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1972-05-12 DU DISCOURS PSYCHANALYTIQUE

Discours de Jacques Lacan à l’Université de Milan le 12 mai 1972, paru dans l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, pp. 32-55.

 

(32)Je remercie beaucoup M. Cesa Bianchi de nous avoir donné ces quelques repères, ces quelques mots d’information qui étaient fort exacts sur ce qui peut constituer un certain nombre d’étapes.

Donc, ce que j’ai fait au cours de ces années a mené à dire…

Mon embarras tient à ce que je ne sais pas… je ne peux pas apprécier d’aucune façon le degré d’audition du français que représente votre assemblée. Je suis très heureux d’y voir un très grand nombre de figures jeunes puisque c’est sur… enfin, c’est dans elles je veux dire, ces figures, que je mets mon espoir.

Je dois dire que je n’aime pas du tout parler français devant des gens dont je sais qu’ils ne sont pas familiers avec cette langue. Alors, j’espère que je vais sentir jusqu’où je peux aller dans cet ordre d’émissions.

J’ai rappelé à déjeuner à quelques amis une expérience qui m’est arrivée à John Hopkins University.

C’était tellement manifeste que mon assemblée n’entendrait rien si je parlais français que, ayant pris d’abord, comme ça… à la prière générale, la résolution de parler français, j’ai commencé par m’excuser en anglais de ne pas pouvoir continuer, c’est-à-dire de parler français, et puis cette excuse a duré une heure et demie, en anglais bien sûr… C’est affreux quand on m’entend parler anglais. Mais les américains sont si complaisants, on peut se permettre de telles dérogations, n’est-ce pas ? … Je vois que vous comprenez le français – bon – alors ça m’encourage.

Donc je ne continuerai pas à parler des américains : là je suis tout à fait incapable de vous parler italien, c’est pour ça que je parle français.

(33)Alors, j’ai annoncé que je parlerais Du discours psychanalytique – ce n’est pas un terme que j’ai avancé depuis longtemps, mais quand même depuis trois ans.

Ce n’est pas commode, devant un auditoire qui n’est pas de mes élèves, qui n’est pas formé, rompu à quelque chose… (vous voyez, je commence à ouvrir des parenthèses)… qui n’est pas rompu à quelque chose qui est mon enseignement, mon Séminaire comme on appelle ça : ce n’est pas un séminaire du tout, puisque il n’y a que moi qui parle.

Enfin, c’est devenu comme ça. Pendant des années j’ai fait parler d’autres personnes à mon séminaire, ça me reposait, mais enfin peu à peu, peut être parce que le temps presse, j’y ai renoncé.

Alors, cet enseignement qui dure depuis vingt ans, dont les Écrits… – enfin, je suis bien forcé de parler des Écrits puisqu’ils viennent de paraître, au moins un premier morceau – il y en aura peut-être d’autres, ceci grâce à Giacomo Contri qui a bien voulu y consacrer un très grand soin et un très grand temps.

Je suis bien forcé de parler un peu des Écrits qui, paraît-il, ne vous paraissent pas faciles.

Ça c’est vrai : ils ne le sont pas, pas du tout même.

C’est qu’ils n’ont jamais été faits, ces fameux écrits… ils n’ont jamais été faits pour remplacer mon enseignement.

Il y en a d’abord une bonne moitié qui ont été écrits avant que je le commence, c’est-à-dire que ça n’est pas d’hier puisque je vous ai dit qu’il y a vingt ans que je fais ce qu’on appelle mon séminaire.

Il y en a une bonne moitié qui sont d’avant, et en particulier ceux dont beaucoup en sont encore à faire le pivot de ce que j’ai pu apporter au discours psychanalytique, dont Le stade du miroir. Le stade du miroir, c’était une communication que j’ai faite dans un congrès aux temps où je faisais encore partie de ce qu’on appelle IPA – International Psychanalytique Avouée – ou avouable, comme vous voudrez. Enfin, c’est une façon de traduire ces mots.

Puis, la seconde partie de ces Écrits consiste dans une série d’articles où je me suis trouvé, disons chaque année à partir d’un certain moment, entre un certain moment et un autre… où je me suis trouvé chaque année donner une sorte de repère, qui permettait à ceux qui m’avaient entendu au séminaire de trouver là, enfin, condensé, en somme concentré, ce que j’avais pu (34)apporter ou ce que je croyais moi-même pouvoir repérer comme étant axial dans ce que j’avais énoncé.

Ça n’empêche pas que c’est une très mauvaise façon, en somme, de rassembler un public.

C’est très difficile d’abord, la notion de public. Je vais me risquer à rappeler que lors de cette publication, je me suis livré au jeu de mots de l’appeler poubellication – je vois qu’il y a des gens qui savent ce que c’est le mot poubelle. Il y a une trop grande confusion en effet, de nos jours, entre ce qui fait public et ce qui fait poubelle ! C’est même pour ça que je refuse les interviews, parce que malgré tout, la publication des confidences, c’est ça qui fait l’interview.

Ça consiste alors tout à fait à attaquer le public au niveau de la poubelle.

Il ne faut pas confondre la poubelle avec le pubis – ce n’est pas du tout pareil.

Le pubis a beaucoup de rapports avec la naissance du mot public.

C’est vrai, hein ?

Ça ne se discute pas, enfin… je pense.

C’était un temps où le public, ce n’était pas la même chose que le déballage du privé, et où quand on passait au public on savait que c’était un dévoilement, mais maintenant ça ne dévoile plus rien puisque tout est dévoilé.

Enfin, évidemment je ne suis pas porté à vous faire des confidences, et pourtant je suis forcé quand même de dire quelque chose qui, étant donné que je ne vous verrai qu’une fois – enfin, ça m’étonnerait de vous revoir d’ici peu – je suis forcé de vous dire quelque chose tout de même qui est de l’ordre de cette confidence.

À savoir, comment je peux me sentir actuellement dans cette position que j’occupe auprès de gens qui ne font pas partie de mon auditoire.

Ce que je peux bien marquer, n’est-ce pas, c’est ce que j’ai dit d’abord, c’est que les Écrits, ça me semble difficile que exportés, comme ça, hors du contexte d’un certain effort que je fais et dont je vais vous dire sur quoi il est centré, que les Écrits, enfin, ça suffise du tout à ce qu’on puisse là dessus élucubrer quoi que ce soit qui corresponde vraiment à mon discours.

