samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 15 Mars 1967

 Leçon du 15 Mars 1967

 

Je désire donner tout le temps, d’habitude réservé à notre entretien, au Docteur Green, que vous voyez à ma droite. Je commence donc un tout petit peu plus tôt pour vous dire très vite les quelques mots d’introduction auxquels j’avais songé à cette occasion, sans d’ailleurs savoir à l’avance, même, qu’il avait, comme il vient de me le dire, beaucoup de choses à nous dire, à savoir que très probablement, il remplira l’heure et demie. Voilà.

Bon. En vertu des trames secrètes et comme toujours très sûres de mon sur-moi, comme aujourd’hui, en somme, implicitement, je m’étais donné vacance, j’ai trouvé moyen d’avoir à parler hier soir à cinq heures, à cinq heures du soir, à la jeune génération psychiatrique à Sainte-Anne. Cela veut dire, mon Dieu, à la vénération des candidats analystes.

Non, qu’est-ce que j’avais à faire là ? À la vérité, pas grand-chose, étant donné que ceux qui m’y avaient précédé, et nommément de mes élèves et les mieux faits pour leur apprendre ce qui peut être destiné à les éclairer sur mon enseignement, Mme Aulagnier par exemple, Piera (que ne fonderons-nous sur cette pierra ?….), Serge Leclaire, même Charles Melman, pour les nommer par lettres alphabétiques, et même d’autres… ouais…

Eh bien, mise à part la part de distraction qui me pousse quelquefois à dire “oui” quand on me demande quelque chose, j’avais tout de même quelques raisons d’y être. C’est à savoir que tout ceci se passait dans le cadre d’un enseignement qui est celui de mon vieil ami, de mon vieux camarade, Henri Ey. Voilà…

La génération qui est la nôtre, puisque c’est la même, celle de Henri Ey et la mienne, aura eu donc quelque rôle. Ce vieux camarade, en particulier, aura été celui à qui, pour moi, je donne le pompon, quant à une fonction qui n’est rien d’autre que celle que j’appellerai du civilisateur.

Vous vous rendez mal compte de ce que c’était la salle de garde de Sainte-Anne, quand nous y sommes arrivés tous les deux, avec d’autres aussi qui avaient un petit peu la même vocation, mais enfin, qui sont restés à mi-route ! Le sous-développement, si je puis dire, quant aux dispositions logiques, puisque de logique il s’agit ici, était vraiment, à ce niveau, vers 1925, hein ! ce n’est pas d’hier… quelque chose d’extraordinaire. Eh bien, depuis ce temps, Henri Ey a introduit sa grande machine : l’organodynamisme… c’est une doctrine… C’est une doctrine fausse, mais incontestablement civilisatrice. À cet égard, elle a rempli son rôle. On peut dire qu’il n’y a pas, dans le champ des hôpitaux psychiatriques, un seul esprit qui n’ait été touché par les questions que cette doctrine met au premier plan et ces questions sont des questions de la plus grande importance.

Que la doctrine soit fausse est presque secondaire eu égard à cet effet. D’abord, parce que ça ne peut pas être autrement. Ça ne peut pas être autrement, parce que c’est une doctrine médicale. Il est nécessaire, il est essentiel au statut médical, qu’il soit dominé par une doctrine. Cela s’est toujours vu. Le jour où il n’y aura plus de doctrine, il n’y aura plus de médecine non plus. D’autre part, il est non moins nécessaire, l’expérience le prouve, que cette doctrine soit fausse ; sans ça, elle ne saurait prêter appui au statut médical.

Quand les sciences — dont la médecine maintenant s’entoure et s’aide, se laisse… s’ouvre à elles de toutes parts — se seront rejointes au centre, eh bien, il n’y aura plus de médecine ; il y aura peut-être encore la psychanalyse, qui constituera à ce moment-là la médecine. Mais ça sera bien fâcheux, parce que ce sera un obstacle définitif à ce que la psychanalyse devienne une science. C’est pour ça que je ne le souhaite pas.

