mercredi, avril 24, 2024
Recherches Lacan

autres textes 1967-10-09 Première version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école.

1967-10-09 Première version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école.

Cette première version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école est parue dans Ornicar ? Analytica volume 8 –1978. Elle y est présentée comme celle qui fut effectivement prononcée par Lacan le 9 octobre 1967. Elle contient 4845 mots alors que la version dite seconde publiée dans Scilicet comprend 5059 mots.

(5)Il s’agit de fonder dans un statut assez durable pour être soumis à l’expérience, les garanties dont notre École pourra autoriser de sa formation un psychanalyste – et dès lors en répondre.

Pour introduire mes propositions, il y a déjà mon acte de fondation et le préambule de l’annuaire. L’autonomie de l’initiative du psychanalyste y est posée en un principe qui ne saurait souffrir chez nous de retour.

L’École peut témoigner que le psychanalyste en cette initiative apporte une garantie de formation suffisante.

Elle peut aussi constituer le milieu d’expérience et de critique qui établisse voire soutienne les conditions des garanties les meilleures.

Elle le peut et donc elle le doit, puisqu’école, elle ne l’est pas seulement au sens où elle distribue un enseignement, mais où elle instaure entre ses membres une communauté d’expérience, dont le cœur est donné par l’expérience des praticiens.

À vrai dire, son enseignement même n’a de fin que d’apporter à cette expérience la correction, à cette communauté la discipline d’où se promeut la question théorique par exemple, de situer la psychanalyse au regard de la science.

Le noyau d’urgence de cette responsabilité n’a pu faire que de s’inscrire déjà à l’annuaire.

Garantie de formation suffisante : c’est l’A.M.E. – l’analyste membre de l’École.

Aux A.E., dits analystes de l’École, reviendrait le devoir (6)de l’institution interne soumettant à une critique permanente l’autorisation des meilleurs.

Nous devons ici insérer l’École dans ce qui pour elle, est le cas. Expression qui désigne une position de fait à retenir d’événements relégués dans cette considération.

L’École, de son rassemblement inaugural ne peut omettre qu’il s’est constitué d’un choix pour ses membres délibéré, celui d’être exclu de l’Association psychanalytique internationale.

Chacun sait en effet que c’est sur un vote, lequel n’avait d’autre enjeu que de permettre ou d’interdire la présence de mon enseignement, qu’a été suspendue leur admission à l’I.P.A., sans autre considération tirée de la formation reçue, et spécialement sans objection de ce qu’elle fût reçue de moi. Un vote, un vote politique, suffisait pour être admis à l’Association psychanalytique internationale, comme l’ont montré ses suites.

Il en résulte que ceux qui se sont regroupés dans ma fondation, ne témoignent par là de rien d’autre que du prix qu’ils attachent à un enseignement – qui est le mien, qui est de fait sans rival – pour soutenir leur expérience. Cet attachement est de pensée pratique, disons le, et non pas d’énoncés conformistes : c’est pour l’air, nous irons jusqu’à cette métaphore, que notre enseignement apporte au travail, qu’on a préféré être exclu que de le voir disparaître et même que de s’en séparer. Ceci se conclut aisément de ce que nous ne disposons jusqu’à présent d’aucun autre avantage dont nous puissions balancer la chance ainsi déclinée.

Avant d’être un problème à proposer à quelques cavillations analytiques, ma position de chef d’École est un résultat d’une relation entre analystes, qui depuis dix sept ans s’impose à nous comme un scandale.

(7)Je souligne que je n’ai rien fait en produisant l’enseignement qui m’était confié dans un groupe, ni pour en tirer la lumière à moi, notamment par aucun appel au public, ni même pour trop souligner les arêtes qui auraient pu contrarier la rentrée dans la communauté, laquelle restait pendant ces années le seul souci véritable de ceux à qui m’avait réuni une précédente infortune (soit la sanction donnée par les soins de Mademoiselle Anna Freud à une sottise de manœuvre, commise elle-même sous la consigne que je n’en sois pas averti).

Cette réserve de ma part est notable par exemple dans le fait qu’un texte essentiel à trouver dans mes Écrits pour donner, sous la forme inévitable de la satire, la critique dont tous les termes sont choisis, des sociétés analytiques en exercice, (Situation de la psychanalyse en 1956) – que ce texte à tenir pour préface à notre effort présent, a été retenu par moi jusqu’à l’édition qui le livre.

J’ai donc préservé dans ces épreuves, on le sait, ce que je pouvais donner. Mais j’ai préservé aussi ce qui à d’autres paraissait à obtenir.

Ces rappels ne sont là que pour situer justement l’ordre de concession éducative auquel j’ai soumis même les temps de ma doctrine.

Cette mesure toujours tenue, laisse maintenant oublier l’obscurantisme incroyable de l’audience où j’avais à la faire valoir.

Ceci pour dire qu’ici il me faudra devancer, dans les formules à vous proposer maintenant, les suites que je suis en droit d’attendre, et notamment des personnes présentes, pour ce qu’il m’a été permis d’en émettre jusqu’alors. Du moins a-t-on pour inférer ce qui vient ici, sous toutes les formes possibles, déjà de moi l’indication.

(8)Nous partons de ceci que la racine de l’expérience du champ de la psychanalyse posé en son extension, seule base possible à motiver une École, est à trouver dans l’expérience psychanalytique elle-même, nous voulons dire prise en intension : seule raison juste à formuler de la nécessité d’une psychanalyse introductive pour opérer dans ce champ. En quoi donc nous nous accordons de fait avec la condition partout reçue de la psychanalyse dite didactique.

Pour le reste, nous laissons en suspens ce qui a poussé Freud à cet extraordinaire joke que réalise la constitution des sociétés psychanalytiques existantes, car il n’est pas possible de dire qu’il les aurait voulues autrement.

Ce qui importe, c’est qu’elles ne peuvent se soutenir dans leur succès présent sans un appui certain dans le réel de l’expérience analytique.

Il faut donc interroger ce réel pour savoir comment il conduit à sa propre méconnaissance, voire produit sa négation systématique.

Ce feed-back déviant ne peut, comme nous venons de le poser, être détecté que dans la psychanalyse en intension. Du moins l’isolera-t-on ainsi de ce qui dans l’extension relève de ressorts de compétition sociale, par exemple, qui ne peuvent faire ici que confusion.

Qui à avoir quelque vue du transfert, pourrait douter qu’il n’y a pas de référence plus contraire à l’idée de l’intersubjectivité ?

Au point que je pourrais m’étonner qu’aucun praticien ne se soit avisé de m’en faire objection hostile, voire amicale. Ce m’aurait été occasion de marquer que c’était bien pour qu’il y pense, que j’ai dû rappeler d’abord ce qu’implique de relation intersubjective l’usage de la parole.

(9)C’est pourquoi à tout bout de champ de mes Écrits, j’indique ma réserve sur l’emploi de la dite intersubjectivité par cette sorte d’universitaires qui ne savent se tirer de leur lot, qu’à s’accrocher à des termes qui leur semblent lévitatoires, faute de saisir leur connexion là où ils servent.

Il est vrai que ce sont les mêmes qui favorisent l’idée que la praxis analytique est faite pour ouvrir notre relation au malade à la compréhension. Complaisance ou malentendu qui fausse notre sélection au départ, où se montre qu’ils ne perdent pas tellement le nord quand il s’agit de la matérielle.

Le transfert, je le martèle depuis déjà quelque temps, ne se conçoit qu’à partir du terme du sujet supposé savoir.

À m’adresser à d’autres, je produirais d’emblée ce que ce terme implique de déchéance constituante pour le psychanalyste, à l’illustrer du cas originel. Fliess, c’est-à-dire le médicastre, le chatouilleur de nez, mais qui à cette corde prétend faire résonner les rythmes archétypiques, vingt et un jours pour le mâle, vingt huit pour la femelle, très précisément ce savoir qu’on suppose fondé sur d’autres rets que ceux de la science qui à l’époque se spécifie d’avoir renoncé à ceux là.

Cette mystification qui double l’antiquité du statut médical, voilà qui a suffi à creuser la place où le psychanalyste s’est logé depuis. Qu’est-ce à dire, sinon que la psychanalyse tient à celui qui doit être nommé le psychanalysant : Freud le premier en l’occasion, démontrant qu’il peut concentrer en lui le tout de l’expérience. Ce qui ne fait pas une autoanalyse pour autant.

Il est clair que le psychanalyste tel qu’il résulte de la reproduction de cette expérience, par la substitution du psychanalysant originel à sa place, se détermine différemment par rapport au sujet supposé savoir.

(10)Ce terme exige une formalisation qui l’explique.

Et justement qui bute aussitôt sur l’intersubjectivité. Sujet supposé par qui ? dira t on, sinon par un autre sujet.