L’auditoire et l’éditoire, si je peux m’exprimer ainsi, ce n’est pas du tout du même niveau, vous le voyez.

Nous jouons enfin là, éditoire, comme ça… poubellication… ça fait obscène et du même coup auditoire se contamine.

(35)Tout ça, c’est une façon en somme de voir ce que je peux dire et de vous introduire comme ça, tout doucement, à ce qui est très important.

Ce que j’appellerai le jeu des signifiants.

Le jeu des signifiants, ça glisse au sens.

Mais l’important dans ce que j’énonce c’est que ça ne glisse jamais qu’à la manière d’un dérapage.

Pour ceux qui sont tout à fait inaccoutumés à ces termes, je dis simplement ceci : les signifiants ou le jeu des signifiants, c’est lié au fait de la langue, du langage – ce n’est pas équivalent. La langue c’est quelque chose d’assez spécifié pour chacun, c’est la langue maternelle, l’italien pour la plupart d’entre vous.

C’est ça qui fait la langue.

Il se trouve qu’il y a quelque chose qu’on peut repérer, comme étant déterminé vers une même fin, pour toutes les langues, et c’est en généralisant, comme on s’exprime, qu’on parle du langage : comme caractérisant l’homme.

(Rumore nell’aula)

Qu’est-ce qu’il y a ?… Je ne demanderais pas mieux que de laisser la parole à quelqu’un, qui me prouverait par là que moi-même je ne parle pas en vain…

Alors, le langage, on a le sentiment que ça définit un être, qu’on appelle généralement l’homme, et après tout, en se contenant strictement de le définir ainsi, pourquoi ?

Il est certain qu’il y a un animal sur qui le langage est descendu, si je puis dire, et que cet animal en est vraiment marqué.

Il en est marqué au point que je ne sais pas jusqu’où je peux aller pour bien le dire.

C’est pas seulement que la langue fasse partie de son monde, c’est que c’est ça qui soutient son monde de bout en bout.

C’est pour ça que… N’essayez pas de chercher quelle est ma Weltanschauung – je n’ai aucune Weltanschauung, pour la raison que ce que je pourrais à la rigueur en avoir, ça consiste à dire que le Welt… le monde, c’est bâti avec du langage.

Ce n’est pas une vue sur le monde, ça ne laisse place à aucune vue – ce qu’on s’imagine être vu, être intuitif, est évidemment lié à quelque chose qui est le fait que nous avons les yeux, et que le regard, c’est vraiment une passion de l’homme.

La parole aussi, bien sûr. Il s’en aperçoit moins.

(36)Puis il y a d’autres éléments qui sont tout à fait cause de son désir.

Mais c’est un fait que la psychanalyse, la pratique psychanalytique nous a montré le caractère radical de l’incidence signifiante dans cette constitution du monde.

Je ne dis pas pour l’être qui parle, parce que ce que j’ai appelé tout à l’heure ce dérapage, cette glissade qui se fait avec l’appareil du signifiant… c’est ça qui détermine l’être chez celui qui parle. Le mot d’être n’a aucun sens au dehors du langage.

On a fini quand même par s’apercevoir que ce n’est pas à méditer sur l’être qu’on fera en rien le moindre pas.

On a fini par s’en apercevoir par la conséquence… conséquence un peu poussée… les suites de cette pratique que j’ai appelée le glissement avec le signifiant.

La façon qu’on a, plus ou moins savante, de déraper à la surface de ce qu’on appelle les choses… de ce qu’on appelle les choses jusqu’au moment où on commence à considérer que les choses, ce n’est pas très sérieux.

On arrive vraiment à concentrer la puissance du signifiant d’une façon telle qu’une part de ce monde finit par, simplement, s’écrire dans une formule mathématique.

Formules mathématiques auxquelles, bien sûr pour les écoliers, on essaye de conjoindre un sens.

En effet on y parvient : la formule d’Einstein et même d’Heisenberg, enfin, sont des petits termes qui désignent la masse.

Et la masse, ça fait toujours de l’effet, n’est-ce pas, on s’imagine qu’on sait ce que c’est. Et en effet on ne se l’imagine pas toujours – quelques fois quand on a des notions physiques précises, on sait comment ça se calcule, mais on aurait tort de croire que la masse c’est ça ou ça… par le sentiment.

Ce n’est pas seulement parce que nous pesons un petit peu qu’on peut s’imaginer qu’on sait ce que c’est que la notion de masse.

C’est seulement à partir du moment où l’on commence à faire tourner quelque chose, que l’on voit que les corps ont une masse.

Mais ça reste toujours tellement contaminé par quelque chose qui est lié au fait qu’il y a une corrélation entre la masse et le poids qu’en réalité on fait mieux de ne pas chercher à comprendre, et simplement de s’en tenir aux formules.

(37)C’est en ça que la mathématique démontre vraiment quel est le point de l’usage du signifiant. Bien sûr, nous sommes arrivés à… […] … que de fait nous sommes déjà plongés dans le langage.

Vous le voyez, je ne dis pas : nous sommes des êtres parlants.

Nous sommes dans le langage, et je ne me crois pas du tout en mesure de vous dire pourquoi nous y sommes, ni de dire comment ça a commencé.

C’est même comme ça qu’on a pu commencer à dire sur le langage quelque petite chose, débarrassés du préjugé que c’est essentiel que ça ait un sens : ce n’est pas essentiel que ça ait un sens, et c’est même là-dessus qu’est fondée cette nouvelle pratique qui s’appelle la linguistique.

Ce qu’il faut – c’est là que la linguistique se centre bien – c’est se centrer sur le signifiant en tant que tel.

Il ne faut pas croire que le signifié – qui bien entendu se produit dans le sillage du signifiant – que ça soit là quelque chose d’aucune façon premier ; et se dire que le langage est là pour qu’il permette qu’il y ait la signification, c’est une démarche dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est précipitée.

Il y a quelque chose de plus primaire que les effets de signification, et c’est là que la recherche – si tant est que jamais on cherche quelque chose, si on ne l’a pas d’abord trouvé, hein ? – c’est là que la trouvaille est susceptible d’avoir d’effet.

