1972-06-09 un homme et une femme
Paru dans le Bulletin de l’Association freudienne n° 54 de septembre 1993 pages 13 à 21 avec l’introduction suivante signée Charles Melman : « Je retrouve dans mes papiers ce texte de Lacan, non daté. Je crois qu’il me fut remis afin d’être publié dans Scilicet, puis (pour quelle raison ?) retiré par l’auteur de la liasse. J’imagine ainsi qu’il s’agit d’un inédit, au moins pour la plus grande part. Qui me corrigera ou démentira ? ».
De fait il s’agit des notes préparatoires à la séance du séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant » du 09 juin 1971, telles qu’elles furent intégralement publiées avec les fac-similés complets, par le supplément gratuit réservé aux abonnés de l’Unebévue n° 8/9 printemps/été 1997.
(13)Un homme et une femme peuvent s’entendre, je ne dis pas non. Ils peuvent, comme tels, s’entendre crier.
Ce qui arrive dans le cas où ils ne réussissent pas à s’entendre autrement.
Autrement, c’est-à-dire sur une affaire qui est le gage de leur entente.
Ces affaires ne manquent pas…
(où est comprise à l’occasion, c’est la meilleure, l’entente au lit).
Ces affaires ne manquent pas, certes donc, mais c’est en cela qu’elles manquent quelque chose : à savoir de s’entendre comme homme, comme femme, ce qui voudrait dire : sexuellement.
L’homme et la femme ne s’entendraient-ils ainsi qu’à se taire ? Il n’en est pas même question.
Car l’homme, la femme n’ont aucun besoin de parler pour être pris dans un discours. Comme tels, ils sont des faits de discours.
Le sourire ici suffirait à avancer qu’ils ne sont pas que ça. Sans doute qui ne l’accorde ? Mais qu’ils soient ça aussi, fige le sourire.
Et ce n’est qu’ainsi (NM[1] : figé par cette remarque) qu’il a son sens sur les statues archaïques. L’infatuation ricane.
C’est donc dans un discours que les étant homme et femme, naturels si l’on peut dire, ont à se faire valoir comme tels.
Il n’est discours que de semblant. Si ça ne s’avouait pas de soi, j’ai dénoncé la chose. J’en rappelle l’articulation.
Le semblant ne s’énonce qu’à partir de la vérité. Sans doute n’évoque-t-on jamais sans gêne celle-ci (NM : la vérité) dans la science. Ce n’est pas là raison de nous en faire plus de souci. Elle se passe bien de nous. Pour qu’elle se fasse entendre, il lui suffit de dire : « Je parle » et on l’en croit parce que c’est vrai : qui parle, parle.
Il n’est d’enjeu (NM : pari de Pascal) que de ce qu’elle dit.
Comme vérité, elle ne peut dire que le semblant sur la jouissance. Et c’est sur la jouissance sexuelle qu’elle gagne à tous les coups.
On fera bien de me suivre dans ma discipline du nom. Le propre du nom, c’est d’être nom propre. Même pour un tombé entre autres à l’usage de nom commun, ce n’est pas temps perdu que de lui retrouver un emploi propre. Mais quand un nom est resté assez propre, n’hésitez pas, prenez exemple, appelez la chose par son nom : la chose – freudienne comme j’ai fait.
Elle se lève et fait son numéro (NM : naturellement je m’entends ici il faut m’avoir lu). Ce n’est pas moi qui le lui dicte : ce serait même de tout repos, de ce repos dernier au semblant de quoi tant de vies s’astreignent, si je n’étais pas comme homme exposé là sous le vent de la castration.
Elle, la vérité, mon imbaisable partenaire, elle est certes dans le même vent, – elle le porte même : être dans le vent, c’est ça –, mais ce vent ne lui fait ni chaud ni froid, pour la raison que la jouissance, c’est très peu pour elle, puisque la vérité, c’est qu’elle la laisse au semblant.
Ce semblant a un nom, repris du temps, mystérieux de ce que s’y jouassent les mystères, où il nommait le savoir supposé à la fécondité et comme tel offert à l’adoration sous la figure d’un semblant d’organe.
