Leçon du 7 février 1968
Je reprends donc après quinze jours cette suite que j’avance devant vous cette année concernant l’acte psychanalytique et parallèle à un certain nombre de propositions, pour employer le terme propre, qui sont celles que j’ai proposées dans un cercle composé de psychanalystes.
Les réponses à ces propositions, qui d’ailleurs ne se limitent pas à celles qui se sont intitulées comme telles, sont suivies d’un certain nombre d’autres productions. Il va paraître à la fin de ce mois une revue qui sera la revue de l’école. Tout ceci a pour résultat un certain nombre de réponses ou de manifestations qui ne sont certes en aucun cas, pas sans intérêt pour ceux à qui, ici, je m’adresse. Il est clair que certaines de ces réponses, de ces réactions, sont, de se produire au point le plus vif où mes propositions sont assez conséquentes avec ce que je produis devant vous sur l’acte psychanalytique, sont assurément pleines de sens pour définir par une épreuve qu’on peut bien appeler cruciale, ce qu’il en est du statut du psychanalyste.
En effet la dernière fois, je vous ai laissé sur l’indication d’une référence logique. Il est bien sûr qu’au point où nous en sommes, qui est celui où l’acte définit par son tranchant ce qu’il en est du passage où s’instaure, où s’institue le psychanalyste, il est tout à fait clair que nous ne pouvons que repasser par le mode d’épreuve que constitue pour nous une interrogation logique.
Sera-t-elle, pour prendre la référence inaugurale d’Aristote, au moment où, comme je l’évoquais, il fait les pas décisifs d’où s’instaure, comme telle, la catégorie logique dans son espèce formelle ? S’agit-il d’une démarche d’intention démonstrative ou dialectique ? La question vous allez le voir est seconde.
Elle est seconde pourquoi ? Parce que ce dont il s’agit s’instaure du discours lui-même, à savoir que tout ce que nous pouvons formuler concernant le psychanalysant et le psychanalyste, va tourner — je pense ne pas vous surprendre en vous l’énonçant comme je vais le faire — je l’ai assez préparé pour que la chose vous paraisse maintenant déjà dite — va tourner autour de ceci : le psychanalysant, en situation dans le discours, comment contester qu’il soit à la place du sujet ? De quelque référence que nous nous armions pour mieux le situer, c’est naturellement au premier plan de la référence linguistique : il est, essentiellement, celui qui parle.
Il est celui qui parle et sur qui s’éprouvent les effets de la parole. Que veut dire ce « sur qui s’éprouvent » ? La formule est exprès ambiguë. Je veux dire que son discours, tel qu’il est réglé, institué, par la règle analytique, est fait pour être l’épreuve de ce en quoi, comme sujet, il est d’ores et déjà constitué comme effet de la parole ; et pourtant, il est vrai aussi de dire que ce discours lui-même, tel qu’il va se poursuivre, se soutenir comme tâche, trouve sa sanction, son bilan, son résultat en tant qu’effet de discours et avant tout de ce discours propre lui-même, quelle que doive être l’insertion qu’y prend l’analyste de par son interprétation.
Inversement, nous devons nous apercevoir que si la question toujours actuelle, voire quelquefois brûlante, si elle se porte sur le psychanalyste, disons, pour aller prudemment, pour aller au minimum, que c’est pour autant que le terme « psychanalyste » est mis en position de qualification qui, quoi, peut être dit (prédicat) « psychanalyste » ?
Assurément, si même cette entrée en matière pouvait paraître aller un peu vite, ce sera par un retour avec lequel il se justifiera si c’est ainsi que, à aller au vif, j’annonce sous quel panonceau, sous quelle rubrique j’entends mettre mon discours d’aujourd’hui ; vous pouvez me faire confiance, ce n’est pas sans avoir, à ce propos, repris, si je puis dire terre, avec ce qu’il en est d’éclairant dans l’histoire même de la logique, dans la façon dont, en notre temps bascule d’une telle sorte le maniement de ce qui se désigne de ce terme comme logique, d’une façon qui vraiment nous rend, je ne dirai pas toujours plus difficile, mais nous rend nous-mêmes toujours plus déroutés devant le départ d’Aristote.