Enfin voyez-vous, pour le signifiant, tout à l’heure j’y suis arrivé avec ce que j’ai appelé le dérapage, l’effet de glissement…

Enfin, je serai porté à vous faire la métaphore que le signifiant, c’est comme le style : c’est déjà pareil, c’est du style qu’on aurait déjà là.

C’est peut-être possible que l’animal humain l’ait un jour fabriqué… Nous n’avons pas la moindre trace de ce qui pourrait s’appeler l’invention du langage… Aussi loin dans le passé que nous le voyons fonctionner, c’est lui qui a le dessus du pavé.

Bon, alors, vous me direz, qu’est-ce que ça à faire avec la psychanalyse ?

Ça a à faire de la façon la plus étroite, parce que si on ne part pas de ce niveau qui est le niveau de départ, on ne peut absolument rien faire de plus dans l’expérience psychanalytique… on ne peut rien faire de plus que (38)de faire de la bonne psychothérapie…

C’est à dire, comme aussi bien les psychanalystes l’avouent… ils avouent tout, ils déballent tout…

Il y a eu un jour… Claudel… comme ça, qui a imaginé que le châtiment de Ponce Pilate, enfin, ça devait être ceci : parce qu’il avait demandé, très mal à propos : Qu’est-ce que la vérité ? – que chaque fois qu’il parlait devant une idole, l’idole ouvrait son ventre, et qu’est-ce qu’il en sortait ? C’était un formidable déballage de sous de l’époque, des trucs qu’on mettait dans la tirelire…

Les psychanalystes sont comme ça, ils vous avouent tout… ils avouent tout… et tout ce qu’ils racontent prouve qu’évidemment ils sont des très bonnes personnes.

C’est fou ce qu’ils aiment l’être humain, qu’ils veulent son bien, sa normalité – c’est inouï, enfin, n’est-ce pas, c’est inouï la folie de guérir, de guérir de quoi ? C’est justement ça qu’il faut jamais mettre en question…

Au nom de quoi est-ce qu’on se considère comme malade ? En quoi est-ce qu’un névrosé est plus malade qu’un être normal, dit normal ? Si Freud a apporté quelque chose, c’est justement pour démontrer que la névrose, enfin, est strictement insérée quelque part dans une faille qu’il nomme, qu’il désigne parfaitement, qu’il appelle sexualité, et il en parle d’une telle façon que ce qui est clair, c’est justement… c’est ce dans quoi l’homme n’est pas du tout à son aise.

L’homme, bien sûr, appelé au sens large, la femme non plus ; enfin, il n’y a rien qui aille si mal que les rapports de l’homme et de la femme.

C’est ça, ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il y a des gens ici qui ont l’air d’entendre ça pour la première fois. C’est absolument sublime, comme si vous n’étiez pas nés là dedans… À savoir que pour vous baiser avec une fille, ça ne marche jamais. Pour la fille c’est la même chose… et depuis que le monde est monde, il y a toute une littérature, il y a la littérature qui ne sert qu’à dire ça.

Alors, Freud un jour parle de sexualité [in falsetto] et il suffit que ce mot sucré soit sorti de sa bouche pour que tout le monde croie que c’est pour résoudre la question.

C’est-à-dire qu’à partir du moment, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, que si l’on pose une question, c’est qu’il y a déjà la réponse, donc s’il pose la question c’est (39)qu’il a la réponse – c’est-à-dire qu’avec ça, ça doit marcher.

Ce qui supposerait que Freud ait l’idée de l’accord sexuel.

Or, enfin, il suffit de lire, d’ouvrir son œuvre pour voir que jusqu’à la fin, lui, parce qu’il était homme, enfin, il est resté là.

Et il le dit, il l’écrit, il l’étale, enfin, à se demander : une femme, qu’est-ce que ça peut bien vouloir ? [risa]

Il n’y a pas besoin pour ça de faire allusion à la biographie de Freud, parce que c’est toujours comme ça qu’on rétrécit la question, d’autant plus qu’il était névrosé comme tout le monde, puis il avait une femme qui était une emmerdeuse… Enfin, ça c’est connu… La vieille Madame Freud…

C’est vraiment rapetisser la question.

C’est justement pour ça que je ne me mettrais jamais à faire la psychanalyse de Freud, d’autant plus que c’est une personne que je n’ai pas connue.

Ce qui est dit par Freud c’est ça, ce que je viens de dire. C’est ce dérapage du signifiant dont je parlais tout à l’heure, qui fait qu’au nom du fait qu’il a dépeint ça* « sexualité », on suppose qu’il savait ce que ça voulait dire : sexualité.

Mais justement ce qu’il nous explique c’est qu’il ne le sait pas.

Il ne le sait pas. La raison pour laquelle il ne le sait pas, justement, c’est ce qui lui a fait découvrir l’inconscient.

C’est-à-dire, s’apercevoir que les effets du langage jouent à cette place où le mot « sexualité » pourrait avoir un sens.

Si la sexualité chez l’être parlant, ça fonctionnait autrement qu’à s’empêtrer dans ces effets du langage…

Je ne suis pas en train de vous dire que le langage est venu là pour remplir le trou – je ne sais pas si le trou est primitif ou s’il est second : à savoir si c’est le langage qui a tout détraqué.

Je m’étonnerais que le langage soit là pour tout détraquer.

Il y a des champs où ça réussit… mais où ça ne réussit jamais que pour faire partage de ce qui paraît aller bien chez les animaux – à savoir qu’ils ont l’air de baiser d’une façon bien polie.

Parce que c’est vrai, chez les animaux ça a l’air –

 

 

Qu’on dise comme fait reste oublié derrière ce qui est dit dans ce qui s’entend.

Cet énoncé qui est assertif par sa forme, appartient au modal pour ce qu’il émet d’existence.

 

(41)c’est ce qui nous frappe par contraste – ça a l’air de se passer gracieusement.

Il y a la parade. Il y a toutes sortes d’approches charmantes, et puis ça a l’air de tourner rond jusqu’à la fin. Il n’y a pas d’apparence, chez les animaux, ni de viols, ni non plus de toutes ces complications, tout ce baratin qu’on fait autour.

Ça se passe chez eux d’une façon pour tout dire civilisée [risa].

Chez l’homme, ça fait ce qu’on appelle des drames […]. Par quoi bien sûr tout le malentendu […].

