrait nier la fonction phallique, de même qu’ici j’avais traduit par la fonction de l’ensemble vide de l’existence du « dire-que-non », de même c’est de s’absenter et même c’est d’être ce « jouiscentre », ce « jouiscentre » qui est conjugué à ce que je n’appellerai pas une absence, mais une « dé-sence » — S.E.N.C.E. — que la femme se pose pour ce fait signifiant, non seulement que le grand Autre n’est pas là, ce n’est pas elle, mais qu’il est tout à fait ailleurs, au lieu où il situe la parole. Il me reste — puisque après tout vous avez la patience à une heure qui est déjà onze, de continuer à m’entendre — à pointer ceci qui est capital dans ce qu’après tout ici pour vous je force à la fin de l’année, un certain nombre de thèmes qui sont des thèmes cristallisants, c’est de dénoter la béance qui sépare chacun de ces termes en tant qu’ils sont énoncés. Il est clair qu’entre le 3 de x, « il existe », et le « il n’existe pas », on n’a pas à baragouiner, c’est l’existence. Il est clair qu’entre « il existe un qui ne » et « il n’y en a pas Un qui ne soit », il y a la contradiction Quand Aristote fait état des propositions particulières pour les opposer aux universelles, c’est entre une particulière positive par rapport à une universelle négative qu’il institue la contradiction. Ici, c’est le contraire : c’est la particulière qui est négative et c’est l’universelle qui est positive. Ici, ce que nous avons entre ce Non  de x. Non Φ de x, qui est la négation d’aucune universalité, ce que nous avons — je ne fais ici que vous l’indiquer, je le justifierai par la suite — c’est l’indécidable Entre les deux  de x, dont toute notre expérience nous montre, je pense assez, que la situation n’est pas simple, ce dont il s’agit, c’est quoi ? Nous l’appellerons le manque, nous l’appellerons la faille, nous l’appellerons, si vous voulez, le désir et, pour être plus rigoureux, nous l’appellerons l’objet a. Alors, il s’agit de savoir comment, au milieu de tout ça — j’espère que certains tout au moins l’auront pris en note — comment au milieu de tout ça fonctionne quelque chose qui pourrait ressembler à une circulation. Pour ça, il faut s’interroger sur le mode dont sont posés ces quatre termes.. Le  de x, en haut à gauche, c’est littéralement le nécessaire. Rien n’est pensable, c’est surtout pas notre fonction de penser à nous autres, hommes. Enfin, une femme, ça pense, ça pense même de temps en temps « donc je suis », en quoi, bien sûr, elle se trompe. Mais enfin, pour ce qui est du nécessaire, il est absolument nécessaire, — et c’est ça que nous livre Freud avec cette histoire à dormir debout de Totem et… Debout — est absolument nécessaire de penser quoi que ce soit aux rapports — qu’on appelle humains, on ne sait pas pourquoi — dans l’expérience qui s’instaure dans le discours analytique, il est absolument nécessaire de poser qu’il existe Un pour qui la castration, à la gare… La castration, ça veut dire quoi ? Ça veut dire surtout laisse à désirer, ça ne veut rien dire d’autre. Ben voilà ! Pour penser ça, c’est-à-dire à partir de la femme, il faut qu’il y en ait un pour qui rien ne laisse à désirer. C’est l’histoire du mythe d’œdipe, mais c’est absolument nécessaire, c’est absolument nécessaire. Si vous perdez ça, je vois absolument pas ce qui peut vous permettre de vous y retrouver d’une façon quelconque. C’est très important de se retrouver. Alors voilà, c’est  de x. Je vous ai déjà dit que c’est nécessaire à partir de quoi ? A partir justement de ce que, ma foi, je vous ai écrit là tout à ‘l’heure d’indécidable, de ce qu’on ne pourrait absolument rien dire qui ressemble à quoi que ce soit qui puisse faire fonction de vérité si, si on n’admettait pas, ce nécessaire : il y en a au moins Un qui dit non.