Il faut se reporter à son texte, et nommément dans l’Organon, au niveau de ces catégories par exemple, ou des premiers Analytiques, ou du premier livre des Topiques, pour nous apercevoir à quel point est proche de notre problématique la thématique du sujet, tel qu’il l’énonce. Car assurément, dès le premier énoncé, rien n’est déjà plus sensible à nous éclairer sur ce qui, au niveau de ce sujet, est de sa nature, ce qui se dérobe par excellence ; rien qui au départ de la logique n’est plus fermement affirmé comme se distinguant de ce qu’on a traduit, assurément fort insuffisamment comme la « substance » : l’ovata. A le traduire par la « substance » on montre bien comme, au cours des temps, c’est d’un glissement abusif de la fonction du sujet dans ses premiers pas aristotéliciens qu’il s’agit, pour que le terme de « substance », qui vient là faire équivoque avec ce que le sujet comporte de supposition, pour que le terme de « substance » ait été si aisément avancé.
Rien dans l’ousia, dans ce qui est — c’est-à-dire pour Aristote — l’individuel, n’est de nature à pouvoir être ni situé dans le sujet, ni affirmé, c’est-à-dire ni attribué au sujet.
Mais quoi d’autre est plus de nature à tout de suite nous faire sauter à pieds joints dans ce qui est la formule où j’ai cru pouvoir en toute sa rigueur, témoigner de ce point vraiment clé, vraiment central de l’histoire de la logique, celui où, de s’être épaissi d’une ambiguïté croissante, le sujet en retrouve dans les pas, telle la logique moderne, cette autre face d’une sorte de tournant qui en fait basculer, si on peut dire, la perspective, celle qui, dans la logique mathématique, tend à le réduire à la variable d’une fonction. C’est-à-dire, quelque chose qui va entrer ensuite dans toute la dialectique du quantificateur, qui n’a pour autre effet que de le rendre désormais irrécupérable sous le mode où il se manifeste dans la proposition. Le terme « tournant » me semble assez bien être fixé dans la formule que j’ai cru devoir en donner en disant que le sujet, c’est très précisément ce qu’un signifiant représente pour un autre signifiant.
Cette formule a l’avantage de rouvrir ce qui est éludé dans la position de la logique mathématique, à savoir la question de ce qu’il y a d’initial, d’initiant à poser un signifiant quelconque, à l’introduire comme représentant le sujet, car c’est là, et c’est là dès Aristote, ce qu’il en est d’essentiel et ce qui seul permet de situer à sa juste place la différence de cette première bipartition, celle qui différencie l’universel du particulier, de cette seconde bipartition, celle qui affirme ou qui nie. L’une et l’autre, comme vous le savez, se recroisent pour donner la quadripartition de l’affirmative universelle, de l’universelle négative, de la particulière, négative et affirmative tour à tour.
Les deux bipartitions n’ont absolument pas d’équivalence. L’introduction du sujet, en tant que c’est à son niveau que se situe la bipartition de l’universel et du particulier, qu’est-ce qu’elle signifie ? Qu’est-ce que cela veut dire, pour prendre les choses comme quelqu’un qui s’est trouvé, comme fut Peirce Charles-Sanders, en ce point historique, à ce niveau du joint de la logique traditionnelle à la logique mathématique, qui fait qu’en quelque sorte, nous trouvons sous sa plume ce moment d’oscillation où se dessine le tournant qui ouvre un nouveau chemin ? Nul plus que lui — et j’ai déjà produit son témoignage au moment où j’ai eu à parler en 1960 sur le thème de l’identification — n’a mieux souligné, ni avec plus d’élégance, quelle est l’essence de cette fondation d’où sort la distinction de l’universel et du particulier et le lien de l’universel au terme du sujet.
Il l’a fait au moyen d’un petit tracé exemplaire, que connaissent bien ceux qui déjà depuis quelque temps m’ont suivi, mais qu’aussi bien il n’est pas sans intérêt de répéter pour désigner ceci : c’est que bien sûr il se donne la facilité de donner comme support du sujet ce qu’il en est vraiment de lui, à savoir rien ; en l’occasion : le trait.
Nul de ces traits, que nous allons prendre pour exemplifier ce qu’il en
est de la fonction du sujet au prédicat, nul de ces traits tels que nous allons les inscrire qui ne soit déjà spécifié par le prédicat autour duquel nous allons faire tourner l’énoncé de notre proposition, à savoir : le prédicat « vertical ».
1 — Dans la première case, en haut et à gauche, les traits répondent au prédicat, ce sont les traits verticaux.
2 — Et puis il y en a d’autres dans cette case en bas et à gauche dont certains ne le sont pas.
3 — Ici en bas à droite aucun ne l’est.
