jeudi, mars 28, 2024
Recherches Lacan

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1972-10-14 entretien à la télévision belge

Entretien à la télévision belge avec Françoise Wolff portant sur « Les grandes questions de la psychanalyse ». Cassette MK2 vidéo sous le titre : Jacques Lacan. Conférence de Louvain suivie d’un entretien avec Françoise Wolff. Au cours de cet entretien sont insérés des commentaires sur Lacan que nous indiquerons par […].

 

F. Wolff – Si nous demandons à Jacques Lacan ce qu’est la psychanalyse, c’est parce que nous croyons qu’il est une des plus prestigieuses figures de la psychanalyse contemporaine.

 

J. Lacan – La psychanalyse est quelque chose dont l’existence commence à être connue de, par beaucoup de monde. L’expérience analytique, ça n’est certes pas moi qui l’ai inventée. C’est quelque chose qui s’est constitué selon ses voies, ses voies n’ont peut-être pas toujours été les plus conformes à aller droit à leur but. Néanmoins il y a quelques sortes de formes dans lesquelles elle s’est instituée et ces formes, quoique très évidemment d’artifice, ce qui est commun à toute espèce d’expérience, n’est-ce pas, ont permis une certaine élucidation concernant quelque chose dont il ne suffit pas de dire, n’est-ce pas, qu’il s’agisse de troubles. Qu’il s’agisse de malaise est quelque chose qui soit hautement significatif, c’est évidemment ce qui résulte de l’expérience analytique elle-même.

À cet endroit, le fait que un public de plus en plus nombreux soit averti de la possibilité d’une telle expérience est quelque chose qui est la base à partir de laquelle je me trouve avoir quelque chose à dire.

 

[…]

 

Je me trouve avoir insisté, enfin, sur, sur ce qui est évident, enfin, non seulement à première inspection mais à la seconde et à toutes les inspections possible, jusqu’à la dernière. L’analyse est une pratique de langage. La découverte de l’inconscient par Freud, il suffit d’ouvrir un de ses trois premiers livres, les livres fondamentaux concernant justement la découverte de l’inconscient, il n’y a pas d’autre appréhension de l’inconscient dans Freud qu’une appréhension langagière et c’est d’ailleurs en quoi l’expérience analytique le confirme c’est que, rien n’y passe que par la parole, celle de celui que j’appelle l’analysant, ou celle de l’analyste. Il serait quand même extravagant que par rapport à ce fait pratique, enfin, on cherche un alibi dans je ne sais quelle construction accessoire.

 

F. Wolff – Comment définissez-vous l’inconscient ?

 

J. Lacan – Je définis l’inconscient… c’est devenu, c’est devenu un petit bateau, enfin, je définis l’inconscient comme étant structuré comme un langage. Ce n’est évidemment pas ici que je m’en vais me mettre à en faire le commentaire. Il est certain que c’est à partir de là que commencent les questions. Comment le fait que ces sortes d’êtres qui ce langage l’habitent, comment est-ce que ça se fait que ce serait, à m’en croire n’est-ce pas, par le véhicule du langage qu’il se trouverait dans tout ce que découvre l’analyse à l’intérieur de ce fait, comment se fait-il que lui sont transmises, enfin, des conditions aussi dramatiques, c’est le cas de le dire n’est-ce pas, que le fait qu’il soit tellement dans la dépendance de tout ce qu’il a attendu dans le monde et tout spécialement au niveau bien sûr qui est celui dont il a reçu transmission de ce langage, de ce langage qui est celui que lui a parlé sa mère, comment à travers ça quelque chose d’aussi prévenant, je veux dire dominant n’est-ce pas, que le désir dont il est en somme le résultat, la conséquence, comment sa destinée entière peut-elle être marquée par cela ? C’est évidemment là que commence l’exploration, mais le mode d’alibis, enfin, plus ou moins prétentieux, enfin, désignés sous le terme d’affects alors que, à quelle occasion ont jamais pu se produire les dits affects, c’est à l’occasion de déclarations plus ou moins opportunes, enfin, c’est là que commence l’expérience analytique ; mais ne pas lui donner comme prémisse que c’est bien au niveau du langage qu’est le problème, me paraissait d’autant plus difficile de l’éviter qu’il ne s’agit pas là du tout d’une question théorique mais d’une question qui emporte tout l’efficace de la pratique analytique.

 

[…]

F. Wolff – Quel est le rôle de l’analyste ? Est-ce, comme vous l’avez dit hier soir, ce rôle de « je ne te le fais pas dire » ?

 

J. Lacan – Oui, je me suis en effet, hier soir, armé, enfin, pour en faire un exemple, pour rendre sensible une dimension qui est celle que j’exprimais en spécifiant que j’ai dit « structuré comme un langage », c’est-à-dire une langue particulière. Nous ne connaissons que ça, enfin je voulais bien marquer la différence, l’accent, enfin l’accent précis que cela comporte, qu’après tout on ne peut qu’en habiter une ou plusieurs, mais on ne peut qu’habiter certaines de ces langues. Alors ce que vous me demandez maintenant, si je comprends bien, c’est quel est le rôle de l’analyste, m’avez-vous dit ? Re-précisez bien ce que vous vouliez dire par là. Le rôle de l’analyste…

 

F. Wolff – dans la relation analytique…

 

J. Lacan – et bien…

 

F. Wolff – Est-ce c’est de faire dire ou de ne pas faire dire ?

 

J. Lacan – Oui, c’est ça, c’est le fameux « je ne te le fais pas dire ». Je l’avançais comme exemple que de ce qui justement spécifie ce, un langage. On ne peut pas jouer sur l’ambiguïté que comporte l’expression « je ne te le fais pas dire » qui peut dire, qui peut vouloir dire deux choses tout à fait différentes en français : « tu l’as dit » et, je me mets hors du jeu : « c’est pas moi qui te l’ai fait dire par quiconque ». C’était un exemple destiné à montrer la spécificité d’une langue entre les autres et c’était pour montrer que l’intervention soulignée, que l’intervention analytique est très typiquement ce qui fera toujours usage de cette équivoque.

 

[…]

F. Wolff – Dans l’expérience analytique, il y a le transfert. Comment, en tant qu’analyste, vivez-vous cela ?

 

J. Lacan – En tant que quoi ?

 

F. Wolff – En tant qu’analyste.

 

J. Lacan – Oui, en tant qu’analyste, j’en ai l’expérience ; elle est toujours, même j’ai pu le constater pour les analystes les plus chargés justement d’expérience, à chaque fois une surprise nouvelle, et je ne peux même pas ici témoigner de ceux qui m’en ont fait l’aveu. Je ne vois pas pourquoi je les mettrais en avant quand moi-même c’est ce que j’ajouterai à leur témoignage, c’est que pour moi aussi c’est un sujet d’émerveillement, mais… ça ne dit en rien ce que… où chacun peut, fait situer enfin cette manifestation si sensible et si étonnante à voir dans une expérience que j’ai définie à l’instant par quelque chose, qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas la diminuer que de dire qu’elle est marquée d’un certain nombre d’artifices. Ce n’est pas du tout une raison pour penser que le transfert est lui-même artifice. C’est bien sûr là, beaucoup d’analystes, enfin, s’abriteront, dirais-je, parce qu’à la vérité, la surprise n’est jamais sans provoquer aussi un effet de terreur. S’abriter derrière la motivation artificielle du transfert pour penser qu’après tout ce n’est qu’un artifice, c’est se mettre à l’abri de quelque chose qui, on le comprend, peut paraître lourd, parce que, comme Freud lui, enfin, il ne manquait pas de le regarder en face, il n’y a aucune distinction entre le transfert et l’amour. À partir de là commence la question : comment en effet, une situation d’artifice peut-elle déterminer un ordre de sentiment qui paraît un ordre aussi élevé dans l’ordre naturel que l’amour, je dois ajouter, car le transfert n’a pas que cette forme, il a aussi celui de la haine. Mais si l’analyse a démontré quelque chose, c’est le profond, étroit accolement de l’amour et de la haine. J’ai, je crois, le premier, essayé de, ce transfert, enfin, de façon qui motive l’ordre, l’ordre élevé de son phénomène, je l’ai inscrit, enfin, la rubrique de ce que l’analyste se trouve effectivement dans l’expérience analytique occuper comme place et je l’ai épinglé de termes qu’il faut accueillir même sous la réserve de cette ambiguïté dont je parlais tout à l’heure : le sujet supposé savoir. Quelle est la relation d’un sentiment tel que l’amour avec une formule de l’ordre du sujet supposé savoir ? C’est assurément ce qu’il est tout à fait impossible non seulement d’expliquer, mais même seulement de faire sentir dans un aussi court entretien.

 

[…]

F. Wolff – Certains psychanalystes disent détenir la clef du normal. N’est-ce pas dangereux ?

 

J. Lacan – Oui, enfin c’est une, c’est une opinion, (il soupire) à la vérité, tout à fait déplacée, enfin. Aucun analyste ne devrait, je ne dis pas… (un technicien intervient puis, Lacan avec un geste d’humeur … non, ne recommencez pas toute l’affaire. J’étais à aucun analyste, passons à moi, allez …) aucun analyste ne peut s’autoriser sous aucun angle à parler du normal, de l’anormal non plus d’ailleurs. L’analyste, en présence d’une demande d’analyse, a à savoir s’il pense que cette demande d’analyse a forme propice à ce que le procès analytique s’engage, c’est le cas de le dire, enfin, cordonnier pas au-delà de la semelle, au nom de quoi l’analyste parlerait-il d’une norme quelconque, sinon, permettez-moi la plaisanterie, d’une mal norme, d’une norme mâle.

 

[…]

F. Wolff – Donc sous le couvert de la psychanalyse, il n’y a pas une répression de la liberté ?

 

J. Lacan – (rire) Oui…, ces termes, le terme me font rire, oui…, je ne parle jamais de la liberté.


Séance extraordinaire de l’École belge de psychanalyse, le 14 octobre 1972. Paru dans Quarto (supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981, n° 5, pp. 4-22.