Et si nous supposions provisoirement qu’il n’y a pas de sujet supposable par un autre sujet ? On sait en effet que nous ne nous référons pas ici au sens vague du sujet psychologique qui est précisément ce que l’inconscient met en question.

N’est-il pas acquis que le sujet transcendantal, disons celui du cogito, est incompatible avec la position d’un autre sujet ? Déjà dans Descartes, on saisit qu’il n’en saurait être question, sinon à passer par Dieu comme garant de l’existence. Hegel remet les choses au point avec la fameuse exclusion de la coexistence des consciences. D’où part la destruction de l’autre, inaugurale de la phénoménologie de l’esprit, mais de quel autre ? On détruit le vivant qui supporte la conscience, mais la conscience, celle du sujet transcendantal, c’est impossible. D’où le huis clos où Sartre conclut : c’est l’enfer. L’obscurantisme lui non plus ne semble pas près de mourir si vite.

Mais peut-être à poser le sujet comme ce qu’un signifiant représente pour un autre signifiant, pourrons nous rendre la notion du sujet supposé plus maniable : le sujet est là bien supposé, très précisément sous la barre elle même tirée sous l’algorithme de l’implication signifiante. Soit :

 

Le sujet est le signifié de la pure relation signifiante.

Et le savoir, où l’accrocher ? Le savoir n’est pas moins supposé, nous venons d’en prendre l’idée – que le sujet. La nécessité de la portée de l’écriture musicale pour rendre compte du discours s’impose ici une fois de plus, pour faire (11)saisir vivement le

 

 

Deux sujets ne sont pas imposés par la supposition d’un sujet, mais seulement un signifiant qui représente pour un autre quelconque, la supposition d’un savoir comme attenante à un signifié, soit un savoir pris dans sa signification.

C’est l’introduction de ce signifiant dans la relation artificielle du psychanalysant en puissance à ce qui reste à l’état d’x, à savoir le psychanalyste, qui définit comme ternaire la fonction psychanalytique.

Il s’agit d’en extraire la position ainsi définie du psychanalyste.

Car celui qui se désigne ainsi, ne saurait, sans malhonnêteté radicale se glisser dans ce signifié, même si son partenaire l’en habille (ce qui n’est nullement le cas moyen), dans ce signifié à qui est imputé le savoir.

Car non seulement son savoir n’est pas de l’espèce de ce que Fliess élucubre, mais très précisément c’est là ce dont il ne veut rien savoir. Comme il se voit dans ce réel de l’expérience tout à l’heure invoqué là où il est : dans les Sociétés, si l’ignorance où l’analyste se tient de ce qui pourrait même commencer à s’articuler de scientifique dans ce champ, la génétique par exemple, ou l’intersexualité hormonale. Il n’y connaît rien, on le sait. Il n’a à en connaître à la rigueur qu’en manière d’alibi pour les confrères.

Les choses du reste trouvent leur place tout de suite, à se souvenir de ce qu’il y a, pour le seul sujet en question (qui est, ne l’oublions pas, le psychanalysant) à savoir.

Et ceci à introduire la distinction depuis toujours présente à l’expérience de la pensée telle que l’histoire la (12)fournit : distinction du savoir textuel et du savoir référentiel.

Une chaîne signifiante, telle est la forme radicale du savoir dit textuel. Et ce que le sujet du transfert est supposé savoir, c’est, sans que le psychanalysant le sache encore, un texte, si l’inconscient est bien ce que nous nous savons : structuré comme un langage.

N’importe quel clerc d’autrefois, voire sophiste, colporteur de contes, ou autre talmudiste, serait tout de suite ici au fait. On aurait tort de croire pourtant que ce savoir textuel a terminé sa mission sous prétexte que nous n’admettons plus de révélation divine.

Un psychanalyste, au moins de ceux à qui nous apprenons à réfléchir, devrait pourtant reconnaître ici la raison de la prévalence d’un texte au moins, celui de Freud, dans sa cogitation.

Disons que le savoir référentiel, celui qui se rapporte au référent, dont vous savez qu’il complète le ternaire dont les deux autres termes sont signifiant et signifié, autrement dit le connote dans la dénotation, n’est bien entendu pas absent du savoir analytique, mais il concerne avant tout les effets du langage, le sujet d’abord, et ce qu’on peut désigner du terme large de structures logiques.

Sur énormément d’objets que ces structures impliquent, sur presque tous les objets qui par elles viennent à conditionner le monde humain, on ne peut dire que le psychanalyste sache grand chose.

Ça vaudrait mieux, mais c’est variable.

La question est non pas de ce qu’il sait, mais de la fonction de ce qu’il sait dans la psychanalyse.

Si nous nous en tenons à ce point nodal que nous y (14)désignons comme intensif, soit la façon dont il a à parer à l’investiture qu’il reçoit du sujet supposé savoir, la discordance apparaît évidente de ce qui va s’en inscrire aussitôt dans notre algorithme

 

 

Tout ce qu’il sait n’a rien à voir avec le savoir textuel que le sujet supposé savoir lui signifie : l’inconscient qu’implique l’entreprise du psychanalysant.

Simplement le signifiant qui détermine un tel sujet, a à être retenu par lui pour ce qu’il signifie : le signifié du texte qu’il ne sait pas.

Tel est ce qui commande l’étrangeté où lui paraît la recommandation de Freud, si insistante pourtant, laquelle s’articule expressément comme d’exclure tout ce qu’il sait dans son abord de chaque nouveau cas.

L’analyste n’a d’autre recours que de se placer au niveau du s de la pure signification du savoir, soit du sujet qui n’est pas encore déterminable que d’un glissement qui est désir, de se faire désir de l’Autre, dans la pure forme qui s’isole comme désir de savoir.

Le signifiant de cette forme étant ce qui est articulé dans le Banquet comme l’galma, le problème de l’analyste est représentable (et c’est pourquoi nous lui avons fait la place que l’on sait) dans la façon dont Socrate supporte le discours d’Alcibiade, c’est à dire très précisément en tant qu’il vise un autre, Agathon, au nom ironique précisément dans ce cas.

Nous savons qu’il n’y a pas d’galma que celui qui veut sa possession, puisse obtenir.

L’enveloppe (quelle qu’en soit la disgrâce qui fasse le psychanalyste paraître la constituer), est une enveloppe qui (14)sera vide, s’il l’ouvre aux séductions de l’amour ou de la haine du sujet.

Mais ce n’est pas dire que la fonction de l’galma du sujet supposé savoir, ne puisse être pour le psychanalyste, comme je viens d’en ébaucher les premiers pas, la façon de centrer ce qu’il en est de ce qu’il choisit de savoir.

Dans ce choix, la place du non-savoir est centrale.

Elle n’en est pas moins articulable en conduites pratiques. Celle du respect du cas par exemple, nous l’avons dit. Mais celles ci restent parfaitement vaines hors d’une théorie ferme de ce qu’on refuse et de ce qu’on admet de tenir pour être à savoir.

Le non-savoir n’est pas de modestie, ce qui est encore se situer par rapport à soi ; il est proprement la production « en réserve » de la structure du seul savoir opportun.

Pour nous référer au réel de l’expérience, supposé décelable dans la fonction des sociétés, trouvons là forme à saisir pourquoi des êtres qui se distinguent par un néant de la pensée, reconnu de tous et accordé comme de fait dans les propos courants (c’est là l’important), sont aisément mis dans le groupe en position représentative.

C’est qu’il y a là un chapitre que je désignerai comme la confusion sur le zéro. Le vide n’est pas équivalent au rien. Le repère dans la mesure n’est pas l’élément neutre de l’opération logique. La nullité de l’incompétence n’est pas le non marqué par la différence signifiante.

Désigner la forme du zéro est essentiel, qui, (c’est la visée de notre 8 intérieur), placée au centre de notre savoir, soit rebelle à ce que s’y substituent les semblants d’un batelage ici très singulièrement favorisé.

(15)Car justement parce que tout un savoir exclu par la science ne peut qu’être tenu à l’écart de la psychanalyse, si l’on ne sait pas dire quelle structure logique y supplée « au centre » (terme ici approché), n’importe quoi peut y venir – (et les discours sur la bonté).

C’est dans cette ligne que se place la logique du fantasme. La logique de l’analyste est l’galma qui s’intègre au fantasme radical que construit le psychanalysant.

Cette ordination de l’ordre de savoir en fonction dans le procès analytique, voilà ce autour de quoi doit tourner l’admission dans l’École. Elle implique toutes sortes d’appareils – dont l’âme est à trouver dans les fonctions déjà déléguées dans le Directoire – Enseignement, Direction de travaux, Publication.

Elle comporte le groupement de certains livres à publier en collection – et au delà une bibliographie systématique. Je ne m’en tiens là qu’à des indications.