4 — Ici, comme vous le voyez, il n’y a pas de traits : c’est là qu’est le sujet.
C’est là qu’est le sujet, parce qu’il n’y a pas de traits. Partout ailleurs, les traits sont masqués par la présence ou l’absence du prédicat. Mais pour faire bien saisir en quoi c’est le « pas de trait » qui est essentiel, il y a plusieurs méthodes, ne serait-ce que d’instaurer l’énoncé de l’affirmative universelle, par exemple comme ceci : pas de trait qui ne soit vertical.
Vous verrez que ce sera à faire fonctionner le « pas » sur le « vertical » ou à le retirer qui vous permettra de faire la bipartition affirmative ou négative, et que c’est à supprimer le « pas » devant le trait, et que c’est à laisser, le trait qui est ou non vertical, que vous rentrez dans le particulier. C’est-à-dire au moment où le sujet est entièrement soumis à la variation du vertical ou du pas vertical. Il y en a qui le sont, et d’autres qui ne le sont pas. Mais le statut de l’universalité ne s’instaure ici, par exemple que par la réunion des deux cases: à savoir celle qui n’a que des traits verticaux, mais celle aussi bien où il n’y a pas de traits; car l’énoncé de l’universel qui dit que tous les traits sont verticaux, ne se sustente, et légitimement, que de ces deux cases et de leur réunion.
Il est aussi vrai, il est plus essentiellement vrai au niveau de la case vide. Il n’y a de traits que verticaux veut dire : là où il n’y a pas de verticaux, il n’y a pas de trait.
Telle est la définition recevable du sujet en tant que sous toute l’énonciation prédicative, il est essentiellement ce quelque chose qui n’est que représenté par un signifiant pour un autre signifiant.
Je ne ferai que vite mentionner, car nous n’allons passer tout notre discours à nous appesantir sur ce que, du schéma de Peirce, nous pouvons tirer. Il est clair que c’est de même de la réunion de ces deux cases (accolade de droite) que l’énoncé: aucun trait n’est vertical, prend son support, en quoi ? C’est bien pourquoi il est nécessaire que je l’accentue, en quoi se démontre – ce qu’on sait déjà si on lit le texte d’Aristote d’une façon convenable – que l’affirmative universelle et la négative universelle ne se contredisent nullement, qu’elles sont toutes deux recevables à la condition que nous soyons dans cette case en haut et à droite. Il est aussi vrai au niveau de cette case d’énoncer que tous les traits sont verticaux, ou que nul trait n’est vertical, les deux choses sont vraies ensemble, ce que curieusement Aristote, si mon savoir est bon, méconnaît.
Aux autres points de la division cruciale vous avez l’instauration des particulières, il y a dans ces deux cases, (celles de gauche) des traits verticaux, et, à la jonction des deux cases inférieures, il n’y a, et rien de plus, que des traits qui ne le sont pas.
Vous voyez donc qu’au niveau du fondement universel, les choses se situent d’une façon qui comporte une exclusion, celle de cette diversité, celle qui est dans la case en bas à gauche. De même au niveau de la différenciation particulière, il y a une exclusion : celle de la case qui est en haut à droite.
C’est ce qui donne l’illusion que la particulière est une affirmation d’existence, qu’il suffit de parler au niveau du « quelque », quelque homme, par exemple, a la couleur jaune, pour impliquer que de ce fait qui s’énonce sous la forme d’une particulière, qu’il y aurait de ce fait, si j’ose m’exprimer ainsi, du fait de cette énonciation, affirmation aussi de l’existence du particulier. C’est bien là autour de quoi ont tourné d’innombrables débats sur le sujet du statut logique de la proposition particulière, et c’est ce qui assurément en fait le dérisoire, car il ne suffit pas qu’une proposition s’énonce au niveau du particulier, pour impliquer d’aucune façon l’existence du sujet, sinon au nom d’une ordonnance signifiante, c’est-à-dire comme effet de discours.
