mercredi, mai 8, 2024
Recherches Lacan

Les écrits A la mémoire d'Ernest Jones. Sur sa théorie du symbolisme 1959

Les chiffres indiquent les numéros de page de l’édition originale

p 697 – A la mémoire d’Ernest Jones. Sur sa théorie du symbolisme

1959

 

And bring him out Chat is but woman’s son Can trace me in the tedious ways of art, And bold me pace in deep experiments. (Henry IV, 1re partie-III-1,43-47.)

 

Loin de la pompe funéraire où notre collègue disparu a été honoré selon son rang, nous lui vouerons ici le mémorial de notre solidarité dans le travail analytique.

Si c’est l’hommage qui convient à la position de notre groupe, nous n’éliderons pas l’émotion qui se lève en nous du souvenir de relations plus personnelles.

Pour les ponctuer en trois moments, dont la contingence reflète un homme très divers en sa vivacité: 1’impériosité sans ménagement pour le nouveau que nous étions à Marienbad, soit au dernier de nos conciles avant que le vide ne vînt frapper l’aire viennoise, rapport épidermique dont la pique s’avoue encore après la guerre en l’un de nos écrits; – la familiarité, d’une visite au Plat à Elsted, où parmi les lettres de Freud étalées sur une immense table pour le premier volume de la biographie en cours de composition, nous le vîmes frémissant de nous faire partager les séductions de son labeur, jusqu’à ce que l’heure du rendez-vous d’une patiente conservée dans la retraite y mît une fin dont la hâte, dans sa note de compulsion, nous fit l’effet de voir la marque d’un collier indélébile; – la grandeur enfin de cette lettre de juillet 19 S 7, où l’excuse de nous faire défaut à notre maison de campagne, n’arguait d’une souffrance stoïquement explorée, qu’à l’accepter pour le signal d’une compétition altière, avec la mort talonnant l’œuvre à achever.

L’organe qu’est l’International Journal of Psycho-analysis et qui doit tout à Ernest Jones, de sa durée à sa tenue, ne laisse pas dans

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son numéro de sept.-oct. 58, de faire surgir entre certaines de ses lignes cette ombre dont un pouvoir longtemps exercé paraît toujours s’assombrir quand la nuit l’a rejoint : encre soudaine à accuser ce que par son édifice il oblitéra de lumière.

Cet édifice nous sollicite. Car, pour métaphorique qu’il soit, il est bien fait pour nous rappeler ce qui distingue l’architecture du bâtiment : soit une puissance logique qui ordonne l’architecture au-delà de ce que le bâtiment supporte de possible utilisation. Aussi bien nul bâtiment, sauf à se réduire à la baraque, ne peut-il se passer de cet ordre qui l’apparente au discours. Cette logique ne s’harmonise à l’efficacité qu’à la dominer, et leur discord n’est pas, dans l’art de la construction, un fait seulement éventuel.

On mesure d’ici combien ce discord est plus essentiel dans l’art de la psychanalyse, dont une expérience de vérité détermine le champ : de mémoire et de signification, tandis que les phénomènes qui s’y découvrent comme les plus signifiants, restent des pierres de scandale au regard des fins d’utilité, dont s’autorise tout pouvoir.

C’est pourquoi nulle considération de pouvoir, fût-elle la plus légitime à concerner le bâtiment professionnel 1, ne saurait intervenir dans le discours de l’analyste sans affecter le propos même de sa pratique en même temps que son médium.

Si Ernest Jones est celui qui a fait le plus pour assurer aux valeurs analytiques un certain cours officiel, voire un statut reconnu par les pouvoirs publics, ne peut-on se proposer d’interroger l’immense apologie qu’est son œuvre théorique pour en mesurer la dignité ?

Ceci ne peut s’opérer qu’au niveau d’un échantillon de son travail, et nous choisissons l’article publié en octobre 191 6, dans le British Journal of Psychology (IX, 2, p. 18 1, 229 ) : sur la théorie du symbolisme, et reproduit depuis dans chacune des éditions,

 

1. La fin du pouvoir est articulée comme telle pour le facteur de dégradation qu’elle emporte dans le training analytique, en un article paru dans le numéro de nov.-déc. 58 de l’I.J.P. sous la signature de Thomas S. Szasz.

C’est bien la même fin dont nous avons, dans notre rapport au Congrès de Royau-mont en juillet dernier, dénoncé les incidences sur la direction de la cure. L’auteur cité en suit les effets dans l’organisation externe du training, notamment dans la sélection des candidats, sans aller au fond de son incompatibilité avec le traitement psychanalytique lui-même, soit avec la première étape du training.

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fort différemment composées, on le sait, qui se sont suivies, de ses Papers.

Nul compromis dans ce travail n’apparaît. Sa prise sur le problème le soutient à sa hauteur, et si elle n’en résout pas la difficulté, la dégage.

La malice tombe à plat de ceux qui voudraient nous faire voir, comme brimé par le Maître, ce benjamin des fidèles que-ne liaient pas seulement le talisman des sept anneaux, mais les implications d’un exécutif secret1.

Qu’à lui, le seul goy dans ce cercle imbu de sa spécificité juive 2, fut réservée la palme d’élever au Maître le monument que l’on sait, sera sans doute rapproché du fait que ce monument confirme la limite que n’a pas voulu voir franchir sur son privé l’homme qui a ouvert un nouveau champ de l’aveu pour l’univers.

Il vaudrait mieux ne pas manquer la réflexion que mérite la résistance du discours de la biographie, à l’analyse du cas princeps que constitue non pas tant l’inventeur que l’invention de l’analyse elle-même.

Quoi qu’il en soit, la référence prise à Rank et à Sachs dans l’article que nous examinons, pour les critères qu’ils ont avancés du symbolisme analytique, est édifiante.

Ceux qu’ils mettent en tête, notamment le critère d’un sens constant et d’une indépendance des interventions 3 individuelles, engendrent des contradictions que Jones pointe dans les faits, et la révérence qu’il garde à ces autodidactes des profondeurs, n’empêche qu’on ne sente l’avantage qu’il prend d’un rationalisme assez assuré de sa méthode, pour aussi bien être exclusif en ses principes.

« Si l’on considère, commence Jones 4, le progrès de l’esprit humain dans sa genèse, on peut voir qu’il consiste, non pas, comme on le croit communément, dans la seule accumulation de ce qu’il acquiert, s’additionnant du dehors, mais dans les deux procès suivants : d’une part, de l’extension et du transfert de l’intérêt

 

1. L’extraordinaire histoire de ce Comité nous est ouverte au livre II du Sigmund Freud d’Ernest Jones, chap. VI, p. ils-188.

2. Cf. la lettre de Ferenczi du 6 août 1912, op. cit., p. 173.

3. Nous forçons ici le sens de Bedingungen.

4. E. Jones, Papers on psycho-analysis, 5e éd., p. 87-88.

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et de la compréhension, d’idées plus précoces, plus simples et plus primitives, etc., à d’autres plus difficiles et plus complexes qui, en un certain sens, sont la. continuation des premières et les symbolisent, et d’autre part, par le démasquage constant de symbolismes préalables; en quoi se reconnaît que ceux-ci, s’ils ont d’abord été pensés comme littéralement vrais, s’avèrent n’être réellement que des aspects ou des représentations de la vérité, les seuls dont nos esprits, pour des raisons affectives ou intellectuelles, se trouvaient en ce temps capables. »

Tel est le ton sur lequel partent les choses et elles iront toujours en resserrant ce que ce départ ouvre d’ambiguïté.

Beaucoup, de nos jours, sans doute n’accorderont à ce qui va suivre qu’un intérêt historique, voire préhistorique. Craignons que ce dédain ne cache une impasse où l’on est engagé.

Ce dont il s’agit pour Jones est de pointer quant au symbolisme la divergence fondamentale de Jung 1, sur laquelle Freud s’est alerté dès 1911, a rompu en 19121, et a publié la mise au point de son « histoire du mouvement analytique » en 1914.

