mercredi, mai 8, 2024
Recherches Lacan

Les écrits Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956

Les chiffres indiquent les numéros de page de l’édition originale

p 459 – Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956

Pour quelques-uns … et « à  d’autres ».

Le centenaire de la naissance est rare à célébrer. Il suppose de l’œuvre une continuation de l’homme qui évoque la survie. C’est bien ce dont nous aurons à dénoncer les apparences dans notre double sujet.

Psychanalyste nous-même et longtemps confiné dans notre expérience, nous avons vu qu’elle s’éclairait à faire des termes où Freud l’a définie l’usage non de préceptes, mais de concepts qui leur convient.

Engagé par là à la limite du possible, et sans doute au-delà de notre dessein, dans l’histoire en action de la psychanalyse, nous dirons ici des choses qui ne paraîtront osées qu’à confondre parti-pris et relief.

Aussi bien la rédaction de notre titre est de nature, nous le savons, à détourner ceux que ces choses pourraient toucher, d’aller au-delà. Qu’on nous pardonne cette malice : ce dont il nous est arrivé de traiter sous ces termes, c’est de la situation vraie, de la formation valable. Ici c’est de la situation réelle, de la formation donnée que nous voudrions rendre compte, et pour une audience plus large.

Quel concours unanime n’obtiendrait-on pas à collapser psychanalyse et formation pour annoncer l’étude de la situation du psychanalyste? Et combien édifiant serait-il de la pousser jusqu’aux effets de son style de vie? Nous ne ferons que toucher un instant à sa relation au monde, pour introduire notre sujet.

On sait le « comment peut-on être psychanalyste » qui nous fait faire encore à l’occasion sur des lèvres mondaines figure de Persan, et que s’y enchaîne bientôt un « je n’aimerais pas vivre avec un

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Psychanalyste », dont la chère pensive nous réconforte par l’aspect de ce que le sort nous épargne.

Cette révérence ambiguë n’est pas si loin qu’il semble du crédit, plus grave sans doute, que la science nous accorde. Car si l’on y note volontiers la pertinence de tel fait qui est censé nous regarder, c’est de l’extérieur, et sous réserve de l’étrangeté, que l’on nous passe, de nos coutumes mentales.

Comment ne serions-nous pas satisfaits, comme du fruit de la distance que nous maintenons de l’incommunicable de notre expérience, de cet effet de ségrégation intellectuelle ?

Dommage qu’il contrarie un besoin de renfort, trop manifeste d’aller à peu près n’importe où, et dont on peut mesurer dans notre décourageante littérature de combien peu il se contente. Ici suffira que j’évoque le frémissement d’aise qui parcourut le rang de mes aînés quand un disciple de l’école 1, s’étant oint pour la conjoncture de pavlovisme, vint à leur donner son licet. Et le prestige du réflexe conditionné, voire de la névrose animale, n’a pas cessé depuis de faire des siennes dans nos rêveries… Que la rumeur pourtant vienne à certains, de ce qu’on appelle les sciences humaines, ils courent à la voix, et des zélotes sur l’estrade s’égaleront aux commandements de la figuration intelligente.

Assurément re geste de la main tendue, mais jamais refermée, ne peut avoir de raison qu’interne : nous entendons par là que l’explication doit en être cherchée dans la situation de la psychanalyse plutôt que des psychanalystes. Car si nous avons pu définir ironiquement la psychanalyse comme le traitement qu’on attend d’un psychanalyste, c’est bien pourtant la, première qui décide de la qualité du second.

Nous l’avons dit, il y a dans l’analyse une situation réelle qui s’indique à rapprocher le cliché le plus courant à s’y produire, à savoir qu’aucune notion nouvelle n’y a été introduite depuis Freud, et le recours si obligé à y servir d’explication à toutes fins qu’il en est devenu maintenant trivial, soit la notion de frustration. Or on chercherait vainement dans toute l’œuvre de Freud, de ce terme la moindre trace : car on y trouverait seulement occasion à le rectifier par celui de Versagung, lequel

1. Nous voulons dire un thomiste.

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implique renonciation, et s’en distingue donc de toute la différence du symbolique au réel, différence dont nous faisons la grâce à nos lecteurs de la considérer comme acquise, mais dont on peut dire que l’œuvre de Freud se résume à lui donner le poids d’une instance nouvelle.

Hernie centrale à être ici pointée du doigt, d’une discordance diffuse, et telle qu’en effet les termes freudiens étant si l’on peut dire, et nous verrons que ce n’est pas rien, laissés en place, c’est pour chacun quand on en use, quelque chose d’autre qu’on désigne.

Rien en effet qui satisfasse mieux aux exigences du concept que ces termes, c’est-à-dire qui soit plus identique à la structure d’une relation, nommément l’analytique, et à la chose qui s’y saisit, nommément le signifiant. C’est dire que ces concepts, entre eux puissamment articulés, ne correspondent à rien qui se donne immédiatement à l’intuition. Or c’est précisément cela qui leur est point par point substitué par une approximation qui ne peut être que grossière, et telle qu’on peut la comparer à ce que l’idée de la force ou celle de l’onde est pour quelqu’un qui n’a aucune notion de la physique.

C’est ainsi que le transfert, quoi qu’on en ait et que chacun en professe, reste avec la force d’adhésion d’un commun consentement identifié à un sentiment ou à une constellation de sentiments éprouvés par le patient : alors qu’à seulement le définir par l’effet de reproduction relatif à l’analyse, il ressort que le plus clair en doit passer inaperçu du sujet.

De même et de façon plus insidieuse encore, la résistance est-elle assimilée à l’attitude d’opposition que le mot évoque dans son emploi vulgaire : quand Freud ne saurait prêter à équivoque, à y ranger comme il le fait les événements les plus accidentels de la vie du sujet dans la mesure de l’obstacle qu’ils font à l’analyse, fût-ce seulement à obvier à sa présence physique.

Ces rappels triviaux bien entendu restent opaques sous cette forme. Pour savoir ce qu’est le transfert, il faut savoir ce qui se passe dans l’analyse. Pour savoir ce qui se passe dans l’analyse, il faut savoir d’où vient la parole. Pour savoir ce qu’est la résistance, il faut savoir ce qui fait écran à l’avènement de la parole : et ce n’est pas telle disposition individuelle, mais une interposition imaginaire qui dépasse l’individualité du sujet, en ce qu’elle

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structure son individualisation spécifiée dans la relation duelle. Qu’on nous pardonne une formule aussi abstraite à orienter l’esprit. Aussi bien ne fait-elle, à la façon de la formule générale de la gravitation dans un texte d’histoire des sciences, qu’indiquer les assises de la recherche. Et l’on ne saurait exiger de la vulgarisation psychanalytique qu’elle s’abstienne de toute référence semblable.

Ce n’est pas en effet que la rigueur conceptuelle ni l’élaboration technique ne se rencontrent dans les travaux psychanalytiques. S’ils y restent sporadiques voire inefficients, c’est pour un vice plus profond et à quoi les préceptes de la pratique ont conduit par une confusion singulière.

On sait l’attitude asystématique qui est posée au principe, tant de la règle dite analytique qui est imposée au patient de ne rien omettre de ce qui lui vient à l’esprit et de renoncer à cette fin à toute critique et à tout choix, que de l’attention dite flottante que Freud indique expressément au psychanalyste pour n’être rien que l’attitude qui correspond à cette règle.

Ces deux préceptes entre lesquels se tend en quelque sorte l’étoffe de l’expérience, mettent, semble-t-il, suffisamment en valeur le rôle fondamental du discours du sujet et de son écoute.

C’est bien ce à quoi s’adonnèrent, et non sans fruit, les psychanalystes dans l’âge d’or de la psychanalyse. Si la moisson qu’ils recueillirent tant aux divagations jamais si permises à l’issue d’une bouche qu’aux lapsus jamais si offerts à l’ouverture d’une oreille, fut si féconde, ce n’est pas sans raison.

Mais cette richesse même de données, sources de connaissance, les menèrent vite à un nœud dont ils surent faire une impasse. Pouvaient-ils, ces données acquises, s’empêcher de s’orienter sur elles à travers ce qu’ils entendaient dès lors? A la vérité, le problème ne se posa à eux qu’à partir du moment où le patient devenu bientôt autant au fait de ce savoir qu’ils l’étaient eux-mêmes, leur servit toute préparée l’interprétation qui était leur tâche, ce qui, il faut le dire, est bien le tour le plus fâcheux qu’on puisse faire à un augure.

N’en croyant plus leurs deux oreilles, ils voulurent retrouver l’au-delà qu’avait eu en effet toujours le discours, mais sans qu’ils sussent ce qu’il était. C’est pourquoi ils s’en inventèrent une troisième, présumée appelée à le percevoir sans intermédiaire. Et pour

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désigner cette immédiateté du transcendant, rien ne fut épargné des métaphores du compact : l’affect, le vécu, l’attitude, la décharge, le besoin d’amour, l’agressivité latente, l’armure du caractère et le verrou de la défense, laissons le gobelet et passons la muscade, dont la reconnaissance n’était plus dès lors accessible qu’à ce je ne sais quoi dont un claquement de langue est la probation dernière et qui introduit dans l’enseignement une exigence inédite : celle de l’inarticulé.

