samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXX Encore 1972 – 1973 Leçon du 9 janvier 1973

Leçon du 9 janvier 1973

Et puis je vais entrer tout doucement dans ce que je vous ai réservé pour aujourd’hui, qui est à mes risques, qui comme vous allez le voir… ou peut-être ne pas le voir — qui sait ? — en tout cas, moi, avant de commencer, il me paraît casse-gueule. Je dois mettre un titre, comme ça : ce que je vais vous dire va être centré… Puisqu’en somme il s’agit encore de quelque chose qui est le discours analytique. Il s’agit de la façon dont, dans ce discours, nous avons à situer la fonction de l’écrit. Évidemment, il y a là-dedans de l’anecdote, à savoir qu’un jour j’ai écrit sur la page d’un recueil que je sortais… Ce que j’ai appelé « la poubellication »… Je n’ai pas trouvé mieux à écrire, sur la page d’enveloppe de ce recueil, que le mot Écrits. Ces Écrits, il est assez connu, disons qu’ils ne se lisent pas facilement. Je peux vous faire, comme ça, un petit aveu autobiographique : c’est qu’en écrivant Écrits c’est très précisément ce que je pensais… Ça va peut-être même jusque-là : J’ai pensé qu’ils n’étaient pas à lire. En tout cas c’est un bon départ. Bien entendu que la lettre ça « se lit ». Ça semble même être fait dans le prolongement du mot : ce « lit » et « littéralement ». Mais justement ce n’est peut-être pas du tout la même chose de « lire une lettre » ou bien de « lire ». Pour introduire ça d’une façon qui fasse image, je veux pas partir tout de suite du discours analytique. Il est bien évident pourtant que, dans le discours analytique, il ne s’agit que de ça, de ce qui « se lit », de ce qui « se lit » au-delà, de ce que vous avez incité le sujet à dire, qui est… Comme je l’ai souligné je pense, au passage, la dernière fois… Qui est pas tellement de tout dire, que de dire n’importe quoi, et j’ai poussé la chose plus loin : ne pas hésiter — car c’est la règle — ne pas hésiter à dire… Ce dont j’ai introduit cette année la dit-mension comme étant essentielle au discours analytique… À dire des bêtises. Naturellement, ça suppose que nous développions cette dimension, et ceci ne peut pas se faire sans le dire.

Qu’est-ce que c’est que la dimension de la bêtise ? La bêtise… Au moins celle-ci qu’on peut proférer,… c’est que la bêtise ne va pas loin. Dans le discours, le discours courant, elle tourne court. C’est bien sûr quelque chose dont, si je puis dire, je m’assure quand je fais cette chose… que je ne fais jamais sans tremblement… À savoir de retourner à ce que — dans le temps — j’ai proféré. Ça me fait toujours une sainte peur, la peur justement d’avoir dit des bêtises, c’est-à-dire quelque chose que, en raison de ce que j’avance maintenant, je pourrais considérer comme tenant pas le coup. Grâce à quelqu’un qui a repris ce Séminaire annoncé le premier de l’École Normale qui va sortir bientôt… j’ai pu avoir… ce qui ne m’est pas souvent réservé puisque comme je vous le dis j’en évite moi-même le risque… j’ai pu avoir le sentiment que je rencontre quelquefois à l’épreuve, que ce que dans cette année là par exemple j’ai avancé, n’était pas si bête, ne l’était au moins pas tant que de m’avoir permis d’avancer d’autres choses, dont il me semble, parce que j’y suis maintenant, qu’elles se tiennent. Il n’en reste pas moins que ce « se relire » représente une dimension, une dimension qui est à situer proprement dans ce qu’est que, au regard du discours analytique, la fonction de ce qui se lit.

