vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

Le savoir du psychanalyste Entretiens de Sainte Anne 1971 – 1972 Leçon du 3 février 1972

Leçon du 3 février 1972

Je vais donc continuer un peu sur le thème du « Savoir du Psychanalyste ». Je ne le fais ici que dans la parenthèse que j’ai déjà, les deux premières fois, ouverte. Je vous ai dit que c’est ici que j’avais accepté, à la prière d’un de mes élèves, de reparler cette année pour la première fois depuis 63. Je vous ai dit, la dernière fois, quelque chose qui s’articulait en harmonie avec ce qui nous enserre : « je parle aux murs ! » Il est vrai que, de ce propos, j’ai donné un commentaire : un certain petit schéma, celui repris de la bouteille de Klein, qui devait rassurer ceux qui, de cette formule, pouvaient se sentir exclus : comme je l’ai longtemps expliqué, ce qu’on adresse aux murs a pour propriété de se répercuter. Que je vous parle ainsi indirectement n’était certes, pas fait pour offenser personne, puisqu’après tout, on peut dire que ce n’est pas là un privilège de mon discours ! Je voudrais aujourd’hui éclairer à propos de ce mur, qui n’est pas du tout une métaphore, éclairer ce que je peux dire ailleurs. Car évidemment, ça se justifiera, pour parler de Savoir, que ça ne soit pas à mon séminaire que je le fasse. Il ne s’agit pas en effet de n’importe lequel, mais du « Savoir du psychanalyste ». Voilà ! Pour introduire un peu les choses, suggérer une dimension à certains, j’espère, je dirai que… Qu’on ne puisse pas parler « d’amour », comme on dit, sinon de manière imbécile ou abjecte, ce qui est une aggravation — abjecte, c’est comme on en parle dans la psychanalyse — qu’on ne puisse donc parler d’amour, mais qu’on puisse en écrire, ça devrait frapper. La lettre, la lettre d'(a) mur, pour donner suite à cette petite ballade en six vers que j’ai commentée ici, la dernière fois, il est clair qu’il faudrait que ça se morde la queue, et que, si ça commence entre l’homme, dont personne ne sait ce que c’est, « entre l’homme et l’amour, il y a la femme » et puis, comme vous le savez, ça continue — je ne vais pas recommencer aujourd’hui- et ça devrait se terminer à la fin, à la fin il y a le mur : entre l’homme et le mur, il y a justement…. l’amour, la lettre d’amour. Ce qu’il y a de mieux dans ce curieux élan qu’on appelle l’amour, c’est la lettre, c’est la lettre qui peut prendre d’étranges formes. Il y a un type, comme ça, il y a trois mille ans, qui était certainement à l’acmé de ses succès, de ses succès d’amour, qui a vu apparaître sur le mur quelque chose que j’ai déjà commenté — je ne m’en vais pas le reprendre — « Mené, Mené » que ça se disait, « Téquel, Oupharsim », ce que d’habitude — je ne sais pas pourquoi -on articule : « Mané, Thécel, Phares ». Quand la lettre d’amour nous parvient — car, comme je l’ai expliqué quelquefois, les lettres viennent toujours à destination, heureusement elles arrivent trop tard, outre qu’elles sont rares ; il arrive aussi qu’elles arrivent à temps c’est les cas rares où les rendez-vous ne sont pas ratés ; il n’y a pas beaucoup de cas dans l’histoire où ça soit arrivé, comme à ce Nabuchodonosor quelconque.

Comme entrée en matière, je ne pousserai pas la chose plus loin, quitte à la reprendre. Car, cet (a) mur, tel que je vous le présente, ça n’a rien de très amusant. Or, moi, je ne peux pas me soutenir autrement que d’amuser, amusement sérieux ou comique : ce que j’avais expliqué la dernière fois, c’est que les amusements sérieux, ça se passerait ailleurs, dans un endroit où l’on m’abrite et que, pour ici, je réservais les amusements comiques. Je ne sais si je serai, ce soir, tout à fait à la hauteur, en raison peut-être de cette entrée sur la lettre d'(a) mur. Néanmoins, j’essaierai. J’ai expliqué, il y a deux ans, quelque chose qui, une fois passé dans la bonne voie, « poubellique », a pris le nom de « quadripode », c’était moi qui avait choisi ce nom et vous pourrez vous demander pourquoi je lui ai donné un nom aussi étrange : pourquoi pas « quadripède » ou tétrapode » ? Ça aurait eu l’avantage de ne pas être bâtard. Mais, en vérité, je me le suis demandé moi-même en l’écrivant, je l’ai maintenu je ne sais pas pourquoi, puis je me suis demandé ensuite comment on appelait dans mon enfance ces termes bâtards comme ça, mi-latins, mi-grecs. Je suis sûr d’avoir su comment les puristes appellent ça, et puis je l’ai oublié. Est-ce qu’il y a ici une personne qui sait comment on désigne les termes faits par exemple comme le mot « sociologie » ou « quadripode », d’un élément latin et d’un élément grec ? Je l’en supplie, que celui qui le sait l’émette !….Cf. La Bible, Le Livre de Daniel, V, 25 à 28 c’est-à-dire : mesuré, pesé, divisé. Eh bien ! C’est pas encourageant ! Parce que depuis hier, hier, c’est-à-dire que c’était avant-hier — que j’ai commencé à le chercher et comme je ne trouvais toujours pas, depuis hier j’ai téléphoné à une dizaine de personnes qui me paraissaient les plus propices à me donner cette réponse…. Bon… eh bien, tant pis ! Mes quadripodes en question, je les appelés ainsi pour vous donner l’idée qu’on peut s’asseoir dessus… histoire, puisque j’étais dans les mass-média, de rassurer un peu les personnes. Mais en réalité, j’explique à l’intérieur ceci, à propos de ce que j’ai isolé des quatre discours, quatre discours qui résultent de l’émergence du dernier venu, du discours de l’analyste. Le discours de l’analyste apporte en effet, dans un certain état actuel des pensées, un ordre dont s’éclairent d’autres discours qui ont émergé bien plus tôt. Je les ai disposés selon ce qu’on appelle une topologie, une topologie des plus simples, mais qui n’en est pas moins une topologie, topologie en ce sens qu’elle est mathématisable, et elle l’est de la façon la plus rudimentaire, à savoir qu’elle repose sur le groupement de pas plus de quatre points que nous appellerons « monade ». Ça n’a l’air de rien. Néanmoins, c’est si fortement inscrit dans la structure de notre monde qu’il n’y a pas d’autre fondement au fait de l’espace que nous vivons.