Ce propos est fait pour montrer comment se raccordent immédiatement les problèmes en extension, à ceux, centraux à l’intention.

C’est ainsi qu’il nous faut reprendre la relation du psychanalysant au psychanalyste, et comme dans les traités d’échecs passer du début à la fin de partie.

Que dans la fin de partie la clef se trouve du passage de l’une des deux fonctions à l’autre, c’est ce qui est exigé par la pratique de la psychanalyse didactique.

Rien qui là ne reste confus ou voilé. Je voudrais indiquer comment notre École pourrait opérer pour dissiper cette ténèbres.

Je n’ai pas à ménager ici de transition pour ceux qui (16)me suivent ailleurs.

Qu’est ce qui à la fin de l’analyse vient à être donné à savoir ?

Dans son désir, le psychanalysant peut savoir ce qu’il est. Pur manque en tant que (– f), c’est par le médium de la castration quel que soit son sexe qu’il trouve la place dans la relation dite génitale. Pur objet en tant que (a) il obture la béance essentielle qui s’ouvre dans l’acte sexuel, par des fonctions qu’on qualifiera de prégénitales.

Ce manque et cet objet, je démontre qu’ils ont même structure. Cette structure ne peut être que rapport au sujet, au sens admis par l’inconscient. C’est elle qui conditionne la division de ce sujet.

Leur participation à l’imaginaire (de ce manque et de cet objet) est ce qui permet au mirage du désir de s’établir sur le jeu aperçu du rapport de causation par où l’objet (a) divise le sujet (d à(S <> a)).

Mais apercevez là vous même ce qu’il en est de ce que j’ai appelé le psychanalysant plus haut. Si je le dis être cette cause de sa division, c’est en tant qu’il est devenu ce signifiant qui suppose le sujet du savoir. Il n’y a que lui à ne pas savoir qu’il est l’ galma du procès analytique (comment quand c’est Alcibiade, ne pas le reconnaître ?), ni à quel autre signifiant inconnu (et combien nul d’ordinaire) sa signification de sujet s’adresse.

Sa signification de sujet ne dépasse pas l’avènement du désir, fin apparente de la psychanalyse, mais il y reste la différence du signifiant au signifié qui va choir (sous la forme du (– f) ou de l’objet (a) entre lui et le psychanalyste pour autant que celui-ci va se réduire au signifiant quelconque.

(17)C’est pourquoi je dis que c’est dans ce (– f) ou ce (a) qu’apparaît son être. L’être de l’ galma, du sujet supposé savoir, achève le procès du psychanalysant, dans une destitution subjective.

Voilà-t-il pas ce que nous ne pourrions énoncer qu’entre nous ? N’est ce pas là assez pour semer la panique, l’horreur, la malédiction, voire l’attentat ? En tout cas justifier les aversions préjudicielles à l’entrée dans la psychanalyse ?

Certes il y a trouble à une certaine pointe de l’analyse, mais il n’y a d’angoisse légitime (dont j’ai fait état) qu’à pénétrer – et il le faut pour la psychanalyse didactique – dans ce qu’il faut bien appeler un au-delà de la psychanalyse, dans la véritable garde où succombe présentement toute énonciation rigoureuse sur ce qui s’y passe.

Cette garde rencontre l’insouciance qui protège le plus sûrement vérité et sujets tout ensemble, et c’est pourquoi à proférer devant les seconds la première, cela ne fait, on le sait bien, ni chaud ni froid, qu’à ceux qui en sont proches. Parler de destitution subjective n’arrêtera pas l’innocent.

Il faut seulement avoir présent qu’au regard du psychanalysant, le psychanalyste, et à mesure qu’on est plus loin dans la fin de partie, est en position de reste au point que c’est bien à lui que ce qu’on appellerait d’une dénotation grammaticale qui en vaut mille, le participe passé du verbe, conviendrait plutôt en cet extrême.

Dans la destitution subjective, l’éclipse du savoir va à cette reparution dans le réel, dont quelqu’un vous entretient parfois.

Celui qui a reconstruit sa réalité de la fente de l’impubère réduit son psychanalyste au point projectif du regard.

Celui qui, enfant, s’est trouvé dans le représentant (18)représentatif de sa propre plongée à travers le papier journal dont s’abritait le champ d’épandage des pensées paternelles, renvoie au psychanalyste l’effet de seuil où il bascule dans sa propre déjection.

La psychanalyse montre en sa fin une naïveté dont c’est une question à poser, si nous pouvons la mettre au rang de garantie dans le passage au désir d’être psychanalyste.

Il vaut donc de reprendre ici le sujet supposé savoir du côté du psychanalyste. Quoi ce dernier peut-il penser devant ce qui choit d’être du psychanalysant, quand celui-ci étant venu de ce sujet à en savoir un bout, n’a plus envie du tout d’en lever l’option ?

À quoi ressemble cette jonction où le psychanalysant semble le doubler d’un renversement logique qui se dirait à lui en attribuer l’articulation : « Qu’il sache comme étant de lui ce que je ne savais pas de l’être du savoir, et qui a maintenant pour effet que ce que je ne savais pas est de lui effacé » ?

C’est lui faire la part belle de ce savoir peut-être imminent, au plus aigu, que ce que la destitution subjective en cette chute masque la restitution où vient l’être du désir, de se rejoindre, à ne s’y nouer que d’un seul bord, à l’être du savoir.

Ainsi Thomas à la fin de sa vie : sicut palea, de son œuvre il le dit : du fumier.

De ce que le psychanalyste a laissé obtenir au psychanalysant du sujet-supposé-savoir, c’est à lui que revient d’y perdre l’ galma.

Formule qui ne nous semble pas indigne de venir à la place de celle de la liquidation – terme combien futile ! – du transfert, dont le bénéfice principal est, malgré l’apparence, de renvoyer toujours au patient prétendu, en dernier ressort, (19)la faute.

Dans ce détour qui le ravale, ce dont l’analyste est le gond, c’est de l’assurance que prend le désir dans le fantasme, et dont alors il s’avère que la prise n’est rien que celle d’un désêtre.

Mais n’est-ce pas là qu’est offerte au psychanalysant ce tour de plus dans le doublage qui nous permet d’y engendrer le désir du psychanalyste ?

Retenons pourtant, avant de franchir ce passage, cette alternance dont notre discours se syncope de faire ainsi l’un l’autre s’écranter. Où toucher mieux la non-intersubjectivité ? Et combien il est impossible qu’un témoignage juste soit porté par celui qui franchit cette passe, sur celui qui la constitue – entendons qu’il l’est cette passe, de ce que son moment reste son essence même, même si, après, ça lui passera.

C’est pourquoi ceux à qui ça a passé au point d’en être béats, me paraissent conjoindre l’impropre à l’impossible en ce témoignage éventuel – et ma proposition va-t-elle être que ce soit plutôt devant quelqu’un qui soit encore dans le moment originel, que s’éprouve qu’est bien advenu le désir du psychanalyste.

Qui pourrait mieux que ce psychanalysant dans la passe, y authentifier la qualité d’une certaine position dépressive ? Nous n’éventons là rien. On ne peut s’en donner les airs, si on n’y est pas.

C’est le moment même de savoir si dans la destitution du sujet, le désir advient qui permette d’occuper la place du désêtre, justement de vouloir opérer à nouveau ce qu’implique de séparation (avec l’ambiguïté du se parere que nous y incluons pour y prendre ici son accent) l’ agalma.

Disons ici, sans développer, qu’un tel accès implique, (20)la barre mise sur l’Autre, que l’ agalma en est le signifiant, que c’est de l’Autre que choit le (a) comme en l’Autre s’ouvre la béance du (– f) et que c’est pourquoi, qui peut articuler ce S(A) celui là n’a nul stage à faire, ni dans les Bien-Nécessaires ni parmi les Suffisances pour être digne de la Béatitude des Grands Ineptes de la technique régnante.

Pour la raison que celui-là comme S(A) s’enracine dans ce qui s’oppose le plus radicalement à tout ce à quoi il faut et il suffit d’être reconnu pour être : l’honorabilité par exemple.

Le passage qu’il a accompli se traduit ici autrement. Ni il n’y faut, ni il n’y suffit qu’on le croie franchi pour qu’il le soit. C’est la vraie portée de la négation constituante de la signification d’infamie.

Connotation qu’il faudrait bien restaurer dans la psychanalyse.

Détendons-nous. Appliquons S(A) à A. E. Ça fait : E. Reste l’École ou l’Épreuve, peut-être. Ça peut indiquer qu’un psychanalyste doit toujours pouvoir choisir entre l’analyse et les psychanalystes.

Je prétends désigner dans la seule psychanalyse en intension l’initiative possible d’un nouveau mode d’accession du psychanalyste à une garantie collective.