Le discours analytique a à cet égard un privilège. Il me paraît difficile… et c’est de là que je suis parti… dans ce qui m’a fait date « de ce que j’enseigne », comme je me suis exprimé, qui ne veut peut-être pas tout à fait dire ce que ça avait l’air d’énoncer, à savoir qu’ils mettent l’accent sur le « je », à savoir ce que je puis proférer, mais peut-être aussi de mettre l’accent sur le « de », c’est-à-dire d’où ça vient, un enseignement dont je suis l’effet. Depuis, j’ai mis l’accent sur ce que j’ai fondé d’une articulation précise, celle qui s’écrit… justement c’est écrit au tableau… de quatre lettres, de deux barres et de quelque traits, nommément cinq qui relient chacune de ces lettres. Une de ces barres… puisqu’il y en a quatre [lettres], il devrait y en avoir six, six barres… une de ces barres y manque. Ce qui de cette façon dont c’est écrit, que j’appelle discours analytique, ceci est partie d’un rappel, d’un rappel initial, d’un rappel premier : c’est à savoir que le discours analytique est ce mode de rapport nouveau qui s’est fondé seulement de ce qui fonctionne comme parole, et ce, dans quelque chose qu’on peut définir comme un champ. Fonction et champ… ai-je écrit justement… de la parole et du langage… j’ai terminé… en psy­chanalyse, ce qui était désigner, désigner ce qui fait l’originalité d’un certain discours qui n’est pas homogène à un certain nombre d’autres qui font office, et que seulement de ce fait nous allons distinguer d’être officiels. Il s’agit jusqu’à un certain point de discerner quel est l’office du discours analytique, et de le rendre lui aussi, sinon officiel, du moins officiant. C’est dans ce discours, tel qu’il est dans sa fonction et son office qu’il s’agit d’y cerner… c’est aujourd’hui la voie que je prends… ce que peut – ce discours – révèler de la situation très particulière de l’écrit quant à ce qui est du langage. C’est une question qui est très à l’ordre du jour, si je puis m’exprimer ainsi. Néanmoins ça n’est pas à cette pointe d’actualité que je voudrais tout de suite en venir. J’entends particulièrement préciser quelle peut être, si elle est spécifique, quelle peut être la fonction de l’écrit dans le discours analytique. Chacun sait que j’ai produit, avancé, l’usage… pour permettre d’expliquer les fonctions de ce discours… d’un certain nombre de lettres. Très nommément pour les réécrire, les réécrire au tableau : le (a), que j’appelle objet, mais qui, quand même, n’est rien qu’une lettre. Le A, que je fais fonctionner dans ce qui de la proposition n’a pris que formule écrite, est production de la logico­-mathématique ou de la mathématico-logique comme vous voudrez l’énoncer. Ce A je n’en ai pas fait n’importe quoi, j’en désigne ce qui d’abord est un lieu, une place. J’ai dit : le lieu de l’Autre, comme tel désigné par une lettre. En quoi une lettre peut-elle servir à désigner un lieu ? Il est clair qu’il y a là quelque chose d’abusif et que quand vous ouvrez par exemple la première page de ce qui a été enfin réuni sous la forme d’une édition définitive sous le titre de la Théorie des ensembles, et sous le chef d’auteurs fictifs qui se dénomment du nom de Nicolas BOURBAKI, ce que vous voyez, c’est la mise en jeu d’un certain nombre de signes logiques. Ces signes logiques précisément désignent… en particulier l’un d’entre eux… la fonction « place » comme telle. Ce signe logique est désigné à l’écrit par un petit carré : □. Je n’ai donc pas d’abord, à proprement parler fait un usage strict de la lettre quand j’ai dit que le lieu de l’Autre se symbolisait par la lettre A.

Par contre, je l’ai marqué en le redoublant de ce S qui ici veut dire signifiant, signifiant du A en tant qu’il est barré : S (A). Par là, j’ai articulé dans l’écrit, dans la lettre, quelque chose qui ajoute une dimension à ce lieu du A, et très précisément en montrant que comme lieu il ne tient pas, qu’il y a en ce lieu, en ce lieu désigné de l’Autre, une faille, un trou, un lieu de perte, et c’est précisément de ce qui au niveau de L’objet (a) vient fonctionner au regard de cette perte, que quelque chose est avancé de tout à fait essentiel à la fonction du langage. J’ai usé aussi de cette lettre : Φ, je parle de ce que j’ai introduit qui fonctionne comme lettre, qui introduit comme telle une dimension nouvelle. J’ai utilisé… le distinguant de la fonction seulement signifiante qui se promeut dans la théorie analytique jusque-là, du terme du phallus… j’ai avancé Φ comme constituant quelque chose d’original, quelque chose que je spécifie, ici aujourd’hui, d’être précisé dans son relief par l’écrit même. C’est une lettre dont la fonction se distingue des autres, c’est d’ailleurs bien pour cela que ces trois lettres sont différentes. Elles n’ont pas la même fonction, comme déjà vous pouvez l’avoir senti de ce que j’ai d’abord énoncé S (A) et du (a). Elle est d’une fonction différente et pourtant elle reste une lettre. C’est très précisément de montrer le rapport que, de ce que ces lettres introduisent dans la fonction du signifiant, qu’il s’agit aujourd’hui de discerner ce que nous pouvons, à reprendre le fil du discours analytique, en avancer. Je propose, je propose ceci, c’est que vous considériez l’écrit comme n’étant nullement du même registre, du même tabac si vous me permettez cette sorte d’expressions qui peuvent avoir bien leur utilité, que ce qu’on appelle le signifiant. Le signifiant c’est une dimension qui a été introduite de la linguistique, c’est-à-dire de quelque chose, qui dans le champ où se produit la parole, ne va pas de soi. Un discours le soutient, qui est le discours scientifique. Un certain ordre de dissociation, de division est introduit par la linguistique grâce à quoi se fonde la distinction de ce qui semble pourtant aller de soi, c’est que quand on parle ça signifie, ça comporte le signifié. Bien plus, jusqu’à un certain point, ça ne se supporte que de la fonction de signification. Introduire, distinguer la dimension du signifiant, c’est quelque chose qui ne prend relief, précisément que de poser que le signifiant comme tel… très précisément ce que vous entendez, au sens je dirai littéralement auditif du terme, au moment ou ici et là où je suis, de là où je suis, je vous parle… c’est poser très précisément ceci, mais par un acte original : que ce que vous entendez a avec ce que ça signifie, n’a avec ce que ça signifie aucun rapport.