(4)Vergote – Je suis heureux d’accueillir, au seuil d’une année nouvelle de nos activités, celui qui, par tout son retour à Freud, a libéré la psychanalyse de toutes sortes de contaminations qui lui venaient de toutes sortes de biologismes ou de psychologismes. Lorsque j’ai été inviter Monsieur Lacan au mois de juin, pour notre École, il m’a dit qu’il ne voyait pas beaucoup de sens à faire une conférence suivie de quelques échanges ; il m’a dit qu’il préférait avoir des contacts plus prolongés et même passer une journée ou presque, avec nous. Je n’osais pas en demander autant, mais nous n’en sommes que plus heureux. M. Lacan a même préféré, pour que ces échanges portent tous leurs fruits, de ne pas commencer par faire la conférence demandée, proposée et que je vous avais annoncée sous la réserve que vous comprenez ; M. Lacan a préféré laisser venir tout de suite les questions, et je pense que nous avons avec nous maintenant celui que j’ose à peine nommer un maître de pensée pour nous, non pas que ce mot de maître ne soit pas tout à fait à sa place ici, mais pour ce que ce mot peut évoquer de l’obésité du savoir dont M. Lacan a horreur. Mais certains d’entre nous avons assisté hier après-midi à cette maîtrise socratique avec laquelle M. Lacan peut faire surgir de toutes les questions, disons même ingénues, leur véritable sens. N’ayons donc pas peur de dire ce que nous avons à dire. Si on ne peut pas statufier M. Lacan, si on ne peut jamais le récupérer et le mettre quelque part dans une nécropole d’un savoir établi, c’est aussi parce que M. Lacan ne refuse aucune question, et qu’il ne nous demande jamais de jeter un voile pudique, sur ce que nous désirons lui demander. Alors je vous invite à ne pas refouler les questions qui viennent, à dire franchement ce qui veut se dire en vous, et je vous donne la parole tout de suite.

 

Lacan – Bon, écoutez, ici on est entre soi, c’est comme ça qu’il faut prendre les choses. Dans ce qui va suivre, je voudrais en fait répondre à l’invitation très sympathique qui m’a été faite et, je réponds toujours à ces choses-là comme à une gageure. C’est pas mon champ propre, vous êtes ici tout à fait hors de ma portée pour tout dire, et c’est tout à fait légitime. Mais à partir du moment où j’y suis, j’aimerais bien que se manifeste quelque chose qui me donne une idée de votre existence en tant qu’École. J’aimerais bien, cela me ferait plaisir, ce serait une récompense en tout cas à l’effort que j’ai pu faire hier soir, qui était plutôt un effort de, je ne sais pas de quoi, d’exhibition n’est-ce pas, et même encore plus suspect que de tout ce que vous pouvez formuler enfin, témoigner que j’étais encore un peu là, mais enfin c’est pas suffisant. Je dirais même que cela n’a pas de justification véritable, exactement comme le disait celui-là qui était intervenu ; il ne savait pas ce qu’il disait, bien entendu, mais cela n’empêche pas que ce qu’il disait, je pouvais l’entendre. Alors, j’aimerais bien savoir ; ici, il doit y avoir, non seulement je le suppose, mais j’en suis sûr, il doit y avoir un peu de sérieux ; j’aimerais bien savoir comment pour vous se pose…, je ne sais pas si vous voulez, et dans toute la mesure où vous voulez m’en faire part, je serais de savoir comment…, quels sont vos problèmes intérieurs, votre fonctionnement enfin. Ne croyez pas que tout cela me laisse froid. Moi aussi, j’ai mes affaires intérieures, j’ai mes problèmes. C’est pas du tout que j’ai une certaine idée préalable de la façon dont il faut mener ça. Je me pose des tas de questions, comme je l’ai fait remarquer hier soir à quelqu’un, et ne croyez pas que les questions soient moins pressantes pour moi que pour vous. C’est justement ce que, pour moi, (5)j’appelle ma récompense, c’est ce que pourraient me suggérer vos questions. Enfin, j’aimerais que vous me donniez une idée de la façon dont ça marche ici. Allez-y !

 

Duquenne – Mais cela laisse ouverte la question de ce qu’est l’acte, et qui a été laissée en suspens hier, l’acte psychanalytique.

 

Lacan – Oui.

 

Duquenne – Je crois que c’est le pentum saliens qui est à l’horizon de toutes les questions qu’on se pose ici.

 

Jorion – Il y a un autre mot qui a été prononcé hier, c’est le mot organisation, et vous l’avez relevé.

 

Lacan – Oui,… et bien voilà, parlons-en de l’organisation. Dites-moi quelle idée vous vous en faites. Il y a forcément une organisation ici (hm). Quelle idée vous faites-vous de cette organisation en tant que telle ?

 

Jorion – C’est justement le problème. Mais je me situe de manière différente, dans la mesure où je ne suis pas encore dans l’organisation. Mon acte de venir ici est un premier pas.

 

Lacan – En tout cas, vous restez sur la réserve.

 

Jorion – J’en ai parlé avec certains qui sont dans l’organisation, de ce qui se passait, et cela m’a laissé sur ma réserve.

 

Lacan – Oui, vous êtes là au bord de… Vous êtes sur la réserve, mais vous y êtes quand même porté, et la preuve en est que vous êtes là.

 

Jorion – Je puis un peu justifier le fait que je sois au bord, qui est qu’il me semble que l’organisation joue le rôle de prothèse pour certains qui ne trouveraient pas en eux-mêmes la puissance suffisante que de se réclamer que d’eux-mêmes.

 

Lacan – Oui… Les mots sur un sujet aussi mouvant, ont beaucoup d’importance J’ai dit « ne s’autorise que de lui-même », j’ai pas dit « ne se réclame que de lui-même », pour la bonne raison que se réclamer est un peu clamatoire, et en principe sinon en fait, on peut se réclamer de rien. Oui. En fait, cela a été diversement interprété, cette petite formule. Pour beaucoup de gens, cela veut dire que presque n’importe qui peut se déclarer analyste, ce qui, je dois dire, est… légal. Rien n’empêche en effet quiconque de se conduire de cette façon irresponsable. On omet dans cette petite phrase que l’analyste, cela a pour moi un sens très problématique. Je veux dire qu’il faut d’abord que cette position soit (hm), je dirais presque, occupable ; cela laisse même un doute sur l’existence de l’analyste. Enfin, à partir de quand y a-t-il un analyste ? C’est pour ça que dans cette École, qui est la mienne, j’ai tenté, comme École qui doit encore faire ses preuves, j’ai fait cette proposition qui vraiment a fait fuir à partir d’elle, un certain nombre de personnes qui…, ce qui est curieux je n’étais pas du tout sûr d’avance de cet effet, loin de là. Je me rendais très bien compte que c’était des choses difficiles à faire entrer comme exercice. Mais ce n’est pas parce que ces personnes ont cru devoir s’en aller que c’est plus facile. C’est une expérience en cours. J’ai proposé, j’ai essayé de proposer qu’on éclaire par le témoignage de l’intéressé, de quiconque ne pourrait en témoigner que de lui-même (hm), témoignage de l’intéressé du moment, (6)qui n’est pas bien sûr (hm) témoigner de ce que c’est qu’être analyste puisque c’est justement ça qui est en suspens, du moment qui témoigne de ceci, où il en est, ce qui est arrivé à le faire au moins désirer de l’être, et – si on en croit ce que j’ai fondé comme principe, à savoir que l’analyste ne pouvait même se concevoir s’il n’a pas parcouru lui-même quelque chose qui ressemble à l’expérience analytique –, où il en est au moment où, ou bien ça se confirme, ou bien ça s’affirme tout simplement, ce qui l’a fait désirer d’occuper cette position. J’ai laissé d’ailleurs libre chacun d’en témoigner ou pas. Personne n’est forcé de s’offrir à l’expérience de ce que j’appelle un peu comme j’ai pu, la passe. J’ai cru qu’il était… (hm), qu’il offrait plus de chance à ce témoignage de pouvoir être rendu, que ça ne se passe pas avec quelqu’un déjà en position de prononcer le dignus est intrare, n’est-ce pas. Il n’en reste pas moins qu’il faut quand même qu’il y ait quelqu’un qui le prononce, ce dignus est intrare. L’idée de séparer celui qui recueille le témoignage, de celui qui produit ce dignus est intrare, s’imposait en quelque sorte à partir de là. J’ai tenté cette voie qui consiste à commencer : pour frayer une voie, il y a toujours un initium qui comporte une part d’arbitraire. Quand j’ai dit que les analystes qui sont censés avoir une spéciale expérience de formation, doivent avoir malgré tout une façon de sélectionner malgré tout moins raide, qu’on ne le croit dans un temps que je voudrais faire révolu, n’est-ce pas ; en principe un didacticien, il ne faudrait pas croire que c’était quand même si rigide. Il s’agissait de protester contre cette auto-sélection que j’ai raillée dans une sorte d’écrit qui s’appelle « Situation de la psychanalyse en 1956 », que j’ai raillé, comme vous savez peut-être, car c’est vrai que ça prenait cette tournure-là, n’est-ce pas. C’est un article qui a sa portée. Enfin c’était vraiment tout de même d’un contentement commun sans ça, cela n’aurait pas eu d’utilité que j’essaye de faire rire ; c’est que dans le fond, tout le monde se reconnaît très bien, même ceux que j’appelle les petits souliers, rien de plus adorable que d’être dans ses petits souliers, tout le monde adore ça. Alors, l’expérience a donc commencé. Il y avait des gens qui étaient choisis par ceux qui étaient déjà installés dans le système ; pour les faire sortir de leur système, il faut forcément prendre appui sur le système lui-même : il y a aussi des gens qui ont été désignés. Il ne faut pas croire que cela donne du tout des résultats scabreux, chahutants. Il est vrai que des passeurs ont été très bien désignés. Je veux dire que c’était des gens sérieux, honnêtes, capables, menant des analyses propres, je les ai choisis parmi ceux-là, parmi les frais et moulus, ou encore en analyse, et ils ont reçu ceux qui eux-mêmes se trouvaient, se croyaient en état ou humeur de témoigner de leur affaire.

 

Jorion – Est-ce qu’il n’est pas significatif que c’est précisément sur ces problèmes de didactique, de reproduction qu’achoppent les organisations ?