Ce n’est pas dire que de considérer la psychanalyse en extension – soit les intérêts, la recherche, l’idéologie qu’elle cumule, ne soit pas nécessaire à la critique des sociétés telles qu’elles supportent cette garantie hors de chez nous, à l’orientation à donner à une École nouvelle.

Je ne pare aujourd’hui qu’à une construction d’organes pour un fonctionnement immédiat.

(21)Ceci ne me dispense peut-être pas d’indiquer au moins, préalable d’une critique au niveau de l’extension, trois repères à produire comme essentiels. D’autant plus significatifs qu’à s’imposer par leur grosseur, ils se répartissent dans les trois registres du symbolique, de l’imaginaire et du réel.

L’attachement spécifié de l’analyse aux coordonnées de la famille, est un fait qui est à estimer sur plusieurs plans. Il est extrêmement remarquable dans le contexte social.

Il semble lié à un mode d’interrogation de la sexualité qui risque fort de manquer une conversion de la fonction sexuelle qui s’opère sous nos yeux.

La participation du savoir analytique à ce mythe privilégié qu’est l’Œdipe, privilégié pour la fonction qu’il tient dans l’analyse, privilégié aussi d’être selon le mot de Kroeber, le seul mythe de création moderne, est le premier de ces repères.

Observons son rôle dans l’économie de la pensée analytique et épinglons-le de ceci qu’à l’en retirer, toute la pensée normative de la psychanalyse se trouve équivaloir en sa structure au délire de Schreber. Qu’on pense à Entmannung, aux âmes rédimées, voire au psychanalyste comme cadavre lépreux.

Ceci laisse la place à un séminaire sur le Nom-du-Père dont je maintiens qu’il n’est pas de hasard que je n’aie pu le faire.

La fonction de l’identification dans la théorie – sa prévalence – comme l’aberrance d’y réduire la terminaison de l’analyse, est liée à la constitution donnée par Freud aux sociétés – et pose la question de la limite qu’il a entendu donner par là à son message.

Elle doit être étudiée en fonction de ce qu’est dans l’Église et dans l’Armée, prises ici pour modèles, le sujet supposé savoir.

(22)Cette structure est incontestablement une défense contre la mise en question de l’Œdipe : le Père idéal, c’est à dire le Père mort, conditionne les limites où restera désormais le procès analytique. Il fige la pratique dans une finalité désormais impossible à articuler et qui obscurcit au principe ce qui est à obtenir de la psychanalyse didactique.

La mise en marge de la dialectique œdipienne qui en résulte, va toujours plus s’accentuant dans la théorie et dans la pratique.

Or, cette exclusion a une coordonnée dans le réel, laissée dans une ombre profonde.

C’est l’avènement, corrélatif de l’universalisation du sujet procédant de la science, du phénomène fondamental, dont le camp de concentration a montré l’éruption.

Qui ne voit que le nazisme n’a eu ici que la valeur d’un réactif précurseur.

La montée d’un monde organisé sur toutes les formes de ségrégation, voilà à quoi la psychanalyse s’est montrée plus sensible encore, en ne laissant pas un de ses membres reconnus aux camps d’extermination.

Or c’est là le ressort de la ségrégation particulière où elle se soutient elle-même, en tant que l’I.P.A. se présente dans cette extra-territorialité scientifique que nous avons accentuée, et qui en fait bien autre chose que les associations analogues en titre d’autres professions.

À proprement parler, une assurance prise de trouver un accueil, une solidarité, contre la menace des camps s’étendant à l’un de ses secteurs.

L’analyse se trouve ainsi protéger ses tenants, – d’une réduction des devoirs impliqués dans le désir de l’analyste.

(23)Nous tenons ici à marquer l’horizon complexe, au sens propre du terme, sans lequel on ne saurait faire la situation de la psychanalyse.

La solidarité des trois fonctions majeures que nous venons de tracer, trouve son point de concours dans l’existence des Juifs. Ce qui n’est pas pour étonner quand on sait l’importance de leur présence dans tout son mouvement.

Il est impossible de s’acquitter de la ségrégation constitutive de cette ethnie avec les considérations de Marx, celles de Sartre encore bien moins. C’est pourquoi, pourquoi spécialement la religion des Juifs doit être mise en question dans notre sein.

Je m’en tiendrai à ces indications.

 

Nul remède à attendre, tant que ces problèmes n’auront pas été ouverts, à la stimulation narcissique où le psychanalyste ne peut éviter de se précipiter dans le contexte des Sociétés présent.

Nul autre remède que de rompre la routine qui est actuellement le constituant prévalent de la pratique du psychanalyste.

Routine appréciée, goûtée comme telle, j’en ai recueilli de la bouche des intéressés eux-mêmes aux U. S. A. l’étonnante, formelle, expresse déclaration.

Elle constitue un des attraits de principe du recrutement.

Notre pauvre École peut être le départ d’une rénovation de l’expérience.

(24)Telle qu’elle se propose, elle se propose comme telle.

Nous proposons d’y définir actuellement :

1.– Le jury d’accueil, comme :

a) choisi par le Directoire annuel dans son extension variable ;

b) chargé d’accueillir selon les principes du travail qu’ils se proposent, les membres de l’École, sans limitation de leurs titres ou provenance. Les psychanalystes (A.P.) à ce niveau, n’y ont aucune préférence.

2.– Le jury d’agrément :

a) composé de sept membres : trois analystes de l’École (A.E.) et trois psychanalysants pris dans une liste présentée par les analystes de l’École (A.E.). Il est clair qu’en répondant, ces psychanalystes choisiront dans leur propre clientèle, des sujets dans la passe de devenir psychanalystes, – s’y adjoignant le directeur de l’École.

Ces analystes de l’École (A.E.), comme ces psychanalysants seront choisis par tirage au sort sur chacune des listes.

Un psychanalysant se présente-t-il, quel qu’il soit, qui postule le titre d’analyste de l’École, c’est aux trois psychanalysants qu’il aura à faire, à charge pour ceux-ci d’en rendre compte devant le collège au complet du jury d’agrément (présentation d’un rapport).

b) le dit jury d’agrément se trouvera de ce fait en devoir de contribuer aux critères de l’achèvement de la psychanalyse didactique.

c) son renouvellement par le même procédé du sort, se fera tous les six mois, jusqu’à ce que des résultats suffisants pour être publiables, permettent sa refonte éventuelle ou sa reconduction.

3.– (25)L’analyste membre de l’École présente qui lui convient à la candidature précédente. Si son candidat est adjoint aux analystes de l’École, il y est admis lui-même du même fait.

L’analyste membre de l’École est une personne qui de son initiative réunit ces deux qualités (la seconde implique son passage devant le jury d’accueil).

Il est choisi pour la qualification qui soude ces deux qualités, sans avoir à poser de candidature à ce titre, par le jury d’agrément au complet qui en prend l’initiative sur le critère de ses travaux et de son style de pratique.

Un analyste praticien, non qualifié d’A.M.E., passera par ce stage au cas où un de ses psychanalysants est admis au rang d’A.E.

 

On appliquera ce fonctionnement sur notre graphe pour en faire apparaître le sens.

Il suffit d’y substituer

– A. E, à S(A)

– psychanalysants du jury d’agrément à (S<>D)

– A.M.E. à S (A)

– psychanalysants tout venant, à A

Le sens des flèches y indiquera dès lors la circulation des qualifications.

Un peu d’attention suffira à montrer quelle rupture – non suppression – de hiérarchie en résulte. Et l’expérience démontrera ce que l’on peut en attendre.

La proposition des nouveaux appareils fera l’objet (26)d’une réunion plénière des A.E., – aux fins d’être homologuée pour présentation générale.

Un groupe sera chargé d’une bibliographie concernant les questions de formation, – aux fins d’établir une anatomie de la société du type I.P.A., sur ces problèmes.

 

 

 

1967-10-09 Seconde version de la Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école

Seconde version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école, d’après Scilicet n° 1, 1er trimestre 1968, Champ Freudien, Seuil, Paris, pp. 14-30.

 

(14)Avant de la lire, je souligne qu’il faut l’entendre sur le fonds de la lecture, à faire ou à refaire, de mon article : « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 ». (Pages 419-486 de mes Écrits).

 

Il va s’agir de structures assurées dans la psychanalyse et de garantir leur effectuation chez le psychanalyste.

Ceci s’offre à notre École, après durée suffisante d’organes ébauchés sur des principes limitatifs. Nous n’instituons du nouveau que dans le fonctionnement. Il est vrai que de là apparaît la solution du problème de la Société psychanalytique.

Laquelle se trouve dans la distinction de la hiérarchie et du gradus.