L’intérêt de la psychanalyse est qu’elle noue, comme jamais jusqu’à présent n’a pu l’être fait, ces problèmes de logique, d’y apporter ce qui en somme était au principe de toutes les ambiguïtés qui se sont développées dans l’histoire de la logique, d’impliquer dans le sujet une ousia, un être. Que le sujet puisse fonctionner comme n’étant pas, est proprement – je l’ai articulé, j’y insiste depuis le début de cette année – ce qui nous apporte l’ouverture éclairante grâce à quoi pourrait se rouvrir un examen du développement de la logique; la tâche est encore ouverte – et qui sait, –
peut-être à l’énoncer ici, provoquerai-je une vocation – qui nous montrerait ce que signifie vraiment tellement de détours, tellement d’embarras, quelquefois si singuliers, si paradoxaux à se manifester au cours de l’histoire, qui sont ceux qui ont marqué les débats logiques à travers les âges et qui rendent si incompréhensibles, vu d’un certain temps, du moins du nôtre, le temps que parfois ils ont pris, et qui nous paraît pendant longtemps avoir constitué des stagnations, voire des passions autour de ces stagnations, dont nous sentons mal la portée tant que nous ne voyons pas ce qui était derrière vraiment en jeu. A savoir: rien de moins que le statut de désir dont le lien, pour être secret, avec la politique par exemple est tout à fait sensible dans le tournant qu’a constitué l’instauration dans une philosophie, la philosophie anglaise nommément, d’un certain nominalisme; il est impossible de comprendre la cohérence de cette logique avec une politique sans s’apercevoir que ce que la logique elle-même implique de statut du sujet et de référence à l’effectivité du désir dans le rapport politique.
Pour nous, pour lesquels ce statut du sujet est illustré de questions, dont j’ai marqué encore que tout ceci se passe dans un milieu très limité, voire très court, et marqué de discussions de la prégnance, dont le caractère brûlant, participe je dirai de ses anciennes sous-jacentes, ce pour quoi, à cette occasion, nous prenons exemple, ce que nous pouvons articuler, c’est pour cela, que ça peut n’être pas sans incidence sur un domaine beaucoup plus vaste, pour autant que ça n’est assurément pas que dans la pratique, et qui tourne autour de la fonction du désir pour autant que l’analyse l’a découverte, ce n’est pas seulement là que la question s’en joue.
Voici donc le psychanalysant et le psychanalyste placés par nous dans ces positions distinctes que sont respectivement : quel va être le statut d’un sujet qui se définit par ce discours, par ce discours dont je vous ai dit la dernière fois qu’il est institué par la règle, spécialement en ceci que le sujet est prié d’y abdiquer, que c’est là la visée de la règle, et qu’à la limite se vouant à la dérive du langage, il irait à tenter par une sorte d’expérience immédiate de son pur effet, à en rejoindre les effets déjà établis.
Un tel sujet, un sujet défini comme effet de discours, à ce point qu’il se fasse une épreuve de s’y perdre pour s’y retrouver, un tel sujet dont l’exercice est en quelque sorte de se mettre à l’épreuve de sa propre démission, quand pouvons-nous dire à quoi s’applique un prédicat ?
Autrement dit, pourrions-nous énoncer quelque chose qui soit de la rubrique de l’universel si l’universel ne nous montrait déjà dans sa structure qu’il trouve son ressort, son fondement dans le sujet en tant qu’il peut n’être représenté que par son absence, c’est-à-dire en tant qu’il n’est jamais représenté ? Nous serions assurément en droit de poser la question, si quoi que ce soit a pu s’énoncer de l’ordre par exemple de : «tout psychanalysant résiste ».
Je ne vais pourtant pas trancher encore si quoi que ce soit d’universel puisse être posé du psychanalysant, nous ne l’écartons pas, malgré l’apparence, qu’à poser le psychanalysant comme ce sujet qui choisit de se faire, si on peut dire, plus aliéner qu’un autre, de se vouer à ceci que seuls les détours d’un discours non choisi, à savoir de ce quelque chose qui s’oppose le plus à ce qui est là – sur le schéma – au départ, à savoir que c’est bien sûr sur un choix, mais un choix masqué, éludé, parce qu’antérieur; on a choisi de représenter le sujet par le trait, par ce trait qui ne se voit plus de ce qu’il soit désormais qualifié. Rien de plus opposé en apparence à ce dans quoi se constitue le psychanalysant, qui est tout de même d’un certain choix, ce choix que j’ai appelé tout à l’heure abdication. Le choix de s’éprouver aux effets de langage, c’est bien là où nous allons nous retrouver.
En effet, si nous suivons le fil, la trame que nous suggère l’usage du syllogisme, ce à quoi, bien sûr, nous devons arriver, c’est quelque chose qui, ce sujet, va le conjoindre à ce qui s’est ici avancé comme prédicat, le psychanalyste, – s’il existe un psychanalyste – et hélas, c’est ce qui nous manque pour supporter cette articulation logique. S’il existe un psychanalyste, tout est assuré : il peut y avoir des tas d’autres.