C’est là acte qui ne s’institue que d’un discours, dit discours scientifique. Cela ne va pas de soi. Et ça va même tellement peu de soi que ce que vous voyez sortir d’un dialogue, qui n’est pas d’une mauvaise plume puisque c’est le Cratyle du nommé PLATON, ça va tellement peu de soi que tout ce discours est fait de l’effort de faire que justement ce rapport… ce rapport qui fait que ce qui sénonce c’est fait pour signifier et que ça doit bien avoir quelque rapport…tout ce dialogue est tentative…que nous pouvons dire, d’où nous sommes, être désespérée…pour faire que ce  signifiant  – de soi-même ! – soit présumé vouloir dire quelque chose. Cette tentative désespérée, est d’ailleurs marquée de l’échec, puisque c’est d’un autre discours…mais d’un discours qui comporte sa dimension originale…discours scientifique, qu’il se promeut, qu’il se produit… et d’une façon, si je puis dire, dont il n’y a pas à chercher l’histoirequ’il se produit de l’instauration même de ce discours, que le signifiant ne se pose que d’avoir aucun rapport.Les termes là dont on use sont toujours eux-mêmes glissants. Même un linguiste aussi pertinent que peut l’être, qu’a pu l’être Ferdinand de SAUSSURE parle d’arbitraire. Mais c’est là glissement, glissement dans un autre discours, discours du décret, ou pour mieux dire discours du maître pour l’appe­ler par son nom. L’ arbitraire n’est pas ce qui convient.Mais d’un autre coté nous devons toujours faire attention, quand nous développons un discours, si nous voulons rester dans son champ même, et ne pas perpétuellement produire ces effets de rechute, si je puis dire, dans un autre discours, nous devons tenter de donner à chaque discours sa consistance, et pour maintenir sa consistance n’en sortir qu’à bon escient. Dire que « le signifiant est arbitraire » n’a pas la même portée que de dire simplement que « le  signifiant n’a pas de rapport avec son effet de signifié ».C’est ainsi qu’à chaque instant…et plus que jamais dans le cas où il s’agit d’avancer comme fonction ce qu’est un discours…nous devons… au moins à chaque fois, à chaque instant…noter ce en quoi nous glissons dans une autre référence.Le mot référence en l’occasion ne pouvant se situer que de ce que constitue comme lien le discours comme tel. Il n’y a rien à quoi le signifiant comme tel se réfère, si ce n’est à un discours, à un mode de fonctionnement du langage, à une utilisation – comme lien – du langage.Encore faut-il préciser à cette occasion ce que veut dire, ce que veut dire le  lien. Le lien… bien sûr nous ne pouvons qu’y glisser immédiatement …c’est un lien entre ceux qui parlent. Et vous voyez tout de suite où nous allons, à savoir que ceux qui parlent…bien sûr ce n’est pas n’importe qui, ce sont des êtres que nous sommes habitués à qualifier de vivants, …peut-être est-il très difficile d’exclure de ceux qui parlent, cette dimension qui est celle de la vie, à moins que nous ne nous apercevions aussitôt…ce qui se touche du doigt…que dans le champ de ceux qui parlent, il nous est très difficile de faire entrer la fonction de la vie sans faire en même temps entrer la fonction de la mort, et que de là résulte une ambiguïté signifiante justement… qui est tout à fait radicale…de ce qui peut être avancé comme étant fonction de vie ou bien de mort. Il est assez clair que rien ne conduit de façon plus directe à ceci : que le quelque chose d’où seulement la vie peut se définir, à savoir la reproduction d’un corps, cette fonction de reproduction elle-même ne peut s’intituler ni spécialement de la vie, ni spécialement de la mort, puisque comme telle, en tant que cette reproduction est sexuée, comme telle elle comporte les deux, vie et mort.