L’une et l’autre manières d’utiliser le symbolisme dans l’interprétation sont décisives quant à la direction qu’elles donnent à l’analyse; et elles vont s’illustrer ici d’un exemple qu’on peut bien dire originel, mais non pas désuet, pour autant que le serpent n’est pas simplement la figure que l’art et la fable conservent d’une mythologie ou d’un folklore déshabités. L’antique ennemi n’est pas si loin de nos mirages, que revêtent encore les traits de la tentation, les tromperies de la promesse, mais aussi le prestige du cercle à franchir vers la sagesse dans ce reploiement, fermant la tête sur la queue, où il entend cerner le monde.

Tête captive sous le pied de la Vierge, qu’allons-nous voir de celle qui te répète à l’autre bout du corps de l’amphisbène? Une gnose montagnarde dont on aurait tort d’ignorer les hérédités locales, l’a rempoignée des recès lacustres où, au dire de Jung parlant à nous-même des secrets de son canton, elle est encore lovée.

Figuration de la libido, voilà comment un disciple de Jung inter

 

1. Il s’agit des positions prises par Jung dans les deux parties des Wandlungen und Symbole der Libido, parues respectivernent en 1911 et 1912.

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prétera l’apparition du serpent dans un rêve, dans une vision ou un dessin, manifestant à son insu que si la séduction est éternelle, elle est aussi toujours la même. Car voici le sujet à portée de capture par un éros autistique qui, si rafraîchi qu’en soit l’appareil, a un air de Vieille Connaissance.

Autrement dit l’âme, aveugle lucide, lit sa propre nature dans les archétypes que le monde lui réverbère: comment ne reviendrait-elle pas à se croire l’âme du monde?

L’étrange est que dans leur hâte d’avoir cure de cette âme, les pasteurs calvinistes y aient été blousés 1.

11 faut bien dire qu’avoir tendu cette perche à la belle âme du refuge helvétique, c’est pour un disciple de Brücke, progéniture d’Helmholtz et de Du Bois-Reymond, un succès plutôt ironique.

Mais c’est aussi la preuve qu’il n’y a pas de compromis possible avec la psychologie, et que si l’on admet que l’âme connaisse, d’une connaissance d’âme, c’est-à-dire immédiate, sa propre structure, – fût-ce dans ce moment de chute dans le sommeil où Silberer nous prie de reconnaître dans une pelle à gâteau qui se glisse dans une pâte feuilletée le « symbolisme fonctionnel » des couches du psychisme -, plus rien ne peut séparer la pensée de la rêverie des « noces thymiques ».

11 n’est pas facile pourtant de saisir la coupure si hardiment tracée par Freud dans la théorie de l’élaboration du rêve, sauf à refuser purement et simplement l’ingénuité psychologique des phénomènes mis en valeur par le talent d’observation de Silberer, et c’est bien là la piètre issue à quoi se résout Freud dans la discussion qu’il en fait dans l’édition de 1914 de la Traumdeutung quand il en vient à proférer que les dits phénomènes ne sont le fait que de « têtes philosophiques 2, portées à la perception endopsychique, voire au délire d’observation », de métaphysiciens dans l’âme sans doute, ce serait le cas de le dire, – sur quoi Jones renchérit, en effet, en montant d’un ton la note d’aversion qu’il se permet d’y montrer.

Réjouissons-nous que par cette porte ne soient pas rentrées les

 

1. L’auteur de ces lignes tient que seule la Prostituée romaine peut sans dommage frayer avec ce qu’elle rejette.

2. Freud, G. [V., 11-111, p. S io.

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hiérarchies spirituelles avec les matériels, les pneumatiques, les psychiques, et tutti quanti, si l’on n’y voit la source de l’infatuation de ceux qui se croient « psychanalystes-nés ».

Ce n’est pas là pourtant argument qui soit ici utilisable, et Jones n’y songe pas.

Pour le serpent, il rectifie qu’il est symbole non pas de la libido, notion énergétique qui, comme idée, ne se dégage qu’à un haut degré d’abstraction, mais du phallus, en tant que celui-ci lui paraît caractéristique d’une « idée plus concrète », voire concrète au dernier terme.

Car c’est là la voie que choisit Ernest Jones pour parer au dangereux retour que le symbolisme semble offrir à un mysticisme, qui lui paraît, une fois démasqué, s’exclure de lui-même dans toute considération scientifique.

Le symbole se déplace d’une idée plus concrète (du moins est-ce là comment il s’en exprime), à quoi il a son application primaire, à un idée plus abstraite, où il se rapporte secondairement, ce qui veut dire que ce déplacement ne peut avoir lieu que dans un seul sens. Arrêtons-nous là un instant

Pour convenir que si l’hallucination du réveil fait à l’hystérique princeps de l’analyse’, son bras engourdi sous le poids de sa tête sur son épaule, pressé qu’il fut sur le dossier d’où il se tendait, quand elle s’est assoupie, vers son père veillé dans ses affres mortelles, le prolonger, ce bras, par un serpent, et même par autant de serpents qu’elle a de doigts, c’est du phallus et de rien d’autre que ce serpent est le symbole. Mais à qui ce phallus appartient « concrètement », c’est là ce qui sera moins facile à déterminer dans ce registre de la psychanalyse d’aujourd’hui si joliment épinglé par Raymond Queneau comme la liquette ninque. Que ce phallus en effet soit reconnu pour une appartenance qui fasse l’envie du sujet, toute femme qu’elle est, n’arrange rien, si l’on songe qu’il ne surgit si importunément que d’être bel et bien là au présent, soit dans la susdite liquette, ou tout simplement dans le lit où il clabote avec le mourant.

1. Cf. le cas d’Anna 0…, non reproduit dans les G. W., comme appartenant à Breuer. On trouvera le passage évoqué à la p. 38 de la Standard edition des Studies (vol. 11) ou à la p. 30 de l’édition originale des Studien über Hysterie.

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C’est même là le problème où Ernest Jones, onze ans plus tard, donnera un morceau digne de l’anthologie pour la figure de patinage dialectique qu’il y démontre à développer le contre-pied des positions prises par Freud sur la phase phallique par la seule voie d’affirmations réitérées de s’y accorder entièrement. Mais quoi que l’on doive penser de ce débat malheureusement abandonné, la question peut être posée à Ernest Jones : le phallus, s’il est bien l’objet de la phobie ou de la perversion, à quoi il rapporte tour à tour la phase phallique, est-il resté à l’état d’« idée concrète»?

En tous les cas, lui faudra-t-il reconnaître que le phallus y prend une application « secondaire ». Car c’est bien là ce qu’il dit, quand il s’emploie à distinguer fort habilement les phases proto- et deutéro-phallique. Et le phallus de l’une à l’autre de ces phases comme idée concrète des symboles qui vont lui être substitués, ne peut être lié à lui-même que par une similitude aussi concrète que cette idée, car autrement cette idée concrète ne serait rien d’autre que l’abstraction classique de l’idée générale ou de l’objet générique, ce qui laisserait à nos symboles un champ de régression qui est celui que Jones entend réfuter. Bref nous anticipons, on le voit, sur la seule notion qui permette de concevoir le symbolisme du phallus, c’est la particularité de sa fonction comme signifiant1.

A vrai dire il n’est pas sans pathétique de suivre la sorte de contournement de cette fonction, qu’impose à Jones sa déduction. Car il a reconnu d’emblée que le symbolisme analytique n’est concevable qu’à être rapporté au fait linguistique de la métaphore, lequel lui sert de main-courante d’un bout à l’autre de son développement.

S’il manque à y trouver sa voie, c’est très apparemment, en deux temps, où le défaut de son départ tient, à notre sens, dans cette très insidieuse inversion dans sa pensée, par quoi son besoin de sérieux pour l’analyse s’y prévaut, sans qu’il l’analyse, du sérieux du besoin.

 

1. Cette excursion n’est pas gratuite. Car après son « développement précoce de la sexualité féminine » de 1927, sa « phase phallique » de 1932, Jones conclura par la monumentale déclaration de 1935 devant la Société de Vienne, déclaration d’un complet ralliement au génétisme des fantasmes dont Mélanie Klein fait la cheville de sa doctrine, et où toute réflexion sur le symbolisme dans la psychanalyse reste enfermée, jusqu’à notre rapport de 1953.