Mais pour l’instant, la question pour nous est de savoir comment le psychanalysant peut passer au psychanalyste. Comment il se fait que, de la façon la plus fondée, cette qualification ne se supporte que de la tâche achevée du psychanalysant. Nous voyons bien ici s’ouvrir cette autre dimension qui est celle que j’ai déjà essayé de profiler devant vous de la conjonction de l’acte et de la tâche. Comment les deux se conjoignent-elles ? Nous nous trouvons ici devant une autre forme de ce qui a fait problème et qui a fini par s’articuler au Moyen-Age. Ce n’est pas là pour rien inventio medi, ce dont part de ce pas admirablement allègre qui est celui des premiers Analytiques d’Aristote, à savoir de la première figure du moyen terme, de ce moyen terme dont il nous explique qu’à être situé comme prédicat, il nous permettra de conjoindre d’une façon rationnelle ce sujet évanouissant à quelque chose qui soit un prédicat, par le moyen terme, cette conjonction est possible. Où est le mystère ? Comment se fait-il qu’il paraisse que quelque chose existe qui est un moyen terme et dans la première figure qui apparaisse comme prédicat de la majeure où nous attend le sujet, comme sujet de la mineure qui va nous permettre de raccrocher le prédicat qui est en question. Est-il oui ou non, attribuable au sujet ?
Cette chose qui, avec le recul des temps, a passé par des couleurs diverses, qui a paru, au détour du XVIe siècle, un exercice, en fin de compte – il n’est pas douteux qu’on le voit sous la plume des auteurs – purement futile, nous lui redonnons corps de nous apercevoir de ce dont il s’agit.
Il s’agit de ce que j’ai appelé l’objet a qui lui est ici pour nous le véritable moyen terme qui se propose, assurément comme d’un plus un, comme d’un plus incomparable sérieux d’être l’effet du discours du psychanalysant et d’être d’autre part, comme je l’ai énoncé, dans le nouveau graphe qui est celui dont vous me voyez ici depuis deux ans faire devant vous usage comme non pas ce que devient le psychanalyste, comme ce qu’il est au départ, impliqué par toute l’opération, comme ce qui doit être le solde de l’opération psychanalysante, comme ce qui libère ce qu’il en est d’une vérité fondamentale; la fin de la psychanalyse, c’est à savoir : l’inégalité du sujet à toute subjectivation possible de sa réalité sexuelle et l’exigence que, pour que cette vérité apparaisse, le psychanalyste soit déjà la représentation de ce qui masque, obture, bouche cette vérité et qui s’appelle l’objet a.
Observez bien en effet que l’essentiel de ce qu’ici j’articule, j’y reviendrai abondamment, l’essentiel n’est pas qu’au terme de la psychanalyse comme certains – je l’ai vu à des questions posées – se l’imaginent, le psychanalyste devienne pour l’autre, l’objet a – Ce «pour l’autre» ici prend singulièrement la valeur d’un «pour soi» – pour autant que, comme sujet il n’y a pas d’autre que cet Autre à qui est laissé tout le discours; ça n’est ni pour l’Autre, ni dans un pour soi qui n’existe pas au niveau du psychanalyste, que réside ce a, c’est bien d’un en-soi, d’un ensoi du psychanalyste; c’est en tant que, comme les psychanalystes le clament eux-mêmes d’ailleurs – il suffit d’en ouvrir la littérature pour en voir à tout instant le témoignage – ils sont réellement ce sein de l’« ô ma mère Intelligence », de notre Mallarmé; qu’ils sont eux-mêmes ce déchet, présidant à l’opération de la tâche, qu’ils sont le regard, qu’ils sont la voix, c’est en tant qu’ils sont le regard, qu’ils sont la voix; c’est en tant qu’ils sont en soi le support de cet objet a que toute l’opération est possible. Il ne leur échappe qu’une chose, c’est à quel point ce n’est pas métaphorique.