A partir de là, les fantaisies psychologiques purent se donner libre cours. Ce n’est pas ici le lieu de faire l’histoire, dans l’analyse, des variations de la mode. Elles sont peu remarquées de ses adeptes, toujours captivés par la dernière : l’exhaustion des fantasmes, la régression instinctuelle, le déjouement de la défense, l’épongeage de l’angoisse, la libération de l’agressivité, l’identification au moi fort de l’analyste, la manducation imaginaire de ses attributs, la dynamique, ah! la dynamique où se reconstruit la relation d’objet, et aux derniers échos l’objectif où une discipline fondée sur l’histoire du sujet vient à culminer : ce couple de l’hic et nunc, dont le coassement jumeau n’est pas seulement ironique à faire les cornes à notre latin perdu, mais à fleurer un humanisme de meilleur aloi en ressuscitant les corneilles auxquelles nous revoilà bayant, sans plus n’avoir pour tirer nos auspices de la nique de leur oblique volettement et du volet narquois de leur clin d’œil, que les déman-geaisons de notre contre-transfert.

Ce domaine de nos errances n’est pas pourtant pure fumée : son labyrinthe est bien celui dont nous fut donné le fil, mais par un cas étrange ce fil perdu a dissipé en reflets ses murailles, et nous faisant sauter par sa cassure vingt siècles de mythologie, changé les couloirs de Dédale en ce palais de l’Arioste où de l’aimée et du rival qui vous défient, tout n’est que leurre.

Freud là comme partout est criant : tout son effort de 1897 à 19141, a été de faire la part de l’imaginaire et du réel dans les mécanismes de l’inconscient. Il est singulier que ceci ait mené les psychanalystes en deux étapes, d’abord à faire de l’imaginaire un autre réel, et de nos jours à y trouver la norme du réel.

1. De la lettre à Fliess du 21 septembre à la rédaction de l’Homme aux loups (voir la note liminaire de l’observation).

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Sans doute l’imaginaire n’est-il pas l’illusoire et donne-t-il matière à l’idée. Mais ce qui permit à Freud d’y faire la descente au trésor dont ses suivants furent enrichis, c’est la détermination symbolique où la fonction imaginaire se subordonne, et qui chez Freud est toujours rappelée puissamment, qu’il s’agisse du mécanisme de l’oubli verbal ou de la structure du fétichisme.

Et l’on peut dire qu’en insistant pour que l’analyse de la névrose fût toujours ramenée au nœud de l’Œdipe, il ne visait à rien d’autre qu’à assurer l’imaginaire dans sa concaténation symbolique, car l’ordre symbolique exige trois termes au moins, ce qui impose à l’analyste de ne pas oublier l’Autre présent, entre les deux qui d’être là, n’enveloppent pas celui qui parle.

Mais malgré ce que Freud ajoute à cet avertissement par sa théorie du mirage narcissique, le psychanalyste s’engage toujours plus avant dans la relation duelle, sans que le frappe l’extravagance de l’« introjection du bon objet a, par laquelle nouveau pélican il s’offre, heureusement sous des espèces fantasmatiques, à l’appétit du consommateur, ni que l’arrêtent dans les textes célébrant cette conception de l’analyse, les doutes qu’y prendront nos neveux à s’interroger sur les obscénités de frères obscurantins qui trouvaient faveur et foi en notre novecento.

A vrai dire, la notion même d’analyse préœdipienne résume cette débandade du collier où c’est au-devant des perles qu’on jette les pourceaux. Curieusement les formes du rituel technique se valorisent à mesure de la dégradation des objectifs. La cohérence de ce double procès dans la nouvelle psychanalyse est sentie par ses zélotes. Et l’un d’eux qui, des pages de Michelet qui font trôner la chaise percée sur les mœurs du Grand Siècle, trouvait eau à son moulin et matière à hausser le ton jusqu’à cette profession sans ambages : la beauté sera stercoraire ou ne sera pas, n’en tirait pas moindre courage à prôner comme un miracle les conditions où cette vérité dernière s’était produite, et leur maintien à ne pas changer d’une ligne : ainsi du compte des minutes que passe l’analyste sur son siège et où l’inconscient du sujet peut régler ses habitudes.

On aurait pu prévoir les issues où l’imaginaire, pour rejoindre le réel, doit trouver le no man’s land qui en effaçant leur frontière, lui en ouvre l’accès. Les sensoriums non spatialisants les indiquent, où

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l’hallucination elle-même prête à difficulté dans sa limite. Mais le calcul de l’homme est toujours devancé par son jaillissement inventif, et c’est à la surprise heureuse de tous qu’un novice, dans un travail dont nous dirons quel fut pour lui le succès, vint une fois, en quelques pages modestes et sans fioritures, nous rapporter cette solution élégante d’un cas rebelle : « Après tant d’années d’analyse, mon patient ne pouvait toujours pas me sentir; un jour enfin mon insistance non moins patiente en vint à bout : il perçut mon odeur. La guérison était là. »

On aurait tort de bouder ces audaces, elles ont leurs lettres de noblesse. Et « l’ingénieux Docteur Swift » ici ne nous ménagerait pas son patronage. A preuve ce Grand Mistère ou l’art de méditer sur la garde-robe renouvelé et dévoilé, dont nous citerons seulement dans une traduction de l’époque (La Haye, chez jean Van Duren, 1729) pour n’y rien altérer, la page 18, où il vante les lumières qu’on peut tirer de « la matière fécale, qui, tandis qu’elle est encore fraîche… exhale des particules, qui montant au travers des nerfs optiques et des nerfs olfactoires de quiconque se tient vis-à-vis, excitent en lui par sympathie les mêmes affections qu’a l’Auteur de l’excrément, et, si on est bien instruit de ce profond mistère, c’en est assez pour apprendre tout ce qu’on veut de son tempérament, de ses pensées, de ses actions même, et de l’état de sa fortune ».

« C’est pourquoi je me flatte que mes supérieurs » (nous apprendrons, p. 23, que ce sont des Docteurs et Membres de la Société Royale réunis en une Association jalouse de son secret) « ne me blâmeront pas si à la fin de ce Traité, je propose de confier l’inspection des Privés à des Personnes qui aient plus de science et de jugement, que ceux qui font aujourd’hui cet office. Combien leur dignité… n’éclaterait-elle pas davantage, si elle n’était accordée qu’à des Philosophes et à des Ministres, qui par le goût, l’odeur, la teinture, la substance des évacuations du corps naturel, sauraient découvrir quelle est la constitution du corps politique, et avertir l’État des complots secrets que forment des gens inquiets et ambitieux. »

Nous serions vain à nous complaire à. l’humour cynique du Dean au déclin de sa vie, sinon de sa pensée : mais en passant nous voulons rappeler sous un mode sensible même aux entendements olfactifs, la différence d’un matérialisme naturaliste et du matéria

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lisme freudien, lequel, loin de nous dépouiller de notre histoire, nous assure de sa permanence sous sa forme symbolique, hors des caprices de notre assentiment.

Ceci n’est pas peu de chose, s’il représente proprement les traits de l’inconscient, que Freud, loin de les arrondir, a toujours plus affirmés. Dés lors pourquoi éluder les questions que l’inconscient provoque?

Si l’association dite libre nous y donne accès, est-ce par une libération qui se compare à celle des automatismes neurologiques ?

Si les pulsions qui s’y découvrent sont du niveau diencéphalique, voire du rhinencéphale, comment concevoir qu’elles se structurent en termes de langage.

Car si dès l’origine c’est dans le langage que se sont fait connaître leurs effets, – leurs ruses que nous avons appris depuis à reconnaître, ne dénotent pas moins, dans leur trivialité comme dans leurs finesses, une procédure langagière.

Les pulsions qui dans les rêves se jouent en calembours d’almanach, fleurent aussi bien cet air de Witz qui, à la lecture de la Traumdeutung, touche les plus naïfs. Car ce sont les mêmes pulsions dont la présence distancie le trait d’esprit du comique, de s’y armer sous une plus altière altérité1.

Mais la défense elle-même dont la dénégation suffit à indiquer l’ambiguïté inconsciente, ne fait pas usage de formes moins rhétoriques. Et ses modes se conçoivent mal sans recours aux tropes et aux figures, celles-ci de paroles ou de mots aussi vrai que dans Quintilien 2, et qui vont de l’accisme et de la métonymie à la catachrèse et à l’antiphrase, à l’hypallage, voire à la litote (reconnaissable dans ce que décrit M. Fenichel), et ceci s’impose à nous toujours plus avant à mesure que la défense nous apparaît plus inconsciente.

Ce qui nous contraint à conclure qu’il n’est pas de forme si élaborée du style où l’inconscient n’abonde, sans en excepter les

 

1. Qu’on entende bien que ceci n’est pas un air de bravoure, mais une remarque technique que la lecture du WitZ de Freud met à la portée de tous. Il est vrai que peu de psychanalystes lisent cet ouvrage, ce que nous n’en sommes plus à celer après que l’un des plus dignes nous ait avoué comme une simple lacune, n’avoir jamais ouvert la Psychopathologie de la vie quotidienne.

2. Sententiarum aut verborum. Cf. Quintilien, Oratoria institutio, Lib. IX, Cap. 2 et 3.

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érudites, les concettistes et les précieuses, qu’il ne dédaigne pas plus que ne le fait l’auteur de ces lignes, le Gongora de la psychanalyse, à ce qu’on dit, pour vous servir.