Je vais produire au début de cette année ce pas constructif :

1) le produire – vous le montrer ;

2) vous mettre en fait à en produire l’appareil, lequel doit reproduire ce pas en ces deux sens.

Rappelons chez nous l’existant.

D’abord un principe : le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même, ce principe est inscrit aux textes originels de l’École et décide de sa position.

Ceci n’exclut pas que l’École garantisse qu’un analyste relève de sa formation.

Elle le peut de son chef.

Et l’analyste peut vouloir cette garantie, ce qui dès lors ne peut qu’aller au-delà : devenir responsable du progrès de l’École, devenir psychanalyste de son expérience même.

(15)À y regarder de cette vue, on reconnaît que dès maintenant c’est à ces deux formes que répondent :

I. l’A.M.E., ou analyste membre de l’École, constitué simplement par le fait que l’École le reconnaît comme psychanalyste ayant fait ses preuves.

C’est là ce qui constitue la garantie venant de l’École, distinguée d’abord. L’initiative en revient à l’École, où l’on est admis à la base que dans le projet d’un travail et sans égard de provenance ni de qualifications. Un analyste-praticien n’y est enregistré au départ qu’au même titre où on l’y inscrit médecin, ethnologue, et tutti quanti.

II. l’A.E, ou analyste de l’École, auquel on impute d’être de ceux qui peuvent témoigner des problèmes cruciaux aux points vifs où ils en sont pour l’analyse, spécialement en tant qu’eux-mêmes sont à la tâche ou du moins sur la brèche de les résoudre.

Cette place implique qu’on veuille l’occuper : on ne peut y être qu’à l’avoir demandé de fait, sinon de forme.

Que l’École puisse garantir le rapport de l’analyste à la formation qu’elle dispense, est donc établi.

Elle le peut, et le doit dès lors.

C’est ici qu’apparaît le défaut, le manque d’invention, pour remplir un office (soit celui dont se targuent les sociétés existantes) en y trouvant des voies différentes, qui évitent les inconvénients (et les méfaits) du régime de ces sociétés.

L’idée que le maintien d’un régime semblable est nécessaire à régler le gradus, est à relever dans ses effets de malaise. Ce malaise ne suffit pas à justifier la maintenance de l’idée. Encore moins son retour pratique.

Qu’il y ait une règle du gradus est impliqué dans une École, encore plus certainement que dans une société. Car après tout dans une société, nul besoin de cela, quand une société n’a d’intérêts que scientifiques.

Mais il y a un réel en jeu dans la formation même du psychanalyste. Nous tenons que les sociétés existantes se fondent sur ce réel.

Nous partons aussi du fait qui a pour lui toute apparence, que Freud les a voulues telles qu’elles sont.

Le fait est pas moins patent – et pour nous concevable – (16)que ce réel provoque sa propre méconnaissance, voire produise sa négation systématique.

Il est donc clair que Freud a pris le risque d’un certain arrêt. Peut-être plus : qu’il y a vu le seul abri possible pour éviter l’extinction de l’expérience.

Que nous nous affrontions à la question ainsi posée, n’est pas mon privilège. C’est la suite même, disons-le au moins pour les analystes de l’École, du choix qu’ils ont fait de l’École.

Ils s’y trouvent groupés de n’avoir pas voulu par un vote accepter ce qu’il emportait : la pure et simple survivance d’un enseignement, celui de Lacan.

Quiconque ailleurs reste à dire qu’il s’agissait de la formation des analystes, en a menti. Car il a suffi qu’on vote dans le sens souhaité par l’I.P.A., pour y obtenir son entrée toutes voiles dehors, à l’ablution reçue près pour un court temps d’un sigle made in English (on n’oubliera le french group). Mes analysés, comme on dit, y furent même particulièrement bien venus, et le seraient encore si le résultat pouvait être de me faire taire.

On le rappelle tous les jours à qui veut bien l’entendre. C’est donc à un groupe à qui mon enseignement était assez précieux, voire assez essentiel, pour que chacun délibérant ait marqué préférer son maintien à l’avantage offert, – ceci sans voir plus loin, de même que sans voir plus loin, j’interrompais mon séminaire à la suite dudit vote –, c’est à ce groupe en mal d’issue que j’ai offert la fondation de l’École.

À ce choix décisif pour ceux qui sont ici, se marque la valeur de l’enjeu. Il peut y avoir un enjeu, qui pour certains vaille au point de leur être essentiel, et c’est mon enseignement.

Si ledit enseignement est sans rival pour eux, il l’est pour tous, comme le prouvent ceux qui s’y pressent sans en avoir payé le prix, la question étant suspendue pour eux du profit qui leur en reste permis.

Sans rival ici ne veut pas dire une estimation, mais un fait : nul enseignement ne parle de ce qu’est la psychanalyse. Ailleurs, et de façon avouée, on ne se soucie que de ce qu’elle soit conforme.

Il y a solidarité entre la panne, voire les déviations que montre la psychanalyse et la hiérarchie qui y règne, – et que nous désignons, (17)bienveillamment on nous l’accordera, comme celui d’une cooptation de sages.

La raison en est que cette cooptation promeut un retour à un statut de la prestance, conjoignant la prégnance narcissique à la ruse compétitive. Retour qui restaure des renforcements du relaps ce que la psychanalyse didactique a pour fin de liquider.

C’est l’effet qui porte son ombre sur la pratique de la psychanalyse, – dont la terminaison, l’objet, le but même s’avèrent inarticulables après un demi-siècle au moins d’expérience suivie.

Y porter remède chez nous doit se faire de la constatation du défaut dont j’ai fait état, loin de songer à le voiler.

Mais c’est pour prendre en ce défaut, l’articulation qui manque.

Elle ne fait que recouper ce qu’on trouvera partout, et qui est su depuis toujours, c’est qu’il ne suffit pas de l’évidence d’un devoir pour le remplir. C’est par le biais de sa béance, qu’il peut être mis en action, et il l’est chaque fois qu’on trouve le moyen d’en user.

Pour vous y introduire, je m’appuierai sur les deux moments du raccord de ce que j’appellerai respectivement dans ce déduit la psychanalyse en extension, soit tout ce que résume la fonction de notre École en tant qu’elle présentifie la psychanalyse au monde, et la psychanalyse en intension, soit la didactique, en tant qu’elle ne fait pas que d’y préparer des opérateurs.

On oublie en effet sa raison d’être prégnante, qui est de constituer la psychanalyse comme expérience originale, de la pousser au point qui en figure la finitude pour en permettre l’après-coup, effet de temps, on le sait, qui lui est radical.

Cette expérience est essentielle à l’isoler de la thérapeutique, qui ne distord pas la psychanalyse seulement de relâcher sa rigueur.

Observerai-je en effet qu’il n’y a aucune définition possible de la thérapeutique si ce n’est la restitution d’un état premier. Définition justement impossible à poser dans la psychanalyse.

Pour le primum non nocere, n’en parlons pas, car il est mouvant de ne pouvoir être déterminé primum au départ : à quoi choisir de ne pas nuire ! Essayez. Il est trop facile dans cette condition de mettre à l’actif d’une cure quelconque le fait de n’avoir pas nui à quelque chose. Ce trait forcé n’a d’intérêt que de tenir sans doute d’un indécidable logique.

On peut trouver le temps révolu où ce à quoi il s’agissait de ne (18)pas nuire, c’était à l’entité morbide. Mais le temps du médecin est plus intéressé qu’on ne croit dans cette révolution, – en tout cas l’exigence devenue plus précaire de ce qui rend ou non médical un enseignement. Digression.

Nos points de raccord, où ont à fonctionner nos organes de garantie, sont connus : c’est le début et la fin de la psychanalyse, comme aux échecs. Par chance, ce sont les plus exemplaires pour sa structure. Cette chance doit tenir de ce que nous appelons la rencontre.

 

Au commencement de la psychanalyse est le transfert. Il l’est par la grâce de celui que nous appellerons à l’orée de ce propos : le psychanalysant[1]. Nous n’avons pas à rendre compte de ce qui le conditionne. Au moins ici. Il est au départ, Mais qu’est-ce que c’est ?

Je suis étonné que personne n’ait jamais songé à m’opposer, vu certains termes de ma doctrine, que le transfert fait à lui seul objection à l’intersubjectivité. Je le regrette même, vu que rien n’est plus vrai : il la réfute, il est sa pierre d’achoppement. Aussi bien est-ce pour établir le fond où l’on puisse en apercevoir le contraste, que j’ai promu d’abord ce que d’intersubjectivité implique l’usage de la parole. Ce terme fut donc une façon, façon comme une autre, dirais-je, si elle ne s’était pas imposée à moi, de circonscrire la portée du transfert.