Plût au ciel que les hommes fassent l’amour comme les animaux, ça serait agréable.

Je me laisse un petit peu, comme ça, entraîner à quelque chose… enfin, de tellement patent.

Il faut quand même bien le rappeler […] quelque chose qui est quand même ce qui est de l’expérience du psychanalyste.

Qu’il fasse comme s’il n’en savait rien, ça tient à une nécessité de discours qui est là écrite au tableau.

Il faut bien quand même que je m’en serve, puisque je suis venu un quart d’heure à l’avance pour l’écrire au tableau.

Ça tient les caractères-clefs dans tout discours de ce point que j’appelle le semblant.

Mon dernier séminaire – ou appelez-le comme vous voudrez, mais ce n’est pas le dernier puisque le dernier est celui que je suis en train de finir – mon dernier séminaire donc, celui d’avant, s’appelait : D’un discours qui ne serait pas du semblant.

J’ai passé mon année à démontrer que c’est un discours tout à fait exclu.

Il n’y a aucun discours possible qui ne serait pas du semblant.

Ça c’est du semblant, hein ?

Bon, alors c’est tout à fait admissible à un certain niveau que le psychanalyste fasse semblant, comme s’il était là pour que les choses marchent sur le plan du sexuel. L’ennuyeux c’est qu’il finit par le croire, et alors ça le fige lui-même, complètement.

C’est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, il en devient imbécile.

Je crois qu’il était, à une certaine date, nécessaire – pour lui permettre de faire un peu de gymnastique, pour, (42)dans une expérience telle qu’elle est instituée, qu’il puisse y faire quelque pas de plus – qu’il fallait au moins lui rappeler ce qu’il fait : à savoir, malgré tout, que c’est de faire parler quelqu’un en lui expliquant comment il faut faire, c’est-à-dire pas n’importe quoi. Lui expliquer la règle : dire à une personne comment il faut qu’elle parle… Et que ça arrive à donner quelque chose, qu’il s’agit de comprendre pourquoi quelque chose qui se fait avec cet appareil que j’appelle le signifiant, ça peut avoir des effets.

Qu’il y ait un décollage nécessaire, qui consiste justement… à ne pas comprendre trop vite, c’est ça que j’ai essayé de produire.

À une certaine époque… évidemment ce n’était pas une époque très bien choisie, mais je n’avais pas le choix… Je suis entré dans la psychanalyse, comme ça, un peu sur le tard. En effet jusqu’à ce moment-là… en neurologie un beau jour… qu’est ce qu’il a pu me prendre ?… j’ai eu le tort de voir ce que ça peut être ce qu’on appelle un psychotique.

J’ai fait ma thèse là-dessus : De la psychose paranoïaque – oh scandale ! – dans ses rapports avec la personnalité.

Personnalité, vous pensez, ce n’est pas moi qui n’en ferais jamais des gorges chaudes.

Mais enfin, à cette époque ça représentait pour moi, comme ça, une nébuleuse, enfin, quelque chose… qui était déjà bien suffisamment scandaleux pour l’époque, je veux dire que ça a fait un véritable effet d’horreur.

Enfin, ça m’a mené à faire l’expérience de la psychanalyse moi-même. Après ça il y a eu la guerre, pendant laquelle j’ai poursuivi cette expérience. Au sortir de la guerre j’ai commencé à dire que je pourrais peut-être en dire un peu quelque chose.

« Surtout pas – m’a-t-on dit – personne n’y comprendrait rien… on vous connaît, on vous a repéré déjà depuis un moment ».

Enfin, bref, il a fallu pour ça une espèce de crise, de crise politique, politique intérieure… le micmac entre psychanalystes, pour que je me sois trouvé dans une position extraite.

Et comme il y en avait qui avaient l’air de vouloir que je fasse quelque chose pour eux…

(43)Je n’aurais commencé que, comme on dit, très sur le tard : mais moi je n’ai jamais été ennuyé d’être tard… je n’éprouvais aucun besoin, après tout, de forcer les gens.

Pour ne pas les forcer j’ai commencé à raconter les choses au niveau où je les avais vues.

Retour à Freud : on m’a naturellement mis cette étiquette, que je mérite bien, parce que c’est comme ça que je l’ai d’abord moi-même produite.

Je m’en fous de toi Freud. Simplement, c’était le procédé pour que les psychanalystes s’aperçoivent que ce que j’étais en train de leur dire, c’était déjà dans Freud.

À savoir, qu’il suffit qu’on analyse un rêve pour voir qu’il ne s’agit que de signifiant. Et de signifiant dans toute cette ambiguïté que j’ai appelée tout à l’heure la fonction de déparage .

À savoir, qu’il n’y a pas un signifiant dont la signification serait assurée. Elle peut toujours être autre chose, et même elle passe son temps à glisser aussi loin qu’on veut dans la signification.

Tellement sensible dans La Traumdeutung, ça ne l’était pas moins dans la La psychopathologie de la vie quotidienne… ça l’est encore plus dans Le mot d’esprit.

Ça me paraît essentiel, c’est essentiel.

La chose qui me frappe c’est…

[Il discorso si interrompe per il cambio del nastro]

… cette priorité du signifiant.

Maintenant tout le monde est à la page. Ce que vous trouverez dans une revue d’avant-garde, ou même pas d’avant-garde, de n’importe quoi, quant à ce signifiant… on nous en rabat les oreilles.

Quand je pense qu’au moment où j’ai commencé, nous étions sous le règne de l’existentialisme, et maintenant… je ne sais pas… Je ne voudrais pas avoir l’air, enfin, d’attenter au style, à la hauteur d’un écrivain dont j’ai la plus grande admiration : il s’agit de Sartre.

Et même Sartre… enfin, maintenant le signifiant est entré dans son vocabulaire.

Tout le monde, enfin, sait que signifiant signifie lacanisation.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ouais.