Remarquez bien ceci que, mettre quatre points à égale distance, c’est le maximum de ce que vous pouvez faire dans notre espace. Vous ne mettrez jamais cinq points à égale distance l’un de l’autre. Cette menue forme, que je viens de rappeler là, est la pour faire sentir de quoi il s’agit : si les quadripodes sont, non pas tétraèdre, mais tétrade, que le nombre des sommets soit égal à celui des surfaces est lié à ce même triangle arithmétique que j’ai tracé à mon dernier séminaire (cf. 19.1.72). Comme vous le voyez, pour s’asseoir, ça n’est pas de tout repos, ni l’un, ni l’autre. La position de gauche (cf., schéma plus haut), vous y êtes habitués, de sorte que vous ne la sentez même plus, mais celle de droite n’est pas plus confortable : imaginez-vous assis sur un tétraèdre posé sur la pointe. C’est pourtant de là qu’il faut partir pour tout ce qu’il en est de ce qui constitue ce type d’assiette sociale qui repose sur ce qu’on appelle un discours. Et c’est cela que j’ai proprement avancé dans mon avant-avant-dernier séminaire. Le tétraèdre, pour l’appeler par son aspect présent, a de curieuses propriétés, c’est que s’il n’est pas comme celui-là, régulier — l’égale distance n’est là que pour vous rappeler les propriétés du nombre quatre, eu égard à l’espace — s’il est quelconque, il vous est proprement impossible d’y définir une symétrie. Néanmoins, il a ceci de particulier, c’est que, si ses côtés, à savoir ces petits traits que vous voyez qui joignent ce qu’on appelle, en géométrie, des sommets, si ces petits traits vous les vectorisez, c’est-à-dire, que vous y marquiez un sens, il suffit que vous posiez comme principe qu’aucun des sommets ne sera privilégié de ceci, qui serait forcément un privilège — puisque, si ça se passait, il y en aurait au moins deux qui ne pourraient pas en bénéficier — si donc vous posez que nulle part il ne peut y avoir convergence de trois vecteurs, ni nulle part divergence de trois vecteurs du même sommet, vous obtenez alors nécessairement la répartition qui est la propriété d’un des sommets, la divergence, mais sans aucun vecteur qui arrive pour le nourrir, le discours, mais qu’inversement, à l’opposé, vous avez ce trajet triangulaire. Ceci suffit à permettre de distinguer en tous les cas, par un caractère qui est absolument spécial, ces quatre pôles que j’énonce des termes de la Vérité, du Semblant, de la jouissance et du Plus-de-jouir. Ceci est la topologie fondamentale d’où ressort toute fonction de la parole et mérite d’être commenté. C’est en effet une question que le discours de l’analyste est bien fait pour faire surgir que de savoir quelle est la fonction de la parole. « Fonction et champ de la parole et du langage », c’est ainsi que j’ai introduit ce qui devait nous mener jusqu’à ce point présent de la définition d’un nouveau discours. Non pas certes que ce discours soit le mien : à l’heure où je vous parle, ce discours est bel et bien, depuis près de trois quarts de siècle, installé. Ce n’est pas une raison parce que l’analyste lui-même est capable, dans certaines zones, de se refuser à ce que j’en dis, qu’il n’est pas support de ce discours et, à la vérité, « être support », ça veut dire seulement, dans l’occasion, « être supposé ». Mais que ce discours puisse prendre sens de la voix même de quelqu’un qui y est — c’est mon cas » tout autant sujet qu’un autre, c’est justement ce qui mérite qu’on s’y arrête, afin de savoir d’où se prend ce sens. A entendre ce que je viens d’avancer, la question du sens, bien sûr, peut vous sembler ne pas poser de problèmes, je veux dire qu’il semble que le discours de l’analyste fait assez appel à l’interprétation pour que la question ne se pose pas. Effectivement, sur un certain gribouillage analytique, il semble qu’on peut lire — et ce n’est pas surprenant, vous allez voir pourquoi — tous les sens que l’on veut jusqu’au plus archaïque, je veux dire y avoir comme l’écho, la sempiternelle répétition de ce qui, du fond des âges, nous est venu sous ce terme, ce terme de… de sens, sous des formes dont il faut bien dire qu’il n’y a que leur superposition qui fasse sens. Car, à quoi doit que nous comprenons quoi que ce soit du symbolisme usité dans l’Ecriture, Sainte par exemple ? La rapprocher d’une mythologie, quelle qu’elles soit, chacun sait que c’est là une sorte de glissement des plus trompeurs ; personne, depuis un temps, ne s’y arrête. Que quand on étudie d’une façon sérieuse ce qu’il en est des mythologies, ce n’est pas à leur sens qu’on se réfère, c’est à la combinatoire des mythèmes. Référez-vous là-dessus à des travaux dont je n’ai pas, je pense, à vous évoquer, une fois de plus, l’auteur. La question est donc bien de savoir d’où ça vient, le sens. Je me suis servi parce que c’était bien nécessaire, je me suis servi, pour introduire ce qu’il en est du discours analytique, je me suis servi sans scrupule du frayage dit linguistique