Si ceci est de nature à nous décourager de le retrouver dans le péristaltisme d’un chien si pavlovisé qu’on le suppose, ce n’est pas non plus pour obliger les analystes à prendre des bains de poésie macaronique, ni les leçons de tablature des arts courtois, dont leurs débats pourtant s’agrémenteraient heureusement. Encore pourrait-on leur imposer un rudiment qui les formât à la problématique du langage, assez pour leur permettre de distinguer le symbolisme de l’analogie naturelle avec laquelle ils le confondent habituellement.

Ce rudiment est la distinction du signifiant et du signifié dont on honore à juste titre Ferdinand de Saussure, de ce que par son enseignement elle soit maintenant inscrite au fondement des sciences humaines. Notons seulement que, même mention faite de précurseurs comme Baudouin de Courtenay, cette distinction était parfaitement claire aux anciens, et attestée dans Quintilien et saint Augustin.

La primauté du signifiant sur le signifié y apparaît déjà impossible à éluder de tout discours sur le langage, non sans qu’elle déconcerte trop la pensée pour avoir pu, même de nos jours, être affrontée par les linguistes.

Seule la psychanalyse est en mesure d’imposer à la pensée cette primauté en démontrant que le signifiant se passe de toute cogitation, fût-ce des moins réflexives, pour exercer des regroupements non douteux dans les significations qui asservissent le sujet, bien plus pour se manifester en lui par cette intrusion aliénante dont la notion de symptôme en analyse prend un sens émergent : le sens du signifiant qui connote la relation du sujet au signifiant.

Aussi bien dirions-nous que la découverte de Freud est cette vérité que la vérité ne perd jamais ses droits, et qu’à réfugier ses créances jusque dans le domaine voué à l’immédiateté des instincts, seul son registre permet de concevoir cette durée inextinguible du désir dont le trait n’est pas le moins paradoxal à souligner de l’inconscient, comme Freud le fait à n’en pas démordre.

Mais pour écarter toute méprise, il faut articuler que ce registre de la vérité est à prendre à la lettre, c’est-à-dire que la détermination

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symbolique, soit ce que Freud appelle surdétermination, est à tenir d’abord comme fait de syntaxe, si l’on veut saisir ses effets d’analogie. Car ces effets s’exercent du texte au sens, loin d’imposer leur sens au texte. Comme il se voit aux désirs proprement insensés qui de ces effets sont les moins retors.

De cette détermination symbolique, la logique combinatoire nous donne la forme la plus radicale, et il faut savoir renoncer à l’exigence naïve qui voudrait en soumettre l’origine aux vicissitudes de l’organisation cérébrale qui la reflète à l’occasion.

Rectification salubre, quelque offense qu’elle apporte au préjugé psychologique. Et il ne semble pas de trop pour la soutenir, de rappeler tous les lieux où l’ordre symbolique trouve son véhicule, fût-ce dans le silence peuplé de l’univers surgi de la physique. L’industrie humaine que cet ordre détermine plutôt qu’elle ne le sert, n’est pas seulement là pour le conserver, mais déjà visiblement le proroge au-delà de ce que l’homme en maîtrise, et les deux kilos de langage dont nous pouvons pointer la présence sur cette table, sont moins inertes à les retrouver courant sur les ondes croisées de nos émissions, pour ouvrir l’oreille même des sourds à la vérité que Rabelais sut enclore en son apologue des paroles gelées.

Un psychanalyste doit s’assurer dans cette évidence que l’homme est, dès avant sa naissance et au-delà de sa mort, pris dans la chaîne symbolique, laquelle a fondé le lignage avant que s’y brode l’histoire, – se rompre à cette idée que c’est dans son être même, dans sa personnalité totale comme on s’exprime comiquement, qu’il est en effet pris comme un tout, mais à la façon d’un pion, dans le jeu du signifiant, et ce dès avant que les règles lui en soient transmises, pour autant qu’il finisse par les surprendre, – cet ordre de priorités étant à entendre comme un ordre logique, c’est-à-dire toujours actuel.

De cette hétéronomie du symbolique, nulle préhistoire ne nous permet d’effacer la coupure. Bien au contraire tout ce qu’elle nous livre ne fait que plus la creuser : outils dont la forme sérielle nous tourne plus vers le rituel de leur fabrication que vers les usages à quoi ils aient été adaptés, – entassements qui ne montrent rien d’autre que le symbole anticipant de l’entrée du symbolique dans le monde, – sépultures qui, au-delà de toute motivation que nous puissions leur rêver, sont des édifices que ne connaît pas la nature.

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Cette extériorité du symbolique par rapport à l’homme est la notion même de l’inconscient. Et Freud a constamment prouvé qu’il y tenait comme au principe même de son expérience.

Témoin le point où il rompt net avec Jung, c’est-à-dire quand celui-ci publie ses « métamorphoses de la libido ». Car l’archétype, c’est faire du symbole le fleurissement de l’âme, et tout est là : le fait que l’inconscient soit individuel et collectif important peu à l’homme qui, explicitement dans son Moïse, implicitement dans Totem et Tabou, admet qu’un drame oublié traverse dans l’inconscient les âges. Mais ce qu’il faut dire, ce conformément à Aristote, c’est que ce n’est pas l’âme qui parle, mais l’homme qui parle avec son âme, à condition d’ajouter que ce langage il le reçoit, et que pour le supporter il y engouffre bien plus que son âme ses instincts même dont le fond ne résonne en profondeur que de répercuter l’écho du signifiant. Aussi bien quand cet écho en remonte, le parleur s’en émerveille et y élève la louange de romantisme éternel. Spricht die Seele, so spricht… Elle parle, l’âme, entendez-là… ach ! schon die Seele nicht mehr 1… Vous pouvez l’écouter; l’illusion ne durera pas longtemps. Interrogez plutôt là-dessus M. Jones, un des rares disciples à avoir tenté d’articuler quelque chose sur le symbolisme qui se tînt : il vous dira le sort de la Commission spéciale instaurée pour donner corps à son étude au Congrès de 1910 2.

Si l’on considère d’autre part la préférence que Freud a gardée pour son Totem et Tabou, et le refus obstiné qu’il a opposé à toute relativation du meurtre du père considéré comme drame inaugural de l’humanité, on conçoit que ce qu’il maintient par là, c’est la primordialité de ce signifiant que représente la paternité au-delà des attributs qu’elle agglutine et dont le lien de la génération n’est qu’une part. Cette portée de signifiant apparaît sans équivoque dans l’affirmation ainsi produite que le vrai père, le père symbolique, est le père mort. Et la connexion de la paternité à la mort, que Freud relève explicitement dans maintes relations cliniques, laisse voir d’où ce signifiant tient son rang primordial.

 

1. Deuxième vers du célèbre distique de Schiller dont le premier questionne ainsi Warum kann des lebendige Geist dem Geist nicht erscheinen ? et dont c’est la réponse. Ce distique a un titre : Sprache.

2. Cf. E. JONES, Sigmund Freud. Life and Work, t. II, p. 76.

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Tant d’effets de masses pour rétablir une perspective, ne donneront pas pourtant au psychanalyste les moyens mentaux d’opérer dans le champ qu’elle cerne. Il ne s’agit pas de niveau mental bien entendu, mais du fait que l’ordre symbolique n’est abordable que par son propre appareil. Fera-t-on de l’algèbre sans savoir écrire? De même ne peut-on traiter du moindre effet de signifiant, non plus qu’y parer, sans soupçonner fût-ce ce qu’implique un fait d’écriture.

Faut-il que les vues de ceux que la. Traumdeutung 1 a menés à l’analyse aient été si courtes, ou les cheveux trop longs de la tête de Méduse qu’elle leur présentait? Qu’est cette nouvelle interprétation des rêves sinon le renvoi de l’orinomante au seul fondement, mais irréfragable, de toute mantique, à savoir la batterie de son matériel ? Nous ne voulons pas dire la matière de ladite batterie, mais sa finitude ordinale. Bâtonnets jetés au sol ou lames illustres du tarot, simple jeu de pair ou impair ou koua suprêmes du Yi-king, en vous tout destin possible, toute dette concevable peut se résumer, car rien en vous ne vaut que la combinatoire, où le géant du langage reprend sa stature d’être soudain délivré des liens gullivériens de la signification. Si le rêve y convient mieux encore, c’est que cette élaboration que reproduisent vos jeux y est à l’œuvre dans son développement : « Seule l’élaboration du rêve nous intéresse », dit Freud, et encore : « Le rêve est un rébus. » Qu’eût-il fallu qu’il ajoutât, pour que nous n’en attendions pas les mots de l’âme? Les phrases d’un rébus ont-elles jamais eu le moindre sens, et son intérêt, celui que nous prenons à son déchiffrement, ne tient-il pas à ce que la signification manifeste en ses images est caduque, n’y ayant de portée qu’à faire entendre le signifiant qui s’y déguise?

Ceci mériterait même d’en tirer un retour de lumière sur les sources dont nous nous éclairons ici, en incitant les linguistes à rayer de leurs papiers l’illusoire locution qui, au reste pléonasmatiquement, fait parler d’écriture « idéographique ». Une écriture, comme le rêve lui-même, peut être figurative, elle est toujours comme le langage articulée symboliquement, soit tout comme lui phonématique, et phonétique en fait, dès lors qu’elle se lit.