 

Lacan – Oui, mon cher, que ce soit significatif, c’est à peu près cela, mais que ce soit significatif de quoi ? […] Il y a quand même organisation et organisation. Il s’agirait justement d’apercevoir que c’est vrai qu’il faudrait au moins pour le discours analytique qu’il en sorte, si c’est possible. Il faudrait un tout autre mode de reproduction ; si je puis dire. C’est très bien votre rapprochement là. Il se fait que cela va très bien. C’est aussi ce qui résulte de ce que j’appelais hier le discours, n’est-ce pas, ce qui résulte de l’existence du discours du maître. Il en résulte des races qui se reproduisent, je veux dire qu’il faut avoir une notion de race tout de même, une approximation qu’il faut juste prendre ne fût-ce qu’au niveau de l’horticulture ; on y voit bien que […] parce que là…, on produit et on reproduit des choses qui ne passent pas par le sexe, mais par…, on prend une serpette, on fait des greffes, on fait ce qu’il faut pour produire (7)des fleurs particulièrement soignées. Le discours du maître, c’est ça qui fait l’être parlant. Le maître, ça se reproduit. Il y a la race des maîtres qui se perpétue. Et celle des esclaves. […] Il est absolument clair que Freud a choisi dans ce sens, à savoir que la psychanalyse se reproduirait de la même façon. Il a voulu au moins que ce qu’il avait sorti ne se perde pas.

 

[…]

 

Il faudrait voir comment pourrait s’animer notre mode de reproduction. Alors j’ai voulu d’abord essayer comme ça d’introduire ça par des choses qui s’écrivent, qui sont tout de même publiées, là, à la portée de tout le monde, dans le numéro 2/3 de Scilicet. Il y avait hier un type très gentil, assez astucieux qui m’a posé des questions, et comme ce n’était pas des questions décourageantes, j’en ai profité pour glisser que j’ai travaillé durant l’année sur ça ; l’approche, la façon de cerner montrait en tout cas d’une façon plus sensible avec des petites lettres, que enfin c’est fondamentalement différent de tout ce qu’on avait écrit.

 

Jorion – Et le discours de l’universitaire ?

 

Lacan – Il est certain que les deux ont partie liée, enfin n’est-ce pas. Je ne peux pas entrer ici dans les détails. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est quelque chose dont… malheureusement j’y arrive pas à ce que quelqu’un tout de suite en témoigne, l’écrive ; enfin, c’est une façon de parler, parce qu’au niveau de ceux qui recueillent le témoignage des passeurs, à savoir ce que j’ai institué comme… en gardant autant que possible les anciennes dénominations, j’ai maintenu ce terme de « jury d’agrément », il y a bien quelque chose, c’est ce dont je parlais tout à l’heure, du dignus est intrare, et comme après tout cette passe était faite pour sélectionner des gens dont on avait au moins le sentiment qu’ils sont au fait de ce frayage, n’est-ce pas, eux après se sont exposés alors à ceci que c’était dans l’épreuve de la passe et dont on a recueilli quelque chose qui soit assez porté pour qu’on puisse le considérer par la suite, que sur ce plan-là, sur ce plan-là seulement, ils étaient en position pour poursuivre le travail, c’est-à-dire pour poursuivre un mode tout à fait différent de recrutement de ceux qui sont en position de donner le dignus est intrare, comme ça, en conservant quelque chose qui était déjà un premier frayage ; le terme d’analyste de l’École chez nous a un autre sens que membre dit titulaire ailleurs. Ces analystes de l’École étaient des gens qui ne recevaient pas pour autant la consécration de l’expérience […]. J’ai voulu prôner un recrutement qui soit plutôt un recrutement plus jeune que ceux qui se trouvent simplement avoir, alors vraiment pour l’extérieur, parce qu’il faut bien conserver quelque chose qui ait une surface, n’est-ce pas, pour l’extérieur, le titre d’analyste membre de l’École ; cela fait A.M.E., c’est amusant, et c’est celui à propos duquel l’École reconnaît qu’il a vraiment une pratique d’analyste et qu’il peut rendre un témoignage de sa pratique […]. Et on peut aussi souhaiter que la personne en question soit tout de même capable d’élaborer quelque chose, un travail. Quant aux A.E., c’était l’idée d’un travail en flèche, ils seraient spécialisés dans cette interrogation de la formation, de ce que c’est, comment être sinon s’autoriser analyste ; et tout donnait le sentiment qu’en effet, c’était une voie, il y en a qui sont de ce registre-là. Alors ce que je voulais dire, c’est que jusqu’ici, cela ne nous a pas amené à recrutement large. Il faut dire que des A.E., on n’en a pas estampillé beaucoup, ce qui fait déjà quelques années qu’il y a cette expérience. Il y a toutes sortes de choses curieuses. Les gens qui étaient des analystes installés […] cela les avait forcés […] à cette introduction, par cette voie-là ; à la fonction d’A E. C’était certainement pas ceux qui étaient déjà plus installés qui se (8)trouvaient en mesure, comme il fallait s’y attendre, de porter un témoignage chaud de l’expérience qui les avait amenés là, et c’est dommage dans la mesure où les meilleurs doivent savoir tout de même quelque chose, malgré une certaine distance qu’ils ont pris par rapport à ce moment justement, à ce moment crucial du passage, du passage à l’acte. C’est de ça qu’il s’agit, pas un acting-out, mais du passage à l’acte. C’est précisément ce qui est véhiculé par ces travaux concernant un certain champ, celui du passage à l’acte. C’est ce à quoi, vous voyez, je fais toujours allusion et maintenant j’arrive à la dire […]. C’est que les passants en arrivent par cette expérience de la passe, à un résultat absolument pas croyable, à une précipitation de tas de choses qui étaient là encore en suspens dans leur analyse. […] De même, et vous voyez comme tout ça, c’est d’une relation très très complexe, il n’y a pas d’exemple où le témoignage des passeurs eux-mêmes n’était…, c’est les passeurs qui montraient même souvent le témoignage le plus saisissant, dans la mesure où même maintenant […] cette expérience de la passe était pour tous […] une chose absolument consumante, brûlante, absolument chavirée, n’est-ce pas, et ça se voit dans des effets qui étaient absolument considérables.

 

[…]

 

Mais c’est quand même par cette voie qu’on a une toute petite chance d’avoir de la formation de l’analyste une vue qui soit par cette routine, cette automatisation de ceci qui se résumait jusqu’à présent, en quelque sorte, à attendre le temps qu’il faut pour qu’un type soit assez vieilli sous le harnais, pour qu’il soit consenti par un de ses collègues, reçu comme A.M.E. Ce très vieux mode de recrutement est très général, et surtout dans l’administration, ce qui dit très bien ce que ça veut dire […]. On va s’efforcer de le conserver pour tout ce qui est des rapports avec l’extérieur. Mais alors qu’est-ce qui en règle le relief propre, du discours analytique qui est quand même autre chose ? Qu’est-ce qui le distinguerait d’une vieille routine, comme ça, de culture, d’horticulture. Là aussi, il faut bien en passer par là, par l’idée qu’il y a une autre voie, un autre type de sélection ; enfin évidemment, cela nous force à sortir de ce champ de l’horticulture. […]

Personne ne sait à peu près combien de temps il faut pour domestiquer le chien, le chat… C’est très amusant de penser à leur descendance, à ces animaux très spécifiquement domestiques ; n’est-ce pas. Il y a quand même un moment où ça a commencé. Imaginons que le chien ait été créé en même temps que l’homme, et que pour lui rendre service, il y ait eu un moment où c’est l’homme qui […] Pourquoi est-ce qu’il ne ferait pas ça avec n’importe quelle espèce animal ? Il arrive quelque fois d’ailleurs que des animaux de ce type soient très parasites et ne sont pas domestiqués.

[…]

On aurait tort de ne pas s’apercevoir de ce que l’on constate autour de soi, qu’il n’y a pas un seul propos humain qui ne soit profondément enraciné dans le racisme, « enraciné » dans la racine. Tous, tels que nous sommes ici, nous sommes tous des racistes, tout le monde en plus le sait, tout le monde passe son temps à tout faire pour que pratiquement finisse la race, mais il est tout à fait clair que c’est absolument indéracinable. S’il y a quelque part une petite chance, c’est au niveau de l’histoire analytique, c’est la seule qui soit arrivée à décoller quelque chose comme « autonomisant » (hm)…

[…]

Ce qui est important, c’est que le discours analytique nous permet d’être sûrs de ça ; à soi tout seul, c’est justement le témoignage que quelque chose se décante par du réel, n’est-ce pas, d’une façon qui vaut la peine d’être retenue en sa faveur. Alors, c’est ça, nous sommes dans cet espoir, cet espoir qu’on pourrait vraiment, ce que je disais tantôt, lui donner son (9)statut propre, et ça passe dans un mode, un type différent comme production. Mais bien entendu, c’est pas du tout pour dire que la mythologie du père… L’idée donc, c’est un témoignage latéral où nous sommes, d’une place où on peut s’apercevoir de ça, se rendre compte sur quoi c’est fondé, n’est-ce pas. Ce qui ne veut pas dire qu’on sera analyste de père en fils, c’est même tout le contraire. Mais enfin, il y a là quelque chose qui est à mettre à l’épreuve, et c’est pour ça qu’il n’y a rien de plus important qui peut se passer actuellement lorsque nous sommes réduits à l’épingler comme ça. Si on ne fait pas très attention, c’est là qu’on pourrait parler de groupe analytique. C’est très précisément justement un piège qui est assurément offert là par quelque chose qui est même démontré, que pour un rien, c’est là qu’on se précipiterait tête baissée, à savoir dans une porte sans issue ; encore que l’analyse justement ait permis enfin d’introduire une pratique, ce que j’appelle ses preuves, ses expériences de groupe ; ce qui n’est bien sûr justement possible que parce que le discours analytique est ce qu’il est ; c’est justement parce qu’il est ce qu’il peut s’isoler là comme l’autre champ que je venais de dire. On peut considérer le groupe dans sa dynamique propre, n’est-ce pas, il est très certain que c’est pas de là qu’on peut partir, parce que s’il y a quelque chose qui est absolument soumis à toutes les captures de l’imaginaire, c’est tout ce qui est justement de cet ordre. C’est ce qu’il faudrait éviter, c’est ce qui est en fin de compte le plus caractéristique de ce qui fonctionne en fait, c’est que les analystes forment des groupes. J’ai même aussi tâché de voir si on ne doit pas sortir de ça, parce que ça, c’est incontestablement une voie sans issue. C’est aux rapports de groupe qu’on se fie pour des solutions à ce problème, de la reproduction des analystes. On n’arrivera certainement à rien qu’à s’enfoncer un peu plus. Enfin, ce qu’on peut dire, c’est que ça fonctionne pour l’instant à plein, n’est-ce pas. Voilà, j’avais comme ça ponctué ces choses pour quelqu’un qui me semble être à un moment sensible de son agrégation, comme on dit, c’est-à-dire à ça, n’est-ce pas, entrer dans un groupe. J’en ai profité pour lui dire que mes essais de poser la question, n’est-ce pas…, que cette question s’est posée quelque part, dans ce drôle de lieu de passage qu’est l’École à Paris. Je ne sais pas si j’en aurais jamais les premières semences levées. J’ai apporté plus tard quelque chose qui n’est même pas…, enfin je n’ai aucune raison de sortir la façon dont je l’interprète comme aucune raison de le sortir très naturellement parce qu’il faut vraiment la clarté plus d’une fois, si on veut là la promesse ; enfin je vous ai dit le résultat tout à fait dominant, absolument éclatant, de cette mise à l’épreuve, de ce qu’il en est de la formation de l’analyste. Voilà je voudrais bien que quelqu’un d’autre sur cette base ou sur une autre, pose une question.