Maintenant, tâchons de reprendre ce qu’il en est du psychanalysant. Ce psychanalysant, qui s’engage dans cette tâche singulière, que j’ai qualifiée d’être supportée de son abdication, est-ce que nous n’allons pas sentir ici qu’en tout cas, il y a quelque chose d’éclairant, s’il ne peut être pris, ou s’il le peut, nous ne le savons pas, sous la fonction de l’universel ? Il y a peut-être une autre chose qui va nous frapper, c’est que nous l’avons posé comme sujet non sans intention; ça veut dire que le sens de ce que veut dire ce mot, le psychanalysant, quand nous l’articulons au niveau du sujet, en tant que c’est celui qui se joue de toutes ces couleurs prises, telles celles de la murène sur le plat du riche Romain, celui-là ne peut être mis en usage qu’à changer de sens comme attribut. La preuve, c’est que quand on s’en sert comme attribut, on se sert aussi sottement qu’il est possible du terme psychanalysé, mais on ne dit pas ceux-là ou ceux-ci ou tous ceux-ci ou tous ceux-là sont psychanalysant. Je n’ai pas employé, vous le remarquerez, le terme singulier. Ce serait encore plus révoltant. Mais laissons le singulier de côté, en éprouvant à ce tournant la même répugnance que celle qui fait qu’Aristote ne les emploie pas les termes de singuliers, dans sa syllogistique.
Si vous ne sentez pas tout de suite ce que je vise à propos de cette mise à l’épreuve sensible de l’usage du terme psychanalysant, comme sujet ou comme attribut, je vais vous le faire sentir.
Employez le terme travailleur, tel qu’il se situe dans la perspective de « Travailleurs de tous les pays unissez-vous », à savoir au niveau de l’idéologie qui relève et met l’accent sur leur aliénation essentielle, sur l’exploitation constituante qui les pose comme travailleurs; faites l’opposition avec l’usage du même terme dans la bouche paternaliste, celle qui qualifiera une population de « travailleuse ». Ils sont travailleurs de nature dans ce coin là ce sont des (attribut) « bons travailleurs ». Cet exemple, cette distinction est celle qui peut-être va vous introduire à quelque chose qui vous fera peut-être poser la question de savoir qu’après tout, pourquoi dans cette opération si singulière qui est celle où, comme je vous l’ai dit, se supporte le sujet de l’acte psychanalytique ? En quoi, sur le principe de ceci que l’acte d’où s’instaure la psychanalyse part d’ailleurs ? Est-ce que ceci n’est peut-être pas fait pour nous faire nous apercevoir qu’il y a là aussi, une espèce d’aliénation ? Et après tout, vous n’en êtes pas surpris puisqu’elle était déjà présente dans mon premier schéma, que c’est de l’aliénation nécessaire, celle où il est impossible de choisir entre le ou je ne pense pas et le ou je ne suis pas, que j’ai fait dériver toute la première formulation de ce qu’il en est de l’acte psychanalytique.
Mais alors, peut-être comme ça, latéralement, c’est une façon que j’ai comme ça heuristique, de vous introduire, pourriez-vous vous demander – je pose la question parce que la réponse est déjà là, bien sûr – qu’est-ce qu’elle produit, cette tâche psychanalysante ?
Nous avons déjà pour nous guider, l’objet a. Car si au terme de la psychanalyse terminée, cet objet a, qui est là sans doute de toujours, au niveau de ce qui est notre question, à savoir l’acte psychanalytique, ce n’est quand même qu’au terme de l’opération qu’il va réapparaître dans le réel, d’une autre source, à savoir comme de, par le psychanalysant, rejeté.
Mais c’est là que fonctionne notre moyen terme; que nous le trouvons obéré d’un tout autre accent. Ce a dont il s’agit, nous l’avons dit, c’est le psychanalyste, ce n’est pas parce qu’il est là depuis le début, qu’à la fin, du point de vue de la tâche, cette fois, psychanalysante, ce n’est pas lui qui est produit. Je veux dire qu’on peut se poser la question de savoir quelle est la qualification du psychanalyste. Une chose en tout cas est certaine, c’est qu’il n’y a pas de psychanalyste sans psychanalysant, et je dirai plus, que ce quelque chose qui est si singulier à être entré dans le champ de notre monde, à savoir qu’il y ait un certain nombre de gens dont nous ne sommes pas si sûrs que ça de pouvoir instaurer leur statut comme sujet, ce sont quand même des gens qui travaillent à cette psychanalyse. Le terme de travail n’en a jamais été un seul instant exclu, dès l’origine de la psychanalyse, la Durcharbeitung, le working through, c’est bien là la caractéristique à laquelle il faut bien nous référer pour en admettre l’aridité, la sécheresse, le détour, voire parfois l’incertitude de ces bords.