Là-dessus, là où il faut bien qu’on justifie son lot universitaire, on s’empare dudit terme, supposé, sans doute parce que j’en ai usé, être lévitatoire. Mais qui me lit, peut remarquer l’« en réserve » dont je fais jouer cette référence pour la conception de la psychanalyse. Cela fait partie des concessions éducatives à quoi j’ai dû me livrer pour le contexte d’ignorantisme fabuleux où j’ai dû proférer mes premiers séminaires.

Peut-on maintenant douter qu’à rapporter au sujet du cogito ce que l’inconscient nous découvre, qu’à en avoir défini la distinction de l’autre imaginaire, dit familièrement, petit autre, du lieu d’opération du langage, posé comme étant le grand Autre, j’indique assez qu’aucun sujet n’est supposable par un autre sujet, – si ce terme doit bien être pris du coté de Descartes. Qu’il lui faille Dieu (19)ou plutôt la vérité dont il le crédite, pour que le sujet vienne se loger sous cette même cape qui habille de trompeuses ombres humaines, – que Hegel à le reprendre pose l’impossibilité de la coexistence des consciences, en tant qu’il s’agit du sujet promis au savoir, – n’est-ce pas assez pour pointer la difficulté, dont précisément notre impasse, celle du sujet de l’inconscient, offre la solution –, à qui sait la former.

Il est vrai qu’ici Jean-Paul Sartre, fort capable de s’apercevoir que la lutte à mort n’est pas cette solution, puisqu’on ne saurait détruire un sujet, et qu’aussi bien elle est dans Hegel à sa naissance préposée, en prononce à huis clos la sentence phénoménologique : c’est l’enfer. Mais comme c’est faux, et de façon justiciable de la structure, le phénomène montrant bien que le lâche, s’il n’est pas fou, peut fort bien s’arranger du regard qui le fixe, cette sentence prouve aussi que l’obscurantisme a son couvert mis pas seulement aux agapes de droite.

Le sujet supposé savoir est pour nous le pivot d’où s’articule tout ce qu’il en est du transfert. Dont les effets échappent, à faire pince pour les saisir du pun assez maladroit à s’établir du besoin de la répétition à la répétition du besoin.

Ici le lévitant de l’intersubjectivité montrera sa finesse à interroger : sujet supposé par qui ? sinon par un autre sujet.

Un souvenir d’Aristote, une goutte des catégories, prions-nous, pour décrotter ce sujet du subjectif. Un sujet ne suppose rien, il est supposé.

Supposé, enseignons-nous, par le signifiant qui le représente pour un autre signifiant.

Écrivons comme il convient le supposé de ce sujet en mettant le savoir à sa place d’attenance de la supposition :

On reconnaît à la première ligne le signifiant S du transfert, c’est-à-dire d’un sujet, avec son implication d’un signifiant que nous dirons quelconque, c’est-à-dire qui ne suppose que la particularité au sens d’Aristote (toujours bien venu), qui de ce fait suppose encore d’autres choses. S’il est nommable d’un nom propre, (20)ce n’est pas qu’il se distingue par le savoir, comme nous allons le voir.

Sous la barre, mais réduite à l’empan supposant du premier signifiant : le s représente le sujet qui en résulte impliquant dans la parenthèse le savoir, supposé présent, des signifiants dans l’inconscient, signification qui tient la place du référent encore latent dans ce rapport tiers qui l’adjoint au couple signifiant-signifié.

On voit que si la psychanalyse consiste dans le maintien d’une situation convenue entre deux partenaires, qui s’y posent comme le psychanalysant et le psychanalyste, elle ne saurait se développer qu’au prix du constituant ternaire qu’est le signifiant introduit dans le discours qui s’en instaure, celui qui a nom : le sujet supposé savoir, formation, elle, non d’artifice mais de veine, comme détachée du psychanalysant.

Nous avons à voir ce qui qualifie le psychanalyste à répondre à cette situation dont on voit qu’elle n’enveloppe pas sa personne. Non seulement le sujet supposé savoir n’est pas réel en effet, mais il n’est nullement nécessaire que le sujet en activité dans la conjoncture, le psychanalysant (seul à parler d’abord), lui en fasse l’imposition.

C’est même si peu nécessaire que ce n’est pas vrai d’ordinaire : ce que démontre dans les premiers temps du discours, une façon de s’assurer que le costume ne va pas au psychanalyste, – assurance contre la crainte qu’il n’y mette, si je puis dire, trop tôt ses plis.

Ce qui nous importe ici c’est le psychanalyste, dans sa relation au savoir du sujet supposé, non pas seconde mais directe.

Il est clair que du savoir supposé, il ne sait rien. Le Sq de la première ligne n’a rien à faire avec les S en chaîne de la seconde et ne peut s’y trouver que par rencontre. Pointons ce fait pour y réduire l’étrangeté de l’insistance que met Freud à nous recommander d’aborder chaque cas nouveau comme si nous n’avions rien acquis de ses premiers déchiffrements.

Ceci n’autorise nullement le psychanalyste à se suffire de savoir qu’il ne sait rien, car ce dont il s’agit, c’est de ce qu’il a à savoir.

Ce qu’il a à savoir, peut être tracé du même rapport « en réserve » selon lequel opère toute logique digne de ce nom. Ça ne veut rien dire de « particulier », mais ça s’articule en chaîne de lettres si (21)rigoureuses qu’à la condition de n’en pas rater une, le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir.

L’étonnant est qu’avec ça on trouve quelque chose, les nombres transfinis par exemple. Qu’était-il d’eux, avant ? J’indique ici leur rapport au désir qui leur a donné consistance. Il est utile de penser à l’aventure d’un Cantor, aventure qui ne fut pas précisément gratuite, pour suggérer l’ordre, ne fut-il pas, lui, transfini, où le désir du psychanalyste se situe.

Cette situation rend compte à l’inverse, de l’aise apparente dont s’installent aux positions de direction dans les sociétés existantes ce qu’il faut bien appeler des néants. Entendez-moi : l’important n’est pas la façon dont ces néants se meublent (discours sur la bonté ?) pour le dehors, ni la discipline que suppose le vide soutenu à l’intérieur (il ne s’agit pas de sottise), c’est que ce néant (du savoir) est reconnu de tous, objet usuel si l’on peut dire, pour les subordonnés et monnaie courante de leur appréciation des Supérieurs.

La raison s’en trouve dans la confusion sur le zéro, où l’on reste en un champ où elle est pas de mise. Personne qui se soucie dans le gradus d’enseigner ce qui distingue le vide du rien, ce qui pourtant n’est pas pareil, – ni le trait repère pour la mesure, de l’élément neutre impliqué dans le groupe logique, non plus que la nullité de l’incompétence, du non-marqué de la naïveté, d’où tant de choses prendraient leur place.

C’est pour parer à ce défaut, que j’ai produit le huit intérieur et généralement la topologie dont le sujet se soutient.

Ce qui doit disposer un membre de l’École à pareilles études est la prévalence que vous pouvez saisir dans l’algorithme plus haut produit, mais qui n’en demeure pas moins pour ce qu’on l’ignore, la prévalence manifeste où que ce soit : dans la psychanalyse en extension comme dans celle en intension, de ce que j’appellerai savoir textuel pour l’opposer à la notion référentielle qui la masque.

De tous les objets que le langage ne propose pas seulement au savoir, mais qu’il a d’abord mis au monde de la réalité, de la réalité de l’exploitation interhumaine, on ne peut dire que le psychanalyste soit expert. Ça vaudrait mieux, mais c’est de fait plutôt court.

Le savoir textuel n’était pas parasite à avoir animé une logique dont la nôtre trouve leçon à sa surprise (je parle de celle du Moyen (22)Âge), et ce n’est pas à ses dépens qu’elle a su faire face au rapport du sujet à la Révélation.

Ce n’est pas de ce que la valeur religieuse de celle-ci nous est devenue indifférente, que son effet dans la structure doit être négligé. La psychanalyse a consistance des textes de Freud, c’est là un fait irréfutable. On sait ce que, de Shakespeare à Lewis Carroll, les textes apportent à son génie et à ses praticiens.

Voilà le champ où se discerne qui admettre à son étude. C’est celui dont le sophiste et le talmudiste, le colporteur de contes et l’aède ont pris la force, qu’à chaque instant nous récupérons plus ou moins maladroitement pour notre usage.

Qu’un Lévi-Strauss en ses mythologiques, lui donne son statut scientifique, est bien pour nous faciliter d’en faire seuil à notre sélection.

Rappelons le guide que donne mon graphe à l’analyse et l’articulation qui s’en isole du désir dans les instances du sujet.

C’est pour noter l’identité de l’algorithme ici précisé, avec ce qui est connoté dans Le Banquet comme galma.

Où est mieux dit que ne l’y fait Alcibiade, que les embûches d’amour du transfert n’ont de fin que d’obtenir ce dont il pense que Socrate est le contenant ingrat ?