 

Jorion – Je vous remercie d’avoir évoqué ces deux spectres qui me semblaient avoir hanté les journées parisiennes, qui étaient donc d’une part ceux qui sont sortis, et puis le problème de papa et maman.

 

Lacan – Oui, enfin, je ne sais pas ce que vous en avez ressenti, de ces journées parisiennes. Enfin, comme vous l’avez vu, j’ai exprimé mon sentiment à la tribune, il était moins déprimant pour moi que pour beaucoup d’autres, peut-être que je suis trop intéressé. C’est possible… Mais ces élucubrations sur Abraham et Isaac et la suite, ça signifie quand même quelque chose ; oui… C’est pas…, c’est une voie dans laquelle j’avais au début d’une année beaucoup de choses à dire, c’est l’année où on n’a pas voulu que je continue, de sorte que je n’y reviendrai pas, sur cette histoire biblique. Je n’y reviendrai pas parce que ça a perdu pour moi son actualité. Mais il y a d’autres biais par où le prendre ; les remarques que j’ai faites aujourd’hui par exemple sur la distinction radicale du père et (10)du géniteur, c’est un biais qui irait parfaitement pour Abraham, Isaac, Jacob. Cela aurait peut-être intéressé ceux qui restent vivement attachés à un certain phylum qui n’est pas rien dans l’analyse, cela aurait peut-être pu leur donner quelques petites lumières. Mais c’est justement ceux-là qui ont mis un terme à ce moment-là à mon discours. Qu’ils se démerdent maintenant, avec leur histoire.

 

Patsalides – Vous utilisez souvent l’expression suivante : le discours du maître. Qu’est-ce que c’est ?

 

Lacan – Vous n’avez pas remarqué que c’est quand même une chose étrange, que dans l’espèce parlante l’obéissance existe. Non seulement elle existe, mais c’est là dedans qu’elle se déplace.

En fin de compte tout de même, le discours du maître, comme ça au départ, il est évident que ce soit un discours fondamental.

Nous trouvons chacun notre place. Il y a que c’est cela qui est le premier élément de toute topologie. Il faut vraiment accéder à ce qu’il y a de plus tordu pour avoir l’idée de ce qu’est la topologie.

 

Patsalides – Mais le terme discours laisse entendre qu’il y a autre chose à entendre que le discours du maître.

 

Lacan – Le terme discours… oui, bien sûr, naturellement, puisque c’est tout ce que je viens d’essayer de dire ; c’est que par la voie de quelque chose qui ne se révèle pas du tout au premier temps, enfin, par la voie de quelque chose que j’appelle la topologie, nous pouvons nous apercevoir de ce qui lie le discours du maître à quelque chose qui ne trouve peut-être pas son ressort d’une façon aussi simple qu’il apparaît, à savoir…, dans cette fonction d’obéissance n’est-ce pas, il y a des points de torsion, il y a des couloirs qui se créent, qui montrent que la topologie n’est pas si ronde que ça. C’est justement à s’attacher à ça que le discours analytique peut montrer sur quoi repose cette formidable « soufflure » du discours du maître que nous habitons depuis toujours, si je puis dire. C’est ça que l’analyste investigue : c’est des gens qui sont entortillés autrement qu’on peut croire. On appelle ça des névrosés. Il y a évidemment une autre topologie que cette sphéricité. Mais enfin, il faut s’y intéresser (hm), c’est déjà une drôle d’idée de ce que ça marche si bien comme ça, tout seul, depuis toujours que… (hm) franchement on ne voit pas pourquoi on en changerait. Mais il apparaît depuis quelques temps qu’il y a… enfin toutes les trouvailles de Freud, cette insistance d’une demande qui ne signifie absolument rien d’autre qu’une insatisfaction fondamentale (hm). C’est à ça que l’analyse fait un sort ; l’analyse n’est pas définissable autrement. Que cette chose qui a toujours en fin de compte été là, à la portée de tout le monde, et même qu’une partie de l’art, de la littérature explore, à savoir que ça ne va pas du tout comme ça. Il faut monter, imaginer, élucubrer autre chose, mais on s’en accommode fort bien. C’est ce qu’il montre, ce rapport bizarre qu’on appelle les lettres, les arts ; enfin on a bien isolé le phénomène et on vit avec. C’est une tumeur (hm). Oui, en sorte qu’on n’a jamais, jamais tiré les conséquences. Cela a l’air très sauvage, ce qu’en dit l’analyse, et ça l’est. C’est tout à fait évident. C’est pas bête du tout la façon <dont> l’analyse a reconnu là les effets qualifiés comme ça, de – elle ne sait pas très bien ce qu’elle dit, la psychanalyse – de sublimation ; avoir déjà permis d’épingler ça, c’est déjà en soi tout seul un drapeau levé, enfin. Tout ce qu’a dit Freud là-dessus est évidemment très lourd,… et ça continue. Mais c’était quand même génial de s’apercevoir que c’était là un point d’exclusion, n’est-ce pas. Ce qu’il en dit en commentaire est court, d’un côté, on ne peut plus être reconnaissant de dire des choses courtes parce (11)que c’est elles qui portent (hm).

 

x – Vous venez dans votre discours de définir, à travers tout ce que vous venez de dire, ce qu’est une fin d’analyse. Vous l’avez défini à travers justement ce passage de la parole vide, pour comprendre ce qui finalement peut être considéré comme la fin d’une analyse, qui arrive là où le sujet se trouve alors devant lui-même, et doit y faire face.

 

Lacan – Ça, c’est certain. Ce que j’ai consenti avec mes petites lettres, ça a l’avantage de montrer, enfin de donner à… mettre à l’essai un certain nombre d’interprétations, parce que dans ce que j’ai écrit dans mes tableaux, ce que j’appelle mes quadripodes[1], S1, c’est en somme la même inscription que ce S1 qui, dans le discours du maître, se situe exactement dans la diagonale, je l’ai mis là au niveau de la production du plus-de-jouir. Ça a l’avantage d’introduire au moins la question enfin, puisqu’il s’agit de produire le discours du maître. Et pourquoi pas ? Ils passent leur temps à faire ça (hm) ! Je te laisse avec un Moi fort. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’était pas ça. Enfin, pour l’instant, c’est la doctrine. L’interprétation de S1 à droite en bas, c’est quelque chose dans lequel les analystes comme ça formés auraient pu se trouver comme poisson dans l’eau. Ils y auraient trouvé, dans ce que je dis, une confirmation de leur système. Ils ne s’aperçoivent même pas de ça, ils ne peuvent même pas s’apercevoir comment ils pourraient se servir de moi ! C’est quand même un signe.

 

x – Parce qu’ils se réifient… probablement.

 

Lacan – Vous supposez ? Tout est là ! C’est là qu’est la distinction. Oui, enfin, cela mériterait quelques commentaires… Enfin, une analyse, ça se termine bien, ou ça se termine mal. On doit admettre que, si à sa suite, quelqu’un devient analyste, cela se termine mal (hm). Mais, c’est tout de même par là qu’il faut en passer, pour parler du discours analytique. C’est un peu provocant, ce que je dis, cela n’a pas d’autre valeur que de provocation.

[… ]

Quand je dis, ce n’est pas de l’analyse terminée, c’est pour mettre l’accent sur ça se termine. Quand on suppose que c’est terminé, cela ne veut pas dire que l’analyse est ratée. Ce n’est jamais raté, une analyse. Cela veut dire, dans ce cas-là, qu’on tombe dans le trou. Mais il est peut être nécessaire qu’il y ait un certain nombre de personnes qui tombent dans le trou… Ça motive, ça présentifie pour les autres le problème, ce dont il s’agit depuis le temps que ça tourne… Le propre de la langue, c’est qu’elle permet comme ça quelques petites astuces grammaticales, ce qui permet de (12)différencier…, c’est ça la précieux, le précieux je souligne. On ne peut parler qu’en style précieux. C’est ce qu’on a fait d’ailleurs.

 

[…]

Jorion – Je voudrais encore vous demander quelque chose. C’est à propos des quadripodes que vous venez d’évoquer, la façon dont ils tournent. Il m’a semblé justement à ces journées parisiennes qu’on arrivait à ce quatrième moment, et qu’on assistait dans la bouche de ces jeunes dont vous évoquiez la fraîcheur, à l’avènement d’un nouveau héros, celui qui dit la vérité, celui qui fait la théorie, qu’on appelle indifféremment l’hystérique et l’analysant, est-ce que c’est la même ? Est-ce que nous arrivons à ce quatrième moment, où l’analyste va être détrôné par celui qui parle chez lui ?