Le lapsus enfin nous fera-t-il saisir en son dépouillement ce que

 

1. En français : La science des rênes, où Freud a désigné son œuvre capitale.

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veut dire qu’il tolère d’être résumé dans la formule: que le discours vient à y surmonter la signification feinte?

Arriverons-nous par là à arracher l’augure à son désir d’entrailles et à le ramener au but de cette attention flottante dont, depuis les quelque cinquante millions d’heures d’analystes qui y ont trouvé leurs aises et leur malaise, il semble que personne ne se soit demandé quel il est?

Car si Freud a donné cette sorte d’attention comme la contrepartie1 (Gegenstück) de l’association libre, le terme de flottante n’implique pas sa fluctuation, mais bien plutôt l’égalité de son niveau, ce qu’accentue le terme allemand :gleichschwebende.

Remarquons d’autre part que la troisième oreille dont nous nous sommes servi pour dénier leur existence aux au-delà incertains d’un sens occulte, n’en est pas moins de fait l’invention d’un auteur, Reik (Theodor), plutôt sensé dans sa tendance à s’accommoder sur un en-deçà de la parole.

Mais quel besoin peut avoir l’analyste d’une oreille de surcroît, quand il semble qu’il en ait trop de deux parfois à s’engager à pleines voiles dans le malentendu fondamental de la relation de compréhension? Nous le répétons à nos élèves : « Gardez-vous de comprendre! » et laissez cette catégorie nauséeuse à Mr Jaspers et consorts. Qu’une de vos oreilles s’assourdisse, autant que l’autre doit être aiguë. Et c’est celle que vous devez tendre à l’écoute des sons ou phonèmes, des mots, des locutions, des sentences, sans y omettre pauses, scansions, coupes, périodes et parallélismes, car c’est là que se prépare le mot à mot de la version, faute de quoi l’intuition analytique est sans support et sans objet.

C’est ainsi que la parole qui s’offre à votre adhésion dans un lieu commun, et avec une évidence aussi captieuse qu’est attrayante sa vérité à ne se livrer qu’au second temps, comme : le numéro deux se réjouit d’être impair (et il a bien raison, le numéro deux, de se réjouir de l’être, mais il a le tort de n’être pas fichu de dire pourquoi 2) – trouvera au niveau de l’inconscient sa plus signi-

 

1. Et non pas le : pendant, comme on s’exprime dans une traduction qu’un dessus de pendule idéal a sans doute inspirée.

2. « Dic cur bic (l’autre École) », épigraphe d’un Traité de la contingence, paru en 189 5 (Paris, Librairie de l’Art indépendant, 11, rue de la Chaussée d’Antin), où la dialectique de cet exemple est discutée (p. 41). OEuvre d’un jeune homme nommé

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fiante portée, purifiée de ses équivoques, à se traduire par : des numéros, sont deux, qui n’ont pas leur pareil, attendent Godot. Nous pensons nous faire entendre, – et que l’intérêt que nous montrons ici pour la mantique n’est pas pour approuver le style de la tireuse de cartes, qui dans la théorie des instincts donne le ton.

Bien au contraire l’étude de la détermination symbolique permettrait de réduire, sinon du même coup de dégager, ce que l’expérience psychanalytique livre de données positives : et ce n’est pas rien.

La théorie du narcissisme et celle du moi telle que Freud l’a orientée dans sa seconde topique, sont des données qui prolongent les recherches les plus modernes de l’éthologie naturelle (précisément sous le chef de la théorie des instincts).

Mais même leur solidarité, où elles se fondent, est méconnue, et la théorie du moi n’est plus qu’un énorme contresens : le retour à ce que la psychologie intuitive elle-même a vomi.

Car le manque théorique que nous pointons dans la doctrine, nous met au défaut de l’enseignement; qui réciproquement en répond. Soit au deuxième sujet de notre propos où nous sommes passés depuis un moment.

La technique de la psychanalyse s’exerçant sur la relation du sujet au signifiant, ce qu’elle a conquis de connaissances ne se situe qu’à s’ordonner autour.

Ceci lui donne sa place dans le regroupement qui s’affirme comme ordre des sciences conjecturales.

Car la conjecture n’est pas l’improbable : la stratégie peut l’ordonner en certitude. De même le subjectif n’est-il pas la valeur de sentiment avec quoi on le confond : les lois de l’intersubjectivité sont mathématiques.

C’est dans cet ordre que s’édifient les notions de structure, faute de quoi la vue par le dedans des névroses et la tentative d’abord des psychoses restent en panne.

La perspective d’une telle recherche exige une formation qui

 

André Gide dont on ne peut que regretter qu’il se soit détourné prématurément des problèmes logiques pour lesquels cet essai le montrait si doué. Le nonsense sur lequel après lui nous spéculons ici, reprend, faut-il le rappeler, la traduction burlesque qu’on donne aux écoliers, du latin : numero Deus impare gaudet.

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y réserve au langage son rôle substantiel. C’est ce que Freud formule expressément dans le programme d’un Institut idéal, dont on ne s’étonnera pas après ce que nous avançons, qu’il développe l’ensemble même des études philologiques 1.

Nous pouvons ici comme plus haut partir d’un contraste brutal, en notant que rien dans aucun des Instituts relevant d’une affiliation qui s’autorise de son nom, n’a jamais été même ébauché dans ce sens.

L’ordre du jour étant ici le legs de Freud, nous chercherons ce qu’il devient dans l’état des choses présent.

L’histoire nous montre chez Freud le souci qui le guide dans l’organisation de la A. I. P. ou Association internationale de Psychanalyse, et spécialement à partir de 1912 quand il y patronne la forme d’autorité qui y prévaudra, en y déterminant avec le détail des institutions le mode d’exercice et de transmission des pouvoirs c’est le souci clairement avoué dans sa correspondance, d’assurer le maintien de sa pensée dans sa complétude, quand lui-même ne sera plus là pour la défendre. Maintien dont la défection de Jung, plus douloureuse que toutes celles auxquelles elle succède, fait cette fois un problème angoissant. Pour y faire face, Freud accepte ce qui s’offre à lui à ce moment : à savoir l’idée venue à une sorte de jeune garde, aspirant au vétéranat, de veiller au dit maintien au sein de l’A.I.P., non seulement par une solidarité secrète mais par une action inconnue.

Le blanc-seing que Freud accorde à ce projet 2, la sécurité qu’il en retire et qui l’apaise 3 – sont attestés par les documents de son

 

1. Cf. FREUD, Ges. Werke, vol. XIV, p. 281 et 283.

2. A la vérité c’est de Freud que l’action du « Comité a reçoit son caractère avec ses consignes.  « This committee would have to be strictly secret (souligné dans le texte donné par JONES) in its existence and its action (souligné par nous). » Lettre de Freud à E. Jones du 1er août 1912, que devait suivre un déplacement de Freud pour fixer avec joncs, Ferenczi et Rank la base de ce « plan ». E. Jones, Sigmund Freud, Life and Work, vol. II, p. 173.

3, « The secret of this Committee is that it has taken from me my most burden-some care for the future, so that I can calmly follow my path to the end », et « Since then I have felt more light-hearted and carefree about how long my life will last. » Lettre de Freud à Eitingon du 23 nov. 1919, soit sept ans après (pendant lesquels donc même à quelqu’un de son échelon l’existence du Comité était restée ignorée), pour lui proposer d’entrer au Comité. Même ouvrage ; p. 174

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biographe, dernier survivant lui-même de ce Comité, dit des Sept Anneaux, dont l’existence avait été publiée par le défunt Hans Sachs. Leur portée de principe et leurs suites de fait ne sauraient être voilées par la qualification amusée de romantisme 1 dont Freud de l’une fait passer la pilule, et l’incident piquant qu’aux autres le Dr Jones 2- s’empresse d’épingler : la lettre derrière son dos écrite à Freud par Ferenczi en ces termes : « Jones, de n’être pas juif, ne sera jamais assez affranchi pour être sûr en ce déduit. II faut lui couper toute retraite et l’avoir à l’œil. »

L’histoire secrète de l’A.I.P. n’est ni faite ni à faire. Ses effets sont sans intérêt auprès de ceux du secret de l’histoire. Et le secret de l’histoire n’est pas à confondre avec les conflits, les violences et les aberrations qui en sont la fable. La question que Freud a posée de savoir si les analystes dans leur ensemble satisfont au standard de normalité qu’ils exigent de leurs patients, fournit, à être régulièrement citée à ce propos, l’occasion aux analystes de montrer leur bravoure. On s’étonne que les auteurs de ces brocards n’en voient pas eux-mêmes la ruse : l’anecdote ici comme ailleurs dissimule la structure.

Les caractères de celle-ci les plus voyants sont ceux-là mêmes qui la rendent invisible, et pas seulement pour ceux qui y sont plongés tel l’initiatisme qui marque son accès et qui, d’être en notre temps «assez unique », comme on dit, s’affiche plutôt, ou encore le kominternisme dont son style intérieur montre les traits et dont le prestige plus commun n’y est pas désavoué.

Et le volant plus ou moins lourd de temporel dont elle subit la gouverne, est un fait de réalité qui n’a pas en soi à trouver remède, et dont seule l’extraterritorialité spirituelle à laquelle il donne corps, mérite une sanction. Le paradoxe de l’idée qui nous est venue là-dessus se trouvera mieux d’être reporté plus loin 3.