Mais qui sait mieux que Socrate qu’il ne détient que la signification qu’il engendre à retenir ce rien, ce qui lui permet de renvoyer Alcibiade au destinataire présent de son discours, Agathon (comme par hasard) : ceci pour vous apprendre qu’à vous obséder de ce qui dans le discours du psychanalysant vous concerne, vous n’y êtes pas encore.

Mais est-ce là tout ? quand ici le psychanalysant est identique à l’galma la merveille à nous éblouir, nous tiers, en Alcibiade.

N’est-ce pas pour nous occasion d’y voir s’isoler le pur biais du sujet comme rapport libre au signifiant, celui dont s’isole le désir du savoir comme désir de l’Autre.

Comme tous ces cas particuliers qui font le miracle grec, celui-ci ne nous présente que fermée la boîte de Pandore.

Ouverte, c’est la psychanalyse, dont Alcibiade n’avait pas besoin.

 

 

Avec ce que j’ai appelé la fin de partie, nous sommes – enfin – (23)à l’os de notre propos de ce soir. La terminaison de la psychanalyse dite superfétatoirement didactique, c’est le passage en effet du psychanalysant au psychanalyste.

Notre propos est d’en poser une équation dont la constante est l’ galma.

Le désir du psychanalyste, c’est son énonciation, laquelle ne saurait s’opérer qu’à ce qu’il y vienne en position de l’x :

de cet x même, dont la solution au psychanalysant livre son être et dont la valeur se note (– f), la béance que l’on désigne comme la fonction du phallus à l’isoler dans le complexe de castration, ou (a) pour ce qui l’obture de l’objet qu’on reconnaît sous la fonction approchée de la relation prégénitale. (C’est elle que le cas Alcibiade se trouve annuler : ce que connote la mutilation des Hermès.)

La structure ainsi abrégée vous permet de vous faire idée de ce qui se passe au terme de la relation du transfert, soit : quand le désir s’étant résolu qui a soutenu dans son opération le psychanalysant, il n’a plus envie à la fin d’en lever l’option, c’est-à-dire le reste qui comme déterminant sa division, le fait déchoir de son fantasme et le destitue comme sujet.

Voilà-t-il pas le grand motus qu’il nous faut garder entre nous, qui en prenons, psychanalystes, notre suffisance, alors que la béatitude s’offre au-delà de l’oublier nous-même ?

N’irions-nous à l’annoncer, décourager les amateurs ? La destitution subjective inscrite sur le ticket d’entrée…, n’est-ce point provoquer l’horreur, l’indignation, la panique, voire l’attentat, en tout cas donner le prétexte à objection de principe ?

Seulement faire interdiction de ce qui s’impose de notre être, c’est nous offrir à un retour de destinée qui est malédiction. Ce qui est refusé dans le symbolique, rappelons-en le verdict lacanien, reparaît dans le réel.

Dans le réel de la science qui destitue le sujet bien autrement dans notre époque, quand seuls ses tenants les plus éminents, un Oppenheimer, s’en affolent.

Voilà où nous démissionnons de ce qui nous fait responsables, à savoir : la position où j’ai fixé la psychanalyse dans sa relation à la science, celle d’extraire la vérité qui lui répond en des termes dont le reste de voix nous est alloué.

De quel prétexte abritons-nous ce refus, quand on sait bien (24)quelle insouciance protège vérité et sujets tout ensemble, et qu’à promettre aux seconds la première, cela ne fait ni chaud ni froid qu’à ceux qui déjà en sont proches.

Parler de destitution subjective n’arrêtera jamais l’innocent, qui n’a de loi que son désir.

Nous n’avons de choix qu’entre affronter la vérité ou ridiculiser notre savoir.

 

Cette ombre épaisse à recouvrir ce raccord dont ici je m’occupe, celui où le psychanalysant passe au psychanalyste, voilà ce que notre École peut s’employer à dissiper.

Je n’en suis pas plus loin que vous dans cette œuvre qui ne peut être menée seul, puisque la psychanalyse en fait l’accès.

Je dois me contenter ici d’un flash ou deux à la précéder.

À l’origine de la psychanalyse, comment ne pas rappeler ce que, d’entre nous, a fait enfin Mannoni, que le psychanalyste, c’est Fliess, c’est-à-dire le médicastre, le chatouilleur de nez, l’homme à qui se révèle le principe mâle et le femelle dans les nombres 21, 28, ne vous en déplaise, bref ce savoir que le psychanalysant, Freud le scientiste, comme s’exprime la petite bouche des âmes ouvertes à l’œcuménisme, rejette de toute la force du serment qui le lie au programme d’Helmholtz et de ses complices.

Que cet article ait été donné à une revue qui ne permettait guère que le terme du : « sujet supposé savoir » y parût autrement que perdu au milieu d’une page, n’ôte rien au prix qu’il peut avoir pour nous.

En nous rappelant « l’analyse originelle », il nous remet au pied de la dimension de mirage où s’assoit la position du psychanalyste et nous suggère qu’il n’est pas sûr qu’elle soit réduite tant qu’une critique scientifique n’aura pas été établie dans notre discipline.

Le titre prête à la remarque que la vraie originelle ne peut être que la seconde, de constituer la répétition qui de la première fait un acte, car c’est elle qui y introduit l’après-coup propre au temps logique, qui se marque de ce que le psychanalysant est passé au psychanalyste. (je veux dire Freud lui-même qui sanctionne là de n’avoir pas fait une auto-analyse.)

Je me permets en outre de rappeler à Mannoni que la scansion du temps logique inclut ce que j’ai appelé le moment de comprendre, (25)justement de l’effet produit (qu’il reprenne mon sophisme) par la non-compréhension, et qu’à éluder en somme ce qui fait l’âme de son article il aide à ce qu’on comprenne à-côté.

Je rappelle ici que le tout-venant que nous recrutons sur la base de « comprendre ses malades », s’engage sur un malentendu qui n’est pas sain comme tel.

 

Flash maintenant où nous en sommes. Avec la fin de l’analyse hypomaniaque, décrite par notre Balint comme le dernier cri, c’est le cas de le dire, de l’identification du psychanalysant à son guide, – nous touchons la conséquence du refus dénoncé plus haut (louche refus : Verleugnung ?), lequel ne laisse plus que le refuge du mot d’ordre, maintenant adopté dans les sociétés existantes, de l’alliance avec la partie saine du moi, laquelle résout le passage à l’analyste, de la postulation chez lui de cette partie saine au départ. À quoi bon dès lors son passage par l’expérience.

Telle est la position des sociétés existantes. Elle rejette notre propos dans un au-delà de la psychanalyse.

Le passage du psychanalysant au psychanalyste, a une porte dont ce reste qui fait leur division est le gond, car cette division n’est autre que celle du sujet, dont ce reste est la cause.

Dans ce virage où le sujet voit chavirer l’assurance qu’il prenait de ce fantasme où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel, ce qui s’aperçoit, c’est que la prise du désir n’est rien que celle d’un désêtre.

En ce désêtre se dévoile l’inessentiel du sujet supposé savoir, d’où le psychanalyste à venir se voue à l’ galma de l’essence du désir, prêt à le payer de se réduire, lui et son nom, au signifiant quelconque.

Car il a rejeté l’être qui ne savait pas la cause de son fantasme, au moment même où enfin ce savoir supposé, il l’est devenu.

« Qu’il sache de ce que je ne savais pas de l’être du désir, ce qu’il en est de lui, venu à l’être du savoir, et qu’il s’efface ». Sicut palea, comme Thomas dit de son œuvre à la fin de sa vie, – comme du fumier.

Ainsi l’être du désir rejoint l’être du savoir pour en renaître à ce (26)qu’ils se nouent en une bande faite du seul bord où s’inscrit un seul manque, celui que soutient l’ galma.

La paix ne vient pas aussitôt sceller cette métamorphose où le partenaire s’évanouit de n’être plus que savoir vain d’un être qui se dérobe.

Touchons là la futilité du terme de liquidation pour ce trou où seulement se résout le transfert. Je n’y vois, contre l’apparence, que dénégation du désir de l’analyste.

Car qui, à apercevoir les deux partenaires jouer comme les deux pales d’un écran tournant dans mes dernières lignes, ne peut saisir que le transfert n’a jamais été que le pivot de cette alternance même.

Ainsi de celui qui a reçu la clef du monde dans la fente de l’impubère, le psychanalyste n’a plus à attendre un regard, mais se voit devenir une voix.

Et cet autre qui, enfant, a trouvé son représentant représentatif dans son irruption à travers le journal déployé dont s’abritait le champ d’épandage des pensées de son géniteur, renvoie au psychanalyste l’effet d’angoisse où il bascule dans sa propre déjection.