Le semblant, dénoncé par la vérité pure, est, il faut le reconnaître, assez phalle, – assez intéressé dans ce qui pour nous s’amorce par la vertu du coït, à savoir la sélection des génotypes avec la reproduction du phénotype qui s’ensuit, pour (14)mériter ce nom, – bien qu’il soit clair que l’héritage qu’il couvre maintenant se réduise à l’acéphalie de cette sélection, soit l’impossibilité de subordonner la jouissance dite sexuelle à ce qui sub rosa spécifierait le choix de l’homme et de la femme pris comme porteurs chacun d’un lot précis de génotypes, puisqu’au meilleur cas c’est le phénotype qui guide ce choix.
À la vérité, – c’est le cas de le dire –, un nom propre (car c’en est encore un) n’est tout à fait stable que sur la carte où il désigne un désert. Il est remarquable que même les déserts produits au nom d’une religion, ce qui n’est pas rare, ne soient jamais désignés du nom qui fut pour eux dévastateur. Un désert ne se rebaptise qu’à être fécondé.
Ce n’est pas le cas pour la jouissance sexuelle que le progrès de la science ne semble pas (NM : contribuer à) résoudre en savoir.
C’est par contre du barrage qu’elle constitue à l’avènement du rapport sexuel dans le discours, que sa place s’y est évidée jusqu’à devenir évidente. Telle est, au sens que ce mot a dans le pas logique de Frege, la Bedeutung du Phallus.
C’est bien pourquoi, j’ai mes malices, c’est en Allemagne parce qu’en allemand, que j’ai porté le message à quoi répond dans mes Écrits ce titre, et ce au nom du centenaire de la naissance de Freud.
Il fut beau de toucher en ce pays élu pour qu’y résonne ce message, la sidération qu’il produisit.
Dire que je l’attendais ne serait pour moi rien dire. Ma force est de savoir ce qu’attendre signifie.
(Je ne mets pas ici dans le coup les vingt-cinq ans de crétinisation raciale. Ce serait consacrer qu’ils triomphent partout).
Plutôt insisterai-je sur ce que die Bedeutung des Phallus est « en réalité » un pléonasme. Il n’y a pas dans le langage d’autre Bedeutung que le phallus.
Le langage, dans sa fonction d’existant, ne connote en dernière analyse que l’impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habitent (qui habitent le langage) en raison de ce que c’est de cet habitat qu’ils tiennent la parole. Et qu’on n’oublie pas ce que j’ai dit de ce que la parole dès lors n’est pas leur privilège, qu’ils l’évoquent dans tout ce qu’ils dominent par l’effet du discours.
Le silence prétendu éternel des espaces infinis n’aura comme beaucoup d’autres duré qu’un instant. Ça parle vachement dans la nouvelle astronomie.
C’est de ce que le langage n’est constitué que d’une seule Bedeutung qu’il tire sa structure, laquelle consiste en ce qu’on ne puisse, de ce qu’on l’habite, en user que pour la métaphore d’où résultent toutes les insanités mythiques dont vivent ses habitants, – pour la métonymie dont ils prennent le peu de réalité qui leur reste sous la forme du plus-de-jouir.
Or ceci ne se signe que dans l’histoire et à partir de l’apparition de l’écriture. Laquelle n’est jamais simple « inscription », fût-ce dans les apparences de ce qui se promeut de l’audio-visuel. L’écriture n’est jamais, depuis ses origines jusqu’à ses derniers protéismes techniques, que quelque chose qui s’articule comme os dont le langage serait la chair. C’est bien en cela qu’elle démontre que la jouissance, la jouissance sexuelle, n’a pas d’os, ce dont on se doutait par les mœurs de l’organe qui en donne chez le mâle parlant la figure comique.
Mais l’écriture, elle, pas le langage, l’écriture donne os à toutes les jouissances qui, de par le discours, s’avèrent s’ouvrir à l’être parlant. Leur donnant os, elle souligne ce qui y était certes accessible, mais masqué : à savoir que le rapport sexuel fait défaut au champ de la vérité, en ce que le discours qui l’instaure, ne procède que du semblant : à ne frayer la voie qu’à des jouissances qui parodient celle qui y est effective, – mais qui lui demeure étrangère.
Tel est l’Autre de la jouissance, à jamais interdit, celui dont le langage ne permet l’habitation qu’à le fournir – pourquoi pas cette image – de scaphandres.