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Dont témoigne cette phrase de sa controverse avec Silberer 1

« S’il y a quelque vérité que ce soit dans la psychanalyse, ou, tout uniment, dans une psychologie génétique, alors les complexes primordiaux qui se manifestent dans le symbolisme, doivent être 2 les sources permanentes de la vie mentale et proprement le contraire de pures figures de style. » Remarque qui vise une certaine contingence que Silberer note très justement tant dans l’application des symboles que dans les répétitions auxquelles ils donnent consistance 3, pour lui opposer la constance des besoins primordiaux dans le développement (besoins oraux par exemple, dont Jones suivra la promotion croissante).

C’est à rejoindre ces données originelles que sert cette remontée dans la métaphore, par quoi Jones entend comprendre le symbolisme.

C’est donc en quelque sorte à reculons et pour les besoins de sa polémique qu’il est entré dans la référence linguistique, mais elle tient de si près à son objet qu’elle suffit à rectifier sa visée.

Il y rencontre le mérite d’articuler son propre démenti à donner la liste de ces idées primaires dont il remarque avec justesse qu’elles sont en petit nombre et constantes, au contraire des symboles, toujours ouverts à l’adjonction de nouveaux symboles qui s’empilent sur ces idées. Ce sont, à son dire, « les idées du soi et des parents immédiatement consanguins et les phénomènes de la naissance, de l’amour et de la mort ». Toutes «idées » dont le plus concret est le réseau du signifiant où il faut que le sujet soit déjà pris pour qu’il puisse s’y constituer : comme soi, comme à sa place dans une parenté, comme existant, comme représentant d’un sexe, voire comme mort, car ces idées ne peuvent passer pour primaires qu’à abandonner tout parallélisme au développement des besoins.

Que ceci ne soit pas relevé, ne peut s’expliquer que par une fuite devant l’angoisse des origines, et ne doit rien à cette hâte dont

 

1. Op. cit., p. 125

2. Must be, c’est nous qui soulignons.

3. Jones va ici jusqu’à user de l’arme analytique en relevant comme un symptôme l’usage du terme : ephemeral, pourtant logiquement justifié dans le texte de Silberer.

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nous avons montré la vertu conclusive quand elle est fondée en logique 1.

Cette rigueur logique, n’est-ce pas le moins qu’on puisse exiger de l’analyste qu’il la maintienne en cette angoisse, autrement dit qu’il n’épargne pas l’angoisse à ceux qu’il enseigne, même pour assurer sur eux son pouvoir?

C’est là où Jones cherche sa voie, mais où le trahit son meilleur recours, car les rhétoriciens au cours des âges ont bronché sur la métaphore, lui ôtant la chance d’y rectifier son propre accès sur le symbole. Ce qui apparaît au fait qu’il pose la comparaison (simile en anglais) pour l’origine de la métaphore, prenant « Jean est aussi brave qu’un lion » pour le modèle logique de «Jean est un lion ».

On s’étonne que son sens si vif de l’expérience analytique ne l’avertisse pas de la plus grande densité significative, de la seconde énonciation, c’est-à-dire que, la reconnaissant plus concrète, il ne lui rende pas sa primauté.

Faute de ce pas, il n’arrive pas à formuler ce que l’interprétation analytique rend pourtant presque évident, c’est que le rapport du réel au pensé n’est pas celui du signifié au signifiant, et que le primat que le réel a sur le pensé s’inverse du signifiant au signifié. Ce que recoupe ce qui se passe en vérité dans le langage où les effets de signifié sont créés par les permutations du signifiant.

Ainsi si Jones aperçoit que c’est en quelque sorte la mémoire d’une métaphore qui constitue le symbolisme analytique, le fait dit du déclin de la métaphore lui cache sa raison. Il ne voit pas que c’est le lion comme signifiant qui s’est abrasé jusques au yon, voire au yon-yon dont le grognement bonasse sert d’indicatif aux idéaux repus de la Metro-Goldwyn, – sa clameur, horrible encore aux égarés de la jungle, témoignant mieux des origines de son emploi à des fins de sens.

Jones croit au contraire que le signifié est devenu plus poreux, qu’il est passé à ce que les grammairiens appellent un sens figuré. Ainsi manque-t-il cette fonction parfois si sensible dans le symbole et le symptôme analytique, d’être une sorte de régénération du signifiant.

Il se perd au contraire à répéter une fausse loi de déplacement

 

1. Cf. ci-dessus Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, p. 197.

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du sémantème selon laquelle il irait toujours d’une signification particulière à une plus générale, d’une concrète à une abstraite, d’une matérielle à une plus subtile qu’on appelle figurée, voire morale. Comme si le premier exemple à pêcher dans les nouvelles du jour, ne montrait pas sa caducité, le mot lourd, puisque c’est celui-là qui s’offre à nous, étant attesté pour avoir signifié d’abord le lourdaud, voire l’étourdi 1 (au XIIIe siècle), donc avoir eu un sens moral avant de s’appliquer, pas beaucoup plus tôt que le XVIIIe siècle, nous apprennent Bloch et von Wartburg, à une propriété de la matière, – dont pour ne pas s’arrêter en si beau chemin, il faut remarquer qu’elle est trompeuse pour autant que, de s’opposer au léger, elle conduit à la topique aristotélicienne d’une gravité qualitative. Irons-nous pour sauver la théorie faire à l’usage commun des mots le crédit d’un pressentiment du peu de réalité d’une telle physique ?

Mais que dire justement de l’application qui nous a fourni ce mot, à savoir à la nouvelle unité de la réforme monétaire française quelle perspective ouvrirons-nous de vertige ou de gravité, à quelle transe de l’épaisseur recourir, pour situer ce nouveau coup d’aile du propre au figuré? Ne serait-il pas plus simple d’accepter ici l’évidence matérielle, qu’il n’y a pas d’autre ressort de l’effet métaphorique, que la substitution d’un signifiant à un autre comme telle : à tout le moins serait-ce ne pas rester lourd (en franc-comtois, on dit lourdeau) à la faveur de cet exemple, où le franc dit lourd, pour aucun sens rassis, ne saurait l’être… que de ses conséquences : car celles-ci s’inscrivent ici en termes comptables, soit purement signifiants.

Il n’est néanmoins pas à négliger qu’un effet de signifié, qui se montre, ici comme ailleurs, extrapolé à la substitution du signifiant, soit à prévoir, et attendu en effet : par quoi tout Français se sentira plus lourd du portefeuille, à égalité de poids des coupures, si moins étourdi dans la manipulation de leur numéraire, à égalité de dépense. Et qui sait la pondération qu’en prendra son allure dans ses pérégrinations touristiques, mais aussi les effets imprévisibles qu’aura sur les eldorados de ses placements ou sur ses ustensiles de prestige, le glissement métaphorique de ses sympa-

 

1t. Plus haut sans doute : le sale.

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thies de la ferraille vers l’industrie lourde et les appareils pesants1. Question : si le comique est déprécié d’être dit lourd, pourquoi la Grâce divine n’en est-elle pas disqualifiée?

Cette erreur sur la fonction du langage vaut qu’on y insiste, car elle est primordiale dans les difficultés que Jones n’arrive pas à lever concernant le symbolisme.

Tout tourne, en effet, dans ce débat autour de la valeur de connaissance qu’il convient ou non de concéder au symbolisme. L’interférence du symbole dans des actions plus explicites et plus adaptées à la perception, prend la portée de nous informer sur une activité plus primitive dans l’être.

Ce que Silberer appelle le conditionnement négatif du symbolisme, à savoir la mise en veilleuse des fonctions discriminatives les plus poussées dans l’adaptation au réel, va prendre valeur positive de permettre cet accès. Mais on tomberait dans le péché de cercle, à en déduire que c’est une réalité plus profonde, même qualifiée de psychique, qui s’y manifeste.