Mais déjà, rien qu’à nous avancer dans ce quelque chose qui est déjà dans le fil, dans le courant du discours analytique, nous avons fait ce saut, ce glissement qui s’appelle « conception du monde », qui doit bien pourtant être pour nous être considéré comme ce qu’il y a de plus comique, à savoir que nous devons toujours faire très attention que ce terme « conception du monde », suppose lui-même un tout autre discours, qu’il est,qu’il fait partie de celui de la philosophie,  que rien après tout n’est moins assuré…si l’on sort du discours philosophique…que l’existence comme telle d’un monde, qu’il n’y a souvent que l’occasion, l’occasion de sourire dans ce qui est avancé par exemple du discours analytique comme comportant quelque chose qui soit de l’ordre d’une telle conception. Je dirai même plus loin, que jusqu’à un certain point, il mérite aussi qu’on sourie de voir avancer un tel terme pour désigner par exemple disons ce qui s’appelle marxisme. Le marxisme ne me semble pas…et à quelque examen que ce soit, fut-ce le plus approximatif…ne peut passer pour conception du monde. Il est au contraire, par toutes sortes de coordon­nées tout à fait frappantes, de l’énoncé de ce que dit MARX…ce qui ne se confond pas obligatoirement avec la conception du monde marxiste …c’est à proprement parler autre chose, que j’appel­lerai plus formellement « un Évangile », à savoir une annonce, une annonce que quelque chose qui s’appelle l’Histoire instaure une autre dimension du discours, en d’autres termes la possibilité de subvertir complètement la fonction du discours comme tel, j’entends à proprement parler, du discours philosophique, en tant que sur lui repose une conception du monde.Le langage s’avère donc beaucoup plus vaste comme champ, beaucoup plus riche de ressources que d’être simplement celui où puisse s’inscrire un discours qui est celui qui, au cours des temps, s’est instauré du discours philosophique. Ce n’est pas parce que il nous est difficile de ne pas du tout en tenir compte…pour autant que de ce discours – discours philosophique  – certains points de repère sont énoncés qui sont difficiles à éliminer complètement de tout usage du langage…ce n’est pas à cause de cela que nous devons à tout prix nous en passer, à condition de nous apercevoir qu’il n’y a rien de plus facile que de retomber dans ce que j’ai appelé ironiquement, voire avec la note comique « conception du monde », mais qui a un nom plus modéré, bien plus précis et qui s’appelle l’ontologie.

L’ontologie est spécialement ceci qui, d’un certain usage du langage, a mis en valeur, a produit d’une façon accentuée, a produit l’usage dans le langage de la copule, d’une façon telle qu’elle ait été en somme isolée comme signifiant. S’arrêter au verbe être… ce verbe qui n’est même pas, dans le champ complet de la diversité des langues, d’un usage qu’on puisse qualifier d’universel…le produire comme tel, est queque chose qui comporte une accentuation, une accentuation qui est pleine de risques.Pour – si l’on peut dire – la détecter, et même jusqu’à un certain point l’exorciser, il suffirait peut-être d’avancer que rien n’oblige…quand on dit que : « quoi que ce soit, c’est ce que c’est » …d’aucune façon, ce « être », de l’isoler, de l’accentuer.