et, pour tempérer des ardeurs qui, autour de moi, auraient pu s’éveiller trop tôt, vous faire retourner dans la « fange » ordinaire, j’ai rappelé que ne s’est soutenu quelque chose digne de ce titre « linguistique » comme science, que ne s’est soutenu quelque chose qui semble avoir la langue comme telle, voire la parole, comme objet, que ça ne s’est soutenu qu’à condition de se jurer entre soi, entre linguistes, de ne jamais, plus jamais — parce qu’on n’avait fait que ça pendant des siècles — plus jamais, même de loin, faire allusion à l’origine du langage. C’était, entre autres, un des mots d’ordre que j’avais donné à cette forme d’introduction qui s’est articulée de ma formule : « L’inconscient est structuré comme un langage ». Quand je dis c’était pour éviter à mon audience le retour à une certaine « équivoque fangeuse » — c’est pas pour moi qui me sers de ce terme, c’est Freud lui-même, et nommément justement à propos des archétypes dits jungiens -ça n’est certainement pas pour lever maintenant cet interdit. Il n’est nullement question de spéculer sur quelque origine du langage, j’ai dit qu’il est question de formuler la fonction de la parole. La fonction de la parole, il y a très longtemps que j’ai avancé ça, c’est d’être la seule forme d’action qui se pose comme vérité. Qu’est-ce que c’est, non pas que la parole, c’est une question superflue : non seulement je parle, vous parlez, et même « ça parle », comme je l’ai dit, ça va tout seul, c’est un fait, je dirai même que c’est l’origine de tous les faits parce que quoi que ce soit ne prend rang de fait que quand c’est dit, il faut dire que je n’ai pas dit « quand c’est parlé » il y a quelque chose de distinct entre parler et dire. Une parole qui fonde le fait, ça, c’est un dire, mais la parole fonctionne même quand elle ne fonde aucun fait qand elle commande, quand elle prie, quand elle injurie, quand elle émet un vœu, elle ne fonde aucun fait. Nous pouvons aujourd’hui ici — c’est pas des choses que j’irais produire là-bas, à l’autre place où heureusement je dis des choses plus sérieuses ! Ici, parce que c’est impliqué dans ce sérieux que je développe toujours plus en pointe et en restant toujours à la dite pointe, comme à mon dernier séminaire — j’espère qu’il se fera qu’au prochain, il y aura moins de monde parce qu’il n’était pas rigolo -mais enfin ici on peut rigoler, c’est des amusements comiques. Dans l’ordre de l’amusement comique, la parole, c’est pas pour rien que, dans les dessins animés, on vous la chiffre sur des banderoles, la parole c’est comme là où ça bande… rôle ou pas… !

C’est pas pour rien que ça instaure le dimension de la vérité, parce que la vérité, la vraie, la vraie vérité, la vérité telle qu’il se fait qu’on a commencé à l’entrevoir seulement avec le discours analytique, c’est ce que révèle ce discours à tout un chacun, qui simplement s’y engage d’une façon axante comme analysant, c’est que — excusez-moi de reprendre ce terme, mais puisque j’ai commencé, je ne l’abandonne pas — c’est que, là-bas, place du Panthéon, j’appelle          Φ de x — c’est que de bander, ça n’a aucun rapport avec le sexe, pas avec l’autre, en tout cas ! Bander — on est ici entre des murs — bander pour une femme — il faut tout de même appeler ça par son nom — ça veut dire lui donner la fonction Φ de x, ça veut dire : la prendre comme phallus. C’est pas rien, le phallus ! Je vous ai déjà expliqué, là-bas où c’est sérieux, je vous ai expliqué ce que ça fait, je vous ai dit que la signification du phallus, c’est le seul cas de génitif pleinement équilibré. Ça veut dire que le phallus, c’est que ce que vous expliquait, ce matin — je dis ça pour ceux qui sont un peu avertis — c’est que ce que vous expliquait Jakobson : le phallus, c’est la signification, c’est ce par quoi le langage signifie, il n’y a qu’une seule Bedeutung, c’est le phallus. Partons de cette hypothèse, ça nous expliquera très largement l’ensemble de la fonction de la parole, car elle n’est pas toujours appliquée à dénoter des faits — c’est tout ce qu’elle peut faire, on ne dénote pas des choses, on dénote des faits — mais c’est tout à fait par hasard, de temps en temps… la plupart du temps elle supplée à ceci que la fonction phallique est justement ce qui fait qu’il n’y a chez l’homme que les relations que vous savez… mauvaises entre les sexes. Alors que partout ailleurs, au moins pour nous, ça semble aller… comme à la coule. Alors c’est pour ça que dans mon petit… quadripode, dans mon petit quadripode, vous voyez au niveau de la vérité, deux choses, deux vecteurs qui divergent, ce qui exprime que la jouissance, qui est tout au bout de la branche de droite, c’est une jouissance certes phallique, mais qu’on ne peut dire jouissance sexuelle et que, pour que se maintienne quiconque de ces drôles d’animaux, ceux qui sont proie de la parole, il faut qu’il y ait ce pôle qui est corrélatif du pôle de la