Ainsi la fin de la psychanalyse garde en elle une naïveté, dont la question se pose si elle doit être tenue pour une garantie dans le passage au désir d’être psychanalyste.

D’où pourrait donc être attendu un témoignage juste sur celui qui franchit cette passe, sinon d’un autre qui, comme lui, l’est encore, cette passe, à savoir en qui est présent à ce moment le désêtre où son psychanalyste garde l’essence de ce qui lui est passé comme un deuil, sachant par là, comme tout autre en fonction de didacticien, qu’à eux aussi ça leur passera.

Qui pourrait mieux que ce psychanalysant dans la passe, y authentifier ce qu’elle a de la position dépressive ? Nous n’éventons là rien dont on se puisse donner les airs, si on n’y est pas.

C’est ce que je vous proposerai tout à l’heure comme l’office à confier pour la demande du devenir analyste de l’École à certains que nous y dénommerons : passeurs.

Ils auront chacun été choisi par un analyste de l’École, celui qui peut répondre de ce qu’ils sont en cette passe ou de ce qu’ils y soient revenus, bref encore liés au dénouement de leur expérience personnelle.

C’est à eux qu’un psychanalysant, pour se faire autoriser comme (27)analyste de l’École, parlera de son analyse, et le témoignage qu’ils sauront accueillir du vif même de leur propre passé sera de ceux que ne recueille jamais aucun jury d’agrément, La décision d’un tel jury en serait donc éclairée, ces témoins bien entendu n’étant pas juges.

Inutile d’indiquer que cette proposition implique une cumulation de l’expérience, son recueil et son élaboration, une sériation de sa variété, une notation de ses degrés.

Qu’il puisse sortir des libertés de la clôture d’une expérience, c’est ce qui tient à la nature de l’après-coup dans la signifiance.

De toute façon cette expérience ne peut pas être éludée. Ses résultats doivent être communiqués : à l’École d’abord pour critiques, et corrélativement mis à portée de ces sociétés qui, tout exclus qu’elles nous aient faits, n’en restent pas moins notre affaire.

Le jury fonctionnant ne peut donc s’abstenir d’un travail de doctrine, au-delà de son fonctionnement de sélecteur.

 

Avant de vous en proposer une forme, je veux indiquer que conformément à la topologie du plan projectif, c’est à l’horizon même de 1a psychanalyse en extension, que se noue le cercle intérieur que nous traçons comme béance de la psychanalyse en intension.

Cet horizon, je voudrais le centrer de trois points de fuite perspectifs, remarquables d’appartenir chacun à l’un des registres dont la collusion dans l’hétérotopie constitue notre expérience.

 

Dans le symbolique, nous avons le mythe œdipien.

Observons par rapport au noyau de l’expérience sur lequel nous venons d’insister, ce que j’appellerai techniquement la facticité de ce point. Il relève en effet d’une mythogénie, dont on sait qu’un des constituants est sa redistribution. Or l’Œdipe, d’y être ectopique (caractère souligné par un Kroeber), pose un problème.

L’ouvrir permettrait de restaurer, à la relativer même, sa radicalité dans l’expérience.

Je voudrais éclairer ma lanterne simplement de ceci que, retirez l’Œdipe, et la psychanalyse en extension, dirai-je, devient tout entière justiciable du délire du président Schreber.

(28)Contrôlez-en la correspondance point par point, certainement pas atténuée depuis que Freud l’a notée en n’en déclinant pas l’imputation. Mais laissons ce que mon séminaire sur Schreber a offert à ceux qui pouvaient l’entendre.

Il y a d’autres aspects de ce point relatifs à nos rapports à l’extérieur, ou plus exactement à notre extraterritorialité, – terme essentiel en l’Écrit, que je tiens pour préface à cette proposition.

Observons la place que tient l’idéologie œdipienne pour dispenser en quelque sorte la sociologie depuis un siècle de prendre parti, comme elle dut le faire avant, sur la valeur de la famille, de la famille existante, de la famille petite-bourgeoise dans la civilisation, – soit dans la société véhiculée par la science. Bénéficions-nous ou pas de ce que là nous couvrons à notre insu ?

 

Le second point est constitué par le type existant, dont la facticité cette fois est évidente, de l’unité : société de psychanalyse, en tant que coiffée par un exécutif à l’échelle internationale.

Nous l’avons dit, Freud l’a voulu ainsi, et le sourire gêné dont il rétracte le romantisme de la sorte de Komintern clandestin auquel il a d’abord donné son blanc-seing (cf. Jones, cité dans mon Écrit), ne fait que mieux le souligner.

La nature de ces sociétés et le mode sur lequel elles obtempèrent, s’éclaire de la promotion par Freud de l’Église et de l’Armée comme modèles de ce qu’il conçoit comme la structure du groupe. (C’est par ce terme en effet qu’il faudrait traduire aujourd’hui Masse de sa Massenpsychologie.)

L’effet induit de la structure ainsi privilégiée s’éclaire encore d’y ajouter la fonction dans l’Église et dans l’Armée du sujet supposé savoir. Étude pour qui voudra l’entreprendre : elle irait loin.

À s’en tenir au modèle freudien, apparaît de façon éclatante la faveur qu’en reçoivent les identifications imaginaires, et du même coup la raison qui enchaîne la psychanalyse en intension à y limiter sa considération, voire sa portée.

Un de mes meilleurs élèves en a fort bien reporté le tracé sur l’Œdipe lui-même en définissant la fonction du Père idéal.

Cette tendance, comme on dit, est responsable de la relégation au point d’horizon précédemment défini de ce qui est qualifiable œdipien dans l’expérience.

 

(29)La troisième facticité, réelle, trop réelle, assez réelle pour que le réel soit plus bégueule à le promouvoir que la langue, c’est ce que rend parlable le terme du : camp de concentration, sur lequel il nous semble que nos penseurs, à vaguer de l’humanisme à la terreur, ne se sont pas assez concentrés.

Abrégeons à dire que ce que nous en avons vu émerger, pour notre horreur, représente la réaction de précurseurs par rapport à ce qui ira en se développant comme conséquence du remaniement des groupements sociaux par la science, et nommément de l’universalisation qu’elle y introduit.

Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation.

Faut-il attribuer à Freud d’avoir voulu, vu son introduction de naissance au modèle séculaire de ce processus, assurer en son groupe le privilège de la flottabilité universelle dont bénéficient les deux institutions susnommées ? Ce n’est pas impensable.

Quoi qu’il en soit, ce recours ne rend pas plus aisé au désir du psychanalyste de se situer dans cette conjoncture.

Rappelons que si l’I.P.A. de la Mitteleuropa a démontré sa préadaptation à cette épreuve en ne perdant dans les dits camps pas un seul de ses membres, elle a dû à ce tour de force de voir se produire après la guerre une ruée, qui n’était pas sans avoir sa doublure de rabattage (cent psychanalystes médiocres, souvenons-nous), de candidats dans l’esprit desquels le motif de trouver abri contre la marée rouge, fantasme d’alors, n’était pas absent.

Que la « coexistence », qui pourrait bien elle aussi s’éclairer d’un transfert, ne nous fasse pas oublier un phénomène qui est une de nos coordonnées géographiques, c’est le cas de le dire, et dont les bafouillages sur le racisme masquent plutôt la portée.

 

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La fin de ce document précise le mode sous lequel pourrait être introduit ce qui ne tend, en ouvrant une expérience, qu’à rendre enfin, véritables les garanties recherchées.

On les y laisse sans partage aux mains de ceux qui ont de l’acquis.

On n’oublie pas pourtant qu’ils sont ceux qui ont le plus pâti (30)des épreuves imposées par le débat avec l’organisation existante.

Ce que doivent le style et les fins de cette organisation au black-out porté sur la fonction de la psychanalyse didactique, est évident dès qu’un regard y est permis : d’où l’isolement dont elle se protège elle-même.

Les objections qu’a rencontrées notre proposition, ne relèvent pas dans notre École d’une crainte aussi organique.

Le fait qu’elles se soient exprimées sur un thème motivé, mobilise déjà l’autocritique. Le contrôle des capacités n’est plus ineffable, de requérir de plus justes titres.

C’est à une telle épreuve que l’autorité se fait reconnaître.

Que le public des techniciens sache qu’il ne s’agit pas de la contester, mais de l’extraire de la fiction.

L’École freudienne ne saurait tomber dans le tough sans humour d’un psychanalyste que je rencontrai à mon dernier voyage aux U.S.A. « Ce pourquoi je n’attaquerai jamais les formes instituées, me dit-il, c’est qu’elles m’assurent sans problème d’une routine qui fait mon confort ».

J.L.


[1]. Ce qu’on appelle d’ordinaire : le psychanalysé, par anticipation.

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