Ça se prononce « c’est ce que c’est », et ça pourrait aussi bien s’écrire « seskecé », que on n’y verrait… à cet usage de la copule…on n’y verrait, si je puis dire que du feu. On n’y verrait que du feu si un discours, qui est le discours du maître…discours du maître qui ici peut aussi bien s’écrire « m’être »…ce qui met, ce qui met l’accent sur le verbe « être ».C’est ce quelque chose qu’ARISTOTE lui-même regarde à deux fois à avancer puisque pour ce qui est de être qu’il oppose au τό  τί  ἑστι [ to ti esti ] ,  à la quiddité, à ce que « ça est », il va jusqu’à employer le   τό  τί  ἦν  εἶναι [ to ti en einaï ]   à savoir   :« ce qui se serait bien  produit,  si  c’ était venu à  être  tout court,  ce qui était à être  »Et il semble que là, le pédicule se conserve qui nous permette de situer d’où se produit ce discours de l’être. Il est tout simplement celui de : « l’être à la botte », de « l’être aux ordres », « ce qui allait être, si tu avais entendu ce que je t’ordonne ».Toute dimension de l’ être se produit de quelque chose qui est dans le fil, dans le courant du discours du maître, de celui qui – proférant le signifiant – en attend ce qui est un de ses effets de lien assurément à ne pas négliger, qui est fait de ceci que le signifiant commande. Le signifiant est d’abord, et de sa dimension, impératif.Comment, comment retourner…si ce n’est d’un discours spécial…à ce que je pourrais avancer d’une réalité  pré­discursive ? C’est là ce qui bien entendu est le rêve, le rêve fondateur de toute idée de connaissance, mais ce qui aussi bien est à considérer comme mythi­que : il n’y a aucune réalité pré-discursive. Chaque réalité se fonde et se définit d’un discours.Et c’est bien en cela qu’il importe que nous nous apercevions de quoi est fait le discours analytique, et de ne pas méconnaître ce qui sans doute n’y a qu’une place, une place limitée, à savoir – mon Dieu – que : on y parle de ce que le verbe foutre énonce parfaitement, on y parle de foutre… je veux dire le verbe to fuck…et on y dit que « ça ne va pas ».C’est une part importante de ce qui se confie dans le discours analytique, et il importe très précisément de souligner que ce n’est pas son privilège. Il est clair que dans ce que j’ai appelé tout à l’heure le « discours », et en l’écrivant presque en un seul mot : le disque, le « disque-ourcourant », le disque aussi hors-champ, hors jeu de tout discours, à savoir le disque tout court. Dans le disque qui est bien, après tout, l’angle sous lequel nous pouvons considérer tout un champ du langage, celui qui en effet donne bien sa substance, son étoffe, à être considérer comme disque, à savoir que ça tourne, et que ça tourne très exactement pour rien, ce disque est exactement ce qui se trouve dans le champ, dans le champ d’où les discours se spécifient, le champ où tout ça se noie, où tout un chacun est capable, tout aussi capable, de s’en énoncer autant mais, par un souci de ce que nous appellerons à très juste titre décence, le fait – mon Dieu ! – le moins possible.Ce qui fait le fond de la vie en effet, c’est que tout ce qu’il en est des rapports des hommes et des femmes, ce qu’on appelle collectivité, « ça ne va pas ». Ça ne va pas, et tout le monde en parle, et une grande partie de notre activité se passe à le dire.Il n’empêche qu’il n’y a rien de sérieux si ce n’est ce qui s’ordonne d’une autre façon comme discours, jusques et y compris ceci : que précisément ce rapport, ce rapport sexuel…en tant qu’il « ne va pas » …il va quand même – grâce à un certain nombre de conventions, d’interdits, d’inhibitions, de toutes sortes qui sont l’effet du langage… qui ne sont à prendre que de cette étoffe et de ce registre…et qui réduisent très précisément ceci qui tout d’un coup nous fait revenir, nous fait revenir, comme il convient, au champ du discours.Il n’y a pas la moindre réalité  pré-discursive, pour la bonne raison que ce qui fait collectivité, et que j’ai appelé, en l’évocant à l’instant « les hommes, les femmes et les enfants », ça ne veut très exactement rien dire comme réalité pré-discursive, Les hommes, les femmes et les enfants, ce ne sont que des signifiants.