C’est sans doute ce qui dès longtemps faisait rêver l’homme à la lune. Maintenant il y a mis le pied. Il en était plus près sans doute avec celui, encore figé dans une armoire japonaise, qui savait du jardin d’un certain Pavillon d’Argent la contempler assez-phalliquement, nous aimons à le croire, quoique ça nous laisse (je parle de ceux que l’idée touche) dans l’embarras. Sans reconnaître dans S(A) de mon graphe, la trace de pied sur la lune, pas moyen de s’en tirer.
Ce badinage m’avertit que je frôle le structuralisme. Je m’en déchargerai sur la situation que je subis, en épinglant celle-ci du refus de la performance. Maladie sous la fourche [il y a un s à fourches dans le texte] de laquelle il me faut bien passer, puisque ce refus constitue le culte de la compétence, c’est-à-dire de la certaine idéalité dont je suis réduit, avec la science de cette époque, à m’autoriser devant vous.
(Le résultat c’est que mes Écrits après que l’un d’entre eux ait été traduit en anglais sous le titre scandaleux de « The language of the self », sont sortis, on me l’annonce l’affaire faite, en espagnol, sous le titre non moins inadmissible d’« Aspect structuraliste de Freud » ou quelque chose d’approchant).
(15)La compétence néglige que c’est dans l’incompétence qu’elle prend assiette à se proposer sous forme d’idéalité à son culte. Par là elle va nécessairement aux concessions que j’illustre tout de suite de ma formule d’entrée plus haut. « L’homme et la femme peuvent s’entendre, je ne dis pas non ». C’était pour vous dorer la pilule. Mais la pilule, on le sait n’arrange rien.
La notion figée du terme de structuralisme tente de prolonger la délégation faite à de dangereux spécialistes : les spécialistes de la vérité, d’un certain vide aperçu dans la raréfaction de la jouissance.
Ce fut le défi que releva sans fard l’existentialisme, après que la phénoménologie, bien plus faux jeton, eût jeté le gant dans ses exercices respiratoires. Les lieux laissés déserts par la philosophie n’y étaient à vrai dire pas appropriés. (NM : les lieux) Tout juste bons au mémorial de sa contribution, pas mince, au discours du maître qu’elle assure définitivement de l’appui de la science.
Marx ou pas, et qu’il l’ait balancée sur les pieds ou sur la tête, il est certain que la philosophie n’était pas assez phalle.
Qu’on ne compte pas sur moi pour structuraliser l’affaire de la vie impossible, comme si ce n’était pas de là qu’elle avait chance de faire la preuve de son réel.
Ma prosopopée esbaudissante du « Je parle », pour être mise au compte, rhétorique, d’une vérité en personne, ne me fait pas choir là d’où je la tire. (NM : je veux dire dans le puits)
Rien n’est dit là que ce que parler veut dire : la division sans remède de la jouissance et du semblant. La vérité, c’est de jouir à faire semblant et de n’avouer en aucun cas que la réalité de chacune de ces deux moitiés ne prédomine qu’à s’affirmer d’être de l’autre, soit à mentir à jet alterné. Tel est le midi (t) de la vérité.
Son astronomie est équatoriale, soit déjà périmée quand elle naquit du couple nuit-jour.
Une astronomie, ça ne s’arraisonne qu’à s’assaisonner.
La chose dont il s’agit, ce n’est pas sa compétence de linguiste, et pour cause, qui à Freud en a tracé les voies. Ce que je rappelle par contre, c’est que ces voies, il n’a pu les suivre qu’à y faire preuve et jusqu’à l’acrobatie de performances de langage que seule la linguistique situe dans une structure, en tant qu’elle s’attache à une compétence remarquable de ne jamais se dérober à son enquête.
Ma formule que l’inconscient est structuré comme un langage, indique qu’a minima la condition de l’inconscient, c’est le langage.
Cela n’ôte rien à la portée de l’énigme qui consiste en ce que l’inconscient en sache plus long qu’il n’en a l’air, puisque c’est de cette surprise qu’on était parti pour le nommer comme on l’a fait. Mais elle tournait court à le coiffer de tous les instincts.
L’affaire, à la vérité, était dans le sac : il ne s’agissait plus que d’y mettre l’étiquette à l’adresse de la vérité précisément, laquelle la saute assez de notre temps pour ne pas dédaigner le marché noir.