 

Lacan – Il y a longtemps que l’analyste est détrôné par celui qui parle chez lui, oui. Le fauteuil analytique, c’est pas un trône, hein ! Freud n’était pas du tout installé sur un trône ; il a même passé son temps à dire qu’il était prêt à rengainer toutes ses théories devant, simplement le […] de ses patients, puisque c’est comme ça qu’il s’exprimait. Il n’a jamais considéré… Ce qui est fou, c’est qu’il ait réussi à nous livrer la suite de ses élucubrations, et je dois dire qu’il n’y a rien de plus passionnant que cette série de substitutions, ce qui recouvre chez lui un mode d’existence tout à fait fameux. C’est en ça que vraiment il est un type de frayeur de loi. Ce qui est amusant, c’est que je ne sais plus qui employait de moi, l’expression de fragmentaire, à propos de – simplement il était venu à la petite convocation hier, je ne sais pas s’il est là, enfin, il faisait partie de ce qu’on a eu la gentillesse de m’apporter comme échantillon de ce que je devais rencontrer le soir –, il soulignait comme une des faces de la façon dont j’essaye de communiquer quelque chose, ce caractère fragmentaire. Je ne sais pas si ça peut convenir, mais je crois que si ce n’était pas fragmentaire, je serais rentré dans la plus vieille des ornières, celle qui consiste à croire qu’il y a un monde comme ça, où on peut saisir. Tout ça nous donne la petite idée d’où nous en sommes. Évidemment, cela fait partie de notre constitution. Il faut absolument ça. Il n’y a pas une seule personne qui puisse se rencontrer et qui n’ait pas vraiment sa petite idée bien totale du monde. C’est peut-être un organe comme le poumon, n’est-ce pas, un drôle d’organe, oui. Il n’est pas sûr qu’on puisse aussi respirer autrement. Enfin, que Freud soit fragmentaire, c’est ce qui est vraiment énorme, c’est que ce ne soit pas la première chose sensible à quiconque ouvre son œuvre, et ce rien que déjà par la distance fabuleuse qu’il y a de la Traumdeutung à ce qu’on a réuni sous le nom des Essais de psychanalyse. On ne peut pas ne pas être sensible au chemin parcouru, au fait qu’il s’agit de deux émergences. J’ai essayé de dire ça hier soir, très rapidement. Ce qu’il y a d’inouï de plus, c’est que tout ça soit épinglé dans Freud ; mais de là à penser que comme c’est signé Freud, tout ça fait un système, cela servira à tout ce que l’on veut, à un chausse-pied, on fera entrer le pied dans la chaussure, de force ; même si la chaussure claque ou si le pied perd corps, on y va ! Du moment que c’est Freud, ça ne peut être qu’une Weltanschauung, ce que la plupart traduit par conception du monde. C’est comique (ha), oui. J’ai été un jour convoqué, invité par un cercle d’études marxistes, qui avait je ne sais quel président, j’ai oublié son nom, qui a commencé par parler de Marx, en lui accolant immédiatement le terme de Weltanschauung. Enfin s’il y a quelque chose qui va exactement contre, c’est la pensée de Marx. Enfin, qu’est-ce qu’ils disent, alors là suspendus sur certains points comme ça, et ça comporte des suites à proprement parler incalculables, et dénommées pour lui, par lui comme tel. S’il y a quelque chose qui originalise Marx, c’est bien ça. Notez qu’il a mis Hegel sur ses pieds, sur sa tête, peu importe, c’est une métaphore qui n’a strictement aucun sens, enfin…

 

(13)Malengreau – Je voudrais dire quelque chose. J’éprouve un certain malaise par rapport aux questions qui sont posées. C’est qu’en vous demandant de venir parmi nous, on espérait débattre avec vous des problèmes qu’on a entre nous.

 

Lacan – Eh bien, allez-y, mon vieux ! C’est exactement ce que j’attends. Bon

 

Malengreau – Alors j’aurais deux questions à poser. D’abord à propos du racisme. Il y a quelque chose qui m’a frappé. Il y a un racisme aussi des sujets dont on peut parler. Il y a des sujets qu’il est très difficile d’aborder dans l’École ici, et c’est d’abord la question même de la formation du psychanalyste, à savoir qu’il y a certaines règles qui ont été énoncées par l’École, mais qui ne sont plus remises en question, ou qui ne sont plus rediscutées par l’ensemble des participants. L’autre question qui me semble faire problème, pour moi en tout cas, c’est la place qu’occupe la formation universitaire par rapport à la formation du psychanalyste. Je veux dire que personnellement j’ai une dette énorme par rapport à l’enseignement universitaire, mais il reste quand même une question, à savoir, pour une école de psychanalyse, que signifie la formation de l’universitaire. Voilà deux thèmes en tout cas qui me semblent faire partie des débats que nous avons eus entre nous, en petits groupes ou en groupes plus élargis, et que je souhaiterais pouvoir rediscuter.

 

Lacan – Oui, mais est-ce que très concrètement, est-ce que c’est vrai que ce que je viens de dire là, et que j’ai énoncé dans ce qui s’appelle ma proposition, ce quelque chose de tout à fait hypothétique dans l’École, est-ce que ça ne vous paraît pas être proprement du champ de vos questions… Oui, mais ça, c’est votre affaire, oui ! Oui, bon, à ce propos-là, je pense tout de même, j’ai dit quelque chose en disant que… dans la mesure où les choses en sont là, ce que cette proposition a apporté est ferme, ne serait-ce ce minime effet que ça profite littéralement à un certain nombre de gens […] des plus fervents, qui n’étaient pas les derniers venus, et qui ont cru devoir partir. On pourrait même croire que ça m’a affecté […]. Eh bien, non, j’ai pas de cœur, quoi, je vous demande pardon. Enfin, c’est pas du tout propice à la fonction de l’analyste, je dirais même que c’est peut-être une objection d’entrée ; en plus, ce que je dis là, tout le monde le sait, enfin, je dirais même plus qu’on a fondé là-dessus tout un type d’attitudes, la fameuse neutralité, qu’est-ce que ça veut dire ce terme. C’est ce que je viens de dire. Bon, il faut…, enfin, tout est là. C’est toujours la même chose, avec le langage, c’est que si on emploie de ces termes, comme ça un peu abstraits, ça permet de se dérober enfin n’est-ce pas ; la neutralité, c’est très souvent une manière d’alibi, n’est-ce pas. Si je le disais comme ça, cela aurait peut-être plus de portée, on verrait très bien où est pointée la visée du terme neutralité… Bon, alors, je vous renvoie la balle. C’est pour autant que vous le puissiez, parce qu’il faut encore savoir ce qui peut vous empêtrer au niveau où ce problème est chez ceux, pour qui ce problème a de l’importance. C’est à vous de le faire passer par la voie qui vous semblera la plus convenable. Je ne suis pas du tout en train de vous dire que ma proposition soit là l’articulation fondamentale, j’ai cru pouvoir la choisir comme tenant un point d’appui à un certain mode d’interroger ; vous avez à vous interroger par rapport à ce qui est le terme que j’ai appelé tout à l’heure le groupe. Il me semble que sur le discours universitaire, puisque c’est comme ça que je l’intitule, vous avez dit vous, formation universitaire, vous semblez au moins éveillé à ceci que, la formation universitaire vous paraît d’un autre style que de ce que comporte la formation de l’analyste. Cela ne vous empêche pas bien sûr de (14)savoir ce que vous lui devez, à cette formation universitaire, et de ce que vous pouvez vous en extraire, c’est ce que je vous dis, c’est votre affaire. Dans l’état actuel des choses, il ne me semble pas que je puisse faire plus que d’indiquer ce que j’indiquais tout à l’heure. Maintenant c’est à vous de voir comment quelque chose après tout n’a rien à faire avec un champ sur qui j’ai d’autre autorité que votre référence à ce que je dis, enfin. C’est à vous de voir et de faire, n’est-ce pas, avec cette indication que j’ai donnée dans un article de logique, que la hâte peut avoir une certaine fécondité proprement logique ; il y a toujours un moment où ce qui se passe est passage à l’acte, est une bascule, n’est-ce pas. Il est évident qu’il vaut mieux avant avoir bien compris. Mais il n’y a pas moyen d’éviter ce je ne sais quoi de hâtif dans le moment de conclure. Vous avez assez présent le texte auquel je fais allusion, qui s’appelle le temps logique.

 

Baudson – Je voudrais dire quelque chose. J’ai l’impression qu’on vous met dans une situation ambiguë, c’est-à-dire, on vous demande à. la fois de vous situer comme tiers, et il me semble que l’École, au niveau où elle se trouve, a besoin de se situer par rapport à un tiers, et en même temps, on vous demande de répondre au niveau du savoir, et de prendre position par rapport à un certain nombre de choses ; et il me semble qu’il est très difficile de jouer à la fois sur les deux plans.

 

Lacan – Pour moi, j’aime ça. Mais je pense que je n’ai même pas besoin de montrer, ni de savoir que […]. Il est certain qu’il y a une place de l’analyste par rapport au savoir qu’il faut maintenir, et pour en revenir toujours à son quadripode, qu’il faut maintenir à une place tout à fait éminente.

 

Baudson – Il me semblait que les gens vous posaient au début la question de savoir comment nous nous situons en tant que groupe. Il me semble qu’il y a ce désir de se repérer par rapport à un tiers, et ce de manière plus intense qu’auparavant.

 

Lacan – Oui. […] Je n’en vois pas du tout l’inconvénient. De toute façon, c’est vrai qu’une touche de présence y apporte une dimension disons d’exister. Mais (ha) ce n’est pas depuis aujourd’hui que je prends cette position de tiers…

 

Baudson – Mais je crois qu’il y a quand même quelque chose de très différent à cette référence justement, à votre manque à être et à cette référence à vous en tant que personne concrète, vous parlant.

 

Lacan – Oui, c’est bien possible. Mais enfin, j’ai été accueilli ici d’une façon si sympathique, si charmante et si comblante même par certains côtés, parce que je ne peux pas dire qu’on m’ait refusé ce que je voulais, puisqu’au contraire, on me l’a donné avec surabondance.

 

Baudson – Mais je crois que vous en avez besoin.

 

Lacan – Et je suis prêt, quand cela vous chantera, de revenir. Il faut quand même reconnaître des charmes de ces ombrages splendides, n’est-ce pas. C’est vraiment un endroit très agréable pour converser (ha). Enfin, je ne peux pas dire si ce serait à votre gré ou pas que je vienne tous les huit jours.

 

Quintart – La question, si je comprends bien le débat actuel dans l’École, est celle-ci : faut-il avoir une formation universitaire pour entrer dans (15)l’École…, entre autres, c’est une question.

 

Lacan – C’est une question, si par exemple, elle pouvait se transformer dans celle-ci : est-ce qu’il y a objection à une formation universitaire pour entrer dans l’École ?