Mais si nous nous plaçons à ce niveau d’une omnitude où tous les sujets alors franchement s’affirment dans leur universalité de ne plus être, et
d’être (la case de droite) le fondement de l’universel. Ce que nous voyons, c’est qu’assurément il y a quelque chose qui en dépend, qui en est le produit et même proprement la production.
Déjà ici, je peux épingler ce qu’il en est de cette gens, de cette espèce le psychanalyste, à le définir comme production. S’il n’y avait pas de psychanalysant, dirai-je, à la façon de je ne sais quel classique humour que je renverse : s’il n’y avait pas de Polonais il n’y aurait pas de Pologne. On peut le dire aussi : s’il n’y avait pas de psychanalysant, il n’y aurait pas de psychanalyste. Le psychanalyste se définit à ce niveau de la production. Il se définit d’être cette sorte de sujet qui peut aborder les conséquences du discours, d’une façon si pure qu’il puisse en isoler le plan dans ces rapports avec celui dont par son acte, il instaure la tâche et le programme de cette tâche, et pendant tout le soutien de cette tâche, n’y voit que ces rapports qui sont proprement ceux que je désigne quand je manie cette algèbre: le $, le a, voire le A et l’i (a). Celui qui est capable de se tenir à ce niveau, c’est-à-dire de ne voir que le point où en est le sujet dans cette tâche dont la fin est quand tombe, quand choit au dernier terme ce qui est l’objet a, celui qui est de cette espèce, ceci veut dire : celui qui est capable dans la relation avec quelqu’un qui est là en position de cure, de ne point se laisser affecter par tout ce qu’il en est de ce par quoi communique tout être humain dans toute fonction avec son semblable.
Et ceci a un nom, qui n’est pas simplement comme depuis toujours, je le dénonce, à savoir : le narcissisme jusqu’à son terme extrême qui s’appelle l’amour. Il n’y a pas que narcissisme, ni heureusement qu’amour entre les êtres humains, pour appeler ça comme on l’appelle. Il y a ce quelque chose que quelqu’un qui savait parler de l’amour a heureusement distingué: il y a le goût, il y a l’estime; le goût c’est d’un versant, l’estime ce n’est peut-être pas du même, mais ça se conjoint admirablement. Il y a fondamentalement ce quelque chose qui s’appelle le tu me plais et qui est fait essentiellement de ce dosage, de ce qui fait que, dans une proportion exacte et irremplaçable, de celle que vous pouvez mettre dans la case de gauche en bas : la relation, le support que prend le sujet du a et de cet i (a) qui fonde la relation narcissique, résonne, est pour vous exactement ce qu’il faut pour que ça vous plaise. C’est ce qui fait que dans les rapports entre êtres humains, il y a rencontre. C’est très précisément de ceci, qui est l’os et la chair de tout ce qui s’est jamais articulé de l’ordre de ce que de nos jours on essaie de mathématiser de façon bouffonne sous le nom de relations humaines, c’est de cela, dont se distingue précisément l’analyste en ne recourant jamais dans la relation à l’intérieur de l’analyse à cet inexprimable, à ce terme qui donne seul support à la réalité de l’autre qui est le tu me plais ou tu me déplais.
L’extraction, l’absence de cette dimension est qu’il y ait un être, être de psychanalyste qui puisse faire tourner, d’être lui-même en position de a tout ce dont il s’agit dans le sort du sujet psychanalysant à savoir son rapport à lui, à la vérité, de le faire tourner purement et simplement autour de ces termes d’une algèbre qui ne concerne en rien une foule de dimensions existantes et plus que recevables, une foule de données, d’éléments substantiels dans ce qui est là en jeu, en place et respirant sur le divan. Voilà ce qui est la production tout à fait comparable à celle de telle ou telle machine qui circule dans notre monde scientifique et qui est à proprement parler, la production du psychanalysant.
Voilà quelque chose d’original. Voilà tout de même quelque chose qui est assez sensible, qui n’est pas tellement nouveau, encore que ce soit articulé d’une façon qui peut vous paraître frappante. Car qu’est-ce que ça veut dire si l’on demande au psychanalyste de ne pas faire jouer dans l’analyse ce qu’on appelle le contre-transfert ? Je défie qu’on lui donne un autre sens que ceci : que n’y a place ni le tu me plais, ni le tu me déplais, après les avoir définis comme je viens de le faire.