J’ai mis des bâtons dans l’ornière de sa clandestinité, à marteler que le savoir en question ne s’analysait qu’à se formuler comme un langage, soit : dans une langue particulière, fût-ce à métisser celle-ci, en quoi d’ailleurs il ne fait rien de plus que ce que lesdites langues se permettent.
Personne ne m’a relancé sur ce que sait le langage : Die Bedeutung des Phallus, je l’avais dit certes. Mais personne ne s’en est aperçu parce que c’était la vérité.
Qui s’intéresse à la vérité ? Des gens. Des gens dont j’ai dessiné la structure de l’image grossière, qu’on trouve dans la topologie à l’usage des familles, de la bouteille de Klein. (NM : dessin)
Pas un point de sa surface qui ne soit partie topologique du rebroussement qui se figure ici du cercle seul propre à donner à cette bouteille le cul dont les autres (NM : bouteilles) s’enorgueillissent indûment.
Ainsi n’est-ce pas là où on le croit, mais en sa structure de sujet que l’hystérique conjugue la vérité de sa jouissance au savoir implacable que l’Autre propre à la causer, c’est le phallus, soit un semblant.
Qui ne comprendrait la déception de Freud à saisir que le pas-de-guérison à quoi il parvenait avec l’hystérique, n’allait à rien de plus qu’à lui faire réclamer, ce dit semblant soudain pourvu de vertus réelles, de l’avoir accroché à ce point de rebroussement qui, pour n’être pas introuvable sur le corps, est une figuration topologiquement tout à fait incorrecte de la jouissance chez une femme : mais Freud le savait-il ?
Dans la solution impossible de son problème, c’est à en mesurer la cause au plus juste, soit à en faire une juste cause, que l’hystérique s’accorde, des détenteurs de ce semblant, au moins un, que j’écris l’hommoinzin, conforme à l’os qu’il faut à sa jouissance pour qu’elle puisse le ronger. Ses approches de l’hommoinzin ne pouvant se faire qu’à avouer au dit point de mire, qui le prend au gré de ses penchants, la castration délibérée qu’elle lui réserve, ses chances sont limitées, mais son succès ne passe pas par quelqu’un des hommes que le semblant embarrasse plutôt, ou qui le préfèrent plus franc.
(NM : les sages, les masochistes)
(16)Juger ainsi du résultat est méconnaître ce qu’on peut attendre de l’hystérique pour peu qu’elle veuille bien s’inscrire dans un discours. C’est à mater le maître qu’elle est destinée, qui grâce à elle se rejettera dans le savoir.
N’importe ici rien d’autre que de marquer que le danger est le même, d’où à partir malgré nous, nous prîmes avantage d’en pouvoir avertir.
Aimer la vérité, même celle que l’hystérique incarne (si l’on peut dire), soit lui donner ce qu’on n’a pas, sous prétexte qu’elle le désigne, c’est très précisément se vouer à un théâtre dont il est clair qu’il ne peut plus être qu’une fête de charité.
Cet « il est clair » est lui-même un effet d’Aufklärung, à peine croyable : l’entrée en scène, si boiteuse qu’elle se soit faite, du discours de l’analyste, a suffi à ce que l’hystérique renonce à la clinique luxuriante dont elle meublait la béance du rapport sexuel.
C’est peut-être à prendre comme le signe, fait à quelqu’un, qu’elle va faire mieux.
La seule chose importante ici est ce qui passe inaperçu : à savoir que je parle de l’hystérique comme de quelque chose qui supporte la quantification.
Quelque chose s’inscrirait, à m’entendre, d’un toujours apte en son inconnue, à fonctionner dans Fx comme variable ?
C’est bien en effet ce que j’écris et dont il serait facile à relire Aristote de déceler quel rapport à la femme précisément identifiée à l’hystérique, lui a permis d’instaurer sa logique en forme de pan (talonnade).
Que impose le passage à un « toute femme » qu’un être aussi sensible qu’Aristote n’a bien de fait jamais commis, c’est justement ce qui me permet d’avancer que le « toute femme » est l’énonciation dont se décide l’hystérique comme sujet, et que c’est pour cela qu’une femme est solidaire d’un papludun qui proprement la loge dans cette logique du successeur dont Peano nous a donné le modèle.