Un homme, ce n’est rien d’autre qu’un signifiant. Une femme cherche un homme au titre de signifiant. Un homme cherche une femme au titre… ça va paraître curieux…de ce qui ne se situe que du discours…puisque, si ce que j’avance est vrai, à savoir que la femme n’est pas-toute …il y a toujours quelque chose qui chez elle échappe au discours. Alors, il s’agit de savoir, dans tout cela, ce qui dans un discours se produit de l’effet de l’écrit. Vous le savez peut-être… vous le savez en tout cas si vous avez lu ce que j’écris…le signifiant et le signifié, c’est pas seulement que la linguistique les ait distingués. La chose peut-être vous paraît aller de soi. Mais justement, c’est à considérer que les choses vont de soi qu’on ne voit rien de ce qu’on a pourtant devant les yeux, et devant les yeux concernant justement l’écrit. S’il y a quelque chose qui peut nous introduire à la dimen­sion de l’ écrit comme tel, c’est nous apercevoir que pas plus que le signifié – pas le signifiant – n’a à faire avec les oreilles, mais seulement avec la lecture, à savoir de ce qu’on entend de signifié. Mais le signifié, c’est justement pas ce qu’on entend. Ce qu’on entend, c’est le signifiant. Et le signifié, c’est l’effet du signifiant.Il y a quelque chose qui n’est que l’effet du discours, l’effet du discours en tant que tel, c’est-à-dire de quelque chose qui fonctionne déjà comme lien. Eh bien c’est ce quelque chose qui au niveau d’un écrit effet de dis­cours, de discours scientifique : du S, fait pour connoter la place du signifiant, et du s dont se connote comme place le signifié, cette fonction de place n’est créée que par le discours lui-même : « chacun à sa place », ça ne fonctionne que dans le discours. Eh bien, entre les deux, il y a la barre . Et ça n’a l’air de rien quand vous écrivez une barre, faut expliquer. Ce mot « expliquer », a toute son importance puisqu’il n’y a rien moyen de comprendre à une barre, même quand elle est réservée à signifier la négation.C’est très difficile de comprendre ce que ça veut dire, la négation. Si on y regarde d’un tout petit peu près, on s’apercevra en particulier qu’il y en a une très grande variété de négations, et qu’il est tout à fait impossible de réunir toutes les négations sous le même concept. La négation de l’existence  [ / ], ce n’est pas du tout la même chose que la négation de la totalité  [ .],  pour me limiter à l’usage que j’ai pu faire de la négation.Mais il y a une chose qui est en tout cas encore plus certaine, c’est que le fait d’ajouter la barre à la notation S et s… qui déjà se distinguent très suffisament…pourrait se soutenir d’être seulement marqué par la distance de l’écrit. Y ajouter la barre a quelque chose de superflu, voire de futile, et qu’en tout cas, comme tout ce qui est de l’écrit, comme tout ce qui est de l’écrit se supporte que de ceci : c’est que justement l’écrit, ça n’est pas à comprendre.

C’est bien pour ça que vous n’êtes pas forcés de comprendre les miens. Si vous ne les comprenez pas, c’est un bon signe, tant mieux, ça vous donnera justement l’occa­sion de les expliquer.  [ Rires ]La barre, la barre c’est pareil. La barre, c’est très précisément le point où dans tout usage du langage, il y aura occasion à ce que se produise l’écrit. Si, dans SAUSSURE même, S c’est barre au-dessus de s : sur la barre, c’est grâce à ça que dans L’Instance de la lettre qui fait partie de mes Écrits j’ai pu démontrer…d’une façon qui s’écrit, rien de plus…que rien ne se sup­porte des effets dits « de l’inconscient », si grâce à cette barre…s’il n’y avait pas cette barre, rien ne pourrait en être expliqué…il y a du signifiant qui passe sous la barre.S’il n’y avait pas de barre vous ne pourriez pas voir qu’il y a du signifiant s’injecte dans le signifié.Grâce à l’écrit se manifeste, se manifeste ceci qui n’est qu’effet de discours, car s’il n’y avait pas de discours analytique, vous continueriez à parler très exactement comme des étourneaux, c’est-à-dire à dire ce que je qualifie du disque-ourcourant, c’est-à-dire de continuer le disque, le disque continuant ce quelque chose qui est le point le plus important que révèle le discours analytique seulement, c’est à savoir ceci qui ne peut s’articuler que grâce à toute la construction du discours analytique  c’est que très précisément, il n’y a pas… je reviens là-dessus puisque après tout c’est la formule que je vous serine, mais de vous la seriner, faut-il encore que je l’explique parce qu’elle ne se sup­porte que de l’écrit précisément, et de l’écrit en ceci : « que le rapport sexuel ne peut pas s’écrire ».