Alors à ceci, je répondrai naturellement en racontant comme ça, il m’a semblé posément, la situation là où j’ai introduit, je crois avoir introduit un certain style, il est certain qu’il en résulte, me semble-t-il, en général dans l’École, dans l’École freudienne de Paris, puisque c’est comme ça qu’elle s’intitule, il en résulte certainement que le recrutement n’est pas du tout spécialement universitaire, on peut vraiment vous dire qu’il y a des gens de toutes sortes de bords, dont on ne peut pas dire que ce soit la formation universitaire qui les ait… Mais ça, ça peut être dû à toutes sortes d’autres éléments de la configuration. Je crois qu’il est très important qu’il n’y ait pas une dominance, une concertation, des habitudes ; enfin ça a un sens le mot habitude, c’est que pendant des siècles on a parlé de ça, et c’est pas des choses idiotes qu’on en a dites. Il est certain que ce serait mieux de se débarrasser des habitudes, de là à dire que le seul fait de devoir, qu’on doive une dette de méconnaissance, – comme le disait là, avec beaucoup d’authenticité, qu’il semblait à mon interlocuteur, là, à gauche, qu’on ait une dette à la formation universitaire –, il semble que ce serait aller un peu loin que de penser que ce soit en soi une charge trop lourde, que pour s’engager dans la formation analytique. Je crois quand même que ça mérite en tout cas d’être mis à l’épreuve, mis à l’épreuve après un temps d’expérience qui justement découlerait de ceci, que ce serait à partir du moment où on est dans le champ du discours analytique, que ça serait un tout autre mode d’habitude dont on essayerait de frayer la voie ; alors qu’on s’aperçoive à ce moment-là qu’il n’y a pas de doute, que l’université est de nature absolument rebelle, ça mérite quand même d’être soumis à un certain temps d’épreuve. Voilà me semble-t-il quelque chose qui paraît mesuré, raisonnable, et en ceci que, il me semble quant à moi, vis-à-vis de ce à quoi j’avais affaire, j’ai pas procédé en quoi que ce soit par l’abolition de tous les statuts en quelque sorte acquis précédemment, d’autant plus qu’après tout, ces statuts n’étaient quand même pas si mauvais, qu’ils découlaient de quelque chose, d’une voie peut-être en impasse, mais quand même une voie qui ait permis à ce mouvement, pour l’appeler par un autre mot que discours, à ce mouvement analytique, de subsister dans un certain sens qui doive à moment être mis en question, si on veut rester dans une ligne qui soit suffisamment élaborée, fondée de ce qui est à proprement parler le discours analytique, oui, bien sûr ; mais enfin, j’ai pas dit dans ma proposition, j’ai pas proposé tout d’un coup que tout le monde soit remis sur le même plan et au même pas, et que tout le monde déclare que tout ce qu’il pouvait avoir acquis comme expérience, devait être considéré comme nul et non-avenu, et qu’il se trouvait sur le même pied que le débutant, je n’ai absolument pas imaginé un seul instant que cela soit possible. À ce titre ce que vous pouvez vous-mêmes en porter, à voir même jusqu’à un certain degré d’évidence, l’allégeance à la formation universitaire, ça peut en effet très sérieusement être mis en question. Mais je dirais que c’est votre affaire, justement. C’est, enfin…, il paraît difficile, à partir du moment où vous êtes analystes, que même les plus universitaires d’entre vous, ne soient pas…, enfin, qu’il n’y ait pas quelque chose qui vous soit sensible tout à fait indépendamment du discours, évidemment le discours étant un mode de cristallisation, que vous ne soyez pas sensibles au fait qu’il fallait faire… ; il y a une rupture désirable qui est en quelque sorte inhérente au fondement du discours analytique, et certainement il en résulterait des effets, n’est-ce pas, le minimum étant des effets ruineux (hm). Bon mais, il faut pas avoir peur de payer le prix, (16)parce que c’est la règle générale, n’est-ce pas. Dans l’institution universitaire, en tant qu’elle est fondée, qu’elle existe, là aussi on paie le prix ; on paie toujours le prix de ce dans quoi on s’insère ; c’est très curieux que cette notion, pourtant de toujours et qui est si présente…, et qui a toujours été manifeste pour tout le monde. Je ne sais quelle béatitude, issue des aspirations comme ça, tend à l’oublier comme ça. Depuis que ça existe, enfin, il faut toujours payer le prix (hm). Il s’agit justement de savoir ce qu’on est prêt à sacrifier, à une certaine visée, à un certain acte.

 

Lebrun – Mais il me semble que cela ne soit pas seulement notre affaire, parce que c’est quand même bien vous qui venez de redéfinir l’analyse comme quelque chose qui réserve un sort à cette demande insistante, et j’ai un petit peu l’impression que, dans la mesure où nous sommes dans une École d’analystes qui en partie quand même se réclame de vous, il y a aussi ici des demandes qui se font insistantes, et on a l’impression qu’il ne leur est plus réservé de sort.

 

Lacan – C’est quand même votre affaire que de le faire savoir !

 

Lebrun – Oui, d’accord. Mais précisément dans la mesure où l’École ici qui fonctionne, ne parvient plus à articuler quelque chose de ces demandes-là, de cette écoute-là, de cette entente-là, il est évident qu’on se tourne en partie vers celui qui a défini précisément l’analyse comme étant ça, et pas la constitution d’un moi fort, la constitution de bons analystes, la constitution d’analystes qui savent des choses, et qu’on se tourne vers vous pour que ça se mette à ré-entendre si vous voulez. Ça me semble important.

 

Lacan – Vous remarquerez, au moins pour l’instant, que je ne vous ménage pas mes réponses, et même je viens de dire quelque chose…, je suis prêt à renouveler cette mise en présence. Croyez-vous que je puisse faire plus ?

 

Lebrun – Non, mais j’ai l’impression que ça a un sens que ce soit ici que les questions se posent de cette manière.

 

Lacan – Bon, maintenant, je crois que ça pourrait suffire, à moins que vous ayez encore quelque chose à fournir.

 

Jorion – Vous avez dit : « Quittez l’université », en 69, à Vincennes.

 

Lacan – Ah oui, j’ai dit ça ? D’une manière si impérative ? Cela fait partie du discours du maître. S’il y a quelque chose qu’explique bien mon petit quadripode, c’est ceci. C’est que contrairement à ce qu’on croit, la structure offre toujours quelque part un trou, comme ça passivement. Dans quelque discours que ce soit, c’est justement ce en quoi il est lié à la structure. Alors il est bien possible que, à Vincennes, un jour, j’ai dit : quittez l’université. C’était certainement pas un commandement ; c’était pour faire remarquer ceci : c’est que chacun de ces discours, si vous y regardez de près, je le souligne comme ça, n’est pas quelque chose à quoi on soit tout à fait prisonnier. C’est fait comme une nasse. Alors, sortir d’une nasse, chacun sait que c’est pas facile, parce que sans ça on n’aurait pas besoin de la construire, n’est-ce pas. En fait, quand on est dans la nasse, il faut un peu d’astuce pour en sortir, il faut même beaucoup d’astuce, mais lorsque j’ai dit : quittez l’université, c’était peut-être en rétorsion à je ne sais quoi, j’étais interpellé, enfin, cela voulait dire, rien ne vous retient après tout ; c’était évidemment une sorte de défi, parce que, au contraire, tout vous retient, non seulement tout vous retient, mais je ne suis pas sûr même que tous ceux qui restent d’une façon comme ça (17)pataugeante, c’est bien le cas de le dire, vous l’avez vu exemplifié hier soir, je ne suis pas du tout sûr que, pour l’appeler par le nom par lequel je l’ai épinglé, le fameux « émoi de mai », eut été en fin de compte autre chose, parce que cela s’est démontré depuis, cela ne s’est que trop démontré depuis, que… ce qu’on désirait, c’était que la nasse soit mieux faite, qu’on puisse y être confortablement installé. D’ailleurs combien de ces contestataires se sont vus introduits enfin, et se trouvent dans des places fort confortables…

 

x – Ils se seraient le mieux installés dans la nasse ?

 

Lacan – Oui, bien sûr, oui ? Alors, quittez l’université, je crois qu’il faut parfois faire le compte de l’ironie dans ce que je dis.

 

Vergote – Il reste une heure.

 

Lacan – Je vous demande pardon mais j’ai envie comme cela de voir une série de trucs qui sont là à ma portée. Je pars à 3h1/2. Et c’est très bien que, après tout si vous le savez, vous pouvez me sortir les questions que vous pouvez avoir à me poser avant mon départ. Comme je vous l’ai dit, je suis tout prêt à revenir si vous y voyez quelque avantage. Mais on peut régler la chose d’ici une heure. Je veux dire : que tous ceux qui ont une question à me poser la posent.

 

Vergote – Plusieurs se sont déjà annoncées. Peut-être serait-ce bien que vous écoutiez quelques questions, ainsi vous pouvez faire votre choix et ainsi on voit s’il y a une certaine convergence.

 

Lacan – Oui, c’est cela.

 

Cornet – Ma question rejoint ce dont il a été question en partie ce matin, elle a aussi rapport à ce qui a été dit aux journées d’études de votre École. Pour la poser, je partirai volontiers de la psychanalyse des enfants dont il a été beaucoup question à Paris, sur une remarque de Dolto si je me souviens bien ; il a été dit que les analystes chevronnés, et qui ont donc une longue expérience, lorsqu’ils s’affrontent à des enfants en psychanalyse, de toute façon doivent pratiquement « repasser sur le divan », à savoir parce qu’il y a toute une série de choses qui dans l’analyse courante, didactique disons, ne sont même pas effleurées, à savoir un certain nombre de pulsions partielles, etc., et qui en face du psychotique ou des enfants sont mises en jeu et réclament une autre tranche d’analyse.

 

Lacan – Vous évoquez là ce qu’a dit Dolto.

 

Cornet – Oui. je voudrais vous entendre parler à ce propos et notamment quant à ce qui fait peut-être le plus résistance tant dans la didactique maintenant que dans la formation analytique dans une école quant à ce genre de question.