Mais l’hystérique n’est pas une femme. Il s’agit de savoir si la psychanalyse telle que je la définis donne accès à une femme. Ou si qu’une femme advienne, c’est affaire de doxa, c’est, comme la vertu l’était au dire du Ménon (mais non, mais non), ce qui ne s’enseigne pas.
Ici cela se traduit : ce qui ne peut d’elle ( : d’une femme) être su dans l’inconscient, soit de façon articulée. La question s’est élevée d’un degré depuis que j’ai démontré qu’il y a du langagièrement articulé qui n’est pas pour cela articulable en parole, – et que c’est là simplement ce dont se pose le désir.
Il est facile pourtant de trancher. C’est justement de ce qu’il s’agisse du désir en tant qu’il met l’accent sur l’invariance de l’inconnue, que son évidement par l’analyse ne saurait l’inscrire dans aucune fonction de variable, laquelle proprement est ce qui permet à d’innombrables femmes de fonctionner comme telles, c’est-à-dire en faisant fonction de papludun de leur être pour toutes leurs variations situationnelles.
C’est là la portée de ma formule du désir dit insatisfait. (NM : L’hystérique est chemin fonctionnel : /introduction au papludun/.)
Il s’en déduit que l’hystérique se situe d’introduire le papludun dont s’institue chacune « des » femmes, par la voie du « ce n’est pas de toute femme que se peut dire qu’elle soit fonction du phallus ». Que ce soit de toute femme, c’est là ce qui fait son désir, et c’est pourquoi ce désir se soutient d’être insatisfait, c’est qu’une femme en résulte, mais qui ne saurait être l’hystérique en personne. C’est bien en quoi elle incarne ma vérité de tout à l’heure, celle qu’après l’avoir fait parler, j’ai rendue à sa fonction structuraliste. (La Verneinung en fait justice).
Le discours analytique s’instaure de cette restitution. Il a suffi à dissiper le théâtre dans l’hystérie. Il répond sûrement au recul théâtral dont s’autorise un Brecht. C’est dire qu’il change de face des choses pour notre époque, et pourquoi pas ? Seule cette canaillerie qui, de se mesurer à l’acte psychanalytique, se résorbe en bêtise, persiste, et je me souviens de l’écho de chiasse qu’enregistra l’entrée en jeu de ce que je dis, sous l’espèce d’un article sur le théâtre chez l’hystérique. La psychanalyse d’aujourd’hui n’a de recours que l’hystérique pas à la page : quand l’hystérique prouve que la page tournée, elle continue à écrire au verso et même sur la suivante. Car elle est logicienne.
Ceci pose la question de la référence faite au théâtre par la théorie freudienne : l’Œdipe pas moins.
Il est temps d’attaquer ce que du théâtre, il a paru nécessaire de maintenir pour le soutien de l’autre scène. Après tout le sommeil y suffit peut-être. Et qu’il abrite à l’occasion la gésine des fonctions fuchsiennes, peut justifier que fasse désir qu’il se prolonge.
Il peut se faire que les représentants signifiants du sujet se passent toujours plus aisément d’être empruntés à la représentation imaginaire.
Il est certain que la jouissance dont on a à se faire châtrer, n’a avec la représentation que des rapports d’appareil.
C’est bien en quoi l’Œdipe sophocléen, qui n’a ce privilège pour nous que de ce que les autres Œdipe soient incomplets, voire perdus, est encore (17)beaucoup trop riche (NM : c’est-à-dire qu’il est diffus) pour nos besoins d’articulation.
La généalogie du désir en tant que ce dont il est question, c’est de comment il se cause, relève d’une combinatoire plus complexe que celle du mythe.
(NM : Nous n’avons pas à rêver sur ce à quoi a servi le mythe. C’est du métalangage.)
À cet égard les mythologies de Lévi-Strauss sont d’un apport décisif. Elles manifestent que la combinaison de formes dénommables du mythème dont beaucoup sont éteintes, s’opère selon des lois de transformation précises, mais d’une logique fort courte, ou tout au moins (NM : dont le moins qu’on puisse dire c’est) dont il faut dire que notre mathématique l’enrichit.