jouissance en tant qu’obstacle au rapport sexuel : c’est ce pôle que je désigne du semblant. C’est aussi clair pour un partenaire, enfin si nous osons, comme ça se fait tous les jours les épingler de leur sexe, il est éclatant que l’homme, comme la femme, ils font semblant chacun dans ce rôle. Quand il n’y a que cette histoire mais l’important au moins quand il s’agit de la fonction de la parole, c’est que les pôles soient définis, celui du semblant et celui de la jouissance. S’il y avait chez l’homme, ce que nous imaginons de façon purement gratuite qu’il y ait, une jouissance spécifiée de la polarité sexuelle, ça se saurait. Ça s’est peut être su, des âges entiers s’en sont vantés, et après tout — nous avons de nombreux témoignages — malheureusement purement ésotériques — qu’il y a eu des temps où on croyait vraiment savoir comment tenir ça. Il y a eu un Van Gennep dont le livre m’a paru excellent, qui pique par-ci, par-là — enfin, il fait comme tout le monde, il pique plus près de ce qu’il a de la tradition écrite chinoise — dont le sujet est le savoir sexuel, ce qui n’est pas très étendu, je vous assure, ni non plus très éclairé ! Mais enfin, regardez ça, si ça vous amuse : « La vie sexuelle dans la Chine ancienne ». Je vous défie d’en tirer rien qui puisse vous servir dans ce que j’appelais, tout à l’heure, l’état actuel des pensées ! L’intérêt de ce que je pointe, ce n’est pas de dire que depuis toujours les choses en sont de même que le point où nous en sommes venus. Il y a peut-être eu, il y a peut-être encore même quelque part, mais, c’est curieux, c’est toujours dans des endroits où il faut vraiment sérieusement montrer patte blanche pour entrer, des endroits où il se passe entre l’homme et la femme cette conjonction harmonieuse qui les ferait être au septième ciel, mais c’est tout de même très curieux qu’on n’en entende jamais parler que du dehors. Par contre, il est bien clair qu’à travers une des façons que j’ai en fin de définir que c’est plutôt avec grand Φ que chacun a rapport qu’avec l’autre, ça devient pleinement confirmé dès qu’on regarde ce qu’on appelle, d’un terme qui tombe si bien, comme ça, grâce à l’ambiguïté du latin ou du grec, qu’on appelle des « homos » — « ecco homo », comme je le disais…. — il est tout à fait certain que les homos, ça bande bien mieux et plus souvent, et plus ferme. Ce qui est curieux, mais enfin c’est tout de même un fait auquel pour une personne qui, depuis un certain temps, a un peu entendu parler, ça ne fait pas de doute. Ne vous y trompez pas, quand même, il y a « homo » et « homo », hein ! Je ne parle pas d’André Gide, il ne faut pas croire qu’André Gide était un homo ! Ça nous introduit à la suite. Ne perdons pas la corde, il s’agit du sens.

Pour que quelque chose ait du sens, dans l’état actuel des pensées, c’est triste à dire, mais il faut que ça se pose comme normal. C’est bien pour ça qu’André Gide voulait que l’homosexualité fût normale ; et, comme vous pouvez peut-être en avoir des échos, dans ce sens, il y a foule : en moins de deux, ça, ça va tomber sous la cloche du normal, à tel point qu’on aura de nouveaux clients en psychanalyse qui viendront nous dire : « je viens vous trouver parce que je ne pédale pas normalement ! » Ça va devenir un embouteillage ! Et l’analyse est partie de là. Si la notion de normal n’avait pas pris, à la suite des accidents de l’histoire, une pareille extension, elle n’aurait jamais vu le jour. Tous les patients, non seulement qu’a pris Freud mais c’est très clair à le lire que c’est une condition : pour entrer en analyse, au début, le minimum, c’était d’avoir une bonne formation universitaire. C’est dit dans Freud en clair. Je dois le souligner, parce que le discours universitaire dont j’ai dit beaucoup de mal, et pour les meilleures raisons, mais quand même c’est lui qui abreuve le discours analytique. Vous comprenez, vous ne pouvez plus vous imaginer — c’est pour vous faire imaginer quelque chose, si vous en êtes capables, mais qui sait ?…. à l’entraînement de ma voix… — vous pouvez même pas imaginer ce que c’était une zone du temps qu’on appelle, à cause de ça, « antique », où la δοχα — vous savez, la δοχα…, la célèbre δοχα, dont on parle dans le Menon, mais non, mais non !! — il y avait de la δοχα qui n’était pas universitaire. Mais actuellement, il n’y a pas une δοχα, si futile, si boiteuse, cahin-caha, voire conne, soit-elle qui ne soit rangée quelque part dans un enseignement universitaire ! Il n’y a pas d’exemple d’une opinion, aussi stupide soit-elle, qui ne soit répétée voire, à l’occasion de ce qu’elle est repérée, d’être enseignée. Ça, ça fausse tout ! Parce que, quand Platon, enfin, parle de δοχα comme de quelque chose dont il ne sait littéralement que faire, lui,- philosophe, qui cherche à fonder une science, il s’aperçoit que la δοχα,, il en rencontre à tous les coins de rue : il y en a de vraies. Naturellement, il