On doit partir pour notre visée de la remarque, jamais faite à notre connaissance, que Freud a engagé l’A. 1. P. dans sa voie dix ans avant que, dans Analyse du moi et psychologie des masses, il se

 

1. « I know there is a boyish and perhaps romantic element too in this conception… » Lettre citée de Freud à Jones.

2. JONES, Sigmund Freud, 7, II, p. 173

3. Les deux paragraphes précédents sont absents de la rédaction publiée dans les Étude philosophiques, la version présente ayant été réservée à un tirage à part.

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soit intéressé, à propos de l’Église et de l’Armée, aux mécanismes par où un groupe organique participe de la foule, exploration dont la partialité certaine se justifie de la découverte fondamentale de l’identification du moi de chaque individu à une même image idéale dont la personnalité du chef supporte le mirage. Découverte sensationnelle, d’anticiper de peu les organisations fascistes qui la rendirent patente.

Rendu plus tôt attentif à ces effets1, Freud sans doute se fût interrogé sur le champ laissé à la dominance de la fonction du boss ou du caïd, dans une organisation qui, pour soutenir sa parole même, certes pouvait comme ses modèles s’équilibrer d’un recours au lien symbolique, c’est-à-dire d’une tradition, d’une discipline, mais non de façon équivalente, puisque tradition et discipline s’y donnaient pour objet de mettre en question leur principe, avec le rapport de l’homme à la parole.

En fait il ne s’agit là de rien de moins que du problème des relations du moi à la vérité. Car c’est à la structure du moi dans sa plus grande généralité que se réduit cet effet d’identification imaginaire (par quoi se mesure au passage la distance où s’en tiennent les usages désuets où la notion du moi est ravalée dans l’analyse). Et Freud nous fournit ici le ressort positif du moment de la conscience dont Hegel a déduit la structure dialectique comme phénomène de l’infatuation.

C’est pourquoi nous donnerons le nom de Suffisance au grade, au grade unique de la hiérarchie psychanalytique. Car contrairement à ce qu’un vain peuple s’imagine sur des apparences, cette hiérarchie n’a qu’un grade et c’est en ceci qu’elle est fondée à se dire démocratique, du moins à prendre ce terme au sens qu’il a dans la cité antique : où la démocratie ne connaît que des maîtres.

La Suffisance donc est en elle-même au delà de toute épreuve. Elle n’a à suffire à rien, puisqu’elle se suffit.

Pour se transmettre, faute de disposer de la loi du sang qui implique la génération, voire de celle de l’adoption qui suppose l’alliance, il lui reste la voie de la reproduction imaginaire qui par un mode de fac-similé analogue à l’impression, en permet,

1. La version publiée est différente à partir de ce paragraphe. Nous la joignons en annexe.

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si l’on peut dire, le tirage à un certain nombre d’exemplaires, où l’unique se pluralise.

Ce mode de multiplication n’est pas sans trouver dans la situation des affinités favorables. Car n’oublions pas que l’entrée dans la communauté est soumise à la condition de la psychanalyse didactique, et il y a bien quelque raison pour que ce soit dans le cercle des didacticiens que la théorie qui fait de l’identification au moi de l’analyste la fin de l’analyse, ait vu le jour.

Mais dès lors que les Suffisances sont constituées en Société et que leur choix est cooptatif, la notion de classe s’impose et ne peut apparaître en celle où s’exerce leur choix qu’à l’envelopper de quelque opposition à la leur.

L’opposition de l’insuffisance, que suggère un pur formalisme, est insoutenable dialectiquement. La moindre assomption de la suffisance éjecte l’insuffisance de son champ, mais aussi bien la pensée de l’insuffisance comme d’une catégorie de l’être exclut-elle radicalement de toutes les autres la Suffisance. C’est l’une ou l’autre, incompatiblement.

Il nous faut une catégorie qui, saris impliquer l’indignité, indique qu’être hors de la suffisance, c’est là sa place, et qu’on se qualifie pour l’occuper à s’y tenir. Par où la dénomination de Petits Souliers, pour ceux qui s’y rangent, nous paraît bonne, car outre qu’elle fait image assez pour que dans une assemblée on les distingue aisément, elle les définit par ce maintien : ils sont toujours dans leurs petits souliers, et dans le fait qu’ils s’en arrangent, manifestent une suffisance voilée de son opposition à la Suffisance.

Entre la position ainsi marquée et la Suffisance, il reste pourtant un hiatus qu’aucune transition ne peut combler. Et l’échelon qui la simule dans la hiérarchie, n’est là que trompe-l’œil.

Car si peu qu’on y songe, on verra qu’il n’y a pas de Suffisance moindre ou plus grande. On suffit ou on ne suffit pas; c’est déjà vrai quand il s’agit de suffire à ceci ou à cela, mais combien plus quand il faut suffire à la suffisance. Ainsi la Suffisance ne peut être atteinte ni en fait, ni en droit, qu’on n’y soit déjà. Qu’on y arrive est pourtant une nécessité : et cela même nous livre la catégorie intermédiaire.

Mais c’est une catégorie qui demeurera vide. Elle ne saurait ,

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en effet être remplie, mais seulement habitée : station où l’on joue parfois les nécessités, dont on peut dire même que dans l’ensemble on y fait le nécessaire, mais dont ces locutions mêmes trahissent l’irréductible limite à quoi est vouée son approche. C’est cette approximation que nous connoterons d’un indice en appelant ceux qui l’occupent : non pas les nécessaires, mais les Bien-Nécessaires.

A quoi les Bien-Nécessaires servent-ils dans l’organisation? A relever l’usage de la parole, dont, on le constate, nous n’avons pas encore parlé : c’est en effet que nous avons laissé de côté jusqu’ici ce paradoxe, difficile à concevoir d’une communauté dont la charge est de maintenir un certain discours, que dans ses classes fondamentales, Suffisances et Petits Souliers, le silence règne en maître, et que son temple repose sur deux colonnes taciturnes.

Que pourraient dire en effet les Petits Souliers? Poser des questions? Ils n’en font rien pour trois raisons dont deux qu’ils savent.

La première raison est qu’ils sont analysés `et qu’un bon analysé ne pose pas de questions, – formule qu’il faut entendre au même niveau de péremptoire dont le proverbe : il n’y a pas de petites économies, clôt la réplique à une demande de comptes considérée comme importune dans un pastiche célèbre de Claudel.

La deuxième raison est qu’il est strictement impossible dans le langage en cours dans la communauté, de poser une question sensée, et qu’il faudrait avoir la honte bue du Huron ou le culot monstre de l’enfant pour qui le Roi est nu, pour en faire la remarque, seul sésame pourtant à permettre à un entretien de s’y ouvrir.

La troisième raison est inconnue aux Petits Souliers dans les conditions ordinaires et n’apparaîtra qu’au bout de notre propos.

Pour les Suffisances, qu’ont-elles à faire que de parler? Se suffisant, elles n’ont rien à se dire, et dans le silence des Petits Souliers elles n’ont personne à qui répondre.

C’est pourquoi il est laissé aux Bien-Nécessaires de faire appel de ce silence en le peuplant de leur discours. Ils ne s’en font pas faute, et d’autant moins que ce discours une fois mis en branle, rien ne peut guère l’entraver. Délié, comme nous l’avons dit, de sa

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propre logique, ce qui s’y rencontre ne se heurte pas, ce qui s’y traverse ne s’offense pas, ce qui s’y exclut ne se tranche pas. Le oui y a avec le non une compatibilité qui n’est pas de balance, mais de superfétation. Autant dire que l’un ne va pas sans l’autre ou mieux, puisque cela va de soi, autant ne pas le dire.

Cette dialectique est de la veine de la prose du bourgeois gentilhomme, dialectique sans le savoir, mais qui répond à une aspiration, celle du prestidigitateur inquiet d’être applaudi d’avoir tiré du chapeau un lapin qu’il est le premier surpris d’y avoir trouvé. Il s’interroge pourquoi il a réussi son tour, et le cherchant dans les raisons à donner de la présence du lapin, il les trouve également propres à y répondre et il les laisse passer toutes, dans une indifférence née du pressentiment qu’elles ne touchent pas à ce qui l’intéresse qui est de savoir en quoi son tour est réussi.

Ainsi le discours Bien-Nécessaire ne suffit-il pas à rendre les questions superflues, mais il s’avère superflu à y suffire.

Ce superflu où se traduit l’en deçà de la suffisance ne peut aller au fait de son défaut, si la Suffisance elle-même ne vient à lui répondre par le superflu de son excès.

C’est là la fonction des membres de l’organisation que nous appellerons des Béatitudes, empruntant ce nom aux sectes stoïque et épicurienne dont on sait qu’elles se donnaient pour fin d’atteindre à la satisfaction de la suffisance.

Les Béatitudes sont les porte-parole des Suffisances, et le fait de cette délégation vaut que nous revenions sur le silence des Suffisances, dont nous nous sommes tenus pour quittes un peu rapidement.

Les Suffisances, avons-nous dit sans insister, n’ont rien à se dire. Ceci mérite d’être motivé.

L’idéal de la suffisance dans les groupements qu’il ordonne n’est guère propice à la parole, mais il y porte une sujétion dont les effets sont uniformes1. Contrairement à ce qu’on imagine, dans l’identification collective c’est par fil individuel que les sujets sont informés; cette information n’est commune que parce qu’à la source elle est identique. Freud a mis l’accent sur le fait

1. C’est ce que l’euphémisme en usage dans le milieu concernant ce qui le touche, désigne esquisement par : le narcissisme des petites différences.