J’aurai une seconde question qui prend place dans notre séminaire de l’an passé sur les indications d’analyse. Il y a une chose que je n’ai jamais pu accepter pour ma part l’an passé, c’est qu’il semblait y avoir un consensus de toute une série de gens sur le fait qu’une analyse en soi pouvait ne pas aller au bout – je ne parle pas d’une analyse sans fin – pouvait ne pas aller au bout, et que au niveau du corps par exemple il était souvent nécessaire de mettre en jeu autre chose à côté ou après l’analyse, pour que ce qui avait été le travail d’analyse s’accomplisse vraiment. Je parle des techniques de psychodrame et de toute une série de technique de (18)groupe. Pour ma part, j’ai toujours considéré – mais c’est seulement une pensée – que dans ces cas-là, quand on en arrive à ce résultat, c’est que l’analyse n’avait jamais eu lieu, qu’il n’y avait jamais eu vraiment analyse. Alors je voudrais vous entendre parler à ce propos. Le corps en analyse, qu’est-ce qu’il en est…

 

Lacan – Il faudrait quand même que je sache parce qu’il faut quand même que je dose mon temps.

 

x – C’est une toute petite question. Il y avait sur le programme que vous diriez quelque chose sur le déclin du complexe d’Œdipe. Si vous pouviez en parler. C’est une question très très simple.

 

Van Rillaer – Vous avez parlé de l’agressivité, de la violence dans bon nombre de vos écrits et c’est sans doute là que l’on trouve le mieux matière à réflexion sur cette question. Est-ce que vous avez peut-être des choses à ajouter par rapport à ce que nous pouvons trouver dans vos Écrits sur ces questions brûlantes ?

 

Jorion – Seule question de fait, on peut trancher simplement. Dans le discours de Rome, la version qui a été publiée dans la psychanalyse et la version qui a été publiée dans les Écrits, il y a une différence de lettre. À la phrase de la dernière note, il est mis dans l’un un certain ton, dans l’autre un certain don. Peut-on trancher quelle est la version autorisée.

 

Lacan – Ah… (rires). Si je savais le contexte.

 

Jorion – Il s’agit des dons qui sont donnés par les vieux aux jeunes analystes.

 

Lacan – Cela doit être équivalent quoi. Enfin je suis peu porté à penser que pour être analyste ce soit lié à un don. Alors je pense que le plus vraisemblable, c’est que c’est un certain ton. […] C’est même tout à fait le contraire de la fonction analytique, c’est que cela ne nous vient pas du ciel.

Vous m’avez posé la question de l’agressivité. Vous savez quand même, comme toute chose, les écrits cela porte sa date ; je veux dire que quand au moins en France n’est-ce pas, les choses ont pris comme cela leur suite après la guerre, c’était la note, presque la consigne n’est-ce pas, donnée dans la formation, c’était très précisément dire que l’analyse comme telle était restée en route, parce qu’on avait pas du tout analysé ou pas assez analysé l’agressivité ; et vraiment du moins en France, on n’avait pas assez vu ou laissé passer l’agressivité. Il est certain qu’à un certain niveau enfin, c’était peut-être en effet justifié enfin, mon effort à ce moment-là, et il y a beaucoup de choses qui en portent la trace ; encore quelque chose comme la direction de la cure et les principes de son pouvoir portent la trace de ce qui était à ce moment-là une opinion qui s’avérait dominante dans la psychanalyse. Ce que j’essaye de dénoncer dans la direction de la cure et les principes de son pouvoir, c’est justement la contamination qui en résulte et qui est liée à des faits de langage, n’est-ce pas, le terme de résistance qui […] ; c’est vraiment ce sur quoi ont porté les premiers séminaires n’est-ce pas ; c’est que la notion de résistance doit être justement à l’aire de ces divisions catégoriques de symbolique et d’imaginaire ; cette notion de résistance doit réserver ce domaine que j’ai essayé de schématiser à ce moment-là par certains petits dessins qui sont vraiment (19)évocables du texte même de Freud, il y a un noyau autour duquel s’écarte un discours ; il est clair que – c’est des choses qui vont être publiées puisque je vous ai annoncé cela, je vous l’ai dit, mes séminaires vont sortir peu à peu –, le schéma même de Freud est tout à fait clair, s’il y a des choses dont le discours fait le tour, autour de quoi on arrive pas à faire autre chose que de se resserrer de plus en plus, mais laisse la trace de ce qui nécessite justement cet écart, il est bien clair que c’est d’un tout autre ordre que celui de l’agressivité. J’ai bien essayé de scinder, de montrer autour de quoi doit se disjoindre enfin, ce qui relève de l’imaginaire et ce qui relève d’un impossible à dire. Je dis cela dans mon vocabulaire présent. Il se trouve enfin que vous aurez quand même senti, appréhendé… Il y a donc là une distinction à faire entre ce qui est énoncé dès le début de l’analyse de l’ambivalence amour-haine qui tienne à la même chose d’essentiel : l’être de l’autre si je peux dire, et puis ce qu’il y a d’essentiellement imaginaire dans la relation agressive, ce qui fait qu’il y tient au fait que ce soit leur semblable et qu’il faille, sauf à passer par un tout autre tour, vraiment l’agresser enfin. Ça je dois dire que là-dessus, c’est même très curieux que les analystes soient restés sourds […] à ce sur quoi joue tout l’existentialisme sartrien enfin n’est-ce pas, en fin de compte il y a déjà tellement du dramatisme de Sartre enfin qui tourne autour du thème de la conscience de l’autre comme telle, mais seulement ce qu’ils ne voient pas, à savoir que c’est de l’ordre de l’imaginaire, que l’inconscient soit l’autre, que ce soit l’autre vraiment qu’il mette en jeu, c’est toi ou moi, c’est moi ou toi, c’est, il faut en découdre alors. C’est là le sens de ce que j’ai pu pondre sous le titre de l’agressivité. Cela n’a absolument rien à faire, et c’est ce que j’ai essayé d’articuler, de démêler qu’entre ce qu’il en est de la haine, ce que supporte le discours, ce discours en tant qu’il y a quelque chose qu’il n’arrive pas <à> atteindre […] de lié à l’imaginaire du semblable, à cette image qui en quelque sorte le dérobe à lui-même en même temps qu’elle engendre l’agressivité. Ces choses bien sûr datent enfin n’est-ce pas, je veux dire que cela datait d’une époque où la confusion pouvait se faire facilement dans l’aire de l’agressivité enfin ; l’analyse de ce que supporte le transfert comme digne d’[…] c’était de l’ordre de l’imaginaire. Dans cet ordre de l’imaginaire, ce pathétique propre enfin à la présence du semblable est quelque chose d’un autre registre, ce que nous agressons, ce n’est rien d’autre que nous-mêmes enfin n’est-ce pas, et ça ne veut pas dire que rien de ce qui a été senti à cette époque et mis en garde dans le jeu, dans l’expérience de l’analyse, n’ait pas été jusqu’à un certain point fondé. Mais ce qui n’était pas entendu, c’est ce collapsus, c’est cette confusion entre ce qui était à proprement parler analyse du transfert, c’est-à-dire ne pas oublier la face de haine de tout amour n’est-ce pas, et distinguer cela de ce qui en quelque sorte est résolu dès les premiers temps du fait qu’on s’adresse à l’autre ; c’est-à-dire que la demande analytique est déjà fondée sur quelque chose qui la perd dans l’existence de l’autre ; c’est-à-dire que ce que j’ai exprimé dans l’article sur l’agressivité, auquel vous vous référez je pense, c’est déjà la demande analytique en tant qu’on suppose que cela est surmonté ; il y a déjà quelque chose par le seul fait de sa demande où le sujet reste ouvert et c’est pour cela que ce que j’ai accentué, c’est que le rapport de cette « agressivité » dans son étymologie, c’est que là nous sommes d’avant, d’un avant qui peut dès lors n’être jamais à l’avant, il n’y a aucune raison que quelqu’un qui serait en proie à une agressivité radicale vis-à-vis du semblable (refuse) l’analyse, il n’y a aucune raison ; c’est vrai enfin, l’homme est un loup pour l’homme, c’est notre très étroite limite d’ailleurs, il y a très longtemps qu’on le sait ; le seul fait d’une demande est déjà quelque chose qui est d’un autre ordre enfin, qui instaure justement la primauté de cette demande comme telle, quoiqu’on ne sache pas du (20)tout vraiment ce qu’elle vise, (à part qu’elle est) déjà plus forte. Le sens de, et c’est à cela que je m’attarde, de ce que j’ai essayé de cliver, c’est ce qu’il se trouve que j’ai trouvé bon de publier, parce qu’il y a bien autre chose enfin comme vous savez, […] mais j’avais peut-être plusieurs raisons de ne pas le publier dans le même corps ; c’est peut-être que moi-même je n’avais pas encore assez distingué des deux registres… Ces fameux articles sur la famille dans l’Encyclopédie française, il se trouve que je ne les ai pas repris, ce n’est pas sans raisons, c’est que je voulais que cela se tienne comme cela pas trop mal, et à l’expérience, il se trouvait que justement cela ne clivait pas assez cette distinction vraiment radicale. Alors vous, vous ce que vous m’avez dit c’est quoi ? Ah le déclin. Bien oui, je n’ai pas parlé du déclin, je n’ai pas parlé du déclin parce que je ne vois pas pourquoi je serais arrivé ici avec quelque chose de préparé enfin, de bien limité comme cela, le déclin. En effet n’est-ce pas il y aurait beaucoup de choses à en dire, ce serait très important de le reprendre, cette notion du déclin du complexe d’Œdipe n’est-ce pas, ce serait une question même tout à fait d’actualité. Ce qui serait le plus important, c’est que n’en décline pas pour nous l’importance, qu’en fin de compte […] une petite énigme n’est-ce pas. Si dans la vie amoureuse enfin quelle qu’elle soit n’est-ce pas, la note, l’accent donné par la relation à la mère est si distinguable, ce n’est certainement pas que le complexe d’Œdipe a décliné de ce côté-là. Ce dont il s’agit, c’est de la formation du surmoi. Qu’est-ce que c’est ? C’est une grosse affaire. C’est une réflexion enfin du discours analytique sur lui-même. Ce qui est inouï, c’est que ça est passé comme une lettre à la poste, à savoir que c’est v
raiment le nœud des nœuds enfin n’est-ce pas. Et d’ailleurs Freud, n’est-ce pas, dans toute son épargne, qu’est-ce qu’il dit dans Malaise dans la civilisation si ce n’est qu’on n’arrive jamais à satisfaire assez à cette voix qui commande, quoi qu’on fasse ; c’est vraiment ce que j’ai appelé dans son temps, tout à fait à l’origine de ce qu’il a produit dans l’enseignement, c’est cette figure obscène et féroce, qui pouvait se qualifier le surmoi. C’est la vue enfin qui découle de ce que j’ai essayé de montrer enfin n’est-ce pas que la référence du discours analytique, c’est à proprement parler la jouissance et pas n’importe laquelle enfin n’est-ce pas, c’est le plus-de-jouir. Si paradoxal que cela paraisse, l’essence même du commandement, de la conscience morale, c’est ça, non pas la jouissance en elle-même, mais ce quelque chose qui résulte enfin de ce que la jouissance, c’est un commandement ; c’est un commandement impossible à satisfaire, nous en sommes réduits à ce plus, à ce plus mieux là que l’autre a sorti avec une innocence sublime, on est sur la voie du plus mieux n’est-ce pas, il n’y a aucun moyen de s’arrêter, c’est un gouffre. Alors c’est cela à l’aide de quoi j’aurais pu en effet, si j’avais accepté d’avoir un sujet à l’avance, reprendre ce qu’il en est du déclin du complexe d’Œdipe que Freud nous présente si joliment en faisant ce premier frayage de la différence qu’il y a entre ce déclin chez la fille et chez le garçon et en montrant à quel point pour la fille c’est plus aisé. Enfin ce sera pour une autre fois, à l’occasion, si cela me chante…