Tout l’effort de Jones vise justement à dénier que la moindre valeur puisse être préservée à un symbolisme archaïque au regard d’une appréhension scientifique de la réalité. Mais comme il continue à référer le symbole aux idées, entendant par là les supports concrets qu’est supposé lui apporter le développement, il ne peut lui-même se déprendre de conserver jusqu’à la fin la notion d’un conditionnement négatif du symbolisme, ce qui l’empêche d’en saisir la fonction de structure.

Et pourtant combien de preuves ne nous donne-t-il pas de sa justesse d’orientation par le bonheur des rencontres qu’il fait sur sa route : ainsi, lorsqu’il s’arrête au report que fait l’enfant du « couac v qu’il isole comme signifiant du cri du canard non pas seulement sur le canard dont il est l’attribut naturel, mais sur une série d’objets comprenant les mouches, le vin, et même un sou, usant cette fois du signifiant en métaphore.

Pourquoi faut-il qu’il n’y voie qu’une nouvelle attribution fondée sur l’aperception d’une similitude volatile, même si l’autorité

 

1. On aimerait savoir quelles craintes sur ces effets de métaphore, ont fait écarter aux dernières décisions cette appellation d’abord annoncée de franc lourd, pour lui substituer le nouveau franc.

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dont il se couvre en son emprunt et qui n’est rien de moins que Darwin, se contente de ce que le sou soit frappé au coin de l’aigle pour l’y faire rentrer? Car si complaisante que soit la notion de l’analogie pour étendre la mouvance du volatile jusqu’à la dilution du fluide, peut-être la fonction de la métonymie en tant que supportée par la chaîne signifiante, recouvre-t-elle mieux ici la contiguïté de l’oiseau avec le liquide où il barbote.

Comment ne pas regretter ici que l’intérêt porté à l’enfant par l’analyse développementaliste ne s’arrête pas à ce moment, à l’orée même de l’usage de la parole, où l’enfant qui désigne par un ouaoua ce que dans certains cas, on s’est appliqué à ne lui appeler que du nom de chien, reporte ce oua-oua sur à peu près n’importe quoi, – puis à ce moment ultérieur où il déclare que le chat fait oua-oua et que le chien fait miaou, montrant par ses sanglots, si l’on entend redresser son jeu, qu’en tout cas ce jeu n’est pas gratuit?

Jones, à retenir ces moments, toujours manifestes, ne tomberait pas dans l’erreur éminente par où il conclut que « ce n’est pas le canard comme un tout qui est par l’enfant dénommé « couac », mais seulement certains attributs abstraits, qui continuent alors à être appelés du même nom 1 ».

Il lui apparaîtrait alors que ce qu’il cherche, à savoir l’effet de la substitution signifiante, c’est précisément ce que l’enfant d’abord, trouve, le mot étant à prendre littéralement dans les langues romanes où trouver vient de : trope, car c’est par le jeu de la substitution signifiante que l’enfant arrache les choses à leur ingénuité en les soumettant à ses métaphores.

Par quoi, entre parenthèses, le mythe de l’ingénuité de l’enfant apparaît bien s’être refait, d’être encore là à réfuter.

Il faut définir la métaphore par l’implantation dans une chaîne signifiante d’un autre signifiant, par quoi celui qu’il supplante tombe au rang de signifié, et comme signifiant latent y perpétue l’intervalle où une autre chaîne signifiante peut y être entée. Dès lors on retrouve les dimensions mêmes où Jones s’efforce à mettre en place le symbolisme analytique.

Car elles gouvernent la structure que Freud donne aux symp-

 

1. Jones, op. cit., p. 1°7.

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tômes et au refoulement. Et hors d’elles il n’est pas possible de restaurer la déviation que l’inconscient, au sens de Freud, a subie de la mystification du symbole, ce qui est le but de Jones.

Certains abords erronés doivent à cette fin être déblayés, comme sa remarque, fallacieuse de fasciner par sa référence à l’objet, que si le clocher d’église peut symboliser le phallus, jamais le phallus ne symbolisera le clocher.

Car il n’est pas moins vrai que dans un rêve, fût-il celui d’une forgerie ironique de Cocteau, on puisse tout à fait légitimement, au gré du contexte, interpréter l’image du nègre qui, flamberge au vent, fonce sur la rêveuse, comme le signifiant de l’oubli qu’elle a fait de son parapluie lors de sa dernière séance d’analyse. C’est même là ce que les analystes les plus classiques, ont appelé l’interprétation « vers la sortie » si l’on nous permet de traduire ainsi le terme introduit en anglais de : reconstruction upward 1.

Pour le dire, la qualité du concret dans une idée n’est pas plus décisive de son effet inconscient, que celle du lourd dans un corps grave ne l’est de la rapidité de sa chute.

Il faut poser que c’est l’incidence concrète du signifiant dans la soumission du besoin à la demande, qui en refoulant le désir en position de méconnu, donne à l’inconscient son ordre.

Que de la liste des symboles, déjà considérable, souligne Jones, il observe contre une approximation qui n’est pas encore la plus grossière de Rank et Sachs (troisième caractère du symbole indépendance des déterminations individuelles) qu’elle reste au contraire ouverte à l’invention individuelle, ajoutant seulement qu’une fois promu, un symbole ne change plus de destination, – c’est là une remarque fort éclairante à revenir au catalogue méritoirement dressé par Jones des idées primaires dans le symbolisme, en nous permettant de le compléter.

Car ces idées primaires désignent les points où le sujet disparaît sous l’être du signifiant; qu’il s’agisse, en effet, d’être soi, d’être un père, d’être né, d’être aimé ou d’être mort, comment ne pas voir que le sujet, s’il est le sujet qui parle, ne s’y soutient que du discours.

1. Cf. R. M. Lœwenstein, « Sonie thoughts on interpretation in the theory and practice of psychanalysis », Psa. study of the child, XII, 1957, I.U.P., New York, p. 14; et « The Problern of interpretation”, Psa. Quart., XX.

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Il apparaît dès lors que l’analyse révèle que le phallus a la fonction de signifiant du manque à être que détermine dans le sujet sa relation au signifiant. Ce qui donne sa portée au fait que tous les symboles dont l’étude de Jones fait état, sont des symboles phalliques.

Dès lors de ces points aimantés de la signification que sa remarque suggère, nous dirions qu’ils sont les points d’ombilication du sujet dans les coupures du signifiant : la plus fondamentale étant l’Urverdrängung sur laquelle Freud a toujours insisté, soit la réduplication du sujet que le discours provoque, si elle reste masquée par la pullulation de ce qu’il évoque comme étant.

L’analyse nous a montré que c’est avec les images qui captivent son éros d’individu vivant, que le sujet vient à pourvoir à son implication dans la séquence signifiante.

Bien sûr l’individu humain n’est pas sans présenter quelque complaisance à ce morcellement de ses images, – et la bipolarité de l’autisme corporel que favorise le privilège de l’image spéculaire 1, donnée biologique, se prêtera singulièrement à ce que cette implication de son désir dans le signifiant prenne la forme narcissique.

Mais ce ne sont pas les connexions de besoin, dont ces images sont détachées, qui soutiennent leur incidence perpétuée, mais bien la séquence articulée où elles se sont inscrites qui structure leur insistance comme signifiante.

C’est bien pour cela que la demande sexuelle, à seulement devoir se présenter oralement, ectopise dans le champ du désir « génital » des images d’introjection. La notion de l’objet oral qu’en deviendrait éventuellement le partenaire, pour s’installer toujours plus au cœur de la théorie analytique, n’en est pas moins une élision, source d’erreur.

Car ce qui se produit à l’extrême, c’est que le désir trouve son support fantasmatique dans ce qu’on appelle une défense du sujet devant le partenaire pris comme signifiant de la dévoration accomplie. (Qu’on pèse ici nos termes.)

C’est dans la réduplication du sujet par le signifiant qu’est le

 

1. Cf. notre conception du stade du miroir et le fondement biologique que nous lui avons donné dans la prématuration de la naissance.

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ressort du conditionnement positif dont Jones poursuit la quête pour ce qu’il appelle le vrai symbolisme, celui que l’analyse a découvert dans sa constance et redécouvre toujours nouveau à s’articuler dans l’inconscient.