Eh bien, hier soir, j’ai été amené devant cet auditoire ainsi choisi, à parler de l’opération de l’aliénation, dont je pense, pour la plupart, étant donné qu’on ne se dérange pas si facilement de Sainte-Anne jusqu’à l’Ecole normale, (It is a long way !….) j’ai cru devoir pour eux — pour eux qui constituent en somme la zone d’appel aux responsabilités psychanalytiques, en d’autres termes : à ceux qui vont former les-psychanalystes — j’ai cru devoir leur épingler, parce que c’était là vraiment le lieu, leur épingler comment se pose, si l’on peut dire, ce qu’on appelle ce choix inaugural qui est vous le savez, un faux choix puisque c’est un choix forcé. Quels sont les noms qui conviennent à ce choix dans cette zone, centrale, de celle des futurs responsables ? Alors, histoire, comme cela, de leur éveiller les oreilles, je leur ai mis là-dessus lés noms qui conviennent, les noms appropriés ; je suis bien forcé d’y faire allusion, parce qu’il est rare que les entretiens, même limités, comme ceux-là, restent secrets, surtout quand il s’agit d’une salle de garde, et de ces noms, peut-être vous en reviendra-t-il aux oreilles quelques échos sous la forme de gorges chaudes. Ce ne sont pas des noms forcément obligeants, évidemment. Mais, entre le “je ne pense pas” et le “je ne suis pas”, ça n’a pas non plus, pour ce qui est d’une zone plus vaste, avancés comme étant les constituants fondamentaux de cette aliénation première, ça n’est pas non plus très obligeant pour l’ensemble de cette zone que je détache dans le champ humain, sous la forme du champ du sujet ; ou il ne pense pas, ou il n’est pas. D’ailleurs cela channe si vous le mettez à la troisième personne. C’est bien de “je ne pense pas” ou “je ne suis pas” qu’il s’agit. Alors, ceci tempère beaucoup la valeur des termes dont je me suis hier soir servi, surtout si l’on songe qu’en vertu de l’opération de l’aliénation, il y a un de ces deux termes qui est toujours exclu. Puis, j’ai montré que celui qui reste prend une toute autre valeur, en quelque sorte positive, en se proposant — en s’imposant même — comme terme d’échelle qui se propose, justement, à la critique de ce que j’invoquais à ce moment-là, que j’invoquais de considérer que la position propre au candidat, c’est la critique. C’était très urgent. Parce que si la situation ancienne était celle de sous-développés de la logique, la situation actuelle dans cette génération, par une sorte de paradoxe et par un effet qui est justement celui de l’analyse, l’incidence, casus, du meilleur optimisme, peut être en bien des cas pessimus, la plus mauvaise. Les autres étaient des sous-développés de la logique, mais ceux-là ont une tendance à en être les moines. Je veux dire qu’à la façon dont les moines se retirent du monde, ils se retirent aussi de la logique, ils attendent pour y penser que leur analyse soit finie.

Je les ai vivement incités à abandonner ce point de vue. Je ne suis pas le seul d’ailleurs et il se trouve qu’il y en a d’autres, qu’il y en a un à côté de moi, par exemple, qui est de ceux qui, dans cet ordre, essayent d’éveiller quand il en est encore temps — je veux dire ? as du tout forcément à la fin de la psychanalyse didactique, mais aussi bien en cours et peut-être cela vaut-il mieux — la vigilance critique de ceux qu’il, peut avoir à l’occasion à endoctriner.

Néanmoins je dois dire que c’est au titre de psychanalyste, de représentant de ce champ qui est celui, problématique, cil pour l’instant se joue encore tout l’avenir de la psychanalyse, que M. Green se trouve recevoir de moi, aujourd’hui, la parole, ceci en raison du fait, mon Dieu, tout à fait important, qu’il s’y est proposé lui-même, je veux dire que ce n’est pas nullement au titre d’être un de mes élèves sinon de mes suivants, qu’il va vous dire aujourd’hui les réflexions que lui inspirent les derniers termes que j’ai apportés concernant la logique du fantasme. Je lui laisse maintenant la parole, exactement pour tout le temps qu’il voudra, me réservant de tirer profit à votre usage comme au mien, de ce qu’il aura aujourd’hui avancé.

A vous la parole, Green.

(Exposé du Dr. A. Green)

Je remercie infiniment Green de la contribution qu’il nous a apportée aujourd’hui. Je n’ai pas besoin je pense, pour les oreilles averties, de souligner tout ce qui, dans son exposé a pu profondément me satisfaire. S’il a apporté nombreuses questions sur des plans divers : concernant mon accord ou ma distance d’avec Freud ou concernant l’élucidation, la mise en question, de tel ou tel point de ce qui est ici work progress — de quelque chose qui se construit et se développe devant vous et à votre intention — c’est un remerciement de plus que je lui dois, puisque, grâce à l’étape que constitue son intervention, le niveau de ces questions est posé qui doit nous permettre dans la suite, non seulement ce que je ferai assurément — toujours en désignant le point auquel je me raccorde — de lui répondre, mais même de poursuivre l’édification, je dirai, en prenant le repérage de ce niveau qu’apporte l’étude vraiment si profonde, si substantielle, qu’il a produit aujourd’hui devant vous, en référence — je peux le dire et je pense qu’il en sentira l’hommage — en référence à mon discours.

Je ne peux qu’y ajouter mes compliments sur la longanimité qu’il a mise au cours de cette petite épreuve, à laquelle nous avons tous été soumis et dont je dois en quelque sorte m’excuser auprès de lui, puisque assurément, ce n’était pas sa personne qui se trouvait en l’occasion visée.

Je vous donne rendez-vous, donc, prochaine réunion au mercredi… quatre plus sept, ceci fait : 11 avril, il n’y aura pas de séminaire le 4 avril comme certains pourraient s’y attendre.

 

Dans ta salle : — douze !….douze !

Dr Lacan :- douze ! 12 avril.

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