Mais alors nous voici au pied de la question : qu’est-ce qu’il en est, après vous avoir à ce point transformé l’objet a en une production à la chaîne, si le psychanalyste produit le a comme une Austin ? Que peut vouloir dire l’acte psychanalytique, si en effet l’acte psychanalytique c’est tout de même le psychanalyste qui le commet ?
Ceci bien sûr veut dire que le psychanalyste n’est pas tout objet a. Il opère en tant qu’objet a. Mais l’acte dont il s’agit, je pense que je l’ai déjà assez fortement articulé jusqu’à présent pour pouvoir, sans commentaire le reprendre, l’acte qui consiste à autoriser la tâche psychanalysante, avec ce que ceci comporte de foi faite au sujet supposé savoir.
La chose était bien simple, tant que je n’avais pas dénoncé que cette foi est insoutenable et que le psychanalyste est le premier, et jusqu’ici le seul, à pouvoir la mesurer – Ce n’est pas encore fait – Grâce à ce que j’enseigne, il faut bien qu’il sache que
1 – Le sujet supposé savoir, c’est justement ce sur quoi il se reposait, à savoir, le transfert, considéré comme un don du ciel…
2 – Mais qu’aussi à partir du moment où il s’avère que le transfert c’est le sujet supposé savoir, lui, le psychanalyste, est le seul à pouvoir mettre en question ceci : c’est que si cette supposition est en effet bien utile pour s’engager dans la tâche psychanalytique, à savoir qu’il y en a un – appelez le comme vous voudrez l’omniscient, l’Autre – il y en a un qui sait déjà tout ça, tout ce qui va se passer, bien sûr pas l’analyste. Mais il y en a un. L’analyste, lui, ne sait pas qu’il y a un sujet supposé savoir et sait même que tout ce dont il s’agit dans la psychanalyse de par l’existence de l’inconscient, consiste justement à rayer de la carte cette fonction du sujet supposé savoir.
C’est donc un acte de foi singulier que ceci qui s’affirme de faire foi à ce qui est mis en question, puisque à simplement engager le psychanalysant dans sa tâche on préfère cet acte de foi, c’est-à-dire qu’on le sauve.
Est-ce que vous ne voyez pas là quelque chose qui vient recouvrir singulièrement une certaine querelle ? De ces choses qui ont un peu perdu de leur relief, au point que maintenant tout le monde s’en fout – au dernier centenaire de Luther, paraît-il qu’il y a eu une carte postale du Pape: « bon souvenir de Rome » – Est-ce que c’est la foi ou les oeuvres qui sauvent ? Vous voyez peut-être là un schéma où les deux choses se conjoignent, de l’œuvre psychanalysante à la foi psychanalytique, quelque chose se noue qui peut permettre peut-être d’éclairer rétrospectivement la valabilité et l’ordre dissymétrique où se posaient ces deux formules du salut par l’une ou par l’autre.
Mais il nous paraîtra sans doute plus intéressant – du moins je l’espère – de voir à la fin de ce discours pointer quelque chose dont je dois dire que pour moi-même c’est une surprise de la trouver.
S’il est vrai que dans le champ de l’acte psychanalytique ce que produit le psychanalysant, c’est le psychanalyste, et si vous réfléchissez à cette petite référence que j’ai prise en passant autour de l’essence de la conscience universelle du travailleur, à proprement parler, en tant que sujet de l’exploitation de l’homme par l’homme, est-ce qu’à focaliser toute l’attention concernant l’exploitation économique sur l’aliénation du produit du travail, ce n’est pas là masquer quelque chose dans l’aliénation constituante de l’exploitation économique de l’homme, ce n’est pas là masquer une face, et peut-être pas sans motivation, la face qui en serait la plus cruelle, et à laquelle peut-être un certain nombre de faits de la politique donnent vraisemblance ? Pourquoi nous ne nous poserions pas la question si à un certain degré de l’organisation de la production, précisément, il n’apparaîtra pas que le produit du travailleur, sous une certaine face, n’est pas justement la forme singulière, la figure que prend de nos jours le capitalisme ? Je veux dire qu’à suivre ce fil, et à voir dès lors la fonction de la foi capitaliste, prenez quelques petites références dans ce que j’indique sur le sujet de l’acte psychanalytique et conservez ça en marge dans votre tête, pour les propos par où je vais poursuivre mon discours.
Je vais poursuivre dans 15 jours… au même nombre de jours de vacances qu’on donne aux marmots dans les lycées, je me les donne à moi-même et je vous donne rendez-vous dans 15 jours.