n’est pas foutu de dire pourquoi, non plus qu’aucun philosophe, mais personne ne doute qu’elles soient vraies, parce que la vérité, ça s’impose. Cela faisait un contexte, mais complètement différent à quoi qui s’appelle philosophie, que la δοχα, ne soit pas normée. Il n’y a pas trace du mot « norme » nulle part dans le discours antique. C’est nous qui avons inventé ça, et naturellement en allant chercher un nom grec rarissime ! Il faut quand même partir de là pour voir que le discours de l’analyste, c’est pas apparu par hasard. Il fallait qu’on en soit au dernier état d’extrême urgence pour que ça sorte. Bien entendu, puisque c’est un discours de l’analyste, ça prend, comme tous mes discours, les quatre que j’ai nommés, le sens du génitif objectif : le discours du Maître, c’est le discours sur le Maître, on l’a bien vu, à l’acmé de l’épopée philosophique, dans Hegel. Le discours de l’analyste, c’est la même chose : on parle de l’analyste, c’est lui l’objet a, comme je l’ai souvent souligné. Cela ne lui rend pas facile naturellement de bien saisir qu’elle est sa position. Mais d’un autre côté, elle est de tout repos, puisque c’est celle du semblant. Alors notre Gide, pour continuer la tresse -, je prends le Gide, puis je le relaisserai, puis on le reprendra ensemble, et ainsi de suite — notre Gide là, parce qu’il est quand même exemplaire, il ne nous sort pas de notre petite affaire, bien loin de là ! Son affaire, c’est d’être désiré, comme nous trouvons ça couramment dans l’exploration analytique. Il y a des gens à qui ça a manqué dans leur petite enfance, d’être désiré. Cela les pousse à faire des trucs pour que ça leur arrive sur le tard. C’est très répandu. Mais il faut tout de même bien cliver les choses. Cela n’est pas sans rapport, pas du tout avec le discours. C’est pas de ces paroles comme il en sort un peu partout quand on est au Carnaval. Le discours et le désir, là, ça a le rapport le plus étroit. C’est même pour ça que je suis arrivé à isoler — enfin, du moins, je le pense — la fonction de l’objet a. C’est un point-clé dont on n’a pas encore beaucoup tiré parti, je dois dire, ça viendra tout doucement. L’objet a, c’est ce par quoi l’être parlant, quand il est pris dans des discours se détermine. Il ne sait pas du tout ce qui le détermine : c’est l’objet a, en quoi il est déterminé, il est déterminé comme sujet, c’est-à-dire qu’il est divisé comme sujet, il est la proie du désir. Ça a l’air de se passer au même endroit que les paroles subvertissantes, mais c’est pas du tout pareil, c’est tout à fait régulier, ça produit — c’est une production — ça produit mathématiquement — c’est le cas de le dire — cet objet a en tant que cause du dit désir. C’est encore celui que j’ai appelé, comme vous le savez, l’objet métonymique : ce qui court tout au long de ce qui se déroule comme discours, discours plus ou moins cohérent, jusqu’à ce que ça bute et que toute l’affaire se termine en eau de boudin. Il n’en reste pas moins que c’est de là — et c’est ça l’intérêt — que nous prenons l’idée de la cause. Nous croyons que dans la nature, il faut que tout ait une cause, sous prétexte que nous sommes causés par notre propre bla-bla-bla. Oui ! Il y a tous les traits, chez André Gide, que les choses sont bien telle que je vous l’ai dit. C’est d’abord sa relation avec l’Autre suprême : il ne faut pas croire du tout, malgré tout ce qu’il a pu dire, que ça n’avait pas d’incidence, le grand Autre. Là où ça prend forme, le a, il en avait même une notion tout à fait spécifiée, c’est à savoir que le plaisir de ce grand Autre, c’était de déranger celui de tous les petits !…. Moyennant quoi il pigeait très bien qu’il y avait là un point de tracas qui le sauvait évidemment du délaissement de son enfance. Toutes ses taquineries avec Dieu, c’était, enfin, quelque chose de fortement compensatoire pour quelqu’un qui avait si mal commencé. C’est pas son privilège. J’avais commencé autrefois — je n’en ai fait qu’une leçon dans « mes séminaires » qu’on appelle — quelque chose sur le Nom du Père. Naturellement, j’ai commencé par le père même. Enfin, j’ai parlé pendant une heure, une heure et demie, de la jouissance de Dieu. Si j’ai dit que c’était un badinage… mystique, c’était pour ne plus jamais en parler. Il est certain que depuis qu’il n’y a qu’un Dieu, seul et unique, enfin, le Dieu qui a fait émerger une certaine ère historique, c’est justement celui-là, celui qui dérange le plaisir des autres. Il n’y a même que ça qui compte. Il y a bien les épicuriens, qui ont tout fait pour enseigner la méthode, pour ne pas se laisser déranger de chacun, ça a foiré. Il y en avait d’autres, qui s’appelaient les stoïciens et qui ont dit : « Mais il faut au contraire se rouler dans le plaisir divin ». Mais, ça rate aussi, vous savez, ça ne joue qu’entre les deux. C’est la tracasserie qui compte. Avec ça, vous êtes tous dans votre aire naturelle.