C’est ce que ça veut dire.Ou plus exactement que tout ce qui est écrit est conditionné de façon telle que ça part du fait qu’il sera à jamais impossible d’écrire comme tel le rapport sexuel. Que l’écriture comme telle est possible, à savoirqu’il y a un certain effet du discours qui s’appelle l’écriture. Voyez vous, on peut à la rigueur écrire : x R y  et dire : x c’est l’homme,y c’est la femme, et R… c’est le rapport sexuel [ Rires ]. Pourquoi pas ? Seulement voilà, c’est ce que je vous disais tout à l’heure : c’est une bêtise ! C’est une bêtise parce que ce qui se supporte sous la fonction de signifiants, de homme et de femme, ce ne sont que des signifiants, ce ne sont que des signifiants tout à fait liés à cet usage courcourant du langage. Et s’il y a un discours qui vous le démontre, c’est que la femme ne sera jamais prise… c’est ce que le discours analytique   met en jeu …que quoad matrem, c’est-à-dire que « la femme » n’entrera en fonction dans le rapport sexuel qu’en tant que « la mère ».Ça c’est des vérités massives, et qui… quand nous y regardons de plus près…bien entendu nous mèneront plus loin. Mais grâce à quoi ? Grâce à l’écriture qui d’ailleurs ne fera pas objection à cette première approxi­mation, puisque justement c’est par là qu’elle montrera que c’est une suppléance de ce « pas-toute » sur quoi repose – quoi ? – la jouissance de la femme. C’est à savoir que cette jouissance qu’elle n’est pas-toute, c’est-à-dire quelque part la fait absente d’elle-même, absente en tant que sujet, qu’elle y trouvera le bouchon de ce (a) que sera son enfant.

Mais d’un autre côté, du côté de l’x…à savoir de ce qui serait l’homme si ce rapport sexuel pouvait s’écrire d’une façon soutenable, soutenable dans un discours…vous verrez que l’homme n’est qu’un signifiant parce que, là où il entre en jeu comme signifiant, il n’y entre que quoad castrationem c’est-à-dire en tant qu’il a un rapport… un rapport quelquonque…avec la jouissance phallique. De sorte que c’est à partir du moment où…du quelque part d’un discours qui aborde la question sérieusement, le discours analytique …que c’est à partir du moment où ce qui est la  condition de l’écrit,   à savoir qu’il se soutienne d’un discours, que tout se dérobera, et que le rapport sexuel, vous ne pourrez jamais l’écrire…naturellement dans la mesure où il s’agit d’un vrai écrit…c’est-à-dire de l’écrit en tant que c’est ce qui du langage, se conditionne d’un discours.La lettre, radicalement, est effet de discours.Ce qu’il y a de bien…n’est-ce pas, si vous me permettez …ce qu’il y a de bien dans ce que je raconte, c’est que c’est toujours la même chose [ Rires ]. C’est à savoir… non pas, bien sûr que je me répète, c’est pas là la question. C’est que ce que j’ai dit antérieurement…  la première fois, autant que je me souvienne, que j’ai parlé de la lettre…    j’ai sorti ça je ne sais plus quand, maintenant je vais plus rechercher, je vous dit : j’ai horreur de me relire, mais il doit bien y avoir quinze ans, quelque part à Sainte-Anne…j’ai essayé de faire remarquer cette petite chose que tout le monde connaît bien sûr…que tout le monde connaît quand on lit un peu, ce qui n’arrive pas à tout le monde…qu’un nommé Sir FLINDERS PETRIE par exemple avait cru remarquer que les lettres de l’alphabet phénicien se trouvaient bien avant le temps de la Phénicie sur de menues poteries égyptiennes où elles servaient de marques de fabrique. Ce qui veut dire, ce qui veut dire simplement ceci : que le marché…qui est typiquement un effet de discours…c’est là que d’abord est sortie la lettre, avant que quiconque ait songé à user des lettres. Pour faire quoi ? Quelque chose qui n’a rien à faire avec la connotation du signifiant, mais qui l’élabore, qui le perfectionne. Il faudrait bien sûr prendre les choses au niveau de l’histoire de chaque langue. Parce qu’il est clair que la lettre chinoise… celle qui nous affole tellement que nous appelons ça, Dieu sait pourquoi, d’un nom différent, de « caractère » …à savoir que la lettre chinoise il est manifeste qu’elle est sortie du discours chinois très ancien d’une façon toute différente de la façon dont sont sorties nos lettres. À savoir qu’en somme les lettres, les lettres qu’ici je sors, elles ont une valeur différente… différentes comme lettres parce qu’elles sortent du discours analytique…de ce qui peut sortir comme lettres par exemple de la théorie des ensembles, à savoir l’usage qu’on en fait, et qui pourtant – c’est là l’intérêt – n’est pas sans avoir de rapport, un certain rapport de convergence, sur lequel j’aurai certainement, dans ce qui sera la suite, l’occasion d’apporter quelques développements.La lettre en tant qu’effet : n’importe quel effet de discours a ceci de bon qu’il fait de la lettre.