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qu’il s’agit de l’identité que porte en soi l’idéalisation narcissique, et nous permet ainsi de compléter d’un trait de schématisme l’image qui y fait fonction d’objet.

Mais l’on peut prévoir le mode de relation sur lequel va reposer un tel groupe, aux effets que produit l’identification narcissique dans le couple, jalousie fraternelle ou acrimonie conjugale. Dans la conquête du pouvoir, on a largement utilisé la Schadenfreude que satisfait chez l’opprimé l’identification au Führer. Dans une quête de savoir, un certain refus qui se mesure à l’être, au-delà de l’objet, sera le sentiment qui soudera le plus fortement la troupe : ce sentiment est connaissance, sous une forme pathétique, en lui l’on communie sans communiquer, et il s’appelle la haine.

Sans doute un bon objet, comme on s’exprime, peut-il être promu à ces fonctions d’assujettissement, mais ‘cette image qui fait les chiens fidèles, rend les hommes tyranniques, – car c’est l’Éros dont Platon a montré la vraie figure dans le phasme qui étend ses ailes sur la cité détruite et dont s’affole l’âme traquée.

Pour ramener ce propos à ses proportions présentes, nous prendrons la main que tend à Freud Valéry quand parlant de ces « uniques » qui peuplent ce qu’il appelle les professions délirantes 1, il file la métaphore des deux électrons dont il entend l’édifiante musique bourdonner dans l’atome de leur unicité l’un qui chante : « Il n’y a que moi, moi, moi », l’autre qui crie

« mais il y a un tel, un tel… et tel Autre ». Car, ajoute l’auteur, le nom change assez souvent.

C’est ainsi que les number one qui ici pullulent, s’avèrent à un regard expert être autant de numéros deux.

C’est dire que le godant dans lequel ils donneront comme tels et dont nous évoquions plus haut la bizarrerie, va se trouver ici porté à un degré d’exultation qui ne se fera pas plus convaincante d’être générale, mais où peut-être il s’éclairera de sa répercussion.

Que le numéro deux se réjouisse d’être impair, où cela va-t-il

1. Nous avons cité ce passage en entier dans notre thèse : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Le François, 1932, aux p. 283 (n. 1), et 284. On voit que notre intérêt en ce sujet ne date pas de la dernière décade.

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le mener dans cette réunion, – que nous pouvons sans abus ordonner en une rangée unique par la seule condition d’y lier à la queue leu leu chacun à un autre qui le précède?

Il saute aux yeux qu’il faut que le numéro trois descende comme Dieu de la machine pour engendrer l’alternance qui accouchera de l’impair, avant que celui-ci puisse exercer ses séductions sur le numéro deux.

Cette remarque montre déjà le nerf de l’affaire, mais on le verra mieux sous une forme développée.

Dans la série ainsi constituée, on peut dire en effet qu’une place impaire est occupée par la moitié des numéros deux, mais comme la série n’a pas de tête, puisqu’elle se ferme en couronne, rien ni personne ne peut désigner quelle est cette moitié, et donc les numéros deux, chacun pour soi et Dieu pour tous, sont en droit de se prétendre impairs, quoique chacun soit assuré que la moitié d’entre eux ne peut pas l’être. Mais est-ce forcément vrai ? Non pas, car il suffit que la moitié plus un des numéros deux puisse se dire être de rang impair, pour que passée la borne (selon la forte expression de M. Fenouillard) il n’y ait plus de limites, et que tous les numéros deux, quel que soit celui dont on fasse partir la série, soient incontestablement pris dans l’impair dénombré.

On voit ici la fonction de l’Un En Plus, mais aussi qu’il faut qu’il soit un Un Sans Plus, car tout Un Encore serait Un De Trop, à faire retomber tous les numéros deux dans une présomption qui reste sans rémission pour se connaître comme sans remède.

Cet Un En Plus était déjà dans le nombre trois, condition préliminaire de la série où il s’est fait à nous mieux voir. Et ceci démontre que la joie du numéro deux de la Suffisance exige que sa dualité s’excède en cet Un En Plus : et que donc la Béatitude, à être l’excès de la Suffisance, a sa place en dehors d’elle.

Mais cet Un En Plus qu’est dès lors chacune des Béatitudes, ne pouvant être qu’un Un Sans Plus, elle est vouée par position au monologue. Et c’est pourquoi, au contraire des Suffisances qui n’ont rien à se dire, les Béatitudes se parlent, mais ce n’est, pas pour s’en dire plus.

Car cet Un En Plus où le nombre trois se réunit, est assurément la médiation de la Parole, mais à se maintenir dans l’Autre dont

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il devrait se détacher pour revenir au Même, il ne forme dans sa bouche que cette forme qui bouche : l’O d’un Oracle, que seul l’appétit des Bien-Nécessaires peut entamer jusqu’à en faire l’U d’un Verdict.

Mais les deux superfluités qui ici se conjuguent, par la connivence du défaut du Discours Inconsistant avec l’excès du Discours Immotivé, ne se répondent pas pour autant. Pas plus que jamais autant de billes qu’on y puisse poser, ne feront une passoire plus propre à servir la soupe.

C’est la raison pourquoi de l’énorme quantité d’expérience qui a traversé l’analyse (car ici l’on ne peut pas dire qu’on n’a rien tiré du bouc à traire), son enseignement n’a pu retenir presque rien en son tamis 1. Observation dont quiconque a eu à en connaître, nous donnera, en son for intime, quittance, dût-il chercher contre notre diatribe le refuge dont une de ces natures que leur lâcheté enseigne autant qu’elle les conduit, lâchait un jour devant nous le fin mot en ces termes : « Il n’est pas de domaine où l’on s’expose plus totalement qu’à parler de l’analyse. »

Voici donc l’organisation qui contraint la Parole à cheminer entre deux murs de silence, pour y conclure les noces de la confusion avec l’arbitraire. Elle s’en accommode pour ses fonctions d’avancement : les Suffisances règlent l’entrée des Petits Souliers dans leur dehors, et les Béatitudes leur désignent ceux qui feront les Bien-nécessaires; en sens inverse, c’est à s’adresser aux Béatitudes que ceux-ci iront à la Suffisance, et les Suffisances leur répondront en tirant de leur sein des Béatitudes nouvelles.

Une observation attentive dénombrerait ici toutes les formes du tir indirect ou de ce cheminement appelé chicane, autant dire celles qui provoquent l’assaillant à jouer de l’invisibilité.

C’est bien là la faille du système comme moyen de tri des sujets, et celle-ci se conjoignant à l’insonorité qu’il oppose à la parole,

 

1. Pour ceux qui ne connaîtraient pas la métaphore du tamis tendu à la traite d’un bouc, cf. Kant, Critique de la raison pure, dans l’Introduction à la logique transcendentale, III : De la division de la logique générale en analytique et dialectique, édit. Meiner, 1952, p. Zoo. Freud la rappelle dans Le cas Schreber. Il n’est pas sans portée de constater qu’il l’a retenue au point précis où Kant soumet à sa critique la question : qu’est-ce que la vérité?

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on ne s’étonnera pas de quelques résultats paradoxaux, dont nous ne signalerons que deux, l’un d’effet permanent, l’autre fait de cas singuliers.

I. Que les programmes qu’on y impose à l’enseignement magistral prennent essentiellement objet de ce que nous appellerons des matières à fiction, ne s’y trouvant de positif qu’un enseignement médical, qui à n’y être que doublure, fait avec l’enseignement public un double emploi dont on admire qu’il soit toléré;

2. Qu’une politique de silence tenace devant trouver sa voie vers la Béatitude, l’analphabétisme en son état congénital n’est pas sans espoir d’y réussir1.

Mais il nous faut encore indiquer ce que la conjonction de ces deux effets peut produire à l’occasion, car nous y verrons la façon dont le système à s’y clore, trouve à s’y renforcer.

Il arriva qu’une Béatitude du type 2 se crut mise en demeure par les circonstances de faire ses preuves à un enseignement du type i, dont la promotion devait lui être d’un grand lustre.

Ce fut une belle affaire. Certains crièrent à la licence, à la licence de psychologie, s’entend, dont, à leur dire,.la Béatitude ici en cause n’aurait pas été capable de passer l’examen.

Mais les autres plus avisés surent faire leur profit de la grande leçon qui leur était ainsi offerte et où soudain ils pouvaient lire la Loi suprême, Loi non écrite, sur quoi l’association se fonde, – où chacun en son sein trouvera préparées son assiette intellectuelle et sa morale coutumière, – à quoi le long terme d’observation dont il a été l’objet devait avant tout le montrer apte, – et dont il entendra en lui aux moment graves le commandement simple et sûr : il ne faut pas troubler les Béatitudes.

Car telle est la raison, inconnue aux Petits Souliers, encore qu’ils la pressentent, de leur propre silence, et une nouvelle génération, d’en avoir vu se déchirer le voile, sortit de là trempée plus forte, et elle se resserra autour de celui qui la leur avait révélée.

Mais qui pense dans tout cela au sort des Béatitudes elles-mêmes?