Car il suffit d’une composition minima de la batterie des signifiants pour qu’elle suffise à instituer dans la chaîne signifiante une duplicité qui recouvre sa réduplication du sujet, et c’est dans ce redoublement du sujet de la parole que l’inconscient comme tel trouve à s’articuler : à savoir dans un support qui ne s’aperçoit qu’à être perçu comme aussi stupide qu’une cryptographie qui n’aurait pas de chiffre.

Ici gît cette hétérogénéité du « vrai symbolisme » que Jones cherche en vain à saisir, et qui lui échappe précisément dans la mesure où il conserve le mirage du conditionnement négatif, qui faussement laisse le symbolisme, à tous les « niveaux » de sa régression, confronté au réel.

Si, comme nous le disons, l’homme se trouve ouvert à désirer autant d’autres en lui-même que ses membres ont de noms hors de lui, s’il a à reconnaître autant de membres disjoints de son unité, perdue sans avoir jamais été, qu’il y a d’étants qui sont la métaphore de ces membres, – on voit aussi que la question est résolue de savoir quelle valeur de connaissance ont les symboles, puisque ce sont ces membres mêmes qui lui font retour après avoir erré par le monde sous une forme aliénée. Cette valeur, considérable quant à la praxis, est nulle quant au réel.

Il est très frappant de voir l’effort que coûte à Jones d’établir cette con-fusion, que sa position exige dès son principe, par les voies qu’il a choisies. Il l’articule par une distinction du « vrai symbolisme » qu’il conçoit en somme comme le producteur de symboles, d’avec les « équivalents symboliques » qu’il produit, et dont l’efficace ne se mesure qu’au contrôle objectif de leur prise sur le réel.

On peut observer que c’est là requérir de l’expérience analytique qu’elle donne son statut à la science, et donc beaucoup s’en éloigner. Qu’à tout le moins on reconnaisse que ce n’est pas nous qui prenons ici la charge d’y dévoyer nos praticiens, mais Jones à qui nul n’a jamais reproché de faire de la métaphysique.

Niais nous croyons qu’il se trompe. Car l’histoire de la science

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seule ici peut trancher, et elle est éclatante à démontrer, dans l’accouchement de la théorie de la gravitation, que ce n’est qu’à partir de l’extermination de tout symbolisme des cieux qu’ont pu s’établir les fondements sur la terre de la physique moderne, à savoir: que de Giordano Bruno à Kepler et de Kepler à Newton, c’est aussi longtemps que s’y est maintenue quelque exigence d’attribution aux orbites célestes d’une forme « parfaite n (en tant qu’elle impliquait par exemple la prééminence du cercle sur l’ellipse), que cette exigence a fait obstacle à la venue des équations maîtresses de la théorie1.

Il n’y a pas à objecter à ce que la notion kabbaliste d’un Dieu qui se serait retiré sciemment de la matière pour la laisser à son mouvement, ait pu favoriser la confiance faite à l’expérience naturelle comme devant retrouver les traces d’une création logique. Car c’est là le détour habituel de toute sublimation, et l’on peut dire qu’en dehors (le la physique ce détour n’est pas achevé. Il s’agit de savoir si l’achèvement de ce détour peut aboutir autrement qu’à être éliminé.

Là encore, malgré cette erreur, il faut admirer comment dans son labour, – si nous nous permettons d’employer ce mot au même efFet de métaphore à quoi répondent les termes de working through et de durcharbeiten en usage dans l’analyse -, notre auteur retourne son champ d’un soc véritablement digne de ce que doit, en effet, au signifiant le travail analytique.

(‘,’est ainsi due pour donner le dernier tour à son propos au sujet du symbole, il envisage ce qui résulte de l’hypothèse, supposée admise par certains auteurs sur des repères linguistiques et mythologiques, que l’agriculture ait été à l’origine la transposition technique d’un coït fécondant. Peut-on dire légitimement de l’agriculture à cette époque idéale qu’elle symbolise la copulation?

Il est bien clair que la question n’est pas de fait, personne ici n’ayant à prendre parti sur l’existence réelle dans le passé d’une telle étape, de toute façon intéressante à verser au dossier de la fiction pastorale où le psychanalyste a beaucoup à apprendre sur ses horizons mentaux (sans parler du marxiste).

1. Cf. Alexandre Koyré, From the Closed World to the infinite Universe, Johns Hopkins Press, Baltimore, 1957, où il résume là-dessus ses lumineux travaux.

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La question n’est que de la convenance de l’application ici de la notion du symbolisme, et Jones y répond, sans paraître se soucier du consentement qu’il peut attendre, par la négative 1, ce qui veut dire que l’agriculture représente alors une pensée adéquate (ou une idée concrète), voire un mode satisfaisant, du coït !

Mais si l’on veut bien suivre l’intention de notre auteur, on s’aperçoit qu’il en résulte que ce n’est que pour autant que telle opération technique se trouve interdite, parce qu’elle est incompatible avec tel effet des lois de l’alliance et de la parenté, en ce qu’il touche par exemple à la jouissance de la terre, que l’opération substituée à la première devient proprement symbolique d’une satisfaction sexuelle, – seulement à partir de là, entrée dans le refoulement -, en même temps qu’elle s’offre à supporter des conceptions naturalistes, de nature à obvier à la reconnaissance scientifique de l’union des gamètes au principe de la reproduction sexuée.

Ce qui est strictement correct en tant que le symbolisme est tenu pour solidaire du refoulement.

On voit qu’à ce degré de rigueur dans la précision paradoxale, on peut légitimement se demander si le travail d’Ernest Jones n’a pas accompli l’essentiel de ce qu’il pouvait faire à son moment, s’il n’a pas été aussi loin qu’il pouvait aller dans le sens de l’indication qu’il a relevé de Freud, la citant de la Traumdeutung 2

« Ce qui aujourd’hui est lié symboliquement, était probablement uni dans les temps primordiaux par une identité conceptuelle et linguistique. La relation symbolique paraît être un signe résiduel et une marque de cette identité de jadis. »

Et pourtant que n’eût-il gagné, pour saisir la vraie place du symbolisme, à se souvenir qu’il n’occupait aucune place dans la ire édition de la Traumdeutung, ce qui comporte que l’analyse, dans les rêves, mais aussi dans les symptômes, n’a à en faire état que comme subordonné aux ressorts majeurs de l’élaboration qui structure l’inconscient à savoir la condensation, et le déplacement au premier chef, – nous en tenant à ces deux mécanismes pour ce qu’ils eussent suffi à suppléer au défaut d’information

 

1. Jones, op. cit., p. 136.

2. Jones, loc. cit., p. 105.

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de Jones concernant la métaphore et la métonymie comme effets premiers du signifiant.

Peut-être eût-il évité alors de formuler contre sa propre élaboration dont nous croyons avoir suivi les lignes maîtresses, et contre l’avertissement exprès de Freud lui-même, que ce qui est refoulé dans le recès métaphorique du symbolisme, c’est l’affect’. Formulation où l’on ne voudrait voir qu’un lapsus, si elle n’avait dû se développer plus tard en une exploration extraordinairement ambiguë de la ronde des affects, en tant qu’ils se substitueraient les uns aux autres comme tels z.

Alors que la conception de Freud, élaborée et parue en 1915 dans l’Internationale Zeitschrift, dans les trois articles sur : les pulsions et leurs avatars, sur : le refoulement et sur : l’inconscient, ne laisse aucune ambiguïté sur ce sujet : c’est le signifiant qui est refoulé, car il n’y a pas d’autre sens à donner dans ces textes au mot : Vorstellungsrepräsentanz. Pour les affects, il formule expressément qu’ils ne sont pas refoulés, ne pouvant être dits tels que par une tolérance, et articule que, simples Ansätze ou appendices du refoulé, signaux équivalents à des accès hystériques fixés dans l’espèce, ils sont seulement déplacés, comme en témoigne ce fait fondamental, à l’appréciation duquel un analyste se fait reconnaître : par quoi le sujet est nécessité à a comprendre » d’autant mieux ses affects qu’ils sont moins motivés réellement.