Vous ne jouissez pas, bien sûr, ça serait exagéré de le dire, d’autant plus que, de toute façon, c’est trop dangereux. Mais enfin, on ne peut pas dire que vous n’ayez pas du plaisir, hein ! C’est même là-dessus qu’est fondé le processus primaire. Tout ça nous remet au pied du mur : qu’est-ce que c’est que le sens ? Eh bien, il vaut mieux repartir au niveau du désir. Le plaisir que l’autre vous fait, c’est courant, on appelle ça même, dans une zone plus noble, de « l’art » -1- apostrophe. C’est là qu’il faut attentivement considérer le mur, parce qu’il y a une zone du sens bien éclairée par exemple par le nommé Léonard de Vinci, comme vous le savez, qui a laissé quelques manuscrits et menues babioles — pas tellement, il n’a pas peuplé les musées, mais il a dit de profondes vérités, il a dit de profondes vérités dont tout le monde devrait toujours se souvenir — il a dit : « Regardez le mur »… comme moi, puis, depuis ce temps, il est devenu le Léonard des familles, on fait cadeau de ses manuscrits, il y a un ouvrage de luxe, même à moi, on m’en a donnée une paire, vous vous rendez compte, enfin. Mais ça ne veut pas dire que c’est pas lisible… Alors il vous explique : « Regardez bien le mur… » comme ici, c’est un peu sale. Si c’était mieux entretenu, il y aurait des tâches d’humidité et peut-être même des moisissures. Eh bien, si vous en croyez Léonard, s’il y a une tache de moisissure, c’est une très belle occasion pour la transformer en madone ou bien en athlète musculeux — ça, ça se prête encore mieux, parce que dans la moisissure, il y a toujours des ombres, des creux — c’est très important ça, s’apercevoir qu’il y a une classe des choses sur les murs, qui prête à la figure, à la création d’art, comme on dit. C’est le figuratif même ici, la tache question. Il faut tout de même savoir le rapport qu’il y a entre ça et quelque chose d’autre qui peut venir sur le mur, c’est à savoir les ravinements, non pas seulement de la parole — encore que ça arrive, c’est bien comme ça que ça commence toujours — mais du discours. Autrement dit, si c’est du même ordre, la moisissure sur le mur ou l’écriture. Ça devrait intéresser ici un certain nombre de personnes qui, je pense, il n’y a pas très longtemps — ça commence à vieillir — se sont beaucoup occupés d’écrire des choses, des lettres d’amour sur les murs. C’était un vachement beau temps. Il y en a qui ne s’en sont jamais consolés, du temps où on pouvait écrire sur les murs et où d’un truc dans Publicis, on déduisait que les murs avaient la parole. Comme si ça pouvait arriver ! Je voudrais simplement faire remarquer qu’il vaudrait beaucoup mieux qu’il n’y ait jamais rien eu d’écrit sur les murs. Ce qui y est déjà écrit, il faudrait même l’en retirer. « Liberté — Egalité — Fraternité » par exemple, c’est indécent ! « Défense de fumer », c’est pas possible, d’autant plus que tout le monde fume, il y a là une erreur de tactique. Je l’ai déjà dit tout à l’heure pour la lettre d'(a) mur : tout ce qui s’écrit renforce le mur. C’est pas forcément une objection. Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne faut pas croire que ça soit absolument nécessaire, mais ça sert quand même parce que si on n’avait jamais rien écrit sur un mur, quel qu’il soit, celui-là ou les autres, eh bien ! C’est un fait, on n’aurait pas fait un pas dans le sens de ce qui peut-être est à regarder au-delà du mur. Voyez-vous, il y a quelque chose où je serai amené un peu à vous parler cette année : c’est les rapports de la logique et de la mathématique. Au-delà du mur, pour vous le dire tout de suite, il n’y a, à notre connaissance, que ce Réel qui se signale justement de l’impossible, de l’impossible de l’atteindre au-delà du mur. Il n’en reste pas moins que c’est le réel. Comment est-ce qu’on a pu faire pour en avoir l’idée, il est certain que le langage y a servi pour un bout. C’est même pour ça que j’essaie de faire ce petit pont dont vous avez pu voir dans mes derniers séminaires l’amorce, à savoir comment est-ce que l’UN fait son entrée. C’est ce que j’ai exprimé déjà depuis trois ans avec des symboles : le S 1 et le S 2. Le premier, je l’ai désigné, comme ça, pour que vous y entendiez un petit quelque chose, du signifiant-Maître et le second, du savoir. Mais est-ce qu’il y aurait S 1, s’il n’y avait pas S 2 ? C’est un problème, parce qu’il faut qu’ils soient deux d’abord pour qu’il y ait S 1. J’ai abordé la chose, là, au dernier séminaire, en vous montrant que de toutes façons, ils sont au moins deux même pour qu’un seul surgisse : zéro et un, comme on dit, ça fait deux. Mais ça, c’est au sens où l’on dit que c’est infranchissable. Néanmoins, ça se franchit quand on est logicien, comme je vous l’ai déjà indiqué à me référer à Frege. Mais enfin, il n’en vous est, bien sûr, pas moins apparu que c’était franchi d’un pied allègre et que je vous indiquais à ce moment — j’y reviendrai — qu’ il y avait peut-être plus d’un petit pas. L’important n’est pas là. Il est très clair que quelqu’un dont vous avez entendu, sans doute certain, parler pour la première fois ce matin, René Thom, qui est mathématicien, il n’est pas pour ceci que la logique, c’est-à-dire le discours qui se tient sur le mur, soit quelque chose qui suffise même à rendre compte du nombre, premier pas de la mathématique. Par contre, il lui semble pouvoir rendre compte, non seulement de ce qui se trace sur le mur — ça n’est rien d’autre que la vie même, ça commence à la moisissure, comme vous savez — rendre compte par le nombre, l’algèbre, les fonctions, la topologie, rendre compte de tout ce qui se passe dans le champ de la vie. J’y reviendrai. Je vous expliquerai que le fait qu’il retrouve, dans telle fonction mathématique, le tracé même de ces courbes que fait la prime moisissure avant de s’élever jusqu’à l’homme, que ce fait le pousse jusqu’à cette extrapolation de penser que la topologie peut fournir une typologie des langues naturelles. Je ne sais pas si la question est actuellement tranchable.