De temps en temps je m’imagine que j’y suis pour quelque chose, et dans ce cas là, c’est bien ça qui m’a fait…

… j’ai retrouvé dans mes notes, comme ça, que (44)j’avais écrit quelque chose le 11 avril 1956, dans un séminaire recueilli… c’est vrai que bien avant que ce soit devenu absolument… enfin, mon œuvre maintenant connue, bien sûr, il était tout autre…

… il n’en est pas moins vrai que ce que je suis en train de dire maintenant – qui lui bien sûr sera exploité dans vingt ans – ce que je suis en train de vous dire maintenant, quand c’est aux structures de la logique mathématique que je recours pour définir de quoi il s’agit dans ce que j’appelle discours psychanalytique, je peux très bien m’apercevoir qu’il y a des choses drôles : vous comprenez par exemple, que si je vous ai dit, bien sûr, que de mes Écrits il ne fallait pas vous fatiguer… mais quand même, à l’avant-dernier paragraphe de mon « Intervention sur le transfert » il est écrit : « Le cas de Dora paraît privilégié pour notre démonstration en ce que, s’agissant d’une hystérique, l’écran du moi y est assez transparent pour que nulle part, comme l’a dit Freud, ne soit plus bas le seuil entre l’inconscient et le conscient, ou pour mieux dire, entre le discours analytique et le mot du symptôme ».

Évidemment, c’est en 51, le discours analytique : j’ai évidemment mis du temps à lui donner sa place. Mais enfin, je n’écris jamais les mots au hasard, et le discours analytique c’est tout de même ce jour-là, n’est-ce pas, que je l’ai produit.

Enfin, cinq ans plus tard, lorsque j’avais commencé mon enseignement, la structure… la structure, écris-je alors… parce que maintenant je ferai attention, je ne voudrais pas me rallier ou paraître me rallier à cette salade qu’on appelle le structuralisme.

Mais enfin, la structure, j’en parlais alors parce que personne ne connaissait ce mot. Enfin, la structure est une chose qui se présente d’abord comme un groupe d’éléments, formant un ensemble co-variant.

Je suis maintenant à me repérer sur quelque chose qui s’appelle précisément la Théorie des ensembles.

Je parle tout de suite après de structures closes et de structures ouvertes, ce qui est également tout à fait à la page de ce que j’énonce maintenant.

Et spécialement… nous y voyons des relations de groupe fondées sur la notion d’ensemble, je souligne : relations ouvertes ou fermées.

À l’époque… je ne peux pas m’exprimer autrement (45)qu’à dire que dégager une loi naturelle, c’est dégager une formule signifiante pure. Moins elle signifie quelque chose, plus nous pouvons la mettre du point de vue scientifique…

Je fais remarquer […] que le pas scientifique, ça consiste justement en ça : à couper les choses, strictement, au niveau dit signatura rerum… […] du signifiant serait là arrangé – arrangé, bien sûr, par qui ? par Dieu, parce que la signatura rerum c’est de Jakob Böhme… – pour signifier quelque chose. La démarche scientifique, c’est ça.

C’est, bien sûr, ponctuer le monde de signifiants mathématiques… mais s’arrêter justement à ceci… que ce soit pour signifier… Car c’était bien ce qui jusque là avait empêtré toutes les terres, et ce qu’on appelle improprement le finalisme.

Nous sommes aussi finalistes que tout ce qui a existé avant le discours de la science.

Il est tout à fait clair que rien dans aucune loi n’est là pour autre chose que pour aboutir à un certain point, bien sûr.

Le discours scientifique est finaliste, tout à fait, au sens du fonctionnement […] nous ne nous rendons pas compte que ce finalisme, ça serait le finalisme… que ce soit fait pour nous enseigner quelque chose, par exemple pour nous inciter à la vertu, pour nous amuser simplement […] dans un monde qui peut être tout à fait structuré sur des causes finales… il serait facile de démontrer que la physique moderne est parfaitement finaliste.

L’idée même de la conservation de l’énergie est une idée finaliste… celle aussi de l’entropie, puisque justement, ce qu’elle montre, c’est vers quel frein ça va, et ça va nécessairement.

Ce qu’il y a de changé, c’est qu’il n’y a pas de finalisme, justement pour ça : que ça n’a aucune espèce de sens.

[…]

[…] faire décoller le sens qui est donné couramment au subjectif et à l’objectif… le subjectif est quelque chose que nous rencontrons dans le réel.

Non pas que le subjectif soit donné au sens que nous entendons habituellement pour « réel », c’est-à-dire qui implique l’objectivité : la confusion est sans cesse faite dans les écrits analytiques.

(46)Il apparaît dans le réel en tant que le subjectif suppose que nous avons en face de nous un sujet qui est capable de se servir du signifiant comme tel… et de se servir du signifiant comme nous nous en servons, se servir du jeu du signifiant non pas pour signifier quelque chose, mais précisément pour nous tromper sur ce qu’il y a à signifier… se servir du fait que le signifiant est autre chose que la signification, pour nous présenter un signifiant trompeur.

Bref, comme vous le voyez, enfin, c’est pas d’hier.

J’insiste sur ce biais-clé.

C’est très curieux que la position d’analyste ne permette pas de s’y soutenir indéfiniment.

Ce n’est pas seulement parce que ce qu’on appelle… ce qu’on appelait tout à l’heure l’Internationale… pour des raisons tout à fait contingentes, y a fait obstacle.

Et même des hommes, enfin, que j’avais formés à un moment, ils […].

Ce que en somme j’ai essayé d’en instituer a abouti à ce que j’ai appelé quelque part, noir sur blanc, un échec.

Ce n’est pas là l’essentiel, parce qu’un échec, nous savons très bien par l’expérience analytique ce que c’est : c’est une des formes de la réussite.

On ne peut pas dire que, en fin de compte, je n’ai pas réussi quelque chose… j’ai réussi à ce que quelques analystes se préoccupent de ce biais que j’ai essayé de vous expliquer : quel est le clivage entre le discours analytique et les autres.

Et puis je dirais que tout le monde depuis quelques années y est intéressé.

Tout le monde y est intéressé au nom de ceci : qu’il y a quelque chose qui ne tourne plus rond.

Il y a quelque part, du côté de ce qu’on appelle si gentiment, si tendrement, la jeunesse… comme si c’était une caractéristique… au niveau de la jeunesse il y a quelque chose qui ne marche plus du côté d’un certain discours… du discours universitaire, par exemple… Je n’aurais probablement pas le temps de vous le commenter, le discours universitaire…

Celui-là, c’est le discours éternel, le discours fondamental. L’homme est quand même un drôle d’animal, n’est-ce pas ? Où, dans le règne animal, y a-t-il le discours du maître ? Où est-ce que dans le règne animal y a-t-il un maître ?…

(47)S’il ne vous saute pas aux yeux tout de suite, à la première appréhension, que s’il n’y avait pas de langage il n’y aurait pas de maître, que le maître ne se donne jamais par force ou simplement parce qu’il commande, et que comme le langage existe vous obéissez.