 

1. Il peut aussi y être porté pour ses mérites propres. Témoin l’inventeur de la technique de subodoration rapportée plus haut, à qui cette trouvaille valut d’être reçu parmi les Suffisances sans stage probatoire parmi les Bien-Nécessaires où il eût pourtant fait merveille, et d’être bientôt ravi au ciel des Béatitudes.

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Imagine-t-on la disgrâce d’une Béatitude solitaire, quand elle vient à s’apercevoir que si les propos des Bien-Nécessaires sont superflus pour la plupart, ceux des Bienheureux sont malheureux pour l’ordinaire… et ce qu’en ce malheur peut devenir sa Béate Solitude? Sa Suffisance de justesse lui soufflera-t-elle qu’elle n’est elle-même qu’un Mal Nécessaire?

Ah! que les Petits Souliers soient préservés de cette angoisse! A tout le moins qu’on les prépare à ses dangers. Mais on y pare nous qui, en tant que Béatitude, avons pendant des années, dans la cérémonie dite du Deuxième Petit Tour, pu ouïr de la bouche même des Petits Souliers le bienfait qu’ils avaient tiré de leur analyse personnelle, nous dirons ici le plus fréquent et le majeur à apparaître dans l’hommage qu’ils rendaient à leur didacticien; il tient en un mot : désintellectualisation.

Ah ! comme ils se sentaient enfin libérés, les chers enfants, eux qui presque tous attribuaient leur engagement dans la psychiatrie aux tourments inassouvis de cette fichue année que le cycle des études françaises vous inflige dans la compagnie des idées i Non ce n’était pas cela, ils le savaient maintenant, qui les avait guidés : quel soulagement et quel profit d’en être quittes à si bon compte, car une fois cette erreur dissipée et remplacée par la conviction que ce prurit, c’était bien là en effet ce qu’on appelle de ce nom damné : l’intellectualisme, comme la voie est droite enfin, combien aisément la pensée trouve son chemin vers la nature, et les mouvements de nos viscères ne sont-ils pas là pour nous en assurer?

C’est ce qui fait qu’un bon élève analyste de cette espèce se distingue au premier coup d’œil pour quiconque une fois en a vu un : par cet air intérieur, et même postérieur, qui le montre comme appuyé sur le fœtus macéré de ses résistances.

Désintellectualisation, ce mot n’indique pas que quiconque en devienne bête pour autant : tout au contraire des craintes, voire des espoirs, vulgaires, l’analyse est bien incapable de rien changer en cette matière.

L’étude de l’intelligence dont la psychologie behaviouriste a cru pouvoir superposer le degré à la mesure de ce que l’animal sait englober dans la conduite du détour, nous a souvent paru pouvoir trouver avantage, du moins pour l’homme, d’une réfé-

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rence plus large : et nommément de ce que nous appellerions la conduite de la trace.

Il n’est pas une fois où nous conduisions notre petit chien à sa promenade de nécessité, sans que nous frappe le profit qu’on pourrait tirer de ses démarches pour l’analyse des capacités qui font le succès de l’homme dans la société, aussi bien que de ces vertus où les anciens appliquaient leur méditation sous le chef du Moyen-de-Parvenir. Qu’au moins ici cette digression dissipe le malentendu dont nous aurions pu donner l’occasion à certains de nous imputer la doctrine d’une discontinuité entre psychologie animale et psychologie humaine qui est bien loin de notre pensée.

Simplement nous avons voulu soutenir que pour opérer correctement en ces effets que l’analyse distingue chez l’homme comme symptômes, et qui, de se prolonger si directement dans son destin, voire sa vocation, semblent tomber avec eux sous la même coupe : celle du langage, il est préférable sans doute de ne pas rester complètement illettré, – ou plus modestement que toute erreur possible n’est pas à écarter de l’effort qu’on ferait pour s’y appliquer.

Mais sans doute d’autres nécessités l’emportent-elles, et le fardeau des Béatitudes, semblable à celui de l’homme blanc, ne saurait être à la portée du jugement d’un seul.

Nous l’avons entendu, et tous ont pu l’entendre, de la bouche d’une Suffisance en un moment fécond de l’institution psychanalytique en France . « Nous voulons, déclara-t-elle, cent psychanalystes médiocres. » En quoi ne s’affirmait pas la modestie d’un programme, mais la revendication, voire ambitieuse, de cette mutation de la qualité, que la forte pensée de Marx a montrée à jamais s’enraciner dans la quantité.

Et les statistiques publiées à ce jour montrent que l’entreprise surmontant superbement1 tous les obstacles, est en passe d’un succès où elle bat ses propres normes.

Assurément nous sommes loin encore de ce qui est atteint hors de chez nous, et les quelque treize pages in-quarto sur deux

 

1. Ce fut le terme même employé par le docteur Ernest Jones et reproduit dans le journal officiel de l’Association psychanalytique anglophone : superbly, pour rendre hommage au succès de ladite entreprise (1966).

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colonnes qui suffisent à peine à contenir la liste des psychanalystes de l’Association américaine, remettent à leur place les deux pages et demie où les praticiens de France et d’Angleterre trouvent à se loger.

Qu’on juge de la responsabilité qui incombe à la diaspora allemande qui a donné là-bas les cadres les plus hauts de la Béatitude, et ce que représente la charge qu’elle prend de tous ces dentistes, pour employer le terme empreint d’un paternalisme affectueux dont on use, pour désigner le rank and file, chez ces Béatitudes suprêmes.

Comme on comprend que ce soit parmi Elles que soit apparue la théorie du moi autonome 1, et comment ne pas admirer la force de ceux qui donnent son élan à la grande œuvre de désintellectualisation, qui s’étendant de proche en proche représente un de ces challenges parmi les plus féconds où une civilisation puisse affirmer sa force, ceux qu’elle se forge en elle-même? A y veiller, où trouvent-ils le temps, alors qu’à cours d’année ils se consacrent à abaisser les mois forts, à élever les mois faibles? – Sans doute pendant les mois sans r.

Assurément un État policé trouvera-t-il à la longue à redire au fait que des prébendes, à la mesure des investissements considérables que déplace une telle communauté, soient laissées à la discrétion d’un pouvoir spirituel dont nous avons noté l’extraterritorialité singulière.

Mais la solution serait aisée à obtenir : un petit territoire à la mesure des États philatéliques (Elles Island pour fixer les idées) pourrait être cédé par un vote du Congrès des U.S.A. les plus intéressés en cette affaire, pour que l’I.P.A. y installe ses services avec ses Congrégations de l’Index, des Missions et de la Propagande, et les décrets qu’elle émettrait pour le monde entier, d’être datés et promulgués de ce territoire, rendraient la situation plus définie diplomatiquement : on saurait en outre clairement si la fonction du moi autonome, par exemple, est un article du symbole de la doctrine œcuménique, ou seulement un article à recommander pour le Noël des Petits Souliers.

Faisons halte ici pour finir sur une note roborative. Si nous

 

1. Cf. note p. 487 de l’annexe qui suit.

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n’avons pas eu peur de montrer les forces de dissociation auxquelles est soumis l’héritage freudien, faisons état de la remarquable persistance dont l’institution psychanalytique a fait preuve.

Nous y aurons d’autant moins de mérite que nous ne trouvons nulle part de confirmation plus éclatante de la vertu que nous accordons au signifiant pur. Car dans l’usage que l’on y fait des concepts freudiens, comment ne pas voir que leur signification n’entre pour rien? Et pourtant ce n’est à rien d’autre qu’à leur présence qu’on peut attribuer le fait que l’association ne se soit pas encore rompue pour se disperser dans la confusion de Babel.

Ainsi la cohérence maintenue de ce grand corps nous fait-elle penser à l’imagination singulière que le génie de Poe propose à notre réflexion dans l’histoire extraordinaire du Cas du M. Valdemar.

C’est un homme qui, d’être resté sous l’hypnose pendant le temps de son agonie, se trouve trépasser sans que son cadavre cesse pour autant de se maintenir, sous l’action de l’hypnotiseur, non seulement dans une apparente immunité à la dissolution physique, mais dans la capacité de témoigner par la parole de son atroce état.

Telle métaphoriquement, dans son être collectif, l’association créée par Freud se survivrait, mais ici c’est la voix qui la soutient, qui vient d’un mort.

Certes Freud a-t-il été jusqu’à nous faire reconnaître l’Éros par où la vie trouve à prolonger sa jouissance dans le sursis de son pourrissement.

Dans un tel cas pourtant l’opération du réveil, menée avec les mots repris du Maître dans un retour à la vie de sa Parole, peut venir à se confondre avec les soins d’une sépulture décente. (Pommersfelden – Guitrancourt, sept.- oct., 1956.)

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ANNEXE

La version publiée en son temps fut, à partir du paragraphe désigné en note de la page 485, rédigée en ces termes :

Rendu plus tôt plus attentif à ces effets, Freud se fût interrogé-de plus près sur les voies particulières que la transmission de sa doctrine exigeait de l’institution qui devait l’assurer. La seule organisation d’une communauté ne lui eût pas paru garantir cette transmission contre l’insuffisance du team même des fidèles, dont quelques confidences qu’on atteste de lui montrent qu’il avait le sentiment amer 1.

L’affinité lui fût apparue dans sa racine, qui relie les simplifications toujours psychologisantes contre lesquelles l’expérience l’avertissait, à la fonction de méconnaissance, propre au moi de l’individu comme tel.