J’essaierai de vous donner une idée d’où est son incidence actuelle, rien de plus. Ce que je peux dire, c’est qu’en tout cas, le clivage du mur, le fait qu’il y ait quelque chose d’installé devant, que j’ai appelé parole et langage, et que c’est d’un autre côté que ça travaille, peut-être mathématiquement, il est bien certain que nous ne pouvons pas en avoir d’autre idée. Que la science repose, non, comme on le dit, sur la quantité, mais sur le nombre, la fonction et la topologie, c’est ce qui ne fait pas de doute. Un discours qui s’appelle la Science, a trouvé le moyen de se construire derrière le mur. Seulement ce que je crois devoir nettement formuler et ce en quoi je crois être d’accord avec tout ce qu’il y a de plus sérieux dans la construction scientifique, c’est qu’il est strictement impossible de donner à quoi que ce soit qui s’articule en termes algébriques ou topologiques, l’ombre d’un sens. Il y a du sens pour ceux qui, devant le mur, se complaisent de taches de moisissures qui se trouvent si propices à être transformées en madone ou en dos d’athlète. Mais, il est évident que nous ne pouvons pas nous contenter, enfin, de ces sens confusionnels. Cela ne sert, en fin de compte, qu’à retentir sur la lyre du désir, sur l’érotisme, pour appeler les choses par leur nom. Mais devant le mur, il se passe d’autres choses, et c’est ce que j’appelle des discours. Il y en a eu d’autres que ces miens quatre, que j’ai énumérés et qui ne se spécifient d’ailleurs qu’à devoir vous faire apercevoir tout de suite qu’ils se spécifient comme tels comme n’étant que quatre. Il est bien sûr qu’il y en a eu d’autres dont nous ne connaissons plus rien que ce qui se converge dans ceux-là qui sont les quatre qui nous restent, ceux qui s’articulent de la ronde du petit a, du S 1 et du S 2 et même du sujet — qui paye les pots cassés — et qui, de cette ronde, à se déplacer selon ces quatre sommets à la suite, nous ont permis de détacher quelque chose pour nous repérer. C’est quelque chose qui nous donne l’état actuel de ce qui, de lien social, se fonde du discours, c’est-à-dire quelque chose où, quelque place qu’on y occupe, du maître, de l’esclave, du produit ou de ce qui supporte toute l’affaire, quelle que soit la place qu’on y occupe, on n’y entrave jamais que pouic. Le sens, d’où surgit-il ? C’est en ça qu’il est très important d’avoir fait ce clivage, maladroit sans doute, qu’a fait Saussure — comme le rappelait ce matin Jakobson — du signifiant et du signifié, chose d’ailleurs qu’il héritait — c’est pas pour rien — des stoïciens dont tout à l’heure, je vous ai dit la position bien particulière dans ces sortes de manipulations. Ce qu’il y a d’important, bien sûr, c’est pas que le signifiant et le signifié s’unissent et que ce soit le signifié qui nous permette de distinguer ce qu’il y a de spécifique dans le signifiant, bien au contraire, c’est que le signifié d’un signifiant, ce que j’articule des petites lettres que je vous ai dit tout à l’heure, le signifié d’un signifiant, là où on accroche quelque chose qui peut ressembler à un sens, ça vient toujours de la place que le même signifiant occupe dans un autre discours. C’est bien ça qui leur est, à tous, monté à la tête quand le discours analytique s’est introduit : il leur a semblé qu’ils comprenaient tout… Les pauvres ! Heureusement que grâce à mes soins, ce n’est pas votre cas. Si vous compreniez ce que je raconte ailleurs, là où je suis sérieux, vous n’en croiriez pas vos oreilles. C’est même pour ça que vous n’en croyez pas vos oreilles. C’est parce qu’en réalité, vous le comprenez, mais enfin, vous vous tenez à distance ; et c’est bien compréhensible puisque, dans la grande majorité, le discours analytique ne vous a pas encore attrapé. Ça viendra malheureusement, car il a de plus en plus d’importance. Je voudrais quand même dire quelque chose sur le savoir de l’analyste, à condition que vous ne vous en teniez pas là. Si mon ami René Thom arrive si aisément à trouver par des coupes de surfaces mathématiques compliquées, quelque chose comme un dessin, une zébrure, enfin, quelque chose qu’il appelle aussi bien une pointe, une écaille, une fronce, un pli, et à en faire un usage véritablement captivant, si, en d’autres termes, il y a entre telle tranche d’une chose qui n’existe qu’à ce qu’on puisse écrire : existe x. x qui satisfait à la fonction F de x”, oui, s’il fait ça avec tellement d’aisance, il n’en reste pas moins que, tant que ça n’aura pas rendu raison d’une façon exhaustive de ce avec quoi, malgré tout, il est bien forcé de vous l’expliquer, à savoir le langage commun et la grammaire autour, il restera là une zone que j’appelle « zone du discours » et qui est celle sur laquelle l’analytique des discours jette un vif jour.