On peut conclure par l’exemple qu’Ernest Jones a pris pour point de départ et qu’il a déployé avec l’érudition dont il a le privilège : le symbolisme de Polichinelle. Comment n’y pas retenir

 

1. Jones, s’il s’appliquait à lui-même la suspicion analytique, devrait s’alerter de l’étrangeté dont il est affecté lui-même (a curious statement, profère-t-il, loc. cit., P. 123124) à la remarque pourtant fondée de Silberer « que l’universalité, ou la validité générale et l’intelligibilité d’un symbole varient en raison inverse de la part que jouent dans sa détermination les facteurs affectifs u.

En somme les point de méconnaissance dont Jones ne peut se déprendre se montrent instinctivement tenir à la métaphore du poids qu’il entend donner au vrai symbolisme. Par quoi il lui arrive d’arguer contre son propre sens, comme, par exemple, de recourir à la conviction du sujet pour distinguer l’effet inconscient, c’est-à-dire proprement symbolique, que peut avoir sur lui une image commune du discours (cf. op. cit., P. 128).

2. Jones, Fear, guilt and hate, lu au IIe Congrès international de Psychanalyse à Oxford en juillet 1929, publié op. cit., p. 304-319.

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la dominance du signifiant, manifeste sous son espèce la plus matériellement phonématique. Car, au-delà de la voix de fausset et des anomalies morphologiques de ce personnage héritier du Satyre et du Diable, ce sont bien les homophonies qui, pour se condenser en surimpressions, à la façon du trait d’esprit et du lapsus, nous dénoncent le plus sûrement, que c’est le phallus qu’il symbolise. Polecenella napolitain, petit dindon, pulcinella, petit poulet, pullats, mot de tendresse légué par la pédérastie romaine aux épanchements modiques des midinettes en nos printemps, le voici recouvert par le punch de l’anglais, pour, devenu punchinello, retrouver la dague, le tasseau, l’instrument trapu qu’il dissimule, et qui lui fraye le chemin par où descendre, petit homme, au tombeau du tiroir, où les déménageurs, ménagers de la pudeur des Henriette, feindront, feindront de ne rien voir, avant qu’il n’en remonte, ressuscité en sa vaillance.

Phallus ailé, Parapilla 1, fantasme inconscient des impossibilités du désir mâle, trésor où s’épuise l’impuissance infinie de la femme, ce membre à jamais perdu de tous ceux, Osiris, Adonis, Orphée, dont la tendresse ambiguë de la Déesse-Mère doit rassembler le corps morcelé, nous indique à se retrouver sous chaque illustration de cette longue recherche sur le symbolisme, non seulement la fonction éminente qu’il y joue, mais comment il l’éclaire.

Car le phallus, comme nous l’avons montré ailleurs, est le signifiant de la perte même que le sujet subit par le morcellement du signifiant, et nulle part la fonction de contrepartie où un objet est entraîné dans la subordination du désir à la dialectique symbolique, n’apparaît de façon plus décisive.

Ici nous retrouvons la suite indiquée plus haut, et par où Ernest joncs a contribué essentiellement à l’élaboration de la phase phallique, en s’y engageant un peu plus dans le recours au développement. N’est-ce pas l’orée du dédale où la clinique

1. Titre d’un poème obscène en cinq chants, censé traduit de l’italien, fort librement illustré et paru sans indication d’éditeur : à Londres à la date de 1782. C’est le mot qui y fait apparaître, sous une forme secourable à toutes celles qui le prononcent, l’objet à la gloire duquel ces chants sont consacrés, et que nous ne saurions mieux désigner qu’en l’appelant le phallus universel (comme on dit : clef universelle).

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même semble s’être brouillée, et du retour à une méconnaissance renforcée de la portée essentielle du désir, qu’illustre une cure de contention imaginaire, fondée sur le moralisme délirant des idéaux de la prétendue relation d’objet? L’extraordinaire élégance du départ donné par Freud : à savoir la conjugaison chez la fille de la revendication contre la mère et de l’envie du phallus, demeure le roc en la matière, et l’on conçoit que nous en ayons fait repartir la dialectique où nous montrons que se séparent la demande et le désir.

Mais nous n’introduirons pas plus avant une élaboration qui est la nôtre, en une étude qui ne saurait que s’incliner, – à s’en tenir au seul travail sur lequel elle porte -, devant l’exigence dialectique obstinée, la hauteur des perspectives, le sentiment de l’expérience, la notion de l’ensemble, l’information immense, l’inflexibilité du but, l’érudition sans défaut, le poids enfin, qui donnent à l’œuvre d’Ernest Jones sa place hors-série.

Est-ce un moins digne hommage, que ce cheminement sur le symbolisme nous ait portés si près de ce destin de l’homme d’aller à l’être pour ne pouvoir devenir un? Berger de l’être, profère le philosophe de notre temps, cependant qu’il accuse la philosophie d’en avoir fait le mauvais berger. Lui répondant d’un autre lai, Freud à jamais fait s’effacer le bon sujet de la connaissance philosophique, celui qui trouvait dans l’objet un statut de tout repos, devant le mauvais sujet du désir et de ses impostures.

N’est-ce pas de ce mauvais sujet que Jones en cette montée encore de son talent, s’avère le tenant quand il conclut, conjuguant la métaphore au symbolisme : « La circonstance que la même image puisse être employée pour l’une et l’autre de ces fonctions ne doit point nous aveugler sur les différences qu’il y a entre elles. La principale de celles-ci est qu’avec la métaphore, le sentiment à exprimer est sur-sublimé (oversublimated), tandis qu’avec le symbolisme, il est sous-sublimé (under-sublimated, sic) ; l’une se rapporte à un effort qui a tenté quelque chose au-delà de ses forces, l’autre à un effort qui est empêché d’accomplir ce qu’il voudrait. »

C’est sur ces lignes, qu’avec un sentiment de revenir au jour, le souvenir nous fit retour de la division immortelle que Kierkegaard a pour jamais promue dans les fonctions humaines, 7I6

 

SUR LA THÉORIE DU SYMBOLISME D’ERNEST JONES

tripartite, comme chacun sait, des officiers, des femmes de chambre et des ramoneurs, – et qui, si elle surprenait certains, de leur être nouvelle, a son mérite éclairé ici déjà de la mention du bâtiment où elle s’inscrit évidemment.

Car, plus que du rappel des origines galloises d’Ernest Jones, plus que de sa petite taille, de son air ténébreux et de son adresse, c’est sûrement de l’avoir suivi, jusqu’au degré de l’évocation, dans ce cheminement comme d’une cheminée dans la muraille, qu’à cette ressortie dans une suite évocatrice de diamants, nous nous sommes senti assuré soudain, et quoi que puissent lui devoir les représentants des deux premiers offices dans la communauté internationale des analystes, et particulièrement dans la Société britannique, de le voir éternellement prendre sa place au ciel des ramoneurs, dont on ne doutera pas qu’il soit pour nous le précellent.

Qui donc, lit-on dans le Talmud, de deux hommes qui sortent l’un après l’autre d’une cheminée dans le salon, aura, quand ils se regardent, l’idée de se débarbouiller? La sagesse tranche ici sur toute subtilité à déduire de la noirceur des visages qu’ils se présentent réciproquement et de la réflexion qui, chez chacun, en diverge; elle conclut expressément : quand deux hommes se retrouvent au sortir d’une cheminée, tous les deux ont la figure sale.

(Guitrancourt, janvier-mars 59).

 

P 717 – D’un syllabaire après coup.

1966

 

La note qu’on attendrait au passage, plus haut, du nom de Silberer n’y fait pas manque réel : on peut la trouver dans le texte en une forme dissoute. Ce que nous avons fait précisément pour répondre au fait que Jones y aille d’un chapitre, le quatrième interpolé avant sa conclusion, pour discuter l’invention de Silberer.

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D’UN SYLLABAIRE APRÈS COUP

Il en résulte pour le tout de son argumentation qu’il se redouble dans la partie, soit une équivalence boiteuse qui est pour nous symptôme, entre autres, de l’embarras marquant la théorie qui nous y est présentée.