Il eût vu la pente qu’offrait à cette incidence la particularité de l’épreuve que cette communauté doit imposer à son seuil : nommément de la psychanalyse pour laquelle l’usage consacre le titre de didactique, et que le moindre fléchissement sur le sens de ce qu’elle recherche tourne en une expérience d’identification duelle.

Ce n’est pas nous ici qui portons un jugement; c’est dans les cercles des didacticiens que s’est avouée et se professe la théorie qui donne. pour fin à l’analyse l’identification au moi de l’analyste.

Or à quelque degré qu’on suppose qu’un moi soit parvenu à s’égaler à la réalité dont il est censé prendre la mesure, la sujétion psychologique sur laquelle on aligne ainsi l’achèvement de l’expérience est, si l’on nous a bien lu, ce qu’il y a de plus contraire à la vérité qu’elle doit rendre patente : à savoir l’extranéité des effets inconscients, par quoi est rabattue la prétention à l’auto

1. Cf. « So, haben Sie jetzt diese Bande gesehen ?», dit à Binswanger à l’issue d’une des réunions hebdomadaires qui se tenaient chez lui au début de 1907. In Ludwig Binswanger : Erinnerungen an Sigmund Freud.

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norme dont le moi fait son idéal; rien aussi de plus contraire au bienfait qu’on attend de cette expérience : à savoir la restitution qui s’y opère pour le sujet du signifiant qui motive ces effets, procédant d’une médiation qui justement dénonce ce qui de la répétition se précipite dans le modèle.

Que la voie duelle ainsi choisie à l’opposé pour la visée de l’expérience, échoue à réaliser la normalisation dont elle pourrait se justifier au plus bas, c’est ce qui, nous l’avons dit, est reconnu pour ordinaire, mais sans qu’on en tire la leçon d’une maldonne dans les prémisses, content qu’on est d’en attribuer le résultat aux faiblesses répercutées dont l’accident n’est en effet que trop visible.

De toutes façons, le seul fait que les buts de la formation s’affirment en postulats psychologiques, introduit dans le groupement une forme d’autorité sans pareille dans toute la science : forme que le terme de suffisance seul permet de qualifier.

C’est en effet la dialectique hégélienne de l’infatuation qui seule rend compte du phénomène à la rigueur. Faute de quoi c’est à la satire, si la saveur n’en devait pas rebutez ceux qui ne sont pas intimes à ce milieu, qu’il faudrait recourir pour donner une juste idée de la façon dont on s’y fait valoir.

On ne peut ici que faire état de résultats apparents.

D’abord la curieuse position d’extraterritorialité scientifique par où nous avons amorcé nos remarques, et le ton de magistère dont les analystes la soutiennent dès qu’ils ont à répondre à l’intérêt que leur discipline suscite dans les domaines circonvoisins.

Si d’autre part les variations que nous avons montrées dans les approches théoriques de la psychanalyse, donnent l’impression extérieure d’une progression conquérante toujours à la frontière de champs nouveaux, il n’en est que plus frappant de constater combien est stationnaire ce qui s’articule d’enseignable à l’usage interne des analystes par rapport à l’énorme quantité d’expérience qui, si l’on peut dire, a passé par leurs mains.

Il en est résulté, tout à l’opposé des ouvertures dont, comme nous l’avons indiqué, Freud a formulé le projet universitaire, l’établissement d’une routine du programme théorique, dont on désignerait assez bien ce qu’il couvre par le terme forgé de matières à fiction.

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Cependant dans la négligence où une méthode pourtant révolutionnante dans l’abord des phénomènes, a laissé la nosographie psychiatrique, on ne sait s’il faut plus s’étonner que son enseignement en ce domaine se borne à broder sur la symptomatologie classique, ou qu’elle en vienne ainsi à broder en doublure de l’enseignement officiel.

Pour peu enfin qu’on s’astreigne à suivre une littérature peu avenante il faut le dire, on y verra la part qu’y prend une ignorance en quoi nous n’entendons pas désigner la docte ignorance ou ignorance formée, mais l’ignorance crasse, celle dont l’épaisseur n’a jamais été même effleurée par le soc d’une critique de ses sources.

Ces phénomènes de stérilisation, bien plus patents encore de l’intérieur, ne peuvent être sans rapports avec les effets d’identification imaginaire dont Freud a révélé l’instance fondamentale dans les masses et dans les groupements. Le moins qu’on en puisse dire, c’est que ces effets ne sont pas favorables à la discussion, principe de tout progrès scientifique. L’identification à l’image qui donne au groupement son idéal, ici celle de la suffisance incarnée, fonde certes, comme Freud l’a montré en un schéma décisif, la communion du groupe, mais c’est précisément aux dépens de toute communication articulée. La tension hostile y est même constituante de la relation d’individu à individu. C’est là ce que l’euphémisme, en usage dans le milieu, reconnaît tout à fait valablement sous le terme de narcissisme des petites différences que nous traduirons en termes plus directs par : terreur conformiste.

Ceux à qui l’itinéraire de la Phénoménologie de l’esprit est familier, se retrouveront mieux à ce débucher, et s’étonneront moins de la patience qui semble ajourner dans ce milieu toute excursion interrogeante. Encore la retenue des mises en question ne s’arrête-t-elle pas aux impétrants, et ce n’est pas un novice qui prenait instruction de son courage quand il le motivait ainsi

a Il n’est pas de domaine où l’on s’expose soi-même plus totalement qu’à parler de l’analyse. »

Sans doute un bon objet, comme on s’exprime, peut-il présider à cet assujettissement collectif, mais cette image oui fait les chiens fidèles, rend les hommes tyranniques, car c’est l’Éros même dont

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Platon nous montre le phasme déployé sur la cité détruite et dont s’affole l’âme traquée.

Aussi bien cette expérience vient-elle à susciter sa propre idéologie, mais sous la forme de la méconnaissance propre à la présomption du moi : en ressuscitant une théorie du moi autonome, chargée de toutes les pétitions de principe dont la psychologie avait sans attendre la psychanalyse fait justice, mais qui livre sans ambiguïté la figure des idéaux de ses promoteurs 1.

Assurément ce psychologisme analytique n’est pas sans rencontrer des résistances. L’intéressant, c’est qu’à les traiter comme telles, il se trouve favorisé par maints désarrois apparus dans les modes de vie d’aires culturelles importantes, pour autant que la demande s’y manifeste de patterns qu’il n’est pas inapte à fournir 2.

On trouve là le joint par où la psychanalyse s’infléchit vers un behaviourisme, toujours plus dominant dans ses « tendances actuelles ». Ce mouvement est supporté, on le voit, par des conditions sociologiques qui débordent la connaissance analytique comme telle. Ce qu’on ne peut manquer de dire ici, c’est que Freud, en prévoyant nommément cette collusion avec le behaviourisme, l’a dénoncée à l’avance comme la plus contraire à sa voie 3.

Quelle que doive être pour l’analyse l’issue de la singulière régie spirituelle où elle paraît ainsi s’engager, la responsabilité de ses tenants reste entière à l’endroit des sujets dont ils prennent la charge. Et c’est ici qu’on ne saurait que s’alarmer de certains idéaux qui semblent prévaloir dans leur formation : tel celui que dénonce suffisamment, de ce qu’il ait pris droit de cité, le terme de désintellectualisation.

Comme s’il n’était pas déjà redoutable que le succès de la profession analytique lui attirât tant d’adeptes incultes, convient-il de considérer comme un résultat majeur autant que bénéfique de l’ana

1. On sait que c’est là la théorie à la mesure de quoi MM. H. Hartmann, E. Kris et R. Lœwenstein entendent réduire la pratique de l’analyse et « synchroniser » (c’est là leur terme) la pensée de Freud, sans doute un peu vacillante à leur goût, sinon à leur regard.

1966 : A cette aune se mesure l’accès à la société de New York.

2. Ce qui nous est demandé domine à ce point notre métier présent qu’il n’a plus rien à faire avec la psychanalyse (Propos à nous adressé par un psychanalyste, en clôture de notre récent séjour aux U.S.A., 1966).

3. Freud : Ges. Werke, XIV, pp. 78-79.

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lyse didactique, que jusqu’à l’ombre d’une pensée soit proscrite de ceux-là qui n’auraient pas trop de toute la réflexion humaine pour parer aux intempestivités de toutes sortes auxquelles les exposent leurs meilleures intentions?

Aussi bien le plan de produire, pour ce pays même, «cent psychanalystes médiocres », a-t-il été proféré en des circonstances notoires, et non pas comme le propos d’une modestie avisée, mais comme la promesse ambitieuse de ce passage de la quantité à la qualité que Marx a illustré. Les promoteurs de ce plan annoncent même aux derniers échos qu’on est en train d’y battre superbement ses propres normes.

Personne ne doute en effet de l’importance du nombre des travailleurs pour l’avancement d’une science. Encore faut-il que la discordance n’y éclate pas de toutes parts sur le sens à accorder à l’expérience qui la fonde. C’est, nous l’avons dit, la situation de la psychanalyse.

Au moins cette situation nous paraîtra-t-elle en ceci exemplaire qu’elle apporte une preuve de plus à la prééminence que nous accordons, à partir de la découverte freudienne, dans la structure de la relation intersubjective, au signifiant.

A mesure en effet que la communauté analytique laisse plus se dissiper l’inspiration de Freud, quoi, sinon la lettre de sa doctrine, la ferait-il encore tenir en un corps ?

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