J’insiste un peu. J’insiste, parce que je n’ai pas pu ce soir — on a été dérangés — vous raconter toutes les gentillesses que j’aurai voulu vous dire à ce propos. Mais j’en avais une bien bonne et, puisqu’on me taquine, je m’en vais vous la sortir. Quand même c’est la fonction de l’é-Pater. EPATER. On s’est beaucoup interrogé sur la fonction du « pater familias ». Il faudrait mieux centrer ce que nous pouvons exiger de la fonction du père ; cette histoire de carence paternelle, qu’est-ce qu’on s’en gargarise ! Il y a une crise, c’est un fait, c’est pas tout à fait faux ; l’é-Pater ne nous épate plus. C’est la seule fonction véritablement décisive du père. J’ai déjà marqué que ce n’était pas l’Œdipe, que c’était foutu, que si le père était un législateur, ça donnait le Président Schreber comme enfant. Rien de plus. Sur n’importe quel plan, le père c’est celui qui doit épater la famille. Si le père n’épate plus la famille, naturellement… mais on trouvera mieux ! C’est pas forcé que ce soit le père charnel, il y en a toujours un qui épatera la famille dont chacun sait que c’est un troupeau d’esclaves. Il y en aura d’autres qui l’épateront. Vous voyez comme la langue française peut servir à bien des choses. Je vous ai déjà expliqué ça la dernière fois, j’avais commencé par un truc : « fondre » ou « fonder d’eux un Un », au subjonctif, c’est le même truc : pour fonder il faut fondre. Il y a des choses qui ne peuvent s’exprimer que dans la langue française, c’est justement pour ça qu’il y a l’inconscient. Parce que ce sont les équivoques qui fondent dans les deux sens du mot, il n’y a même que ça.. Si vous vous interrogez sur le « Tous » en cherchant comment c’est exprimé en chaque langue, vous trouverez des tas de trucs, des trucs absolument sensationnels. Personnellement, je me suis beaucoup enquis du Chinois parce que je ne peux pas faire un catalogue des langues du monde entier. J’ai aussi interrogé quelqu’un, grâce à la charmante trésorière de notre École, qui a fait écrire par son père comme on disait « Tous » en Yoruba. Mais c’est fou, vous comprenez ! Je fais ça pour l’amour de l’art, mais je sais bien que de toute façon, je trouverai que dans toutes les langues, il y a un moyen pour dire « Tous ». Moi, ce qui m’intéresse, c’est le signifiant, comme Un, c’est de quoi on se sert dans chaque langue et le seul intérêt du signifiant, c’est les équivoques qui peuvent en sortir, c’est-à-dire quelque chose de l’ordre du « fondre d’eux un Un », et d’autres conneries de cette espèce. C’est la seule chose intéressante, parce que pour nous ce qui est du « Tous », vous trouverez toujours ça exprimé : le « Tous » est forcément sémantique. Le seul fait que je dise que je voudrais interroger toutes les langues résout la question, puisque les langues justement ne sont « pas toutes », c’est leur définition, par contre si je vous interroge sur le « Tous », vous comprenez. Oui, enfin la sémantique, ça revient à la traductibilité. Qu’est-ce que je pourrais en donner d’autre comme définition ! La sémantique, c’est ce grâce à quoi un homme et une femme ne se comprennent que s’ils ne parlent pas la même langue. Enfin, je vous dis tout ça pour vous faire des exercices et parce que je suis là pour ça et puis aussi peut-être pour vous ouvrir un petit peu la comprenoire sur l’usage que je fais de la linguistique. Oui ! Je veux en finir. Alors pour ce qui est de ce qui nécessite l’existence, nous partons justement de ce point que j’ai tout à l’heure inscrit, de la béance de l’indécidable, c’est-à-dire entre le « pas-tout » et le « pas-une ». Et après, ça va là, à l’existence. Puis après ça, ça va là. A quoi ? Au fait que tous les hommes sont en puissance de castration. Ça va au possible, car l’universel n’est jamais rien d’autre que ça. Quand vous dites que « Tous les hommes sont des mammifères », ça veut dire que tous les hommes possibles peuvent l’être. Et après ça, où ça va ? Ça va là, à l’objet a. C’est avec ça que nous sommes en rapport. Et après ça, ça va où ? Ça va là, où la Femme se distingue de n’être pas unifiante.

Voilà ! Il reste plus qu’à compléter ici pour aller vers la contradiction et à revenir du « Pas-Toutes », qui n’est en somme rien d’autre que l’expression de la contingence. Vous voyez ici, comme je l’ai déjà signalé en son temps, l’alternance de la nécessité, du contingent, du possible et de l’impossible n’est pas dans l’ordre qu’Aristote donne ; car ici, c’est de l’impossible qu’il s’agit, c’est-à-dire en fin de compte, du réel. Alors, suivez bien ce petit chemin, parce qu’il nous servira par la suite. Vous en verrez quelque chose. Voilà ! Il faudrait indiquer les quatre triangles dans les coins comme ça, la direction des flèches est également indiquée. Vous y êtes ? Et, ici le (….) Schéma correspondant (sans certitude) Voilà ! Je trouve que j’en ai assez fait pour ce soir. Je ne désire pas finir sur une péroraison sensationnelle, mais la question que, oui, c’est assez bien écrit. Nécessaire, impossible…

On n’entend pas !

LACAN – Hein ? Nécessaire, impossible, possible et contingent.

On n’entend rien !

LACAN – Je m’en fous ! Voilà ! C’est un frayage. Vous entendrez la suite dans presque quinze jours. Puisque c’est le 14 que je ferais mon prochain séminaire au Panthéon. Je ne suis pas sûr que ce ne sera pas le dernier. Il y a peu de choses aussi abjectes à feuilleter que l’histoire de la médecine, ça peut être conseillé comme vomitif ou comme purgatif, ça fait les deux. Pour savoir que le savoir n’a rien à faire avec la vérité, il n’y a rien de plus convaincant. On peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte de provocateur. Ça n’empêche pas que le médecin se soit arrangé — et pour des raisons qui tenaient à ce que leur plate-forme avec le discours de la science devenait plus exiguë — que les médecins se soient arrangés à mettre la psychanalyse à leur pas. Et ça, ils s’y connaissaient, ceci naturellement d’autant plus que le psychanalyste étant fort embarrassé, comme je suis parti là-dessus, fort embarrassé de sa position, il était d’autant plus disposé à recevoir les conseils de l’expérience.

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