Et même que ça vous rend malades, que ça ne continue pas comme ça.

Tout ce qui se passe au niveau, comme ça, de ce qu’on appelle la jeunesse, est très sensible parce que ce que je pense c’est que si le discours analytique avait pris corps… ils sauraient mieux ce qu’il y a à faire pour faire le révolution.

Naturellement il ne faut pas se tromper, hein ? Faire la révolution, je pense que quand même, enfin, vous autres, vous qui êtes là et à qui je m’adresse le plus… vous devez quand même avoir compris ce que ça signifie… que ça signifie… revenir au point de départ.

C’est même parce que vous vous apercevez que c’est démontré historiquement : à savoir qu’il n’y a pas de discours du maître plus vache que à l’endroit où l’on a fait la révolution…

Vous voudriez que ça se passe autrement. Évidemment ça pourrait être mieux. Ce qu’il faudrait, c’est arriver à ce que le discours du maître soit un peu moins primaire, et pour tout dire un peu moins con.

… [risa nel pubblico]…

… comme vous savez le français, hein ?… c’est merveilleux.

Et en effet, si vous regardez là mes petites formules tournantes, vous devez voir que la façon dont, ce discours analytique, je le structure… c’est exactement à l’opposé de ça qu’est le discours du maître… à savoir qu’au niveau du discours du maître, ce que je vous ai appelé tout à l’heure le signifiant-maître, c’est ça, c’est ce dont je m’occupe pour l’instant : il y a de l’Un.

Le signifiant, c’est ce qui a introduit dans le monde l’Un, et il suffit qu’il y ait de l’Un pour que ça… ça commence, ça… [indica le formule alla lavagna]… ça commande à S2.

… c’est-à-dire au signifiant qui vient après… après que l’Un fonctionne : il obéit.

Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que pour obéir il faut qu’il sache quelque chose.

Le propre de l’esclave, comme s’exprimait Hegel, c’est de savoir quelque chose.

(46)S’il ne savait rien, on ne prendrait même pas la peine de le commander, quoi que ce soit.

Mais par ce seul privilège, cette seule primarité, cette seule existence inaugurale qui fait le signifiant… du fait qu’il y a le langage, le discours du maître ça marche. C’est tout ce qu’il lui faut d’ailleurs, au maître, c’est que ça marche.

Alors, pour en savoir un peu plus sur les effets justement du langage, pour savoir comment ça détermine ce que j’ai appelé d’un nom qui n’est pas tout à fait celui de l’usage reçu : le sujet…

… s’il y avait eu un travail, un certain travail fait à temps dans la ligne de Freud, il y aurait peut être eu… à cette place… à cette place qu’il désigne, dans ce support fondamental qui est soutenu de ces termes : le semblant, la vérité, la jouissance, le plus-de-jouir… il y aurait peut être eu… au niveau de la production, car le plus-de-jouir c’est ce que produit cet effet de langage… il y aurait peut être eu ce qui s’implique du discours analytique, à savoir un tout petit peu meilleur usage du signifiant comme Un.

Il y aurait peut être eu… mais d’ailleurs, il n’y aura pas… parce que maintenant c’est trop tard…

… la crise, non pas du discours du maître, mais du discours capitaliste, qui en est le substitut, est ouverte.

C’est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit moche, c’est au contraire quelque chose de follement astucieux, hein ?

De follement astucieux, mais voué à la crevaison.

Enfin, c’est après tout ce qu’on a fait de plus astucieux comme discours. Ça n’en est pas moins voué à la crevaison. C’est que c’est intenable. C’est intenable… dans un truc que je pourrais vous expliquer… parce que, le discours capitaliste est là, vous le voyez… [indica la formula alla lavagna]… une toute petite inversion simplement entre le S1 et le S… qui est le sujet… ça suffit à ce que ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux, mais justement ça marche trop vite, ça se consomme, ça se consomme si bien que ça se consume.

Maintenant vous êtes embarqués… vous êtes embarqués,… mais il y a peu de chances que quoi que ce soit se passe de sérieux au fil du discours analytique, sauf comme ça, bon, au hasard.

À la vérité je crois qu’on ne parlera pas du (49)psychanalyste dans la descendance, si je puis dire, de mon discours… mon discours analytique. Quelque chose d’autre apparaîtra qui, bien sûr, doit maintenir la position du semblant, mais quand même ça sera… mais ça s’appellera peut être le discours PS. Un PS et puis un T, ça sera d’ailleurs tout à fait conforme à la façon dont on énonce que Freud voyait l’importation du discours psychanalytique en Amérique… ça sera le discours PST. Ajoutez un E, ça fait PESTE.

Un discours qui serait enfin vraiment pesteux, tout entier voué, enfin, au service du discours capitaliste.

Ça pourra peut être un jour servir à quelque chose, si, bien sûr, toute l’affaire ne lâche pas totalement, avant.

Bref, il est huit heures moins le quart et ça fait une heure et demie que je parle. Je ne vous ai dit, bien entendu, que le quart de ce que j’avais ce soir à vous dire. Mais il n’est peut être pas impensable qu’à partir de ce que je vous ai indiqué, de la structure du discours capitaliste et du discours psychanalytique, que quelqu’un me pose quelques questions.

[…]

De très braves gens, mais tout à fait inconscients de ce que disait Marx lui-même… s’en marrent… sans Marx.

Et voilà que Marx leur apprend que ce dont il s’agit c’est uniquement de la plus-value.

La plus-value c’est ça… c’est le plus-de-jouir… hein ?

[rumore nella sala]

Mais qu’est-ce que ces gens ont compris, c’est merveilleux… Ils se sont dit : « Bien, voilà, c’est vrai ! ».

Il n’y a que ça qui fait fonctionner le système. C’est la plus-value. Le capitalisme en a reçu enfin ce bond… ce coup d’ailes qui fait qu’actuellement […].