La note à faire sur Silberer peut prendre sa valeur d’éclairer pourquoi, si on peut le dire d’un texte, nous n’avons pu faire plus que redoubler son embarras.

Silberer donc entend tracer ce qu’il advient de l’incidence (historique) du symbole, laquelle il qualifie (très pertinemment) de phénomène matériel, quand elle passe à la fonction de déterminer un état psychique, voire de fixer ce qu’on appelle constitution d’un rythme ou d’un penchant.

Le phénomène fonctionnel qu’il en forge, est cette fonction récupérée dans ce qui est matériel, d’où résulte que ce qu’il « symbolise » désormais, c’est une structure élaborée, et à d’autant meilleur droit qu’en fait elle est de sa conséquence.

Nous forçons l’illustration qui en reste notoire, à qualifier de mille-feuilles le gâteau dont il nous témoigne avoir eu fort à faire pour y planter la pelle adéquate, dans la transition au sommeil où la bagarre avec ce gâteau était venue se substituer à son effort pour retourner sa pensée sur le niveau d’éveil nécessaire à ce qu’elle fût à la hauteur de son existence de sujet.

La strate psychique s’évoque là, déplaçant le phénomène à suggérer une possible endoscopie : de profondeurs qui confinent aux sublimités.

Le phénomène est incontestable. Ce pour quoi Freud lui fait place en une addition qu’il apporte à la Traumdeutung en 1914, et notamment sous l’aspect le plus frappant à ce que Silberer l’y promeuve en 1911, comme la symbolique du seuil (Schwel1ensymbo1ik), laquelle s’enrichit éventuellement de ce que s’y ajoute un gardien.

Mais c’est d’un autre biais que le phénomène séduit. On peut dire qu’il s’élance du tremplin encore vert de la découverte de Freud à la reconquête d’une psychologie, qu’il n’y aurait qu’à ranimer de sa poussière.

Or c’est bien là que le coup d’arrêt que Jones entend y apporter d’y être le champion de Freud, prend la valeur qui nous fait nous y intéresser ici : de ce qu’il confirme ab ovo, nous voulons dire du temps de germination de l’analyse, le parti-pris de notre enseignement.

Jones s’avance ici expressément pour énoncer le principe dont Jung s’exclut de la psychanalyse.

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D’UN SYLLABAIRE APRÈS COUP

Il se résume d’un mot, pertinent à rappeler que la chose est toujours là, d’où qu’elle prenne son étiquette. Ce à quoi Jones entend parer, c’est l’herméneutisation de la psychanalyse.

Le symbole qu’il appelle vrai, d’en désigner celui qu’isole l’expérience freudienne, ne « symbolise » pas au sens où les figures de l’Ancien Testament le font de ce qui prend avènement du Nouveau, et qui reste le sens commun dont est entendu le symbolisme.

C’est pourquoi il lui est aisé de dénoncer le glissement qui s’opère chez Silberer pour le conjoindre à Jung. Le symbole cède le pas à ce qu’il figure dès lors qu’il vient à n’être plus qu’un sens figuré.

Or ce à quoi il lui cède le pas, c’est aux réalités invisibles, qui font leur rentrée sous leur voile non pas peut-être de toujours, mais d’il y a un bon bout de temps, justement celui dont il faudrait effacer le souvenir.

Et l’on ne doit pas ici se méprendre. La part faite par Freud au phénomène fonctionnel, l’est au titre de l’élaboration secondaire du rêve, ce qui pour nous est tout dire, puisqu’il la définit expressément par le brouillage du chiffre du rêve opéré au moyen d’un camouflage non moins expressément désigné comme imaginaire.

Elle n’exclut pas cette énormité, dont il faut qu’elle soit plus énorme encore qu’elle ne s’avoue, et dépourvue de toute forme à s’inscrire dans l’intimité, pour que Jones en 1916 la rapporte à «une communication personnelle» de Freud, quand elle s’étale, si peu qu’elle ait l’air d’y toucher, aux lignes qui annexent le phénomène fonctionnel à la Traumdeutung de 1914 1.

On y peut lire du phénomène fonctionnel qu’il concerne, surtout sans doute, des esprits « d’un type spécialement philosophique et introspectif ».

Ce qui donne à sourire, voire à railler (dont on a vu que nous ne nous privons pas), de ce que s’en répercute la question de savoir si la philosophie suffirait à soustraire les dits esprits aux effets de l’inconscient : quand la discussion même montre qu’à l’époque où ce qu’il y a dans Freud est encore pris au sérieux, le phénomène fonctionnel met son analyse du rêve en défaut, de n’être pas effet du désir (entendons de la libido, du désir comme sexuel).

Dans ce cas, l’exception, d’être aussi réelle que la norme,

 

1. Cf. La Science des rêves, éd. Alcan, P. 450-45-2, ainsi que p. 308-309.

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D’UN SYLLABAIRE APRÈS COUP

exigeant qu’on rende compte de son empiétement, la question veut dire : y a-t-il deux lois du sommeil?

Or c’est son ridicule qui nous instruit. Et de ceci qui se démontre : qu’un certain rejet de l’expérience à quoi ici Freud s’abandonne, est fondé, d’être le pas inaugural de la science.

C’est le pas que nous avons introduit dans la psychanalyse en distinguant le symbolique de l’imaginaire dans leur relation au réel. Distinction qui s’est imposée de provenir de la pratique par la critique de l’intervention, et de s’avérer éristique pour l’édifice théorique.

Distinction méthodique donc, et qui ne constitue pour autant, précisons-le puisque le terme s’offre à nous, aucun seuil dans le réel. La structuration symbolique en effet, si elle trouve son matériel à disjoindre l’imaginaire du réel, se fait d’autant plus opérante à disjoindre le réel lui-même qu’elle se réduit à la relation du signifiant au sujet, soit à un schématisme, qui d’un premier abord s’estime au degré de déchéance qu’il impose à l’imaginaire.

Si la rigueur de cet abord est exigible pour l’accès au recès second où l’objet a se dessine d’un autre nœud, nous nous en tenons ici à ce qu’on sente que Jones, à y défaillir, cerne juste le défaut que lui font nos catégories.

L charge pour nous de démontrer que Freud en use, pour la sûreté jamais en faute dont il décide en son champ à s’arroger le dernier mot quand il s’agit du scientifique.

Mais est-ce là merveille? quand son attachement à la science motive le rapport d’aversion dont il soutient son aventure, et que le symbolique, l’imaginaire et le réel ne sont rien qu’un vademecum dont nous subvenons à l’urgence, en ce champ toujours suspendue sur ceux qui y trouvent leurs aises, d’être avertis quand ils s’y vautrent.

Ainsi peut-on articuler que ce n’est pas parce que le seuil comme symbole ou pour mieux dire, comme signifiant marquant la place où ça commence à s’appeler d’un autre nom la maison, le naos, voire le dehors en ce qu’il a d’imprononçable, est matériellement une pierre plate, couchée ou bien posée du champ, – qu’on peut d’aucune façon, de la métaphore du seuil, employée à noter sur une courbe coordonnant des variables objectivées, le point où se manifeste un état, fût-il lui-même objectivé de l’aperception, ou seulement la différence qualitative d’une sensation, imaginer un ressaut saisissable où due ce soit dans le réel, a fortiori un feuillet, quel

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D’UN SYLLABAIRE APRÈS COUP

qu’il soit, y constituant comme stratifié, ce qui veut dire comme unitaire, le champ du psychique, voire de la simple représentation.

Ainsi serait-il parfaitement futile de qualifier de phénomènes fonctionnels les seuils, pourtant possibles à inscrire, du sentiment en tout domaine d’un lourd et d’un léger également lourds de symbolisme, on le verra plus bas, – si l’on pense par là leur rendre la moindre valeur dans la théorie de la gravitation, laquelle n’a pris forme qu’à emprunter des signifiants de tout à fait ailleurs.

Jones juge comme nous ce point pertinent dans l’affaire, et c’est pourquoi il le discute et y tranche semblablement. N’aperçoit-il pas en son fond jusqu’où c’est là renoncer à l’antique fantaisie de la connaissance? Il ne nous importe que de prendre acte de son recours à la décence de la pensée psychanalytique.