Peut-être conviendrait-il de remettre en question si le discours psychanalytique n’a pas mieux à faire que de se vouer à interpréter ces mythes sous un mode qui ne dépasse pas le commentaire courant, – au reste parfaitement superflu puisque ce qui intéresse l’ethnologue, c’est la cueillette du mythe, sa collation épinglée et sa recollation avec d’autres fonctions, de rite ou de production, recensées de même dans une écriture dont les isomorphismes articulés lui suffisent.
Pas trace de supposition, allais-je dire, sur la jouissance ainsi servie. C’est bien vrai, même à tenir compte des efforts faits pour nous suggérer l’opérance éventuelle d’obscurs savoirs ici gisants. La note donnée par Lévi-Strauss dans les Structures, de l’action de parade exercée par celles-ci à l’endroit de l’amour, tranche heureusement ayant passé au reste bien au-dessus des têtes des analystes, à sa date en faveur.
En somme l’Œdipe a l’avantage de montrer en quoi l’homme peut répondre à l’exigence du papludun qui est dans l’être d’une femme. Il n’en aimerait, lui, papludune. Malheureusement ce n’est pas la même. Pour revenir toujours au même rendez-vous, c’est celui où les masques tombés ne montrent ni lui, ni elle.
Mais cette fable ne se supporte que de ce que l’homme ne soit jamais qu’un petit garçon. Et que l’hystérique n’en puisse démordre, est de nature à jeter un doute sur la fonction de dernier mot de sa vérité.
Un pas dans le sérieux pourrait, me semble-t-il, se faire à embrayer ici sur l’homme dont on remarquera que nous lui avons fait jusqu’à ce point de mon exposé la part modeste, – encore que ça en soit un, votre serviteur en l’occasion, qui fasse parler tout ce beau monde.
(NM : Ici le flottant, le brouillard de ce que Freud dit de l’Œdipe est-ce le mythe – est-ce le drame sophocléen Hamlet)
Il me semble impossible, – ce n’est pas en vain que je bute dès l’entrée sur ce mot –, de ne pas saisir la schize qui sépare le mythe d’Œdipe de Totem et Tabou.
J’abats mes cartes : c’est que le premier est dicté à Freud par l’insatisfaction de l’hystérique, le second par ses propres impasses.
Du petit garçon, ni de la mère, ni du tragique du passage du père au fils, passage de quoi sinon du phallus ? De cela qui fait l’étoffe du premier, pas trace dans le second.
Là le père jouit (terme voilé dans le premier mythe par la puissance), le père jouit de toutes les femmes, jusqu’à ce que ses fils l’abattent, ne s’y étant pas mis sans s’entendre. Après quoi aucun ne lui succède en sa gloutonnerie de jouissance. Le terme s’impose de ce qui arrive en retour : que les fils le dévorent, chacun nécessairement n’en ayant qu’une part, et de ce fait même le tout faisant une communion. C’est à partir de là que se produit le contrat social : nul ne touchera non pas à la mère, car (NM : il y est précisé… que seuls parmi les fils les plus jeunes sont encore) dans le harem. (NM : C’est donc plus les) femmes du père comme telles (NM : qui sont concernées par l’interdit). Si telle est bien l’origine de la loi, ce n’est pas de la loi dite de l’inceste maternel pourtant donnée comme inaugurale en psychanalyse, alors qu’en fait (mise à part une certaine loi de Manou qui la sanctionne d’une castration réelle), elle est plutôt élidée partout.
Je ne conteste ici nullement le bien-fondé prophylactique de l’interdit analytique. Je souligne qu’il n’est pas mythiquement justifié (NM : par Freud) et que l’étrange commence au fait que Freud, ni personne d’autre d’ailleurs, ne semble s’en apercevoir.
Je continue dans ma foulée : la jouissance (NM : pour Freud) est promue au rang d’un absolu qui ramène aux soins de l’homme, de l’homme originel, c’est avoué, et reconnaissons-y le phallus, la totalité de ce qui fémininement peut être sujet à la jouissance, – cette jouissance, je viens de le remarquer, reste voilée dans le couple royal de l’Œdipe, mais ce n’est pas que du premier mythe elle soit absente.
Le couple royal n’est même mis en question qu’à partir de ceci qui est énoncé dans le drame qu’il est le garant de la jouissance du peuple, ce qui colle au reste avec ce que nous savons de toutes les royautés tant archaïques que modernes.