Alors vous n’est-ce pas c’est pour cela que je finis par vous… il s’est dit des choses enfin dont je suis heureux que quelqu’un ait été sensible à leur pathétique. Sur les deux terrains qui semblent vous avoir là affecté enfin n’est-ce pas, je peux vous faire remarquer que c’est quand même le versant féminin de l’acte psychanalytique. Il est incontestable qu’il n’est absolument pas éliminable enfin que le corps soit intéressé. Alors la référence à la jouissance, c’est à proprement parler ce que met en question toute l’expérience analytique. S’il n’y avait pas de corps, il n’y aurait aucun sens. Qu’incontestablement les femmes aient toujours été beaucoup plus intéressées par ce qui est vraiment la référence de l’expérience analytique, (21)le corps comme tel, vous n’aurez pas moins vu que d’autres que c’était au niveau du langage que se trouvaient les lignes de force qui faisaient que où qu’on promène la boussole, c’était toujours vers ce nord que cela se tournait ; et qu’elles aient vraiment senti comme pas une, que c’était bien là le nord ; toute la difficulté commence à ceci enfin n’est-ce pas, c’est qu’il ne faut pas que ce soit un nord mythique, n’est-ce pas, il ne faut pas que la langue enfin donne à ce corps plus de corps langagier qu’il n’en a ; c’est vrai tout ce qui s’est dit de ce pointage enfin qui fait que, au niveau de l’enfant, nous sommes encore à un moment où nous en sommes réduits à l’approcher comme cela par une approche palpatoire enfin, ce corps, encore que je sache enfin, parmi celles des praticiennes de la psychanalyse d’enfant, et nous en avons eues d’éminentes n’est-ce pas, il n’y a pas besoin d’évoquer Mélanie Klein n’est-ce pas ; il est clair qu’elle a toujours connu ces enfants auprès desquels elle se permet les interprétations les plus sauvages, il est clair qu’elle s’en tient enfin n’est-ce pas à la perspective scopique de tout ce qu’est capable de faire l’enfant – se cacher, se replier dans une armoire, bon, elle les incite à dessiner enfin, elle fait tout ce qu’elle peut pour que quelque chose se dépose de cette activité corporelle. Que ce soit là encore vraiment un domaine clef, mais une clef qui tâtonne dans sa serrure n’est-ce pas, c’est évidemment bien ce qui est fait pour nous dire en effet que […] ce que le discours analytique comporte, c’est une interprétation très essentiellement […] qu’il y ait ce rapport […] à l’occasion, justement dans ces journées s’est bien exprimée cette interrogation passionnée un peu qui était comme la marque d’une béance n’est-ce pas, au sujet de ce rapport en fin de compte le plus proche de tous mais à condition qu’on le décompose, ce rapport de la mère à l’enfant, c’est évidemment le témoignage que non seulement il y a à interroger mais qu’il n’y a que l’interrogation qui puisse là, qui soit digne de ceci, c’est à savoir que justement là il n’y a pas de réponse, il n’y a pas de réponse sinon ceci enfin que nous y sommes affrontés. La remarque de Dolto bien sûr ; c’est tout Dolto, c’est que c’est là qu’elle se tient ; ce qui quand même est remarquable enfin c’est que ce soit la seule qui ne se soit jamais départie – étant donné ce qu’elle osait énoncer – qui ne se soit jamais départie d’une fidélité à un discours – le mien – qui lui est littéralement inaudible. Il faut croire quand même qu’il y a quelque chose qui la satisfait enfin n’est-ce pas, puisque c’est quand même là qu’elle se sent capable de dire tout ce qu’elle peut dire. Il est clair que la seconde question que vous me posez – à savoir par exemple quelque chose qui s’exprime dans le discours de Montrelay – il était très très bien ce discours – elle est quand même beaucoup plus vraiment accrochée, mais elle voit cette face qui est inéliminable, et qui n’est inéliminable que de l’effet même du discours analytique, c’est vrai enfin, le discours analytique aboutit enfin, converge enfin vers cette notion de la pulsion ; ce qui est inouï et ce qui est enseignant enfin, c’est cette espèce comme cela de scotome n’est-ce pas, qui fait que, passionnée en quelque sorte par quelque chose qui est en effet plus réel que quoi que ce soit – à savoir la prise du corps dans le jeu de tout ce qui conditionne un discours – c’est cela qui est vraiment à interroger. Qu’il y ait quelque chose qui soit sauté, et très spécialement et non pas sans fruit car après tout il n’y a jamais eu après Freud que des femmes qui aient eu dans l’analyse un petit peu de génie. C’est qu’elles ne voient pas enfin qu’il n’y aurait même pas question de pulsion, et telle qu’elles le centrent, autour de l’organe n’est-ce pas, si justement la seule chose qui pose la question d’à quoi cela serve un organe, c’est justement de partir d’un discours. Je parle d’un discours parce qu’il est d’ores et déjà constitué ce discours analytique. Enfin avant ce discours il est clair que les autres posent tout autant à la question. Comme le démontre même enfin ceci : les plus récentes sorties de la thématique du corps sans (22)organe, c’est bien clair que c’est une façon d’éclairer certaine chose enfin, qui s’appelle la schizophrénie. Cela veut dire que là le langage ne réussit pas à mordre, à savoir que tout de même le corps n’est pas tellement sans organe, il y en a au moins un qui est le langage parce que s’il y a quelque chose dans quoi baigne la schizophrène, c’est devant ce maniement enfin affolé enfin du langage, simplement il n’arrive pas à le faire mordre sur un corps et en effet à partir de là on peut considérer que le corps est sans organes mais qu’est-ce que cela veut dire enfin ? Cela veut dire que si on se pose la question de la fonction d’un organe, c’est à partir du langage en tant que le langage est le premier à quoi le corps se trouve absolument subordonné. Et alors ce pas s’éclaire, il est aisément franchi parce qu’il y a là quelque chose qui là fait court-circuit, intéresse celles qui se trouvent en position analytique c’est-à-dire d’être des analystes et des analystes femmes. Là, ce qui les passionne c’est en fin de compte ceci : si cela sert si bien enfin à une certaine fonction n’est-ce pas, – de s’apercevoir que tout est là, c’est pourquoi ils ont cette fonction-là –, si cela sert si bien, il faut qu’il ait là en quelque sorte quelque chose d’originel, d’inhérent, d’inhérent à l’organe ; toute cette espèce de multiplication d’interrogation pathétique qui fait qu’on étend le champ de cette fonction organique enfin, que même une personne comme Dolto introduit la jouissance respiratoire, elle l’appelle pas même comme cela, pour elle cela apparaît noyau, c’est pas noyau, c’est quelque chose de cerné, enfin, et il se trouve, chose curieuse, que ce que l’analyse nous réserve, nous réserve c’est le cas de le dire, nous permet d’isoler comme pulsion justement enfin n’implique jamais enfin ce qui est pourtant certain : qu’il y a jouissance respiratoire ; mais il se trouve que cela ne prend pas à cause que c’est déjà enfin pris dans tout autre chose n’est-ce pas, qui est la voix, n’est-ce pas, c’est déjà beaucoup plus proche qu’aucun autre, qu’aucun autre organe impliqué enfin, quel que soit le […] qui est relationnel, n’est-ce pas, qui est lié à la fonction de la parole ; alors cette vacillation n’est-ce pas, de la jouissance organique qui élide en quelque sorte, que cela ne passe qu’à travers la complète subversion, cette suppléance n’est-ce pas sexuelle que réalise le langage, c’est en effet quelque chose qui par soi-même vaut la question que cela vous fait. Enfin, cela pourrait avoir des suites après tout si vous la posez, si vous la ressentez comme telle, c’est dans la mesure où je vous le disais au départ, vous en avez d
éjà la réponse, cette réponse j’ai essayé comme cela d’en linéer les traits. Si le langage n’était pas déjà l’organon par excellence, il n’y a pas de question à propos des organes ; qu’est-ce qui nous donne le moindre test que les animaux aient un rapport à leurs organes ? Qu’est-ce qui donne à penser qu’une mouche se demande à quoi sert sa patte, elle trotte, il n’y a pas de question enfin, c’est le corps sans organes au sens où il n’y a pas question. S’il y a une question, c’est qu’il y a déjà cette réponse qu’à soi tout seul constitue le langage à l’intérieur duquel peuvent se propager les questions. Je ne sais pas si ce que je vous réponds là est quelque chose qui vous permet sur un certain ton, une certaine sonorité que vous avez entendu de ces journées et votre réaction même est quelque chose qui vous satisfait, mais je crois que c’est comme cela qu’il faut le centrer.

 

(23)Duquenne – Est-ce que Monsieur Cornet est satisfait quant au versant de l’analyse didactique de sa question ? Oui ou non ?

 

Cornet – En ce moment oui.

 

Vergote – Nous vous remercions. Vous reviendrez, je ne vous le fais pas dire.

 



[1]. Les quatre discours :

discours du maître                                             discours de l’hystérique

S1            S2                                                           S             S1

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S             a                                                             a              S2

discours universitaire                             discours analytique

S2            a                                                             a              S

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S1            sS                                                         S2            S1

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