Qu’est-ce qui là-dedans peut se transmettre d’un savoir ? Enfin, il faut choisir ! Ce sont les nombres qui savent, qui savent parce qu’ils ont fait, ils ont fait s’émouvoir cette matière organisée en un point, bien sûr, immémorial, et qui continuent de savoir ce qu’ils font. Il y a une chose bien certaine, c’est que c’est de la façon la plus abusive que nous mettons là-dedans un sens, que toute idée d’évolution, de perfectionnement, alors que dans la chaîne animale supposée, nous ne voyons absolument rien qui atteste tout de même cette adaptation soi-disant continue, à tel point qu’il a bien fallu tout de même qu’on y renonce et qu’on dise qu’après tout, ceux qui passent, alors là, ce sont ceux qui ont pu passer. On appelle ça, la sélection naturelle. Ça veut strictement rien dire. Ça a comme ça un petit sens emprunté à un discours de pirate, et puis pourquoi pas celui-là ou un autre ? La chose la plus claire qui nous apparaît, c’est qu’un être vivant ne sait pas toujours très bien quoi faire d’un de ses organes. Et après tout, c’est peut-être un cas particulier de la mise en évidence, par le discours analytique, du côté embarrassant que ça a, le phallus. Qu’il y ait un corrélat entre ça, comme je l’ai souligné, au début de ce discours, un corrélat entre ça et ce qui se fomente de la parole, nous ne pouvons rien en dire de plus. Que, au point où nous en sommes de l’état actuel des pensées — ça fait la sixième fois que je viens d’employer cette formule, il est bien clair que ça n’a pas l’air de tracasser personne, c’est pourtant bien quelque chose qui vaudrait qu’on y revienne parce que, l’état actuel des pensées, j’en fais un meuble, c’est pourtant vrai, hein ? C’est pas un idéalisme de dire que les pensées sont aussi strictement déterminées que le dernier gadget. En tout cas dans l’état actuel des pensées, on a le discours analytique qui, quand on veut bien l’entendre pour ce qu’il est, se montre lié à une curieuse adaption, parce qu’enfin, si c’est vrai, cette histoire de castration, ça veut dire que chez l’homme, la castration, c’est le moyen d’adaptation à la survie. C’est impensable, mais c’est vrai. Tout cela n’est peut-être qu’un artifice, un artefact de discours. Que ce discours, si savant à compléter les autres que ce discours se soutienne, c’est peut-être seulement une phase historique. La vie sexuelle de la Chine ancienne va peut-être refleurir, elle aura un certain nombre de jolies sales ruines à engloutir avant que ça se passe… Mais pour l’instant, qu’est-ce que ça veut dire, ce sens que nous apportons ? Ce sens, en fin de compte, est énigme, et justement parce qu’il est sens. Il y a quelque part, dans la seconde édition d’un volume de ce volume là que j’ai laissé, dans un temps, sortir, qui s’appelle « Ecrits », il y a un petit ajout qui s’appelle : « La métaphore du sujet ». J’ai joué longtemps sur la formule dont se régalai mon cher ami Perelman, « un océan de fausse science ». On n’est jamais bien sûr et je vous conseille de partir de là — de ce que j’ai derrière la tête, quand je m’amuse justement ! « Un océan de fausse science », c’est peut-être le savoir de l’analyste pourquoi pas ? Pourquoi pas, justement si justement c’est seulement de sa perspective que se décante ceci que la science n’a pas de sens, mais qu’aucun sens de discours à ne se soutenir que d’un autre, n’est que sens partiel. Si la vérité ne peut jamais que se mi-dire, c’est là le noyau, c’est là l’essentiel du savoir de l’analyste, c’est qu’à cette place là que j’ai appelée tétrapode ou quadripède à la place de la vérité se tient S 2, le savoir. C’est un savoir lui-même qui est donc toujours à mettre en question. De l’analyse, il y a une chose par contre à prévaloir : c’est qu’il y a un savoir qui se tire du sujet lui-même ; à la place pôle de la jouissance, le discours analytique met $. C’est dans le trébuchement, dans l’action ratée, dans le rêve, dans le travail de l’analysant que résulte ce savoir, ce savoir qui, lui, n’est pas supposé, il est savoir, savoir caduque, rogaton de savoir surrogaton de savoir : c’est cela l’inconscient. Ce savoir-là, c’est ce que j’assume je définis pour ne pouvoir se poser, trait nouveau dans l’émergence, que de la jouissance du sujet.

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