Et la castration d’Œdipe n’a pas d’autre fin que de mettre fin à la peste thébaine, c’est-à-dire de rendre au peuple la jouissance dont d’autres vont être les garants, ce qui bien sûr, vu d’où l’on part, n’ira pas sans quelques péripéties amères pour tous.
(18)Dois-je souligner que la fonction clef du mythe s’oppose dans les deux strictement ? Loi d’abord dans le premier, tellement primordiale qu’elle exerce ses rétorsions même quand les coupables n’y ont contrevenu qu’innocemment. Et c’est de la loi que ressortit la profusion de la jouissance.
Dans le second, jouissance à l’origine. Loi ensuite dont on me fera grâce d’avoir à souligner les corrélats de « perversion ». Puisqu’en fin de compte avec la promotion sur laquelle on insiste assez, du cannibalisme sacré, c’est bien toutes les femmes qui sont interdites de principe à la communauté des mâles qui s’est transcendée comme telle dans cette communion. C’est bien le sens de cette autre loi primordiale : sans quoi qu’est-ce qui la fonde ? Etéocle et Polynice sont là, je pense, pour montrer qu’il y a d’autres ressources. Il est vrai qu’eux procèdent de la généalogie du désir.
Faut-il que le meurtre du père ait constitué pour qui ? pour Freud ? pour ses lecteurs ? une fascination suprême, pour que personne n’ait même songé à souligner que dans le premier mythe il se passe à l’insu du meurtrier qui non seulement ne reconnaît pas qu’il frappe le père, mais qui ne peut pas le reconnaître (NM : nul ne frappe son père expressément visé comme tel) puisqu’il en a un autre, lequel de toute antiquité est son père puisqu’il l’a adopté et que c’est même expressément pour ne pas courir le risque de frapper ledit père qu’il s’est exilé. Ce dont le mythe est suggestif, c’est de manifester la place que le père géniteur a en une époque dont Freud souligne que tout comme dans la nôtre, ce père y est problématique. Et aussi bien le serait-il, et Œdipe absous, s’il n’était pas de rang royal, c’est-à-dire si Œdipe n’avait pas à fonctionner comme le phallus, le phallus de son peuple, pas de sa mère, et qu’un temps ça a marché. J’ai souvent indiqué que c’est de Jocaste qu’à dû venir le virage : est-ce de ce qu’elle ait su, ou oublié ?
Quoi de commun en tout cas avec le meurtre du second mythe, qu’on laisse entendre être de révolte, de besoin ? À vrai dire impensable, voire impensé, sinon comme procédant d’une conjuration ?
Ce terme m’amuse de ce qu’il s’applique à cela qui m’a empêché de traiter ce sujet en son temps, et d’éviter par là à certains psychanalystes l’occasion de débiter quelques insanités supplémentaires sur ces points qui font leur tabou.
Je n’en indique ici que ce qu’il faut pour nous ramener à Freud en tant qu’il nous révèle ici que sa contribution au discours psychanalytique, ne procède pas moins de la névrose que celle qu’il a recueillie de l’hystérique.
Peut-être le temps est-il mûr pour qu’une pareille assertion, – de toute façon incontestable : c’est de lui que nous en tenons l’aveu – ne puisse être tenue pour mettre en cause l’œuvre freudienne.
Bien au contraire. On ne psychanalyse pas une œuvre. On la critique. Et bien loin qu’une névrose rende suspecte sa solidité, c’est bien souvent elle qui la soude.
C’est au témoignage que l’obsessionnel apporte de sa structure à ce qui du rapport sexuel s’avère comme impossible à formuler dans le discours, que nous devons le mythe de Freud.
Non pas sa loi certes, nous en avons le fruit parfait, je veux dire par là qu’il ne montre pas d’échappatoire, dans le mariage tout simplement de chacun à sa chacune. C’est l’exemple éminent d’une loi inepte, mais qui n’en est pas moins infrangible pour la raison que je dis : qu’il n’y a pas moyen d’y inscrire sa relation à la jouissance qu’elle concerne. S’inscrire ne peut se faire qu’à s’écrire, et ça n’est possible à partir d’aucune articulation du rapport sexuel chez l’être capable de faire loi de sa parole.