Alors – mon Dieu – pour terminer…pour terminer aujourd’hui ce qui n’est qu’une amorce que j’aurai l’occasion de développer, ce que je reprendrai à propos …en vous distinguant, discernant par exemple la différence qu’il y a : de l’usage de la lettre dans l’algèbre,  ou de l’usage de la lettre dans la théorie des ensembles, parce que ceci nous intéresse directement. Pour l’instant je veux simplement vous faire remar­quer qu’il se produit quand même quelque chose qui est corrélatif de l’émergence au monde, au monde – c’est le cas de le dire – au monde en décomposition, Dieu merci, au monde que nous voyons ne plus tenir, puisque même dans le discours scien­tifique il est clair qu’il n’y a pas le moindre monde, à partir du moment où vous pouvez ajouter aux atomes un truc qui s’appelle le quark, et que vous trouvez que c’est là le vrai fil du discours scientifique. Vous devez quand même vous rendre compte qu’il s’agit d’autre chose : il s’agit de voir d’où on parle.Eh bien, référez vous quand même, parce que c’est un bonne lecture, il faut que vous vous mettiez tout de même à lire un peu des auteurs… je ne dirai pas de votre temps, je ne vous dirai pas de lire Philippe SOLLERS, il est illisible, comme moi, oui…lire JOYCE par exemple. Alors là vous verrez comment ça a commencé de se produire. Vous verrez que le langage se perfectionne et sait jouer avec l’écriture.JOYCE, moi je veux bien que ça ne soit pas lisible. C’est certainement pas traductible en chinois ! Seulement JOYCE qu’est-ce c’est ? C’est exactement ce que je vous ai dit tout à l’heure : c’est le signifiant qui vient truffer le signifié. JOYCE c’est un long texte écrit – lisez Finnegan’s Wake – c’est un long texte écrit dont le sens provient de ceci : c’est que c’est du fait que les signifiants s’emboîtent, se com­posent… si vous voulez, pour faire image pour ceux qui n’ont même pas l’idée de ce que c’est …se télescopent. Que c’est avec ça que se produit quelque chose, qui – comme signifié – peut paraître énigmatique, mais qui est bien ce qu’il y a de plus proche de ce dont nous autres analystes, grâce au discours analytique, nous savons lire, qui est ce qu’il y a de plus proche du lapsus. Et c’est au titre de lapsus que ça si­gnifie quelque chose, c’est-à-dire que ça peut se lire d’une infinité de façons différentes. Mais c’est justement pour ça que ça se lit mal, ou que ça se lit de travers, ou que ça ne se lit pas. Mais cette dimension du « se lire », est-ce que ce n’est pas suffisant pour montrer que nous sommes dans le registre du discours analytique?Que ce dont il s’agit dans le discours analytique, c’est toujours : à ce qui s’énonce de signifiant, que vous donniez une autre lecture que ce qu’il signifie.Mais c’est là que commence la question, parce que… voyons, pour me faire comprendre, je vais prendre une référence dans ce que vous lisez, dans le grand livre du monde. Par exemple vous voyez le vol d’une abeille. L’abeille vole, elle butine, elle va de fleur en fleur. Ce que vous apprenez, c’est que elle va transporter au bout de ses pattes le pollen d’une fleur sur le pistil, et du même coup aux œufs d’une autre fleur. Ça, c’est ce que vous lisez dans le vol de l’abeille, ou n’importe quoi d’autre. Vous voyez… je sais pas moi… quelque chose que vous appelez tout d’un coup, comme ça : un vol d’oiseau qui vole bas… vous appelez ça un vol, c’est un groupe, en réalité, un groupe à un certain niveau…vous y lisez qu’il va faire de l’orage. Mais est-ce qu’ils lisent ? Est-ce que l’abeille lit qu’elle sert à la reproduction des plantes phanérogamiques ? Est-ce que l’oiseau lit l’augure de la fortune, comme on disait autrefois, c’est-à-dire de la tempête?Toute la question est là. C’est pas exclu, après tout, que l’hirondelle ne lise pas la tempête, mais c’est pas sûr non plus.Ce qu’il y a dans votre discours analytique, c’est que le sujet de l’inconscient vous le supposez savoir lire. Et ça n’est rien d’autre, votre histoire de l’inconscient. Non seu­lement vous le supposez savoir lire, mais vous le supposez pouvoir apprendre à lire.Seulement ce que vous lui apprenez à lire n’a alors absolument rien à faire, en aucun cas, avec ce que vous pouvez en écrire.

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