C’est quelque chose, comme ça, d’un petit peu analogue, mais pas du même sens, que je dirais qu’ils auraient pu faire si vraiment les gens travaillaient un peu, si vraiment ils interrogeaient le signifiant, le fonctionnement du langage. S’ils l’interrogeaient de la même façon que l’interroge un analysant, comme je l’appelle, c’est-à-dire pas un analysé, puisque c’est lui qui fait le travail : le type qui est en analyse…

… s’il l’interrogeait de la même façon, peut être qu’il en sortirait quelque chose.

(50)C’est ça la règle analytique. Ça ne lui était jamais arrivé qu’on […] pas simplement le type qui a une velléité. On le force à dire quelque chose, et là, c’est là qu’on l’attrape, parce que quand même l’interprétation analytique, même quand elle est faite par un imbécile, ça joue quand même sur quelque chose, au niveau de l’interprétation. On lui montre quelques effets logiques de ce qu’il dit, qui se contredit à la fois. Se contredire ce n’est pas de tout le monde.

Mais on ne peut pas se contredire de n’importe quelle façon. Il y a des contradictions sur lesquelles on peut construire quelque chose, et puis d’autres sur lesquelles on ne peut rien construire du tout.

C’est tel le discours analytique. On dit ce quelque chose, très précisément au niveau où le signifiant est l’Un, la racine même du signifiant. Ce qui fait que le signifiant, ça fonctionne, parce que c’est là qu’on attrape l’Un, c’est là qu’il y a de l’Un.

[La trascrizione, per difetti di registrazione, subirà in alcuni punti un andamento frammentario. Il tratto perduto sarà indicato […] ]

Nous en sommes, par ailleurs, tout de même arrivés à quelques petites cogitations qui ne nous paraissent pas complètement superflues du côté de l’interrogation des nombres entiers – parce que quand même la théorie des ensembles, Cantor et tout le reste, ça consiste juste à se demander pourquoi il y a de l’Un. C’est pas autre chose.

Et peut-être, avec un peu d’effort, on arriverait à s’apercevoir que les nombres entiers, qu’on appelle naturels, ils ne sont pas si naturels que ça… comme le reste des nombres.

Bref, il y a quelque chose qui devrait survenir à un certain niveau, qui est celui de la structure.

Ces trois-quarts de siècle, qui sont maintenant écoulés depuis que Freud a sorti cette fabuleuse subversion de tout ce qu’il en est… il y a une autre chose qui a cavalé, et rudement bien, qui s’appelle rien de moins que le discours de la science, qui pour l’instant mène le jeu… même le jeu jusqu’à ce qu’on en voie la limite : et si il y a quelque chose qui est corrélatif de cette issue du discours de la science, quelque chose dont il n’y avait aucune chance que ça ne parût avant le triomphe du discours de la science, c’est le discours analytique.

Freud est absolument impensable avant l’émergence, non seulement du discours de la science, mais aussi de (51)ses effets, de ses effets qui sont, bien entendu, toujours plus évidents, toujours plus patents, toujours plus critiques, et dont après tout on peut considérer […] on ne l’a pas encore fait, peut-être un jour il y aura un discours appelé, comme ça : « le mal de la jeunesse ».

Mais il y a quelque chose qui crie… et une nouvelle fonction qui ne manquera pas de surgir, n’est-ce pas, d’aborder peut-être, sauf accident, un re-départ dans l’instauration de ce qui est… de ce que j’appelle discours.

J’ai à peine dit ce que c’est qu’un discours.

Le discours c’est quoi ? C’est ce qui, dans l’ordre… dans l’ordonnance de ce qui peut se produire par l’existence du langage, fait fonction de lien social. Il y a peut-être un bain social, comme ça, naturel, c’est là que se partagent, éternellement, les sociologues… mais personnellement, je n’en crois rien.

Et il n’y en a pas trente-six possibles, il n’y en a même que quatre…

Des signifiants, il faut au moins qu’il y en ait deux.

Ça veut dire, le signifiant en tant qu’il fonctionne comme élément, ce qu’on appelle élément justement dans la théorie des ensembles : le signifiant en tant que c’est le mode dont se structure le monde, le monde de l’être parlant, c’est-à-dire tout le savoir.

Il y a donc S1 et S2 – c’est d’où il faut partir pour cette définition que […] le signifiant, c’est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

Ce sujet, ce n’est pas ce que nous croyons, ce n’est pas le rêve, l’illusion […] c’est tout ce qu’il y a de déterminé par cet effet de signifiant. Et ça va beaucoup plus loin que ce dont quiconque est conscient… soit connivent.

C’est ça, la découverte de Freud : c’est que, les effets du signifiant, il y en a toute une part qui échappe totalement à ce que nous appelons couramment le sujet. C’est, notons-le bien, le sujet, déterminé jusque dans tous ses détails par les effets du signifiant […]. Nous savons ce que produit le langage : il produit quoi ? Ce que j’ai appelé là le plus-de-jouir, parce que c’est le terme qui est appliqué à ce niveau, que nous connaissons bien, qui s’appelle le désir.

Plus exactement, il produit la cause du désir. Et c’est ça qui s’appelle l’objet petit a.

(52)L’objet petit a, c’est le vrai support de tout ce que nous avons vu fonctionner et qui fonctionne de façon de plus en plus pure pour spécifier chacun dans son désir.

Ce dont l’expérience analytique donne le catalogue sous le terme de pulsion […] pulsion qu’on appelle orale […] un très bel objet, un objet lié à ceci […] dès qu’il a pris l’habitude de sucer […]. Il y en a qui sucent comme ça toute leur vie.

Mais pourquoi suceraient-ils toute leur vie si ce n’était pas dans l’interstice, dans l’intervalle des effets de langage ? L’effet de langage en tant qu’il est appris en même temps, sauf à qui reste complètement idiot, n’est-ce pas ?…

C’est ça qui donne son essence… et son essence tellement essentielle que c’est ça, la personnalité : c’est la façon dont quelqu’un subsiste face à cet objet petit a… Il y en a d’autres et j’ai essayé de dire lesquels.

Mais là-dessus la psychanalyse, autant que Freud, jamais plus que Freud, jamais plus ni mieux que Freud… On a ajouté, bien sûr, des détails, une structure, un statut, sur cette fonction de l’objet petit a… Mélanie Klein a apporté largement sa contribution, et quelques autres aussi, Winnicott… l’objet transitionnel…

C’est ça, c’est ça la véritable âme… la nouvelle subjectivité, au sens ancien…

C’est ça, ce que nous apprend l’expérience analytique.