Mais c’est aussi occasion de pointer que ce recours, il l’affaiblit à l’articuler seulement de ce que le figuré de la métaphore ait à céder devant le concret du symbolisme.

Car c’est de ce concret que prend force et argument toute la fiction qui, affectant au symbolisme les cotes de la primitivité, de l’archaïsme, de l’indifférenciation, voire de la désintégration neurologique, concourra à ce qu’on n’y voie que la virtualité des fonctions de synthèse. Qu’on y ajoute leur potentialité ne fait que coiffer l’erreur à l’envelopper de mystique.

A porter le fer sur ce terrain donc second en 1916, Jones triomphe sans doute. On l’excusera de ne pas parer au danger qui va surgir d’en deçà : précisément de cette psychologisation dont la pratique de la psychanalyse va toujours plus s’alourdir en opposition à la découverte de Freud.

Car nulle pudeur ne prévaut contre un effet du niveau de la profession, celui de l’enrôlement du praticien dans les services où la psychologisation est une voie fort propice à toutes sortes d’exigences bien spécifiées dans le social : comment à ce dont on est le support, refuser de parler son langage? A la question ainsi posée, on ne verrait même pas malice. Tellement la psychanalyse n’est plus rien, dès lors qu’elle oublie que sa responsabilité première est à l’endroit du langage.

C’est pourquoi Jones sera trop faible (too weak, on nous l’a répété) pour maîtriser politiquement l’anafreudisme. Terme où nous désignons un freudisme réduit à l’usage d’anas, et que supporte Freud Anna.

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Que Jones, contre ce clan, ait préservé la chance des kleiniens, suffit à montrer qu’il s’y opposait. Qu’il ait marqué à Vienne son adhésion entière à Mélanie Klein, quelque faibles que dussent lui paraître au regard de sa propre exigence les conceptualisations de celle-ci, ceci aussi suffit à montrer sa fidélité à la démarche proprement psychanalytique.

Et puisque c’est à propos de la discussion qu’il a dominée, (le la phase phallique chez la femme, que cette adhésion a été portée en ce lieu, – donnons l’aide d’un commentaire à ce qui nous a été démontré du peu de finesse de certains à saisir notre propos ici.

Nous faisons valoir en sa place le fait étonnant que Jones reste sourd à la portée de son propre catalogue des « idées primaires » à grouper les symboles dans l’inconscient. Car à pousser ce catalogue à l’appui de son propos que le concret fonderait le vrai symbole, il n’en fait que mieux ressortir, de ce propos, la contre-vérité. Puisqu’il n’est aucune de ces idées qui ne fasse défaut au concret, de ne tenir dans le réel que par le signifiant, et tant qu’on pourrait dire qu’elles ne fondent une réalité qu’à la faire s’enlever sur un fonds d’irréel

la mort, le désir, le nom du père.

Il serait alors désespéré d’attendre que Jones s’aperçoive que la fonction symbolique laisse apparaître là le point nodal, où un symbole vient à la place du manque constitué par le « manque à sa place », nécessaire au départ de la dimension (le déplacement d’où procède tout le jeu du symbole.

Le symbole du serpent, nous le suggérons d’entrée dans la modulation même de la phrase où nous évoquons le fantasme par quoi Anna 0… bascule dans le sommeil dans les Études sur l’hystérie, ce serpent qui n’est pas un symbole de la libido bien sûr, pas plus de la rédemption ne l’est le serpent d’airain, ce serpent n’est pas non plus comme le professe Jones, le symbole du pénis, mais de la place où il manque.

Si nous n’en poussons pas plus loin alors la structure logique, sans doute est-ce d’avoir affaire à une audience rendue impropre aux rudiments de son articulation.

Toute notre rhétorique vise à rejoindre l’effet de formation qu’il nous faut pourtant y porter.

Il reste à verser au dossier que ceux qui semblaient le mieux faits pour -en devancer les implications, ont préféré se taper la tête contre la forme de cette phrase.

Un petit jeu, d’origine chinoise à en croire la notice, est

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D’UN SYLLABAIRE APRÈS COUP

fort joli à illustrer la fonction de la place dans le symbolisme, d’imposer le seul glissement pour répartir selon une position déterminée des pièces inégales, à manœuvrer sur une surface où elles ne laissent vide qu’un modique carré. Il en va sans doute aussi bien des résistances qu’il démontre dans la pratique de la combinatoire. Il s’appelle l’Ane Rouge.

La résistance dont nous parlons est dans l’imaginaire. Et c’est à lui avoir, dès nos premiers pas dans la psychanalyse, dans le stade du miroir donné son statut, que nous avons pu ensuite donner correctement sa place au symbolisme.

C’est de l’imaginaire en effet, cela est su depuis toujours, que procèdent les confusions dans le symbolique, mais l’erreur, non moins séculaire, est de vouloir y remédier par une critique de la représentation, quand l’imaginaire y reste prévalent. C’est bien de quoi Jones reste tributaire : à définir le symbole comme « idée » du concret, il consent déjà à ce qu’il ne soit qu’une figure.

Son préjugé est baconien. Nous en recevons la marque à l’école, où l’on nous enseigne que le versant décisif de la science est le recours au sensorium, qualifié d’expérimental.

Ce n’est nullement que l’imaginaire soit pour nous l’illusoire. Bien au contraire nous lui donnons sa fonction de réel à le fonder dans le biologique : soit, on l’a vu plus haut clans l’I.R.M., effet inné de l’imago, manifeste dans toutes les formes de la parade.

En quoi nous sommes dans la psychanalyse fidèle à l’appartenance qu’on éprouve le besoin de distinguer bien sottement du terme de biologique, pour l’opposer à un culturalisme auquel nous prétendons ne contribuer en rien.

Seulement ne donnons-nous pas dans ces formes de délire que nous avons désignées suffisamment. Biologiser en notre champ, c’est y faire rentrer tout ce qu’il y a d’utilisable pour ce champ, de la science dite biologie, et non pas seulement faire appel à quelque chose du réel qui soit vivant.

Parler d’instinct uréthral ou anal, voire les mixer, n’a pas plus de sens biologique que de chatouiller son semblable ou d’être croque-mort. Faire état de l’éthologie animale ou des incidences subjectives de la prématuration néo-natale chez l’hominien, en a un.

La pensée symbolique est à situer, comme on s’y essaye, par rapport à la pensée scientifique, mais on n’y verra rien à chercher ce rapport dans le virtuel ou le potentiel.

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D’UN SYLTABAIRE APRÈS COUP

Ce rapport se trouve dans l’actuel.

Il n’y a jamais eu d’autre pensée que symbolique, et la pensée scientifique est celle qui réduit le symbolisme à y fonder le sujet : ce qui s’appelle la mathématique dans le langage courant.

Ce n’est donc nullement au titre d’une moins-value de la pensée, d’une arriération du sujet, d’un archaïsme du développement, voire d’une dissolution de la fonction mentale, ou plus absurdement de la métaphore de la libération des automatismes qui en inscrirait les résultats, – que le symbolisme peut être situé, même s’il perpétue des incidences qui relèvent de ces états dans le réel.

Inversement on ne peut dire que la pensée symbolique était grosse depuis toujours de la pensée scientifique, si l’on entend y concerner aucun savoir. Il n’y a là matière qu’à casuistique historique.

La psychanalyse a ce privilège que le symbolisme s’y réduit à l’effet de vérité qu’à l’extraire ou non de ses formes pathétiques, elle isole en son nœud comme la contre-partie sans laquelle rien ne se conçoit du savoir.

Nœud là veut dire la division qu’engendre le signifiant dans le sujet, et nœud vrai en ceci qu’on ne saurait le mettre à plat.

Le nœud du phénomène fonctionnel n’est qu’un faux à ce critère, et ce n’est pas pour rien que joncs feint qu’il redouble le premier. Mais aplanir le second ne fait pas le premier plus traitable.

Un nœud qu’on ne peut mettre à plat est la structure du symbole, celle qui fait qu’on ne peut fonder une identification qu’à ce que quelque chose fasse l’appoint pour en trancher. (1966).

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