Je regrette qu’il me faille rappeler ici ce que tout le monde sait et même écrit, mais de façon parfaitement vaine.
Ce qui importe pour mon discours en tant qu’il s’articule du discours psychanalytique, c’est comment le névrosé en témoigne, c’est qu’il se définisse d’en témoigner, et pas vaguement comme les écrivains du cœur.
L’homme, on le sait d’expérience, n’a pas le privilège de la névrose obsessionnelle, mais il a une préférence pour cette façon de témoigner de l’inaptitude au rapport sexuel qui n’est pas le lot de son sexe.
Ce témoignage n’a pas moindre valeur que le témoignage de l’hystérique. Il a pourtant moins d’avenir, non pas seulement d’avoir un passé très chargé, mais de ne trouver place dans aucun discours qui tienne.
Cela étonne toujours plus à mesure qu’on essaie d’en dépétrer le discours analytique.
Ce qui ne peut se faire qu’à démontrer la place qu’il y tient.
Les rappels que nous venons de faire des mythes freudiens, permettent d’aller vite à dire qu’ils ne se supportent que du roman familial : les mythes freudiens en font partie, et qu’ils y soient partie les juge. Nul besoin là de psychobiographie.
La métaphore paternelle, comme je l’ai dénommée depuis longtemps couvre le phallus, c’est-à-dire la jouissance en tant qu’elle est du semblant.
C’est bien en cela qu’elle est vouée à l’échec. Il n’y a pas de père symbolique, ne l’a-t-on pas remarqué, dans l’articulation dont j’ai différencié frustration d’une part, castration, privation de l’autre.
(19)Le père ne saurait même énoncer la loi, même si historiquement il le paraît : il ne peut que la servir. Le père législateur est automatiquement forclos, je l’ai souligné pour Schreber.
Il n’y a qu’un père imaginaire, le père dit idéal, pour constituer l’agent de la privation, laquelle ne porte que sur des objets symboliques.
C’est bien ce que toute culture qui le promeut, manifeste, comme le confucianisme en est l’exemple, où ne le représente que la tablette dont prendront soin ses descendants après que ses enfants se soient dévoués à sa vieillesse, dans une parfaite méconnaissance de ce qu’il en est de sa fonction phallique.
Ce n’est pas dire que la loi le châtre. Elle fait pire : elle le typifie.
Il est châtré bien sûr, mais c’est par l’opération du Père réel, qu’il faut considérer à l’œuvre dans la religion juive qui, seule, a su développer sa (dimension ? ndc) demansion propre.
L’homme du nuage, allais-je dire, de fumée ou de feu, selon qu’il fait jour ou bien nuit, celui qui contient le peuple de le précéder d’un corps, de lui avoir donné écrites sur des tables, non les lois du discours, ce qui s’appelle logique, mais celles de la parole dont sortent les prophètes et autres espèces de profs, cherchez : y en a plusieurs.
Sa préférence est marquée pour les femmes qui ont passé l’âge, c’est à celles-là qu’il permet de procréer. L’accent de miracle mis sur le maintien de la lignée des patriarches, souligne la division de la jouissance et de ce qu’elle engendre.
Ceci veut dire que la jouissance s’opère aux ordres. L’énonciation véritable du surmoi, – je n’en ai avancé la proposition qu’obliquement, mais une fois énoncée, elle convainc toujours plus –, elle est dans l’Ecclésiaste et elle se dit en français « Jouis » en quoi cette langue montre son bonheur. Car la réponse d’y être homophone, donne sa portée au commandement.
Voilà ce qui fait entendre comment Freud à la fois a pu percevoir la structure qui conjoint la névrose obsessionnelle à ce qui s’appelle religion (pas seulement dans notre aire ?), et lui-même avoir recouru à l’ordre qui se déduit du père, tant s’imposait à lui que rien du sexe ne pût se soutenir que de son maintien.
Or cet ordre ne se soutient que de son impossibilité, dont la passion historique des juifs est l’exemple.
Ce que la clinique montre pourtant à Freud, c’est la filière de la dette où l’homme s’instaure de ne pouvoir satisfaire à la fonction du phallus. Évoquerai-je l’homme aux rats allant ouvrir la porte (geste réel) à la figure mentale de son père mort pour lui montrer son érection ?