C’est donc là que beaucoup de psychanalystes… C’est le rôle qu’ils jouent au niveau du semblant.

C’est ça qui les accable, c’est la cause du désir, dans celui auquel ils ouvrent la carrière de l’analysant.

C’est de là que pourrait… pourrait peut être sortir autre chose… quelque chose qui devrait faire un pas vers une autre construction…

C’est à savoir que ce dont il s’agit après tout, en fin de compte, c’est que l’expérience tourne aussi court que possible – c’est-à-dire que le sujet avec quelques interprétations s’en tient quitte et trouve une forme de malentendu dans laquelle il puisse subsister.

Quelle est l’autre personne qui m’a posé une autre question ?

 

X – Quelle est la différence entre le discours du maître et le discours du capitaliste ?

 

L – Je l’ai quand même indiquée tout à l’heure, j’ai (53)parlé latin, la chanson de toujours n’est-ce pas, entre le sujet et le S1. Si vous voulez nous en parlerons à la fin, en plus petit comité, mais je l’ai indiqué.

 

Y – Quel est le rôle de l’appareil algorithmique dans – excusez-moi le mot – le système ? Si nous sommes dans le langage, quel métalangage pourrait parler la chaîne signifiante ?… et votre style lui-même est la preuve qu’il n’y a pas de métalangage possible…

 

L – Il faut dire aux gens qui parlent du métalangage : alors, où est le langage ?

 

Y – D’accord, sur ça vous êtes très facile… mais quel est l’appareil algorithmique dans la mesure où il échappe au langage naturel, qui n’a pas de métalangage, qui n’est pas soumis au métalangage ? Du moment où vous employez un appareil algorithmique, n’essayez-vous pas de bloquer cette fuite, ce dérapage continuel de la chaîne signifiante dans quelque chose qui la définit du dehors ? Sauf si la chaîne signifiante n’est pas le langage naturel mais un appareil logique, algorithmique au-dessus. Si vous employez l’appareil algorithmique pour la définir et la bloquer, n’est-il pas, l’appareil algorithmique, le seul désir finalement accompli ?

 

L – C’est très pertinent, à ceci près, que ce dont il s’agit dans ce que vous appelez à très juste titre algorithme… cet algorithme ne sort pas de l’expérience analytique elle-même.

Ce qui prend sens, je l’ai toujours expressément articulé, ce qui prend sens valablement est toujours lié à ce que j’appellerai, si vous le voulez, le point de contact. Et souvent est un point de contact l’idéal, comme la théorie mathématique […].

C’est pour autant que ce S1, cet Un du signifiant, fonctionne en des points, en des lieux différents, dans cette tentative de réduction radicale, qu’il peut prendre sens d’être, si je peux dire, traduit […] qu’il peut être traduit d’un de ces discours dans l’autre.

C’est pour autant que, dans ces quatre discours, jamais les termes […] ne sont à la même place fonctionnelle, qu’après tout… – pour ce qui nous intéresse, pour ce qui est incidence actuelle des effets subjectivants, dans ce qui nous intéresse ça se peut pour l’instant…, je ne dis pas que ce soit la seule formule possible, mais ça peut pour l’instant s’articuler de cette façon à l’algorithme – qu’il y ait convergence entre la limite où se tient pour l’instant la logique (54)mathématique et les problèmes de nous analystes qui essayons un tout petit peu de maîtriser ce que nous faisons.

Qu’il y a convergence… qu’il y a la même limite algorithmique […] la fonction de la limite…

Nous ne pouvons pas dire n’importe quoi.

Même les analystes les plus traditionnels ne se permettraient pas de dire n’importe quoi.

C’est ce que j’ai écrit là : « qu’on dise – je ne sais même pas quand j’avais écrit ça – qu’on dise comme fait reste oublié – je dis habituellement – derrière ce qui est dit dans ce qui s’entend ».

« Dans ce qui s’entend » : à quoi ça se rapporte ? C’est parfaitement ambigu. Ça peut se rapporter à « reste oublié » – c’est le « qu’on dise » qui peut rester oublié dans ce qui s’entend, – ou c’est « ce qui est dit dans ce qui s’entend » ?

C’est un usage parfaitement exemplaire de l’ambiguïté au niveau de la structure générale – transformationnelle, hein ?

C’est con, tout le monde le fait, à ceci près qu’on ne s’en aperçoit pas.

Qu’est ce qu’il y a ensuite dessous ?

« Cet énoncé qui est assertif par sa forme », que j’ai qualifiée d’universelle, « appartient au modal pour ce qu’il émet d’existence ».

J’ai à peine eu le temps d’assister aujourd’hui à ce qu’il en est de l’existence : j’avais commencé assez clair et puis enfin, comme d’habitude, je suis moi-même sous mon fardeau plus au moins fléchissant.

Mais enfin, ce qui est tout à fait clair, c’est que nous en sommes à ça : à interroger l’« il existe » au niveau du mathème, au niveau de l’algorithme.

Il n’est qu’au niveau de l’algorithme que l’existence est recevable comme telle. À partir du moment où le discours scientifique s’instaure, ça veut dire tout savoir, il ne s’inscrit que dans le mathème. Tout savoir est un savoir enseignable… Nous en sommes là, à poser l’existence comme étant ce qui est lié à la structure-algorithme.

C’est un effet d’histoire que nous en sommes à nous interroger, non pas sur notre être mais sur notre existence : que je pense « donc je suis » – entre guillemets : « donc je suis ». Soit ce à partir de quoi est née l’existence, c’est là que nous en sommes. C’est le fait du « qu’on dise » – c’est le dire qui est derrière tout ce qui est dit – qui (55)est le quelque chose qui en vient à surgir dans l’actualité historique.

Et là vous ne pouvez aucunement dire que c’est un fait de désir théorique, de ma part par exemple.

C’est ainsi que les choses se situent, émergent… l’émergence comme telle de l’ordonnance du discours : c’est à partir de là qu’il y a émission d’existence, d’existence comme de quelque chose qui est aussi bien du niveau de ce petit a dont le sujet se divise.

C’est une question qui me paraît, enfin, parce que je viens de vous répondre, enfin atteinte…

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